M. le président. L’amendement n° 200, présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Ce projet de loi est une voiture « balai », pour reprendre la formulation de Muriel Jourda, destinée à habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances.
Je veux à mon tour reconnaître le travail de l’Assemblée nationale et du Sénat, qui ont considérablement réduit le nombre et le périmètre des habilitations.
Néanmoins, l’article 1er prévoit une habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnances des dispositions sur des sujets aussi éloignés et importants que : le fait d’assurer le maintien des compétences et des moyens humains nécessaires à la continuité de l’exercice des missions militaires et de service public ou à la poursuite de l’activité économique ; la limitation des fins et des ruptures de contrat de travail ; l’atténuation des effets de la baisse d’activité ; l’accompagnement de la reprise d’activité ; l’adaptation de dispositions relatives à l’activité partielle, des règles, notamment aux caractéristiques des entreprises en fonction de l’impact économique de la crise sanitaire sur ces dernières, de leur secteur d’activité ou des catégories de salariés concernés, en tenant compte de la situation particulière des artistes à employeurs multiples ; ou encore le maintien de la garantie d’une protection sociale complémentaire applicable. On le voit, cette énumération donne le tournis, elle ressemble à une liste à la Prévert.
Vous le savez, mes chers collègues, nous désapprouvons le recours aux ordonnances, qui s’exonèrent totalement du contrôle du Parlement. L’état d’urgence ne peut justifier de confiner la démocratie. Or le recours étendu et quasi illimité aux ordonnances revient à donner un blanc-seing à un pouvoir qui, déjà, concentre de nombreuses prérogatives.
C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de cet article, qui, outre ce recours exponentiel aux ordonnances, si je puis m’exprimer ainsi, n’apporte aucune réponse aux conséquences réelles et profondes de la crise sociale, économique et de santé liée au Covid-19.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Ma chère collègue, j’ai indiqué, avec beaucoup de force – du moins je l’espère – et beaucoup de sincérité – j’en suis sûre – à quel point le texte initial me paraissait très éloigné de ce que devait être un bon usage de l’article 38 de la Constitution.
L’article 1er tel qu’il nous est arrivé de l’Assemblée nationale prévoyait 15 habilitations, que nous avons ramenées en commission à 5. Ce chiffre, qui pourra peut-être même être encore abaissé au cours de notre débat dans l’hémicycle, me paraît désormais raisonnable, de sorte que je ne peux émettre qu’un avis défavorable sur votre demande de suppression de cet article.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. Madame la sénatrice, pour les mêmes motifs que Mme la rapporteure, qui a employé le mot « raisonnable » pour évoquer la réduction du nombre d’habilitations à légiférer par ordonnances, je suis défavorable à cet amendement.
Au-delà des sujets de fond sur lesquels nous sommes en désaccord, vous vous appuyez par cet amendement sur votre refus de l’habilitation à légiférer par ordonnances. Sur ce point, nous avons déjà répondu dans la discussion générale. Les uns et les autres, nous avons essayé de réduire au maximum le nombre d’ordonnances. Les sujets encore concernés nécessitent une telle procédure.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 244, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer les mots :
dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi
par les mots :
jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Sur le fond, peu importe pour le moment. Ce qui pose problème, c’est de mettre en vacances le Parlement au-delà de l’échéance de l’état d’urgence.
Ce texte tend à habiliter le Gouvernement à légiférer seul, car nous sommes en état d’urgence. Vous avez voulu prolonger cet état d’urgence jusqu’au 10 juillet inclus ; ce n’était pas mon choix. Ayez la cohérence de n’accorder cette habilitation exceptionnelle que jusqu’au terme de l’état d’urgence sanitaire.
Je m’étonne que le fait de bafouer ainsi le Parlement ne fasse pas plus bondir les démocrates que vous prétendez être, mes chers collègues ! On ne légifère pas sans le Parlement. La Macronie a perdu la majorité absolue à l’Assemblée nationale, et je comprends qu’elle demande une immunité plus longue que prévu. Mais on ne fait pas la loi sans le peuple, ses représentants et les territoires. Pas de restriction de liberté pour la démocratie représentative.
Ici, dans cette Haute Assemblée, nous représentons les régions, les départements, les EPCI, plus simplement les collectivités territoriales, les communes, leurs habitants, leurs élus et leurs agents. Dans le mot « collectivités », on entend bien commun, intérêt général, proximité et communauté. Dans le mot « territoriales », on entend terroir, terre, identité, attachement et racines.
Entendez-vous et comprenez-vous encore ces deux mots, mes chers collègues ? C’est tout l’inverse de l’individualisme et du progressisme de la « start-up nation ». On comprend dès lors pourquoi ce gouvernement en marche perpétuelle et déraciné cherche à se soustraire au contrôle du Parlement pour plusieurs mois. J’aurais aimé que le Gouvernement, qui nous demande notre aval pour légiférer à tout-va, ait été aussi exemplaire que nos maires dans la gestion de crise. Ces derniers ont fait un travail formidable de proximité et d’efficacité, agissant avec un engagement total.
Nous sommes ici leurs représentants. Ce sont eux qui sont bafoués par ce programme fourre-tout. La confiance, cela ne se décrète pas, cela se gagne. Moi-même, comme des milliers de maires et des millions de Français, je n’ai pas confiance dans ce gouvernement en sursis.
Si vous ne votez pas cet amendement, vous laissez se créer un dangereux précédent pour notre droit. Vous validez un glissement du droit d’exception vers le droit commun. Le monde d’après sera ce que nous en ferons. Là encore, vous serez tenus responsables : ne devenez pas des coupables volontaires !
Ne dévoyez pas notre démocratie, ne cédez pas vos droits et, surtout, vos devoirs de parlementaires, ne laissez pas le pouvoir jacobin prendre les rênes seul, en écartant le peuple et ses représentants.
M. le président. L’amendement n° 268, présenté par Mme M. Jourda, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
I.- Alinéa 1
Supprimer les mots :
, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi,
II.- Après l’alinéa 15
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
.… – Les ordonnances prévues au présent article sont prises dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi. À titre dérogatoire, les ordonnances prévues au d du 2° du I sont prises dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi.
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Si vous le permettez, monsieur le président, j’évoquerai les trois amendements en discussion commune.
Je propose en effet une position quelque peu intermédiaire. Initialement, le Gouvernement nous avait sollicités pour que nous habilitions le Gouvernement à légiférer par ordonnances pour une période de six mois. En commission, nous avions envisagé un délai de trois mois, tandis que M. Ravier nous propose de faire coïncider ce délai avec la fin de l’état d’urgence. Pour ma part, je défends, mes chers collègues, ce délai de trois mois pour les cinq habilitations qui restent encore prévues à l’article 1er.
Toutefois, s’agissant du chômage partiel, le Gouvernement répond qu’il lui faut davantage de temps, pour adapter les règles à l’évolution de la réalité de la situation économique. Je dois le dire, je suis assez sensible à cette argumentation, tout comme la commission.
Par l’amendement n° 268, je propose donc que nous conservions un délai général de trois mois, à l’exception des dispositions concernant les règles d’activité partielle, pour lesquelles nous donnerions au Gouvernement un délai pour légiférer par ordonnances de six mois, ce qui lui laisserait le temps d’évaluer la situation économique et d’adapter les dispositions.
M. le président. L’amendement n° 186, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer le mot :
trois
par le mot :
six
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre. Plutôt que de présenter cet amendement, j’en viens directement à la solution de compromis proposée par Mme Jourda.
Simplement, j’attire votre attention sur le fait que nous vous présenterons un amendement visant à habiliter le Gouvernement à légiférer afin de compléter le dispositif de chômage partiel. Par conséquent, en commission mixte paritaire ou en nouvelle lecture, il faudra vérifier que la solution de compromis envisagée ici couvre bien ce nouveau dispositif relatif au chômage partiel.
Sous cette réserve, je retire donc l’amendement du Gouvernement au profit d’un avis favorable sur l’amendement de Mme la rapporteure.
M. le président. L’amendement n° 186 est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 244.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 122 est présenté par le Gouvernement.
L’amendement n° 191 est présenté par Mme Prunaud et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 5
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le ministre, pour présenter l’amendement n° 122.
M. Marc Fesneau, ministre. Par cet amendement, il est proposé de supprimer une demande d’habilitation puisque la mesure concernée sera inscrite en dur dans le texte et, partant, l’alinéa 5 de l’article 1er.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 191.
Mme Laurence Cohen. Au milieu de la crise que nous connaissons, il faut saluer l’engagement sans faille de tous les professionnels, en première ou seconde ligne, mais aussi de tous les bénévoles qui ont continué à faire vivre la solidarité. Les associations ont pu maintenir leurs activités et redoubler d’efforts, malgré des difficultés importantes d’un point de vue logistique, mais aussi économique. À ce titre, je veux rappeler la situation alarmante d’Emmaüs, qui a dû faire appel aux dons pour la première fois depuis sa création. J’espère qu’il y aura une fin heureuse et un engagement massif de l’État.
Parallèlement, plus de 260 000 personnes se sont inscrites sur la plateforme jeveuxaider.gouv.fr, intégrant de fait la réserve civique. Malheureusement, cet engagement exemplaire est aujourd’hui en train d’être totalement dénaturé. On le sait, un certain nombre d’entreprises ayant une mission de service public ne pourront pas, dans les semaines qui viennent, reprendre leur pleine activité.
L’exposé des motifs du projet de loi évoque notamment La Poste, qui fonctionne à flux tendu depuis des années. Ainsi, l’absence d’un certain nombre de salariés pour des raisons de santé ou de garde d’enfants conduit l’entreprise à de grandes difficultés pour remplir sa mission de service public. La seule solution qu’a trouvée le Gouvernement, c’est de recourir à la réserve civique. Dit autrement, il s’agit de remplacer des salariés par des bénévoles.
Vous le comprendrez, cela nous pose deux problèmes.
Tout d’abord, du côté des salariés, on nie ainsi leur savoir-faire, en les mettant en concurrence avec des personnes bénévoles, d’autant, faut-il le rappeler ici, que ce dumping social est déjà partiellement à l’œuvre, avec l’ouverture toujours plus grande des structures d’accueil du service civique, à tel point que l’Agence du service civique elle-même s’inquiète de la recrudescence des emplois déguisés au sein du dispositif.
Ensuite, du côté des bénévoles, ils se sont inscrits sur la plateforme et se sont engagés dans la réserve pour faire fonctionner la solidarité et venir en aide aux personnes dans le besoin. Il ne s’agissait pas pour eux de faire fonctionner des entreprises en remplaçant des salariés ! Les limitations apportées par la rapporteure en commission sont un premier pas, mais nous semblent encore insuffisantes pour régler vraiment le problème.
Si on reprend l’exemple de La Poste, les réservistes pourraient se retrouver en position de distribuer le courrier ou la presse ou de tenir les guichets de La Banque postale.
Une telle situation pose question, surtout quand on se rappelle la vocation de la réserve civique. C’est la raison pour laquelle il ne nous paraît pas légitime d’aller vers une telle extension.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Ces deux amendements sont parfaitement identiques, alors que leurs motivations diffèrent complètement.
Nous discuterons tout à l’heure du fond de l’article, je le dis pour ma collègue Laurence Cohen, afin qu’elle ne pense pas que je méprise son argumentation.
Le fait de vouloir inscrire clairement ce dispositif dans le projet de loi me paraît tout à fait louable, même si j’apporterai quelques petites réserves à la rédaction proposée par le Gouvernement. Sur le principe, je suis bien sûr favorable à la suppression de cette habilitation.
La commission émet donc un avis favorable sur ces deux amendements identiques.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 122 et 191.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 245, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Supprimer les mots :
et une durée n’excédant pas six mois à compter de son terme
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Il s’agit tout simplement pour moi de maintenir fermement mon opposition à laisser le Gouvernement légiférer seul pour une durée supérieure à celle de l’état d’urgence. C’est une atteinte manifeste aux droits du Parlement et, donc, aux droits de tous ceux que nous représentons.
M. le président. L’amendement n° 187, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Après les mots :
article 4 et
insérer les mots :
pouvant entrer en vigueur si nécessaire à compter du 1er juin 2020 pour
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais profiter de l’occasion qui m’est donnée pour faire un point rapide sur l’activité partielle, ce qui éclairera l’ensemble de nos débats. Le nombre d’amendements témoigne de l’importance de ce sujet.
Tout d’abord, je voudrais m’excuser par avance de mon départ de l’hémicycle vers dix-huit heures, devant me rendre à l’Assemblée nationale pour participer au débat sur la proposition de loi visant à instaurer un congé de deuil de douze jours consécutifs pour le décès d’un enfant mineur, texte que vous aviez adopté à l’unanimité. Je vous rejoindrai plus tard.
Pour ce qui concerne l’activité partielle, qui fait l’objet de plusieurs amendements, vous avez, sur toutes les travées, salué un dispositif massif, inédit et indispensable pour sauvegarder l’emploi et protéger les compétences dans la situation de crise que nous avons connue. Il s’est agi d’une crise brutale, qui ne pouvait être anticipée ni par les entreprises ni par les salariés. Au total, plus d’un million d’entreprises, sur les 1,3 million ayant des salariés, ont eu recours au dispositif de l’activité partielle, pas forcément pour tous les salariés ou tout le temps. Sur une période de trois mois, 12 millions de salariés auront été concernés à un moment ou à un autre par l’activité partielle, communément appelée « chômage partiel ».
Grâce à l’habilitation du Parlement, nous avons pu élargir le dispositif aux salariés d’entreprises qui n’étaient pas, initialement, éligibles : les VRP multicarte, les travailleurs à domicile, les assistantes maternelles, qui sont au forfait jour, les marins-pêcheurs. La liste était longue des salariés qui n’avaient pas droit à l’activité partielle.
Nous avons apporté, en quarante-huit heures, des réponses visant à sécuriser les employeurs et les salariés. Nous avons réformé les modalités de prise en charge en supprimant le reste à charge pour les entreprises jusqu’à 4,5 fois le SMIC. Nous avons récemment mis en place, pour une plus grande justice sociale, un système permettant que les périodes d’activité partielle comptent pour la retraite, ce qui n’était pas le cas auparavant.
Bref, nous avons, par un filet de protection, accompagné massivement les salariés et, par voie de conséquence, les entreprises, qui conservent leurs compétences.
Nous avons annoncé hier une évolution du dispositif à partir du 1er juin ; l’objectif est notamment que le dispositif accompagne la reprise de l’activité, puisque nous y sommes, mais sans se substituer à l’activité. Concrètement, cela veut dire que nous ne modifions pas, au 1er juin, la rémunération du salarié, qui est de 84 % du net, 100 % s’il est au SMIC, mais que la prise en charge par l’État et par l’Unédic, qui était intégrale – les 70 % du brut versés par l’entreprise à ses salariés lui étaient à 100 % remboursés –, devient partielle : les entreprises seront désormais remboursées de 60 % du brut.
Mais le sujet que nous voulons évoquer aujourd’hui – j’en viens au présent amendement – est celui de la différenciation sectorielle. On le voit bien : certains secteurs reprennent, et toutes les conditions, conditions de marché et conditions sanitaires, sont réunies pour qu’ils le fassent, même si c’est difficile partout, y compris là où l’on reprend – la mise en place des conditions sanitaires, qui est indispensable, entraîne une moindre productivité. Dans certains secteurs en revanche, la reprise n’est pas possible : à la date d’aujourd’hui, les bars et les restaurants ne sont pas ouverts ; une bonne partie des secteurs du tourisme, de la culture, du sport ne peuvent pas reprendre leur activité.
Il y aura certainement des évolutions dans les jours et les semaines qui viennent, en fonction de la situation sanitaire, mais il est très important pour nous de pouvoir, à compter du 1er juin, différencier sectoriellement. C’est pourquoi nous avons de nouveau besoin, en vue des prochains mois, que vous nous accordiez cette capacité d’action et d’adaptation du dispositif. Le but est que ce dispositif colle au plus près du terrain : filet de protection massif au départ, accompagnement de la reprise dans un deuxième temps, avec certainement des différenciations sectorielles qui n’étaient jusqu’ici pas prévues.
Voilà toutes nos intentions. Je souhaitais vous les expliquer : il est important que vous soyez éclairés concernant cette capacité d’adaptation que nous vous demandons de nous accorder à partir du 1er juin, objet de l’amendement n° 187.
M. le président. Quel est l’avis de la commission de la commission des affaires sociales ?
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. L’amendement n° 245 de M. Ravier vise à supprimer l’extension à six mois au-delà du terme de l’état d’urgence sanitaire de la faculté accordée au Gouvernement de prendre par ordonnances des mesures d’adaptation des dispositions relatives à l’activité partielle. Nous en avons déjà débattu ; il nous paraît préférable d’accorder une certaine souplesse au Gouvernement. C’est la raison pour laquelle l’avis de la commission est défavorable sur cet amendement.
Quant à l’amendement du Gouvernement, il vise à préciser que lesdites dispositions relatives à l’activité partielle pourraient être adaptées par ordonnance à partir du 1er juin, en prévoyant notamment un reste à charge pour les entreprises et une adaptation selon les secteurs, selon les territoires, selon le type d’activité, selon que l’activité partielle a été ou non imposée.
Nous sommes très vigilants. Des contre-propositions sont faites : plutôt que le 1er juin, certains proposent le 1er septembre, d’autres le 1er octobre ; certains vont même jusqu’au 1er décembre. Nous pensons qu’il est important de pouvoir envisager la reprise des activités – le rebond l’exige. La diminution de l’activité a déjà été telle qu’il ne faut pas que notre pays, comparé à ses voisins européens, se retrouve déstabilisé dans le cadre de cette reprise, s’agissant d’un déconfinement qui, du point de vue de l’évolution de l’épidémie, semble – je touche du bois, comme on dit – se passer le plus correctement possible. Il semblerait en effet que l’épidémie soit finalement en voie d’extinction, même s’il reste des cas sporadiques – il y aura toujours des foyers, ainsi le veut l’épidémiologie, mais il sera possible de les contenir grâce à un certain nombre de mesures.
Nous pouvons accepter la date du 1er juin, c’est clair, c’est net, mais seulement pour certaines activités. Soyons bien d’accord, madame la ministre : il n’est pas question d’une entrée en vigueur définitive pour tout le monde, mais seulement pour certaines activités dont on peut envisager la reprise à partir du 1er juin. (Mme la ministre le confirme.) Pour d’autres secteurs d’activité, ce sera peut-être le 1er juillet ; pour d’autres encore, le 1er septembre. C’est ainsi, en tout cas, que nous voyons les choses.
C’est la raison pour laquelle nous avons émis un avis favorable sur cet amendement, étant entendu que son adoption ferait tomber, me semble-t-il, monsieur le président, un certain nombre d’autres amendements dont les auteurs proposent des dates différentes.
La question mérite d’être débattue. Personne ne détient la vérité en ce domaine. Notre position consiste plutôt à dire qu’il est temps, désormais, de passer à une reprise des activités économiques, de faire en sorte que reprennent toutes celles qui peuvent reprendre, et d’éviter les effets d’aubaine. Si l’on place un malade sous perfusion, il est bien certain – c’est le médecin qui parle – que c’est pour le sauver ; mais l’acharnement thérapeutique est à proscrire. Il arrive un moment où il faut faire face aux réalités économiques. C’est pourquoi nous choisissons d’emprunter cette voie.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !
M. le président. Mes chers collègues, je précise que, si l’amendement n° 187 du Gouvernement, qui a reçu un avis favorable de la commission des affaires sociales, était adopté, ce vote ne ferait pas tomber d’autres amendements – il n’est pas en discussion commune avec les suivants. Il se peut, en revanche, que M. le rapporteur nous dise que ceux-ci sont satisfaits par l’adoption de celui-là.
Je mets aux voix l’amendement n° 245.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote sur l’amendement n° 187.
M. Didier Marie. Madame la ministre, cet alinéa 6 de l’article 1er nous préoccupe. Tout le monde ici est évidemment favorable à une reprise de l’activité : tout le monde souhaite que notre pays redémarre le plus vite possible. Mais nous savons, les uns et les autres, qu’un certain nombre de pans de l’activité resteront malheureusement en souffrance.
Nous aurions aimé avoir quelques précisions sur la nature des « secteurs d’activité » ou des « catégories de salariés », selon les termes du texte, qui pourraient être concernés. Nous ne voudrions pas, d’une part, que, cet amendement étant adopté, le montant de l’indemnité de chômage partiel baisse pour certaines catégories de salariés, ni que, d’autre part, dans certaines entreprises où l’activité redémarre mais reste encore insuffisante, d’autres salariés ne bénéficient plus de ce dispositif.
Je voudrais que vous répondiez à ces préoccupations de telle sorte que nous puissions voter en conscience, considérant tout de même qu’un certain nombre des amendements suivants, dont l’objet est de reporter cette date à septembre ou à octobre, nous paraissent plus sûrs. Nous pensons même que nous aurions vraisemblablement pu aller encore plus loin dans le temps.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur le sénateur, pour éclairer complètement notre discussion, je vais être un peu plus précise sur les modalités, les secteurs, les catégories de salariés, les types de dispositifs.
Pour ce qui concerne les secteurs, nous avons déjà pris une mesure en vertu de laquelle, à partir du 1er juin, la prise en charge du dispositif par l’État ne sera plus intégrale, sauf pour les entreprises des secteurs qui font l’objet de restrictions exceptionnelles. Après une observation approfondie de l’économie, nous constatons aujourd’hui une reprise dans beaucoup de secteurs. Il faut continuer à accompagner mais, dès lors qu’une entreprise fonctionne à moitié, aux deux tiers, aux trois quarts, il n’est pas choquant qu’une partie du dispositif, 15 % du total, reste à sa charge ; c’est même logique dans le cadre d’un accompagnement de reprise. Nous ne coupons pas le chômage partiel ; nous accompagnons simplement la reprise par une dégressivité de sa prise en charge par l’État.
En revanche – c’est pourquoi la date du 1er juin est importante –, il existe des secteurs pour lesquels il serait dramatique que nous diminuions la prise en charge dès maintenant : les hôtels, les cafés, les restaurants, les entreprises qui en dépendent, le secteur touristique, l’activité culturelle, l’événementiel, les festivals, les grands événements sportifs seraient très profondément pénalisés s’ils subissaient à la fois l’interdiction de fait, pour des raisons sanitaires, de mener leur activité et la disparition d’une partie de la prise en charge.
C’est justement pour cette raison que nous avons besoin de la date du 1er juin : pour pouvoir protéger ces secteurs. La majeure partie des secteurs économiques sont dans une dynamique de reprise importante ; il est normal, pour eux, de prévoir un petit reste à charge. Je vous rappelle que, avant l’entrée en vigueur des mesures que nous avons prises il y a trois mois, l’État ne prenait jamais en charge, au-delà du SMIC, le remboursement des salaires en cas de chômage partiel. Nous sommes désormais à 4,5 SMIC ! Le reste à charge va donc être très modeste par rapport à ce qui existait dans le passé.
En revanche, il faut évidemment protéger les secteurs que j’ai évoqués.
Concernant par ailleurs les salariés, il faut soulever le sujet des parents qui ne peuvent pas faire garder leur enfant à l’école. Le Premier ministre a confirmé aujourd’hui qu’à partir du 2 juin, soit mardi prochain, et pour les quelques semaines qui restent avant les vacances, si l’école est ouverte, il n’y a pas de raison que l’État se substitue à l’employeur et le chômage partiel au salaire les jours où l’école atteste qu’elle pourra accueillir l’enfant. Nous allons demander à toutes les écoles de fournir une attestation certifiant que l’enfant peut être accueilli tel et tel jour, ou peut l’être complètement, ou ne peut pas l’être du tout. Le chômage partiel sera fonction de ce document : il sera possible les jours où l’enfant n’est pas accueilli. Vous savez que, d’ores et déjà, la moitié environ des salariés en chômage partiel le sont non pas à 100 %, mais en partie seulement. C’est donc quelque chose que les entreprises savent organiser sans problème.
Voilà une autre raison de différencier.
Il y a une troisième raison. Nous rencontrions, ce matin, avec le Président de la République, les partenaires sociaux du secteur de l’automobile. Tout le monde ici est extrêmement conscient de la grave crise que traverse ce secteur, qui était déjà, avant la pandémie de Covid-19, en pleine mutation sur le plan numérique et sur le plan écologique. La crise du Covid-19, avec la chute de la demande et l’impossibilité pour les chaînes de production de continuer à fonctionner, a évidemment donné un coup très dur à notre industrie automobile, qui est très importante pour le pays – fabricants, sous-traitants, mais aussi concessionnaires et garagistes : l’ensemble de la chaîne, amont et aval compris.
Dans ce contexte, nous voudrions, pour certains secteurs concernés par le plan de relance, dont l’automobile, donc, disposer d’une faculté d’adaptation pour mettre en œuvre un système de plus longue durée permettant de ne pas risquer des licenciements dans quelques mois. Au lieu de mettre des salariés au chômage, les entreprises concernées pourraient, sous condition d’un accord d’entreprise et, évidemment, d’une homologation par l’État, bénéficier de mesures, appelées à durer plus longtemps, de réduction du temps de travail assorties, le cas échéant, d’un complément de rémunération apporté par l’État. Cela éviterait des licenciements massifs et permettrait aux entreprises de garder leurs compétences.
Voilà le genre d’adaptations que nous voulons pouvoir faire avant que de grandes vagues de licenciements arrivent, et pour les éviter. D’où l’importance, encore une fois, dans les trois cas, parents d’élèves, secteurs comme celui du tourisme ou aménagements plus pérennes, d’une date du 1er juin pour pouvoir mettre en œuvre ces adaptations.