M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Joël Guerriau. Monsieur le secrétaire d’État chargé du numérique, les Français confinés utilisent massivement le numérique pour travailler à distance, pour faire leurs achats, pour se divertir ou encore pour échanger avec leurs proches. La géolocalisation peut être par ailleurs un outil pour traquer les déplacements et endiguer la diffusion du Covid-19.
Tout cela pose des problèmes d’éthique, de liberté individuelle et de respect des données personnelles, mais soulève aussi le problème de la souveraineté numérique française.
La situation actuelle révèle et renforce notre dépendance aux Gafam. Ces géants prennent une part de plus en plus prépondérante dans notre économie, sans payer d’impôts à la hauteur de leurs profits.
Les entreprises françaises souffrent pendant que ces géants gagnent des parts de marché. Il serait normal que les entreprises qui, en définitive, bénéficient de cette crise contribuent financièrement à aider celles qui en pâtissent.
Le confinement agit en réalité comme le révélateur de nos faiblesses en matière d’approvisionnement en équipements – cela vient d’être dit – et en médicaments, mais aussi concernant la maîtrise d’internet. Nous devons penser cette crise comme une occasion de modifier notre modèle de développement, trop dépendant d’autres nations dans des domaines majeurs.
Monsieur le secrétaire d’État, comment comptez-vous bâtir la souveraineté française et européenne dans le domaine des hautes technologies du numérique ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du numérique.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur Guerriau, je ne sais que vous dire, si ce n’est que le Gouvernement et moi-même partageons bien évidemment votre préoccupation.
Je ne puis que m’interroger, et même m’inquiéter, quand je vois que, en cette période, l’ensemble des Français, mais aussi les institutions, ont massivement recours aux outils numériques des entreprises américaines. Même l’État, dès lors qu’il s’agit par exemple d’organiser des visioconférences, décide instantanément – c’est peut-être le cas ici aussi – d’utiliser une application américaine, qui, certes, fonctionne très bien, mais qui pose énormément de questions.
Ce que vous dites est totalement fondé. Ce sujet intéresse d’ailleurs beaucoup la Haute Assemblée, qui a mis sur pied une commission d’enquête sur la souveraineté numérique, présidée par M. Montaugé et dont le rapporteur est M. Longuet.
La question de l’émergence de solutions et de champions numériques, français et européens, est au cœur du problème de l’indépendance et du respect des valeurs – vous en avez parlé – de la France et de l’Europe, ce qui corrobore la stratégie qui a été celle du Gouvernement depuis trois ans, parfois un peu raillée sous le terme de « start-up nation » : faire émerger des champions du numérique est indispensable.
On le voit en particulier dans certains secteurs ; je pense à la télémédecine ou à la façon dont, lorsqu’il est devenu nécessaire pour l’éducation nationale de déployer son espace numérique de travail en direction d’un nombre beaucoup plus important d’élèves, la disponibilité de serveurs français a été extrêmement appréciée.
En France, aujourd’hui, sept entreprises sont des « licornes », c’est-à-dire valent plus d’un milliard d’euros. Quatre d’entre elles ont émergé au cours de l’année dernière, en partie grâce à la politique menée par le Gouvernement.
Néanmoins, nous devons accélérer, et la question que vous posez est absolument essentielle en vue de l’après-crise – nous n’y sommes pas encore. Parmi les éléments qui devront fonder la réflexion économique et souveraine de la France et de l’Europe dans l’après-crise figure notre capacité à travailler notre souveraineté dans le domaine sanitaire, tout d’abord et évidemment, puis dans le domaine numérique.
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour la réplique.
M. Joël Guerriau. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, et je me réjouis que vous partagiez cette orientation. Le fait même de l’existence d’un secrétariat au numérique nous donne d’ailleurs, à cet égard, de l’espoir.
J’y insiste d’autant plus que la question se pose dans d’autres domaines, notamment la défense nationale. Nos forces armées et notre police doivent pouvoir disposer d’outils leur permettant de se prémunir contre une attaque terroriste ou de réagir à des cyberattaques. Dans ce domaine, il faut absolument que nous devenions souverains.
J’ai confiance en notre capacité à y travailler tous ensemble et à créer, pour notre pays, un nouveau modèle de développement nous permettant de faire face, en toute indépendance, à des crises comme celle que nous vivons.
relations entre l’état et les collectivités locales
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour le groupe Les Républicains.
M. Philippe Bas. J’aurai deux questions. La première concerne l’organisation de notre pays pour faire face à la crise.
Monsieur le Premier ministre, l’État n’est pas seul face au Covid-19.
Tout d’abord, il y a tous les Français, sans lesquels le confinement ne pourrait être efficace – il faut d’ailleurs saluer l’esprit de discipline dont, globalement, ils font preuve, ainsi que leur esprit de responsabilité individuelle dans l’intérêt collectif.
Ensuite, il y a les collectivités territoriales : les maires, qui assurent la continuité du service aux habitants, qui sont à l’écoute des plus vulnérables et qui fournissent aux écoliers le matériel dont ils ont besoin ; les départements, qui ont mis à la disposition de l’État les laboratoires départementaux et interdépartementaux, afin de réaliser les tests de dépistage, mais qui s’occupent aussi des collégiens et des personnes âgées ou handicapées ; les régions, qui participent au fonds de solidarité que vous avez mis en place.
C’est toute une harmonie qu’il faut réussir à créer entre les différents intervenants, auxquels s’ajoutent les initiatives philanthropiques, nombreuses elles aussi.
La situation qu’a rappelée précédemment notre collègue Durain nous préoccupe tous ; il faut absolument que vous réussissiez à ne pas décourager l’initiative des régions et des départements, et la région Bourgogne-Franche-Comté n’est pas la seule concernée, car il y a d’autres collectivités qui agissent. Ces initiatives doivent être bien coordonnées et harmonisées, et, pour cela, il faut que vous vous en donniez les moyens. Je souhaite donc savoir comment vous allez vous y prendre.
Ma seconde question est très aiguë et immédiate. Nous partageons tous une préoccupation : celle de nos aînés, de nos parents ou, pour les plus jeunes d’entre nous, de nos grands-parents âgés, en particulier ceux qui résident dans les maisons de retraite médicalisées.
La commission des affaires sociales a entendu, ce matin, la présidente de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. Nous constatons que, dans de très nombreuses maisons de retraite, le personnel n’a toujours pas, en nombre suffisant, les masques dont il a besoin pour éviter les contaminations.
Il est très important que le Gouvernement accélère la mise à disposition, pour ce personnel, des équipements qui sont indispensables, afin de faire face au risque d’épidémie mortifère dans les maisons de retraite.
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le sénateur, il y a deux aspects dans votre question : le problème général de la collaboration entre l’État et les collectivités territoriales dans la gestion de cette crise sanitaire et la situation spécifique des personnes âgées en situation de dépendance et, plus généralement, de toutes les personnes fragiles accueillies dans des structures collectives.
Je commence par le premier aspect de votre intervention. Vous avez raison de le dire, dans une crise sanitaire, il y a bien sûr l’État, mais il n’y a pas que lui : il y a la Nation, les collectivités territoriales et les entreprises. Or, heureusement, depuis le début de cette crise sanitaire, nous avons vu, à côté de l’État et souvent en bonne intelligence avec celui-ci, de très nombreuses autres entités, publiques ou privées, s’associer à l’effort collectif.
J’évoquais précédemment le fonds de solidarité ; de quoi s’agit-il, finalement ? D’un réceptacle financier ayant pour objectif d’accompagner les entreprises les plus petites qui se trouvent confrontées à une interruption, complète ou partielle, de leur activité, donc à une difficulté qui met en cause leur existence même. L’État abonde ce fonds – il l’a créé –, il verse les montants correspondant à son premier étage, qui est automatique ; c’est la DGFiP (direction générale des finances publiques) qui s’en charge.
En sus, des entreprises – notamment les assureurs, à hauteur de 200 millions d’euros – sont venues participer à ce dispositif ; elles l’ont fait volontairement, après que nous en avons discuté avec elles, et je les en remercie, car c’est très utile. D’autres entreprises, parfois discrètement et sans l’annoncer, ont également abondé le fonds de solidarité, parce qu’elles considéraient qu’elles devaient participer à cet effort.
Enfin, les régions ont accepté de verser 250 millions d’euros et d’instruire, avec l’État, le deuxième étage du fonds, celui qui doit permettre d’accompagner, un peu plus encore, les entreprises se trouvant dans une situation particulière ou plus difficile, en fonction d’une appréciation qui doit se faire à l’échelon régional et qui peut être observée.
Voilà un exemple – il y en a bien d’autres – de collaboration intelligente entre différentes entités, en particulier entre les collectivités territoriales et l’État.
Je pourrais en citer mille autres. Ainsi, très souvent, les communes ont remarquablement joué le jeu de l’accompagnement des enfants de soignants aux côtés de l’éducation nationale. Certaines ont même complété ou rendu plus efficace le dispositif. D’autres ont proposé des activités périscolaires, qui, là encore, ont pu être incroyablement précieuses pour les soignants ayant besoin de faire garder leurs enfants afin de se consacrer pleinement à leur tâche, notamment à l’hôpital.
Cette collaboration, nous entendons la chérir, la préserver et la développer.
C’est la raison pour laquelle, lorsque je reçois les responsables politiques, je le fais avec les présidents des grandes associations d’élus, de sorte que chacune des strates importantes de collectivités territoriales soit informée et, dans toute la mesure du possible, associée.
Pour ce qui concerne les personnes les plus fragiles accueillies dans des structures collectives, c’est là que se joue, si j’ose dire, la seconde bataille. La première – je l’évoquais précédemment en réponse au président Patriat – est hospitalière ; la seconde se livre dans les Ehpad et dans les structures qui accueillent, notamment, des personnes en situation de handicap.
Pour gagner cette bataille-là, il faut mobiliser des moyens, faire en sorte de pouvoir tester et protéger et mettre en place une logistique très particulière, car il y a, sur l’ensemble du territoire national, plus de 7 000 établissements qui relèvent de cette logique. Le ministre des solidarités et de la santé a indiqué que sa priorité était de développer les tests, notamment virologiques, dans les Ehpad et dans les structures collectives dont nous parlons.
Pour le faire dans de bonnes conditions, il faut évidemment s’appuyer sur les laboratoires départementaux, que vous avez vous-même évoqués.
Nous avons rendu cela possible, et ce n’était pas si simple. Je sais que certains se sont émus du temps qu’il a fallu pour lever les limites qui existaient en la matière ; la vérité, c’est que ce n’était pas si simple, car ces limites ont été instituées par des normes. Ce n’est pas le gouvernement actuel qui a inventé ces dernières et, du reste, elles ne l’ont pas été pour ennuyer le monde ; elles l’ont été pour garantir un certain niveau de sécurité. Cela arrive, et je ne critique personne ; mais, pour lever ces limites, il a fallu, croyez-moi, un certain effort.
Aujourd’hui, c’est possible, et c’est tant mieux. Nous pourrons donc nous appuyer sur ces structures, de la même façon que nous nous appuierons sur elles, grâce à un travail, réalisé en bonne intelligence, du ministre et de l’Association des départements de France, portant sur les structures départementales, afin de collecter les tests et de procéder à leur analyse.
C’est, là encore, un travail en bonne intelligence qui se construit, certes dans des circonstances véritablement uniques dans notre histoire récente et même assez ancienne. Il se passe bien et il doit se dérouler de mieux en mieux.
Quel que soit l’échelon de collectivité considéré, nous devons gagner cette bataille et nous ne la gagnerons pas seuls ; personne ne la gagnera seul. Il faut donc faire en sorte que cette intelligence des territoires, cette coordination des bonnes volontés et des compétences, puisse se faire dans les meilleures conditions.
Je le sais, il y a çà et là des frottements et des différences d’approche ; ce n’est pas anormal et, au fond, cela ne nous surprend pas. L’important est que chacun y mette du sien et que l’on dépasse ces difficultés, pour atteindre le résultat visé.
exonération de charges pour les petites entreprises, les indépendants et les commerces
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour le groupe Union Centriste.
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles.
La crise sanitaire que nous connaissons aujourd’hui débouchera sur une crise économique sans précédent. Dans leur grande marge majorité, les Français, anesthésiés par le confinement et par la peur du virus, n’en ont pas encore conscience, mais la catastrophe économique à venir entraînera de graves conséquences sociales.
Le Gouvernement a pris la mesure de la gravité de la situation, en lançant un premier plan de soutien économique : délais de paiement pour les charges sociales et fiscales, rééchelonnement des crédits bancaires, mobilisation de Bpifrance, simplification et renforcement du chômage partiel.
Parmi les mesures les plus notables, figure la possibilité, pour les entreprises de moins de 50 salariés, les travailleurs indépendants et les micro-entrepreneurs de différer le paiement des charges sociales ou des impôts directs. Cette mesure a offert une respiration salutaire à ses bénéficiaires.
Elle était nécessaire ; elle nous paraît aujourd’hui insuffisante.
La perspective d’un décaissement important à venir de ces sommes est comme une épée de Damoclès suspendue au-dessus de structures dont la pérennité est menacée. Même avec des facilités de paiement, nombre d’entre elles ne pourront pas payer ces charges reportées, n’ayant perçu aucune recette pendant la période de confinement et ne disposant d’aucune réserve ou marge financière dans leur activité.
M. le ministre de l’économie a confié, devant la commission des affaires économiques, réfléchir à l’effacement de certains prélèvements obligatoires pour les indépendants, les TPE et certaines PME. Pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, nous le confirmer ?
Si tel est le cas, nous sommes bien conscients qu’un tel dispositif devrait être strictement encadré, pour éviter fraudes, abus et effets d’aubaine. Ainsi, quels pourraient être, selon vous, les critères à réunir pour bénéficier d’un dégrèvement de dette sociale et fiscale ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Vous l’avez souligné, monsieur le sénateur Delahaye, nous avons mis en place, dans le cadre de cette crise économique, un plan massif d’accompagnement. Celui-ci visait, en premier lieu, à alléger et à soutenir la trésorerie des entreprises, car tout dépôt de bilan procède, à l’origine, d’un problème de trésorerie.
C’était la première étape ; elle était nécessaire et elle devait être immédiatement mise en œuvre. C’est ce que nous avons fait avec le report des charges sociales et fiscales.
Ainsi, à ce stade, nous avons reçu, pour ce qui concerne le report fiscal, plus de 54 000 demandes représentant 45 000 entreprises et 3,2 milliards d’euros de trésorerie apportés, en creux, à ces entreprises ; le report social a concerné, à ce jour, 1,8 million de professionnels représentant 4,7 milliards d’euros.
On le voit, la mesure est massive. Elle s’accompagne du fonds de solidarité des entreprises, dont on commence à voir les paiements arriver sur les comptes en banque des indépendants, ainsi que de cette mesure sur la trésorerie, qui permet aux entreprises le demandant et remplissant les critères de bénéficier d’un crédit de trésorerie qui représente 25 % de leur chiffre d’affaires annuel.
Ce premier temps doit être complété, au mois d’avril, pour poursuivre l’effort engagé.
Il faut également le compléter en anticipant l’identification du point de sortie de la crise, car l’accompagnement ne sera probablement pas de même dimension si la reprise ou le retour à la normale – d’ailleurs, que voudra dire « la normale » ? – a lieu à la fin avril, à la fin mai, ou prend plus de temps. En effet, nous ne sommes pas le seul pays atteint et, vous le savez très bien, nos économies étant toutes très liées, la consommation mondiale ne repartira pas au quart de tour, sans parler des chaînes logistiques, qui sont durement éprouvées.
Oui, nous réfléchissons à des dégrèvements. C’est aujourd’hui possible sur demande ; c’est assez peu utilisé, parce que tout le monde, je pense, est dans une situation d’attente et d’observation, mais cela sera examiné, comme nous le faisons généralement pour les entreprises en difficulté, en revoyant les échéanciers et en abattant des paiements fiscaux.
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour la réplique.
M. Vincent Delahaye. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de nous avoir confirmé que le principe d’une annulation de charges, ciblée sur certaines activités et certaines structures, était envisagé par le Gouvernement.
Nous comprenons que le cadre de cette éventuelle annulation reste à définir. Quels secteurs d’activité, quel type d’entreprise, quelle période prendre en compte ? Le Parlement et le Gouvernement pourraient envisager une réflexion commune pour définir ces critères. Comme toujours, le Sénat est prêt à contribuer à cette indispensable réflexion.
conséquences économiques de la crise sanitaire
M. le président. La parole est à M. Philippe Pemezec, pour le groupe Les Républicains.
M. Philippe Pemezec. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Ce n’est qu’après l’annonce du confinement, le 17 mars dernier, que le Gouvernement a pris un certain nombre de mesures pour protéger les entreprises françaises. À défaut d’avoir su faire face aux premiers assauts de la guerre sanitaire, l’État aura au moins retenu la leçon économique et financière de la crise de 2008.
Une aide forfaitaire et apparemment généreuse a été mise en place pour les TPE, les indépendants et les micro-entrepreneurs, via le fonds de solidarité. Cette mesure est néanmoins insuffisante : de nombreuses TPE devront malheureusement mettre la clé sous la porte. Imaginez un restaurateur sans chiffre d’affaires, qui doit payer ses factures et ses charges !
Les TPE, ne l’oublions pas, représentent 3,3 millions d’entreprises, soit 95 % du tissu économique. Elles emploient 20 % des salariés en France. Elles sont le cœur qui fait battre et respirer nos communes.
Monsieur le Premier ministre, si les banques vous répondent encore, elles ne prennent plus au téléphone nos artisans ni nos commerçants. Et si elles les lâchent, ce sera un abîme dans la fracture territoriale.
J’aurai trois questions.
Premièrement, à l’heure où nous sommes au milieu de la tempête, quelles mesures supplémentaires concrètes, efficaces et immédiates comptez-vous prendre pour ne pas ajouter à la catastrophe sanitaire une catastrophe économique, financière et sociale ?
Deuxièmement, quand utiliserez-vous tout votre poids pour faire pression sur les banques et les assureurs ? Je rappelle que les banques ont été sauvées par l’État, c’est-à-dire par le contribuable, lors de la crise de 2008. Ne serait-il pas normal qu’elles fassent à leur tour un effort ?
Troisièmement, et enfin, vous avez affirmé à l’instant que les communes jouaient le jeu. J’ai été frappé par cette phrase, car les communes ne « jouent » pas ! Elles sont sur le terrain et elles font preuve au quotidien de leur efficacité. Ce sont elles qui sont présentes face à la crise. On ne peut pas dire que l’État, lui, fasse toujours preuve de la même efficacité !
J’espère donc que, au sortir de cette crise, on votera une nouvelle loi de décentralisation pour, enfin, donner le pouvoir à ceux qui ont la capacité de l’exercer correctement au quotidien, comme ils le montrent aujourd’hui.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur Pemezec, vous l’avez rappelé, nous sommes aux côtés des entreprises et nous n’avons pas attendu. L’État a fait montre de sa très grande réactivité, épaulé en cela par la représentation nationale, qui a très vite voté les mesures que nous lui avons proposées.
Aujourd’hui, la trésorerie est en route vers les entreprises, particulièrement vers les TPE. Comme vous le savez, grâce au fonds de solidarité, une aide de 1 500 euros sera versée très rapidement – aujourd’hui, demain ou après-demain – sur les comptes en banque des entreprises. C’est efficace, concret et pertinent !
Ensuite, il faudra bien sûr aller plus loin, car les TPE sont confrontées à la difficulté de devoir payer des charges alors qu’elles enregistrent une absence de chiffre d’affaires. Nous avons donc repris point par point les différents éléments.
Pour faire face à la masse salariale, nous avons mis en place des mesures de chômage partiel. Pour faire face aux problèmes de paiement des loyers, nous avons décidé des mesures pour accompagner les bailleurs, afin qu’ils acceptent des reports, voire négocient des abattements. Pour faire face aux factures d’électricité et d’eau, nous avons pris des mesures spécifiques, afin que les très petites entreprises n’aient pas à les payer immédiatement.
Enfin, les assureurs, comme vous l’avez souligné, participent à cet effort à hauteur de 200 millions d’euros. Je crois savoir qu’ils ont versé ce montant au fonds de solidarité des entreprises auquel nous sommes nombreux à participer, y compris plusieurs collectivités locales.
Non seulement cet argent a été versé, mais les assureurs ont de surcroît accepté de repousser le paiement des primes sans remettre en cause l’intégrité des contrats. C’est un effort solidaire, manifeste et important.
Nous allons continuer en ce sens, en visant spécifiquement les très petites entreprises. Je leur consacre beaucoup de temps ; j’ai encore passé deux heures au téléphone avec les représentants de l’ensemble des fédérations de commerçants, pour discuter de nouveau avec eux des assureurs-crédit, des problèmes liés aux banques et des soucis avec les bailleurs.
Mon objectif est de faire en sorte que la médiation du crédit et la médiation des entreprises soient, sur le territoire, des services d’État, car nous devons tous être mobilisés.
fin de vie dans les ehpad
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le ministre des solidarités et de la santé, la situation dans les Ehpad est particulièrement critique. Les résidents de ces établissements représentent désormais plus d’un quart des personnes décédées du Covid-19 en France.
Je tenais tout d’abord à saluer le courage et l’engagement des personnels, qui, depuis le début de l’épidémie, sont allés travailler, parfois avec « la peur au ventre ». Trop longtemps, en effet, ils ont manqué des moyens de protection nécessaires.
Alors que ces professionnels sont, depuis plusieurs années, confrontés à des difficultés structurelles, dues au manque de moyens financiers et humains, ils ont su trouver les ressources pour faire face de manière admirable à cette crise. J’espère sincèrement que, lorsque viendra « le jour d’après », on ne s’empressera pas de les oublier !
Vous avez annoncé le lundi 6 avril dernier le lancement d’une « vaste opération de dépistage » dans ces établissements. C’est une mesure que je salue : elle permettra de mieux gérer la situation.
L’un des problèmes à traiter en priorité est celui de l’accompagnement des personnes en fin de vie.
Je reprendrai les mots du psychiatre Michel Debout, professeur émérite de médecine légale, qui explique que la présence des membres de la famille dans les derniers instants d’un proche est tout à la fois « la condition psychologique, affective et émotionnelle, pour permettre à la personne âgée de mourir dans la sérénité » et la condition pour « la famille de ne pas ressentir qu’elle a abandonné une dernière fois son parent ».
Il redoute ainsi que « beaucoup de ces familles ne présentent, une fois la crise sanitaire passée, des états de deuil pathologique, qui viendront pour une longue période dégrader leur vie psychique et relationnelle ».
Se pose de la même manière la question de la prise en charge des soignants, au lendemain de la crise.
Je voudrais aussi dire un mot des agents des services mortuaires, derniers maillons de la chaîne du soin. Ils doivent à ce titre pouvoir, comme tous les soignants, bénéficier de toutes les protections face au virus.
Comme le souligne très justement le professeur Debout, « notre humaine condition se construit, depuis la nuit des temps, sur le fait que nous soyons la seule espèce vivante qui enterre ses morts ; cette place donnée aux morts permet de les relier aux vivants et de construire avec eux la chaîne ininterrompue de l’humanité ».
Monsieur le ministre, envisagez-vous de rendre rapidement possible la présence d’au moins un membre de la famille aux côtés du mourant,…
M. Jean-Claude Tissot. … en fournissant, bien sûr, les moyens de protection nécessaires face au risque infectieux.
M. Bruno Retailleau. Bonne question !
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Jean-Claude Tissot, votre question traite de l’humanité avec laquelle on affronte la fin de vie dans des conditions déjà difficiles, puisque près de 100 000 personnes décèdent chaque année en Ehpad, soit environ 300 personnes par jour. Ces établissements sont donc, bien souvent, la dernière demeure des personnes qui y résident.
Ce que vous demandez aujourd’hui est déjà rendu possible. Nous avons autorisé la visite d’un proche dans les derniers instants de la vie d’un résident en Ehpad, comme cela se pratique d’ailleurs également dans les établissements hospitaliers.
Pour ce faire, nous avons fixé, comme vous l’avez esquissé vous-même dans votre question, un certain nombre de conditions en termes d’équipement adéquat, afin de ne pas faire entrer le virus dans l’établissement. Nous avons également décidé d’un parcours spécifique au sein de l’établissement, avec une chambre particulière lorsque c’est possible, également pour éviter tout risque de contamination.
De telles visites sont donc autorisées, et c’est normal. Je ne dis pas qu’elles sont simples à mettre en œuvre, mais les directeurs d’établissement peuvent, en l’état du droit, les permettre.
J’imagine que vous avez été informé d’un problème par rapport à une situation particulière. Dans ce cas, je vous invite à vous tourner vers mon cabinet : je m’engage à faire contacter chaque Ehpad où la situation serait difficile.
Je travaille énormément en lien avec les fédérations d’Ehpad et de services à domicile. Je les remercie d’ailleurs de leur action déterminée. Quoi qu’il en soit, encore une fois, il n’existe pas de blocage d’ordre législatif ou réglementaire au niveau national sur ces questions.
lutte contre les violences intrafamiliales en période de confinement