M. Éric Bocquet. Autre secteur en difficulté – aucun n’y échappe –, celui de la presse écrite. Certains titres souffraient déjà avant le confinement. La situation que nous connaissons ne fait qu’aggraver les choses : distribution perturbée avec la réduction des tournées des services postaux, fermeture des kiosques…
Cet amendement tend à instaurer une taxe due par les services de communication des moteurs de recherche comme Google au profit des publications de presse, au titre de l’exploitation qui est faite de leurs articles et de leurs référencements.
Cette taxe, qui a vocation être temporaire, vise à mettre en application de toute urgence les dispositions de la loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse durant les négociations entre les plateformes et les éditeurs de presse.
En effet, si la loi est maintenant promulguée depuis plus de six mois, les premières estimations montrent qu’il faudra attendre encore un an au moins avant qu’elle ne soit pleinement appliquée. Au regard de la fragilité économique du secteur de la presse, cette période pourrait être fatale à certains titres. Il est donc urgent d’agir selon nous.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. La commission des finances, particulièrement Roger Karoutchi, travaille sur ce sujet. Je pense à la question des aides à la presse, à celle du tarif postal… Ce soir, nous allons entendre une très longue litanie sur les aides sectorielles. Comme vous l’avez souligné, monsieur Bocquet, tous les secteurs sont touchés. Il serait un peu rapide et sans doute mal calibré d’adopter cet amendement.
Les difficultés de la presse relèvent d’un problème de fond qui dépasse très largement le cadre de cette crise, même si cette dernière ne fait que les aggraver encore, notamment en ce qui concerne la distribution. Ces très grandes difficultés appellent une refonte des aides autrement plus importante que les seules dispositions de cet amendement.
La commission demande le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés » pour reprendre le vers de La Fontaine dans Les Animaux malades de la peste.
La presse est l’un des nombreux secteurs frappés par cette crise qui aggrave encore les difficultés qu’elle rencontrait. Son rôle, essentiel dans une démocratie, s’appuie sur un modèle économique étonnant : on n’a sans doute jamais autant lu d’articles – notamment sur internet – ou regardé la télévision et les journaux télévisés et on n’a jamais eu aussi peu de publicité. Il s’agit de l’un des problèmes essentiels de la presse, notamment écrite.
Le ministre de l’économie travaille avec celui de la culture et de l’audiovisuel – un projet de loi sur l’audiovisuel devrait être présenté prochainement – sur cette question, en particulier sur celle de Presstalis et celle d’un soutien à la presse.
Je ne peux accepter cet amendement sectoriel, comme beaucoup de ceux qui seront présentés. Je ne doute pas que nous pourrons en discuter de nouveau dans le cadre du plan de relance à venir.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. J’ai cru un moment que vous alliez soutenir cet amendement qui fait écho à la position remarquable de la France, et donc de votre gouvernement, le 26 mars 2019, sur le droit d’auteur et les droits voisins, qui est une aide à la presse. Quand quelque chose est positif, il faut le souligner !
La France a été le premier pays à avoir mis en œuvre la directive, ce qui a provoqué un bras de fer, notamment avec Google qui a refusé les négociations. Notre amendement vise à apporter une aide d’urgence à la presse seulement, pas à l’ensemble des activités professionnelles liées à la couverture médiatique.
On aurait ainsi pu à la fois soutenir la presse écrite, qui constitue un métier particulier, et vous encourager dans les négociations sur le droit d’auteur et les droits voisins que la France a été la première à transcrire en droit interne. Il s’agit d’un amendement extrêmement constructif.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 90 rectifié est présenté par MM. M. Bourquin et Tissot, Mme Artigalas, MM. Raynal, Kanner, Éblé, Botrel et Carcenac, Mme Espagnac, MM. Féraud, P. Joly, Lalande et Lurel, Mme Taillé-Polian, MM. Duran et Montaugé, Mmes Guillemot et Conconne, MM. Bérit-Débat, Joël Bigot, Courteau et Daunis, Mmes Grelet-Certenais et G. Jourda, M. Kerrouche, Mmes Préville et Monier, MM. Temal, Todeschini, Durain et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 197 rectifié ter est présenté par MM. Menonville, Guerriau, Fouché et Bignon, Mme Mélot et MM. Lagourgue, Chasseing et Capus.
L’amendement n° 327 est présenté par MM. Danesi, Retailleau, Allizard, Babary, Bas, Bascher et Bazin, Mmes Berthet et A.M. Bertrand, M. Bizet, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Bonhomme et Bonne, Mme Bories, M. Bouchet, Mme Boulay-Espéronnier, MM. Bouloux, J.M. Boyer et Brisson, Mme Bruguière, MM. Buffet et Calvet, Mme Canayer, M. Cardoux, Mme Chain-Larché, MM. Chaize, Charon et Chatillon, Mme Chauvin, M. Chevrollier, Mme de Cidrac, MM. Courtial, Cuypers et Dallier, Mme L. Darcos, M. Darnaud, Mme Delmont-Koropoulis, M. Dériot, Mmes Deroche, Deromedi, Deseyne, Di Folco et Dumas, M. Duplomb, Mmes Duranton, Estrosi Sassone et Eustache-Brinio, MM. B. Fournier, Frassa et Genest, Mme F. Gerbaud, MM. Gilles, Ginesta, Gremillet et Grosdidier, Mme Gruny, MM. Guené, Hugonet et Husson, Mmes Imbert et M. Jourda, MM. Joyandet, Karoutchi, Kennel et Laménie, Mmes Lamure, Lanfranchi Dorgal et Lassarade, M. D. Laurent, Mme Lavarde, MM. Lefèvre, de Legge, Leleux et H. Leroy, Mmes Lherbier, Lopez et Malet, MM. Mandelli et Mayet, Mmes M. Mercier et Micouleau, M. Milon, Mme Morhet-Richaud, MM. Morisset, Mouiller, Nachbar et de Nicolaÿ, Mme Noël, MM. Nougein, Paccaud, Paul, Pellevat, Pemezec, Perrin, Piednoir, Pierre, Pointereau et Poniatowski, Mme Primas, M. Priou, Mmes Puissat et Raimond-Pavero, M. Raison, Mme Ramond, MM. Rapin, Regnard et Reichardt, Mme Richer, MM. Saury, Savary, Savin, Schmitz, Segouin et Sido, Mme Sittler, M. Sol, Mmes Thomas et Troendlé et MM. Vaspart, Vial et Vogel.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – L’article L. 1615-2 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les collectivités territoriales et leurs groupements bénéficient également des attributions du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée au titre des dépenses d’achat d’équipement de protection individuelle en lien avec l’épidémie de Covid-19 réalisées sur la période 2020-2022. »
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour présenter l’amendement n° 90 rectifié.
M. Jean-Claude Tissot. Le Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) assure aux collectivités territoriales et à leurs groupements la compensation, à un taux forfaitaire, de la TVA qu’ils acquittent sur leurs dépenses d’investissement, voire, plus rarement, sur certaines dépenses de fonctionnement.
Afin d’accompagner les collectivités territoriales qui doivent faire face à la crise du Covid-19, cet amendement vise à inclure dans le champ du FCTVA les achats de protections individuelles telles que les masques, blouses, gels hydroalcooliques par les collectivités territoriales à destination des professionnels de santé dans un premier temps et, plus tard, de leurs administrés.
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville, pour présenter l’amendement n° 197 rectifié ter.
M. Franck Menonville. Cet amendement vise à soutenir les collectivités territoriales en rendant éligible au FCTVA l’achat des masques et autres équipements de protection pour leurs administrés.
M. le président. La parole est à M. Sophie Primas, pour présenter l’amendement n° 327.
Mme Sophie Primas. Il est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements identiques ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Les collectivités territoriales fournissent des efforts considérables, notamment pour l’achat de gel hydroalcoolique et d’équipements de protection. Certaines régions, certains départements, certaines communes sont même parfois plus efficaces que l’État. Dans mon département, les masques commandés par l’ARS ne sont toujours pas arrivés, alors que certaines collectivités sont passées par d’autres filières d’achat pour approvisionner les personnels des services d’aide à domicile ou des Ehpad.
Dans cette crise sanitaire sans précédent, les efforts des collectivités territoriales méritent d’être encouragés. Ces amendements visent donc à faire entrer dans le champ du FCTVA des dépenses liées à l’épidémie, même si ce fonds concerne généralement des dépenses d’équipement amortissables – pas toujours, cependant : Philippe Dallier nous a fait remarquer en commission que certaines dépenses de fonctionnement étaient éligibles au FCTVA.
L’adoption de ces amendements constituerait peut-être un écart par rapport à nos principes, mais nous en faisons beaucoup en ce moment – ne vient-on pas de doubler le déficit en trois mois ? Un peu de souplesse dans l’appréciation du FCTVA permettrait aux collectivités de financer ces achats indispensables qui permettent de sauver des vies.
J’aimerais que le Gouvernement me confirme qu’il n’existe pas d’obstacle juridique à ces amendements auxquels je suis favorable sur le fond.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Vous aurez remarqué, monsieur le rapporteur général, que ce PLFR 2 ne comporte pas, excepté la défiscalisation et l’exonération de charges sociales des primes, de mesures concernant les collectivités locales. Il s’agit d’un choix du Gouvernement, en lien avec les élus et les maires de France que nous avons consultés.
En ce moment, le Premier ministre, le pôle collectivités locales et le pôle Bercy, en l’occurrence Olivier Dussopt et moi-même, consultons beaucoup les collectivités locales pour connaître précisément leurs difficultés à court, à moyen et à long terme du fait de la crise. Je ne parle pas simplement du déconfinement ou de l’achat de matériels, mais des difficultés attendues en matière d’investissement, de recettes et de fonctionnement. Les situations sont très variées selon la taille des collectivités et le terme retenu.
Je n’entrerai pas plus avant dans cette discussion qui passionne la Haute Assemblée. J’ai déjà signalé au président de la commission des finances et à la délégation aux collectivités territoriales que je me tenais à leur disposition. Je serai d’ailleurs auditionné sur ce point à l’Assemblée nationale, la semaine prochaine. Des mesures seront sans doute prises très rapidement, notamment dans le prochain texte financier.
Reste le débat sur ce qui relève du domaine de l’investissement ou de celui du fonctionnement. Le rapporteur général souligne les écarts. Sachez que nous avons fait une exception en acceptant que les subventions versées par les régions au fonds d’investissement pour les indépendants entrent dans le cadre de l’investissement. Cette exception permet aux régions de financer ces subventions par l’emprunt.
Pour autant, je ne suis pas favorable, à titre personnel, à la confusion des genres, au bénéfice de la crise, en matière de dépenses de fonctionnement et d’investissement dans les collectivités. Si elle peut se révéler fort utile dans un premier temps, notamment pour financer par l’emprunt et libérer ainsi des marges de fonctionnement, cette confusion ne nous permettra plus d’avoir une réelle photographie des comptes des collectivités locales dans un, deux ou trois ans, lorsque la crise sera passée. Que se passera-t-il alors, lorsque les collectivités locales demanderont à l’État, à bon droit, de compenser ces dépenses par des dotations de fonctionnement ? Si vous grossissez artificiellement leur section « investissement » pour répondre à la crise actuelle, les collectivités seront moins fondées, demain, à demander des aides de fonctionnement.
Par ailleurs, les agences de notation, et singulièrement les banques qui aident les collectivités locales à emprunter, ne sont pas dupes de ce genre de confusion. Les collectivités risquent donc de rencontrer de grandes difficultés dans l’obtention des prêts.
Enfin, le FCTVA est consacré, en règle générale, à l’investissement. Il peut être utilisé, comme vous l’avez souligné, à titre exceptionnel, pour des dépenses de fonctionnement. Nous sommes en train de proposer aux collectivités d’amortir, sur plusieurs exercices de fonctionnement si nécessaire, des dépenses liées à la crise, notamment celles que vous évoquez.
En outre, nous avons soumis au Premier ministre la possibilité de prévoir un nouveau remboursement plus rapide au titre du FCTVA, à l’instar du dispositif mis en place sous la présidence de Nicolas Sarkozy lors de la crise de 2009.
Dans ces conditions, monsieur le rapporteur général, je ne peux que vous faire une réponse d’attente. Ne confondons pas dépenses d’investissement et de fonctionnement. Inscrire en investissement l’achat de gel hydroalcoolique, même en grande quantité, ne me paraîtrait pas de bonne comptabilité publique. Cela ne veut pas dire non plus que l’on ne peut prendre de mesures du type FCTVA qui supposent un décalage dans le temps.
Je demande à leurs auteurs de bien vouloir retirer ces amendements. Nous aurons l’occasion de reparler de ces sujets d’ici à quelques semaines, lors du débat sur les collectivités locales.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le ministre, sur cet amendement, nous ne lâcherons pas. J’en appelle à tous les sénateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent.
Nous ne lâcherons pas, car aucune justification technique ne peut aller à l’encontre des dispositions de cet amendement.
Je reconnais votre habileté. Votre argumentation consiste à nous dire : n’élargissez pas trop votre section d’investissement, car l’État pourrait, demain, vous pénaliser dans le calcul de ses subventions, puisque les dépenses de fonctionnement auront été réduites. Quel sénateur, monsieur le ministre, pourrait être convaincu par un tel raisonnement ?
Nous ne lâcherons pas, c’est une question de justice. C’est ici, au Sénat, lors de la discussion de la première mouture du PLFR, que nous avons obtenu, au bout de plusieurs jours, que l’État prenne un décret, le 20 mars, permettant aux collectivités d’importer des masques. Nous n’avions pas mené ce combat contre l’État, mais parce qu’il ne répondait pas présent sur le terrain. En dépit des commandes par dizaines et centaines de millions que l’on nous annonçait – on arrive aujourd’hui à 2 milliards –, il n’y avait rien sur le terrain. Nous avons retroussé nos manches et convaincu l’État de prendre ce décret. Il s’agissait d’une bonne décision, monsieur le ministre, que j’ai saluée.
Il s’agit d’une question de principe, il y va même du symbole, mais il n’est pas question que l’État se fasse de l’argent sur les dépenses des collectivités qui cherchent à acquérir des masques pour sauver des vies. Dans nos communes, on est loin des dissensus des sociétés savantes. Entendre de soi-disant experts discuter encore sur la question de savoir si les masques constituent ou non une protection me fait penser à Byzance, où l’on discutait du sexe des anges, voilà quelques siècles…
Nous souhaitons que les collectivités qui investissent pour combler les retards ou les manques de l’État puissent récupérer la TVA sur le FCTVA. C’est une question de principe et de justice. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC – M. Franck Menonville applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Tissot. Nous maintenons notre amendement, monsieur le ministre.
Vous évoquez une confusion entre les sections d’investissement et de fonctionnement, mais il n’appartient qu’à vous de neutraliser l’année 2020 pour les calculs budgétaires que nous aurons à faire pour les années à venir. La même problématique va se présenter sur d’autres amendements, tout au long du débat… Pourquoi ne pas décider que les choix budgétaires faits aujourd’hui en termes de compensation n’auront aucune conséquence sur les calculs des exercices à venir ?
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. Monsieur le ministre, il n’y a aucun risque de confusion des genres entre investissement et fonctionnement. Nous ne demandons qu’un geste pour les collectivités territoriales. Nous espérons tous que ces achats se limiteront à la seule année 2020 et que nous n’en parlerons plus à l’avenir. Cette disposition ponctuelle ne change strictement rien. Je n’imagine pas qu’une collectivité ait besoin de recourir à l’emprunt pour financer l’achat de masques ou de gel hydroalcoolique. Ce n’est pas le sujet.
Par ailleurs, monsieur le ministre, je souhaiterais vous poser une question : les Français se tournent déjà vers leur maire pour savoir quand ils auront des masques, dans la perspective du 11 mai. Faute de réponse claire de la part du Gouvernement, beaucoup de collectivités locales commandent des masques, alors même que c’était à l’État, me semble-t-il, de les fournir, à charge pour les collectivités locales de les distribuer. Dites les choses clairement, monsieur le ministre, car – et ce serait un comble – nous allons finir par avoir trop de masques !
M. le président. Nous n’en sommes pas encore là, mon cher collègue…
La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Je suis solidaire des auteurs de ces amendements ; c’est une question d’éthique, de morale et de solidarité.
Les collectivités locales, depuis 2016, peuvent récupérer la TVA sur l’investissement et sur le fonctionnement pour l’entretien des bâtiments ou de la voirie.
Les investissements évoqués dans ces amendements visent à la sécurité des soignants, des administrés et de tous ceux qui rencontrent du public. Il s’agit de sauver des vies. Monsieur le ministre, vous avez invoqué la Commission européenne et le risque de blocage qu’aurait induit l’adoption d’autres amendements, alors même qu’elle fait preuve d’une certaine souplesse en ce moment.
Les élus locaux, élus de la proximité s’il en est, prennent des engagements indispensables pour leurs administrés et l’ensemble des personnels concernés. Il faut faire le maximum et il faut le faire au plus vite, raison pour laquelle je soutiendrai ces trois amendements identiques.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. Je vais soutenir ces amendements, car les sommes en jeu ne me semblent pas considérables, même si cela nous fait quelque peu dévier de l’orthodoxie comptable et budgétaire.
Si nous en sommes là, monsieur le ministre, c’est parce que l’État n’a pas joué son rôle. Les masques ont tant manqué que les collectivités ont dû pallier vos carences. Peut-être l’État pourrait-il consentir ce geste à l’endroit de cet allié précieux que sont les collectivités locales ?
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Notre groupe n’a pas déposé d’amendement sur ce sujet, mais nous soutiendrons ceux qui viennent d’être défendus. Nous avons parfois un rôle d’aiguillon et nous espérons les faire adopter à l’unanimité.
Le pacte républicain est en jeu. L’État doit faire des gestes en direction des collectivités territoriales. M. Retailleau a parlé des masques, mais il pourrait aussi aborder tout le reste. Nous y sommes tous confrontés et nous nous démenons : j’ai dû appeler la chambre de commerce et d’industrie de mon département pour me procurer des charlottes et des blouses. On en est là s’agissant de la place et du rôle de l’État et des ARS dans nos collectivités territoriales !
Nous invitons la Haute Assemblée à voter ces amendements, même si ceux que nous présenterons plus tard ne devaient pas être retenus. La question est trop importante.
Monsieur le ministre, on discute de la suite dans nos territoires, notamment de la question des tests. Dans mon département, on en discute avec les maires, avec le préfet, avec l’ARS. Il faut mettre en place un protocole entre l’État, l’ARS, la ville et le département.
Or l’adoption de ces amendements à l’unanimité et avec votre assentiment permettrait de faciliter cette démarche de protocole entre les deux piliers solides de la proximité – la commune et le département –, l’ARS, laquelle doit jouer son rôle – il y aurait beaucoup à dire, mais nous ne sommes pas là pour tirer sur une ambulance –, et le préfet qui représente l’État. Cela permettrait d’envoyer un vrai signe de confiance.
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville, pour explication de vote.
M. Franck Menonville. Nous maintenons bien sûr notre amendement. Faire un geste pour les collectivités, qui sont particulièrement engagées dans cette crise, est une mesure de justice.
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Nous sommes tous ici des élus locaux ou d’anciens élus, tout comme vous, monsieur le ministre.
Le Premier ministre l’a reconnu dimanche soir lors de sa conférence de presse aux côtés de M. le ministre des solidarités et de la santé : au début de la crise, l’État n’avait en stock que 117 millions de masques – 117 millions ! –, alors qu’il en fallait au moins 30 à 40 millions par semaine pour le seul personnel soignant. Heureusement que les collectivités territoriales se sont mobilisées, parfois avec des bouts de ficelle ! La presse écrite et les médias audiovisuels évoquent d’ailleurs tous les jours des exemples de petites collectivités ayant fait leur maximum pour en trouver.
Je vous invite donc à prendre acte du fait que la Haute Assemblée, qui représente les collectivités territoriales, souhaite de manière unanime, ce qui n’est pas si fréquent, non pas remettre en cause la doxa budgétaire, mais simplement adresser un signe d’encouragement aux maires, aux élus départementaux et régionaux, qui se sont mobilisés pour accompagner les efforts de l’État. Nous discuterons le moment venu des efforts qui ont été engagés et à quel moment, mais, pour l’heure, il faut sauver des vies et préserver la santé de nos concitoyens.
Ce que nous vous demandons, ce n’est pas simplement d’accepter une mesure de bon sens, c’est de faire preuve de solidarité avec les élus de la République, qui ont été solidaires pendant cette crise.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le ministre, d’un point de vue technique, vous avez totalement raison. Toutefois, le 11 mai, le fait est que l’essentiel des masques qu’utiliseront nos concitoyens pour des raisons diverses – parce qu’ils souhaiteront en porter, parce qu’ils se rendront dans les magasins, parce que leur entreprise n’aura pas encore pu s’approvisionner, parce qu’ils devront emprunter les transports en commun – leur aura été fourni par les collectivités locales : les intercommunalités, les départements, les régions. Ces dernières en ont en effet commandé, en passant parfois par des circuits privés dont il faudra peut-être valider la qualité des approvisionnements.
Je ne doute pas de la capacité de l’État à s’approvisionner. En revanche, force est de constater que l’État a eu beaucoup de mal à approvisionner, via son réseau d’ARS, les médecins, les maisons de retraite, les personnels soignants. Je pense donc que l’État ne sera pas en mesure d’approvisionner l’ensemble de la population, même en mobilisant toutes ses forces, les préfets étant peut-être les plus opérationnels en la matière. Il faut donc établir un lien entre les collectivités locales et l’État.
Je le répète, vous avez techniquement raison, monsieur le ministre, mais je pense que vous devez faire un geste politique ayant une force symbolique, un geste qui fasse écho aux propos du Président de la République et du Premier ministre : vous devez dire que c’est aux collectivités locales qu’il revient de gérer localement les approvisionnements en fournitures. Un tel geste serait certes contraire à la rigueur budgétaire et fiscale, mais il serait utile et apprécié par l’ensemble du Sénat et des élus de nos territoires impliqués dans la lutte contre le coronavirus.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Permettez-moi de sourire lorsque je vous entends parler d’orthodoxie et de rigueur budgétaires au ministre de l’action et des comptes publics qui vous présente un niveau d’endettement de 115 % et un déficit de 9 %… Si les défenseurs des collectivités locales pouvaient éviter d’instruire un tel procès au Gouvernement à l’appui de leurs demandes infinitésimales, que je comprends par ailleurs, nos échanges y gagneraient.
M. le président Kanner a eu la gentillesse de rappeler que j’ai été élu local, comme tout le monde ici. J’ai même été maire, et je continue de m’intéresser à ce qu’il se passe dans ma commune. M. Dallier dit que ce ne sont pas quelques masques ou quelques gels hydroalcooliques qui vont changer les choses.
Dans la commune de Tourcoing, qui compte 100 000 âmes, il faudrait acheter 100 000 masques, peut-être un peu plus.
M. Philippe Dallier. Ça ferait 100 000 euros !
M. Gérald Darmanin, ministre. Un masque ne coûte pas 1 euro, monsieur Dallier. Je vous encourage à vous informer sur les prix d’un masque textile normé, lavable dix fois. Un tel masque coûte au minimum 2,40 euros, son prix pouvant atteindre 4 euros. Je peux vous le dire, car je viens d’un territoire textile, où je discute avec les industriels. Pour une collectivité locale, l’achat de masques pourrait donc représenter un montant de 200 000 à 300 000 euros. Pardon de le dire, mais cela présente un intérêt quand on parle de section d’investissement.
Quand les collectivités devront mettre à disposition du gel hydroalcoolique partout – peut-être faudra-t-il le faire, je n’en sais rien –, quand elles devront réaliser des aménagements urbains, mettre en œuvre, comme le prévoit le ministre de l’éducation nationale, des mesures de distanciation sociale dans les écoles, lesquelles appartiennent aux mairies, quand elles devront aménager un certain nombre de postes de travail dans les mairies, elles auront évidemment besoin de beaucoup d’argent. Il faudra donc que l’État les aide, bien sûr. Je crains toutefois, si on inscrit toutes ces dépenses en section d’investissement – et ce n’est pas là un petit débat de petit comptable –, que nous ne faussions le débat. Je le dis d’autant plus volontiers que je serai plus longtemps maire que ministre. J’essaie donc de voir où se situe l’intérêt des élus.
Par ailleurs, vous le savez – je ne vais pas vous faire un cours de comptabilité publique, ce serait ridicule, je n’en ai de toute façon ni la compétence ni l’envie –, le FCTVA sert à soutenir l’investissement. Si les dépenses d’entretien pour la voirie ou les réseaux sont désormais éligibles à ce fonds, c’est pour éviter que des équipements dans lesquels les collectivités ont investi ne se dégradent. L’achat de masques, par exemple, n’entre pas dans ce cadre.
En outre, le FCTVA est fondé sur le taux moyen de TVA de 16,5 %, alors que, comme l’a souhaité le Parlement, avec l’appui du Gouvernement, les protections sont assujetties au taux réduit, ce qui rendrait les calculs extrêmement difficiles. De plus, le Sénat a souhaité et voté l’automatisation de la TVA en 2021, laquelle rendrait impossible la mise en œuvre de la disposition que vous proposez aujourd’hui.
Certes, il s’agirait d’une mesure extrêmement symbolique, et la politique, je le comprends, est aussi faite de symboles. Pour ma part, je ne refuse bien évidemment pas d’aider les collectivités locales, je cherche à trouver un dispositif juste et efficace sur lequel nous pourrions parier s’il passait le cap de la commission mixte paritaire. J’ai bien compris que le Gouvernement serait sans doute battu – j’ai appris à compter depuis trois ans –, mais je crains que vous n’adoptiez collectivement une disposition inapplicable pour les collectivités locales.
Enfin, permettez-moi de répondre aux critiques qui sont adressées à l’État, je ne serais pas digne de mon poste de ministre si je ne le faisais pas. Sans doute étions-nous, comme quasiment tous les États, comme tous ceux qui nous entourent, mal préparés à cette pandémie. Le Président de la République l’a dit, nous aurions pu mieux nous y préparer. À cet égard, je pense que ceux qui donnent des leçons sur le nombre de masques en stock à notre arrivée pourraient prendre un peu de recul. En disant cela, je n’incrimine personne, ce n’est pas l’heure, des commissions d’enquête parlementaires seront constituées.