M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, sur l’article.
M. Fabien Gay. L’article 7 – il compte huit pages, c’est un « gros morceau » – comporte des dispositions auxquelles nous souscrivons, s’agissant en particulier des aides directes ou indirectes aux entreprises, notamment en matière de trésorerie.
En revanche, d’autres enjeux nous paraissent faire débat : les congés payés, le travail dominical, le temps de travail. J’en reviens donc à la question que nous posons depuis le début de ce débat, sans obtenir de réponse : quelle est la durée de l’habilitation, notamment sur les sujets que je viens de citer ?
De fait, la situation n’est pas la même selon que l’habilitation doit durer le temps de la crise sanitaire, trois ou six mois ou jusqu’à la fin de l’année, voire, comme l’un de nos collègues l’a envisagé ce matin en commission des affaires économiques, plus longtemps encore – qui sait, peut-être trois ans ?
Je rappelle que l’habilitation demandée vise toutes les entreprises nécessaires à la reconstruction de la Nation, plus celles qui entrent dans le champ économique et social, soit 99 % des entreprises. Si toutes peuvent déroger pendant trois ans aux règles de congés payés, de travail dominical et de temps de travail, cela nous pose question…
Par ailleurs, madame la ministre, puisque beaucoup de nos concitoyens sont au travail – à l’hôpital, évidemment, et dans tous les services publics, notamment de sûreté et de sécurité, mais aussi dans le secteur privé –, nous pensons que les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT, ou plutôt ce qu’il en reste, ou les comités sociaux et économiques, les CSE, doivent pouvoir se réunir dans les meilleures conditions possible pour examiner, notamment, les enjeux d’hygiène et de sécurité sanitaire.
Or on nous alerte que, dans nombre d’entreprises, les directions refusent de réunir ces instances. Madame la ministre, nous vous demandons d’agir à cet égard, par exemple par décret.
Enfin, le ministre de l’économie a ouvert un débat sur des nationalisations, partielles ou totales. M. Retailleau a d’ailleurs abondé dans son sens. Pour notre part, nous sommes assez à l’aise avec cette idée de mise en commun, plutôt que de concurrence… Nous sommes disponibles pour y travailler, notamment dans les domaines du transport, de l’énergie et des médicaments, sans oublier les banques et assurances, qui doivent être solidaires dans cette crise.
J’ajoute que, pour toutes les dispositions dérogatoires qui vont être prises, dès aujourd’hui et après la crise, il est nécessaire de mettre en place un comité de suivi, et même davantage : un comité de pilotage.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, sur l’article.
Mme Françoise Gatel. Contrairement aux salariés du secteur privé, les agents publics atteints par le Covid-19 ne bénéficient du maintien de leur rémunération qu’à partir du deuxième jour d’arrêt maladie, car ils se voient appliquer le jour de carence prévu pour les fonctionnaires. Il s’agit là, nous semble-t-il, d’un traitement inéquitable.
Madame la ministre, votre collègue Olivier Dussopt se serait engagé à demander par voie de circulaire aux employeurs publics de faire preuve de souplesse en la matière. Si l’intention est bonne, l’acte serait un peu léger, une circulaire n’ayant pas force de loi. Quelles dispositions comptez-vous prendre pour ne pas pénaliser les serviteurs de l’État et tous les agents publics, aujourd’hui très souvent mobilisés au front ?
M. le président. L’amendement n° 65, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Compléter cet alinéa par les mots :
, et, le cas échéant, à les étendre et à les adapter aux collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Cet amendement vise à étendre aux collectivités territoriales d’outre-mer le champ de l’habilitation donnée au Gouvernement dans les domaines économique, financier et social. En effet, certaines adaptations devront être prévues pour tenir compte des compétences de ces collectivités.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. L’amendement n° 66 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après les mots :
activité économique et
insérer les mots :
des associations ainsi que
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Il s’agit de préciser la rédaction du 1° de l’article 7, en mentionnant les associations.
La formulation actuelle, visant les personnes physiques ou morales exerçant une activité économique, laisse subsister une certaine ambiguïté. Or les mesures prises concernent bien l’ensemble du secteur privé, lucratif et non lucratif.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. L’amendement n° 67, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 3
1° Remplacer les mots :
aux entreprises
par les mots :
à ces personnes
et les mots :
ces entreprises
par les mots :
ces personnes
2° Compléter cet alinéa par les mots :
, les collectivités relevant de l’article 74 de la Constitution et la Nouvelle-Calédonie
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. L’amendement vise à préciser que le fonds de solidarité pour les entreprises, auquel concourent l’État et les régions, pourra être mis en œuvre aussi dans les collectivités d’outre-mer autonomes – Polynésie française et Nouvelle-Calédonie.
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Ayant opposé l’irrecevabilité à plusieurs amendements tendant à élargir l’habilitation, je ne puis à mon tour prendre une initiative, mais seulement, madame la ministre, essayer de vous convaincre…
Je vous suggère donc d’étendre votre amendement à toute autre collectivité territoriale ou à tout établissement public volontaire. C’est une latitude dont, je pense, vous aurez besoin.
M. le président. Madame la ministre, acceptez-vous de rectifier votre amendement dans le sens suggéré par M. le rapporteur ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Oui, c’est une bonne initiative. Les régions se sont tout de suite engagées pour abonder le fonds de solidarité, mais d’autres collectivités territoriales seront certainement prêtes à y concourir aussi.
M. le président. Il s’agit donc de l’amendement n° 67 rectifié, présenté par le Gouvernement, et ainsi libellé :
Alinéa 3
1° Remplacer les mots :
aux entreprises
par les mots :
à ces personnes
et les mots :
ces entreprises
par les mots :
ces personnes
2° Compléter cet alinéa par les mots :
, les collectivités relevant de l’article 74 de la Constitution et la Nouvelle-Calédonie et toute autre collectivité territoriale ou établissement public volontaire
Je le mets aux voix.
(L’amendement est adopté.)
M. Philippe Bas, rapporteur. Très bien !
M. le président. L’amendement n° 54 a été déclaré irrecevable.
L’amendement n° 68, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Après le mot :
notamment
insérer les mots :
en adaptant de manière temporaire le régime social applicable aux indemnités versées dans ce cadre,
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Il convient que le régime social des indemnités d’activité partielle fasse l’objet d’une adaptation temporaire. Notre intention est de favoriser l’activité partielle aussi pour les salariés à temps partiel, ce qui est aujourd’hui très difficile.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. L’amendement n° 58 a été déclaré irrecevable.
Je suis saisi de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 62 n’est pas soutenu.
L’amendement n° 56, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. L’alinéa 7 autorise les employeurs à imposer unilatéralement des jours de congé aux salariés. Cette disposition remet en cause de manière grave et disproportionnée les droits des salariés, sur un sujet extrêmement sensible et qui va le devenir davantage encore pendant et à l’issue de la période de confinement.
Aujourd’hui, des entreprises imposent ou tentent d’imposer à leurs salariés de poser leurs jours de congé pendant la période de confinement. Non seulement, donc, ces salariés seraient confinés, comme tous les autres, mais, en outre, à l’issue de la période de confinement, ils seraient privés de la possibilité de prendre leurs congés, notamment cet été…
Nous sommes inquiets de cette disposition, qui constitue une attaque contre les droits des salariés qui est d’autant plus grave qu’elle repose sur une décision unilatérale des employeurs. (Mme Sophie Primas s’exclame.)
Je rappelle que la Cour de justice de l’Union européenne, s’appuyant sur l’Organisation internationale du travail, a fait du droit au congé un principe du droit social de l’Union européenne.
Pour toutes ces raisons, nous considérons que cet alinéa doit être supprimé.
M. le président. L’amendement n° 29, présenté par MM. Kanner et Jomier, Mmes Rossignol et de la Gontrie, MM. Leconte, Sueur, Éblé, Carcenac, Montaugé, Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 7
1° Supprimer les mots :
modifier les conditions d’acquisition de congés payés et
2° Après le mot :
employeur
insérer les mots :
lorsque le recours au télétravail est impossible ou pour éviter le recours à l’activité partielle
3° Supprimer le mot :
unilatéralement
La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. L’alinéa 7, relatif aux congés payés et aux jours de réduction du temps de travail, nous paraît déroger au droit du travail de manière exagérée : il va jusqu’à modifier les conditions d’acquisition des congés payés, sans proportionnalité et sans se limiter aux entreprises touchées par la crise due à l’épidémie en cours.
Pour notre part, nous pensons que ces dispositions doivent être réservées aux entreprises réellement en difficulté, qui ont besoin de mettre une partie de leurs salariés au chômage partiel. Par ailleurs, elles doivent être limitées à la durée de la crise sanitaire.
Dans cet esprit, nous proposons de limiter et de mieux encadrer les mesures prévues, au bénéfice des salariés. Il n’est pas question d’ouvrir la voie à une réduction disproportionnée et généralisée des droits des travailleurs aux congés !
M. le président. L’amendement n° 57, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. L’alinéa 8 vise les entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation – je vois de quoi il s’agit –, mais aussi à la continuité de la vie économique et sociale. Je le répète : si l’on prend cette disposition au pied de la lettre, plus de 95 % des entreprises sont concernées. Est-ce que je me trompe, madame la ministre ?
À toutes ces entreprises, on va donc permettre de déroger aux règles du code du travail et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical… Une fois de plus, de demande : pour combien de temps ?
J’insiste d’autant plus que « les entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation », ce sont celles qui, jusqu’à il y a peu, avaient un statut : ce sont les gaziers-électriciens, les cheminots et traminots, mais aussi les forces de sûreté et de sécurité, toutes celles et tous ceux qui ont parfois été montrés du doigt, alors qu’ils travaillent déjà beaucoup plus que les autres les dimanches, les jours fériés et les week-ends, pour assurer la continuité du service public.
Madame la ministre, si ce ne sont pas ces salariés qui seront concernés par les dérogations, il faut nous dire précisément à quelles entreprises vous pensez.
Si les mesures sont limitées à la durée de ce que nous appelons la crise sanitaire, nous pouvons entendre un certain nombre d’arguments. Mais ne resteront-elles pas en vigueur plusieurs mois, peut-être jusqu’à l’été ou même en décembre prochain, voire au-delà ? Madame la ministre, nous avons besoin d’une réponse !
M. le président. L’amendement n° 30, présenté par MM. Kanner et Jomier, Mmes Rossignol et de la Gontrie, MM. Leconte, Sueur, Éblé, Carcenac, Montaugé, Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Après les mots :
vie économique et sociale
insérer les mots :
dont la liste est définie par décret
La parole est à M. Jean-Claude Tissot.
M. Jean-Claude Tissot. Si l’alinéa 8 n’est pas supprimé, il convient au moins, pour les raisons que vient d’expliquer M. Gay, que la liste des entreprises concernées soit définie par décret. Il est évident qu’il faut préciser quels secteurs doivent être privilégiés.
M. le président. L’amendement n° 103, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Remplacer les mots :
du code du travail
par les mots :
d’ordre public
La parole est à Mme la ministre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Le projet de loi autorise le Gouvernement à agir par voie d’ordonnance pour, en réalité, faciliter le maintien dans l’emploi, en modulant les conditions de mise en congés payés, les conditions horaires de travail, les conditions du repos hebdomadaire et celles du repos dominical.
En particulier, il s’agit d’imposer à des salariés de prendre certains congés payés, ce qui vaut mieux pour eux que le chômage partiel, lequel, même s’il est amélioré, est moins favorable du point de vue de la rémunération. En ce qui concerne la durée du travail, du repos hebdomadaire et du repos dominical, il convient de ménager quelques souplesses permettant de maintenir l’activité, donc la rémunération des salariés.
Toutes ces dispositions ne peuvent être justifiées que par les difficultés nées de la crise économique causée par l’épidémie à laquelle nous sommes confrontés.
Nous sommes défavorables à l’ensemble des amendements en discussion commune, à l’exception de celui du Gouvernement, dont je parlerai dans quelques instants. En effet, nous considérons qu’il est profitable aux salariés de permettre l’aménagement des conditions d’exercice de leur activité et de leur mise en congé, de telle sorte qu’il ne soit pas nécessaire de les mettre au chômage technique.
Au reste, madame la ministre, les dispositions que vous prendrez seront strictement limitées. La commission des affaires sociales, sous l’égide de son président, Alain Milon, a prévu des garanties supplémentaires en ce sens, en particulier l’impossibilité pour un employeur d’obliger un salarié à prendre plus de six jours de congés payés. Cette disposition est de nature à apaiser la crainte des salariés désireux de conserver des congés pour la période qui suivra la crise, parce qu’ils en ont besoin pour leur vie familiale ou pour reconstituer leurs forces.
S’agissant de l’amendement du Gouvernement, je ne vous ferai pas de reproche, madame la ministre, car nous travaillons tous dans des conditions de délai très contraintes ; mais je vous demanderai de faire preuve d’indulgence à l’égard de la commission des lois et de la commission des affaires sociales, qui n’ont pas eu le temps de prendre connaissance de votre amendement, à mon avis pourtant très intéressant, avant la séance publique…
C’est donc à titre personnel que j’émets un avis favorable sur cet amendement, dont l’adoption permettra aux entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la continuité de la vie économique et à la sécurité de la Nation pour lesquels les règles d’ordre public en matière de durée du travail sont régies par d’autres codes que le code du travail, en particulier les codes de l’agriculture et des transports, de bénéficier elles aussi des simplifications et des dérogations mises en place pour faciliter l’activité. Dans l’agriculture et les transports aussi, on a besoin de souplesse pour faire face à la crise.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. L’amendement du Gouvernement a été excellemment présenté par le rapporteur. Il s’agit simplement d’étendre les possibilités de dérogation aux secteurs régis par d’autres codes que le code du travail, notamment ceux de l’agriculture et des transports.
En ce qui concerne les congés, il faut bien se placer dans le contexte de la crise que nous vivons, une crise non seulement sanitaire, mais aussi, par voie de conséquence, économique.
Il est clair que tout le monde est mobilisé dans un esprit d’unité nationale : l’ensemble du secteur économique doit consentir des efforts, pour être la base arrière du front sanitaire sur lequel nos soignants se battent tous les jours. C’est dans cet esprit de civisme que j’ai demandé aux entreprises de faire tout leur possible pour investir massivement dans la protection des salariés, tout en continuant leur activité autant que possible, là où c’est possible, afin d’éviter une rupture brutale de la vie économique.
Dans le même esprit de mobilisation, il nous a semblé que, dans une période de crise, il était possible de demander à des salariés de prendre une semaine de congés payés – la mesure ne concerne pas tous leurs congés –, avant d’être placés au chômage partiel. De nombreuses entreprises sont en train d’en discuter par le dialogue social.
Le code du travail autorise déjà une entreprise à imposer des dates de congés payés, avec un délai de prévenance de quatre semaines. Nous ne créons donc pas cette possibilité : nous souhaitons simplement qu’elle puisse être mise en œuvre, lorsque c’est nécessaire, sans la condition de délai, qui n’a pas de sens en période de crise.
J’insiste : les congés ne sont pas annulés ; seulement, les salariés les prendront à la date fixée par l’entreprise. Nous visons une durée d’une semaine environ.
S’agissant de la durée du travail, le projet de loi renvoie à un décret pour définir non pas les secteurs eux-mêmes, mais les critères permettant de les déterminer, ce qui nous donnera une plus grande souplesse. En effet, sur le plan économique comme sur le plan sanitaire, nous allons faire face, jour après jour, semaine après semaine, à des situations nouvelles.
Bien sûr, les dérogations seront consenties dans des cas plutôt rares. Dans nombre de secteurs, l’heure n’est pas à augmenter le temps de travail… La question se pose dans les secteurs indispensables, comme l’agroalimentaire, la logistique ou la production de matériels médicaux. Cette journée dérogatoire provisoire est entièrement liée à la crise sanitaire : elle durera autant que la crise, peut-être juste un peu plus longtemps, s’il faut assurer un rebond très rapide, par exemple dans le secteur alimentaire.
J’émets donc un avis défavorable sur tous les amendements qui ont été présentés, à l’exception de celui du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. Sauf accord d’entreprise ou de branche sur un système différent, les droits à congés payés des salariés s’acquièrent du 1er juin de l’année précédente au 31 mai de l’année en cours. À cette période de l’année, donc, la plupart des congés payés ont été consommés.
Sans doute, un certain nombre d’entreprises permettent d’en prendre sur l’exercice suivant, mais je ne pense pas que, aujourd’hui, même avec ce dispositif, une entreprise puisse obliger un salarié à prendre par anticipation des congés qui ne seront acquis qu’à partir du 1er juin prochain.
Voilà qui limite quelque peu la portée du dispositif prévu par le Gouvernement, mais qui, aussi, est de nature à rassurer nos collègues.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.
Mme Sophie Taillé-Polian. Madame la ministre, vous parlez d’union nationale et de la nécessité de faire en sorte que tout le monde ait le sentiment d’être dans le même bateau, pour lutter contre cette épidémie. Seulement, dans de nombreux secteurs, un fort sentiment d’injustice règne aujourd’hui, contre lequel il faut lutter.
Certains sont obligés d’aller travailler, dans des conditions parfois difficiles, et ne se sentent pas suffisamment protégés. D’autres sont contraints au confinement, dans des conditions également difficiles, parce que leur logement est exigu. Pendant ce temps, d’autres peuvent télétravailler ou disposent de logements plus vastes.
Dans ce contexte, les mesures en matière de congés payés, la possibilité de piocher dans le compte épargne-temps et les dérogations envisagées au temps de travail suscitent des inquiétudes, qui sont à mon sens légitimes, au regard des droits acquis des salariés. C’est pourquoi nous soutenons les amendements tendant à préciser la portée des dispositions prévues.
Nous nous interrogeons aussi sur l’opportunité de procéder par ordonnances sur des sujets aussi sensibles et à un moment où, vous le savez, madame la ministre, bon nombre de salariés expriment des inquiétudes graves quant à leurs conditions de travail, de télétravail ou de confinement, et où règne un sentiment d’injustice sociale par rapport aux situations faites aux uns et aux autres en matière de conditions générales de vie. Le Gouvernement doit être très attentif à ces problèmes.
Par ailleurs, madame la ministre, vous avez mentionné la nécessité d’assurer un rebond économique par l’augmentation du temps de travail. Je rappelle que la limitation de la durée du travail vise aussi à protéger la santé des salariés. Prenez garde à l’image que votre politique et votre demande d’habilitations à légiférer par voie d’ordonnance renvoient en termes de protection des salariés dans ce contexte de crise.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Les enjeux soulevés sont graves. C’est que, madame la ministre, vous souhaitez permettre – disons-le – à la totalité des entreprises de notre pays de déroger aux règles, comme notre collègue Fabien Gay l’a fort bien expliqué. (Mme la ministre fait un geste de dénégation.)
Vous semblez en désaccord, madame la ministre. Mais quelles sont donc les entreprises que l’on ne pourrait faire entrer dans la catégorie « Vie économique et sociale du pays » ? À la vérité, cet article vise à la fois les entreprises dont on identifie le périmètre comme nécessaire à la sécurité de la Nation et les autres – toutes les autres.
En outre, votre amendement vise à renforcer encore les inquiétudes que peut soulever votre texte. S’il s’agit d’élargir le champ, vous pouviez citer les codes concernés. En réalité, il s’agit d’ordre public, c’est-à-dire du noyau dur des règles préservant l’intérêt du salarié.
De fait, vous souhaitez que puissent être reniées et rognées des règles qui sont au cœur de la protection du salarié, dans une circonstance difficile et dans 100 % des entreprises du pays !
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Madame la ministre, il est temps, en effet, d’adapter les règles et conditions de travail, parce que, après quelques jours de sidération, les entreprises ne savent plus comment faire, et les employés non plus.
Les employeurs sont inquiets, parce que les règles ne sont pas définies : on ne sait pas quelles entreprises doivent ou non travailler. Quant aux employés, certains sont pleins de bonne volonté et veulent travailler, mais ils se demandent s’ils ne font pas courir des risques à leur famille.
Vos ordonnances devront donc préciser les règles. Les entreprises doivent-elles travailler, sauf à telle ou telle condition ? Ne doivent-elles pas travailler, sauf à telle ou telle condition ? Il est temps de définir précisément la stratégie, pour sortir de cette confusion totale.
Vous avez pris des mesures d’urgence, en disant à nos concitoyens : « Restez confinés chez vous », et aux entreprises : « On s’occupera de tout et on paiera, quel qu’en soit le coût ». Dans ces conditions, certaines entreprises se disent qu’il vaut peut-être mieux rester au chômage ou en activité partielle, plutôt que de faire courir des risques aux employés ou de réaliser un chiffre d’affaires qui remettrait leur existence en cause. L’urgence passée, il faut maintenant fixer un véritable cadre !
Par exemple, dans le cadre des mesures d’urgence, vous avez décidé, d’ailleurs à juste titre – ce n’est pas une critique –, qu’un employé fragile pourrait, en cochant une case sur Ameli, décider de ne pas se rendre au travail à raison de sa pathologie.
Comme mesure d’urgence, c’est bien, mais, ensuite, des contrôles doivent être mis en place. D’un côté, celui qui a un petit diabète peut décider de ne pas aller travailler : je coche et, hop, c’est terminé ! De l’autre, celui qui a une pathologie grave, mais qui veut travailler peut se rendre à son poste, alors qu’il devrait rester chez lui… Il faut donc que, dans les vingt-quatre ou quarante-huit heures, le médecin traitant ou le médecin du travail valide, ou non, le dispositif.
Il s’agit d’exemples pratiques, mais essentiels, parce qu’ils illustrent une situation de complète confusion, qui risque de provoquer des conflits sociaux, à l’heure où nous avons besoin non pas de diviser nos concitoyens, mais de les rassembler.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. J’ai l’impression qu’il va falloir quelque peu hausser le ton… On essaie de nous endormir, en disant : « Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer, on ne veut de mal à personne ». Mais, concrètement, les dispositions dont nous parlons ouvrent toutes les possibilités de déroger à des éléments importants du code du travail !
D’ailleurs, le Conseil d’État l’a bien relevé à propos de l’alinéa 7 :
« En ce qui concerne plus spécifiquement la possibilité de dérogation aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical, ainsi que les conditions d’acquisition des congés payés et d’utilisation du compte épargne-temps du salarié, le Conseil d’État rappelle qu’il ressort de la jurisprudence constitutionnelle que le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant. Il appartiendra au Gouvernement, lors de la préparation de l’ordonnance à intervenir, de veiller à ce qu’une atteinte excessive ne soit pas portée aux contrats en cours. »
Vous prétendez nous rassurer, madame la ministre, mais, dans le texte, rien ne nous rassure ! Je vais vous poser une question concrète, sur les congés payés. Des salariés sont actuellement confinés, obligés de garder leurs enfants, par exemple des caissières de supermarché : au mois de juillet prochain, leur expliquera-t-on qu’ils doivent continuer à travailler, parce que l’intérêt de l’entreprise est qu’ils prennent leurs congés à un autre moment ?
Il faut dire clairement aux salariés qui subissent cette situation si, dans deux ou trois mois, ils pourront prendre leurs congés d’été.