compte rendu intégral
Présidence de M. Vincent Delahaye
vice-président
Secrétaires :
Mme Jacky Deromedi,
M. Victorin Lurel.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 15 avril 2020 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
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Loi de finances rectificative pour 2020
Discussion d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2020 (texte n° 403, rapport n° 406).
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
Discussion générale
M. le président. Je rappelle que tous les orateurs, y compris les membres du Gouvernement, s’exprimeront depuis leur place, sans monter à la tribune. Par ailleurs, les sorties de la salle des séances devront s’effectuer exclusivement par les portes situées au pourtour de l’hémicycle.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics, et moi-même sommes très heureux de vous présenter ce projet de loi de finances rectificative, qui doit nous permettre de faire face aux exigences économiques nouvelles liées à la crise du coronavirus.
Je voudrais d’abord rappeler à quel point cette crise est sans équivalent dans l’histoire contemporaine des nations occidentales et même de la planète entière.
Une économie entièrement à l’arrêt, ou presque ; une crise qui touche toutes les nations, tous les continents, sans exception, avec d’ailleurs une inquiétude particulière, à présent, pour les pays en voie de développement et les pays africains ; une récession qui se chiffre, pour l’ensemble de la zone euro, à -7,5 % du PIB et, suivant la proposition que nous vous faisons, à -8 % pour la France en 2020. Ces chiffres sont sévères, mais ils sont provisoires, tant les incertitudes sont grandes quant à la durée de la pandémie et à son impact sur les différentes économies, de la plus puissante, les États-Unis, jusqu’aux pays africains en voie de développement.
On observe des phénomènes inédits depuis la Seconde Guerre mondiale : ainsi, le prix du baril de pétrole est aujourd’hui négatif ! Je tiens d’ailleurs à rappeler qu’il n’y a que des risques dans cet effondrement des prix du pétrole : risque pour la transition énergétique, car pour réussir celle-ci, encore faut-il que les prix des énergies fossiles soient à un niveau raisonnable et que nous puissions financer les énergies renouvelables ; risque d’effet domino sur les marchés, puisque les compagnies pétrolières sont détenues par des investisseurs et des fonds qui peuvent être menacés, demain, sur les marchés, et entraîner avec eux l’ensemble des marchés financiers de la planète ; risque, enfin, pour les pays d’Afrique, en particulier ceux de l’est du continent, dont 40 % des ressources budgétaires sont liées à l’extraction et à la commercialisation du pétrole – c’est autant qui part aujourd’hui en fumée. Je tiens donc à le redire avec gravité : l’effondrement des prix du pétrole est un danger pour l’économie mondiale.
Face à cette situation économique sans équivalent dans l’histoire contemporaine, nous avons voulu, avec le Président de la République et le Premier ministre, prendre immédiatement la mesure de la crise. Nous avons immédiatement dit la vérité aux Français : cette crise économique est l’une des plus graves que nous ayons connues depuis la grande récession de 1929. Les fondamentaux ne sont pas les mêmes, les logiques non plus, les réactions des États non plus, mais la profondeur de la récession est comparable à ce que nous avons connu en 1929. Nous avons toujours tenu ce langage de vérité, depuis le premier jour de la crise économique : nous n’en avons jamais dissimulé ni la gravité ni les conséquences.
Nous avons aussi voulu apporter une réponse rapide, forte et immédiate. Nous avons fait un choix très simple, que nous revendiquons devant la représentation nationale, devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs : de la dette plutôt que des faillites ; de la dette plutôt que la disparition de décennies entières d’efforts économiques des salariés, des ouvriers, des employés, des ingénieurs et des entrepreneurs français. Ce choix, je le revendique : mieux vaut préserver notre capital humain et économique que préserver des finances publiques que nous saurons restaurer le moment venu.
Les choix simples et clairs que nous avons faits ont été entendus, me semble-t-il, par le monde économique comme par les salariés.
Nous avons choisi, d’abord, de préserver les compétences en développant massivement le dispositif le plus généreux en matière de chômage partiel. Nous indemnisons les salariés, à 100 % au niveau du SMIC et jusqu’à 84 % du salaire net pour les salaires inférieurs à 4,5 SMIC ; 9 millions de salariés bénéficient aujourd’hui de ce chômage partiel qui nous permet de préserver les savoir-faire et les qualifications, mais aussi de garantir que nous pourrons faire redémarrer rapidement l’économie française quand il le faudra. Je préfère cette situation à celle que connaissent nos amis américains : en l’espace d’une quinzaine de jours, des millions de salariés ont dû s’inscrire au chômage aux États-Unis du fait de l’absence d’un tel dispositif. De ce point de vue, nous avons tiré les conséquences de la crise de 2008-2009 : l’Allemagne avait alors su redémarrer vite, parce qu’elle avait un dispositif de chômage partiel efficace, alors que la France, faute d’un tel dispositif, avait mis plus de temps à relancer son économie.
Le deuxième choix que nous avons fait est le soutien à la trésorerie des entreprises. Évidemment, quand il n’y a ni recettes ni chiffre d’affaires, la trésorerie fond comme neige au soleil. Nous avons donc mis en place, avec M. le ministre de l’action et des comptes publics, des dispositifs de report des charges sociales et fiscales. Nous avons également mis en place des dispositifs de prêts garantis par l’État, à hauteur de 300 milliards d’euros, pour que toutes les entreprises, jusqu’aux PME, puissent trouver les prêts dont elles auraient besoin.
Notre troisième choix a été le soutien aux plus fragiles. Cela s’est traduit, notamment, par la création d’un fonds de solidarité ; le premier étage des versements s’élève à 1 500 euros ; un deuxième étage peut aller jusqu’à 2 000 euros dans sa première version.
Enfin, notre quatrième choix a été de défendre les entreprises stratégiques, celles dont dépend notre indépendance. Je pense notamment à Air France : on est bien content d’avoir cette compagnie et ses avions quand il faut rapatrier nos compatriotes depuis l’étranger. Mais il est aussi question des entreprises de l’énergie, du transport aérien, ou encore du secteur nucléaire, qui ont vocation à être protégées et défendues par l’État ; elles le seront.
Ce premier dispositif a rencontré un succès considérable. Les chiffres que je vous ai donnés sur le chômage partiel montrent que nous avons visé juste, tout comme l’ampleur des prêts accordés aux entreprises françaises – 24 milliards d’euros en quelques jours –, ou encore le nombre d’entreprises bénéficiaires du fonds de solidarité – 1 million d’entrepreneurs s’y sont inscrits.
Cela dit, comme nous avons agi rapidement – je le revendique ! –, des améliorations restaient évidemment à apporter au dispositif. Beaucoup d’entre vous nous ont d’ailleurs fait remonter des critiques et des observations à ce sujet.
Dès le premier jour de cette crise, j’ai eu comme méthode de travail la concertation quotidienne avec tous les acteurs économiques, sans exception. Je m’entretiens avec les représentants de toutes les filières, du très petit entrepreneur jusqu’au patron de très grande entreprise, du travailleur indépendant à la profession libérale, du secteur agricole à la restauration, à l’agroalimentaire et à la grande distribution : j’ai écouté tout le monde de manière à améliorer ce dispositif. Gérald Darmanin et moi-même avons été à l’écoute de toutes les propositions et de toutes les critiques qui nous sont parvenues depuis le terrain.
Nous vous proposons donc aujourd’hui, par le biais de ce projet de loi de finances rectificative, d’une part de recharger le dispositif existant, parce qu’il coûte cher, et d’autre part de l’améliorer.
S’agissant des prêts garantis par l’État, beaucoup nous ont dit que c’était un beau dispositif, mais que toutes les entreprises qui sont en redressement judiciaire ou connaissent des difficultés de cet ordre n’ont pas accès à ces prêts. C’est vrai. Si vous adoptez ce texte, ces entreprises seront éligibles aux prêts garantis par l’État : vous l’avez demandé, nous vous le proposons.
Vous nous avez dit que certaines entreprises ne trouvaient aucune solution. Effectivement, des entreprises industrielles importantes de 300 ou 400 salariés qui se trouvent dans des situations très difficiles, leur secteur d’activité se trouvant fortement impacté, ne parviennent pas à souscrire de prêt, même garanti par l’État : même si le taux de refus des banques n’est que de 4 % ou 5 %, il reste tout de même des milliers d’entreprises qui ne trouvent pas de solution, notamment des entreprises industrielles de taille intermédiaire qui sont pourtant vitales pour certains territoires.
Nous voulons leur apporter, à elles aussi, des solutions. C’est pourquoi nous vous proposons la mise en place d’un système d’avances remboursables qui permettra d’apporter des solutions aux entreprises les plus en difficulté.
Nous proposons également d’abonder le Fonds de développement économique et social (FDES) : 75 millions d’euros étaient disponibles dans ce fonds ; nous proposons de porter cette somme à 1 milliard d’euros. Cet argent ira précisément à des entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui ne trouvent pas de solution auprès des banques parce qu’elles ont besoin de se restructurer pour être viables. Le principe du FDES est justement d’apporter aux entreprises des prêts directs de l’État, et non pas simplement de garantir des prêts octroyés par les établissements bancaires. Ces prêts peuvent être complétés par des banques – l’État amorce du moins la pompe – et doivent s’accompagner d’une restructuration de l’entreprise lui permettant d’être viable sur le long terme, l’État n’ayant évidemment pas vocation à financer à fonds perdu des entreprises qui, même en l’absence de la présente crise, n’auraient pas survécu.
Nous apportons donc, concernant l’amélioration de la trésorerie des entreprises, des réponses concrètes aux critiques qui nous sont remontées du terrain, des départements, de tous vos territoires.
Sur le fonds de solidarité aussi, beaucoup de critiques ont été émises immédiatement, même s’il a rencontré un très grand succès ; nous avons tenu compte de ces critiques. Trop de populations étaient exclues de ce fonds. C’était le cas, d’abord, des professions libérales : celles qui répondent aux critères du fonds seront désormais incluses. C’était aussi le cas des groupements d’agriculteurs : ils seront inclus. Je pense enfin aux entreprises en redressement judiciaire ou en difficulté : elles aussi seront incluses. Nous allons élargir considérablement le spectre des petits entrepreneurs éligibles – ceux qui emploient moins de dix salariés – pour que personne ne soit laissé de côté. Telle est bien notre ambition : comme la commissaire européenne Margrethe Vestager l’a elle-même reconnu, la réponse économique française est la plus forte de toutes les réponses européennes. J’estime que c’est à l’honneur de notre nation d’avoir su apporter des réponses à chacun.
Toujours sur ce fonds de solidarité, d’aucuns nous ont dit que notre mode de calcul n’était pas le bon. Pour être éligible à ce fonds, à l’heure actuelle, il faut être une très petite entreprise, de moins de dix salariés, dont le chiffre d’affaires est inférieur à 1 million d’euros et qui a enregistré une baisse de chiffre d’affaires d’au moins 70 % entre mars 2019 et mars 2020. Ce pourcentage est trop élevé, et la période de référence n’est pas la bonne. Nous avons donc baissé ce taux à 50 % ; nous vous proposons en outre de changer les modalités de calcul en offrant aux entreprises qui le souhaiteraient la possibilité de calculer la perte de chiffre d’affaires, non plus à partir de mars 2019, mais à partir de la moyenne mensuelle de l’activité tout au long de l’année 2019. C’est l’une des propositions de la commission des affaires économiques du Sénat que nous avons retenues dans ce projet de loi de finances rectificative. Nous avons donc là un dispositif qui me paraît plus efficace.
Enfin, concernant les entreprises stratégiques, vous nous avez fait observer à juste titre que le compte d’affectation spéciale (CAS) destiné à les soutenir était insuffisamment doté pour apporter du capital aux entreprises qui en auraient besoin ; nous avons donc décidé d’augmenter de 20 milliards d’euros l’abondement du CAS de l’Agence des participations de l’État (APE). Ainsi, nous disposerons de réserves financières suffisantes pour apporter le capital nécessaire aux entreprises qui en auraient besoin. Beaucoup pensent à Air France, qui aura effectivement besoin du soutien de l’État : il lui sera apporté, afin de préserver un fleuron industriel français et un gage d’indépendance de la nation française. Nous le ferons dès les prochains jours.
Une fois passé le temps de cette réponse immédiate, qui nous permet d’amortir le choc, il faudra reprendre le travail et l’activité. Nous savons tous que la solution immédiate est nécessaire, que ce soutien et cette protection apportés par l’État sont conformes à ce que nous sommes – nous, Français – et à ce qu’a toujours été l’État dans l’histoire de la France : le protecteur des intérêts supérieurs de la Nation. Mais l’économie française devra fonctionner autrement dans les mois qui viennent.
Il faudra commencer par redémarrer, par reprendre l’activité, reprendre le chemin du travail. C’est la demande qui m’a été faite par le Premier ministre et le Président de la République : examiner comment nous pouvons faire redémarrer l’économie française dans des conditions de sécurité sanitaire totale ; j’insiste bien sur ce dernier mot. Je ferai donc des propositions au Premier ministre et au Président de la République dans les heures qui viennent, en essayant d’offrir aux Français à la fois de la méthode et de la clarté.
Trois situations très différentes s’offrent à nous. La première est celle des secteurs qui sont déjà capables de fonctionner aujourd’hui, mais n’ont pourtant pas véritablement repris l’activité.
Certains secteurs ont pour leur part très bien fonctionné et, grâce à eux, nous avons pu avoir une vie à peu près normale pendant les semaines de confinement – je pense en particulier aux secteurs de l’alimentation, de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution, qui ont tourné, contre vents et marées, malgré les difficultés et les risques sanitaires ; les ouvriers de l’industrie agroalimentaire, les agents de caisse, les metteurs en rayon, les transporteurs, tous étaient là, fidèles au poste, pour garantir la sécurité de l’approvisionnement alimentaire et une vie à peu près normale.
D’autres secteurs, en revanche, se sont heurtés à des difficultés que je peux parfaitement comprendre alors qu’ils auraient pu continuer à fonctionner. Nous allons devoir répondre à ces difficultés. Je pense au bâtiment et aux travaux publics ; nous aurons dès aujourd’hui une réunion spécifique à ce secteur avec Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, pour déterminer à quels obstacles il se heurte et pourquoi les chantiers sont aujourd’hui, pour 80 % à 85 % d’entre eux, à l’arrêt. On observe des problèmes d’approvisionnement en matières premières et en matériel de protection, mais aussi de définition de la distance qui doit être observée entre ouvriers sur les chantiers ; enfin, la situation peut entraîner des surcoûts que les clients ne veulent évidemment pas prendre à leur charge. Tous ces problèmes devront être réglés.
La deuxième situation qui réclame notre attention est celle des commerces qui ont été fermés par arrêté ministériel le 15 mars et qui pourront rouvrir à partir du 11 mai. Mon souhait est en tout cas que le plus grand nombre de commerces puissent rouvrir à partir de cette date. J’ai cité les coiffeurs – je pense que leur fermeture affecte tous les Français ! –, je pourrais en citer d’autres. Pour cela, il faut définir, secteur par secteur, des guides de bonnes pratiques qui permettront le redémarrage de ces secteurs dans des conditions de sécurité sanitaire totale pour les salariés comme pour les clients.
Il reste le troisième cas de figure, qui a été cité explicitement par le Président de la République : je veux parler des lieux de convivialité, dont la situation est plus compliquée. Nous savons parfaitement que la société que nous allons devoir construire dans les mois qui viennent, tant que nous n’aurons pas de réponse à cette épidémie sous la forme d’un vaccin, est une société de la distance. Je vous l’avoue, une telle société n’est pas agréable. Elle n’est conforme ni à notre génie national ni à notre conception de la vie en société.
Personne n’aime la distance, les Françaises et les Français moins que quiconque : nous sommes une société de convivialité, de contact, de rapport humain, de démocratie et de débats. J’aimerais mieux voir cet hémicycle plein que de le voir aussi vide qu’il l’est aujourd’hui pour des raisons de sécurité sanitaire, et je pense que n’importe quel Français, dans son lieu de travail, dans les lieux de culture, dans n’importe quel lieu d’activité, dirait exactement la même chose.
Mais il se trouve que, pour des raisons de sécurité sanitaire, nous devons vivre avec de la distance. Or dans les lieux de convivialité que sont les restaurants, les bars, ou les cafés, le défi est beaucoup plus considérable que dans n’importe quel autre lieu d’activité professionnelle. Il faudra donc se donner un peu plus de temps pour déterminer sous quelles règles ces lieux pourront rouvrir dans les meilleures conditions de sécurité sanitaire possible.
Permettez-moi, à ce propos, de rendre hommage à tous les restaurateurs : depuis des semaines, ils ne cessent de se mobiliser et de nous apporter des idées et des propositions. Ils ont parfaitement conscience que, s’ils doivent rouvrir le plus vite possible, ce ne sera possible que dans des conditions de sécurité sanitaire totale, de manière à ce que leurs clients soient rassurés et à ce que leur activité puisse se poursuivre. Nous prendrons donc le temps nécessaire pour garantir la réouverture dans les meilleures conditions possible de tous les restaurants, de tous les bars et de tous les cafés français.
La troisième et dernière étape, après la réponse immédiate et la reprise progressive du travail, sera la relance de notre activité économique. Il faut y penser dès maintenant ; c’est ce que nous faisons, avec les économistes, nos partenaires européens et les représentants de divers organismes multilatéraux. Il faut déterminer quels défis nous devrons relever et quelles seront les lignes directrices de cette relance : j’en vois au moins quatre.
La première ligne directrice de cette relance est l’investissement. Ce qui va manquer à l’économie française, aux entreprises françaises, aux technologies françaises, à notre industrie, c’est de l’investissement. Aujourd’hui, il est à zéro, alors même que, juste avant la crise, nous étions l’un des pays de la zone euro qui investissaient le plus. Eh bien, il faut relancer cet investissement dans nos entreprises, parce que c’est de lui que dépend la puissance économique de la nation française au XXIe siècle.
La deuxième ligne directrice est un certain soutien à la demande. Il restera à déterminer dans quel volume, par quels moyens et instruments, mais vous voyez bien que les Français sont en train de constituer une épargne de précaution, à hauteur de 55 milliards d’euros en quelques semaines. Il faut nous assurer que les Français retrouvent le goût de la consommation et que la demande reparte ; sinon, notre économie aura du mal à redémarrer rapidement.
La troisième ligne directrice, qui me paraît importante, est le soutien aux secteurs qui auront été les plus touchés par la crise. Il faut venir en aide à ceux qui ont pris la crise de plein fouet, du tourisme et de la restauration à l’hôtellerie. On peut également citer l’industrie automobile et ses dizaines de milliers de sous-traitants, l’industrie aéronautique, Airbus au premier chef, et bien sûr le transport aérien. Tous ces secteurs auront besoin d’un accompagnement spécifique et ciblé plus important et plus efficace.
La dernière ligne directrice de cette relance est évidemment la coordination européenne, à laquelle je vous invite tous à réfléchir dès à présent ; vos idées et vos propositions, qui émergent en nombre depuis quelques jours, sont toutes les bienvenues, car personne n’a la vérité révélée ; je consulte donc le plus possible pour être sûr de trouver la réponse la plus appropriée le moment venu. Si nous ne coordonnons pas nos réponses économiques au moment de la relance et que certains pays européens vont dans une direction et d’autres dans la direction opposée, il y a fort à parier que cette relance ne sera pas efficace. Nous sommes un marché unique, nous avons avec nos partenaires européens un destin commun ; nous devons donc réfléchir à une relance commune et coordonnée, qui sera ainsi plus efficace.
Voilà les quelques éléments que je voulais vous présenter en ouverture de l’examen de ce projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants, RDSE et UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’action et des comptes publics.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais évoquer devant vous les aspects budgétaires de ce deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2020. Je veux relever les nouveautés contenues dans ce texte, mais aussi exposer les actions entreprises par la puissance publique qui n’y figurent pas.
Ainsi, nous n’avons pas présenté de projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative, mais j’aurai l’occasion de m’exprimer demain devant votre commission des affaires sociales au sujet de la santé et des comptes sociaux. Vous n’ignorez pas que, comme le budget de l’État est limitatif, tous les crédits doivent être adoptés par le Parlement, tandis que le budget de la sécurité sociale est seulement indicatif ; nous ne sommes donc pas obligés de présenter un tel texte, qui n’aurait pas de valeur juridique en tant que telle. Pour autant, la représentation nationale doit disposer d’éléments d’information ; je suis d’ailleurs déjà prêt à répondre à vos questions tout au long du débat qui s’ouvre aujourd’hui.
Le présent texte procède tout d’abord au « rechargement », si vous me permettez l’expression, des dispositifs prévus dans la loi de finances rectificative que M. le ministre de l’économie et des finances et moi-même avions défendue devant vous le mois dernier.
Il faut ouvrir de nouveaux crédits pour le dispositif de chômage partiel, dont le coût s’élève à presque 25 milliards d’euros, dont un tiers est constitué des dépenses de l’Unédic.
Le fonds de solidarité mis en place en direction des travailleurs indépendants nécessite 7 milliards d’euros. Il est abondé aujourd’hui par les assureurs : 185 millions d’euros ont déjà été versés, 215 millions doivent encore l’être. Les régions contribuent à hauteur de 7 % à ce fonds d’indemnisation ; on attend encore le versement de la part de la moitié d’entre elles, mais je sais qu’il est en bonne voie. Ce fonds, grâce aux crédits que vous allez adopter, pourra répondre à toutes les ouvertures demandées par la représentation nationale et le Gouvernement et mises en place par la direction générale des finances publiques ; demain s’y ajouteront, pour le deuxième étage, les instructions des conseils régionaux.
Ce projet de loi de finances rectificative contient également de nouvelles dispositions. Ce sont, d’abord, toutes les mesures économiques que vient d’évoquer M. le ministre de l’économie et des finances : l’APE est abondée de 20 milliards d’euros, de manière à participer au soutien des entreprises françaises ; le FDES, chargé d’intervenir en faveur des grosses PME et des ETI, passe de 75 millions à 1 milliard d’euros ; l’adoption par l’Assemblée nationale d’un amendement du Gouvernement permet également la mise en place d’avances remboursables pour les entreprises qui n’auraient pu recevoir de prêts bancaires.
On peut citer une autre disposition encore : 880 millions d’euros de crédits sont octroyés au ministère de la santé et des solidarités pour permettre le versement d’une prime de précarité de 150 euros à chaque bénéficiaire du RSA, auxquels s’ajoutent 100 euros par enfant à charge, ainsi que l’avaient annoncé le Président de la République et le Premier ministre.
D’autres dispositions prévoient un abondement de crédits de 1,7 milliard d’euros – le texte initial en prévoyait 2,5 milliards – du programme 552, « Dépenses accidentelles et imprévisibles », de la mission « Crédits non répartis ». Il s’agit d’un dispositif, permis par l’article 7 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), visant à prévoir ce genre de dépenses. Les collectivités territoriales savent bien comment utiliser ce type de crédits, qui n’est pas contraire, suivant la jurisprudence du Conseil d’État, au principe d’autorisation parlementaire des dépenses. Pour autant, je rendrai évidemment compte de l’utilisation de ces crédits : je m’en suis expliqué auprès du président de votre commission des finances, de son rapporteur général et de la commission tout entière. C’est en leur sein, d’ailleurs, qu’on a pu prendre les 880 millions d’euros destinés à la prime de précarité, par l’adoption d’un amendement du rapporteur général du budget de l’Assemblée nationale.
Ce texte contient, outre ces ouvertures de crédits, des articles très importants : l’article 5 permet ainsi la défiscalisation et l’exonération de charges sociales des primes décidées pour la fonction publique hospitalière, la fonction publique d’État et la fonction publique territoriale. Je rappellerai d’ailleurs, pour cette dernière, que le déchargement porte également sur la part de l’employeur. Les collectivités locales pourront donc verser à l’ensemble des agents, si elles le souhaitent, la prime décidée par le Gouvernement, dans ce plafond de 1 000 euros, sans avoir à payer de charges patronales.
D’autres dispositions concernent l’outre-mer et, singulièrement, les collectivités du Pacifique. La Nouvelle-Calédonie reçoit en particulier un prêt de 240 millions d’euros. Quant à la Polynésie française, nous discutons en ce moment avec M. Édouard Fritch, son président, qui nous a adressé sa demande il y a quelques heures. Nous pensons faire à nos amis polynésiens des propositions pour la trésorerie de cette collectivité qui se concrétiseront sans doute dans un prochain texte financier ; même si le chômage partiel relève des compétences du gouvernement autonome, la République se tient évidemment aux côtés des gouvernements du Pacifique.
Alors, que n’y a-t-il pas dans ce texte ? On n’y trouvera pas les 8 milliards d’euros que le Gouvernement a débloqués pour la santé. Ils relèvent en effet de l’utilisation de l’Ondam, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, et figureront dans le déficit de la sécurité sociale, parmi les chiffres que je donnerai demain à la commission des affaires sociales. Ces données sont extrêmement difficiles à suivre parce que, par définition, les assiettes de cotisation se réduisent énormément en ce moment, dans un temps assez record. Vous avez vu que presque 10 millions de personnes se trouvent en chômage partiel. Par ailleurs, nous suivons de près les dépenses qui relèvent du champ social. Ces 8 milliards d’euros, qui contiennent les annonces de 4 milliards d’euros faites par le Président de la République à Mulhouse, sont bien là, mais ils ne figurent pas dans le budget de l’État que nous vous proposons d’examiner aujourd’hui.
Ne figure pas non plus dans ce texte, mesdames, messieurs les sénateurs, le dispositif d’annulations de charges évoqué par le Président de la République, notamment lundi soir. Ces annulations iront au-delà du report de charges, qui est général et va évidemment continuer au mois de mai pour l’ensemble des entreprises de France qui le souhaitent et en ont besoin. Vous avez été nombreux à nous solliciter sur ce point ; de fait, la Haute Assemblée aura à se prononcer sur de telles annulations sectorielles, parce qu’il faudra adopter des dispositions législatives pour y procéder.
Depuis que la protection sociale a été créée, on n’a jamais annulé de charges sociales par secteurs. Le Gouvernement a déjà pu, sur autorisation parlementaire, annuler des charges sur un territoire donné, notamment en cas de catastrophe naturelle ; c’est ce que j’ai fait pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy, sur demande du Premier ministre et de vos assemblées, dans les premiers mois de ma présence au ministère. Le Parlement, dans le cadre défini par l’édifice constitutionnel, où cette question fait l’objet d’un contrôle très sourcilleux, peut octroyer des exonérations territoriales spécifiques – c’est le cas des zones de revitalisation rurale, par exemple –, mais nous ne l’avons jamais fait par secteur. Or c’est bien ce que nous allons faire.
Nous avons donc un chemin de crête à trouver entre les annulations qui s’imposent pour les secteurs les plus touchés – le Président de la République les a cités : la restauration, l’hôtellerie, les arts et spectacles, l’événementiel et, de manière générale, les activités touristiques, extrêmement affectées par la crise du coronavirus – et les précautions nécessaires pour que ces mesures soient validées par le Conseil constitutionnel. Il nous faut donc choisir les critères à la fois les plus efficaces et les plus simples, afin d’éviter sur ce point toute dérive technocratique.
Nous avons un double problème, que nous devons résoudre ensemble. Nous vous proposerons, plus tard, une disposition législative à ce sujet, c’est pourquoi, aujourd’hui, j’émettrai un avis défavorable sur les amendements portant sur ce point, afin d’éviter de fragiliser le futur dispositif.
D’abord, nombre d’entreprises ont demandé un report de charges, mais beaucoup ont payé les leurs. Prenons l’exemple des restaurateurs : malgré la fermeture de leur établissement, 40 % d’entre eux les ont payées. Il ne suffit donc pas d’annuler par voie d’amendements ces charges, car cela pénaliserait ceux qui ont joué le jeu.
Je le sais bien, certains de ceux qui ne se sont pas acquittés de leurs charges ont agi ainsi pour des raisons évidentes – ils ne pouvaient pas payer –, mais, selon les experts-comptables, ceux qui avaient de la trésorerie ont payé, alors même que nous avions accordé un délai de cinq jours après l’échéance, pour modifier la déclaration sociale nominative (DSN) et qu’il y a eu des remboursements par les Urssaf.
Par conséquent, il nous paraît inacceptable que l’annulation des charges dans la restauration ne concerne que ceux qui en ont demandé le report et non ceux qui les ont payées. Il faudrait que cela concerne l’ensemble du secteur, mais ce n’est pas facile à faire.
En second lieu, nous devons maintenir les cotisations salariales. En effet, l’annulation des charges ne concerne pas les cotisations salariales, d’abord parce que ces dernières sont payées par le salarié, de manière automatique – un peu comme avec le prélèvement à la source –, lorsque le salaire est perçu, et puis parce qu’elles ouvrent des droits individuels à la retraite et à la protection sociale. Or je ne crois pas que la volonté du Parlement soit de rogner ces droits pour les salariés connaissant des difficultés. Il s’agit donc bien des charges patronales.
En outre, il faut considérer les secteurs. Il y a des secteurs pour lesquels c’est assez simple, comme la restauration. Le Gouvernement a pris un arrêté imposant aux établissements de ce secteur de fermer, avant tout le monde, et nous leur demanderons sans doute de rouvrir après beaucoup d’autres entreprises ; on peut postuler que c’est un fait exceptionnel qui nous pousse à proposer ce secteur.
L’exemple de l’hôtellerie est un peu plus compliqué : ce secteur n’a pas fait l’objet de fermetures par décision gouvernementale. Officiellement, les hôtels sont potentiellement ouverts ; d’ailleurs, parfois, nous les réquisitionnons. Pourtant, très souvent, ils sont vides et ils connaissent de grandes difficultés économiques ; beaucoup ont mis leurs employés au chômage partiel. Du reste, dans nombre de territoires français, la restauration et l’hôtellerie sont liées. Nous devons donc inclure l’hôtellerie dans les secteurs bénéficiant de l’annulation.
Cela nous demande un travail important sur les secteurs à inclure et sur les sous-secteurs qui en sont dépendants. La blanchisserie n’a pas été citée, mais il est évident que ce secteur est en lien avec l’hôtellerie. Les vignerons n’ont pas non plus été mentionnés, mais il est certain que, si les restaurants ne sont pas ouverts, ces producteurs perdent énormément de leur chiffre d’affaires, même si une partie d’entre eux vend quand même au travers de la grande distribution.
Bref, il nous faut faire un travail fin, que le Gouvernement est évidemment disposé à réaliser avec la représentation nationale, en particulier avec les commissions des finances ou des affaires sociales, mais également avec tout sénateur qui le souhaiterait. Nous y travaillons et nous souhaitons disposer d’un maximum de chiffres ; je transmettrai ceux-ci à la représentation nationale dès que je les aurai finalisés.
L’Assemblée nationale a adopté 36 amendements, dont 9 du Gouvernement, qui tendent entre autres à prévoir le relèvement du plafond de l’Unédic. Les dispositions concernées corrigent certaines injustices portant notamment sur les arrêts de travail et sur les indemnités de ceux qui, par exemple, ont arrêté de travailler et qui avaient un enfant à garder. Cela concernait aussi d’autres dispositifs, dont l’octroi de 235 millions d’euros au ministre de l’économie et des finances pour faire face à diverses exceptions à la règle budgétaire que nous nous sommes fixée depuis le mois de décembre, notamment, vous l’avez vu, pour les cirques, les centres équestres et les zoos, qui font vivre beaucoup de nos territoires.
Voilà les quelques mots que je voulais vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, pour montrer que ce projet de loi de finances rectificative représente un moment historique. Jamais le Parlement n’aura autorisé le Gouvernement à engager des crédits conduisant à une dette représentant 115 % du PIB et à un déficit représentant 9,1 % de la richesse nationale. Avec votre assentiment – au moins celui de certains d’entre vous–, ce gouvernement aura porté le déficit budgétaire à 185 milliards d’euros, c’est-à-dire au double du montant présenté il y a encore trois mois dans le projet de loi de finances initiale.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, depuis l’instauration de la République sociale en 1945, et même avant, puisque le Parlement n’a pas eu l’honneur de se réunir pendant l’Occupation – cela rappellera des discussions juridiques, mais elles ont été tranchées depuis bien longtemps, je crois : la France n’était évidemment qu’à Londres –, nous n’avons jamais présenté de tels chiffres. Lorsque la crise de 2009 a éclaté, le déficit constaté à la fin de l’année était d’un peu plus de 7 % du PIB. Or c’était déjà le déficit le plus important depuis la Seconde Guerre mondiale. Nous ne sommes qu’au mois d’avril et le déficit s’élève déjà à plus de 9 %…
Bref, même si c’est l’anniversaire d’Olivier Henno, monsieur le président, nous n’avons pas de quoi nous réjouir aujourd’hui !