M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, sans surprise, je vais voter les crédits du deuxième PLFR. Ne vous y trompez pas, messieurs les ministres, il s’agit de faire en sorte que vous disposiez des moyens financiers pour répondre aux trois défis que cette situation exceptionnelle nous impose : le défi sanitaire, le défi économique et le défi sociétal.
Le défi sanitaire est loin d’être gagné et si, dans cette période, il n’est pas question d’entrer en polémique, il faudra bien faire un jour le bilan de vos décisions. Je pense notamment aux tests. Tous les pays qui ont maîtrisé au mieux leur situation ont eu une politique massive de tests. En France, il semblerait que l’on s’interroge encore sur lequel choisir… Tous les retards de décision auront un coût humain et financier, et le Gouvernement en est responsable puisque nous lui en donnons les moyens.
En matière économique, là aussi, nous sommes d’accord pour que vous puissiez disposer des marges de manœuvre nécessaires, mais nous devrons comparer l’utilisation de ces moyens avec la pratique de nos voisins. Force est de constater, par exemple, que nous consacrerons trois fois plus de moyens au chômage partiel que l’Allemagne, qui, elle, disposera de sept fois plus de moyens pour le soutien aux entreprises. Surtout, les prises de participation financière de l’État sont de 100 milliards d’euros en Allemagne, contre 20 milliards d’euros en France.
On voit bien qu’une chose est de disposer de moyens financiers, une autre est la mise en œuvre des stratégies. Aujourd’hui, nous avons la responsabilité de vous donner les moyens d’une politique forte. Vous serez responsables de la qualité de sa mise en œuvre. Les Français ont de plus en plus de mal à se tenir confinés. L’espoir d’un rebond fort peut les aider à tenir, mais ne nous y trompons pas : si la problématique de la santé est prioritaire, les dégâts sociétaux consécutifs à une économie chancelante pourraient être considérables. Les Français sont nombreux à s’interroger sur les effets de la valse des milliards. Ceux qui pensent que cela n’aura pas de conséquence se trompent. Demain plus que jamais, nous aurons besoin de citoyens forts, entreprenants, responsables et n’attendant pas tout de l’État. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’examen d’un projet de loi de finances rectificative ne permet évidemment pas d’embrasser tous les aspects d’une loi de finances initiale. Nous sommes dans une situation d’urgence sanitaire, sociale et économique. Cependant, les mesures qui s’inscrivent dans ce PLFR devraient déjà, selon nous, donner des signes clairs quant aux politiques qui seront menées demain. Les choix du moment devraient engager fortement l’avenir de notre société.
Le Gouvernement a décrété d’emblée que notre fiscalité ne serait pas modifiée. Cette crise sanitaire bouscule la planète entière, notre continent européen, et percute de plein fouet la société française, qui souffre de fortes inégalités depuis trop longtemps. L’Insee montrait qu’en 2018 la pauvreté avait augmenté de 0,6 % dans notre pays ; personne ne niera que le confinement est beaucoup plus difficilement supportable quand on est confronté au mal-logement ou à l’absence de moyens numériques pour assurer la continuité éducative des enfants. Cette crise met aussi en évidence la nécessité de services publics forts, celui de la santé d’abord, de l’éducation aussi, ou encore des collectivités locales.
Les discours du Gouvernement, dans la période, tranchent singulièrement avec certains propos tenus au début de ce quinquennat. Ainsi, dans son discours de politique générale prononcé le 4 juillet 2017 à la tribune de l’Assemblée nationale, M. Édouard Philippe déclarait : « Il y a une addiction française à la dépense publique ». M. le ministre Bruno Le Maire, ici présent, lui emboîtait le pas quelques jours plus tard avec ces paroles : « Depuis trente ans, la France est droguée aux dépenses publiques. Oui, il faut les réduire : c’est une question de souveraineté nationale. » Enfin, et j’arrêterai là mon inventaire, la fameuse formule du président Macron, en juin 2018 : « On met un pognon de dingue dans les minima sociaux ».
Ces propos pourraient-ils encore être tenus aujourd’hui, en pleine crise sanitaire où la dépense publique devient un outil essentiel ? Nous considérons pour notre part que les prochains débats budgétaires se tiendront dans un contexte profondément modifié, où les repères libéraux auront été largement bousculés. Vous faites le choix de financer vos mesures par la dette, et nous avons même entendu un temps très bref un appel à la générosité publique. Or la force d’un État, c’est notamment sa capacité à lever l’impôt. Nous pensons qu’il y a des ressources à solliciter du côté des plus gros patrimoines, des plus hauts revenus, ou encore des dividendes, dont le niveau a battu un record l’an dernier avec 51 milliards d’euros, un chiffre qui fait de la France le meilleur rémunérateur d’actionnaires en Europe. Notre groupe a déposé plusieurs amendements visant à solliciter ces ressources.
Les aides aux entreprises ne sauraient se limiter aux plus grands groupes industriels stratégiques ; il faudra veiller à ce que l’ensemble du tissu économique soit demain en mesure de retrouver rapidement sa vitesse de croisière. Il importe également de conditionner ces aides. L’on ne saurait imaginer l’octroi d’argent public à des groupes qui distribueraient des dividendes, pratiqueraient des licenciements ou auraient des liens avec les paradis fiscaux.
À la date d’aujourd’hui, on estime que la dette de la France pourrait atteindre 115 % du PIB. Tous les dogmes libéraux volent en éclats : déficit à 3 % – on parle aujourd’hui de 8 % –, dette à 60 % du PIB dont nous sommes très loin. Dans cette crise internationale, on a vu des tabous tomber. La banque centrale britannique a pris la décision, le 9 avril dernier, de financer directement le Trésor afin de l’aider à affronter les ravages sanitaires et économiques provoqués par l’épidémie de Covid-19. C’est bien un pilier de la doxa libérale qui s’effondre, à savoir l’indépendance des banques centrales et l’interdiction qui leur est faite de financer directement les États. La Réserve fédérale aux États-Unis a suivi le même chemin et a déjà engagé des moyens illimités pour soutenir l’économie du pays.
Il faudra bien à un moment donné lancer ce débat de fond au niveau européen. Il faudrait, dans les circonstances présentes, redéfinir fondamentalement le rôle de la Banque centrale européenne. Notre pays va donc encore enrichir les marchés financiers et in fine nous ne connaîtrons pas davantage les détenteurs ultimes de nos titres de dette. Avouez que la souveraineté de la France est singulièrement mise en danger !
Les collectivités locales doivent être également particulièrement aidées, pour deux raisons essentielles : elles sont d’abord, avec beaucoup d’autres, aujourd’hui en première ligne, prenant les initiatives les plus diverses pour soutenir et accompagner les populations dans cette crise ; ensuite, ces collectivités seront demain des leviers essentiels dans le redémarrage économique de notre pays – rappelons qu’elles représentent encore 73 % de l’investissement public. Elles ne doivent plus à l’avenir être considérées comme des variables d’ajustement à la baisse de la dépense publique.
Enfin, les aides aux plus démunis dans ce PLFR ne sont pas à la hauteur des enjeux du moment, comme les efforts pour les personnes bénéficiant des minima sociaux, sans compter les demandeurs d’emploi non indemnisés, ainsi que les étudiants boursiers.
Nous nous étonnons également de l’absence, dans ce PLFR, de mesures d’ampleur pour l’éducation nationale. Certes, on y évoque une prime aux enseignants qui ont assuré l’accueil des enfants du personnel soignant, mais la problématique est, selon nous, beaucoup plus globale. L’école, dans ce pays, représente 12 millions d’élèves et 800 000 personnels. Il faudra sans doute, dans un prochain PLFR, prendre des mesures fortes pour aider les élèves en décrochage dans cette période difficile à retrouver le chemin de la réussite, car on connaît l’incidence forte de la sociologie sur la réussite scolaire des élèves.
Ainsi donc, nous considérons qu’il y a beaucoup de manques dans ce projet de loi de finances rectificative et, en l’état, il n’est pas envisageable que le groupe CRCE émette un vote favorable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en quelques mois, l’épidémie du coronavirus a balayé toutes nos prévisions : un déficit maintenu à 2,2 % du PIB, une dette stabilisée à 100 %, une croissance à 1,2 %… Rarement loi de finances initiale aura été rendue caduque aussi rapidement, et dans de telles proportions !
Le déficit qui plonge à 9 % du PIB, la dette qui s’envole et la récession qui frappe à -8 % : telle est désormais la réalité avec laquelle nous devons composer. La froideur de ces chiffres a de quoi nous glacer le sang.
Nous espérons tous que les conséquences sanitaires de la pandémie seront rapidement limitées, et je souhaite ici m’associer à la douleur de tous nos concitoyens pour qui la période du confinement est aussi celle d’un deuil. Grâce à la mobilisation exceptionnelle de nos soignants, de nos chercheurs et de tout le pays, je suis certain que nous vaincrons le virus.
Cependant, nous savons désormais que les conséquences économiques de la pandémie grèveront longtemps nos finances publiques. Et pour cause : les moyens nécessaires que nous mobilisons pour sauver nos entreprises donnent le vertige. Alors que nous nous apprêtons à voter un projet de loi de finances rectificative qui entérine une dette à 115 % du PIB et sanctionne une dépense publique au-delà de 60 % du PIB, je tiens à le rappeler : la situation est alarmante.
Pourtant, nous devons nous rendre à l’évidence : sans entreprises, pas de reprise. Telle doit être aujourd’hui notre seule préoccupation : préserver le tissu de nos entreprises ; aider nos artisans, nos TPE, nos PME, nos ETI et nos grandes entreprises à passer la crise, à tenir bon, à survivre, ni plus ni moins. La santé a commandé hier la stratégie du confinement pour tous les citoyens. Ce n’est pas terminé, mais l’économie commande aujourd’hui la stratégie du soutien pour les entreprises en difficulté. Au vu de la situation actuelle, le plan de sauvetage de 110 milliards d’euros apparaît malheureusement comme une impérieuse nécessité – une impérieuse nécessité, certes, mais nous devons garder à l’esprit que nous n’avons pas cet argent.
Le plan que nous votons aujourd’hui sera donc financé par les générations futures. C’est encore ce que nous avons de mieux à faire, car mieux vaut transmettre un actif et un passif, c’est-à-dire un bilan, une entreprise, que pas d’entreprise du tout. Mais les générations qui naîtront dans le monde de demain paieront les décisions que nous allons prendre aujourd’hui. Soyons-en conscients.
Le dispositif de chômage partiel s’inscrit dans cette logique. Il s’agit d’une mesure sociale qui s’avère indispensable par la souplesse qu’elle accorde aux entreprises. Elle permet de sauvegarder aujourd’hui les emplois dont nous aurons besoin demain pour relancer l’activité du pays. Le renforcement des deux dispositifs exceptionnels mis en place lors du premier PLFR, le chômage partiel, que je viens d’évoquer, et les prêts garantis par l’État, me semblent aller dans le bon sens : l’État prend à sa charge le financement des conséquences liées à la crise, sans chercher à tout administrer. Le renforcement de ces dispositifs répond aux attentes des acteurs du terrain.
Il en va de même pour la dotation du fonds de solidarité. En totalisant l’abondement supplémentaire de l’État, le concours des régions et la participation des assureurs, désormais un peu plus en phase avec la gravité de la situation, le fonds est aujourd’hui doté de plus de 7 milliards d’euros. Ce rehaussement, accompagné d’une révision des critères d’éligibilité, répond aux attentes du terrain, notamment dans les territoires les plus fragiles.
Un mot, enfin, sur les futures prises de participation de l’État au capital d’entreprises stratégiques. Je salue cette décision indispensable qui matérialise notre souveraineté économique, et je ne doute pas que ces participations seront aussi temporaires que possible. Je regrette seulement que le Parlement ne puisse pas, à ce stade, participer plus activement à la définition de cette stratégie, même si j’en comprends les raisons. Je rejoins en cela la position du rapporteur général de la commission des finances.
Mes chers collègues, en votant le premier PLFR, nous nous doutions bien qu’il y en aurait un deuxième. Et en abordant le deuxième, on ne peut qu’envisager un troisième… Quoi qu’il en soit, les mesures que nous allons voter, même si elles font l’objet d’un débat, et c’est heureux, vont dans le bon sens. Comme je l’ai dit : sans entreprises, pas de reprise. C’est dans cette logique constructive que le groupe Les Indépendants aborde l’examen de ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Sylvie Vermeillet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la France, comme le reste du monde, est durement affectée par la pandémie de Covid-19. Cette catastrophe sanitaire entraîne dans son sillage une catastrophe économique qui explique que nous nous retrouvions ici pour un second projet de loi de finances rectificative, à peine plus d’un mois après en avoir adopté la première mouture. Dans un contexte exceptionnel où les inconnues sont nombreuses, mesurer l’ampleur des dégâts relève de la gageure.
Le groupe Union Centriste a salué, en mars dernier, la réactivité du Gouvernement, dont la réponse a permis tout à la fois de protéger les salariés et de soulager la trésorerie des entreprises en difficulté. Compte tenu du prolongement du confinement, dont le coût hebdomadaire pour l’économie française est chiffré à près de 20 milliards d’euros par l’Insee, la situation d’un grand nombre de nos entreprises, dans un grand nombre de secteurs, s’est aujourd’hui fortement détériorée.
Dans le présent « collectif budgétaire », le Gouvernement propose de porter de 45 milliards à 110 milliards d’euros le plan d’urgence économique. Le budget dédié au dispositif de chômage partiel voit ainsi ses crédits quasiment tripler, pour atteindre désormais 24 milliards d’euros. C’est une somme considérable, mais non moins nécessaire. De même, les crédits alloués au fonds de solidarité pour les TPE sont revus très nettement à la hausse, à 7 milliards d’euros. Il faut s’en réjouir.
Ce budget rectificatif instaure également un dispositif exceptionnel de soutien aux prêts et aux fonds propres, à hauteur de 20 milliards d’euros, pour les entreprises dites « stratégiques » fragilisées par la crise. Il faudra veiller, messieurs les ministres, et nous y veillerons, à ce que l’État n’investisse pas à fonds perdu dans des activités commerciales en subventionnant aveuglément les investisseurs et les créanciers de ces grandes entreprises. Il est en tout cas heureux que l’Assemblée nationale ait subordonné le soutien de l’État, et à travers lui celui des contribuables, au respect d’objectifs environnementaux. Nous approuvons cette mesure et espérons qu’elle prospérera à l’issue de la navette parlementaire.
Le Gouvernement a fait le choix opportun de plusieurs mesures complémentaires, à la fois bancaires, budgétaires et fiscales, visant opportunément à sauvegarder l’appareil productif français ; et il faudra aller plus loin s’agissant de certaines d’entre elles.
Nous l’avons dit le mois dernier : le report des échéances sociales et fiscales était nécessaire. Mais il est devenu insuffisant à mesure que s’est prolongé le confinement. Nous avons appris, lors de la présentation de ce PLFR « nouvelle version », que 750 millions d’euros allaient être consacrés à des annulations de charges sociales et fiscales, dans le cadre de plans sectoriels concernant l’hôtellerie, la restauration ou encore l’événementiel.
Mes collègues du groupe Union Centriste et moi-même pensons qu’il sera tôt ou tard inévitable de transformer ce report en annulations pures et simples. Nous déposerons en ce sens un amendement, sans limitation sectorielle, mais à la condition que soient satisfaits certains critères rigoureux, notamment celui du chiffre d’affaires. Notre volonté est non seulement de réserver le bénéfice de cette annulation aux entreprises les plus en difficulté, mais aussi d’en limiter le coût pour les finances publiques.
Nous approuvons évidemment le versement d’une prime exceptionnelle aux agents publics mobilisés dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Cette prime est une juste reconnaissance du travail effectué, s’agissant en particulier des personnels hospitaliers. Mais, pour être tout à fait justes, il nous faudrait aussi marquer notre reconnaissance à tous les autres : songeons en effet aux médecins généralistes, infirmières et infirmiers libéraux, salariés de laboratoires d’analyses et de dépistages, et à toutes celles et tous ceux qui, au péril de leur vie, allant même jusqu’à la donner, ont affronté le danger sans réserve ! Ne pourrait-on pas, messieurs les ministres, prévoir un nouveau dispositif ou calibrer les dispositifs existants de façon à rétribuer leur vaillance ?
Nous le savons, et le rapporteur général l’a rappelé ce matin en commission des finances : la saison des PLFR ne fait que commencer. À travers cet épisode 2, le solde budgétaire se dégrade déjà, par rapport à la loi de finances initiale, de 92 milliards d’euros, pour s’établir à plus de 185 milliards d’euros. « Une fois qu’on a passé les bornes, il n’y a plus de limites », écrivait Alphonse Allais. Mais que ce soit par le canal budgétaire ou le canal monétaire, par la voie nationale ou la voie européenne, chaque euro injecté devra un jour ou l’autre être remboursé. Notre collègue Nathalie Goulet, rapporteur spécial des crédits de la mission « Engagements financiers de l’État », vous l’expliquerait mieux que moi.
Espérons ainsi que nos débats de ce jour permettent d’esquisser le plan d’investissement qu’il nous faudra, sans tarder, collectivement bâtir pour éviter chacun des écueils. Cela dépendra évidemment des perspectives de la sortie de crise. L’hypothèse privilégiée par le Gouvernement d’un retour rapide à la normale, avec une consommation rebondissant dès le second semestre, nous paraît plutôt optimiste. Les exemples récents sont là pour nous montrer que thésauriser est souvent le premier réflexe après les périodes de tumulte. Nous devrons nous méfier de « la relance pour la relance », souvent dispendieuse. L’épargne devra être drainée le plus rapidement et le plus efficacement possible vers le tissu productif.
Au-delà du choc sanitaire et économique qu’elle provoque dans le pays tout entier, la pandémie de Covid-19 aura un impact particulièrement lourd sur l’ensemble des collectivités territoriales qui, grâce à la proximité des élus locaux avec les administrés, grâce aussi à leur réactivité et leur agilité, ont démontré le rôle primordial qu’elles savaient jouer en ces circonstances si singulières. Pour que leurs initiatives se poursuivent et produisent tous leurs fruits, il faudra veiller, messieurs les ministres, à leur conférer les outils juridiques et financiers leur permettant d’accompagner au mieux nos campagnes, nos villages et nos villes de province…
L’examen du texte par l’Assemblée nationale a déjà permis de notables progrès. Parmi ceux-là, nous nous félicitons de l’abaissement du taux de TVA applicable aux gels hydroalcooliques ainsi qu’aux masques de protection, mesure réclamée par notre président Hervé Marseille.
Nous espérons que l’examen de ce PLFR par la Haute Assemblée permette, dans un esprit toujours constructif, de préserver la vitalité et les forces de notre pays. Enfin, en votre nom à tous, vous me permettrez d’avoir une pensée pour tous nos malades, qu’ils soient hospitalisés ou isolés dans leur domicile. Personne ne s’adresse jamais à eux ! Depuis le début de la crise sanitaire, les malades sont devenus des chiffres ou, pire, ont disparu parce que non comptabilisés. Le Sénat n’étant pas une assemblée à chiffres, adressons donc à tous les malades notre soutien et nos espoirs, notre énergie aussi, parce que leur combat vaut largement le nôtre cet après-midi ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Claude Raynal. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Claude Raynal. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous étudions aujourd’hui le deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2020, dans un contexte à la fois très similaire et très différent du premier. Très similaire, car le pays est toujours confiné et nous sommes toujours en train de lutter contre cette maladie qui le paralyse largement. Mais aussi très différent, car ce deuxième texte nous est soumis alors que nous en savons aujourd’hui davantage sur les conséquences économiques possibles de la pandémie.
Lors du premier PLFR, notre groupe, par la voix de Thierry Carcenac, avait fait part de ses réserves sur le cadrage macroéconomique présenté par le Gouvernement. Les données présentées dans ce deuxième texte le confirment : 9,1 % de déficit attendu pour 2020, 115 % de dette et 8 % de récession. Nous espérons tous que ces chiffres pourront être revus positivement dans les semaines et les mois qui viennent, en tout cas qu’ils ne s’aggravent pas encore, mais ce scénario semble à ce stade cohérent et pertinent.
Se pose dès lors la question, parmi mille autres, de l’impact de la stratégie de déconfinement sur la reprise de l’activité économique. Je veux dire à cet égard, même si je conviens qu’il ne s’agit pas du cœur du sujet, que nous partageons les craintes exprimées par le Haut Conseil des finances publiques : estimer que l’essentiel de l’impact économique concernera le premier semestre de l’année et que le retour à la normale pourrait être rapide et complet nous semble être un pari certes positif, mais risqué quant à l’avenir… et au niveau de nos finances publiques.
Puisque nous abordons la question des chiffres, je voudrais également vous mettre en garde, messieurs les ministres, comme nous l’avons fait dès le premier PLFR, sur le vocabulaire qu’emploie le Gouvernement durant cette crise. Le climat est suffisamment anxiogène pour nos concitoyens pour ne pas ajouter, au-delà des polémiques portant sur la gestion de la pandémie, celles sur les chiffres. Laisser penser que vous injectez 110 milliards d’euros est une manière particulièrement biaisée de présenter les choses. Il y a tout d’abord les 20 milliards d’euros de participations financières de l’État dont on ne sait pas encore s’il s’agit d’une dépense réelle. À ce stade, il s’agit avant tout d’une provision permettant d’agir autant que de besoin pour renforcer nos entreprises. De plus, l’expérience passée montre que ces prises de participation sont, au final, rentables pour l’État. Il y a également 50 milliards d’euros qui relèvent d’avances de trésorerie et pas de dépenses réelles. Il y a également 8 milliards d’euros, au bas mot, qui sont assumés non pas par l’État directement, mais par l’Unédic, même si l’État en assume le portage à ce stade, et 8 milliards d’euros de plus qui sont portés par le budget social et non par le budget général de l’État – je reviendrai plus loin sur ce point.
Je vous épargne l’analyse au milliard près, mes chers collègues, mais je crois que tout le monde comprend l’idée générale : n’en faisons pas trop avec les chiffres, messieurs les ministres, ou plus exactement adoptons moins d’emphase et plus de sobriété dans le discours sur ce point.
De fait, force est de le constater, notre pays n’a pas les moyens de mettre autant d’argent sur la table que nous le souhaiterions.
Après la crise de 2008, vos prédécesseurs, faisant face à une augmentation de la dette, se sont attachés à diminuer le déficit de nos comptes publics. La bien meilleure croissance que vous avez trouvée à votre arrivée pouvait enfin permettre de baisser significativement le niveau de la dette en pourcentage du PIB.
Vous vous y étiez d’ailleurs engagés. Malheureusement, à l’orée de cette crise sanitaire, le niveau de la dette était au plus haut ; vous n’en êtes évidemment pas seuls fautifs, mais nous en payons collectivement le prix aujourd’hui.
Encore faut-il noter que la politique monétaire plus qu’accommodante de la Banque centrale européenne nous permet, malgré tout, de mener l’action publique nécessaire au moment que nous vivons.
J’en viens maintenant à un point qui, pour le groupe socialiste et républicain, est fondamental. Nous nous sommes d’ailleurs régulièrement exprimés sur ce sujet. Au-delà de son coût, c’est la question du paiement de la crise qui nous intéresse. La problématique est d’ailleurs double.
En premier lieu – je reviens sur les dépenses sociales –, nous estimons que ce n’est pas au budget social que devrait revenir le paiement des 8 milliards de dépenses de santé liées au Covid-19. Si vous avez, à juste titre, créé une mission budgétaire spécifique dans le budget général, nous estimons que ces sommes devraient y être portées, d’une part dans un souci de lisibilité financière, d’autre part parce que c’est un enjeu d’information et de vote du Parlement, dans la mesure où vous ne prévoyez pas l’examen d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative. Surtout, nous ne connaissons que trop bien ce sujet. Depuis votre arrivée aux affaires, on creuse de nouveau le déficit de la sécurité sociale. Ces dépenses ne sont pas contestables en soi, mais demain, au lieu de faire porter les efforts sur la solidarité nationale, on déremboursera d’un côté, on coupera dans les dépenses de l’autre.
Finalement, en bout de course, ce seront une nouvelle fois les plus précaires, les malades, et nos aînés qui paieront. C’est la raison pour laquelle nous demandons l’inscription de ces dépenses sociales au budget général : la santé d’aujourd’hui ne doit pas se traduire par un affaiblissement de la santé de demain.
De plus, s’il devait y avoir une prise en charge par le budget général, nous proposons que, sur le modèle des OPEX, cela se fasse non pas dans l’opacité des décrets de reventilation intraprogramme des crédits, mais, pour partie, dans le cadre d’une solidarité de toutes les missions budgétaires.
Cela nous semblerait de nature à favoriser le financement nécessaire à la lutte que nous menons actuellement sur les plans tant sanitaire qu’économique.
Les recettes constituent le second aspect du financement de cette crise. Une nouvelle fois, comme après le premier PLFR, nous n’en trouvons guère trace dans votre texte, monsieur le ministre.
Lors de l’examen du premier PLFR, vous aviez estimé que ce n’était pas le débat et, malgré nos doutes, nous n’avions pas insisté et avions accepté que le sujet soit renvoyé à plus tard.
Nous considérons que plus tard c’est aujourd’hui, et que nous pouvons et devons désormais évoquer les conséquences de cette crise tant pour les finances publiques que pour les particuliers.
Le Gouvernement a d’ailleurs déjà ouvert le sujet. Aux provocations du MEDEF visant à mettre à bas quasiment un siècle de conquêtes sociales…