M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Monsieur le ministre, vous nous dites que vous faites confiance au comité scientifique – vous avez sûrement raison –, en précisant qu’il s’agit d’un outil d’une grande souplesse pour favoriser les bonnes prises de décision de la part de l’exécutif.
Toutefois, je veux vous rappeler quelques faits. Jeudi 12 mars dernier, ce comité scientifique nous explique que 47 millions de Français peuvent se déplacer sans aucun problème le 15 mars. Dans sa déclaration du 14 mars au soir, le Premier ministre confirme cet avis, tout en annonçant la fermeture des restaurants et des cafés… Nous allons donc voter. Puis, le 16 mars, le même comité scientifique propose le confinement.
Il y a sûrement beaucoup de cohérence dans tout cela… Il faudra un jour l’expliquer aux Français ! À mon sens, le fait que des parlementaires soient associés à ce travail sera une garantie de transparence.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le ministre, je vous avoue que vos propos m’inquiètent un peu.
Depuis tout à l’heure, on nous dit en substance que le Parlement n’a pas à être informé. Le délai de douze jours après la déclaration de l’état d’urgence sanitaire n’existe plus – il est porté à un mois. À présent, vous refusez la présence de parlementaires au sein d’un comité de suivi. On peut légitimement se poser cette question : à quoi sert le Parlement aujourd’hui ?
Nous sommes la représentation nationale et nous sommes, nous, Sénat, la chambre des collectivités territoriales. Or, je le rappelle, ce sont les élus locaux qui sont, le plus souvent, confrontés directement à cette crise sanitaire.
Bien entendu, il ne s’agit pas de freiner les travaux du comité scientifique, mais le Parlement aurait toute sa place dans cette instance. On ne peut pas renoncer à la possibilité de donner notre avis et d’exposer notre point de vue, même si nous faisons confiance au comité scientifique. Il ne s’agit en aucun cas de mettre en cause sa compétence, mais nous existons. Aussi, existons vraiment !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le ministre, de toute évidence, nous avons du mal à trouver le bon ajustement pour le comité scientifique : ce comité ad hoc est créé par le projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, mais d’une certaine manière il existe déjà. En effet, je n’imagine pas que les décisions prises par les pouvoirs publics, qu’il s’agisse de la direction générale de la santé, de vous-même ou de votre prédécesseur, aient jamais été retenues sans que l’avis des scientifiques ait été préalablement recueilli.
En outre – c’est précisément pourquoi il s’agit d’un comité ad hoc –, selon la nature de la crise sanitaire, l’on ne fait pas appel aux mêmes scientifiques.
En fait, l’hésitation qui se manifeste en cet instant est palpable depuis plusieurs jours. Pour ma part, j’ai été étonnée d’entendre le Président de la République déclarer, jeudi dernier : « Le comité scientifique m’a recommandé de maintenir les élections municipales », puis annoncer : « Le comité scientifique m’a recommandé de ne pas maintenir le second tour des élections municipales ».
Là n’est pas le rôle de cette instance ! Le comité scientifique informe quant à la nature du virus, à l’expansion de la pandémie, à la progression du nombre de décès, à la manière dont on avance pour traiter l’épidémie. Mais, maintenir ou non les municipales, c’est une décision purement politique : c’est la responsabilité du Gouvernement, c’est presque une décision d’ordre public.
Soyons vigilants : au fil des jours, le comité scientifique apparaît comme un paravent, voire comme un ministre bis. Mais je ne voudrais pas interrompre la conversation entre M. le ministre, qui, au demeurant, tourne le dos à M. le président, et M. le président du groupe La République En Marche…
Mme Laurence Rossignol. Ce n’est pas si grave, monsieur le ministre : si vous ne m’écoutez pas, peut-être m’entendez-vous néanmoins !
Quelle que soit la manière dont le présent texte organisera ce comité, vous ne pourrez pas continuer à faire peser sur cette instance les décisions politiques que vous prenez. Confirmer ou non les élections, instaurer ou non un couvre-feu, ce sont des décisions purement politiques, relevant de l’ordre public. Les scientifiques vous conseillent le confinement ; à vous de prendre les décisions politiques pour l’organiser !
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour explication de vote.
M. Alain Milon. Premièrement, je tiens à réagir aux propos de M. Kanner.
Il est exact que, le 12 mars dernier, le comité scientifique a conseillé de maintenir le premier tour des élections municipales. Toutefois, les scientifiques ayant déclaré que le scrutin ne présentait pas de dangerosité, je me demande comment des parlementaires siégeant éventuellement au sein du comité auraient pu aller contre leur avis. Je ne suis donc pas sûr que le Gouvernement aurait pris, en définitive, une décision différente.
Deuxièmement – monsieur le ministre, je vous donne ce conseil en vue des futures crises, que je ne souhaite bien sûr pas, mais qui risquent de survenir –, il me semblerait plus utile que le comité scientifique comprenne des gens de terrain : des praticiens hospitaliers – comme vous, par exemple –, des médecins généralistes, des infirmiers, des personnes qui sont au contact direct de la crise et qui, elles, la voient évoluer jour après jour, alors que les scientifiques sont souvent plongés dans leurs études.
Rejoignant l’avis de la commission des lois et du Gouvernement sur ce sujet, je ne voterai pas ces amendements. Mais je souhaite que, à l’avenir, les acteurs de terrain soient eux aussi associés au comité scientifique.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre. Madame Assassi, j’ai le plus grand respect pour le Parlement et les parlementaires. Je suis au Sénat depuis quatorze heures trente ; aussi, depuis plus de huit heures, je ne me suis pas rendu au sein de la cellule de crise sanitaire, je n’ai pas vu mes équipes et je n’ai pas rencontré le directeur général de la santé.
Je suis parmi vous, dans l’hémicycle de la Haute Assemblée. J’ai passé cette journée avec vous,… (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)
Mme Éliane Assassi. C’est normal !
M. Olivier Véran, ministre. … ce qui est tout à fait normal, en effet : il y va du fondement de la démocratie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. C’est votre travail !
M. Olivier Véran, ministre. Certes, mais c’est aussi mon travail que d’être avec mes équipes, en cellule de crise sanitaire, quand la contagion gagne du terrain. Les hôpitaux ont aussi besoin de leur ministre… Mais au cas où un doute subsisterait quant au respect que j’éprouve pour le Sénat, je le répète : je suis avec vous depuis quatorze heures trente.
Monsieur Milon, le conseil scientifique comprend déjà des médecins de terrain, notamment un médecin généraliste, le docteur Pierre-Louis Druais, des praticiens venant de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) ou encore d’hôpitaux de province. Tels sont les profils retenus : à la fois médecins de terrain et chercheurs spécialisés dans des problèmes très pratiques. Siègent également, au sein du comité, un sociologue et une anthropologue spécialiste des réseaux sociaux.
Nous avons souhaité disposer d’un groupe de personnes homogène dans sa manière de fonctionner, mais hétérogène dans ses modes de penser et certainement pas politisé. Personne n’a émis de doute à cet égard, mais je tiens à rassurer tout le monde : nous n’avons pas regardé le pedigree politique des uns et des autres.
Madame Rossignol, vous avez raison de le dire : ce n’est pas le conseil scientifique qui décide. D’ailleurs, personne n’a prétendu que c’était le cas. (Mme Laurence Rossignol manifeste son scepticisme.) Non ! Je vous mets au défi de trouver une seule intervention du Président de la République, du Premier ministre ou de moi-même laissant entendre que le conseil scientifique a pris une décision. Je dis exactement l’inverse.
J’ai précisément abordé cette question avec le professeur Jean-François Delfraissy, qui est par ailleurs président du Comité consultatif national d’éthique. Il est donc habitué à éclairer les pouvoirs publics à l’heure où ils prennent des décisions qui engagent la société tout entière – je pense notamment aux questions de bioéthique. Ce n’est pas en cette qualité qu’il siège au conseil scientifique ; mais je vous signale que ce mécanisme existe déjà, qu’il a déjà été introduit dans le droit.
J’y insiste, nous voulons que ce conseil scientifique soit réactif. Au sujet des élections municipales, je lui ai relayé la question que les Français nous posaient.
Jeudi dernier, j’ai demandé à ses membres : d’après vous, scientifiquement, le premier tour doit-il avoir lieu ? Ils pourront vous répéter ce que je leur ai dit : « N’internalisez certainement pas la contrainte politique. Tel n’est pas votre rôle, vous n’êtes pas à notre place. D’un point de vue scientifique, épidémiologique, sociologique, médical, le fait d’aller voter présente-t-il ou non un surrisque, étant donné la situation et les mesures de confinement partiel proposées ? » Leur réponse a été non.
Samedi dernier, je leur ai de nouveau posé la question, après l’intervention du Président de la République, considérant que la situation épidémiologique avait pu évoluer. Je leur ai répété : « Oubliez que les élections ont lieu demain, ce n’est pas votre problème. Vous êtes là pour nous dire, comme médecins, comme scientifiques : oui ou non, doit-on reporter le scrutin ? Si votre réponse est affirmative, nous en tiendrons forcément compte. Cela ne signifie pas que c’est vous qui décidez ; mais, si vous avez des arguments en faveur d’un report, il est important de nous les donner maintenant. » Leur réponse a été non.
Monsieur Laurent, tout ce travail est transparent. Vous nous dites que vous êtes contraint de vous informer par la presse. Les membres du conseil scientifique se sont engagés en signant une déclaration préalable d’intérêt.
En revanche, ils n’ont pas signé de clause les empêchant de communiquer. D’ailleurs, plusieurs d’entre eux se rendent régulièrement sur les plateaux de télévision et dans les studios radiophoniques. C’était le cas hier, c’est encore le cas aujourd’hui. Enfin, je leur ai demandé de dresser systématiquement des comptes rendus écrits et exhaustifs de l’ensemble de leurs avis. Ces documents sont publiés ; ils sont totalement publics.
Vous pouvez chercher dans les annales : c’est la première fois que nous fonctionnons ainsi, de manière progressive et en toute transparence. Nous procédons ainsi depuis le premier jour, et nous continuerons jusqu’au dernier jour de la crise.
La dernière étape de la transparence consiste à dire : ce comité fonctionne bien, nous en avons besoin, mais nous voulons aussi que le Parlement dispose d’un droit de regard à son sujet. C’est précisément pourquoi nous proposons d’introduire ces dispositions dans le droit !
M. le président. L’amendement n° 49, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 33
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« À compter de la promulgation de la loi n° … du … d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, il est instauré un comité national de suivi de l’état d’urgence sanitaire, composé du Premier ministre, des ministres compétents, du directeur général de la santé, de deux représentants du comité de scientifiques, d’un représentant par formation politique représentée au Parlement et d’un représentant par association nationale d’élus locaux. » ;
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Compte tenu de la discussion que nous venons d’avoir, cet amendement est défendu, monsieur le président. Je tiens simplement à soutenir les propos de Mme Goulet.
En 2015, lorsque l’état d’urgence a été déclaré, le ministre de l’intérieur a pris la précaution de réunir un comité de suivi. De mémoire, ces réunions hebdomadaires se sont relativement bien passées et nous avons pu en tirer des éléments intéressants, même si la situation était différente. Le gouvernement d’alors – Dieu sait ce que j’en pense par ailleurs ! – avait créé les conditions pour que le Parlement soit tout de même associé, dans les grandes lignes, aux décisions prises à la suite des attentats.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 63 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 36
Après les mots :
des articles
insérer la référence :
L. 3131-1,
II. – Après l’alinéa 36
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Les agents mentionnés aux articles L. 511-1, L. 521-1, L. 531-1 et L. 532-1 du code de la sécurité intérieure peuvent constater par procès-verbaux les violations des interdictions ou obligations mentionnées à l’alinéa précédent lorsqu’elles sont commises sur le territoire communal, sur le territoire de la commune de Paris ou sur le territoire pour lesquels ils sont assermentés et qu’elles ne nécessitent pas de leur part d’actes d’enquête.
III. – Alinéa 37
Après les mots :
des articles
insérer la référence :
L. 3131-1,
La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre. Il s’agit d’étendre le pouvoir de contravention, en cas d’infraction aux limitations de sortie, aux polices municipales et aux agents de la ville de Paris. Ainsi, l’action engagée sera pleinement efficace.
Au cours des vingt-quatre premières heures d’application du confinement généralisé, près de 4 000 contraventions ont déjà été dressées en France.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Favorable !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Monsieur le ministre, cet amendement est savoureux !
Nous avons récemment débattu dans cet hémicycle de la police municipale. À l’époque, vous étiez député et vous en aviez vous-même débattu à l’Assemblée nationale.
Malgré toutes nos tentatives, nous n’avons pas pu convaincre le Gouvernement que Paris avait besoin d’une police municipale, comparable à celles dont disposent les autres collectivités territoriales et dotée des mêmes pouvoirs. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Il n’y a pas longtemps que vous avez changé d’avis !
M. Antoine Lefèvre. C’est une conversion récente !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Cher monsieur Dallier, si vous le souhaitez, nous pouvons rouvrir ce débat.
Vous le savez, d’après un rapport de la Cour des comptes, 2,5 % du temps utile des fonctionnaires de police à Paris est consacré au terrain. Or, depuis les derniers attentats, notamment au Bataclan, les agents de police nationale n’ont, de fait, plus le temps de se consacrer à une série d’interventions que l’on peut qualifier de moins graves, mais qui sont tout aussi importantes pour le bien-être de nos concitoyens.
La parenthèse étant fermée, cet amendement vise à doter les agents de la ville de Paris des pouvoirs de police municipale qui nous ont été refusés il y a quelques semaines. Je me dois de le souligner !
Monsieur le ministre, je souhaite obtenir un certain nombre d’éclaircissements sur ce sujet. Qu’il s’agisse de l’autorité hiérarchique, de la formation ou encore des pouvoirs donnés à ces agents, aucune précision n’est apportée. Or ce sont autant de sujets que l’on déclarait, il y a quelques semaines, si difficiles qu’ils ne pouvaient être traités… (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)
La période est particulière ; ces pouvoirs sont nécessaires ; il faut dresser des contraventions ; mais – vous en conviendrez – l’intervention de ces personnels reste entourée d’un grand flou juridique. Je souhaite que le Gouvernement apporte un minimum de précisions.
J’indique enfin que la ville de Paris n’a seulement pas été consultée avant le dépôt de cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 63 rectifié.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Il n’y a pas de réponse du Gouvernement ?…
M. le président. L’amendement n° 4 a été déclaré irrecevable. (Exclamations sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
Je mets aux voix l’article 5, modifié.
(L’article 5 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 5
M. le président. L’amendement n° 86 rectifié bis n’est pas soutenu.
L’amendement n° 64, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est habilité à prendre par ordonnances, dans un délai de deux mois à compter de la publication de la présente loi, les mesures d’adaptation destinées à adapter le dispositif de l’état d’urgence sanitaire dans les collectivités régies par l’article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie, dans le respect des compétences de ces collectivités.
Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance.
La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre. Il s’agit d’adapter diverses dispositions aux territoires de Saint-Martin, de Saint-Barthélemy, de Saint-Pierre-et-Miquelon, de la Polynésie française, de Wallis-et-Futuna et de la Nouvelle-Calédonie.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Favorable !
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 5.
Article 5 bis (nouveau)
Par dérogation aux dispositions de l’article L. 3131-21 du code de la santé publique, l’état d’urgence sanitaire est déclaré pour une durée de deux mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi.
Un décret en Conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l’intérieur desquelles il entre en vigueur.
La prorogation de l’état d’urgence au-delà de la durée prévue au premier alinéa ne peut être autorisée que par la loi.
M. le président. L’amendement n° 53, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Nous sommes toujours opposés à la mesure proposée par la commission des lois, à savoir étendre à deux mois la durée de l’état d’urgence.
Toutefois, à ce sujet, M. Bas nous a déjà répondu avec beaucoup de pédagogie. Aussi, je considère cet amendement de suppression comme défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Pour les raisons déjà exposées, j’émets un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 33, présenté par MM. Kanner et Sueur, Mme de la Gontrie, M. Leconte, Mme Artigalas, MM. Carcenac et Éblé, Mme Féret, MM. Jomier et Montaugé, Mmes Rossignol et Taillé-Polian, MM. Temal, Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer les mots :
de deux mois
par les mots :
d’un mois
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Mes chers collègues, les dispositions de cet amendement sont, pour nous, parmi les plus importantes. Certes, comme il l’a déjà dit et répété en commission, M. Bas nous répondra qu’il suit une « logique différente » et que, en fait, il n’y a pas de problème : l’ensemble des dispositions du présent texte s’étalerait dans le temps, en quelque sorte naturellement.
Pour notre part, nous sommes extrêmement attachés aux pouvoirs du Parlement, et je pense que Philippe Bas l’est aussi. Or, avec la collection d’ordonnances qui s’annoncent et avec nombre d’articles de ce projet de loi, nous donnons de tels pouvoirs au Gouvernement que le Parlement doit être en mesure d’exercer sa mission de contrôle.
Monsieur le ministre, le contrôle parlementaire nous paraît absolument indispensable. Il semble même absolument indispensable au Gouvernement. En effet, comme vous l’avez rappelé tout à l’heure, dans le projet de loi initial, il était question de douze jours.
Ce délai était sans doute excessivement court. Dans sa sagesse, le Conseil d’État a préconisé un mois. Que, au bout d’un mois, l’on puisse faire le point sur les dispositions mises en œuvre de manière totalement dérogatoire et absolument exceptionnelle, c’est selon nous le minimum, eu égard aux droits du Parlement.
Monsieur Bas, le texte de la commission fait état d’un délai de deux mois sans contrôle du Parlement, sans aucun droit de regard des assemblées ; ce délai peut même être porté à trois mois !
Mes chers collègues, Patrick Kanner a rappelé que, du jour au lendemain, la situation pouvait changer du tout au tout. Cette après-midi, à quinze heures, nombre d’entre nous n’imaginaient même pas que, dans 30 000 communes, on lancerait un appel national à ne pas appliquer la loi. Cette dernière, telle qu’elle est aujourd’hui rédigée, impose d’y élire les maires et les adjoints. Voyez comme les choses vont vite !
Nous aurons l’occasion d’en parler, et nous savons qu’il faut faire preuve de responsabilité. Mais, dans un tel contexte, où tout change tellement vite, où les mesures prises sont d’une telle importance et d’une telle gravité, nous n’abdiquerons jamais : nous défendrons ce qui constitue, selon nous, le socle des droits du Parlement, en suivant les préconisations du Conseil d’État.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Mes chers collègues, une nouvelle fois, je me dois d’apporter quelques explications.
On se réfère toujours à l’état d’urgence, tel qu’il est défini par la loi de 1955, qui a été utilisé pour lutter contre le terrorisme. Mais nous ne sommes pas dans ce cadre !
En vertu de la loi de 1955, le Gouvernement décrète l’état d’urgence ; et, s’il veut continuer à bénéficier des pouvoirs prévus dans ce cadre au-delà de douze jours, il doit obtenir un vote du Parlement. Quand nous avons eu à le faire, nous avons voté la prorogation de l’état d’urgence pour six mois, et il a fallu renouveler ce vote plusieurs fois. Le Parlement s’est d’ailleurs à chaque fois prononcé en faveur de la reconduction de l’état d’urgence.
Le système que nous proposons n’est pas calqué sur la loi de 1955. La procédure est différente : aujourd’hui et demain, les deux assemblées votent un projet de loi. Ce texte ouvre directement la mise en œuvre des pouvoirs d’urgence sanitaire, que le Gouvernement exerce pendant deux mois. S’il veut les reconduire passé ce délai, il revient devant le Parlement, afin d’y être autorisé.
Vous le voyez, ce délai est déjà beaucoup plus court que celui dont nous avons l’habitude pour l’état d’urgence, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
Si l’épidémie s’arrête après que l’état d’urgence sanitaire a produit tous ses effets et si, malheureusement, elle repart dans six mois, le Gouvernement devra prendre un décret. C’est à cet égard que la mécanique traditionnelle de l’état d’urgence, défini par la loi de 1955, nous a inspirés. Par ce décret, le Gouvernement remettra en vigueur l’état d’urgence et, au bout d’un mois, il devra revenir devant le Parlement pour que ses pouvoirs soient prolongés.
Enfin, cette procédure ne saurait durer pour la vie : les dispositions encadrant la mécanique élaborée prendront fin dans un an.
J’espère avoir détaillé clairement ce dispositif technique. Nous avons tenu à ce que ce système ne soit pas durablement gravé dans le marbre de la loi. Il disparaîtra dans un an. Il pourra cesser de s’appliquer dès le mois de mai prochain ; si l’épidémie repart en novembre, par exemple, un décret sera pris et, passé un mois, la loi pourra consolider la seconde phase de l’état d’urgence qui aurait été jugée nécessaire.
Au fond, nous sommes pleins d’espoir. Nous pensons que, dans un an, nous aurons définitivement surmonté cette épidémie ; et, si tel n’est pas le cas, le Gouvernement pourra nous demander de rétablir les pouvoirs qu’il sollicite aujourd’hui.
En parallèle, nous sommes très prudents. Nous ne voulons pas que les régimes d’exception s’incrustent dans notre législation ad vitam æternam.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Certaines des discussions qui viennent d’avoir lieu ne me semblent pas prendre la bonne mesure de la coopération entre le Gouvernement et le Parlement en période de crise.
Cette coopération peut s’effectuer sous la forme d’échanges réguliers, volontaires, comme cela a déjà commencé à plusieurs reprises avec les présidents de groupe et les représentants des formations politiques ; je ne crois pas qu’il soit judicieux de l’encadrer par des procédures obligatoires.
En revanche, monsieur le ministre, il serait opportun que, à l’issue de ce débat ou demain, le Gouvernement nous annonce ses intentions en matière de concertation régulière avec le Parlement.
Il n’est pas indispensable que cela passe par les présidents de groupe. En revanche, comme plusieurs collègues l’ont souligné, la formule d’un comité de suivi, souple, avec chacune des assemblées serait, me semble-t-il, la meilleure façon de traiter ce problème.