M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la motion de nos collègues du groupe socialiste et républicain ne manque pas, je dois le dire, de fondement et d’arguments en sa faveur.
Elle résonne dans notre hémicycle, me semble-t-il, comme un coup de semonce. Si l’on ne peut pas dire que ce projet de loi soit, au travers de l’interprétation très extensive qu’il fait de l’article 38 de la Constitution, contraire à celle-ci, on doit tout de même admettre qu’il y a une distance considérable entre la pratique des habilitations législatives qui s’est instaurée depuis quelques années et le sens que les constituants ont entendu donner à cette faculté dérogatoire.
Rappelons-nous l’article 38 : on y souligne, dès les premiers mots, que c’est « pour l’exécution de son programme » que le Gouvernement peut demander au Parlement de l’habiliter à prendre, par ordonnances, des mesures législatives. Le mot « programme » n’est pas dénué de portée dans la Constitution, car on le retrouve dans l’une des dispositions les plus importantes de notre loi fondamentale : celle de l’article 49. Le programme, ce sont les engagements sur lesquels le Gouvernement engage sa responsabilité devant le Parlement.
Or nous voilà saisis de multiples dispositions législatives qui sont, à l’évidence, à la périphérie du programme du Gouvernement et qui ne justifieraient bien évidemment pas que celui-ci engageât sa responsabilité ; on se dirait qu’il a des choses tout de même plus importantes à réaliser que la mise en œuvre de ces habilitations législatives. En outre, le Gouvernement lui-même présente nombre de ces mesures comme des dispositions d’ordre technique.
C’est la raison pour laquelle j’ai, pour ce qui me concerne, longuement hésité avant de prendre la parole pour m’opposer à votre motion, mes chers collègues. En effet, tout aurait dû m’orienter vers cette solution.
Néanmoins, dans un instant de raison, je me suis dit que, si nous adoptions votre motion, alors le Gouvernement, dans un dialogue singulier avec l’Assemblée nationale – dialogue qui ressemble parfois à une sorte de monologue à plusieurs voix, si l’on peut s’exprimer ainsi (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Exclamations amusées sur les travées du groupe SOCR.) –, en arriverait à adopter un nombre beaucoup plus grand d’habilitations que celui que nous espérons imposer, au travers d’un rapport de force entre les deux assemblées. Cela s’appelle le bicamérisme.
Monsieur le ministre, vous êtes entré dans cet exercice parlementaire avec 37 habilitations ; l’Assemblée nationale les a elle-même ramenées à 24 ; notre rapporteur s’apprête à vous proposer de les faire descendre à 10. Eh bien, mes chers collègues, je voudrais que nous obtenions satisfaction, parce que notre position me paraît raisonnable. Il peut se trouver que certaines habilitations soient justifiées ; dès lors, adoptons-les, tout en gardant un droit de regard et en faisant en sorte que leur durée soit limitée et que le Gouvernement ait à revenir devant le Parlement chaque fois qu’il aura besoin que de nouveaux pouvoirs lui soient conférés.
C’est la raison pour laquelle la commission des lois et son rapporteur, qui m’a autorisé exceptionnellement à prendre la parole, à condition que je n’en abuse pas – peut-être est-ce malheureusement déjà le cas ? Non, ce n’est pas le cas, me dit-elle –, ont décidé, non pour être agréable au Gouvernement – mais, si cela lui est agréable, j’en serai ravi – de prendre position contre cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. J’aurai du mal à parler derrière le président Bas, mais je vais quand même vous donner l’avis du Gouvernement.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Vous en avez le droit !
M. Marc Fesneau, ministre. J’en ai le droit, mais j’aurai quand même du mal…
Monsieur Kerrouche, je n’adhère pas au terme de « médiocre » que vous avez employé pour qualifier le texte. Je ne suis pas sûr qu’il soit médiocre de s’occuper d’un certain nombre de sujets qui préoccupent les Français ; je pense aux travailleurs saisonniers, aux étudiants, aux Français qui sont au chômage partiel.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. C’est facile !
M. Marc Fesneau, ministre. Non, ce n’est pas facile ; réellement, il ne me paraît pas médiocre de s’occuper de ces questions.
Je l’ai dit moi-même dans mon intervention, ce texte est protéiforme.
Pourquoi protéiforme ?
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Euphémisme !
M. Marc Fesneau, ministre. Parce que la crise est protéiforme et que nous devons répondre à un grand nombre de sujets en même temps – nous pouvons au moins nous mettre d’accord là-dessus. Tout l’honneur du débat parlementaire consiste à essayer de régler simultanément un certain nombre de dossiers, tous très complexes et très imbriqués : il y a la question des étudiants, celle des travailleurs saisonniers, celle d’un certain nombre d’organismes qui ne pourraient plus fonctionner si l’on n’adoptait pas certaines dispositions. C’est cela que j’ai essayé de vous dire dans mon intervention liminaire.
Par ailleurs, j’ai souvent entendu, tant dans cet hémicycle qu’à l’Assemblée nationale, l’idée selon laquelle il fallait écouter le Conseil d’État ; mais c’est strictement ce qu’a fait le Gouvernement sur ce texte. Au fond, le Conseil d’État n’a pas remis en cause les principes du texte, il a simplement indiqué qu’il était préférable d’inscrire un certain nombre d’habilitations « en dur » ; c’est ce que nous avons fait. Nous sommes même allés au-delà des recommandations du Conseil d’État sur ce texte, puisque, en début de discussion, nous avions indiqué que nous souhaitions, chaque fois que c’était possible, que l’habilitation soit levée et remplacée par une inscription en dur dans le texte ; je veux à cet égard saluer le travail de l’ensemble des ministères.
C’est le travail qui a été accompli, M. le président de la commission des lois l’a rappelé, à l’Assemblée nationale et par la commission des lois du Sénat, et que nous poursuivrons au cours des débats à venir.
J’aurai peut-être un petit point divergence avec le président de la commission des lois, si je puis me permettre. La vie politique est faite de rapports de force, mais il peut aussi arriver qu’on soit d’accord sans avoir besoin de tels rapports. Sur cette affaire d’ordonnances, il me semble que nous n’étions pas en désaccord quant à l’objectif d’inscrire ces mesures, en dur, dans la loi.
Vous avez salué l’utilité du bicamérisme, monsieur le président Bas. Je partage pleinement l’idée selon laquelle le dialogue permanent entre l’Assemblée nationale et le Sénat est un dialogue utile, pour la qualité de la loi produite et pour le Gouvernement, parce que cela permet d’avoir des regards de nature différente, qui peuvent utilement se compléter. C’est d’ailleurs ce qui a été fait sur ce texte.
Enfin, vous l’avez dit, monsieur Kerrouche, nous vivons une situation exceptionnelle, même si nous en sortons. Vous l’avez indiqué, et je le reconnais bien volontiers, le Parlement a su s’adapter et prendre ses responsabilités. Ce n’est rien de plus que cela que nous essayons de poursuivre, avec des modalités différentes, puisque la plupart de ces habilitations sont transformées en articles. Nous voulons faire en sorte, dans les contingences sanitaires, dont il ne m’appartient pas de discuter – ces contingences sanitaires, imposées au Sénat et à l’Assemblée nationale, ont été mises en application – et dans les contingences d’urgence, de prendre nos responsabilités.
Sur ce point, nous pourrions nous rejoindre, j’en suis sûr : nous avons nos responsabilités à prendre. Vous l’avez fait depuis le début de cette crise et c’est bien ce que l’on doit aux Français.
Ainsi, souhaitant évidemment avoir ce débat pour toutes ces raisons, le Gouvernement a émis un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
M. Didier Marie. Monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, disons-le d’emblée, ce projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne ne nous convient pas.
J’évoquerai, tout d’abord, la méthode.
Voilà des mois que le Gouvernement veut un Parlement aux ordres : systématisation de la procédure accélérée, recours massif aux ordonnances, conditions déplorables d’examen des textes. Avec l’état d’urgence sanitaire, ces mauvaises pratiques se sont encore amplifiées. Certes, la crise sanitaire, économique et sociale nécessite d’agir vite, mais pas au prix du mépris du Parlement.
Monsieur le ministre, vous qui êtes chargé des relations avec le Parlement, sachez que nous n’acceptons pas d’être dessaisis de notre capacité de faire la loi ; nous n’acceptons pas de nous satisfaire d’une habilitation puis d’une loi de ratification que, la plupart du temps, nous attendons longtemps ; nous n’acceptons pas qu’il ne nous reste qu’à « encadrer » des ordonnances et à vous laisser gouverner seuls. Nous ne nous habituons pas à ce que vous confiniez le Parlement ; nous sommes là pour faire la loi, pour la nourrir, par le dialogue et l’échange, et pour agir en responsabilité.
Avec ce texte, vous nous livrez la quintessence de votre conception du travail parlementaire : à l’origine, le projet de loi ne contenait pas moins d’une quarantaine de demandes d’habilitation. Le Conseil d’État s’en est ému et l’Assemblée nationale, suivant l’avis de cette institution, les a ramenées à 24.
Sans colonne vertébrale, sans lien entre les articles, ce texte est un fourre-tout, un salmigondis, un enchaînement de cavaliers législatifs dont l’essentiel n’a pas de lien avec la crise sanitaire. Quel rapport entre la justice des mineurs, les chèques-restaurant, les victimes des essais nucléaires, les volontaires internationaux, la situation des doctorants, la réglementation des ventes à perte ou encore le Brexit ? Un véritable inventaire à la Prévert…
La commission des lois du Sénat a fait, comme à l’accoutumée, son travail avec sérieux. Je salue les options proposées par sa rapporteure pour ramener le nombre des habilitations à 10, pour réduire la durée de celles-ci, pour transposer certaines dispositions dans le dur de la loi et pour supprimer un certain nombre de dispositions. À cet égard, je souligne l’initiative unanime de la commission des finances de proposer la suppression de l’article 3, par lequel le Gouvernement s’apprêtait à faire main basse sur la trésorerie de toute une série d’institutions, dont on ne connaît d’ailleurs même pas la liste.
Si, sur la forme, les avancées sont significatives, nous regrettons que la commission ne nous ait pas suivis sur le fond, car l’esprit de ce texte reste préoccupant. Au détour de mesures anecdotiques se tapissent un certain nombre de mauvais coups, avec, je le regrette, l’assentiment de la majorité sénatoriale.
Ainsi, l’article 1er decies porte subrepticement atteinte aux droits des travailleurs en assouplissant les règles d’encadrement des contrats à durée déterminée et de contrats de mission, favorisant ainsi une plus grande précarité.
Autre exemple, pour répondre au besoin de main-d’œuvre agricole, le Gouvernement porte la durée de séjour des travailleurs saisonniers étrangers de six à neuf mois, mais sans droits nouveaux, et il autorise les étudiants étrangers à travailler jusqu’à 80 % du temps sans prévention pour la qualité de leurs études. Voilà une main-d’œuvre bon marché : vous appelez cela « pragmatisme » ; nous répondons : « utilitarisme » !
Dernier exemple – nous aurons l’occasion d’en citer d’autres –, l’utilisation des volontaires internationaux pour remédier aux lacunes en ressources humaines du ministère des affaires étrangères.
D’autres sujets nous préoccupent, notamment en matière de justice, comme l’extension de l’expérimentation des cours criminelles sans évaluation ni recul, alors que, dans le même texte, on souhaite mobiliser plus de jurys populaires. De même, nous nous inquiétons de l’absence de débat parlementaire sur la réforme de la justice des mineurs et du report de sa mise en œuvre.
Enfin, nous proposons de supprimer l’article 4 relatif aux conséquences du Brexit, considérant que ce sujet nécessite à lui seul un débat approfondi et plus large que les seuls sujets abordés dans ce texte, dès que le Royaume-Uni aura fait connaître, le 1er juillet prochain, son intention de prolonger ou non la période de transition.
Monsieur le ministre, ce texte, que vous aviez intitulé, à l’origine, « projet de loi portant diverses dispositions urgentes » n’a rien d’un texte d’urgence pour répondre aux conséquences de la crise du Covid-19.
Pour notre part, nous avions déposé un certain nombre d’amendements pour répondre à cette crise : prolongation du chômage partiel, gratuité des masques, confirmation du droit à l’interruption volontaire de grossesse, protection des jeunes vulnérables, sécurisation du droit au séjour, soutien aux collectivités locales, sécurisation des parcours d’insertion, maintien du versement des pensions alimentaires par les CAF, etc. Nous regrettons que la commission ait, une fois de plus, fait un usage extensif de l’article 45 de la Constitution, nous privant d’un débat sur bon nombre de ces sujets.
Monsieur le ministre, pour nous, l’urgence est sociale. Ce projet de loi est malheureusement vide de mesures pour y répondre.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes.
M. Jean-Claude Requier. Très bien !
Mme Josiane Costes. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, vous pardonnerez autant que vous comprendrez, je l’espère, que je revienne sur la forme de ce projet de loi, celle-ci étant indissociable de son fond.
Ce texte se présente à l’évidence comme une compilation de dispositions disparates, qui visent largement à habiliter le Gouvernement à prendre des ordonnances dans les domaines les plus divers. Les conséquences du Brexit côtoient les contrats de travail, et les pouvoirs des fédérations sportives les titres-restaurant, pour ne citer que ces quelques exemples.
Cela a déjà été dit, mais il faut bien y revenir, la cohérence et la clarté qui manquent à ce projet de loi ont des conséquences directes sur la qualité de la délibération parlementaire. Si l’on y ajoute les délais d’examen du texte – un problème que le seul contexte sanitaire ne saurait justifier –, on ne peut s’empêcher de penser que ce projet de loi condense en lui-même tous les défauts que l’on adresse couramment aux évolutions, néfastes, de la procédure législative : recours quasi systématique à la procédure accélérée, délai pour le dépôt des amendements incompatible avec une réflexion poussée, habitude de légiférer par ordonnances, pratique malheureuse des lois fourre-tout, qui évoque le triste souvenir des lois Warsmann. Les conditions extrêmes d’examen de la loi du 11 mai dernier n’ont apparemment pas permis d’inverser la donne.
Bien sûr, les circonstances actuelles exigent certains accommodements. Nous en convenons tous. Aussi le Sénat a-t-il réorganisé ses travaux comme l’imposait la crise sanitaire, mais les modalités d’examen de ce projet de loi traduisent une forme de déconsidération et ne doivent en aucun cas constituer un précédent.
Pour toutes ces raisons, il est malaisé de se forger une opinion aboutie sur ce texte. Puisqu’il m’est impossible d’en traiter dans ses détails comme dans sa globalité, je ne relèverai que quelques points saillants.
Concernant les conséquences de la crise sanitaire, nous nous réjouissons des dispositions qui protègent ceux qui en ont le plus souffert, par l’incertitude qui plane désormais sur leur situation ou la précarité qui les touche. La prolongation des titres de séjour, le maintien des garanties de protection sociale complémentaire pour les salariés en activité partielle et l’adaptation des règles relatives aux contrats d’insertion s’inscrivent tous dans cette lignée. Nous nous en félicitons. Il en va également ainsi de la mobilisation des réserves des caisses complémentaires des indépendants, de la prise en compte des périodes d’activité partielle pour les droits à la retraite et de la dérogation aux règles de cumul emploi-retraite pour les soignants.
Les conséquences que cette crise emporte sont multiples et probablement, pour certaines, encore inconnues. Il est heureux que l’action de l’État réduise ses effets néfastes, en s’adaptant dans chaque domaine. Je pense particulièrement au fonds de soutien aux restaurateurs et à la singularité de son mode de financement.
Il importe cependant de veiller à ce que certains remèdes ne s’inscrivent pas dans le droit commun. Il est raisonnable que les circonstances actuelles, qui conjuguent incertitude et nécessité d’une reprise économique, exigent une adaptation par accord d’entreprise des règles relatives aux contrats courts, mais il serait regrettable que celle-ci devienne la norme. C’est à raison que la commission des affaires sociales du Sénat a prévenu un tel glissement, en fixant un terme à son application.
Concernant l’habilitation relative au Brexit, on ne peut, en premier lieu, que se satisfaire de la réduction de sa durée d’application. Il faut observer, dans un second temps, que, si la plupart des domaines en cause relèvent de questions techniques qui justifient, compte tenu de l’urgence, le recours aux ordonnances, ce n’est pas le cas de tous. Le maintien des licences et des autorisations de transfert vers le Royaume-Uni de produits et matériels de défense comme les problèmes que soulèvent certains contrats d’assurance et plans d’épargne en actions demandent une solution juridique pour laquelle les ordonnances sont adaptées.
En revanche, la désignation de l’autorité nationale chargée de la sécurité du tunnel sous la Manche et la définition du régime des ressortissants britanniques sur le territoire national ne justifient en rien une telle habilitation. C’est là se priver inutilement des vertus de la délibération parlementaire.
Enfin, le groupe RDSE soutient les amendements que Mme la rapporteure de notre commission des lois a apportés au texte : la réduction du délai d’habilitation, la suppression d’un potentiel effet rétroactif et l’amélioration du dispositif d’information des parlementaires garantissent à raison le bon exercice par les chambres de leur mission constitutionnelle de contrôle. Il en va également de la sécurité juridique de notre droit, principe qui a été éprouvé au cours des derniers mois et qu’il nous importe de réhabiliter au mieux et au plus vite. La qualité de la loi dépend de celle du dialogue entre le Gouvernement et le Parlement. Plus qu’une question de légistique ou une observation pratique, c’est un impératif démocratique.
C’est pour cette raison que le groupe RDSE sera très attentif aux débats, qui lui permettront d’éclairer son jugement et de décider de son vote. Nous devons dès maintenant poser les premiers jalons de la méthode que nous appliquerons pour conduire l’action de l’État dans la gestion d’une crise qui survivra à son volet sanitaire. La transparence, le dialogue institutionnel et la délibération parlementaire sont des éléments essentiels, voire tout bonnement nécessaires à la réussite de toute politique. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Sylvie Vermeillet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre pays traverse depuis plus de deux mois une crise sanitaire sans précédent, qui a des conséquences considérables et diverses en matière économique, sociale, administrative et sanitaire.
C’est la raison pour laquelle, ces dernières semaines, nous avons été appelés, pour y faire face, à effectuer les aménagements nécessaires à notre cadre juridique, au travers de l’examen et du vote de plusieurs projets de loi. Nous sommes aujourd’hui de nouveau réunis pour nous prononcer sur une série de mesures qui viendront compléter ces dispositifs.
Sur la forme, il est vrai que les délais d’examen ont été courts. Comme l’ensemble des Français, nous privilégions autant que faire se peut le télétravail, ce qui complexifie notre activité, celle de l’administration du Sénat et de nos collaborateurs, mais l’urgence de la situation et son caractère inédit commandent que l’on légifère plus rapidement et que l’on adapte nos conditions de travail. Nous sommes en capacité de le faire.
Par ailleurs, ce texte contenait initialement un certain nombre – pour ne pas dire un nombre certain – d’habilitations à légiférer par ordonnances. Comme tout parlementaire, je n’en suis pas friand, même si je reconnais que le recours aux ordonnances peut s’avérer utile lorsqu’il est mû par l’urgence et la technicité des mesures. Toutefois, grâce au travail réalisé par nos collègues députés, puis au sein de notre Haute Assemblée – j’en profite pour rendre hommage à Mme la rapporteure et à MM. les rapporteurs pour avis –, un très grand nombre de dispositions ont été inscrites « en dur », « en clair » – autrement dit, quel que soit le vocabulaire retenu, elles figureront directement dans le texte. Le Conseil d’État s’était prononcé en faveur d’une telle démarche pour les dispositions brèves dont la rédaction était simple ou déjà très avancée ; le Gouvernement comme le Parlement ont épousé cette voie. Ce travail devrait se poursuivre aujourd’hui en séance, dans une démarche commune de clarification que nous pouvons saluer.
Pour finir sur les débats de forme, il me semble important de rappeler que le contrôle du Parlement sur la préparation et la mise en œuvre des quelques ordonnances restantes, introduit à l’Assemblée nationale et dont la rédaction a été précisée par le Sénat, permettra d’achever de rassurer ceux qui craignent un hold-up démocratique. Le rôle du Parlement a bien été préservé.
J’en viens maintenant au fond du texte.
Certains ont qualifié ce projet de loi de « fourre-tout ». Je retiendrai, pour ma part, un texte très dense, certes, mais qui se justifie par la multitude des secteurs touchés. Il vient répondre à plusieurs attentes de la population, exposée à des difficultés économiques et à des incertitudes sur l’avenir, et accompagne les conditions d’une relance de l’activité.
Je pense aux droits à la retraite au titre des périodes d’activité partielle. Notre groupe a d’ailleurs déposé un amendement sur ce sujet, afin de revenir à la rédaction de l’Assemblée nationale, qui nous semble plus protectrice.
Je pense également à l’augmentation de la durée de travail annuel maximale autorisée pour les étudiants étrangers, à la sécurisation des parcours d’insertion ou encore à la neutralisation de l’effet de la crise sanitaire sur la transformation des CDD en CDI dans la fonction publique.
Je pense, enfin, à la prise en compte de l’impact de la crise sur les entreprises dans l’adaptation du dispositif d’activité partielle, dont nous souhaitons nous assurer qu’elle intègre une attention aux secteurs qui dépendent de l’activité d’entreprises fermées du fait de la crise sanitaire.
En tant que commissaire aux lois, je ne peux pas ne pas m’arrêter un instant sur les dispositions relatives au fonctionnement de la justice.
Des réserves ont été émises en commission sur l’extension à trente départements de l’expérimentation de la cour criminelle. Elles s’expliquent par la sensibilité de ces sujets, confrontée aux incertitudes liées à la période particulière de crise que nous continuons à traverser. J’espère que nous trouverons, dans la suite de l’examen du texte, des points d’accord sur ce dispositif, qui a fait l’objet, à titre expérimental, de notre approbation dans le cadre de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
Je veux également saluer le report opportun de l’entrée en vigueur de plusieurs réformes civiles et pénales, qui n’a pas été remis en cause par la commission. Il devrait notamment permettre à l’autorité judiciaire d’être prête pour l’application de réformes indispensables et à notre Haute Assemblée de pouvoir mener, dans des délais raisonnables, le débat parlementaire envisagé sur le nouveau code de la justice pénale des mineurs. Les auditions ont d’ailleurs commencé, monsieur le président de la commission des lois.
Je veux enfin saluer les dispositions relatives aux territoires d’outre-mer, qui n’auraient pas trouvé rapidement de véhicules législatifs dans lesquels s’insérer, alors même qu’elles sont très attendues localement. Je pense à la prolongation d’un an de l’activité des agences des cinquante pas géométriques de la Guadeloupe et de la Martinique et, par conséquent, au report du transfert des espaces concernés aux collectivités territoriales. Je pense également à la prolongation de deux ans de l’activité de la commission d’urgence foncière de Mayotte, chargée d’aider les particuliers dans leurs démarches de régularisation foncière, avant qu’elle ne soit transformée en groupement d’intérêt public.
Pour compléter ces adaptations particulièrement bienvenues, nous présenterons tout à l’heure un amendement qui permet de maintenir l’échéance de la création du conseil de prud’hommes de Mayotte.
Mes chers collègues, je crois sincèrement que le texte dont nous débattons aujourd’hui a fait et continuera de faire l’objet d’un travail de réflexion commune, dans une démarche de clarification partagée, auxquels ont consenti et participé les commissions saisies.
Certes, des points de divergence demeurent à ce stade concernant la durée des habilitations d’abord, notamment s’agissant du Brexit. Les délais ont été jugés trop longs et contradictoires avec l’urgence du projet de loi. J’attire cependant votre attention sur le fait que nous n’avons absolument aucune visibilité quant à la reprise d’une activité « normale ». Ce temps supplémentaire permettrait de tenir compte de cet état de fait, pour une meilleure organisation du travail du Gouvernement, face, notamment, concernant les mesures relatives au Brexit, à l’incertitude profonde sur la durée de la période de transition. Nous en débattrons dans les prochaines heures.
Nous aurons également à débattre de la centralisation des trésoreries publiques, qui permettrait de réduire l’endettement et l’appel aux marchés de l’État, dans un contexte de forte sollicitation du Trésor.
Je veux croire, mes chers collègues, que notre Haute Assemblée saura dépasser ces divergences, afin d’avancer sur des sujets essentiels pour accompagner la reprise, dans l’intérêt de notre pays.
M. le président. La parole est à Mme Christine Herzog.
Mme Christine Herzog. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’article 3 du projet de loi transmis au Sénat habilite le Gouvernement, pour une durée de douze mois, à renforcer la centralisation des trésoreries publiques.
Cette demande d’habilitation pose problème, car elle élargit l’obligation de dépôt au Trésor public pour plusieurs organismes, particulièrement les collectivités territoriales. Or, en transférant leurs trésoreries sur le compte du Trésor public, non seulement celles-ci perdront une autonomie de gestion, mais elles seront également privées des ressources financières procurées par les intérêts.
Par ailleurs, cette centralisation s’appliquerait aussi aux organismes chargés d’une mission de service public, notamment ceux qui interviennent dans des secteurs essentiels tels que le transport, l’eau, l’énergie ou l’assainissement. Le moment est mal choisi pour les priver d’une gestion autonome, qui leur permet d’agir de manière plus souple et de déployer des capacités d’investissement plus que jamais nécessaires.
Dans la crise que nous traversons actuellement, cette perte de recettes constituerait un frein supplémentaire à l’autonomie fiscale des collectivités. Elle viendrait s’ajouter – faut-il le rappeler – à la baisse continue des dotations de l’État et à la suppression récente de la taxe d’habitation. Enfin, les pertes budgétaires ont encore été alourdies par la gestion de l’épidémie du Covid-19, qui a entraîné des coûts supplémentaires imprévus.
Un tel contexte ne peut que fragiliser les collectivités, au moment où elles ont un rôle majeur à jouer dans le soutien et la relance du tissu économique local.
Pour toutes ces raisons, je soutiens sans réserve la suppression de l’article 3, adoptée dans le texte de la commission des lois. C’est une condition indispensable de l’adoption de ce projet de loi.