compte rendu intégral
Présidence de M. David Assouline
vice-président
Secrétaires :
M. Joël Guerriau,
M. Guy-Dominique Kennel.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 20 mai 2020 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Questions orales
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
illectronisme et éducation nationale
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, auteur de la question n° 694, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le ministre, dans une question écrite adressée l’an passé à votre collègue secrétaire d’État chargé du numérique, j’ai alerté votre gouvernement sur un phénomène récent dont vous ne semblez pas encore bien mesurer l’ampleur. Il s’agit de l’illettrisme numérique, également appelé illectronisme.
Si je me tourne à présent vers vous, c’est afin d’évoquer, non pas le volet pratique et économique du problème que pose l’émergence de l’illectronisme, mais plutôt son traitement par votre administration, au domaine d’intervention ô combien précieux : l’éducation de nos enfants.
Dans le numéro 28 de L’État de l’école, document publié par vos services à la fin de 2018, on peut lire que « les écoles élémentaires continuent de s’équiper progressivement en matériels informatiques ». Or le constat est sans appel : « L’équipement informatique et numérique dans les écoles publiques du premier degré est moins généralisé que dans les établissements publics du second degré. »
Avouez que cette situation est particulièrement inquiétante, quand on sait que l’usage des outils informatiques, qu’il s’agisse des ordinateurs, des tablettes ou des smartphones, doit s’apprendre au plus tôt et que, pour certains, cet apprentissage ne peut se faire qu’à l’école de la République. En effet, il est prouvé que la maîtrise de l’informatique fait principalement défaut aux populations les plus fragiles et les plus socialement défavorisées, ce qui n’est pas admissible.
Monsieur le ministre, pour que l’école soit une chance pour tous les enfants de la République, l’éducation nationale entend-elle s’attaquer résolument au problème et réduire cette fracture numérique intolérable ? Ne pourrait-elle agir en ce sens par un accompagnement plus soutenu des communes, notamment de celles dont les finances sont les plus fragiles ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur Mizzon, il s’agit là d’une question très importante. Nous sommes d’accord pour constater que la France, comme d’ailleurs de très nombreux pays, connaît une fracture numérique. Néanmoins, cette fracture se réduit avec le temps et – c’est ma seule divergence avec vous sur cette question – nous en avons pleinement conscience.
Pendant la période du confinement, nous avons lutté contre la fracture numérique de manière très volontariste. Avec les services de Julien Denormandie, nous avons développé un plan de 15 millions d’euros, en particulier pour la mise à disposition de tablettes ; nous avons travaillé avec les associations, comme Emmaüs Connect ; les collectivités territoriales ont été très mobilisées, notamment pour distribuer, elles aussi, des tablettes ; nous avons mis sur pied des opérations spéciales avec La Poste pour que les professeurs puissent poster, de leur ordinateur, des textes aux élèves ne disposant pas d’équipement numérique. Nous avons également lancé l’opération « Nation apprenante », qui a également permis d’atteindre, au travers de la télévision, les familles non équipées.
Bref, face à ce problème, qui existe bel et bien, nous ne restons pas inertes.
Lors de l’examen du projet de loi pour une école de la confiance, j’ai déjà eu l’occasion de parler au Sénat de la création d’un certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (Capes) en informatique et de la systématisation de l’apprentissage de la programmation, y compris à l’école primaire. Je rappelle que l’informatique est désormais une matière enseignée par l’éducation nationale : la réforme du lycée en témoigne. Dans quelque temps, nous créerons sans doute une agrégation d’informatique, à la suite du Capes.
En outre, vous mentionnez l’équipement informatique des écoles, notamment dans les communes rurales. C’est effectivement un grand sujet. En 2017 et 2018, nous avons lancé l’appel à projets « écoles numériques innovantes et ruralité » (ENIR) à destination des écoles rurales, dans le cadre des investissements d’avenir. Ce dispositif a permis de financer 3 788 écoles de 3 570 communes. À compter de 2018, c’est un montant total de 20 millions d’euros que l’État a mobilisés dans le cadre des programmes d’investissements d’avenir (PIA).
Nous allons continuer : les états généraux du numérique, qui auront lieu à Poitiers en novembre prochain, nous permettront d’aborder les prochains chantiers de la France en la matière, en insistant sur nos atouts internationaux en matière de numérique éducatif.
Enfin, avec plusieurs de mes collègues du Gouvernement, dont Julien Denormandie, nous allons élaborer d’autres plans permettant d’équiper les familles, car l’enjeu va au-delà de l’enseignement à distance.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour la réplique.
M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le ministre, votre administration, comme toutes les autres, y compris les services territoriaux, dématérialise ses procédures. Désormais, la maîtrise du numérique est donc essentielle à l’accès aux droits. Or 13 millions de Français ne sont pas à l’aise avec les outils numériques, voire ne les maîtrisent pas du tout.
Il ne suffit pas de déclarer le numérique grande cause nationale : il faut y consacrer davantage de moyens !
égalité des chances des enfants scolarisés en zone rurale
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, auteur de la question n° 1139, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Jean-François Husson. Monsieur le ministre, la crise que nous traversons met en lumière les fractures éducatives qui durent depuis trop longtemps entre territoires urbains et ruraux. La relance qu’il nous faut préparer peut être aussi l’occasion de révolutionner nos approches et de donner toute sa place à l’éducation en zone rurale, parent pauvre de nos politiques publiques.
Sur ce sujet, deux rapports ont été rendus publics : l’un produit par le Sénat, à la suite des travaux de la mission d’information sur les nouveaux territoires de l’éducation, l’autre par Mme Berlioux, que vous avez missionnée à l’automne dernier.
Premièrement, quelles suites entendez-vous donner à ces deux rapports pour qu’ils ne restent pas lettre morte ?
Deuxièmement, quel calendrier retenez-vous pour réformer la politique éducative dans les territoires, en lien avec la refondation, que vous appelez de vos vœux, de la politique d’éducation prioritaire ? En particulier, comptez-vous sortir, comme le Sénat vous y invite, de la logique binaire qui concentre trop souvent les moyens sur les zones urbaines et périurbaines au détriment de nos territoires ruraux ?
Troisièmement et enfin, quelles mesures comptez-vous adopter pour mieux et davantage prendre en compte le temps de l’enfant, qui, compte tenu des nouvelles pratiques professionnelles des parents, des regroupements scolaires, des temps de trajets ou encore des activités périscolaires, a considérablement évolué ? Ces transformations appellent – c’est une évidence – un soutien renouvelé de l’État, mieux articulé avec les collectivités territoriales !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur Husson, il s’agit également d’une question très importante, et nous devons tous nous unir pour agir en faveur de la ruralité.
Toutes vos questions sont liées : il convient tout d’abord de savoir comment l’éducation nationale peut contribuer au rebond démographique de la ruralité. En effet, une bonne partie des problèmes que vous évoquez sont liés à la baisse du nombre d’habitants dans ces territoires.
À cet égard, j’ai pris un engagement fort, qui commande tous les autres : l’éducation doit contribuer à l’attractivité des villages pour que l’école puisse renaître, car sans enfants il n’y a pas d’école. Nous devons enclencher un cercle vertueux. C’est ce que nous avons fait avec les contrats départementaux ruraux, que nous avons enrichis pour en faire de véritables stratégies pluriannuelles et qui permettent d’identifier les besoins au plus près du terrain.
En outre, nous déployons des moyens au service de cette stratégie : contrairement à ce que vous avancez – c’est mon seul point de divergence avec vous –, les campagnes ne sont en aucun cas sacrifiées au profit des zones urbaines et périurbaines. Les budgets le prouvent, comme l’ensemble des données quantitatives ; les meilleurs taux d’encadrement sont d’ailleurs, et de loin, en zone rurale.
L’enjeu est donc essentiellement de nature qualitative. Il s’agit notamment de mieux prendre en compte le temps de l’enfant. Je vais évidemment donner suite au rapport de Salomé Berlioux, au rapport du Sénat et au rapport Azéma-Mathiot, qui, sous trois angles différents, traitent du même enjeu : mener une politique d’éducation prioritaire adaptée aux territoires ruraux.
Comme vous le soulignez, cette politique passe par une vision complète du temps de l’enfant. Or, en tant que ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, je suis en mesure de l’avoir, a fortiori dans le contexte du confinement, que nous venons de connaître, et du déconfinement.
Le déconfinement nous conduit à développer les activités périscolaires, notamment sportives et culturelles, et à préparer une rentrée particulière pour le mois de septembre prochain.
Avec l’Association des maires de France, l’Association des maires ruraux de France et l’ensemble des acteurs, nous préparons cette rentrée en tenant compte de ces sujets à la fois sociaux, appelant des mesures compensatoires, et sociétaux, exigeant une vision qualitative : il s’agit ni plus ni moins que de garantir l’attractivité de l’école rurale !
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.
M. Jean-François Husson. Monsieur le ministre, je vous remercie de vos propos rassurants ; mais, selon moi, ce n’est pas tout à fait ce qui se profile…
Dans mon département – notre expertise vient aussi de notre connaissance des territoires où nous sommes élus –, je me bats depuis plusieurs années avec les services de votre ministère et avec les services de l’État en général : ils doivent considérer la situation de l’éducation sur tous les points du département.
Pour ma part, je mets l’accent sur la ruralité. Bien sûr, il n’y a pas que les territoires ruraux : vous l’avez dit, le taux d’encadrement y est supérieur à la moyenne, mais ils souffrent encore de beaucoup de carences. Pour que les lignes bougent, il faut que tout le monde se mette en mouvement ensemble.
Nous devons, ensemble, nous donner les moyens de cette belle et noble ambition : garantir l’égalité des chances entre tous les enfants de France. Je vous propose de retenir, entre autres, la Meurthe-et-Moselle comme territoire pilote de ce travail : il y va de l’avenir de notre pays !
conséquences financières de la crise sanitaire sur les communes
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, auteur de la question n° 1190, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Hervé Maurey. Monsieur le ministre, la crise sanitaire aura – nous le savons – de lourdes conséquences sur les finances des collectivités locales. En effet, elle va entraîner une perte de recettes que le Gouvernement a évaluée à 14 milliards d’euros pour la période 2020-2021.
Les communes seront a priori moins affectées que les régions et les départements, néanmoins elles subiront des baisses de ressources, que ce soit au titre des produits des services, des droits de place, de la taxe de séjour, de droits de mutation ou encore, dans certains cas, des loyers commerciaux.
De plus, les communes devront supporter la situation de certains syndicats dont elles sont membres et qui ne perçoivent plus de recettes, ou bien en perçoivent beaucoup moins, au titre d’un certain nombre de services, comme les piscines, les restaurants scolaires ou les centres de loisirs.
Enfin, la réduction des capacités financières de l’État, des régions, des départements et des établissements publics de coopération intercommunale se répercutera inévitablement sur les concours et subventions dont bénéficient habituellement les communes, par un effet de cascade malheureusement bien connu.
La mobilisation exceptionnelle des communes face au Covid-19 a également entraîné de lourdes dépenses supplémentaires – je pense notamment aux frais engendrés par la réouverture des écoles. Un certain nombre de communes risquent donc de connaître de réelles difficultés, particulièrement en milieu rural. Leur inquiétude est grandissante : pouvez-vous nous assurer que l’État interviendra pour qu’elles n’aient pas à subir l’impact financier de la crise ?
Les maires ont besoin d’être rassurés. Certes, nous avons entendu le Gouvernement dire qu’il n’abandonnerait pas les communes. Mais nous l’avons également entendu dire que « les collectivités locales devront faire des efforts » !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur Maurey, avant tout, je vous prie de bien vouloir excuser Jacqueline Gourault, qui m’a demandé de vous apporter les éléments de réponse suivants.
Depuis le début de la crise sanitaire, le Gouvernement prête une attention toute particulière à la situation des collectivités territoriales. Vous l’avez dit : les équilibres budgétaires sont parfois remis en cause par l’ensemble des nouvelles dépenses qu’elles ont dû engager pour gérer la crise du Covid-19.
Certaines collectivités sont potentiellement fragilisées par les dépenses déjà effectuées, mais aussi par la baisse prévisionnelle d’un certain nombre de recettes fiscales ; bien entendu, nous les avons toutes et tous en tête.
À cette équation budgétaire se sont ajoutés des facteurs de complexification, comme l’impossibilité, durant la période de confinement, de réunir les exécutifs pour adopter le budget primitif pour 2020.
Face à cette situation, comment rassurer les collectivités locales, comme vous le demandez ?
Tout d’abord, le Gouvernement s’est attaché à déployer, dès le mois de mars, des réponses concrètes en direction des collectivités territoriales ; par ordonnance, il a décalé les dates limites d’adoption des budgets et l’arrêté des comptes pour 2020. Il a également permis un certain nombre de dérogations et d’assouplissements en matière d’exécution budgétaire.
En outre, Jacqueline Gourault et Sébastien Lecornu ont rappelé aux préfets qu’ils disposaient de leviers permettant de soutenir la trésorerie des collectivités fragilisées, comme les avances de fiscalité et de dotation globale de fonctionnement (DGF) ou les acomptes au titre du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA). Bon nombre d’élus locaux nous ont d’ailleurs sollicités à ce titre.
À ce jour, ces mesures ont bénéficié à plus d’une centaine de communes. Elles restent évidemment à disposition de toutes celles qui le souhaitent.
Le Gouvernement s’est aussi attaché à soutenir les collectivités territoriales affectées par un surcroît de dépenses en raison de la crise sanitaire, en contribuant à hauteur de 50 % aux achats de matériel. Comme vous le savez, à la suite de nombreuses observations remontées du terrain, la date de prise en compte des commandes a été avancée, comme l’a annoncé le Premier ministre.
Enfin, le Premier ministre a confié une mission au député Jean-René Cazeneuve, président de la délégation aux collectivités territoriales de l’Assemblée nationale, pour évaluer de manière fine les conséquences financières de l’épidémie sur les structures locales et proposer, en leur faveur, des mesures d’accompagnement. M. Cazeneuve devrait rendre ses propositions dans quelques jours. Il s’attachera bien entendu à les décliner en fonction du niveau de collectivité, tout particulièrement en direction du bloc communal. C’est sur la base de ses conclusions que le Gouvernement pourra concrétiser et accentuer l’accompagnement financier des collectivités locales.
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, pour la réplique.
M. Hervé Maurey. Monsieur le ministre, je vous remercie des éléments que vous avez bien voulu m’apporter. Malheureusement, je ne suis pas totalement rassuré : ce n’est pas le fait de décaler le calendrier d’adoption des budgets locaux qui réglera vraiment les problèmes.
J’aurais aimé obtenir, au moins, des engagements quant à la prise en charge des dépenses liées à la crise sanitaire et à la réouverture des écoles. Vous avez fait allusion au soutien du Gouvernement : pour l’instant, l’État ne doit intervenir que pour le financement des masques, et encore à hauteur de 50 %. Toute une série d’autres dépenses n’ont pas été prises en compte. Il serait important que nous ayons un engagement du Gouvernement ne serait-ce qu’à ce titre.
Au cours des dernières années, et notamment durant le précédent quinquennat, les communes ont été mises à rude épreuve avec la baisse des dotations. Or elles représentent une part importante de l’investissement public, dont on a besoin dans le cadre de la relance. Le Sénat y est très vigilant, et il est très attentif à ce que les communes soient réellement soutenues par l’État : elles ne doivent pas faire les frais de cette terrible épidémie !
mesures prévues à destination des structures d’hébergement d’urgence
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, auteure de la question n° 1191, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le ministre, face à l’urgence sanitaire provoquée par la Covid-19, le Gouvernement a été contraint de prendre diverses mesures, dont la mise à l’abri des personnes sans domicile, laquelle a été coordonnée par les services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO). Néanmoins, depuis les annonces du déconfinement, de nombreuses questions demeurent, tant pour les structures d’hébergement d’urgence que pour les personnes mises à l’abri.
En premier lieu, le 115 nous a fait part d’une hausse assez significative d’appelants et de personnes sans solution depuis le début du mois de mai. À titre d’exemple, le 13 mai dernier, le 115 de mon département, la Seine-Saint-Denis, a enregistré 119 personnes laissées à la rue faute de place.
En second lieu, en raison de l’arrêt des activités liées au tourisme, les quelque 2 000 places débloquées par les hôteliers en Seine-Saint-Denis ont permis l’hébergement de centaines de personnes vulnérables. Nous nous en félicitons. Mais ces places d’hôtel seront occupées dès la reprise de l’activité. Cette situation soulève des inquiétudes, d’autant que, parmi les personnes hébergées, on compte beaucoup de familles monoparentales.
D’autres questions surgissent, comme le manque de visibilité quant au fonctionnement des structures d’hébergement pérennes, qui ont parfois dû réduire fortement leurs capacités d’accueil afin de se conformer aux gestes barrières préconisés. De fait, la place va bientôt cruellement manquer pour assurer à la fois le maintien des personnes mises à l’abri et l’accueil de nouveaux demandeurs, notamment pendant la période hivernale.
Pour l’heure, les services déconcentrés de l’État n’ont pas plus de réponses que les structures d’hébergement d’urgence. Nous craignons tous une situation difficilement gérable, mettant des personnes en danger.
De plus, de nombreux SIAO nous signalent que les personnes mises à l’abri sont souvent extrêmement vulnérables. Je pense en particulier aux familles monoparentales et aux enfants qui, pendant plus de deux mois, n’ont pas pu être scolarisés.
Enfin, la chaîne d’orientation et de parcours d’insertion ne peut être respectée à cause de l’épidémie, et faute d’une lisibilité financière et humaine.
Bien entendu, je salue le travail des personnels des SIAO ; mais quel est le plan de votre gouvernement à destination de ces services, des structures d’hébergement et des personnes accueillies ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame Assassi, depuis le premier jour du confinement, nous sommes nombreux à travailler d’arrache-pied pour apporter toute l’assistance nécessaire aux personnes en situation de très grande précarité, qu’elles se trouvent à la rue ou qu’elles vivent dans des abris de fortune.
Depuis le premier jour du confinement, nous avons ouvert plus de 20 000 places supplémentaires. Hier soir – le chiffre est colossal, et l’on peine même à y croire –, l’État, en lien avec les collectivités territoriales et les associations, a mis à l’abri près de 180 000 personnes, soit l’équivalent d’une grande ville. On voit bien l’ampleur du dispositif d’hébergement d’urgence et l’on constate à quel point il est nécessaire, face à la très grande précarité dans laquelle vivent non seulement des hommes et des femmes, mais aussi, comme vous l’avez dit, des enfants.
Pour mettre à disposition ces 20 000 places, nous avons essentiellement réquisitionné des chambres d’hôtel, ce qui nous a permis d’agir très rapidement. Aujourd’hui, la sortie du confinement est engagée et l’enjeu est bel et bien d’assurer l’accompagnement de ces familles et de ces personnes isolées.
Premièrement, nous nous sommes efforcés de limiter la propagation du virus en déployant des mesures de protection. En particulier, nous avons assuré la livraison de masques et de matériaux dans les centres ou au moyen des maraudes. Vous le savez, comme l’a annoncé le Premier ministre, le Gouvernement livrera 5 millions de masques chaque semaine aux publics fragiles, dont les personnes vivant dans ces hébergements collectifs. Nous avons également mis en œuvre des politiques de dépistage spécifiques, comparables aux tests déployés dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).
Deuxièmement, nous veillons à éviter les remises à la rue « sèches », comme on le dit dans le secteur de l’hébergement d’urgence. En conséquence, la trêve hivernale a été décalée à deux reprises : elle est désormais prolongée jusqu’au 10 juillet prochain. Nous avons également donné des instructions aux préfets, que le ministre de l’intérieur et moi-même avons réunis de nouveau mercredi dernier : même si la reprise d’activité impose de libérer un hôtel, il faut éviter les remises à la rue « sèches ».
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre. Troisièmement et enfin, l’accompagnement social est une priorité pour le Gouvernement.
Madame la sénatrice, je vous remercie de mettre l’accent sur ce sujet ô combien important !
réglementation environnementale 2020
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, auteure de la question n° 955, adressée à M. le ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement.
Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le ministre, ma question porte sur la nouvelle réglementation environnementale 2020, ou RE 2020, qui, au-delà de la révision des exigences énergétiques des bâtiments, doit introduire un nouveau critère lié à la captation et à la séquestration de carbone.
À l’issue de la concertation menée, le Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique (CSCEE) recommande une empreinte carbone et un indicateur spécifique pour le carbone dans le bâtiment, mais sans niveau d’exigence pour le stockage. Or, nous le savons, les matériaux bois et biosourcés ont la particularité de séquestrer du carbone pendant toute la vie du bâtiment.
De leur côté, les professionnels de la filière de la construction, qui ne sont pas représentés au sein de ce conseil, demandent la mise en place d’un indicateur consolidé prenant en compte l’empreinte carbone globale, c’est-à-dire liée à la construction et à la capacité de stocker, ou non, du carbone dans le bâtiment, et la fixation d’exigences minimales.
Si nous n’introduisons pas une telle disposition dans la RE 2020, nous risquons de laisser passer une belle occasion de décarboner le secteur de la construction, lequel est pourtant à l’origine de plus de 20 % des émissions de gaz à effet de serre en France.
Le document de méthode publié le 21 avril dernier appelle, de ma part, deux questions précises.
La première concerne l’indicateur déterminant par rapport aux matériaux, à savoir les émissions de gaz à effet de serre des produits de construction et des équipements sur l’ensemble du cycle de vie du bâtiment. L’option de calcul la plus favorable aux matériaux bois et biosourcés n’apparaît plus : est-elle écartée ?
La seconde concerne l’indicateur de stock de carbone, qui correspond à la masse totale de carbone stockée dans le bâtiment : sera-t-il bien un indicateur réglementaire, assorti d’un seuil ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la sénatrice, il s’agit là d’une question fondamentale. Aujourd’hui, le bâtiment représente près de 20 % des émissions de gaz à effet de serre, parfois même plus. Or, par le truchement de la réglementation dite « RE 2020 », nous pouvons d’ores et déjà agir pour que les futurs bâtiments soient extrêmement protecteurs de l’environnement.
En tant qu’ingénieur des eaux et forêts, je suis, depuis le premier jour, profondément attaché à la filière bois. Je crois beaucoup en la construction en bois, dont nous pourrions parler des heures ! Certes, cette filière doit faire face à de nombreuses difficultés, y compris en amont ; mais l’aval, c’est-à-dire la construction, permettra aussi de soutenir l’amont.
Je vous le dis très clairement : pour moi, la RE 2020 est une occasion historique d’accroître, demain, la place des matériaux biosourcés, et notamment du bois. Sur ce point, je serai intransigeant.
Cela étant, le diable se cache dans les détails, notamment dans la technicité de l’élaboration des indicateurs de la RE 2020. À cet égard, j’attire votre attention sur deux points.
Premièrement, en vertu de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN, on prendra dorénavant en compte, dans le cadre de la RE 2020, l’ensemble du cycle de vie du matériau.
Ainsi, le matériau biosourcé n’émet pas au moment de la production, même si, selon certains, il dégage des émissions à terme, lorsque la poudre se pétrifie, pour ainsi dire. Quoi qu’il en soit, son bilan global est bien meilleur que celui des autres matériaux.
C’est ce critère qui manquait : j’y insiste, avec la RE 2020, on prend en compte le bilan global, de la production jusqu’à la mort du matériau. Sur ce point aussi, je serai intransigeant : il faut couvrir l’ensemble du cycle de vie du matériau.
Deuxièmement, vous vous demandez si, en définitive, il faut prévoir une obligation de résultat ou une obligation de moyens. En d’autres termes, faut-il imposer le type de matériau en amont ou faut-il fixer un plafond d’émissions ?
À mon sens, il faut imposer le résultat, mais pas le moyen. Vous l’avez compris, je suis tout acquis à la production bois – ma vision est même un peu biaisée par mes premières amours –, mais, de son côté, la filière du BTP fait aujourd’hui des efforts considérables d’innovation, et il faut aussi la soutenir.