M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour la réplique.
M. Didier Marie. Merci, monsieur le secrétaire d’État, de votre réponse. Je souligne que les bénévoles de mon département, comme ceux des autres départements français, que ce soient ceux du Secours populaire, du Secours catholique, de la Banque alimentaire, des Restos du cœur, pour ne citer qu’eux, attendent le soutien du Gouvernement pour venir en aide à nos concitoyens les plus démunis.
J’espère que nous passerons des paroles aux actes et que les moyens seront effectivement au rendez-vous.
désignation d’un délégué interministériel aux enjeux transfrontaliers
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, auteure de la question n° 1156, transmise à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Mme Véronique Guillotin. La France métropolitaine a des frontières avec huit pays. De très nombreux Français sont donc concernés les problématiques de la transfrontalité, au premier rang desquels les 360 000 travailleurs frontaliers, notamment en matière d’aménagement du territoire, de mobilité, bien évidemment, mais également de santé et aussi de développement économique, en particulier dans le cas de frontières communes avec des pays particulièrement attractifs, comme le Luxembourg.
La région Grand Est en est un parfait exemple, avec la proximité de la Suisse, de l’Allemagne, de la Belgique et du Luxembourg. Des espaces de discussion, d’échanges, d’innovation, de réalisations y ont vu le jour, tels que les fameux groupements européens de coopération territoriale (GECT), l’établissement public d’aménagement Alzette-Belval, unique en son genre, les eurodistricts, ou encore des plateformes numériques comme Frontaliers Grand-Est ou le Centre européen de la consommation.
L’État et les élus locaux ont créé et font vivre ces structures afin de mener, à l’échelle des territoires, des projets communs et durables au service de la facilitation de la vie quotidienne des frontaliers.
Ces dispositifs sont agiles et mériteraient d’être davantage encouragés par l’État.
Les idées et les bonnes volontés ne manquent pas, monsieur le secrétaire d’État, mais des difficultés persistent. Lorsque nous échangeons avec nos voisins sur les questions transfrontalières, nous échangeons principalement avec des gouvernements sur des politiques de codéveloppement dont les sujets relèvent pour beaucoup de l’État. Le sujet de la santé est particulièrement intéressant en la matière.
C’est pourquoi nous manquons cruellement d’un interlocuteur national, d’une personne en capacité de négocier d’égal à égal avec les États voisins, de faire travailler ensemble les diverses administrations, de piloter les relations entre le Quai d’Orsay, les divers ministères, les actions de l’État sur les territoires et les collectivités.
Les élus et les acteurs locaux qui font vivre depuis des décennies ce dialogue transfrontalier sont en attente d’un engagement fort de l’État, car, malgré une vraie volonté de coconstruction, ces relations peuvent être particulièrement déséquilibrées quand, de notre côté de la frontière, un territoire fragile à la gouvernance morcelée doit négocier avec un État voisin économiquement surpuissant.
Pour toutes ces raisons, j’aimerais savoir si le Gouvernement envisage la création d’un poste de délégué interministériel aux questions transfrontalières.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères conduit depuis plusieurs années une stratégie par frontière qui vise, vous l’avez rappelé, à encourager la coopération transfrontalière sous l’égide d’un ambassadeur pour les commissions intergouvernementales, la coopération et les questions transfrontalières.
Cette coopération transfrontalière est une dimension de plus en plus importante de la construction européenne ; elle est aussi une condition de bon fonctionnement du Marché unique.
Ainsi, la stratégie par frontière, en ce qui concerne l’Allemagne, est définie aujourd’hui par le traité d’Aix-la-Chapelle, dont la coopération frontalière est l’un des plus importants chapitres.
Nous examinons actuellement la possibilité de conclure un traité similaire avec nos amis italiens, mais nous avons d’autres projets concernant nos autres voisins, avec lesquels nous nous proposons de définir d’un commun accord, et en fonction des spécificités de chaque cas, les orientations et les organes d’une coopération frontalière renforcée et mutuellement avantageuse, en phase avec les directives et les recommandations de l’Union européenne.
Ces orientations diplomatiques doivent naturellement pouvoir s’appuyer sur une bonne coopération des efforts nationaux. C’est ce que nous faisons en étroite relation avec le préfet chargé des questions transfrontalières à l’Agence nationale de la cohésion des territoires, qui est, par nature, interministérielle.
La récente crise sanitaire en effet montré que la dimension frontalière de notre vie socioéconomique devait être pleinement intégrée dans certains des processus de décision nationale, car les interdépendances économiques et sociales qui existent désormais entre la France et ses voisins ne peuvent pas et ne doivent pas, en raison de leur ampleur, être ignorées. Nous l’avons par exemple constaté avec la question de la libre circulation des personnels français de santé employés chez nos voisins suisses et luxembourgeois.
Les conseillers diplomatiques auprès des préfets de région ont ainsi joué un rôle important, afin de coordonner au mieux les décisions mises en œuvre dans les pays frontaliers, décisions qui n’ont pas été sans incidence pour nos concitoyens concernés.
La crise liée au Covid-19 a clairement démontré que nul ne vit et ne peut vivre en vase clos ; nous devons donc réfléchir à la mise en place d’un suivi interministériel encore davantage coordonné et structuré sur ces questions essentielles pour l’avenir de l’Europe.
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour la réplique.
Mme Véronique Guillotin. Je vous remercie de cette réponse. Je ne sais pas si vous m’avez répondu précisément sur le délégué interministériel, mais une solide coordination d’État est vraiment importante pour les territoires fragiles – et je pense en particulier à ceux qui sont frontaliers du Luxembourg. Il faut vraiment que la France se positionne dans un dialogue d’État à État sur des sujets éminemment importants comme le développement économique et la santé.
situation des écoles d’architecture
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, auteure de la question n° 1172, adressée à M. le ministre de la culture.
Mme Sylvie Robert. Ces dernières années, l’enseignement de l’architecture a fait l’objet d’une attention particulière. Tour à tour, plusieurs rapports ont rappelé la nécessité de l’inscrire dans les dispositifs de l’enseignement supérieur et de la recherche et de lui affecter les ressources nécessaires à ses missions de formation initiale, mais aussi continue, de recherche et d’expertise.
Confortée par la stratégie nationale pour l’architecture et la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, cette ambition architecturale s’est traduite par une réforme du statut des écoles nationales supérieures d’architecture (ENSA) et du corps des enseignants-chercheurs, concrétisée par la publication de deux décrets en 2018.
Malheureusement, cette ambition se heurte de plein fouet à la faiblesse – pour ne pas dire à l’inexistence – des moyens budgétaires qui devraient lui être dévolus afin qu’elle puisse réellement prendre corps. Autrement dit, l’écart entre l’ambition théorique affichée et la réalité des budgets qui lui sont consacrés est très important.
Pour preuve, la dépense moyenne pour un étudiant d’une ENSA s’élève à 7 597 euros, soit un investissement inférieur de 35 % à l’investissement consenti pour un étudiant dans le supérieur.
De surcroît, les dotations par étudiant selon les ENSA sont très inégales, créant ainsi une rupture d’égalité manifeste entre les étudiants, sans justification aucune.
Aucun transfert humain et financier n’a non plus accompagné la réforme précitée, puisque plus de soixante postes administratifs sont restés vacants faute de publication sur la bourse de l’emploi public.
Il s’ensuit que les enseignants-chercheurs, accompagnés des agents administratifs volontaires, ont pallié cette défaillance, s’éloignant néanmoins de leurs tâches principales. Cet état de fait ne peut perdurer, vous l’imaginez, sous peine d’épuisement généralisé et de paralysie de l’ensemble des ENSA.
À l’instar d’autres établissements de l’enseignement supérieur, la situation patrimoniale s’avère aussi critique pour plusieurs écoles et un investissement massif se révèle donc impérieux pour mieux accueillir les étudiants et les enseignants.
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, il est urgent de répondre aux besoins financiers et humains des ENSA, qui sont amenées – encore plus, je le crois – à jouer un rôle majeur dans la société de demain.
Par conséquent, quels moyens comptez-vous octroyer aux ENSA pour leur permettre d’accomplir pleinement et sereinement leurs missions, lesquelles, dans le contexte post crise sanitaire, vont s’avérer encore plus essentielles ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Franck Riester, ministre de la culture. Madame la sénatrice Robert, permettez-moi de faire un petit rappel au sujet de la réforme de 2018, aboutissement de plusieurs années de réflexion et de concertation sur les écoles d’architecture, qui tend à les rapprocher du modèle universitaire et s’inscrit dans la stratégie nationale pour l’architecture de 2015.
Dans la foulée, cinq décrets ont permis de mettre en œuvre cette réforme : une autonomie scientifique, pédagogique, administrative et financière des ENSA ; un ancrage territorial renforcé avec la présence des métropoles, des régions, des regroupements universitaires et de l’ordre des architectes dans les conseils d’administration ; l’institution auprès des collectivités territoriales d’une mission d’expertise des politiques publiques de l’architecture, du patrimoine, de l’urbanisme et des paysages ; la reconnaissance – vous y avez fait référence – du statut d’enseignant-chercheur ; l’adaptation des processus de recrutement des enseignants-chercheurs.
La question financière et humaine n’a pas été oubliée, même s’il reste évidemment des chantiers à conduire.
S’agissant d’abord de la question des moyens humains, les postes d’enseignant-chercheur ont été sanctuarisés et 65 postes ont été créés en lien avec le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Nous avons contribué à la déprécarisation des enseignants-chercheurs avec des transferts de postes de contractuel à titulaire, ce qui a permis un rattrapage à 66 % des titulaires.
Pour autant, et pour le dire clairement, je ne suis sourd ni à ce que vous dites, madame la sénatrice, ni aux inquiétudes et difficultés que m’ont relayées dans une lettre collective des directeurs et des présidents de conseil d’administration, lesquels ont été reçus par mes services et le seront pas moi-même prochainement.
Je leur ai annoncé la publication immédiate des postes administratifs vacants en complément de ceux qui ont déjà été publiés en 2019 ou ouverts au concours pour 2020, l’autorisation de recrutement de 149 enseignants-chercheurs en 2020 et le lancement d’une mission de l’inspection générale des affaires culturelles (IGAC) pour faire un bilan d’étape de la mise en œuvre de la réforme.
Alors, bien sûr, la question de l’immobilier est centrale et les besoins d’investissement dans le patrimoine immobilier de ces écoles d’architecture sont importants : on compte 195 000 mètres carrés vieillissants. Cela fait partie des projets sur lesquels nous travaillons.
Je voudrais conclure sur une vision prospective, car j’ai également annoncé dans mon courrier du 4 mars l’ouverture d’une réflexion sur l’avenir de la formation et de la recherche en architecture, en lien avec l’évolution de la profession d’architecte.
Vous le voyez, nous sommes totalement mobilisés sur cette question de l’enseignement supérieur d’architecture.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour la réplique.
Mme Sylvie Robert. Je vous remercie beaucoup de ces réponses, monsieur le ministre. Vous savez comme moi qu’un certain nombre d’écoles étaient en grève avant la période de confinement. Vous avez annoncé des chantiers très importants qui, comme je l’indiquais dans ma question, s’avéreront l’être sûrement davantage encore, en particulier au regard des questions écologiques, pour lesquelles l’architecture a toute sa part.
Pour que les enseignants, mais aussi les étudiants, puissent faire une rentrée sereine en septembre prochain, le lancement de ces grands chantiers de réflexion est important, mais il est crucial que des moyens soient dégagés à cette fin dans le projet de loi de finances pour 2021.
Je compte sur vous, monsieur le ministre.
violences sexuelles dans les sports de montagne
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, auteur de la question n° 1173, adressée à Mme la ministre des sports.
M. Cyril Pellevat. Depuis quelques mois, le sport français est secoué par une accumulation inédite de révélations de cas de violences sexuelles et de viols.
À la fin de février 2020, madame la ministre, vous avez annoncé une série de mesures pour lutter contre ce fléau. Une cellule ministérielle dédiée à ce sujet a été créée et chargée de suivre les affaires qui sont signalées à vos services.
Pourtant, dans le cadre du groupe d’études sénatorial Développement économique de la montagne, que j’ai l’honneur de présider, il a été fait état du dysfonctionnement de cette plateforme. En effet, lors d’une audition consacrée aux violences sexuelles dans les sports de montagne, la personne auditionnée, pourtant impliquée dans la défense des victimes, nous a informés des difficultés à trouver le courriel ou le numéro de téléphone permettant de contacter cette cellule.
Aussi, pourriez-vous nous informer des modalités de saisine de cette cellule ?
Par ailleurs, pensez-vous que votre ministère a suffisamment communiqué sur son existence pour en faire un outil efficace de lutte contre les violences sexuelles ?
Enfin, n’aurait-il pas fallu créer une cellule ad hoc, indépendante des fédérations et du ministère, pour garantir sa pleine impartialité ? En effet, aucune enquête n’a été mise en œuvre, comme l’a relevé un article de Mediapart paru samedi, par la cellule créée concernant des allégations de violences sexistes à l’École nationale de ski et d’alpinisme (ENSA), pourtant sous tutelle du ministère des sports. Et si des enquêtes administratives ont été ouvertes, bien que tardivement, l’une est menée par l’ENSA elle-même, dont la gestion du dossier doit nous interroger, et la seconde, confiée à la direction départementale de la cohésion sociale (DDCS), porte uniquement sur les conditions d’exercice des éducateurs mis en cause. Elle est donc incomplète, car elle ne vise pas à enquêter sur la gestion des alertes par l’école.
De nombreux témoignages existent et ont été portés à la connaissance de votre ministère. Je vous demande d’accorder une attention toute particulière aux victimes, qui vivent un véritable parcours du combattant, quand elles n’abandonnent pas avant le terme des procédures, découragées face à ce qu’elles considèrent comme une impunité.
Que comptez-vous faire, madame la ministre ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. Monsieur le sénateur Pellevat, je souhaite tout d’abord vous remercier de votre question, qui vous honore. Elle interroge la capacité de la puissance publique, au niveau national comme au niveau local, à protéger nos enfants.
Cette question des violences faites aux enfants, nous nous la sommes beaucoup cachée collectivement. Depuis plus de dix-huit mois et mon arrivée au ministère, cette question des violences dans le sport, je ne l’ai pas évitée. La parole des victimes s’est libérée, et nous avons découvert des faits inacceptables.
Ces faits, je ne les accepte pas. Nous avons posé le sujet de manière ouverte et transparente comme jamais, nous l’avons fait en écoutant et en agissant. On m’a critiquée, comme si je me désolidarisais du mouvement sportif, dont je suis issue, comme s’il fallait défendre celui-ci comme un tout, d’un seul tenant.
Certes, mon rôle est de défendre le sport, car j’ai été sportive, j’ai été dirigeante bénévole et éducatrice sportive. Je connais les bienfaits du sport pour nos enfants en termes de santé et d’éducation. Le sport mérite d’être encore plus valorisé par notre société.
Je veux redire aux éducateurs et aux éducatrices qu’ils sont admirables, qu’on leur fait confiance. Néanmoins, face à ces crimes et à ces délits, j’ai pris mes responsabilités. J’ai réuni tout le mouvement sportif et mobilisé les associations spécialisées. Nous mettons désormais en place des dispositifs nouveaux, comme celui qui vise à contrôler l’honorabilité des bénévoles. Les victimes et les autorités ont dit ce qui ne se disait pas : nous avons créé une cellule de traitement spécifique renforcée qui travaille d’arrache-pied et a été saisie en quelques mois de plus de 150 affaires.
Nous avons sécurisé un circuit de traitement et d’information robuste dans les affaires qui font l’objet de plusieurs types de procédures : administratives, judiciaires, voire disciplinaires sportives. Cela vaut pour tous nos établissements, nos services centraux comme déconcentrés, nos fédérations et nos clubs. Tous les faits font l’objet d’un contrôle administratif. Tous les faits font l’objet d’un signalement au procureur de la République aux termes de l’article 40 du code de procédure pénale et tous peuvent amener à des procédures disciplinaires.
Aucun cas signalé n’est à l’abandon, cela vaut aussi pour les faits que vous mentionnez à l’École nationale des sports de montagne (ENSM). Le ministère s’est saisi des signalements dès le mois de février. Nous aurons connaissance prochainement des résultats des enquêtes en cours.
Notre ministère n’est plus aveugle, toute la chaîne des responsabilités est examinée, car cette chaîne, depuis des dizaines d’années, a fauté à tous les étages.
C’est pourquoi j’ai aussi missionné une inspectrice générale du ministère pour étudier la manière d’être encore plus efficace en réponse à la détresse des victimes. Elle nous fournira ses premières pistes de réponse en juin. Elles porteront sur le contrôle de l’honorabilité, la formation des éducateurs et la prévention au sein des établissements et des fédérations.
Vous me demandez, monsieur le sénateur, si nous pourrions faire mieux. Je vous le dis humblement : oui, probablement. Quoi qu’il en soit, les agents du ministère et moi-même sommes plus que jamais mobilisés. Si la parole se libère et si l’on parle de ces sujets en ce moment, c’est peut-être parce que les victimes, les sportives et les sportifs, se sont senties soutenues. Sachez que nous ne faiblirons pas.
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour la réplique.
M. Cyril Pellevat. Je vous remercie, madame la ministre, des réponses que vous m’avez apportées. Je fais également partie du monde du sport puisque je participe à une organisation. Je n’ignore donc pas les difficultés qui sont les vôtres. Je sais aussi que la loi du silence a pu régner un moment. Je vous remercie des actions qui ont été menées. On le constate, la parole se libère. J’espère qu’il n’y aura pas d’autres freins et que des enquêtes complètes pourront être conduites afin de sanctionner les personnes fautives.
communication des archives de la défense nationale
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, auteur de la question n° 1149, adressée à Mme la ministre des armées.
M. Pierre Laurent. Madame la secrétaire d’État, ma question porte sur l’accès aux archives historiques. Je souhaite attirer votre attention sur les conséquences néfastes du décret du 2 décembre 2019, qui rend plus restrictive l’application de l’instruction générale interministérielle n° 1300 de 2011.
D’innombrables documents de la période 1940-1970 tamponnés « secret », jusqu’ici accessibles librement, sont de nouveau soumis à une procédure de déclassement longue et fastidieuse. Ces restrictions risquent d’entraîner des délais de communication très longs, voire de rendre impossible l’accès à des archives pourtant communicables de plein droit selon le code du patrimoine.
Les chercheurs usagers des archives publiques françaises, en particulier du service historique de la défense, sont depuis peu dans l’impossibilité de consulter des documents postérieurs à 1940 qui devraient être accessibles selon la loi, au prétexte qu’ils ont été tamponnés « secret » lors de leur production. Cela concerne, notamment, toutes les pratiques opérées dans les terres alors colonisées par la France, ou se trouvant sous des statuts proches – protectorats et mandats.
Cette restriction peut avoir des conséquences extrêmement dommageables pour la recherche de la vérité, fondement de la recherche historique, et pour la réputation internationale de la France en ce domaine.
En outre, ces restrictions risquent de criminaliser toute personne qui divulguerait des informations contenues dans des archives estampillées « secret défense » qui, depuis des années, voire des décennies, ont été massivement communiquées.
Pour toutes ces raisons, de nombreux acteurs, dont un collectif de douze historiens de divers pays, mais aussi les membres de l’association Josette et Maurice Audin, expriment une vive inquiétude et demandent que l’instruction générale interministérielle n° 1300 et ses modalités d’application soient réexaminées. Comptez-vous prendre des mesures en ce sens ?
Pourriez-vous également m’indiquer le rôle qu’a joué le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) dans l’élaboration de ce décret du 2 décembre 2019 ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des armées. Monsieur le sénateur, vous évoquez les difficultés de communication des archives conservées par le service historique de la défense.
Je souhaite vous indiquer que le ministère applique la loi et les règles. Les premières règles sont celles de communicabilité posées par le code du patrimoine – communicabilité après cinquante ans, sauf exception – et celles relatives à la protection du secret édictées par le code pénal et par l’instruction interministérielle n° 1300 de 2011, qui vient appuyer cette protection du code pénal.
Ces règles indiquent que communiquer aujourd’hui un document classifié sans démarquage préalable menace la sécurité juridique des lecteurs comme celle des personnels des dépôts d’archives.
Cette obligation de protection s’impose à tous et a été rappelée à la mi-juillet 2019 par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale.
Pour appliquer ces règles, il convient de procéder à une déclassification de chaque document revêtu d’une mention de classification, ce qui entraîne, comme vous l’avez souligné, une mise en œuvre complexe et des délais globalement longs.
En aucun cas, le service historique ne ferme des fonds dont la consultation est indispensable au travail de mémoire.
Conscientes de la gêne occasionnée dans l’exercice des missions des chercheurs et historiens par la mise en œuvre de ces instructions, Florence Parly et moi-même avons pris des mesures d’application immédiate.
Premièrement, le chef du service historique des archives a été autorisé à prendre des décisions de déclassification sur les documents du ministère de plus de cinquante ans. Seuls les documents classifiés par des autorités extérieures au ministère continuent ainsi à nécessiter un accord exprès du service émetteur.
Deuxièmement, après un accord interministériel, nous avons accéléré la procédure en faisant procéder à une déclassification au carton d’archives pour les archives de la période 1940-1946.
M. le président. Je vous demande de bien vouloir conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État. Désormais, la décision de déclassification sera réalisée au carton. Nous étudions actuellement l’extension de cette procédure de déclassification au carton à une nouvelle période postérieure à 1946.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État. Une procédure de recrutement temporaire de 30 agents dédiés à la mission de déclassification a été exceptionnellement autorisée.
Bref, nous avons engagé plus d’agents et nous avons prévu des facilités de déclassification pour que les chercheurs puissent consulter le plus rapidement possible, sans risque pour eux, les archives indispensables à leur travail, car leur travail est indispensable à nous tous !
M. le président. Madame la secrétaire d’État, vous avez dépassé votre temps de parole de cinquante secondes, c’est beaucoup ! Je vous ai laissée faire parce que vous répondiez à la dernière question.
La parole est à M. Pierre Laurent, pour la réplique.
M. Pierre Laurent. Je vous remercie d’avoir autorisé ce dépassement, monsieur le président. C’est parce que la question était importante que Mme la secrétaire d’État a pris quelques secondes de plus pour me répondre !
Je citerai un exemple pour montrer les difficultés, voire les incohérences politiques, auxquelles tout cela conduit. Le Président de la République a décidé d’ouvrir les archives dans l’affaire Maurice Audin. Le service interministériel a mis à disposition des archives, mais il s’agit d’archives triées. Pour le reste, si les mesures que vous venez d’évoquer n’étaient pas prises, le travail des historiens pour aller au bout de la vérité serait entravé.
Les premières mesures que vous annoncez sont nécessaires. J’espère qu’elles permettront véritablement aux historiens de travailler dans les meilleures conditions.
M. le président. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Philippe Dallier.)