Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Catherine Deroche, M. Victorin Lurel.
2. Questions d’actualité au Gouvernement
lutte contre les communautarismes (i)
Mme Nathalie Delattre ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur.
situation de renault et menaces de fermeture de sites
Mme Marie-Noëlle Lienemann ; Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
pilotage de la politique de santé du gouvernement (i)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie ; M. Édouard Philippe, Premier ministre ; Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
M. Daniel Chasseing ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; M. Daniel Chasseing.
lutte contre les communautarismes (ii)
M. Philippe Bas ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur ; M. Philippe Bas.
impacts du rapprochement entre alstom et bombardier
Mme Valérie Létard ; Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
conséquences du rachat de bombardier par alstom et incidences sur l’emploi
M. Frédéric Marchand ; Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
M. Patrick Chaize ; Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances ; M. Patrick Chaize.
M. Yves Daudigny ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; M. Yves Daudigny.
pilotage de la politique de santé du gouvernement (II)
Mme Florence Lassarade ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Florence Lassarade.
dispositions pour les congés parentaux à la suite du décès d’un enfant
Mme Élisabeth Doineau ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé.
zones de revitalisation rurale
M. Jean-Marc Boyer ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; M. Jean-Marc Boyer.
violences sexuelles dans le sport
M. Didier Rambaud ; Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports.
situation de la médecine psychiatrique en france
M. Jean-Marie Morisset ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; M. Jean-Marie Morisset.
Mme Monique Lubin ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Monique Lubin.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. David Assouline
3. Candidatures à une mission d’information
4. Libre choix du consommateur dans le cyberespace. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
Mme Sophie Primas, auteur de la proposition de loi
M. Franck Montaugé, rapporteur de la commission des affaires économiques
Mme Sylviane Noël, rapporteur de la commission des affaires économiques
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 13 rectifié ter de M. Claude Malhuret. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 12 rectifié de Mme Marie-Noëlle Lienemann. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 16 rectifié de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Articles additionnels après l’article 3
Amendement n° 10 de Mme Marie-Noëlle Lienemann. – Rejet.
Amendement n° 4 de M. Rachid Temal. – Retrait.
Amendement n° 3 de Mme Viviane Artigalas. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 17 rectifié de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Articles additionnels après l’article 6
Amendement n° 11 rectifié de Mme Marie-Noëlle Lienemann. – Retrait.
Amendement n° 8 rectifié de Mme Marie-Noëlle Lienemann. – Rejet.
Amendement n° 6 de M. Marc Daunis. – Adoption.
Amendement n° 1 rectifié de Mme Viviane Artigalas. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 2 rectifié de Mme Viviane Artigalas. – Adoption.
Amendement n° 14 rectifié ter de M. Claude Malhuret. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Article additionnel avant l’article 8
Amendement n° 5 de M. Rachid Temal. – Retrait.
M. Cédric O, secrétaire d’État
Adoption, par scrutin public n° 91, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Nomination de membres d’une mission d’information
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Catherine Deroche,
M. Victorin Lurel.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
J’appelle chacun à veiller au respect de son temps de parole et au respect des uns et des autres.
lutte contre les communautarismes (i)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du RDSE.)
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, hier, le Président de la République s’est rendu à Mulhouse afin d’évoquer un sujet sensible, la lutte contre les communautarismes ou, selon la nouvelle sémantique, le « séparatisme religieux ».
Cette prise de parole était attendue et elle est salutaire, car, oui, la menace que la radicalisation religieuse fait peser sur notre modèle républicain et laïc de vivre-ensemble est réelle.
La commission d’enquête sénatoriale sur la radicalisation islamiste, que j’ai l’honneur de présider et dont Jacqueline Eustache-Brinio est la rapporteure, met au jour la convergence des points de vue, par-delà les constats partisans, sur la gravité de la situation. Il est effectivement urgent d’agir.
Néanmoins, pour atteindre les objectifs fixés, la question des moyens, financiers et humains, ainsi que la détermination à s’impliquer, à chaque échelon, dans ce combat, seront cruciales. Ce sont des réponses concrètes qu’il nous faut apporter aux situations quotidiennes qui se présentent aux communes, aux écoles, aux universités, aux associations, aux fédérations sportives ou encore aux hôpitaux ; la liste est encore longue…
Pour autant, monsieur le Premier ministre, j’ai eu, hier, la désagréable impression que le Président de la République s’engageait dans la voie de solutions passant, malgré les tentatives peu probantes de ses prédécesseurs, par un islam de France. Or il y a un islam en France, pratiqué par des milliers de musulmans, dans le respect des lois de notre République et de la laïcité. Cette dernière est là pour protéger les croyants comme les non-croyants contre les islamistes, que la République ne doit donc pas institutionnaliser.
Or, ce matin, le ministre de l’intérieur a précisé sur France Inter qu’il était prêt à accorder des moyens aux religions, loin des principes actuels de notre loi de 1905 ; cela nous paraît dangereux !
Aussi, monsieur le Premier ministre, quels sont véritablement les moyens que vous allouerez à la mise en œuvre des annonces égrenées hier, afin d’apporter des réponses fortes aux menaces qui pèsent tant sur les Français de confession musulmane que sur notre unité nationale ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice, le séparatisme, c’est la volonté de quelques-uns de s’éloigner des valeurs de la République ; pire, c’est le fait de considérer que ces valeurs devraient s’effacer derrière d’autres valeurs, derrière des influences étrangères ou des décisions religieuses qui s’imposeraient à elles.
Il nous faut donc lutter – je sais que tout le monde, ici, est engagé et sera totalement mobilisé pour cela – contre ce séparatisme ; vous y travaillez actuellement, dans le cadre de la commission d’enquête que vous présidez, madame la sénatrice. Ce séparatisme existe au-delà des grandes villes et de certains quartiers, y compris dans la ruralité ; nous le savons tous ici.
Hier, le Président de la République a présenté un plan d’action, dont le premier volet se construit tout d’abord sur les enjeux de sécurité. C’est la politique que nous menons dans le cadre de la reconquête républicaine, en particulier dans quinze quartiers. Nous en avons présenté le bilan d’activité – j’y reviendrai si nous en avons le temps –, lequel démontre combien nous devons, tous ensemble, lutter contre l’organisation de ce séparatisme, c’est-à-dire contre les écosystèmes qui se créent et qui, au fond, cherchent à éviter, à esquiver la République.
Le deuxième axe de ce plan, c’est la lutte contre les influences étrangères ; le Président de la République l’a abordé longuement hier.
Le troisième axe consiste à redonner corps à la promesse républicaine ; on sait qu’il y a un déterminisme social, un sentiment d’échec, qui peut aussi conduire vers des formes de radicalisation.
Nous devons donc être, sur ces sujets, totalement mobilisés.
Madame la sénatrice, je veux vous rassurer : nul, ici, à commencer par moi, ne souhaite accorder des moyens, pour reprendre votre expression, au culte. Le principe même de la loi de 1905 doit être défendu et je le défends activement. Il n’est donc pas question de mettre en place des financements publics des cultes, quels qu’ils soient. Le principe de la laïcité est de faire en sorte que chacun puisse avoir le droit de croire, en en ayant les moyens ; nous devons contrôler cela.
Le Président de la République s’exprimera de nouveau dans quelques jours, puis nous présenterons un plan d’action, sur lequel, j’en suis convaincu, nous nous retrouverons tous, afin de faire en sorte que le séparatisme recule et que la République reconquière son territoire, mètre carré par mètre carré, partout où c’est nécessaire. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur des travées du groupe RDSE.)
situation de renault et menaces de fermeture de sites
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Éliane Assassi. On va enfin parler de choses sérieuses…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie et des finances.
La directrice générale de Renault a indiqué, vendredi, n’avoir « aucun tabou » sur des fermetures de sites en France ; cette déclaration suscite un légitime émoi dans le pays.
Des difficultés chez Renault, il y en a, certes, mais le groupe a cumulé 10 milliards d’euros de bénéfices au cours des quatre dernières années, et a versé le tiers de ceux-ci en dividendes aux actionnaires. Pour 2019, ce sont encore 312 millions d’euros de dividendes qui seront versés. On peut s’interroger sur la pertinence de ces choix.
Si la chute du marché automobile en Europe est réelle, celle-ci affecte Renault plus que d’autres constructeurs. Pourquoi ?
En premier lieu, le groupe n’a pas investi suffisamment pour présenter de nouvelles gammes et, surtout, pour engager autant qu’il est nécessaire la transition technologique et écologique indispensable. Or c’est désormais l’urgence absolue ; il faut produire, comme le demandent les organisations syndicales, des véhicules multiénergies, hybrides ou électriques.
En second lieu, la direction de Renault a fait des choix défavorables à la France, avec une baisse, depuis 2004, de 43 % de la fabrication française dans le groupe Renault et des délocalisations hors de l’Hexagone, notamment pour les productions les plus attractives, celles qui se vendent le mieux.
Manifestement, l’État actionnaire a été défaillant ; en tout cas, il doit désormais veiller à ce que ce mouvement soit inversé et que des investissements de modernisation soient réalisés dans tous les sites français, que l’on regagne ainsi des capacités de production. Le préalable est de refuser la fermeture de sites pour engager leur mutation et la reconquête de l’emploi.
Madame la secrétaire d’État, M. Le Maire a déclaré qu’il serait « vigilant ». Pour ma part, je lui demande : comment sera-t-il efficace…
M. le président. Veuillez conclure !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. … pour garantir le maintien des sites et de l’emploi, réorienter la stratégie industrielle et consolider la souveraineté économique du pays ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Sophie Primas applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Vous avez raison, madame la sénatrice Lienemann, Renault est confronté à des résultats en forte baisse, qui sont négatifs cette année. Ils sont emblématiques des défis que traverse aujourd’hui la filière automobile.
Ces défis, je veux les rappeler parce qu’ils sont importants.
Il y a trois défis structurels.
Le premier, c’est la transition énergétique. Sachez-le, Renault a massivement investi dans cette direction, notamment en faveur du moteur électrique.
Le deuxième, c’est celui du véhicule connecté, qui conduira à la proposition d’autres services et, peut-être, à l’entrée de nouveaux acteurs sur ce marché, qui viendront concurrencer les acteurs historiques.
Le troisième, c’est celui du véhicule autonome.
Ces trois défis imposent des investissements massifs ; c’est ce que vous constatez dans les comptes de Renault. Ces investissements consomment l’argent gagné et même au-delà (M. Pierre Laurent s’exclame.), puisque l’on observe une trajectoire de cash négative.
Le contexte conjoncturel ne facilite pas les choses : ralentissement aux États-Unis et en Europe, baisse en Chine. Or c’est dans ce contexte que le Gouvernement accompagne la filière automobile.
Je veux rappeler les décisions qui ont été prises : la signature du contrat stratégique de filière en mai 2018 et la réunion organisée, dès le 2 décembre dernier, pour préparer l’année 2020. Cette réunion a débouché sur deux mesures importantes : l’accompagnement de la diversification de la sous-traitance – un crédit de 50 millions d’euros destiné à cette diversification et au soutien de l’année 2020 et une aide, à hauteur de plus de 200 millions d’euros, pour faire face aux difficultés possibles de financement de l’automobile et de sa sous-traitance – et la mission que nous avons confiée à Hervé Guyot sur la compétitivité de l’automobile en France et la consolidation de certaines filières, notamment la fonderie et la forge.
Je conclus : oui, nous serons très vigilants aux côtés de Renault, et nous avons déjà les instruments nécessaires pour accompagner ces transitions. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
pilotage de la politique de santé du gouvernement (i)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, il y a cinq jours, le parti La République En Marche a connu un crash politique anéantissant son dispositif électoral à Paris. Avec le Président de la République, vous avez alors désigné, en quarante-huit heures, la ministre des solidarités et de la santé comme candidate de substitution improvisée. Curieuse décision : en plein chaos de la réforme des retraites, de crise sans fin de l’hôpital public et de risque de pandémie du coronavirus, vous décidez de changer de ministre…
Votre gouvernement ne cesse de nous surprendre par sa légèreté, parfois par sa vulgarité, à l’instar de celle que votre ministre de l’intérieur a manifestée, ce matin, à l’égard de notre collègue Olivier Faure. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Mme Laurence Cohen applaudit également.) Nous attendons, sur ce point, votre condamnation solennelle.
Naufrage de la réforme des retraites, grève de onze mois du personnel hospitalier, démissions collectives par centaines de chefs de service, report du plan Grand âge, fermetures de maternités : le bilan de Mme Buzyn, qui prétendait vouloir « réenchanter l’hôpital », ressemble aujourd’hui à un champ de ruines…
Aussi, monsieur le Premier ministre, de deux choses, l’une : soit, sourd et aveugle, et à l’encontre de toute réalité, vous prétendez, comme vous l’indiquiez hier, que Mme Buzyn fut une excellente ministre, auquel cas son départ est la marque d’une désinvolture qui frise, pour certains, le mépris à l’égard des politiques publiques, soit vous partagez, en réalité, le constat des Français et vous avez saisi cette occasion pour acter son départ du Gouvernement, le dix-septième ou dix-huitième depuis 2017.
Monsieur le Premier ministre, la France mérite que vous privilégiiez l’intérêt général plutôt que l’intérêt partisan ; nos concitoyens attendent donc votre réponse. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Mmes Laurence Cohen et Christine Prunaud applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (Ah ! sur diverses travées.)
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Madame la sénatrice, je vous remercie de cette question, formulée sur un ton très ferme, qui indique peut-être votre incompréhension de la décision que j’ai proposée au Président de la République et qui, peut-être – je dis bien « peut-être » –, indique aussi une forme de surprise et – qui sait ? – de fébrilité par rapport à cette décision. (Sourires. – Protestations sur des travées du groupe SOCR.)
M. David Assouline. On verra bien !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que les élections sont jouées d’avance et je peux même vous dire, madame la sénatrice – cela vous est peut-être également arrivé –, que, en cette matière, j’ai cotisé pour voir, voyez-vous… (Nouveaux sourires.)
Je veux répondre à votre question de la façon la plus simple possible. J’ai effectivement dit, et je répéterai toujours, qu’Agnès Buzyn a été une remarquable ministre de la santé. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – Protestations sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
Mme Laurence Cohen. Oh !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Vous avez le droit de ne pas être d’accord, mais j’ai le droit de vous donner mon avis ! Elle a été remarquable par sa connaissance des dossiers, par sa technicité,…
Mme Cécile Cukierman. Pourquoi n’est-elle pas restée ministre, alors ?
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … par son humanité – oui, madame la sénatrice, par son humanité ! –, remarquable aussi par la façon dont, vous le savez parfaitement, elle a eu à gérer des dossiers redoutablement complexes,…
M. David Assouline. Quelle fébrilité !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … dossiers dont vous m’accorderez, madame la sénatrice, qu’ils ne sont pas nés avec sa désignation, et qu’ils venaient souvent de loin. Les difficultés du système médical, du monde hospitalier, ne sont pas nées il y a deux ans. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, UC et du RDSE.) Il faut y répondre, chacun essaie de faire de son mieux et je veux dire combien Mme la ministre Agnès Buzyn a été, en la matière, engagée, compétente et remarquable.
Elle a choisi de s’engager dans un combat politique. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes Les Républicains et SOCR. – Mme Cécile Cukierman se récrie.) Elle a eu raison ! Je suis d’ailleurs surpris, madame la sénatrice, qu’un certain nombre de ceux, parfois dans cet hémicycle, souvent à l’extérieur, qui reprochaient à tel ou tel membre du Gouvernement une prétendue « déconnexion » par rapport au monde réel, puissent aujourd’hui s’étonner de ce qu’une ministre choisisse de défendre ses idées et son projet dans le cadre d’une élection municipale. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – Protestations sur des travées du groupe SOCR. – Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je constate d’ailleurs que les sénateurs parisiens paraissent virulents ; cela me surprend – vous allez voir, tout va bien se passer… (Sourires.)
Pour la remplacer, madame la sénatrice, j’ai proposé au Président de la République de nommer M. Olivier Véran ministre des solidarités et de la santé. Vous le connaissez, c’est un député compétent, qui a la triple caractéristique, qui ne me semble pas inutile en la matière, d’être médecin hospitalier, rapporteur général de la commission des affaires sociales et, par ailleurs, bon spécialiste du dossier des retraites, puisqu’il était rapporteur du projet de loi organique relatif au système universel de retraite. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
Un sénateur Les Républicains. Et ancien député socialiste !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Autrement dit, madame la sénatrice, il me paraît avoir toutes les compétences dont nous avons besoin pour faire face aux dossiers que vous avez cités ; ce sont des dossiers importants, délicats, dont il est déjà un excellent connaisseur et sur lesquels vous aurez, j’en suis sûr, l’occasion de voir – et vous n’en serez pas surprise –, qu’il est parfaitement compétent et efficace.
Bref, il y a des élections municipales (Mme Cécile Cukierman se récrie.), et c’est tant mieux. Le débat va avoir lieu au cours de ces élections ; les électeurs le trancheront et c’est très bien ainsi. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants, RDSE et UC. – Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
M. David Assouline. Eh oui !
M. le président. Madame Cukierman, s’il vous plaît !
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour la réplique.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Monsieur le Premier ministre, tout d’abord, je regrette que vous n’ayez pas cru devoir condamner les propos inacceptables que Christophe Castaner a tenus, ce matin, à la radio ; dont acte.
Sur les propos que vous avez tenus à l’instant, j’indique, puisque vous louez le talent de Mme Buzyn, que c’est bien elle qui a accepté les nouvelles exonérations de cotisations de sécurité sociale consenties par le Gouvernement et qui ont aggravé le déficit de la sécurité sociale.
Vous vantez les qualités de votre nouveau ministre. J’indiquerai simplement que, dans la mesure où il a été capable, en deux jours, d’une part, de vanter la qualité de la fermeture des réseaux sociaux chinois…
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. … visant à éviter la propagation du coronavirus, et, d’autre part, de proposer que l’on supprime, dans la Constitution, les termes « sécurité sociale »,…
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. … je crains qu’il ne doive davantage sa nomination à la nécessité de remplacer une ministre au pied levé, en quelques heures, plutôt qu’à sa seule compétence, dont nous jugerons dans les jours à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur des travées du groupe Les Républicains.)
vente en ligne de médicaments
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse au ministre des solidarités et de la santé, auquel je souhaite la bienvenue au Sénat… (Sourires et applaudissements sur diverses travées.)
L’article 34 du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dit ASAP, prévoit de libéraliser la vente en ligne de médicaments. L’objectif est d’encourager le développement de plateformes mutualisées et des locaux de stockage afin d’externaliser une partie des activités de vente des officines.
Les médicaments ne sont pas des biens de consommation comme les autres ; 95 % de la profession et des Français sont opposés à une telle ouverture du marché.
Le pharmacien est un professionnel de santé qualifié, disponible, à l’accès sans rendez-vous. Il est une porte d’entrée pour les soins primaires et la prise en charge des soins non programmés. Les missions des officines se diversifient, s’ouvrant à la prévention, aux vaccinations, au dépistage et aux interventions dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).
Nous savons que l’adoption de cet article va se traduire par une perte de chiffre d’affaires. Or fragiliser le modèle économique des pharmacies pourrait conduire à des fermetures, notamment en milieu rural. En Allemagne et en Angleterre, un tiers des pharmacies sont menacées.
Monsieur le ministre, la pharmacie est un maillon incontournable dans le circuit des médicaments, pour leur prise en charge sécurisée. Ce projet remettrait en cause le maillage territorial, avec une diminution du nombre de pharmaciens adjoints, estimée à 5 000.
Avant la logique commerciale, nous devons préserver le lien de proximité. Cette réforme n’apparaît-elle pas contradictoire avec la volonté du Gouvernement d’améliorer l’offre de soins dans les territoires, notamment ruraux ? (Applaudissements sur des travées des groupes Les Indépendants, Les Républicains et UC.)
M. Emmanuel Capus. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé, auquel je souhaite la bienvenue.
Vous verrez, monsieur le ministre, que l’on s’habitue très vite au Sénat !
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Je vous remercie, monsieur le président. Je suis très honoré de m’exprimer aujourd’hui devant le Sénat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cher docteur Chasseing, votre question ne m’étonne pas, car je sais que vous êtes médecin généraliste en Corrèze, un département qui, comme de nombreux autres, souffre déjà de la désertification médicale. (Murmures sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE.) Je comprends que c’est à ce titre que vous vous inquiétez de la possible disparition, demain, des pharmacies, qui sont des maillons essentiels de l’accès aux soins dans ces territoires sous-dotés.
Votre question porte sur l’article 34 du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, qui vise à simplifier, sans remettre en cause les équilibres de la vente en ligne, certains dispositifs de celle-ci.
Je rappelle que la vente en ligne des médicaments est autorisée dans notre pays depuis quelques années, à la suite d’une décision européenne, et que les conditions d’application fixées par le projet de loi en limitent énormément la portée, parce que la France s’oppose à ce que de grandes plateformes, notamment étrangères, puissent, demain, vendre des médicaments aux Français dans des conditions de sécurité et de qualité qui ne seraient pas établies et qui viendraient mettre en difficulté le maillage territorial des pharmacies, lequel, je le répète, est absolument essentiel.
J’entends, d’ailleurs, que, dans le projet de loi, le mot « plateforme » puisse inquiéter, voire, parfois, choquer. Le Gouvernement n’a jamais eu l’intention d’aller vers des plateformes de vente en ligne de médicaments comme Amazon – pour ne pas le nommer – ou d’autres. Le texte prévoit bien que cette activité restera sous la seule responsabilité du pharmacien d’officine, pour couper court à tout risque. J’espère que cette précision apaisera vos inquiétudes. Des amendements seront déposés pour clarifier les dispositions applicables et supprimer jusqu’à la notion même de plateforme.
Je précise que ces mesures de simplification ne doivent pas fragiliser les officines, dont la présence est indispensable sur le territoire.
Je m’y engage, en cohérence, d’ailleurs, avec la politique de santé menée dans notre pays, depuis trois ans maintenant, par Agnès Buzyn, qui vise, au contraire, à donner de nouvelles missions aux pharmaciens d’officine sur notre territoire. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour la réplique.
M. Daniel Chasseing. Je vous remercie, monsieur le ministre. Pas de numérisation en dehors de la pharmacie, dites-vous.
Votre position n’a pas changé, puisque, en 2014,…
M. Michel Savin. Il était socialiste, à l’époque !
M. Daniel Chasseing. … vous déclariez que « le site internet étant adossé à une pharmacie physique, les patients pourront si nécessaire se rendre dans une officine et échanger avec un pharmacien. Ceci constitue une garantie majeure de sécurité » et « évitera la surconsommation de médicaments. »
J’espère que le Gouvernement…
M. le président. Il faut conclure.
M. Daniel Chasseing. … vous suivra dans ce sens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
lutte contre les communautarismes (ii)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, le nouveau président du Conseil français du culte musulman, M. Moussaoui, a rappelé, hier, que la majorité des musulmans de France veulent vivre leur spiritualité dans le strict respect des valeurs de la République. Il a ajouté que la volonté de faire reculer toutes les formes de communautarisme est en accord avec les idéaux de fraternité des musulmans.
« La loi de l’État est notre loi », avait dit son prédécesseur, M. Boubakeur.
De son côté, le Président de la République a réaffirmé, hier, qu’on ne doit jamais accepter que les lois de la religion puissent être supérieures aux lois de la République.
Dans la continuité de ce consensus républicain, Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains, Hervé Marseille, président du groupe Union Centriste, et moi-même proposons d’écrire dans notre Constitution que « nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune ».
Pouvons-nous déduire de la déclaration du Président de la République que votre gouvernement soutiendra notre proposition ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Philippe Bas, vous l’avez dit, il y a une volonté déterminée de tous les acteurs, à commencer par les musulmans, de lutter contre le séparatisme.
Ce combat, nous devons le mener pour les musulmans et avec les musulmans. C’est la raison pour laquelle la sénatrice Nathalie Delattre évoquait l’importance du terme « séparatisme », qui permet effectivement d’éviter de condamner des communautés, qui se revendiquent comme telles, bien au-delà de la question religieuse, et de bien identifier celles et ceux qui veulent outrepasser la République et ses valeurs, contre lesquels nous devons être mobilisés.
Vous le savez, c’est ce que nous faisons, sans avoir attendu un texte de loi, au travers notamment de ces quinze quartiers qui ont été identifiés dès le mois de février 2018, au sein desquels nous avons demandé aux préfets d’être extrêmement mobilisés, aux côtés de l’ensemble des acteurs et des institutions publiques, pour faire reculer cet écosystème du séparatisme que nous connaissons. C’est ainsi que nous aurons fermé, en moins de deux ans, 15 lieux de culte, 12 établissements culturels et associatifs, 4 écoles, 150 débits de boissons, que nous avons mobilisé tous les moyens pour faire des contrôles et procédé à des redressements pour près de 19 millions d’euros dans ces quinze quartiers.
Dès le mois de novembre dernier, j’ai demandé à l’ensemble des préfets que ce dispositif soit appliqué à l’ensemble du territoire national, parce qu’il a montré son efficacité et que nous devons bien évidemment agir.
M. Ladislas Poniatowski. Ce n’est pas la question !
M. Christophe Castaner, ministre. Vous nous invitez à réfléchir à une traduction législative qui permettrait d’aller plus loin encore. Le Gouvernement invitera aussi les parlementaires à participer à cette réflexion.
Vous avez formulé des propositions. Le président de votre groupe, Bruno Retailleau, a fait des propositions complémentaires. Le débat est posé. Le Gouvernement reviendra devant le Parlement avec une volonté de trouver les meilleurs outils pour lutter, partout, contre le séparatisme. Nous connaissons tous la difficulté de modifier la Constitution ; travaillons ensemble !
Quoi qu’il en soit, la volonté du Gouvernement est de ne pas attendre de traduction législative et d’utiliser tous les outils qui sont les nôtres aujourd’hui pour être immédiatement efficaces, comme nous l’avons été dans ces quinze quartiers et comme nous devons l’être sur l’ensemble du territoire national. C’est un impératif républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour la réplique.
M. Philippe Bas. Monsieur le ministre, vous avez soigneusement évité de répondre à la question que je vous ai posée. Elle n’était pourtant pas compliquée et était formulée clairement.
Il faut donner un coup d’arrêt au communautarisme. La liberté religieuse n’autorise personne à exiger un traitement à part dans les hôpitaux, les écoles, les cantines, les services publics, les transports, les ateliers, les bureaux, les mairies, les piscines, les centres sportifs ni nulle part ailleurs.
La Constitution est muette sur ce point. Il faut donc assumer de la compléter par une référence claire et connue de tous.
Nous souhaitons le faire, non pas contre le Gouvernement, mais, si possible, avec lui. Le Sénat en délibérera à la fin du mois de mars prochain. Votre majorité devra ensuite prendre ses responsabilités pour permettre aux Français de se prononcer par référendum, après le vote, que j’espère positif, du Parlement. C’est ce que la Constitution prévoit, et c’est l’attente profonde de nos concitoyens. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
impacts du rapprochement entre alstom et bombardier
M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Valérie Létard. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie et des finances ainsi qu’à Mme la secrétaire d’État Agnès Pannier-Runacher.
Madame la secrétaire d’État, un an après l’échec de sa fusion avec l’allemand Siemens, Alstom vient d’annoncer son souhait de racheter Bombardier Transport, filiale ferroviaire du groupe canadien.
Cette opération s’inscrit dans un contexte international de vive concurrence, en particulier avec le géant chinois CRRC, qui ne cesse de grignoter des parts de marché en Europe.
Le rachat de Bombardier Transport par Alstom s’avère donc essentiel pour l’avenir de notre filière ferroviaire. Encore faut-il que la Commission européenne ne s’oppose pas à cette nouvelle initiative…
L’État français doit, bien sûr, soutenir sa filière ferroviaire au moment où la mobilité durable est devenue un enjeu majeur dans nos modes de déplacement.
C’est pourquoi, madame la secrétaire d’État, nous serions heureux de connaître votre position sur ce projet de rachat et la stratégie de l’État pour accompagner cette opération. À ce sujet, que pouvez-vous nous dire des récents échanges du ministre Bruno Le Maire avec la commissaire européenne, Mme Vestager ?
En outre, comme dans ma région des Hauts-de-France, des inquiétudes peuvent surgir chez les salariés de ces deux fleurons industriels, qui, finalement, exercent le même métier et pourraient craindre des compressions de postes ou des économies d’échelle, malgré un carnet de commandes bien rempli. Pour ma part, j’ai la conviction qu’ils sont le plus souvent complémentaires, comme sur les sites de production du Valenciennois, où Bombardier a 2 000 salariés et Alstom, 1 600.
Madame la secrétaire d’État, afin d’éclairer et de rassurer tous les salariés, comptez-vous demander à Alstom de communiquer rapidement sur son projet industriel et sur sa stratégie en matière d’emploi et, surtout, de tracer des perspectives pour tous nos sites de production en France ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Madame la sénatrice Valérie Létard, vous l’avez dit, Alstom est d’abord un groupe solide, qui a un carnet de commandes bien rempli et a encore montré sa compétitivité ces derniers mois, à l’occasion d’appels d’offres en France et à l’international.
Dans ce paysage, l’annonce du rachat de Bombardier par ce groupe est une bonne nouvelle. C’est une bonne nouvelle pour le groupe Alstom et une bonne nouvelle pour l’industrie européenne. Pourquoi ?
Premièrement, au travers de ce rachat, Alstom va pouvoir renforcer son offre de produits, ses capacités de recherche et développement et ses capacités industrielles. Comme vous le dites très bien, celles-ci sont complémentaires.
Deuxièmement, ce rachat permet de faire entrer à son capital la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), qui est un actionnaire stable et fiable.
Troisièmement, pour l’industrie européenne, cette consolidation possible est une réponse à l’entrée sur le marché de CRRC, qui représente 30 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Celui du groupe composé de Bombardier et Alstom s’élèverait, lui, à 15 milliards d’euros.
Deux questions sont posées, sur lesquelles nous rejoignons complètement votre analyse.
Premièrement, sur le volet organisationnel, M. Poupart-Lafarge, le PDG d’Alstom, a indiqué très clairement que ce projet était un projet de croissance, qu’il reposait sur la complémentarité entre les sites – notamment, en France, de Bombardier et d’Alstom – et qu’il n’était pas question de le fonder sur la « recherche de synergies », expression pudique pour parler de « restructuration ». Compte tenu de ces premières déclarations, je veux vous rassurer. Soyez certaine que Bruno Le Maire et moi-même suivrons ce dossier de très près.
Deuxièmement, pour ce qui concerne l’appréciation du respect de la concurrence par la Commission européenne, Bruno Le Maire a rencontré Mme Verstager hier. Ce point a été abordé, parmi d’autres. Nous pensons disposer d’arguments forts pour défendre le projet. D’abord, il s’agit d’une bonne nouvelle pour le consommateur, qui bénéficiera, face à CRRC, qui est un groupe compétitif, d’offres compétitives de la part d’un groupe européen. C’est aussi une façon d’améliorer les produits et les prix. C’est sous cet angle que nous allons engager le débat. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
conséquences du rachat de bombardier par alstom et incidences sur l’emploi
M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. Frédéric Marchand. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la pédagogie étant l’art de la répétition, vous me permettrez, madame la secrétaire d’État, de revenir sur le dossier Alstom.
Comme l’a dit ma collègue Valérie Létard, l’accord trouvé entre Alstom et la division transport de Bombardier pour le rachat de cette dernière doit permettre au groupe français de confirmer sa position de numéro 2 mondial de la construction ferroviaire. C’est bien évidemment une excellente nouvelle.
Cette annonce prend bien évidemment une dimension toute particulière dans le département du Nord, et plus spécialement sur les deux sites voisins de l’arrondissement de Valenciennes : celui d’Alstom, avec ses 1 355 salariés, à Petite-Forêt, et celui de Bombardier, à Crespin, qui compte 2 000 salariés. Tous deux ont leurs carnets de commandes remplis pour les quatre à cinq prochaines années, mais cette annonce pose irrémédiablement la question de l’avenir qui sera réservé aux deux sites. À ce jour, Alstom et Bombardier travaillent en consortium sur trois projets, dont le RER NG ou le M7, le train régional belge.
La complémentarité géographique des deux groupes ainsi que celle de leurs produits sont des atouts mis en avant par le PDG d’Alstom pour « renforcer notre présence internationale ainsi que notre capacité à répondre à la demande toujours plus importante de solutions de mobilité durable ».
Alstom et Bombardier, c’est aussi la participation à des projets innovants portés par le pôle de compétitivité de portée mondiale i-Trans, à Lille et Valenciennes, qui contribue à forger une identité exceptionnelle de ce bassin d’emploi en matière de transports.
Les organisations syndicales ont réagi à cette annonce et ont fait part de craintes tout à fait légitimes, s’agissant notamment des postes en doublon, mais aussi de la pérennité du site de Bombardier à Crespin.
Madame la secrétaire d’État, je vous sais, tout comme M. le ministre de l’économie et des finances, particulièrement attachée au développement de notre stratégie industrielle et de la dynamique de l’emploi.
Aussi, quels éléments pouvez-vous nous apporter afin de garantir aux salariés que ce nouveau champion ferroviaire sera aussi le champion de l’emploi dans le département du Nord, qui a payé un lourd tribut à toutes les restructurations industrielles ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le député Marchand (Sourires)… Excusez-moi !…
M. le président. Veuillez poursuivre, nous sommes déjà remis !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur, je veux répéter l’enjeu de ce projet, que vous avez bien résumé : il s’agit finalement de créer un acteur plus fort sur le marché du ferroviaire, à un moment de croissance de ce secteur, et d’apporter une réponse à la question de la transition écologique dans les transports.
Pour les salariés d’Alstom et Bombardier, travailler pour un groupe qui aura plus de force en matière de recherche et développement et de portefeuille de produits, une plus grande capacité à répondre à des appels d’offres, non seulement en Europe, mais aussi à l’échelon international, et de plus grandes capacités industrielles – le rachat alimentera une excellence industrielle et des partages de bonnes pratiques entre les deux entités – est plutôt une assurance.
Le président-directeur général d’Alstom ne l’a pas caché : ce rachat est un projet de croissance. C’est un projet de conquête, notamment à l’égard de l’acteur chinois qu’est CRRC, lequel, comme Mme la sénatrice Valérie Létard l’a très bien dit, est en train de grignoter des parts de marché mondial. Nous devons nous armer avec un groupe suffisamment fort pour être capable de répondre à cette compétition de manière vigoureuse.
Il faut faire valoir les conditions d’une concurrence loyale auprès de la Commission européenne. Il semblerait que CRRC soit un peu porté par le gouvernement et l’écosystème chinois. C’est un point que nous souhaitons soulever auprès de la Commission. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
mise en place du réseau 5g
M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Patrick Chaize. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a récemment publié un rapport préliminaire sur l’impact sanitaire de la 5G.
S’appuyant sur des études scientifiques déjà disponibles, l’agence conclut, pour l’heure, à un manque important, voire à une absence de données scientifiques sur les effets biologiques et sanitaires potentiels de la 5G.
Il apparaît, en effet, que deux inconnues principales doivent être levées. La première découle de l’absence d’études spécifiques relatives aux bandes de fréquences qui seront utilisées, notamment la bande des 26 gigahertz. La seconde tient à une des spécificités de la 5G, à savoir le ciblage du signal sur les utilisateurs, qui implique un temps d’exposition court, mais des niveaux d’exposition élevés.
Des réponses à ces deux questions pourraient être apportées par le rapport final de l’Anses, prévu pour le premier trimestre 2021. Or la procédure d’attribution des fréquences aux opérateurs se déroulera très prochainement et les premiers déploiements devraient avoir lieu cet été.
Il est pourtant évident que le bond technologique que constitue la 5G ne sera accepté qu’au prix d’une rationalisation du débat public, ce que ne permet pas le calendrier actuel.
Madame la secrétaire d’État, pourrez-vous réellement tenir compte des conclusions du rapport de l’Anses, alors que les fréquences auront déjà été attribuées aux opérateurs et que la 5G aura commencé à être déployée ?
Je rappelle, enfin, que les efforts de rationalisation doivent porter non seulement sur le volet sanitaire, mais aussi sur l’aspect environnemental.
Le président de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), auditionné dans le cadre de la mission d’information relative à l’empreinte environnementale du numérique, que j’ai l’honneur de présider, a ainsi déploré qu’aucune étude de l’impact environnemental du déploiement de la 5G n’ait été menée.
Madame la secrétaire d’État, allez-vous enfin mener une évaluation de l’impact environnemental de la 5G ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur, qui me permet d’apporter un certain nombre d’éléments au débat important que vous posez sur les conséquences du déploiement de la 5G sur la santé et sur l’environnement.
Il existe aujourd’hui une réglementation visant à limiter les émissions d’ondes électromagnétiques sur les individus, quelle que soit la technologie concernée. Cette réglementation s’applique donc aussi bien à la 2G, à la 3G, à la 4G qu’à la 5G. Nous sommes d’ores et déjà dans un environnement régulé sur la base de recommandations posées par un groupe d’experts, la Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (ICNIRP), soutenues par l’OMS.
Aujourd’hui, l’Agence nationale des fréquences (ANFR) effectue, lors de chaque expérimentation de la 5G, des mesures qu’elle partage au sein d’un comité réunissant associations de consommateurs, élus locaux et opérateurs. Il s’agit d’accompagner ces expérimentations et d’en tirer un certain nombre d’enseignements pour le déploiement à venir de la 5G. Conformément à la feuille de déploiement mise en place en juillet 2018, tout est fait dans la transparence et avec l’accompagnement nécessaire.
Comme vous l’avez souligné, nous disposons de peu de recul sur la bande de fréquence de 26 gigahertz sur laquelle nous effectuons des tests. En revanche, nous avons bien plus de recul sur celle des fréquences de l’appel d’offres, puisque nous baignons dans ces ondes depuis des années, pour d’autres usages. Il me semble important de le rappeler.
Par ailleurs, plus on est loin d’une antenne, plus il est difficile d’accéder aux fréquences et plus on est exposé aux émissions. Les choses fonctionnent à rebours de ce que l’on croit. Ce n’est pas l’antenne qui doit faire peur, mais la difficulté à se connecter. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, pour la réplique.
M. Patrick Chaize. Comme vous l’avez souligné, madame la secrétaire d’État, les experts sont nécessaires. Or l’Anses, constituée d’experts, ne nous donne pas confiance. Et pour développer un tel réseau, il est nécessaire d’avoir confiance, notamment pour faciliter l’acceptation des antennes dans nos territoires.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Patrick Chaize. Il y a des inconnues multiples concernant la 5G, notamment dans le débat avec Huawei. Il serait utile de disposer rapidement d’une vision et d’un projet construits. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
pénurie de médicaments
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Yves Daudigny. Ma question s’adresse à M. le ministre des solidarités et de la santé, auquel je présente mes félicitations républicaines pour sa nomination.
Parmi les dossiers abandonnés sur votre bureau par votre prédécesseur figure la question des pénuries de médicaments. « Elles se multiplient en France », titrait récemment un hebdomadaire. Un pharmacien résume ainsi la situation : « Les problèmes se multiplient, on ne sait même pas comment répondre aux patients qui veulent savoir pourquoi leur médicament n’est pas disponible, et on ne s’avance plus sur des dates de retour à la normale ! »
À l’hôpital, l’indisponibilité de certaines classes thérapeutiques conduit à des pertes de chance inacceptables pour les patients.
En raison du coronavirus, des inquiétudes se font jour sur l’approvisionnement en matières premières, excipients ou principes actifs, massivement importés depuis l’Asie.
Je vous poserai donc une question en quatre points, monsieur le ministre.
Pouvez-vous nous rassurer sur les résultats de l’analyse demandée à l’Agence nationale de sécurité du médicament afin d’identifier les risques possibles de ruptures d’approvisionnement liées au coronavirus ?
Où en sommes-nous de la mise en œuvre des dispositions votées fin 2019, en particulier de l’obligation faite aux industriels de constituer des stocks de sécurité de deux à quatre mois ?
Une expertise est-elle menée pour la mise en place d’un programme public de production de quelques médicaments exposés à des tensions d’approvisionnement ?
Enfin, envisagez-vous de nouvelles initiatives, dans le cadre européen, pour remédier à une situation qui inquiète fortement nos concitoyens ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Mesdames, messieurs les sénateurs, cher Yves Daudigny, nous avons déjà eu le plaisir de travailler ensemble (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)…
M. Philippe Dallier. C’était le monde d’avant !
M. Olivier Véran, ministre. … et je ne m’étonne pas de votre question tout à fait légitime.
Vous posez d’ailleurs les jalons de ma réponse en évoquant les mesures prises par le Gouvernement dans le dernier budget de la sécurité sociale pour lutter contre les ruptures de stock. Permettez-moi de rappeler les plus essentielles : existence de stocks de quatre mois – disposition amendée par les députés et par les sénateurs pour faire en sorte que les médicaments ne restent pas sur les sites de production, notamment en Chine, ce qui n’aurait aucun sens, mais qu’ils soient bien sur le sol européen – et engagement des laboratoires de faire venir, à leurs frais, des médicaments de remplacement en cas de pénurie de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur.
Vous avez abordé la question de l’industrialisation. Je crois que c’est la clé. Nous pouvons mettre en place toutes les mesures que nous voulons pour lutter contre les ruptures de stock, mais il est impératif d’assurer de nouveau notre autonomie de production, non pas française, mais européenne, de médicaments. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.) Il s’agit à la fois d’un enjeu sanitaire et de réindustrialisation du pays. J’attends la remise du rapport de M. Biot, commandé par Agnès Buzyn, qui portera notamment sur cette question. On ne peut être dépendant à 90 % de pays comme la Chine, l’Inde, le Pakistan en matière de médicaments. Nous devons retrouver une souveraineté européenne. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE et Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
En ce qui concerne le coronavirus, sachez que je suis en contact quotidien avec l’ANSM et que je scrute le moindre signal d’alerte de rupture potentielle de stock. Comme vous l’avez souligné, la Chine fait face à une épidémie qui vise parfois les sites de production. Pour l’instant, aucun signal d’alerte n’est passé au rouge.
Toutefois, monsieur le sénateur, il ne s’agit pas d’une démarche nationale, mais d’une démarche européenne et même mondiale. À cet égard, je serai demain en contact avec tous mes homologues du G7, dans le cadre du G7 Santé. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour la réplique.
M. Yves Daudigny. Merci, monsieur le ministre, de votre réponse.
Le prix de certains médicaments anciens est devenu aujourd’hui trop bas pour justifier encore leur fabrication. Toutefois, permettez-moi de prendre l’exemple du Dupixent : ce médicament représente 2,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019, 10 milliards d’euros visés en 2025, ce qui permet au laboratoire pharmaceutique qui le produit d’atteindre 36 milliards d’euros de chiffre d’affaires et un résultat net de 2,8 milliards d’euros ! La réflexion n’est pas épuisée sur ce sujet… (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
pilotage de la politique de santé du gouvernement (ii)
M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Florence Lassarade. Ma question porte sur le départ précipité du Gouvernement de la ministre de la santé. Mme Buzyn a démissionné de son poste pour reprendre, au pied levé, la campagne de Benjamin Griveaux, dans les circonstances que l’on sait.
Cette démission intervient au moment où la crise du coronavirus fait son premier mort en France, où la réforme des retraites est quasiment dans l’impasse et où l’hôpital public traverse une crise profonde et durable. Je regrette en particulier que les mesures prises pour le personnel soignant concernent essentiellement les hôpitaux parisiens.
Il y a de l’incompréhension et de l’étonnement, car être ministre du nouveau monde n’empêche visiblement pas de faire campagne pour les élections municipales : vous-même, monsieur le Premier ministre, faites campagne au Havre ; M. Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics, à Tourcoing ; M. Franck Riester, ministre de la culture, à Coulommiers ; Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, dans le quatorzième arrondissement de Paris ; M. Lecornu, ministre chargé des collectivités territoriales, à Vernon ; Mme Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des armées, à Mont-de-Marsan ; et enfin, M. Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement, à Marchenoir. (Huées sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. David Assouline. Vous oubliez M. Attal !
Mme Florence Lassarade. Doit-on comprendre que, dans le nouveau monde, on peut être ministre à temps partiel et se présenter à une élection tout en annonçant à l’avance que l’on ne siégera pas comme maire ?
Dans ce contexte, la démission de la ministre de la santé s’apparente encore plus à une désertion. Pour quelles raisons Mme Buzyn a-t-elle été obligée de démissionner du Gouvernement pour faire campagne à Paris ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, au nom de la majorité à laquelle j’appartiens, je vous remercie d’avoir cité les nombreuses villes dans lesquelles nous présentons des candidats de très grande qualité qui porteront nos couleurs à l’occasion des élections municipales. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – Rires et exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
On aurait pu me reprocher de le faire, mais comme cela vient de vous, je ne peux, encore une fois, que vous en remercier. (Mêmes mouvements.)
Je vous remercie également, madame la sénatrice, de l’émotion qui transparaît dans votre question à l’idée qu’une grande ministre de la santé comme Agnès Buzyn ait pu quitter son ministère. À entendre vos regrets, j’imagine que vous étiez particulièrement favorable à la politique qu’elle a conduite.
Je vais, à mon tour, assurer la promotion de son action, parce qu’elle le mérite.
Mme Buzyn a mis en place le reste à charge zéro en seulement deux ans dans notre pays : 70 000 Français ont déjà pu profiter d’un équipement d’audioprothèse et plus de 2,5 millions de nos concitoyens de soins dentaires sans aucun reste à charge. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Buzyn a également élaboré un plan pauvreté, en passe d’être décliné sur tout le territoire avec le soutien incommensurable des secrétaires d’État Christelle Dubos et Adrien Taquet, qui permet notamment aux enfants de se nourrir correctement à l’école avec la cantine à bas prix et le petit-déjeuner gratuit.
L’action de Mme Buzyn en matière de politique sociale était particulièrement ambitieuse pour notre pays. Je pense aussi à l’action « 1 000 premiers jours » pour la famille, portée par Adrien Taquet. (Protestations et huées sur les travées du groupe Les Républicains.)
C’est encore un plan d’investissement sans pareil pour l’hôpital public : 150 millions d’euros d’investissement distribués dans les différents hôpitaux et reprise de la dette hospitalière de 10 milliards d’euros dont tout le monde aurait rêvé, sur toutes les travées de cette assemblée sénatoriale. Et encore, et encore… (Mêmes mouvements.)
Soyez rassurés, en tant que ministre de la santé et des solidarités, je suis prêt à assurer la relève, à poursuivre l’action remarquable qu’elle a engagée dans le pays. Encore une fois, madame la sénatrice, merci. (Huées sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur des travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade, pour la réplique.
Mme Florence Lassarade. Monsieur le ministre, vous avez vite appris : vous n’avez pas répondu à ma question ! (Rires et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe SOCR.)
dispositions pour les congés parentaux à la suite du décès d’un enfant
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Élisabeth Doineau. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé.
Le 30 janvier dernier, l’Assemblée nationale examinait la proposition de loi de notre collègue député UDI, Agir et Indépendants, Guy Bricout, visant à allonger le congé de deuil après le décès d’un enfant.
Le texte adopté était nettement en retrait des ambitions initiales de l’auteur, ce qui a suscité une émotion bien légitime des parents concernés, de l’opinion en général et, enfin, du Gouvernement.
En tant que rapporteure de ce texte, et en accord avec Muriel Pénicaud et Adrien Taquet, je souhaite que nous puissions travailler ensemble et aller plus loin dans l’accompagnement des familles endeuillées.
Techniquement, pour éviter les fourches caudines de l’article 40 de la Constitution, le Gouvernement doit s’engager sur un certain nombre de points. Êtes-vous prêts à prévoir une prise en charge par la solidarité nationale de tout ou partie du congé de quinze jours, à porter à 25 ans la limite d’âge et à garantir le même droit pour les indépendants et les fonctionnaires ? Êtes-vous prêts à mettre en place une aide financière universelle pour les obsèques et de quel montant ? Êtes-vous favorables au maintien des prestations familiales, trois mois après le décès de l’enfant ?
Ces points sont extrêmement importants et particulièrement attendus par les familles et les associations de soutien.
Au-delà de ces aspects financiers, nous le savons tous, l’accompagnement social, administratif et médico-psychologique est tout aussi important pour les familles touchées par un tel drame. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Doineau, le congé de deuil, ou plutôt le répit de deuil, a fait l’objet de débats et d’une large concertation, ces dernières semaines, que Muriel Pénicaud et moi-même avons menée avec les parlementaires, dont Guy Bricout, les associations qui accompagnent ces familles depuis de nombreuses années et les partenaires sociaux.
La question de la durée de ce répit de deuil est une question importante pour les familles qui nous demandent de le porter à douze jours ou quinze jours. À cet égard, madame la sénatrice, l’État prendra ses responsabilités.
Mais la question de ce délai n’est pas la seule qui préoccupe les familles. Il s’agit de mettre en place, de bâtir ensemble un véritable accompagnement, notamment financier, avec la création d’une prestation universelle pour permettre aux familles de faire face aux frais d’obsèques.
Comme vous l’avez souligné, la question de la prolongation d’un certain nombre d’allocations se pose également, car leur versement ne doit plus s’arrêter du jour au lendemain.
Il faut aussi assurer un accompagnement psychologique pour les parents, les frères et les sœurs.
Nous avons l’occasion, madame la sénatrice, avec vous, avec cette assemblée, avec la Nation tout entière, de bâtir un véritable accompagnement global pour ces familles à même de faire office de modèle en Europe.
Cette question nous renvoie aussi à celle, bien plus large, de l’accompagnement des familles françaises lorsque la grossesse ou l’accouchement se passent mal. Je viens d’achever un périple de six mois à la rencontre des familles de France aux quatre coins du territoire. Le mot qui est le plus revenu lors de ces rencontres est celui de « solitude » : les femmes se sentent seules pendant la grossesse qui se passe mal, notamment en cas de risque de prématurité ; elles se sentent seules face à une fausse couche ; elles se sentent seules face au risque post-partum ; elles se sentent seules quand leur mari doit retourner travailler après onze jours…
M. le président. Il va falloir conclure.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Madame la sénatrice, nous avons l’occasion de briser un certain nombre de tabous et de bâtir une véritable politique d’accompagnement des familles de France. C’est tout l’objet du projet des « 1 000 premiers jours » qui fera l’objet d’annonces d’ici à l’été. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
zones de revitalisation rurale
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Marc Boyer. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Madame la ministre, un rapport de l’Assemblée nationale sur les zones de revitalisation rurale (ZRR) préconise de recentraliser le soutien à la ruralité. Un rapport récent du Sénat vous propose de tenir compte de la réalité et de renouveler ce dispositif de soutien aux territoires ruraux.
Les ZRR sont vécues comme un dispositif de justice, tout en respectant la libre administration territoriale.
L’utilité du dispositif ne fait aucun doute, notamment en offrant une fiscalité adaptée aux acteurs économiques qui font le choix de la ruralité. Les exonérations fiscales, porteuses de leviers d’attractivité, soutiennent le tissu de proximité.
Or votre politique, au service de métropoles, abandonne la proximité, pourtant essentielle en ruralité. Aussi la recentralisation étatique, voire étatiste, de vos décisions est-elle mal vécue par nos citoyens, dans nos villages. Ils y voient un pouvoir central qui gère d’en haut sans comprendre leurs besoins ni en tenir compte.
Nos citoyens ruraux attendent désormais de vraies mesures et pas seulement de la « com’ ». Ils craignent cette recentralisation avec la réforme des ZRR que vous envisagez.
Madame la ministre, comptez-vous mettre fin aux ZRR et transférer le dispositif et les moyens associés dans la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), et mettre ainsi fin à un support économique essentiel ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Rémy Pointereau. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Merci de votre question, monsieur le sénateur.
Je rappelle que les ZRR ont été décidées en 1995 et qu’une loi de 2015, applicable en 2017, en a modifié le fonctionnement.
Aujourd’hui, environ la moitié des communes françaises sont en ZRR. Or, en juin 2020, près de 4 000 d’entre elles devaient sortir du dispositif. Le Premier ministre a annoncé un report de la mise en œuvre de cette décision à la fin de l’année.
Vous avez cité un rapport de l’Assemblée nationale, mais vos collègues, MM. Delcros et Pointereau et Mme Espagnac, ont également rédigé un rapport sur cette question. Nous avons travaillé ensemble, dans un esprit de « coopération décentralisée », et décidé qu’il était utile de revoir une géographie prioritaire de la ruralité, comme l’a annoncé le Premier ministre lors du congrès des maires ruraux, en septembre dernier.
Le travail des sénateurs et l’Agenda rural nous permettent d’envisager une politique plus ciblée sur les secteurs qui en ont le plus besoin.
Nous allons donc travailler avec les parlementaires, et notamment les délégations aux collectivités territoriales. Nous avons également lancé, avec le Premier ministre et les inspections générales, une évaluation de la politique des ZRR.
En fonction de toutes ces études, nous prendrons une décision ensemble d’ici à la fin de l’année. Celle-ci ne sera donc pas centralisée, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer, pour la réplique.
M. Jean-Marc Boyer. Madame la ministre, nos villages de France, du plus petit au bourg-centre, font la richesse de notre pays. Or les citoyens et élus ruraux se sentent abandonnés. Je regrette l’absence d’une vision globale de la ruralité dans votre propos. Vous nous parlez d’Agenda rural, d’Agence nationale de la cohésion des territoires et de géographie prioritaire. Mais ce sont des soins palliatifs pour notre ruralité ! Il faut sauver nos villages et nos campagnes. Cela nécessite non pas des rendez-vous ou des agendas, mais des moyens et la vision d’une vraie politique d’aménagement du territoire, laquelle n’existe plus depuis Jacques Chirac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
violences sexuelles dans le sport
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. Didier Rambaud. Ma question s’adresse à Mme la ministre des sports.
Depuis le témoignage glaçant de la patineuse Sarah Abitbol, une vague de témoignages d’athlètes abusés sexuellement dans leur jeunesse éclate au grand jour. Au-delà du patinage artistique, ce sont les mondes de l’escalade, du ski, du tennis et, maintenant, de l’équitation qui sont concernés, faisant des abus sexuels dans le sport un scandale qui renvoie irrémédiablement l’État à ses responsabilités.
Parler d’« abus sexuels » me paraît à vrai dire bien pudique, puisqu’il s’agit plutôt, en réalité, de témoignages de pédocriminalité dans les clubs sportifs qui accueillent nos enfants dans nos territoires.
Sachez, madame la ministre, que notre appui sera total tant il est urgent d’agir. J’aimerais à ce titre saluer l’organisation de la convention nationale sur la prévention des violences sexuelles dans le sport, qui se tiendra dans deux jours. Elle va dans le bon sens, puisque la pédocriminalité dépasse, hélas ! très largement le cadre du sport et que tous les acteurs sans exception doivent être mobilisés.
De la même manière, la piste de l’élargissement du contrôle d’honorabilité aux bénévoles qui encadrent les mineurs dans le monde sportif paraît particulièrement opportune. Toutefois, le bénévolat n’est pas la seule faille du système.
J’aimerais particulièrement attirer votre attention sur le modèle entraîneur-élève, qui structure largement le monde du sport et crée parfois une dépendance psychologique extrême, laquelle rend les mineurs vulnérables à la pédocriminalité, notamment lorsque l’entraîneur en vient presque à se substituer à la famille.
Aussi, pouvez-vous nous garantir, madame la ministre, que le futur projet de loi Sport et société se donnera les moyens de mettre définitivement un terme à ces crimes révoltants ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des sports.
Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. Monsieur le sénateur Didier Rambaud, je vous remercie de votre question et de votre soutien – je dois dire que c’est un soutien transpartisan qui a été manifesté sur cette thématique et il est indispensable dans cette période de transparence salutaire que traverse le sport français.
Comme vous l’avez dit, les témoignages des victimes, leur nombre, la gravité des faits, leur persistance dans le temps et l’impunité dans laquelle ils se sont déroulés sont aussi choquants que bouleversants. Ils le sont pour le grand public, pour le mouvement sportif, ainsi que pour l’État et ses agents. À ce titre, je tenais à remercier les agents de mon ministère de leur mobilisation en urgence pour écouter la parole qui se libère chaque jour.
Après-demain, vous l’avez dit, Nicole Belloubet, Adrien Taquet, Marlène Schiappa et moi-même réunissons tous les acteurs, dont les parlementaires, pour une convention nationale sur la prévention des violences sexuelles dans le sport. Car la pédocriminalité, vous l’avez dit aussi, n’est pas un sujet spécifique au sport : en Europe, un enfant sur cinq en est victime. Le sport doit apporter sa pierre à l’édifice d’une société plus sûre pour nos enfants. Chacun doit s’approprier cette vigilance de chaque instant.
Le pilotage des actions doit être mené main dans la main avec les collectivités et le mouvement sportif, afin de bâtir collectivement un plan national de prévention robuste et efficace, par le biais, notamment, de la loi Sport et société que vous venez d’évoquer et à laquelle nous travaillons activement pour aboutir à un texte au printemps 2020. Nous y renforcerons le contrôle de l’honorabilité des bénévoles et les obligations des dirigeants et des éducateurs à l’égard des fédérations.
Mais la vigilance devra aussi passer par des actions éducatives de formation et de prévention. Il s’agit de sensibiliser les enfants sur leur rapport à leur propre corps, chose qui n’est pas faite souvent dans notre société, y compris dans le cadre familial, et pour laquelle le sport peut jouer un grand rôle ; de former les éducateurs sur les limites à poser et à tenir dans les relations entre les entraîneurs et les personnes entraînées que vous avez évoquées ; d’agir de manière constante pour dire qu’il est important de parler, de dénoncer et de signaler. Il convient également de coordonner les actions de l’État, des associations spécialisées, des familles, des collectivités, des associations sportives et des fédérations, pour que ces situations ne se reproduisent plus à l’avenir, qu’il s’agisse du monde du sport ou de la société en général. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
situation de la médecine psychiatrique en france
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Morisset, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Marie Morisset. Monsieur le ministre des solidarités et de la santé, c’est avec une grande émotion que mon collègue Philippe Mouiller et moi-même vous posons cette question d’actualité, à la suite du drame qui s’est produit à l’hôpital psychiatrique de Thouars, dans le département des Deux-Sèvres, le jeudi 13 février dernier.
Dans le cadre de son travail, Élodie, jeune infirmière de 31 ans, mère de deux enfants en bas âge, a succombé à un coup de couteau mortel donné par un patient. Ayons en ce moment une pensée pour sa famille, ses proches, ses collègues de travail et l’ensemble des salariés du centre hospitalier Nord Deux-Sèvres, que le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie est venu rencontrer le lendemain du drame.
Beaucoup de questions se posent quant aux conditions dans lesquelles il s’est déroulé. Une enquête judiciaire est bien entendu en cours, mais nous pouvons d’ores et déjà pointer les nombreuses insuffisances qui touchent cet établissement.
Comme partout en France, les services de psychiatrie sont engorgés, la sécurité n’y est plus assurée, la qualité des soins n’est satisfaisante ni pour les patients ni pour ceux qui les délivrent, les conditions de travail sont parfois indignes et le personnel est à bout de souffle.
Ce drame met en lumière, monsieur le ministre, les insuffisances du nombre de personnels, le manque de moyens en matériels, ainsi que les besoins en termes de formations.
Bien qu’élevées au rang de priorité par votre gouvernement dans le cadre du plan national Ma santé 2022, la psychiatrie et la santé mentale restent les parents pauvres du secteur de la santé, alors que le nombre de personnes prises en charge explose.
Nous ne pouvons plus nous contenter de constats, de diagnostics, de conclusions, de rapports. Il convient maintenant d’agir de manière urgente et concrète.
Monsieur le ministre, à la suite de votre prise de fonctions, vous avez prévu de vous rendre dans les prochains jours sur le site de Thouars. Le personnel du centre hospitalier appréciera votre démarche.
Quelles sont les mesures d’urgence que vous pensez lui annoncer pour éviter que ce type de drames ne se reproduise ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, permettez-moi de partager avec vous et votre collègue l’émotion réelle qui anime l’ensemble de la communauté médicale, ce qui inclut l’ensemble des soignants et des cadres administratifs.
Sans vouloir raconter mon histoire personnelle, il se trouve que, pendant mon internat de médecine à Grenoble, j’ai travaillé pendant six mois comme interne dans un service de psychiatrie.
M. Gérard Longuet. C’est émouvant !
M. Olivier Véran, ministre. J’y ai vu la difficulté de l’exercice au quotidien, la richesse du contact avec les malades, avec parfois des gens qui sont dans une situation de délire et souffrent de pathologies psychiatriques extrêmement lourdes, de pathologies psychotiques ou de dépressions extrêmement graves. Il s’agit d’un exercice si particulier de la médecine qu’il présente parfois des situations de dangerosité, dont les conséquences sont intolérables, je vous rejoins parfaitement sur ce point.
Vous l’avez souligné, le délégué ministériel à la santé mentale s’est rendu sur les lieux. J’ai annoncé hier que je le ferai également, sans presse, pour rencontrer les équipes hospitalières, discuter et faire le point sur ce traumatisme, qui reste, je l’imagine, immense, quelques jours après le drame qui a touché cette jeune infirmière, mère de famille de 31 ans.
Vous posez la question des moyens accordés à la santé mentale dans notre pays. Il ne faut pas se mentir, la santé mentale a été trop longtemps le parent pauvre de la médecine dans notre pays, avec des établissements de santé vétustes et des équipes qui manquent de médecins. Voilà dix ans, près de 1 500 postes de psychiatres étaient déjà vacants dans les hôpitaux, non pas par manque de budget, mais par manque de psychiatres, eu égard à la démographie médicale.
C’est la raison pour laquelle des mesures très importantes ont été prises en faveur de la santé mentale, à savoir une augmentation du budget de 80 millions d’euros pour la seule année 2019 et de 140 millions d’euros pour l’année 2020. Nous sommes en train de finaliser les projets territoriaux de santé mentale, qui seront prêts d’ici au début de l’été 2020. Des mesures importantes ont été prises et budgétées dans le cadre du dernier budget de la sécurité sociale.
Je vous le garantis, le Gouvernement a pris à bras-le-corps le sujet de la santé mentale. J’espère que vous l’aurez compris, il s’agit aussi d’une question personnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Morisset, pour la réplique.
M. Jean-Marie Morisset. Il y a plus de dix ans, la commission des affaires sociales s’est penchée sur la psychiatrie. Les rapports ont été nombreux, ainsi que les auditions des ministres. Ils ont abouti aux mêmes conclusions, vous nous en avez fait part, la psychiatrie reste le parent pauvre du secteur de la santé. La réalité est alarmante.
Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour revoir l’organisation de la santé mentale sur le terrain et donner les moyens budgétaires suffisants pour prendre en compte le quotidien de nos soignants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
réforme des retraites
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Monique Lubin. Monsieur le ministre des solidarités et de la santé, j’ai déjà eu l’occasion, dans cet hémicycle, d’interpeller le Gouvernement sur le caractère anxiogène de la réforme des retraites, tant elle comporte d’imprécisions et d’inconnues.
Permettez-moi de le rappeler, le Conseil d’État évoque à ce sujet une « insécurité juridique », mais vous n’en avez pas grand-chose à faire, puisque, après l’annonce d’une conférence de financement qui rendra ses conclusions postérieurement au vote – si du moins elle va au bout de son travail –, après les démissions ou les désertions des différents responsables du dossier, voilà que, dans un ciel passablement assombri, nous voyons arriver ce que j’appelle un « OSNI », un objet statistique non identifié. Il s’agit du revenu moyen par tête, qui n’existe pas et qui deviendra – c’est ce que vous nous expliquez – l’alpha et l’oméga de la garantie de la stabilité du point, et du bonheur qui sera le nôtre avec ce futur régime de retraite. Chaque jour qui passe apporte son lot d’incongruités.
Par ailleurs, d’ici à 2037, date des premières liquidations de retraites dans la nouvelle version, nous verrons passer quatre législatures et, au minimum, deux présidents de la République, avec ce que cela représente d’incertitudes.
Dans ces conditions, comment les Français pourraient-ils vous faire confiance ? Ils ont bien compris que rien, absolument rien, dans ce projet n’est sécurisé.
Nous considérons donc qu’il vous reste deux possibilités, monsieur le ministre : vous avez le choix entre une sagesse responsable qui vous amènerait à retirer ce dossier ou une obstination qui deviendrait coupable. Quelle voie choisirez-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Monique Lubin, vous avez parlé de confiance. Vous avez raison, c’est là tout l’enjeu.
Dans le système actuel de retraites, où est-elle ? Interrogez les Français ! Près des trois quarts d’entre eux vous disent que, dans le système actuel, leurs chances de bénéficier d’un système de retraite par répartition sont quasiment nulles. La confiance n’existe donc pas !
J’ai 39 ans, madame la sénatrice… (Sourires.)
Mme Sophie Primas. Bravo !
M. Olivier Véran, ministre. J’ai effectué plusieurs métiers dans ma vie, plusieurs missions. J’ai cotisé à quatre régimes différents de retraite. J’ai demandé à des experts et des statisticiens de m’expliquer ce qui avait servi pour le calcul de ma retraite. Le fait d’avoir été aide-soignant pendant une semaine dans un Ehpad a-t-il été pris en compte ? Non ! Le fait d’avoir travaillé sur les marchés ou en mairie a-t-il été pris en compte ? Non ! À quel âge pourrai-je arrêter de travailler, dans la mesure où j’ai effectué des jobs dès l’âge de 18 ans ? On m’a répondu que je pourrai partir à la retraite à 67 ans.
Croyez-vous que ma génération ait confiance dans le système actuel des retraites ? Nous souhaitons une transformation vers un régime universel dont les règles soient claires, fonctionnant par points et non par trimestres et s’appliquant à tous, qu’on travaille dans le public ou dans le privé.
Vous vous inquiétez, madame la sénatrice, de la création d’un nouvel indicateur, ce que je peux comprendre. Cet indicateur n’existe que parce que la loi lui demande d’exister. On ne peut pas demander à un indicateur de préexister à la loi qui le crée ! Par ailleurs, si vous lisez le rapport de Jean-Paul Delevoye, vous vous apercevrez qu’il ne vient pas de nulle part. Sans vous donner l’algorithme précis, je peux vous dire qu’il correspondra, pour 80 % de ses critères, aux revenus des salariés. Mais, pour assurer sa pertinence, nous tenons compte de tous les types de revenus, puisque notre pays compte également des travailleurs libéraux et des indépendants.
Je peux vous garantir deux choses, votées en commission spéciale à l’Assemblée nationale la semaine dernière dans le cadre de l’examen de la loi organique,…
Mme Sophie Primas. Ça n’a servi à rien !
M. Olivier Véran, ministre. … laquelle a pu être adoptée dans les délais : la valeur du point ne baissera pas et, quoi qu’il arrive, les pensions des retraités ne pourront pas diminuer. (Exclamations sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
M. Jérôme Durain. Chiche !
M. Olivier Véran, ministre. Ce sont là deux indicateurs importants pour la confiance des Français ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour la réplique.
Mme Monique Lubin. Monsieur le ministre, il n’y a plus que vous qui croyez en ce que vous dites ! (Sourires.) Comment peut-on, à une échéance de dix-sept ans, voire de quarante ans, affirmer que les retraites ne baisseront pas ? Et ce avec un indice qui n’existe pas et qui sera calculé sur la base d’une moyenne entre de très hauts et de très bas revenus, ces derniers étant très nombreux dans notre pays ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement, et M. Véran a pu « amortir » sa première séance au Sénat. (Sourires.)
Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu mercredi 26 février 2020, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. David Assouline.)
PRÉSIDENCE DE M. David Assouline
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
3
Candidatures à une mission d’information
M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation des vingt et un membres de la mission d’information sur le thème : « Quel rôle, quelle place, quelles compétences des départements dans les régions fusionnées, aujourd’hui et demain ? »
En application de l’article 21, alinéa 3, du règlement, la liste des candidats établie par les groupes a été publiée.
Elle sera ratifiée si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.
4
Libre choix du consommateur dans le cyberespace
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande de la commission des affaires économiques, la discussion de la proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace, présentée par Mme Sophie Primas et plusieurs de ses collègues (proposition n° 48, texte de la commission n° 302, rapport n° 301).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Sophie Primas, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions.)
Mme Sophie Primas, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes appelés à voter, cet après-midi, un texte important : important, parce qu’il concerne un sujet stratégique pour l’avenir, la liberté du consommateur au sein de l’économie numérique ; important, aussi, parce qu’il nous rassemble, quelle que soit notre couleur politique – et je veux commencer mon propos par y insister.
Le 5 février dernier, la commission que j’ai l’honneur de présider a adopté la proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace à l’unanimité, sans aucune abstention ! De surcroît, la proposition de loi avait déjà été cosignée par l’intégralité des membres de la commission, mais le consensus va au-delà de nos rangs, puisque c’est plus de la moitié des sénateurs qui l’a cosignée. Cela souligne une fois encore, s’il en était besoin, la spécificité de notre assemblée, où des majorités d’idées se dégagent par-delà les clivages politiques traditionnels, et où le mot « consensus » n’est ni un gros mot ni un vain mot.
Ainsi, des parlementaires de tous bords se sont unis pour agir sur l’un des enjeux essentiels de notre temps, un sujet qui concerne la quasi-totalité de nos concitoyens, au quotidien, du soir au matin, sans même, souvent, qu’ils s’en aperçoivent, à savoir l’enfermement des consommateurs, sur internet, par quelques acteurs dominants, efficaces, puissants et même, pourrait-on dire, trop puissants. Si le Sénat adopte ce texte aujourd’hui, il pourra s’enorgueillir d’avoir contribué à mettre ce sujet au cœur de la scène politique française et européenne. Je souhaite adresser mes remerciements appuyés et affirmer ma gratitude à tous mes collègues qui ont bien voulu s’associer à cette démarche inédite.
En dépit de la qualité de leurs services et de leur contribution à l’innovation, les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), les géants américains du Net, font l’objet de critiques nombreuses. Ces critiques, mes chers collègues, vous les connaissez comme moi, puisque le Sénat a déjà eu à se prononcer, en la matière, sur des initiatives législatives.
Évasion fiscale, pillage de nos données personnelles, professionnelles et stratégiques, concurrence déloyale, discours de haine, fausses informations, déstabilisation de la démocratie : tous ces sujets – nous tentons d’ailleurs de les traiter à l’échelon national, via la taxe sur les Gafam, la loi relative à la lutte contre les fake news, la proposition de loi visant à lutter contre la haine en ligne, ou encore la loi de blocage qui continue de se faire attendre – trouvent leur racine, leur source, dans une seule et même cause, à savoir la domination économique excessive de quelques-uns et la restriction de la liberté des consommateurs qui en résulte, ceux-ci ne pouvant plus faire jouer la concurrence par la qualité.
Ne négligeons pas l’enjeu en question. Ce qui a fait l’efficacité du marché, c’est la concurrence : la concurrence comme facteur essentiel de diversité de l’offre, d’accroissement de la productivité et d’intensité de l’innovation. Or ceux qui étaient hier des start-up sont aujourd’hui d’énormes entités économiques, qui abusent de leurs positions dominantes sur un marché où la taille est devenue essentielle.
Et la tendance ne risque pas de s’inverser ! Malgré les scandales et les amendes à répétition – plus de 8 milliards d’euros d’amendes infligés à Google en Europe en trois ans –, les marchés financiers continuent d’accorder leur confiance à ces géants, comme en témoigne la valorisation boursière de ces derniers : plus de 5 000 milliards de dollars pour les cinq sociétés constituant les Gafam, et une croissance de 1 600 milliards de dollars en 2019. WhatsApp vient de dépasser les 2 milliards d’utilisateurs, rejoignant ainsi notamment, dans le club fermé de ceux qui franchissent ce seuil, Facebook, qui en est d’ailleurs le propriétaire, ainsi que Google, son système d’exploitation Android et sa plateforme de vidéos YouTube.
D’un point de vue économique, le commerce en ligne prend une place croissante dans les habitudes de consommation. Internet promettait d’être l’eldorado de la liberté : liberté d’entreprendre pour les entreprises, liberté de choix pour les consommateurs. Grâce aux smartphones, auxquels nous recourons de plus en plus pour accéder à internet, il est possible de consommer en tout lieu, à toute heure.
Or, aujourd’hui plus que jamais, les smartphones sont régis par un duopole d’écosystèmes en silos : nous sommes dans les mains d’un duopole qui a toute latitude pour organiser comme il le souhaite la façon dont nous agissons en ligne. C’est comme si une entreprise se mettait à fabriquer des postes de télévision qui ne nous laisseraient le choix que de regarder une seule chaîne !
Il n’est pas question de nier les bienfaits de l’économie numérique, qui est avant tout une fantastique opportunité pour nos entreprises, et un lieu bouillonnant d’innovations.
Il n’est pas non plus question de nier la qualité des services apportés par les géants du Net, qui investissent beaucoup. Simplement, ils ont acquis un poids trop important, et, si nous n’agissons pas, tous les marchés numériques pourraient bientôt être constitués d’un duopole formé d’un géant américain et d’un géant chinois.
Plus nous attendons, plus le choix des consommateurs est limité, plus l’innovation est corsetée, et moins nos entreprises se développent. Tant que nous n’agissons pas, les acteurs économiques – c’est logique et rationnel – n’ont aucune incitation à modifier leurs comportements. Tant que nous n’agissons pas, ils ont toutes les raisons de tuer la concurrence et d’enfermer le consommateur dans leurs écosystèmes respectifs. Tant que nous n’agissons pas, c’est un signal de laisser-faire que nous envoyons, alors que la nécessité d’agir est chaque jour démontrée – et les rapports qui documentent page après page les effets induits par cette situation oligopolistique devraient nous y inciter ! Nous devons rééquilibrer les relations entre les grands d’internet et les utilisateurs ; nous devons rendre le pouvoir aux consommateurs !
Vous nous avez dit – et vous allez sûrement le répéter –, monsieur le secrétaire d’État, qu’il serait beaucoup plus efficace d’agir à l’échelon européen. Certes ! Personne dans cet hémicycle ne le nie ! D’ailleurs, s’agissant d’entreprises mondiales, pourquoi ne pas attendre d’agir à l’échelle mondiale ? Et puisque Jeff Bezos et Elon Musk entendent rendre possible la vie dans l’espace, pourquoi ne pas attendre d’agir au niveau intergalactique ? (Sourires.)
Si je me permets ce petit détour par l’absurde, c’est qu’après tant d’années d’atermoiements les parlementaires ne peuvent plus se contenter de la réponse type : « attendons l’Europe » ! Comme disait le général de Gaulle, « on peut sauter sur sa chaise comme un cabri, en disant : “L’Europe ! L’Europe ! L’Europe !” » (Nouveaux sourires.), mais cela risque de n’aboutir à rien, en tout cas à brève échéance !
Je crois profondément à l’Europe, mais le temps est à l’urgence. Souvenez-vous de la fameuse taxe Gafam ! Pendant combien de temps les gouvernements successifs ont-ils répondu aux parlementaires qu’il fallait agir à l’échelon européen, si ce n’est international ? Combien de temps perdu pour finalement se résigner à opérer au niveau national et ainsi mettre fin à un élément essentiel de la concurrence déloyale des géants du numérique ?
En fait, monsieur le secrétaire d’État, nous sommes d’accord avec vous : il faut agir à l’échelle européenne. Et nous soutiendrons toutes les initiatives que vous pourrez proposer en ce sens. Mais, en attendant, pourquoi ne pas intervenir à l’échelon national ? Pourquoi prendre le risque d’une emprise toujours plus grande de quelques entreprises sur les marchés numériques, alors que nous avons le pouvoir de limiter la casse – pardonnez-moi cette expression ? Pourquoi faire preuve de tant de pudeur quand l’Allemagne, elle, a déjà publié un avant-projet de loi musclant le droit de la concurrence pour l’adapter à l’ère numérique ?
Nous ne devons pas céder à la résignation. Agissons à la racine du problème en adaptant la régulation économique à l’ère des géants du numérique. Confions à un régulateur le soin de fixer un cadre, et même un cap, au marché.
Au fond, monsieur le secrétaire d’État, ce texte se veut aussi un moyen de renforcer la position de la France dans les négociations que vous conduisez actuellement au plan européen. Vous le savez comme nous : nous avons beau disposer, sur le sujet, de commissaires européens allants, tous les États membres ne partagent pas les mêmes points de vue. Vous le savez comme nous : le calendrier européen nous amènera au mieux en 2022, au pire en 2024. Et vous le savez comme nous : la pression parlementaire que nous exerçons par le biais de cette proposition de loi permet d’envoyer un signal aux institutions bruxelloises. Ces dernières sont attendues sur ce sujet ; il faut qu’elles le comprennent !
Nous mesurons pleinement la difficulté de la tâche. C’est pourquoi nous proposons aujourd’hui à la Haute Assemblée d’adopter ce texte.
Monsieur le secrétaire d’État, si le Sénat vote ce texte, la balle sera dans votre camp, et dans celle de nos collègues députés, pour inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ! Et, dans tous les cas, nous aurons l’occasion de rediscuter de ce sujet lors de l’examen du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique, qui contient des dispositions relatives au numérique, au droit de la concurrence et aux communications électroniques. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, Les Indépendants, SOCR et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Mme Sophie Primas et Sylviane Noël, rapporteur, applaudissent.)
M. Franck Montaugé, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme l’a dit la présidente de la commission et première signataire de cette proposition de loi, nous examinons aujourd’hui un texte qui nous rassemble largement. Le groupe socialiste et républicain a tenu à y apporter d’emblée une contribution active, via la fonction de corapporteur que j’ai le plaisir d’exercer.
Ces travaux sont pour moi le prolongement de ceux que j’ai effectués dans le cadre de la commission d’enquête sur la souveraineté numérique, que j’ai eu l’honneur de présider et dont Gérard Longuet a été le rapporteur.
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Franck Montaugé, rapporteur. Permettez-moi, mon cher collègue, de vous remercier de nouveau de votre travail au sein de cette commission d’enquête.
Ce texte ainsi que certains amendements que nous allons examiner s’inscrivent dans la continuité du rapport de cette instance et prolongent nombre des recommandations formulées.
La commission d’enquête avait souligné le manque de coordination et de visibilité de la stratégie gouvernementale en matière numérique. Nous avions relevé le fonctionnement en silos des ministères et l’absence de stratégie globale.
Nous avions donc recommandé la création d’un forum temporaire pour remettre à plat la stratégie française en matière de souveraineté numérique, et l’élaboration d’une loi d’orientation et de suivi de la souveraineté numérique.
Monsieur le secrétaire d’État, je me permets d’insister de nouveau sur ce point ; plus le temps passe, en effet, et plus je suis convaincu de la nécessité d’une telle démarche.
Continuer à subir, procrastiner en invoquant moult raisons, c’est nous condamner à la « silicolonisation » de la France et de l’Europe, pour reprendre le néologisme parlant du philosophe Éric Sadin.
J’en viens à la proposition de loi. L’enjeu qu’elle a pour vocation de traiter est celui du rééquilibrage de la relation entre les géants du Net, ou plateformes structurantes, d’une part, et les consommateurs, d’autre part. Elle prévoit, dans ses deux premiers chapitres, de confier à un régulateur la mission d’orienter le marché de telle sorte que des comportements dommageables ne puissent voir le jour.
Elle promeut une logique de régulation a priori, ex ante, et d’accompagnement des acteurs. La sanction n’est là que pour crédibiliser la régulation, mais l’idée est de ne pas avoir à y recourir.
La célérité avec laquelle des comportements dommageables pour les concurrents et pour les consommateurs peuvent apparaître dans l’économie numérique justifie de compléter la régulation a posteriori, celle du droit de la concurrence ou des pratiques restrictives de concurrence. La réglementation a posteriori, ex post, n’est en effet pas suffisamment réactive. C’est pourquoi il faut repenser la logique de l’action publique.
C’est ce qui est envisagé dans la proposition de loi, avec deux points d’entrée que sont la neutralité des terminaux et l’interopérabilité des plateformes.
Mais – je le disais –, si la nouvelle régulation que nous proposons est complémentaire de la réglementation ex post que nous connaissons, cette dernière reste nécessaire.
La commission a donc enrichi le texte par un dispositif permettant de garantir la sincérité des interfaces, afin de lutter contre ce qu’il est convenu d’appeler, en bon gascon, les « dark patterns », ces techniques de manipulation et de contrainte des utilisateurs-internautes.
Et nous proposons que la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) contrôle les pratiques, dans une logique on ne peut plus classique de protection des consommateurs.
Mais le cœur de la proposition de loi est bien d’inventer de nouvelles formes de régulation des plateformes structurantes : une régulation plus agile, plus efficace, qui ne bride ni n’empêche l’innovation et qui permette de mettre un terme à la dynamique d’enfermement du consommateur que l’on constate aujourd’hui – Mme Primas l’a évoquée.
Nous avons suivi l’avis du Conseil d’État, et les amendements adoptés en commission visent notamment à assurer la conformité de notre dispositif au droit de l’Union européenne. Sur ce point, la directive dite e-commerce, adoptée au début des années 2000, a montré son inadaptation au contexte économique nouveau.
Cette directive consistait, entre autres, à limiter strictement la possibilité pour les États d’édicter des réglementations pesant sur les services de la société de l’information, afin d’en favoriser l’essor.
Mais que constate-t-on aujourd’hui ? La Chine a les BATX – Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi –, la Russie a aussi ses géants du numérique, quand l’Europe, elle, est dépendante des géants américains.
Monsieur le secrétaire d’État, l’unité républicaine qui se dessine au Sénat sur cette proposition de loi a un sens politique fort. Vous le reconnaissez vous-même, il y a urgence à agir, et le Parlement dans son ensemble doit prendre ses responsabilités.
Si, comme je le crois, la chambre haute adopte ce texte aussi largement qu’il a été cosigné, il ne tiendra qu’à vous et au gouvernement dont vous êtes membre de le faire voter par l’Assemblée nationale. De la sorte, la France aura donné l’exemple, comme l’Allemagne, d’ailleurs, dans un contexte européen où l’on sait que les calendriers de l’action publique effective sont toujours très longs et parfois préjudiciables, comme c’est le cas en l’espèce, aux économies nationales ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et RDSE. – Mmes Sophie Primas, Noëlle Rauscent, Marie-Noëlle Lienemann et Mme le rapporteur applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions.)
Mme Sylviane Noël, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est à tous les utilisateurs de smartphones que nous nous adressons à travers la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. Avec les smartphones, chacun est libre de communiquer, d’échanger et de consommer, où il veut, quand il veut. Comme le dit la publicité : le monde est à portée de main.
Mais la réalité est que le monde est orchestré par deux acteurs, Apple et Google. Il est souvent difficile de s’en rendre compte, mais ces deux acteurs dominants possèdent toute la chaîne de valeur, des systèmes d’exploitation aux applications en passant par les magasins d’applications et, s’agissant d’Apple, la fabrication du terminal lui-même. Ils sont ainsi en mesure de verrouiller l’accès des entreprises à leur écosystème et d’y enfermer les consommateurs.
Impossibilité de désinstaller certaines applications, impossibilité d’en installer certaines autres, traitement discriminatoire des applications tierces par rapport aux applications « maison », sont autant de manières de brider la concurrence et de limiter la liberté du consommateur.
Si le texte que nous examinons aujourd’hui était adopté, demain, ces comportements seraient sous le contrôle d’un régulateur dédié.
Voilà bientôt un an, l’autorité de la concurrence hollandaise publiait le résultat d’une enquête préliminaire qui visait certaines de ces pratiques. En France, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) propose, depuis le début des années 2010, d’étendre la neutralité du Net aux terminaux. C’est ce que nous suggérons aujourd’hui de faire en passant du constat à l’action.
C’est aussi à tous les utilisateurs de réseaux sociaux que s’adresse cette proposition de loi. Bien des échanges ont déjà eu lieu sur ce sujet dans le cadre de l’examen de la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet. Nous pensons que l’interopérabilité des réseaux sociaux, comme celle d’autres plateformes, est un outil essentiel pour rendre le pouvoir au consommateur, lui permettre d’arbitrer entre diverses plateformes et de communiquer avec les utilisateurs d’autres plateformes.
La proposition de loi rendrait possible, sous le contrôle de l’Arcep, l’émergence d’agrégateurs de comptes de réseaux sociaux, comme il existe aujourd’hui des agrégateurs de mails. Elle permettrait aussi de discuter avec ses contacts, qu’ils soient ou non utilisateurs du même réseau social, comme il est possible de communiquer depuis un téléphone faisant l’objet d’un abonnement à SFR vers un téléphone relevant d’un abonnement à Orange.
Enfin, c’est à tous les utilisateurs d’internet que la proposition de loi s’adresse au travers du dispositif introduit en commission visant à garantir la sincérité des interfaces utilisateurs. Ce mécanisme interdit le recours à des interfaces trompeuses, ces modes de conception des interfaces numériques qui orientent techniquement les choix du consommateur et le piègent de façon discutable. Généralement appelées dark patterns, ce sont par exemple des cases pré-cochées relatives au paiement d’une assurance que l’on ne souhaite pas, ou le fait d’avoir toutes les difficultés du monde à se désinscrire ou se déconnecter d’un service.
La proposition de loi tend également à renforcer le droit de la concurrence. Les seuils de déclenchement du contrôle des concentrations comprennent aujourd’hui de nombreux angles morts. Or, dans le monde numérique, les géants américains et chinois, qui disposent d’énormes trésoreries, adoptent des stratégies d’acquisition à tout-va et passent entre les mailles du filet, ce qui éveille des soupçons légitimes sur ces acquisitions.
Est-ce un phénomène dont les autorités de la concurrence doivent se désintéresser ? Nous ne le croyons pas, et nous proposons de rendre la vue à l’Autorité de la concurrence sur ces opérations, ne serait-ce que pour éteindre les soupçons ! Si une opération de rachat d’une entreprise active en France par un géant numérique devait poser un problème de concurrence sur le marché français, nous serions alors armés pour y répondre.
En commission, nous avons tenté de déterminer un faisceau d’indices auquel l’Autorité de la concurrence pourrait avoir recours pour caractériser les géants du numérique. Car l’objectif est bien de viser les entreprises du numérique les plus importantes dans le monde et en Europe.
C’est d’ailleurs un objectif qui irrigue l’ensemble de la proposition de loi : ne rajouter une « couche » de réglementation que là où c’est nécessaire et, ainsi, éviter d’imposer les mêmes règles à tous, des règles qui dans les faits ne peuvent être absorbées que par les plus gros.
Pour conclure, je veux souligner de nouveau le fait que nos partenaires allemands ont publié un projet de réforme du droit de la concurrence en vue de l’adapter à l’ère numérique. Monsieur le secrétaire d’État, cela me paraît un véritable encouragement à faire du couple franco-allemand le moteur de l’Europe sur ce sujet ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le président, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, si nous devions en cet instant faire un bilan du développement de l’internet, nous y verrions deux mouvements paradoxaux : une promesse d’universalité empreinte d’ouverture et de neutralité, et une concentration continue encouragée par l’évolution de nos usages.
Certains de ces usages ont plus particulièrement contribué à cette concentration, et parmi ceux-là l’utilisation des terminaux.
Nous consommons désormais de l’internet prioritairement par le biais de mobiles et non plus des ordinateurs classiques. En privilégiant ce mode d’accès, nous conditionnons notre entrée dans le monde numérique à l’utilisation d’environnements logiciels qui offrent non pas un choix, mais seulement l’illusion d’un choix.
Lorsque nous utilisons notre téléphone, nous nous glissons dans les contraintes du système d’exploitation et de ses applications préinstallées dont certaines limitent sciemment certaines fonctionnalités, voire préemptent nos décisions.
Sans doute cette évolution est-elle d’abord le fruit de notre penchant naturel pour la commodité : plus il est facile d’utiliser un service, plus celui-ci devient puissant, de telle sorte que la commodité se révèle être un terreau propice au développement de positions dominantes.
Cette mise en balance du confort procuré et de la liberté abandonnée ne saurait toutefois justifier, dans l’économie numérique, la mainmise croissante des systèmes d’exploitation sur l’accès aux contenus et aux services de l’internet.
Cette situation, nous la constatons chaque jour. Elle ne fait qu’asseoir plus encore la domination des grandes entreprises du numérique, qui disposent d’une puissance de marché forte et persistante, de capacités de contrôle de l’accès et du fonctionnement du marché, d’économies d’échelle et d’effets de réseau très importants.
L’initiative du Sénat est donc largement bienvenue de ce point de vue, et si nous divergeons sur la méthode – Mme Primas a défloré une opposition sur laquelle nous reviendrons –, je partage la préoccupation qu’exprime aujourd’hui, au travers de ce texte, la Haute Assemblée.
Il y va d’abord de l’intérêt des consommateurs, si l’on garantit le libre choix dans les usages numériques et un internet réellement ouvert de bout en bout. À ce titre, le combat pour la neutralité du Net qui a longtemps été une affaire d’initiés est devenu depuis quelques années une bataille démocratique, et nous devons nous en réjouir.
Il y va aussi du développement de nos entreprises, parfois soumises à des conditions contractuelles, avec des plateformes structurantes qui leur sont particulièrement défavorables et interrogent sur le partage de la valeur.
Il y va enfin de notre souveraineté française et européenne.
Je me réjouis de partager avec vous cette conviction commune. Je remercie le Sénat, et tout particulièrement Mme Sophie Primas, des travaux menés en préparation de l’examen de ce texte.
Les thèmes abordés couvrent au fond trois enjeux stratégiques : la neutralité des terminaux, l’interopérabilité des plateformes et le contrôle plus efficace des concentrations. Ces enjeux décisifs sont au cœur de la réflexion du Gouvernement.
Je veux d’abord rappeler que nous ne sommes pas dépourvus de leviers d’action à l’échelon national sur ces questions, que ce soit au travers du droit de la concurrence ou par le biais d’autres outils.
Ainsi, le droit de la concurrence permet d’ores et déjà d’agir en matière de ventes liées. Il faut rappeler que la Commission européenne vient de condamner Google à une amende de plus de 4 milliards d’euros pour des pratiques de ventes liées de l’application Google Search et du navigateur de recherche Google Chrome, avec des pré-installations systématiques sur les appareils Android et Windows Mobile.
Nous disposons en outre, via le code de commerce, d’instruments en matière de pratiques restrictives de concurrence qui permettent par exemple à la DGCCRF de sanctionner des conditions commerciales manifestement abusives, les clauses créant un déséquilibre significatif au détriment d’une partie, les ruptures brutales de relations, et l’obtention d’avantages manifestement indus ou disproportionnés.
C’est dans ce cadre que le ministre de l’économie a assigné Apple et Google devant le tribunal de commerce de Paris en 2017 et 2018 pour avoir soumis les développeurs d’application présents sur l’App Store ou Google Play à des obligations créant un « déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».
Des outils existent donc pour agir sur les questions légitimes soulevées dans le cadre de cette proposition de loi, et il convient que nous continuions de les mobiliser au maximum.
Mais frapper juste, c’est frapper au bon moment, et bien souvent la régulation ex post, c’est-à-dire celle qui constate et condamne les pratiques, est trop tardive et ne permet pas de corriger des situations de domination durablement ancrées. Comme vous le proposez, mesdames, messieurs les sénateurs, il faut que les régulateurs puissent orienter la manière dont sont conçus les produits et les services des plateformes structurantes, afin d’éviter qu’elles n’imposent une forclusion du marché.
Toutefois, une régulation opérante n’aura de sens qu’à un niveau permettant d’appréhender efficacement les difficultés technologiques et juridiques que posent la taille et la complexité des géants mondiaux du numérique.
Cet échelon, j’en suis persuadé, est celui de l’Union européenne.
Quel État membre ou quelle partie de monde peut se targuer d’avoir infligé un total record de 8,2 milliards d’euros d’amendes en deux ans à Google pour abus de position dominante ?
L’Union européenne s’est imposée comme un acteur majeur de la régulation, mais aussi de la géopolitique du numérique. À cet égard, la nouvelle commission a fait montre d’une ambition importante, qu’il s’agit encore de traduire dans les actes, sur cette question du numérique.
J’ai d’ores et déjà engagé des discussions avec la Commission, en particulier avec les commissaires Vestager et Breton, qui élaborent leur programme en matière de régulation du numérique, notamment dans le cadre du futur Digital Services Act et d’une réflexion globale sur les nouveaux enjeux du numérique.
Nous avons conscience qu’il reste un long chemin à parcourir, et c’est au fond dans cet état d’esprit que j’ai reçu la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. Mais la seule réponse pertinente réside dans le fait de bâtir un cadre efficace et harmonisé au sein de l’Union européenne.
S’agissant de la régulation des GAFA, le Gouvernement porte une ambition qui dépasse les sujets qui nous occupent dans le périmètre de cette proposition de loi. Il considère qu’ont émergé dans le monde du numérique des entreprises dont l’empreinte sur notre économie et notre démocratie est structurante et inédite.
À problème structurant, réponses structurantes : il est nécessaire de déployer une supervision et une régulation spécifiques pour les acteurs systémiques ayant une empreinte sur notre économie et notre démocratie. Cela justifie que le problème soit traité à l’échelle européenne. Ces entreprises pourraient se voir appliquer des obligations, des régulations et des supervisions spécifiques, dont font partie l’interopérabilité, l’ouverture de services à des tarifs régulés, le contrôle des concentrations.
Cette réflexion est notre priorité et nous espérons accomplir des progrès dans le cadre de l’agenda de la nouvelle Commission. Je comprends l’impatience de la Haute Assemblée sur la question de la régulation européenne, mais nous sommes dans un temps particulier. Nous saurons dans les mois ou les semaines qui viennent si l’Europe a l’ambition de traiter ce sujet à un niveau plus structurant que celui qui est prévu dans la proposition de loi.
Si l’Europe ne se saisissait pas de cette question, il ne faudrait pas écarter une régulation au plan français. Quoi qu’il en soit, nous avons la capacité de peser sur les choix européens dans les prochains mois, et c’est ce que nous devons faire prioritairement.
M. Franck Montaugé, rapporteur. Il faut faire les deux !
M. Cédric O, secrétaire d’État. L’élaboration d’un dispositif efficient de régulation ne se fera pas du jour au lendemain ; elle demande du temps et une concertation qui dépasse nos frontières, dans un secteur qui n’en connaît pas, ainsi que de solides garanties juridiques, ce système devant s’appliquer à des acteurs dont la grande majorité sont établis hors de France. Je pense notamment aux règles harmonisées encadrant la mise sur le marché des terminaux, l’e-commerce, ou encore la prestation des services de médias audiovisuels.
Pour l’ensemble de ces raisons, vous l’aurez compris, si le Gouvernement partage votre diagnostic et vos ambitions de régulation des géants de l’internet, il reste pour le moins réservé sur les modalités de mise en œuvre figurant dans cette proposition de loi.
Pour ne pas affaiblir le combat engagé à l’échelon européen et pour donner toutes ses chances au travail que nous menons actuellement pour convaincre les autres États membres, il ne nous semble pas souhaitable de légiférer au niveau national. Je rappelle que nous pouvons compter sur de nombreux alliés : lundi prochain, nous réunirons à Bercy 85 représentants de nos partenaires européens et de la Commission pour travailler concrètement sur la définition des plateformes structurantes et sur les supervisions spécifiques.
Bien qu’il soit conscient des enjeux majeurs d’une meilleure régulation au plan européen, le Gouvernement est donc défavorable à ce texte.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et au banc des commissions.)
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi présentée par la commission des affaires économiques est aussi passionnante et utile pour nos concitoyens que technique dans ses détails et potentiellement complexe dans sa mise en œuvre. Ce n’est pas sans rappeler nos débats de 2018 lors de la transposition de la directive sur le secret des affaires, en particulier sur la nécessité de concilier protection des intérêts économiques et liberté d’expression et d’information.
L’actualité ne cesse de le démontrer pour le meilleur et parfois le pire, les technologies de l’information et de la communication, surtout lorsqu’elles sont mal maîtrisées – nous en avons eu récemment un exemple (Sourires.) –, ne cessent de poser un défi à notre société, à nos pratiques quotidiennes, à nos rapports sociaux, à l’éducation de nos enfants et même à nos institutions.
Le développement des appareils connectés – téléphones intelligents, tablettes, etc. – et des applications liées a innervé l’ensemble de notre économie au travers d’une offre impressionnante de logiciels ad hoc, fournissant des services aussi variés que l’information journalistique, la banque, le paiement en ligne, des informations en temps réel sur le trafic et les transports en commun, ou encore les forums de discussion et l’organisation d’événements les plus divers.
Ce développement a fait émerger de nouvelles possibilités et de nouveaux modes de consommation qui sont, au premier abord, plus faciles et surtout plus instantanés. Ils sont désormais bien ancrés dans le mode de vie d’une part croissante de la population, et les crises récentes – gilets jaunes, grève des transports… – ont accentué cette tendance. Je n’en oublie pas pour autant nos compatriotes toujours exclus de l’accès à ces services, faute de bénéficier d’une couverture numérique dans leur territoire, ou simplement de savoir maîtriser l’outil informatique.
À côté des bénéfices annoncés ou constatés pour les consommateurs, cette transformation s’accompagne d’une forte concentration de l’offre dans les mains de quelques entreprises très puissantes : les géants du numérique, principalement américains, qui tendent à acquérir une situation de monopole ou d’oligopole à cause des « effets de réseau » désormais bien connus.
La croissance à deux chiffres du commerce en ligne depuis une décennie est une évolution majeure, et peut-être irréversible, qui entraîne des changements profonds dans la façon de consommer, bien sûr, mais aussi dans le monde du travail : progression spectaculaire du travail non salarié, et parfois remise en cause de droits attachés aux travailleurs. Je rappellerai également les enjeux du télétravail dans l’organisation du travail, un sujet sur lequel mon groupe a déjà fait des propositions.
Face à cette tendance de fond, le principe de la liberté du commerce est paradoxalement remis en question. Plus grave, comme dans d’autres pays, notre droit de la consommation et de la concurrence ne semble plus à même de répondre aux nouveaux enjeux.
Les auteurs de la proposition de loi ont ainsi identifié des limitations dans le choix des applications permettant d’accéder au commerce en ligne, dans la capacité à passer d’un réseau social à un autre, ainsi que des limitations qui résultent des acquisitions prédatrices d’entreprises ou d’applications, pourtant innovantes, par des acteurs déjà installés – une logique classique, finalement, de la concurrence dans un contexte d’économie de marché avec effets de réseau.
L’ambition du texte n’est donc pas mince ! Elle est de répondre à ces multiples défis, afin de redonner in fine du pouvoir aux consommateurs à l’ère du numérique.
Je reviens brièvement sur les dispositions de la proposition de loi. Concrètement, il s’agit de mieux codifier le fonctionnement du secteur des postes et communications électroniques, en précisant le rôle de l’Arcep et de l’Autorité de la concurrence et en leur donnant davantage de compétences, conjointement avec le secrétariat d’État chargé du numérique. Des sanctions administratives sont prévues en cas de non-respect de leurs obligations par les fournisseurs, pouvant aller jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires mondial.
Par ailleurs, ces dispositions devront faire l’objet d’une notification à la Commission européenne, en vertu d’une directive de 2015 sur la réglementation des technologies de l’information.
Je salue également l’adoption, en commission, d’un amendement visant à instaurer la consultation de droit de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) préalablement à l’établissement de nouvelles obligations en la matière. C’est une mesure protectrice des libertés.
J’aurai donc peu de choses à ajouter sur un texte, rappelons-le, fort technique. Je tiens toutefois à regretter l’irrecevabilité, prononcée au titre de l’article 41 de la Constitution, qui a frappé l’amendement que plusieurs de mes collègues et moi-même avions proposé. Celui-ci tendait à créer une obligation d’information et de sensibilisation du Gouvernement auprès des consommateurs, afin que ces derniers soient correctement informés de l’évolution de leurs droits s’agissant de questions très complexes. C’est, me semble-t-il, un élément clé du succès d’un tel dispositif, dans la mesure où les utilisateurs non professionnels sont les premiers concernés.
Monsieur le secrétaire d’État, j’attire particulièrement votre attention sur ce point : si elles venaient à être adoptées également par l’Assemblée nationale, pour rendre de telles dispositions pleinement effectives, il serait impératif de prendre des mesures fortes d’information du grand public, afin que les consommateurs, qui sont aussi des citoyens, sachent à quoi ils peuvent prétendre et comment ils sont protégés dans le cadre de leurs relations avec les plateformes. N’oublions pas que le modèle économique du numérique repose aussi sur la confiance.
Cela étant, le RDSE votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et SOCR, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, grâce au développement du numérique, le monde dans lequel nous vivons est en pleine mutation. Il est aujourd’hui à portée de clic, ce qui est à la fois une chance pour les consommateurs, mais aussi une source d’inquiétudes auxquelles il nous faut répondre pour protéger pleinement nos concitoyens.
C’est une chance, puisque l’apparition de plateformes numériques et le développement des terminaux numériques intelligents que sont, aujourd’hui, les téléphones et, demain, l’ensemble des objets connectés créent des solutions innovantes pour les consommateurs et des opportunités nouvelles, notamment sur les plateformes d’achat. Les chiffres nous démontrent l’appétence des citoyens pour le cyberespace : le commerce en ligne a connu une hausse de 72 % entre 2014 et 2017, atteignant plus 2 300 milliards de dollars. Depuis sa création en 2004, Facebook est devenu le leader des réseaux sociaux. Il a d’ailleurs franchi un nouveau palier en 2017, avec 2 milliards d’utilisateurs actifs.
Mais c’est aussi une source d’inquiétudes, car, face à la toute-puissance des géants du numérique que sont Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, le risque de voir le consommateur entravé dans sa liberté de choix s’accroît au fur et à mesure que l’offre en ligne se développe.
Il appartient donc au législateur de mieux protéger les consommateurs en garantissant leur liberté de choix sur les terminaux et en protégeant la libre concurrence des acteurs économiques sur le marché. Nous devons en effet permettre au consommateur d’installer les applications de son choix sur son smartphone et de changer de réseau social tout en gardant ses contacts. Nous devons également mettre fin à un certain nombre de pratiques qui limitent le libre choix du consommateur, comme l’impossibilité de désinstaller certaines applications préinstallées sur son smartphone.
C’est dans ce contexte que nous examinons cette proposition de loi, adoptée à l’unanimité de la commission des affaires économiques. Nous partageons la volonté de renforcer les pouvoirs du régulateur national face à la toute-puissance des géants du numérique et l’objectif de ce texte, qui vise à rendre le pouvoir au consommateur en ligne.
Je tiens à saluer le travail des rapporteurs, qui a permis d’enrichir le texte qui nous est présenté en suivant notamment les recommandations du Conseil d’État.
Partant du constat, partagé, qu’il existe de nombreuses pratiques qui portent atteinte au libre choix du consommateur sur les smartphones, les trois mesures proposées permettront des avancées concrètes en la matière.
Tout d’abord, il s’agit d’introduire une régulation sectorielle en vue d’assurer la liberté de choix du consommateur sur les terminaux.
Ensuite, pour garantir la mobilité du consommateur sur les plateformes, le texte pose le principe d’interopérabilité des réseaux sociaux, afin de faciliter le passage d’un réseau social à un autre avec la possibilité d’interagir avec ses contacts tout en ayant changé de réseau social.
Enfin, la lutte contre les concentrations prédatrices des Gafam est une priorité, afin de laisser l’innovation se développer, dans une logique de concurrence loyale des acteurs qui bénéficiera aussi aux consommateurs.
L’Arcep, autorité de régulation en matière de télécoms, occupera un rôle central dans ce dispositif, en s’assurant que les pratiques mises en œuvre sur les terminaux en vue de restreindre le choix des consommateurs ne sont pas injustifiées.
Elle sera également dotée de pouvoirs de recueil et de traitement de l’information, d’un pouvoir de règlement des différends et d’un pouvoir de sanction des règles visant à protéger la liberté de choix des utilisateurs.
La nécessaire régulation des géants du numérique ne date pas d’hier. De nombreux rapports ont en effet mis en lumière la nécessité de mettre en place une nouvelle forme de régulation de ces acteurs et l’État a pleinement conscience des enjeux actuels. C’est pourquoi, à la fin de l’année 2018, le Président de la République avait annoncé l’instauration d’une taxe sur les GAFA.
Cette mesure, définitivement adoptée par le Parlement le 11 juillet dernier, a fait de la France le premier État à introduire en Europe une taxation de ce type, dans l’attente d’un accord à l’échelon international. En effet, pour que la régulation des géants du numérique soit effective, elle passera nécessairement par l’adoption de règles à l’échelle européenne.
Vous avez d’ailleurs rappelé, monsieur le secrétaire d’État, la mobilisation du Gouvernement sur ce sujet pour faire en sorte que son traitement aboutisse dans les meilleurs délais à cet échelon.
Il n’en demeure pas moins que les mesures prévues dans cette proposition de loi cosignée – je le rappelle – par l’ensemble des commissaires constituent des avancées réelles en faveur du libre choix des consommateurs dans le cyberespace.
Ce texte démontre également la volonté du Sénat de travailler ensemble, de manière transpartisane, dans l’intérêt de nos concitoyens.
Nous nous en félicitons et nous soutiendrons cette proposition de loi, tout en rappelant l’importance de parvenir rapidement à un accord au plan européen pour en garantir l’efficacité. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur des travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, le groupe CRCE votera cette proposition de loi, qui est selon nous vraiment bienvenue.
La transformation d’internet en un vaste supermarché mondial pose la question de la liberté du commerce et de l’industrie en faveur de l’internaute, trop souvent transformé en simple consommateur du cyberespace.
Les Gafam sont les grands bénéficiaires de cette croissance exponentielle du numérique commercial : s’est ainsi constitué un véritable oligopole de géants aux pouvoirs considérables sur nos vies, sur la maîtrise de nos destins individuels et collectifs. Ces géants ont pu développer cette hyperpuissance par des stratégies variées, en particulier en bridant le libre choix de l’internaute par différents mécanismes, qui ne permettent pas une neutralité du Net.
Les Gafam veulent nous faire croire qu’ils nous ouvrent la porte du monde ; or, insidieusement, ils nous enferment dans le leur.
La commission d’enquête sur la souveraineté numérique engagée par le Sénat, au sein de laquelle nos collègues ont fait – je le crois – un très bon travail, a proposé toute une série de recommandations. Cette proposition de loi reprend celle qui concernait le libre choix du consommateur. Pierre Ouzoulias, qui représentait notre groupe, a été très actif dans cette commission d’enquête et a en particulier insisté sur l’un des sujets qui est traité aujourd’hui, à savoir l’interopérabilité.
Trois points sont en effet importants dans ce texte : assurer le libre choix sur les terminaux, garantir l’interopérabilité des plateformes, lutter contre les acquisitions prédatrices.
S’agissant de la question des terminaux – nos smartphones et autres outils –, le Conseil national du numérique alertait dès 2013 sur l’importance d’élargir la neutralité du Net à ces équipements : « Internet n’est pas seulement un réseau physique mais aussi […] un ensemble de services. Il est inutile d’imposer la neutralité en amont si on ne change pas les règles en aval. » Cette déclaration de 2013 date déjà d’il y a sept ans… Pendant ce temps-là, les géants du Net ont engrangé d’énormes profits et accru considérablement leur influence, en particulier en développant le web en silo.
Monsieur le secrétaire d’État, vous nous demandez d’attendre encore, mais ce qui risque de survenir, c’est une explosion du pouvoir et des profits de ces géants du numérique !
M. Pierre Ouzoulias. Tout à fait !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Nous allons encore réduire nos capacités de regagner de la souveraineté numérique et économique et les consommateurs seront dans des situations toujours accrues de dépendance.
Certes, nous souhaitons un accord européen. Mais l’expérience de la taxation nous a montré que si quelques pays ne mènent pas l’offensive, avec des propositions déjà opérationnelles sur leur territoire pouvant être reprises par les autres, nous n’aurons que des heures et des heures de palabres qui n’aboutissent à rien… Je rappelle que nous n’avons toujours rien obtenu s’agissant de la taxation des fameux Gafam aux échelons européen et international.
Dans le champ d’intervention qui est celui du parlement national, il faut parfois prendre des actes responsables. Telle est l’idée qui sous-tend cette proposition de loi. Il sera toujours temps, s’il faut adapter notre législation aux évolutions des textes européens, de nous mettre en conformité avec ceux-ci.
La question de l’interopérabilité est essentielle, pour une raison simple : les données présentes sur internet sont maîtrisées par la plateforme. La mise en place de l’interopérabilité permettra à l’utilisateur de les récupérer, celui-ci étant en quelque sorte le propriétaire et l’usager direct.
Par ailleurs, l’enjeu économique est très important : tout est fait pour éviter que de nouvelles plateformes qui auraient potentiellement de grandes capacités de développement, c’est-à-dire autres que des niches ponctuelles, ne puissent émerger dans le paysage économique. C’est tout l’intérêt de l’interopérabilité, comme de la mesure visant à lutter contre les acquisitions prédatrices.
Nous considérons que ces enjeux sont majeurs, et nous partageons l’idée de donner à l’Arcep le rôle de contrôle, qui – je le rappelle – est un contrôle non pas des contenus, mais de la mécanique technique mise en œuvre. Nous avons déposé quelques amendements.
D’abord, l’un de nos amendements vise le contrôle des algorithmes, qui est un point sensible. Il s’agit d’être certain que, derrière les algorithmes, les conditions de la libre concurrence soient bien assurées.
Ensuite, nous souhaitons garantir les actions de groupe. S’il est utile que l’Arcep soit un acteur majeur en la matière, nous pensons que les entreprises et les citoyens regroupés doivent avoir, en cas d’abus manifeste ou de non-respect de la loi, la possibilité d’agir par la voie de l’action de groupe.
Cette proposition de loi n’épuise pas le sujet de la souveraineté économique, mais elle constitue une avancée tout à fait réelle. Au-delà, mon groupe estime que si la régulation est une bonne chose,…
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. … il faut aussi que des acteurs français, européens, émergent.
M. le président. Concluez, ma chère collègue !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ces acteurs pourraient être plutôt publics pour commencer, mais ils devraient dans tous les cas garantir la souveraineté numérique de la France. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)
M. le président. J’accepte de légers dépassements, mais une minute supplémentaire c’est trop !
La parole est à M. Claude Malhuret. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et RDSE, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’internet, qui avait suscité tant d’espoir et d’enthousiasme, est-il en train de mal tourner ? La question se pose aujourd’hui, avec la multiplication de règles du jeu de plus en plus détestables. Je prendrai les exemples de la loi du lynchage sur les réseaux sociaux, dont nous venons d’avoir, une fois de plus, des exemples révoltants avec les affaires Mila et Pavlenski ; de la loi de la prétendue démocratie directe numérique, qui apparaît chaque jour un peu plus comme la tentative de meurtre de la démocratie représentative ; de la loi des rendements décroissants que je vous propose, selon laquelle la vitesse de fabrique du crétin digital augmenterait en proportion du temps passé sur les écrans (Applaudissements amusés.) ; et, enfin, de celle que nous allons combattre aujourd’hui sur l’initiative de Sophie Primas, la loi du plus fort.
« Nous accomplissons des actes dont nous devenons les esclaves », disait Goethe au XIXe siècle. Pourtant, à la fin du XXe siècle, même les plus clairvoyants étaient peu nombreux à prédire que le bouleversement numérique mondial consacrerait l’émergence de nouveaux tyrans tout-puissants et qu’il le ferait insidieusement, car comme le dit le proverbe, « les bottes du diable ne grincent pas ».
L’un des grands pionniers de l’internet, Robert Metcalfe, avait établi la loi qui porte son nom : l’utilité d’un réseau est proportionnelle au carré du nombre de ses utilisateurs.
Cette loi de l’effet réseau explique pourquoi les nouvelles technologies sont aujourd’hui régies par une poignée d’entreprises qui n’ont plus de concurrence sérieuse et peuvent imposer leurs lois contre les lois du marché et celles des États. C’est la tendance naturelle des réseaux d’absorber, comme un trou noir, tout ce qui gravite à leur périphérie et de réduire l’univers des possibles promis par internet à leur seul appétit monopolistique.
Les Gafam n’ont au départ de puissance que celle que les citoyens leur donnent. Mais dès lors que leur place dans l’économie devient cardinale, les consommateurs et les entreprises n’ont plus d’autre choix que de se soumettre aux conditions léonines qu’ils imposent.
Nous devons éviter deux erreurs. Elles consistent à croire, la première, que cet excès du capitalisme doit nous conduire à en condamner le principe même, la seconde, qu’en laissant faire les choses, elles s’arrangeront d’elles-mêmes. Il faut aujourd’hui non pas renverser nos valeurs et abandonner le libéralisme, mais adapter celui-ci à notre temps.
Friedrich Hayek, qu’on critique plus qu’on ne le lit (M. Gérard Longuet rit.), écrivait : « Dans la conduite de nos affaires nous devons faire le plus grand usage possible des forces sociales spontanées, et recourir le moins possible à la coercition. […] Il y a […] une immense différence entre créer délibérément un système où la concurrence jouera le rôle le plus bienfaisant possible, et accepter passivement les institutions telles qu’elles sont. Rien n’a sans doute tant nui à la cause libérale que l’insistance butée de certains libéraux sur certains principes massifs, comme avant tout la règle du laisser-faire. »
C’est pourquoi je tiens à saluer, au nom du groupe Les Indépendants, cette proposition de loi présentée par notre collègue Sophie Primas. Elle constitue l’aboutissement concret des travaux menés par la commission d’enquête sur la souveraineté numérique, pilotée par mon collègue et ami Gérard Longuet. Je partage largement le constat de mes collègues : le meilleur moyen d’empêcher une casserole de déborder, c’est de la surveiller.
Bien sûr, le choix de confier le sujet à l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse peut paraître quelque peu virtuel devant l’ampleur de la tâche et du défi. Avec ses 170 agents et ses 27 millions d’euros de budget, ce serait pécher par excès d’optimisme que d’imaginer que l’Arcep aura les moyens de briser les monopoles d’entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse le PIB de nombreux pays.
Mais ce serait baisser les bras que de ne pas confier au régulateur des moyens plus importants pour agir. La régulation ex ante en complément de la régulation ex post, la détermination d’un principe d’interopérabilité des plateformes et la lutte contre les acquisitions prédatrices apparaissent à cet égard comme des pistes d’action indispensables pour engager un nouveau bras de fer avec les géants du numérique, après la taxe Gafam adoptée par le Parlement l’an dernier.
Comme bon nombre d’entre nous, j’aimerais croire que nous sommes sur le point de voter ce qui pourrait être un Sherman Act du XXIe siècle à la française. Mais à la différence des fameuses lois antitrust adoptées aux États-Unis à la fin du XIXe siècle, les dispositions que nous allons voter ne concernent pas, pour l’essentiel, des entreprises implantées sur le territoire national. Il s’agit non plus de démanteler un réseau de chemins de fer à l’échelle d’un pays, mais de briser l’emprise de réseaux de données à l’échelle de la planète.
Comme le font remarquer les auteurs de la proposition de loi, il s’agit donc de « cranter » aujourd’hui un sujet au niveau national pour le porter demain au plan européen. Car nous aurons besoin de nos partenaires européens pour mener à bien cette bataille.
J’entends vos remarques, monsieur le secrétaire d’État, sur ce point, mais je vous répondrai qu’il est illogique pour le Gouvernement d’appliquer cette méthode en deux temps pour la taxe Gafam et de la refuser pour l’actuelle proposition de loi. Ce texte montre que notre assemblée est force de proposition pour s’attaquer aux grands défis de demain. Cela ne sera pas suffisant, mais il s’agit d’une étape importante.
Nous avons combattu les dérives de l’internet hier par la fiscalité, nous les combattons aujourd’hui par la régulation et nous les combattrons – je l’espère – demain par la patrimonialité des données : il nous faut activer tous les leviers dont nous disposons. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, RDSE, UC, Les Républicains, SOCR, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le cyberespace a beau être virtuel, les enjeux économiques qui y sont liés sont – nous le voyons – bien réels. Ils peuvent même aller jusqu’à ébranler les fondements de nos démocraties et la souveraineté des États. De l’accaparation des données au verrouillage du système, certains géants du numérique s’affranchissent sans vergogne des règles des États, comme nous l’ont montré les affaires Snowden en 2013 ou Cambridge Analytica plus récemment.
Dès 2013, le Sénat avait lancé l’alerte. En 2015, la rapporteure de la mission d’information relative à l’Europe au secours de l’internet, ma collègue Catherine Morin-Desailly, soulignait déjà combien la gouvernance de l’internet était un terrain d’affrontement mondial sur lequel se jouait l’avenir des valeurs européennes.
La proposition de loi présentée aujourd’hui par les deux rapporteurs, que je salue, Sylviane Noël et Frank Montaugé, sur l’initiative de la présidente de commission des affaires économiques, Sophie Primas, reprend cette question essentielle, devenue urgente, de la régulation économique dans le cyberespace. Elle vise à redonner du pouvoir au consommateur-internaute en définissant une régulation économique plus pragmatique et surtout plus réactive face aux pratiques évolutives des géants du numérique.
Le déploiement de plateformes maîtrisées par un oligopole de géants du numérique a considérablement transformé les problématiques liées à l’exercice de la liberté du consommateur. En dépit des dispositions prises ces dernières années sur le plan du droit de la concurrence et de la consommation, le consommateur est devenu l’objet de quelques grands acteurs dominants qui cadrent les possibilités offertes, limitant la liberté de choisir les applications à installer sur son téléphone portable, ou encore la capacité à passer d’un réseau social à un autre.
Cette liberté de choix est d’autant plus menacée que ces mêmes géants annihilent toute concurrence par des acquisitions prédatrices, qui éliminent ou neutralisent toute concurrence avant qu’elle ne leur fasse trop d’ombre, affectant de fait le libre choix du consommateur, mais aussi le potentiel d’innovation du secteur.
L’économie numérique repose largement sur ce modèle de plateforme, de marché dit « biface », où le service facilite les interactions entre deux ensembles d’utilisateurs distincts, mais interdépendants : plus il y a d’utilisateurs sur l’une des faces du marché, plus il y en aura sur l’autre, comme on le constate avec Uber par exemple. Plus les chauffeurs présents sur Uber sont nombreux, plus les clients qui utilisent cette plateforme sont également nombreux, et inversement. C’est l’effet de réseau, qui constitue la matrice de l’internet.
Ce réseau se démultiplie sans connaître de frontières. Les plateformes ont accès à un marché mondial, recueillent des données en masse, et bénéficient d’économies d’échelle et de gamme sans précédent.
Ces caractéristiques nouvelles et particulières favorisent la constitution d’une économie de la concentration et d’oligopoles. Ainsi, dès 2018, un tiers de l’humanité était sur Facebook et recourait à Android, le système d’exploitation de Google, et un cinquième utilisait celui d’Apple.
Jusqu’à présent, le droit de la concurrence, qui réprime les abus de position dominante, les ententes, et assure le contrôle des concentrations, a pu dans une certaine mesure permettre aux autorités françaises et européennes de se saisir des enjeux relatifs au numérique.
Les initiatives de l’Autorité de la concurrence française sur ce dossier sont à souligner, tout comme celles de la Commission européenne. Mais pour les cas les plus emblématiques, où des sanctions ont été infligées par la Commission – il en fut ainsi à l’encontre de Google dans les affaires Shopping et Android –, l’instruction a duré sept ans ! Sept ans pendant lesquels les concurrents ont été éliminés, l’innovation bridée, les choix du consommateur encadrés.
De son côté, la DGCCRF utilise le droit des pratiques restrictives de concurrence pour encadrer les relations commerciales des géants du numérique. Sur la base du constat, elle inflige des amendes. Elle s’assure de l’application des dispositions introduites dans le code de la consommation par la loi pour une République numérique de 2016.
Mais toutes ces initiatives, qui sont autant d’aiguillons adressés à l’Union européenne pour renforcer le droit européen, interviennent ex post, c’est-à-dire qu’elles reposent sur des sanctions qui ne sont plus adaptées aux cycles d’innovation de plus en plus rapides et à la dynamique propre à l’économie du numérique.
Il faut donc à présent confier à un régulateur les outils juridiques permettant de réagir rapidement aux pratiques des plateformes structurantes, avant que leurs effets indésirables ne se diffusent.
La proposition de loi qui nous est soumise s’inspire des travaux à la fois de la commission d’enquête sur la souveraineté numérique et de la mission commune d’information sur la gouvernance mondiale de l’internet. Elle comporte trois mesures principales : la régulation sectorielle ex ante, le principe d’interopérabilité des plateformes et la modernisation du droit de la concurrence.
Je tiens à souligner les précautions qui ont été prises par le Sénat, notamment par son président, qui a saisi le Conseil d’État, afin de recueillir son avis sur cette proposition de loi et de s’assurer de sa portée juridique. Les remarques qui ont été formulées ont largement inspiré les rapporteurs dans les modifications qui ont été apportées en commission.
Le groupe UC votera donc en faveur de cette proposition de loi, qui participe d’une stratégie globale de l’internet préconisée de longue date par le Sénat, lequel réaffirme ici le rôle de l’État garant des droits et libertés publiques dans le cyberespace.
Cette stratégie a bien sûr vocation à être portée à l’échelon européen, monsieur le secrétaire d’État, pour une approche plus holistique, et donc plus adaptée aux réalités du Net. Toutefois, dans le prolongement des nombreuses initiatives sur les questions numériques prises depuis quelque temps au plan national – je pense à la taxe sur les GAFA ou à la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, à propos de laquelle il ne me semble pas que le Gouvernement ait émis de réserves –, l’objectif est bel et bien de disposer de textes législatifs et d’outils pragmatiques de régulation qui s’imposeront aux géants du numérique et permettront de contrecarrer la domination économique que certains cherchent à instaurer au détriment de la souveraineté des États.
C’est en effet là, à mes yeux, que le bât blesse, monsieur le secrétaire d’État, et c’est peut-être la raison pour laquelle les États sont plus prompts à réagir que l’Europe. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2019, 49 millions de Français ont acheté des biens de consommation sur internet.
Le total des ventes sur internet en France s’élevait l’année dernière à plus de 100 milliards d’euros et ne cesse de progresser, puisqu’il a bondi de 11 % en un an.
C’est dans ce contexte marqué par l’explosion du marché du e-commerce que l’État se révèle bien souvent démuni et impuissant pour élaborer et faire respecter une réglementation difficile à appliquer à des multinationales en position de monopole de fait.
Claude Malhuret a parlé du « crétin digital »… On pourrait aussi trouver l’ignorant 2.0 et nous rappeler qu’il y a vingt ans Alain Finkielkraut parlait déjà de l’inquiétante extase que suscitait ce nouveau mode de communication et d’un espace public devenu un vide-ordures planétaire.
Pour revenir à la taxation des géants du numérique, nous pourrions également égrener la litanie des tentatives infructueuses de légiférer sur ce sujet. La dernière taxe sur les GAFA, dont le Gouvernement nous a parfois tympanisés, a d’ailleurs été abandonnée face au risque de déclencher une guerre commerciale avec les États-Unis.
Il n’empêche que cette étrange mise en scène traduit au moins les enjeux liés à ce sujet.
Le rapport sénatorial de la commission d’enquête sur la souveraineté numérique nous a alertés sur la nécessité de doter la France et l’Union européenne de mesures fortes et protectrices.
En effet, la prédominance de certains acteurs et les enjeux économiques liés au e-commerce font peser un risque majeur sur les consommateurs. Songeons par exemple que Google et Facebook concentrent à eux seuls près de 75 % du marché de la publicité digitale en France.
L’objectif n’est pourtant pas de faire fi de l’opportunité économique offerte par le numérique au marché français. Il n’est pas non plus question d’en brider l’essor. Pour autant, il est impératif de mettre en place des dispositifs à même de pallier les lacunes qui existent actuellement en matière de protection du consommateur sur le cyberespace.
Aussi, la proposition de loi de Sophie Primas prévoit d’imposer une neutralité sur l’accès aux différents contenus depuis les terminaux mobiles et de permettre par conséquent aux utilisateurs d’installer l’application ou le contenu qu’ils souhaitent.
Il paraît anormal que les consommateurs soient privés de certaines applications selon qu’ils possèdent ou non tel ou tel type de téléphones, sous des prétextes commerciaux évidents. Je pense, comme cela a été dénoncé à plusieurs reprises, à Apple, qui dernièrement a refusé à ses utilisateurs la possibilité de bénéficier de titres de transport dématérialisés sur mobile.
Au-delà du consommateur, ce sont les différents acteurs du e-commerce qui sont affaiblis par ce monopole. En effet, en 2019, la Commission européenne a été saisie d’une plainte du site de streaming musical Spotify, accusant Apple de discrimination à l’encontre de son application sur l’App Store au profit de son propre service de streaming musical.
En renforçant le rôle et les pouvoirs de l’Arcep, cette proposition de loi permet de renforcer notre capacité de contrôle sur ces géants du numérique, et ainsi de préserver les consommateurs de pratiques abusives.
En dépit des rodomontades, la France n’a que trop tardé sur ce sujet. En Allemagne, le Gouvernement s’est engagé sur un projet de réforme visant à adapter sa législation à l’économie numérique.
Il est bien évidemment primordial d’œuvrer à l’échelon européen, afin qu’une réglementation soit votée et appliquée à ce niveau. Mais cela ne doit pas nous empêcher de commencer à légiférer en ce sens.
Je tiens à saluer le travail de la commission, qui a enrichi ce texte d’un nouveau chapitre sur la sincérité des interfaces utilisateur des plateformes numériques, afin de protéger le consommateur des pratiques abusives visant à obtenir son consentement de façon déguisée.
Nous avons donc l’espoir que cette proposition de loi, si elle est adoptée, permette à la France de rattraper son retard et d’adresser un signal significatif aux entreprises du numérique, qui sont en position de quasi-monopole. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu’au banc des commissions. - Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas.
Mme Viviane Artigalas. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord féliciter les rapporteurs pour leur travail sur ce texte, dont je me réjouis qu’il ait été déposé par la commission des affaires économiques à la suite des travaux de la commission d’enquête sur la souveraineté numérique.
La proposition de loi que nous examinons répond à une impérieuse nécessité, celle de protéger nos concitoyens vis-à-vis d’acteurs qui maîtrisent leurs données. Face au monopole des Gafam dans le cyberespace mondial, nous sommes pour l’heure confrontés à une stérilisation de cet espace, jadis bâti sur l’utopie d’une liberté de naviguer et d’entreprendre, à une dépossession des citoyens de leurs données personnelles et, surtout, à un vide juridique qu’il convient de combler.
L’Europe s’est emparée de ces questions, mais la France doit être combative et force de proposition, comme elle l’a été avec la loi pour une République numérique, et comme elle l’est encore aujourd’hui pour ce qui concerne la fiscalité numérique ou la lutte contre les contenus haineux sur internet.
Ce texte vise trois objectifs.
Il vise, en premier lieu, à assurer le libre choix du consommateur sur les terminaux par l’introduction d’une régulation sectorielle ex ante. C’est une avancée importante, car l’économie de la donnée est d’ores et déjà un enjeu politique. C’est un capital pour nos entreprises, et la somme d’un vécu pour nos concitoyens, auxquels il faut apporter une protection. Il est donc normal de prévoir des outils de régulation, notamment dans une logique de supervision, pour lutter contre l’ultra-monopole des GAFA, qui réduisent la liberté de choix des consommateurs et empêchent les nouveaux acteurs économiques de les concurrencer. En l’espèce, cette proposition de loi donne les moyens à l’autorité de régulation, l’Arcep, de faire respecter les dispositions prévues, via des sanctions pécuniaires.
Ce texte vise, en second lieu, à établir l’interopérabilité des plateformes, c’est-à-dire faciliter la mobilité des consommateurs d’une plateforme à une autre ou d’un système d’exploitation à un autre. Aujourd’hui, l’interopérabilité reste très limitée. Or, si elle était assurée, cela ouvrirait davantage le champ de la concurrence et stimulerait l’innovation. L’interopérabilité, c’est le pouvoir de librement quitter une plateforme, sans perdre ses liens sociaux, et de continuer à communiquer avec ses contacts. C’est pour ainsi dire une liberté fondamentale, que chacun doit posséder dans le cyberespace, et que le politique doit garantir. C’est également un enjeu crucial de la capacité des acteurs de toutes tailles à faire émerger des offres compétitives sur le marché.
En dernier lieu, ce texte vise à lutter contre les acquisitions dites prédatrices, en renforçant notamment les missions de l’Autorité de la concurrence pour limiter la consolidation d’entreprises qui rachètent peu à peu tout un écosystème. C’est, par exemple, ce que Facebook a opéré avec le rachat d’Instagram et de WhatsApp. En l’état actuel du droit, l’Autorité de la concurrence n’a pas pu examiner ces rachats, car les sociétés ciblées ne réalisaient, aussi incroyable que cela paraisse, qu’un chiffre d’affaires limité, en tout cas inférieur au seuil de déclaration obligatoire au titre du droit des concentrations. C’est précisément ce dispositif qui doit évoluer, à l’échelon tant national qu’européen.
Mais là où le rapport de la commission d’enquête sur la souveraineté numérique allait plus loin, en proposant d’introduire un nouveau seuil basé sur une disproportion manifeste entre la valeur de rachat et le chiffre d’affaires réalisé par la société cible, la présente proposition de loi privilégie une information minimale par les entreprises systémiques. Certes, ce choix peut paraître frileux, témoignant de la volonté de rassurer les acteurs du numérique et de la crainte de les brider dans leurs initiatives. En réalité, cette solution, soutenue par ailleurs par l’Autorité de la concurrence, évite à celle-ci d’être saisie de nombreuses opérations sans incidence sur le marché et, réciproquement, aux entreprises concernées de devoir déclarer une opération anodine. C’est une mesure de simplification assez souple, qui oblige néanmoins les entreprises systémiques à se mettre en relation avec le régulateur, ce qui est, in fine, notre objectif.
Enfin, les rapporteurs ont complété le texte avec des dispositions permettant de lutter contre les interfaces trompeuses, qui sont des pratiques déloyales, voire agressives, à l’encontre des consommateurs.
Le groupe socialiste proposera de renforcer les moyens des régulateurs par des amendements concernant l’auditabilité des algorithmes. Nous proposerons également de mieux définir la notion d’interopérabilité, ou encore les obligations de loyauté des fournisseurs de systèmes d’exploitation.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si certains jugent encore que ce texte n’est pas pertinent ou urgent, ou qu’il convient de laisser l’initiative d’un tel travail à l’Union européenne, je veux simplement rappeler un ordre de grandeur : la capitalisation boursière des Gafam représente plus de deux fois celle du CAC 40 et dépasse les 4 000 milliards de dollars. Leur chiffre d’affaires est comparable à la totalité des recettes fiscales de notre pays. Autant dire que ces entreprises systémiques possèdent la puissance économique d’un État !
Il n’est plus temps de laisser un sujet d’une telle gravité s’enliser dans des questions de procédure juridique ou de tutelle. Sa complexité ne doit pas non plus nous arrêter. C’est à nous, hommes et femmes politiques, de doter l’État de moyens propres à freiner cet expansionnisme délétère et de protéger les intérêts et les droits de nos concitoyens, tout en favorisant l’innovation et la concurrence, non seulement nécessaires, mais saines pour tout marché. Il nous revient de défendre un modèle de société dans lequel l’être humain ne se résume pas à une somme de données à exploiter ni à des tendances à influencer.
À ce titre, je me félicite de la saisine du Conseil d’État, qui a permis d’améliorer ce texte, et j’espère que l’Assemblée nationale ne tardera pas à s’en saisir compte tenu de son importance et de son urgence. J’en doute toutefois…
Les sénateurs socialistes voteront donc très logiquement en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cyril Pellevat. Madame, monsieur les rapporteurs, je tiens d’abord à vous remercier et vous féliciter pour votre travail et pour vos conclusions sur la proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace.
Dans cette ère numérique, même les personnes les moins à l’aise avec les nouvelles technologies connaissent les géants américains Google, Facebook, Android, Apple, et Microsoft, ainsi que leurs homologues chinois Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi (BATX). Cela ne fait qu’attester de leur position dominante, voire monopolistique.
Ces dernières années, ces grands opérateurs ont mis en place le schéma suivant : ils rachètent des petites entreprises à fort potentiel, ce qui empêche l’émergence d’acteurs concurrents. Il est impossible de nier une concentration excessive du marché entre leurs mains, ce qui ne peut avoir qu’une incidence négative sur l’économie et la liberté de choix du consommateur, qui se voit enfermé dans un écosystème duquel il lui est quasiment impossible de sortir en raison des stratégies de ces grandes entreprises.
C’est pourquoi ce texte ambitieux entend lutter contre ce phénomène, en renforçant les législations existantes, qui sont lacunaires. Une législation européenne dans ce domaine serait bénéfique, mais ce qui a été adopté à l’échelon de l’Union est timide. Or le milieu du numérique se caractérise par des cycles d’innovation très courts, ce qui permet de verrouiller le marché. Attendre une action de l’Union européenne ne fera donc que renforcer la position dominante de ces entreprises. Aussi, il est souhaitable que la France adopte d’abord une législation nationale, qui pourra ensuite servir de catalyseur au plan européen.
Dans cette optique, cette proposition de loi introduit plusieurs nouveautés. Son but premier est de garantir le libre choix du consommateur. Pour ce faire, elle crée un droit d’accès et de diffusion aux informations et aux contenus, ainsi qu’un droit de fournir des applications et des services.
Elle impose des obligations préventives aux entreprises, afin d’assurer ces droits. Elle interdit notamment de traiter des contenus de façon différenciée si cela est injustifié, de faire en sorte que des applications se trouvant dans la configuration initiale empêchent le consommateur de choisir des applications similaires provenant d’un autre fournisseur. Elle interdit également d’empêcher de façon injustifiée de supprimer des applications qui se trouvent dans la configuration initiale.
Des dérogations sont prévues lorsque les entreprises sont confrontées à des obligations légales ou réglementaires, ou pour assurer la sécurité et le fonctionnement du terminal. Toutefois, et c’est tout à fait louable, la commission a décidé d’autoriser ces dérogations uniquement dans les cas où elles seraient strictement nécessaires aux entreprises. Cela permettra de limiter les abus.
Le pouvoir de protéger les droits sera attribué à l’Arcep, qui pourra fixer des lignes directrices et édicter des recommandations sur le sujet. Elle aura aussi le pouvoir de recueillir des informations, un pouvoir de règlement des différends, ainsi qu’un pouvoir de sanction.
Ce texte a également pour objet de permettre au consommateur de conserver ses contacts et liens sociaux sur d’autres plateformes que celles où ils ont été créés, en donnant à l’Arcep le pouvoir d’imposer des obligations tendant à rendre interopérables les services de communication en ligne lorsque cela lui paraît pertinent. À titre personnel, il me semblerait toutefois souhaitable de préciser sur quels critères se baser pour que cette mesure soit considérée comme pertinente.
Des limites sont là aussi posées en cas de risque d’atteinte aux droits d’auteur, ainsi que dans le cadre de la protection des données personnelles.
Enfin, les grandes entreprises seront obligées de prévenir l’Autorité de la concurrence de toute acquisition. Cette dernière aura la possibilité d’examiner des opérations qui seraient au-dessous des seuils de notification obligatoire si elle considère qu’elles sont susceptibles de faire peser un risque sur la dynamique concurrentielle. Des critères ont été déterminés, afin d’identifier les entreprises qui seront visées par cette obligation.
De plus, et afin que l’Autorité de la concurrence soit à même de remplir sa mission, la commission a très justement décidé d’inverser la charge de la preuve en matière de contrôle des concentrations pour ces entreprises. Ce n’est plus l’Autorité de la concurrence qui devra démontrer que des règles ont été enfreintes, ce sont les entreprises qui devront prouver qu’elles ne sont pas dans l’illégalité.
Pour finir, un amendement tendant à interdire les pratiques ayant pour finalité d’orienter le choix du consommateur afin d’obtenir son consentement a été adopté en commission. Cela vise notamment les cases pré-cochées ou une newsletter dont il est quasiment impossible de se désabonner, des pratiques familières pour la plupart d’entre nous. Cette interdiction ne concernera toutefois, à raison, que les grandes entreprises, pour ne pas pénaliser les plus petites plateformes.
Cela étant, je voterai évidemment pour ce texte ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace
Chapitre IER
LIBRE CHOIX DE L’UTILISATEUR DE TERMINAUX
Article 1er
Le titre Ier du livre III du code des postes et des communications électroniques est ainsi modifié :
1° Au début, il est ajouté un chapitre Ier intitulé : « Recommandé, identification et coffre-fort électroniques » qui comprend les articles L. 100 à L. 100-3 ;
2° Il est ajouté un chapitre II ainsi rédigé :
« CHAPITRE II
« Protection du libre choix de l’utilisateur de terminaux
« Art. L. 104. – Dans le cadre de leurs attributions respectives, le ministre chargé du numérique et l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse prennent, dans des conditions objectives et transparentes, des mesures raisonnables et proportionnées en vue d’atteindre l’objectif de protection de la liberté de choix des utilisateurs d’équipements terminaux, dans les conditions prévues au présent chapitre.
« Art. L. 105. – I. – Est qualifiée de fournisseur de système d’exploitation toute personne qui, à titre professionnel, édite ou adapte le système d’exploitation d’équipements terminaux permettant l’accès à des services de communication au public en ligne ou qui édite ou adapte tout autre logiciel contrôlant l’accès aux fonctionnalités desdits équipements.
« II. – Le fournisseur de système d’exploitation s’assure que les systèmes d’exploitation et les logiciels mentionnés au I du présent article, dont les magasins d’applications, proposés à des utilisateurs non professionnels situés sur le territoire français, ne limitent pas de façon injustifiée l’exercice, par les utilisateurs non professionnels de tout équipement terminal au sens du 10° de l’article L. 32, du droit, sur internet, d’accéder aux informations et aux contenus de leur choix et de les diffuser, ainsi que d’utiliser et de fournir des applications et des services.
« Ne sont pas considérées comme limitant de manière injustifiée l’exercice, par les utilisateurs non professionnels, du droit mentionné au premier alinéa du présent II les pratiques qui sont strictement nécessaires à la mise en œuvre d’obligations législatives ou règlementaires, à la sécurité de l’équipement terminal et des contenus et données gérés par celui-ci, ou au bon fonctionnement de l’équipement terminal et des services disponibles au bénéfice des utilisateurs non professionnels et auxquelles des pratiques moins limitatives du droit énoncé au même premier alinéa ne peuvent se substituer.
« Après consultation des acteurs concernés et du public, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse établit et publie des lignes directrices, recommandations ou référentiels portant sur l’application du présent article. »
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, sur l’article.
Mme Catherine Morin-Desailly. Avant d’entrer dans le vif du sujet et de discuter des propositions formulées par Sophie Primas, je tiens à rappeler que j’ai cosigné cette proposition de loi des deux mains.
Monsieur le secrétaire d’État, vous nous dites de ne pas nous tromper, et vous nous reprochez presque d’être impatients. Je vous demande de prendre au sérieux les propositions du Parlement qui, depuis dix ans, adopte des propositions de résolution européenne sur le sujet, après avoir établi un premier diagnostic en 2013, dans son rapport d’information intitulé L’Union européenne, colonie du monde numérique ?
Et l’Union européenne est bien devenue une telle colonie. Le diagnostic est définitivement posé depuis longtemps, monsieur le secrétaire d’État. Je vous prie donc d’être très attentif.
Si, aujourd’hui, autant de propositions de loi fleurissent – propositions de loi visant à lutter contre la manipulation de l’information, la haine sur internet, concernant la fiscalité de l’économie du numérique, jusqu’au texte qui nous réunit ce jour –, c’est bien parce qu’il n’y a pas de stratégie globale et offensive définie par le Gouvernement lui-même.
Je vous ai écouté poser un diagnostic dans votre propos liminaire. À vous entendre, c’est presque la faute des usagers s’ils se trouvent pris dans ces problématiques de choix de consommateur, car ils privilégient le mobile. Non, la faute, c’est l’écosystème tel qu’il s’est construit. Nous sommes dans le modèle du capitalisme de surveillance, mes chers collègues.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Très bien !
Mme Catherine Morin-Desailly. Nous sommes dans le modèle de l’attention, un modèle qui n’est pas durable ni soutenable. Il revient à donner ses données contre une fausse gratuité. Le consommateur obtient des contenus, mais ses clics sont rémunérateurs, alimentant toujours plus l’ogre que constitue l’ensemble des plateformes. Voilà la vraie problématique à laquelle il nous faut réfléchir pour défendre le consommateur.
Mais il s’agit aussi de redevenir acteur sur le marché européen, de construire une politique industrielle offensive en revoyant nos règles de la concurrence, et d’avancer avec nos voisins allemands, qui sont bien plus déterminés et clairs que nous sur ces sujets depuis des années.
Enfin, je suis inquiète après avoir entendu, voilà quelques jours, le ministre de la justice américain proche de Trump, Bill Barr, constatant que Huawei s’apprêtait à dominer le marché de la 5G en Europe, conseiller aux uns et aux autres de prendre des actions dans nos rares entreprises européennes qui restent sur ce marché, c’est-à-dire Nokia et Ericsson, pour combattre cette domination. Nous en sommes donc au dépeçage, mes chers collègues ! Ce qui est en train de se passer est assez grave.
M. François Bonhomme. Bravo !
Mme Catherine Morin-Desailly. Une proposition de loi telle que celle que nous examinons vise simplement à aiguillonner le Parlement et, avant tout, le Gouvernement, afin qu’il ait une position très claire, très ferme, très volontariste sur l’ensemble de ces sujets, qui nécessitent une action simultanée sur tous les leviers. C’est ce que nous vous demandons, monsieur le secrétaire d’État. L’heure est extrêmement grave ! Je le dis de façon solennelle ! Je travaille depuis neuf ans sur ce thème important, et j’en ai un peu assez que nos amendements soient retoqués et que nos propositions de loi ne soient pas prises au sérieux.
Pour finir, je remercie Sophie Primas d’avoir pris l’initiative de ce débat avec ce texte. (Très bien ! et applaudissements.)
M. le président. L’amendement n° 13 rectifié ter, présenté par MM. Malhuret, Bignon, Capus, Chasseing, Decool, Fouché, Guerriau, Lagourgue, Laufoaulu et A. Marc, Mme Mélot, MM. Menonville, Wattebled et Gabouty, Mme Bories, MM. de Belenet, Bonhomme, Bonne, Bonnecarrère, Brisson et Cadic, Mme Canayer, MM. Canevet, B. Fournier, Henno, Huré et Kern, Mme Lamure, MM. Lefèvre, de Legge, Lévrier, Longeot, Louault, Mizzon, Moga et Pellevat, Mme Puissat, MM. Rapin et Requier, Mmes Troendlé et Vermeillet, M. Vogel et Mme Vullien, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 8
Supprimer les mots :
de façon injustifiée
II. – Alinéa 9
1° Remplacer le mot :
réglementaires,
par les mots :
réglementaires ou
2° Supprimer les mots :
, ou au bon fonctionnement de l’équipement terminal et des services disponibles au bénéfice des utilisateurs non professionnels et auxquelles des pratiques moins limitatives du droit énoncé au même premier alinéa ne peuvent se substituer
La parole est à M. Claude Malhuret.
M. Claude Malhuret. Le dispositif prévu par l’article 1er établit le principe du libre choix du consommateur sur les terminaux. Comme je l’ai déjà dit, je soutiens ce dispositif, qui me paraît aller dans le bon sens.
Dans sa rédaction actuelle, l’article 1er laisse la possibilité aux fournisseurs de systèmes d’exploitation de justifier d’éventuelles limitations au choix des consommateurs. À mon sens, il est trop permissif à cet égard, notamment parce qu’il introduit une marge d’interprétation importante.
Cet amendement vise donc à éviter le dévoiement du dispositif en le rendant plus restrictif, notamment en écartant la possibilité d’une restriction du choix des consommateurs pour le « bon fonctionnement de l’équipement terminal ». Cette formule est selon nous un peu floue, imprécise.
En évitant tout dévoiement par des interprétations, l’adoption de cet amendement limiterait aussi le nombre des contentieux, que les géants du numérique, avec leurs légions d’avocats, peuvent facilement faire durer des années.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Franck Montaugé, rapporteur. Avant toute chose, je veux rendre hommage, en mon nom propre, au travail de Catherine Morin-Desailly, matérialisé notamment dans un rapport de grande qualité rendu voilà quelques années. La commission d’enquête a d’ailleurs fait référence à ce rapport, qui mérite d’être connu.
Monsieur Malhuret, la commission estime disproportionné de ne pas permettre des restrictions justifiées par le bon fonctionnement du terminal. Nous craignons qu’en laissant ouverte une possibilité allant au-delà de ce que prévoit le texte les utilisateurs ne puissent se retrouver avec des terminaux, par exemple des smartphones, qui ne fonctionnent pas ou plus, parce qu’ils seraient allés trop loin dans l’adaptation. C’est la raison pour laquelle, après une réflexion approfondie, nous émettons un avis défavorable sur votre amendement, tout en comprenant votre position de principe.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Monsieur le président, permettez-moi une petite déclaration liminaire, même si je ne réussirai probablement pas à convaincre la Haute Assemblée de suivre la position du Gouvernement. Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, sur le fond, de manière générale, nous voyons d’un bon œil les propositions qui sont faites, mais, pour des raisons d’efficacité et de tactique dans le débat européen, nous serons défavorables à la proposition de loi.
Toutefois, par respect pour le débat parlementaire, bien évidemment, je donnerai l’avis du Gouvernement, si possible étayé, sur les amendements. Ainsi, nous aurons l’occasion d’échanger sur des questions précises et techniques, ce qui n’emporte pas pour le Gouvernement adhésion à l’ensemble du texte.
En l’espèce, sur l’amendement présenté par M. Malhuret, je partage l’avis de la commission. Le Conseil d’État a souligné que la possibilité de déroger aux obligations prévues par la proposition de loi pour des motifs de bon fonctionnement de l’équipement terminal était nécessaire pour préserver la faisabilité technique de la mesure. Supprimer cette exception conduirait à fragiliser la proportionnalité de ce dispositif.
M. Claude Malhuret. Dans ces conditions, je retire mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 13 rectifié ter est retiré.
Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
Le chapitre II du titre Ier du livre III du code des postes et des communications électroniques, tel qu’il résulte de l’article 1er de la présente loi, est complété par des articles L. 106 à L. 108 ainsi rédigés :
« Art. L.106. – Le ministre chargé du numérique et l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse peuvent, de manière proportionnée aux besoins liés à l’accomplissement de leurs missions, et sur la base d’une décision motivée recueillir auprès des fournisseurs de système d’exploitation mentionnés au I de l’article L. 105 les informations ou documents nécessaires pour s’assurer du respect, par ces personnes, de l’obligation prévue au II du même article L. 105.
« Art. L.107. – I. – L’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse encourage la mise à disposition, dans le respect des secrets protégés par la loi, des informations susceptibles de favoriser la liberté de choix des utilisateurs non professionnels d’équipements terminaux. Elle met en place ou accompagne la mise en place par des tiers, dans les conditions prévues au II du présent article, des outils d’évaluation et de comparaison des pratiques mises en œuvre par les fournisseurs de système d’exploitation mentionnés au I de l’article L. 105.
« II. – Dans le respect des dispositions du présent code et de ses règlements d’application, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse précise les règles concernant les contenus, conditions et modalités de transmission ou de mise à disposition, y compris à des organismes tiers recensés par l’Autorité, d’informations fiables relatives aux équipements terminaux et à leurs systèmes d’exploitation, dans la mesure où cela s’avère justifié pour la réalisation de l’objectif mentionné à l’article L. 104.
« Art. L. 108. – I. – En cas de différend entre un utilisateur professionnel et un fournisseur de système d’exploitation sur la mise en œuvre des obligations prévues à l’article L. 105, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse peut être saisie par l’une des parties.
« L’autorité se prononce, dans le délai fixé par le décret en Conseil d’État mentionné au deuxième alinéa du I de l’article L. 36-8, après avoir mis les parties à même de présenter leurs observations et, le cas échéant, procédé à des consultations techniques, économiques ou juridiques, ou expertises respectant le secret de l’instruction du litige dans les conditions prévues par le présent code. Les frais engendrés par ces consultations et expertises peuvent être mis à la charge de la partie perdante, sauf si les circonstances particulières du différend justifient qu’ils soient mis à la charge d’une autre partie ou partagés entre les parties. Sa décision est motivée et précise les conditions équitables et non discriminatoires, d’ordre technique et financier, dans lesquelles l’exercice du droit mentionné au II de l’article L. 105 par les utilisateurs non professionnels de tout équipement terminal doit être assuré. L’autorité peut, à la demande de la partie qui la saisit, décider que sa décision produira effet à une date antérieure à sa saisine, sans toutefois que cette date puisse être antérieure à la date à laquelle la contestation a été formellement élevée par l’une des parties pour la première fois et, en tout état de cause, sans que cette date soit antérieure de plus de deux ans à sa saisine. Lorsque les faits à l’origine du litige sont susceptibles de restreindre de façon notable l’offre de services de communication audiovisuelle, l’autorité recueille l’avis du Conseil supérieur de l’audiovisuel qui se prononce dans un délai fixé par le décret en Conseil d’État mentionné au deuxième alinéa du I de l’article L. 36-8.
« L’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse peut refuser la communication de pièces mettant en jeu le secret des affaires. Ces pièces sont alors retirées du dossier.
« En cas d’atteinte grave et immédiate au droit mentionné au II de l’article L. 105, l’autorité peut, après avoir entendu les parties en cause, ordonner des mesures conservatoires. Ces mesures doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l’urgence.
« L’autorité rend publiques ses décisions, sous réserve des secrets protégés par la loi. Elle les notifie aux parties.
« III. – Les décisions prises par l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse en application du I peuvent faire l’objet d’un recours en annulation ou en réformation dans le délai d’un mois à compter de leur notification.
« Le recours n’est pas suspensif. Toutefois, le sursis à exécution de la décision peut être ordonné, si celle-ci est susceptible d’entraîner des conséquences manifestement excessives ou s’il est survenu, postérieurement à sa notification, des faits nouveaux d’une exceptionnelle gravité.
« Les mesures conservatoires prises par l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse peuvent, au maximum dix jours après leur notification, faire l’objet d’un recours en annulation ou en réformation. Ce recours est jugé dans le délai d’un mois.
« IV. – Les recours contre les décisions et mesures conservatoires prises par l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse en application du présent article sont de la compétence de la cour d’appel de Paris.
« Le président de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse peut présenter des observations devant la Cour de cassation à l’occasion d’un pourvoi en cassation formé contre un arrêt par lequel la cour d’appel de Paris a statué sur une décision de l’autorité.
« Le pourvoi en cassation formé le cas échéant contre l’arrêt de la cour d’appel est exercé dans le délai d’un mois suivant la notification de cet arrêt. »
M. le président. L’amendement n° 12 rectifié, présenté par Mmes Lienemann et Cukierman, MM. Gay, Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Après les mots :
systèmes d’exploitation
insérer les mots :
et, le cas échéant, aux principes des traitements algorithmiques des informations proposées aux consommateurs,
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Vous le savez, les plateformes ne sont pas neutres dans le traitement de l’information qu’elles convoient. Une récente affaire, dont ont été évoqués dans cette enceinte quelques tenants, a montré qu’à partir d’une information qui est faiblement repérable sur internet, Twitter et d’autres agissent comme des chambres d’écho pour lui donner une importance qui en fait, ensuite, quelque chose de tout à fait viral.
Derrière cet effet chambre d’écho, il y a des algorithmes favorisant systématiquement l’information qui va, comme l’a dit très justement la présidente Morin-Desailly, faire fonctionner l’économie de l’attention. Plus une information peut attirer de l’attention, plus elle va être valorisée par les algorithmes. L’objet du présent amendement est d’offrir aux consommateurs une information claire sur le rôle de ceux-ci, afin de leur permettre, en toute connaissance de cause, de choisir leurs logiciels par rapport aux règles déontologiques qu’ils s’imposeraient sur leur neutralité à cet égard.
J’ajoute une réflexion d’ensemble, monsieur le secrétaire d’État. Plusieurs dispositions législatives autorisent déjà le Gouvernement, via le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), à demander aux opérateurs de communiquer leurs algorithmes, lesquels ne le font pas aujourd’hui. Le CSA est obligé de visionner des vidéos pour essayer de comprendre par réflexion comment fonctionnent les algorithmes derrière.
Je rejoins tout à fait les propos de Mme Morin-Desailly. Il faut une action systémique par rapport aux Gafam. Malheureusement, quand on arrive à édifier des digues par des dispositions récentes, le Gouvernement ne les défend pas, ce qui pose un problème de fond. D’où mon attention portée une nouvelle fois sur les algorithmes. Monsieur le secrétaire d’État, je vous demande, d’une part, de faire respecter la loi et, d’autre part, de la renforcer au bénéfice des consommateurs.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylviane Noël, rapporteur. Cet amendement vise à renforcer la transparence des algorithmes utilisés par les plateformes lors du classement des informations transmises aux consommateurs. Il nous paraît satisfait, car l’article 107 du code de la consommation prévoit déjà une obligation pour les plateformes d’informer les consommateurs sur les modalités de référencement, de classement et de déréférencement des contenus, des biens ou des services auxquels la plateforme permet d’accéder.
C’est la raison pour laquelle nous vous en demandons le retrait, mon cher collègue. À défaut, l’avis de la commission serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le secrétaire d’État, « même avis », ce n’est pas une réponse suffisante ! Étant donné l’importance de cette discussion, vous nous devez plus.
Le Gouvernement ne fait pas respecter la législation existante. Par exemple, le CSA s’est plaint à plusieurs reprises de ne pouvoir disposer des algorithmes que, pourtant, les opérateurs lui doivent. Vous ne pouvez pas me faire une réponse aussi lapidaire. Il faut que vous nous expliquiez, là, maintenant, quelle action systématique vous menez pour contrôler les Gafam.
Cela dit, la position de la commission me satisfait totalement. Aussi, je retire mon amendement.
Mais, monsieur le secrétaire d’État, nous avons besoin d’une discussion sur le fond. De toute façon, si nous ne l’avons pas aujourd’hui, nous l’aurons la semaine prochaine lors de l’examen de la proposition de loi Avia, donc, autant commencer le débat maintenant !
M. Cédric O, secrétaire d’État. Monsieur Ouzoulias, tout d’abord, je suis pour avoir, une nouvelle fois, le débat sur la transparence des algorithmes. C’est évidemment indispensable, mais cela ne sera pas suffisant, notamment dans le cadre de l’intelligence artificielle. Tous les techniciens le reconnaissent, selon la façon dont fonctionne le machine learning, vous aurez beau avoir l’algorithme, vous ne saurez absolument pas quels sont ses résultats. C’est une black box pour tous les scientifiques.
Ensuite, laissez-moi vous expliquer pourquoi je me contente de dire « même avis ». Vous demandez de donner à l’Arcep, autorité indépendante, un pouvoir qu’elle a déjà ! Pis, la précision que vous voulez introduire pourrait fragiliser la généralité du pouvoir qui lui est confié.
Pour faire appliquer ses décisions aux opérateurs comme aux plateformes, lorsque c’est dans son champ de compétence, l’Arcep n’a pas besoin du Gouvernement. En l’espèce, vous souhaitez renforcer ses pouvoirs dans la loi. Je le répète, c’est satisfait.
Cela étant, il ne me semble pas que le Gouvernement s’opposerait ou ferait preuve de mauvaise volonté si la DGCCRF et les autorités compétentes avaient la possibilité juridique d’agir. Après, peut-être faut-il creuser.
Monsieur le sénateur, sur l’amendement que vous proposez, je ne pouvais pas dire grand-chose d’autre que ce qu’a dit la commission.
M. le président. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Article 3
Le chapitre II du titre Ier du livre III du code des postes et des communications électroniques, tel qu’il résulte des articles 1er et 2 de la présente loi, est complété par un article L. 109 ainsi rédigé :
« Art. L.109. – L’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse peut, soit d’office, soit à la demande du ministre chargé du numérique, d’une association agréée d’utilisateurs ou d’une personne physique ou morale concernée, sanctionner les manquements qu’elle constate de la part des fournisseurs de système d’exploitation mentionnés au I de l’article L. 105. Ce pouvoir de sanction est exercé dans les conditions prévues au présent article.
« I. – En cas de manquement par un fournisseur de système d’exploitation mentionné au I de l’article L. 105 aux dispositions du présent chapitre au respect desquelles l’Autorité a pour mission de veiller ou aux textes et décisions pris en application de ces dispositions, le fournisseur est mis en demeure par l’Autorité de s’y conformer dans un délai qu’elle détermine.
« La mise en demeure peut être assortie d’obligations de se conformer à des étapes intermédiaires dans le même délai. Elle est motivée et notifiée à l’intéressé. L’Autorité peut rendre publique cette mise en demeure.
« Lorsque l’autorité estime qu’il existe un risque caractérisé qu’un fournisseur de système d’exploitation mentionné au I de l’article L. 105 ne respecte pas à l’échéance prévue initialement ses obligations résultant des dispositions et prescriptions mentionnées au présent I, elle peut mettre en demeure l’exploitant ou le fournisseur de s’y conformer à cette échéance ;
« Lorsqu’un fournisseur de système d’exploitation mentionné au I de l’article L. 105 ne se conforme pas dans les délais fixés à la mise en demeure prévue au présent I ou aux obligations intermédiaires dont elle est assortie, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse peut, après instruction conduite par ses services, notifier les griefs à la personne en cause. Elle transmet alors le dossier d’instruction et la notification des griefs à la formation restreinte ;
« Après que la personne en cause a reçu la notification des griefs, a été mise à même de consulter le dossier et de présenter ses observations écrites, et avant de prononcer une sanction, la formation restreinte procède, selon une procédure contradictoire, à l’audition du représentant de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse chargé de l’instruction et de la personne en cause.
« La formation restreinte peut, en outre, entendre toute personne dont l’audition lui paraît utile.
« La formation restreinte peut prononcer à l’encontre du fournisseur de système d’exploitation en cause une sanction pécuniaire dont le montant est proportionné à la gravité du manquement et aux avantages qui en sont tirés, sans pouvoir excéder 2 % du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé par l’entreprise en cause au cours de l’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre, taux qui est porté à 4 % en cas de nouvelle violation de la même obligation. Si les comptes de l’entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d’affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l’entreprise consolidante ou combinante. À défaut d’activité permettant de déterminer ce plafond, le montant de la sanction ne peut excéder 150 000 €. Ce montant est porté à 375 000 € en cas de nouvelle violation de la même obligation.
« Lorsque le manquement est constitutif d’une infraction pénale, le montant total des sanctions prononcées ne peut excéder le montant de la sanction encourue le plus élevé.
« Lorsque la formation restreinte a prononcé une sanction pécuniaire devenue définitive avant que le juge pénal ait statué définitivement sur les mêmes faits ou des faits connexes, ce dernier peut ordonner que la sanction pécuniaire s’impute sur l’amende qu’il prononce.
« « Les conditions d’application des alinéas précédents sont déterminées par le décret mentionné à l’article L. 36-11.
« Les sanctions pécuniaires sont recouvrées comme les créances de l’État étrangères à l’impôt et au domaine.
« II. – En cas d’atteinte grave et immédiate aux règles mentionnées au 1° du I du présent article, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse peut ordonner, sans mise en demeure préalable, des mesures conservatoires dont la validité est de trois mois au maximum. Ces mesures peuvent être prorogées pour une nouvelle durée de trois mois au maximum si la mise en œuvre des procédures d’exécution n’est pas terminée, après avoir donné à la personne concernée la possibilité d’exprimer son point de vue et de proposer des solutions.
« III. – L’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse et la formation restreinte ne peuvent être saisies de faits remontant à plus de trois ans, s’il n’a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction.
« IV. – Les décisions de la formation restreinte sont motivées et notifiées à l’intéressé. Elles peuvent être rendues publiques dans les publications, journaux ou services de communication au public par voie électronique choisis par la formation restreinte, dans un format et pour une durée proportionnés à la sanction infligée. Elles peuvent faire l’objet d’un recours de pleine juridiction et d’une demande de suspension présentée conformément à l’article L. 521-1 du code de justice administrative, devant le Conseil d’État.
« V. – Lorsqu’un manquement constaté dans le cadre des dispositions du présent article est susceptible d’entraîner un préjudice grave pour une entreprise ou pour l’ensemble du marché, le président de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse peut demander au président de la section du contentieux du Conseil d’État statuant en référé qu’il soit ordonné à la personne responsable de se conformer aux règles et décisions applicables et de supprimer les effets du manquement ; le juge peut prendre, même d’office, toute mesure conservatoire et prononcer une astreinte pour l’exécution de son ordonnance. »
M. le président. L’amendement n° 16 rectifié, présenté par Mme Noël et M. Montaugé, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 6
1° Au début, insérer la mention :
II. –
2° Remplacer les mots :
au présent I
par les mots :
au I du présent article
II. – Alinéa 7
Au début, insérer la mention :
III. –
III. – Alinéa 12
Remplacer les mots :
des alinéas précédents
par les mots :
du présent III
IV. – Alinéa 14, première phrase
Remplacer la mention :
II
par la mention :
IV
et la mention :
1°
par les mots :
premier alinéa
V. – Alinéa 15
Remplacer la mention :
III
par la mention :
V
VI. – Alinéa 16
Remplacer la mention :
IV
par la mention :
VI
VII. – Alinéa 17
Remplacer la mention :
V
par la mention :
VII
La parole est à M. le rapporteur.
M. Franck Montaugé, rapporteur. Il s’agit simplement d’un amendement de coordination, dont l’adoption ne remettrait pas en cause les fondements juridiques du texte ni son contenu.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 3, modifié.
(L’article 3 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 3
M. le président. L’amendement n° 10, présenté par Mmes Lienemann et Cukierman, M. Gay et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le I de l’article L. 442-1 du code de commerce est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« …° D’empêcher ou de tenter d’empêcher la liberté de choix des utilisateurs d’équipements terminaux, dans les conditions prévues à l’article L. 34-9-1-1 du code des postes et des communications électroniques. »
La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il s’agit d’insérer un article additionnel complétant l’article L.442-1 du code de commerce pour donner aux entreprises dont l’existence est directement menacée par des pratiques des entreprises systémiques – c’est notamment le cas des TPE et PME françaises qui n’ont pas les moyens de recourir au régulateur – la possibilité d’agir quand le manquement en cause relève tout autant des atteintes à l’interopérabilité que des pratiques restrictives de concurrence, notamment l’avantage sans contrepartie ou le déséquilibre significatif, tels que visés par l’article précité.
En clair, quand une entreprise est menacée ou a des difficultés liées à la pratique de ces plateformes au regard des critères d’interopérabilité figurant dans le texte, elle doit pouvoir se tourner vers le tribunal de commerce, ce qui ne nous paraît pas du tout contradictoire avec la faculté de saisine de l’Arcep. Elle doit pouvoir saisir le régulateur, mais aussi intervenir directement. C’est souvent beaucoup plus opérationnel et efficace.
Par ailleurs, comme cela a été dit, le régulateur ne peut pas non plus être embouteillé par toutes les éventuelles demandes.
Cette mesure est complémentaire avec les dispositions du présent texte.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Franck Montaugé, rapporteur. Si elle partage pleinement votre objectif, ma chère collègue, la commission considère que cet amendement est satisfait. C’est la raison pour laquelle elle en demande le retrait, faute de quoi elle y sera défavorable.
Les TPE et les PME françaises auront les moyens d’agir devant le régulateur, d’abord dans le cadre du nouvel article L. 108 du code des postes et des communications électroniques créé par le texte, qui permettra à tout utilisateur professionnel de saisir l’Arcep en cas d’atteinte à la neutralité des terminaux, et ensuite dans le cadre des nouveaux articles L. 109 et L. 113 du même code, grâce auxquels toute personne physique ou morale concernée pourra solliciter une sanction de la part de l’Arcep.
La position de la commission n’est pas exclusive de la possibilité que vous avez évoquée d’agir devant le tribunal de commerce.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Même avis, cet amendement est satisfait !
Par ailleurs, la rédaction retenue poserait quelques problèmes.
Je rappelle que, sur la base d’enquêtes de la DGCCRF, le ministre de l’économie a déjà appliqué un certain nombre de dispositions du droit dans le domaine du numérique. Je pense aux assignations d’Apple en 2007 et de Google en 2018, comme à celles, en application du code de commerce, d’Expedia en 2013, de Booking en 2014, ou encore d’Amazon en 2017.
De surcroît, votre proposition pose deux difficultés supplémentaires eu égard à la nature même du code de commerce : premièrement, elle vise non pas les relations entre professionnels, qui déterminent l’application du code de commerce, mais les relations entre professionnels et utilisateurs ; deuxièmement, elle introduirait une notion nouvelle limitée aux terminaux, dont la portée exacte me semble insuffisamment définie, donc incertaine.
M. le président. Madame Lienemann, l’amendement n° 10 est-il maintenu ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Oui, monsieur le président. En effet, je ne crois pas que le dispositif consistant à obliger une TPE ou une PME qui serait spoliée au regard de notre loi et voudrait attaquer l’une de ces plateformes à s’adresser à l’Arcep, à l’exclusion d’autres voies de recours, soit opérationnel, et ce pour plusieurs raisons.
D’abord, on sait bien qu’il existe de nombreux domaines où la procédure est beaucoup plus rapide et efficace si l’on s’adresse directement au tribunal de commerce, alors que l’Arcep, dans bien des cas, met un temps fou pour, éventuellement, donner suite à la requête.
Ensuite, le champ d’intervention de l’Arcep est restreint. De ce fait, un certain nombre de litiges qui nous importent ne relèveront pas de son domaine. Ce sera le cas si une société de tourisme est victime d’un biais systémique dans les résultats d’un moteur de recherche du fait des algorithmes utilisés, ou encore si une clinique hospitalière est désireuse de modifier la façon dont elle est présentée par ces algorithmes : l’Arcep n’est pas compétente en la matière. Il faut donc pouvoir donner à ces victimes la possibilité de s’adresser au tribunal de commerce si elles sont spoliées.
Par ailleurs, le concept de « pratique restrictive de concurrence » a justement l’avantage de pouvoir être invoqué, non pas seulement ex ante, mais aussi après les faits. Si l’on intervient uniquement ex ante, c’est peu efficient !
Je crois qu’il faut donner de vrais droits aux personnes morales ou physiques qui sont touchées, menacées, ou spoliées au regard des règles que nous sommes en train de mettre en place. Tout faire passer par l’Arcep réduit le champ de ces nouveaux droits et allonge les démarches ; dans certains cas, cela peut même empêcher la procédure d’aboutir du fait de la complexité des dossiers, alors que le tribunal de commerce est particulièrement compétent en la matière.
M. le président. L’amendement n° 4, présenté par M. Temal, Mme Artigalas, MM. Daunis et M. Bourquin, Mme Conconne, MM. Courteau et Duran, Mme Guillemot, M. Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
I. – Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 111-7 du code de la consommation, il est inséré un article L. 111-7-… ainsi rédigé :
« Art. L. 111-7-…. – Tout fournisseur de système d’exploitation tel que défini à l’article L. 105 du code des postes et des communications électroniques est tenu de délivrer au consommateur une information loyale, claire et transparente sur :
« 1° Les conditions générales d’utilisation du service de communication qu’il propose et sur les modalités d’adaptation et d’édition des logiciels préinstallés sur ses équipements pour contrôler l’accès à leur fonctionnalité ;
« 2° L’existence d’une relation contractuelle, d’un lien capitalistique ou d’une rémunération à son profit, dès lors qu’ils influencent le classement ou le référencement des applications et des services accessibles via lesdits logiciels préinstallés ;
« 3° La qualité de l’annonceur et les droits et obligations des parties en matière civile et fiscale, lorsque des consommateurs sont mis en relation avec des professionnels ou des non-professionnels par l’intermédiaire desdits logiciels préinstallés. »
II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre …
Loyauté des fournisseurs de système d’exploitation et information des consommateurs
La parole est à M. Alain Duran.
M. Alain Duran. Lorsqu’une personne fait une recherche sur internet ou sur un site de vente en ligne, les résultats de sa recherche subissent un référencement sur la base de critères propres à chaque site concerné. Ces critères ont une incidence directe sur le résultat des recherches que l’on effectue et, par conséquent, sur les produits que l’on achète. La question du référencement est donc centrale.
La loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique a créé une obligation de loyauté : les plateformes doivent offrir une information claire sur les critères de référencement et indiquer les liens contractuels et capitalistiques qui peuvent exister avec les différents résultats référencés. L’objectif de cette mesure est d’éclairer le consommateur sur les raisons pour lesquelles certains résultats ont été mis en avant.
Seules les plateformes en ligne sont concernées par cette obligation de loyauté, mais il nous a semblé que la question du référencement se pose également pour les terminaux mobiles, notamment les fameux « stores ».
L’accès aux applications mobiles se fait par l’intermédiaire de logiciels préinstallés sur les téléphones : App Store sur les iPhone, Google Play sur les téléphones Android. Ces logiciels, au même titre que les moteurs de recherche sur internet, procèdent à un classement et à un référencement des applications qu’ils proposent sur la base de critères qui leur sont propres.
L’idée qui préside à l’amendement déposé par Rachid Temal, soutenu par le groupe socialiste et républicain, est donc d’obliger les fournisseurs de système d’exploitation à mettre en évidence les critères qui conditionnent le référencement des applications proposées et les liens capitalistiques qu’ils peuvent avoir avec les concepteurs de ces applications.
Le sujet n’est pas anodin. À titre d’exemple, au premier trimestre 2018, les plateformes Google Play et App Store proposaient plus de 6 millions d’applications. Sur cette même période, on comptabilisait plus de 27 milliards de téléchargements d’application depuis ces plateformes.
La plupart de ces applications disposent d’achats intégrés. La question du libre choix est donc d’autant plus importante qu’elle implique une démarche d’achat.
En conséquence, notre amendement vise à transposer l’obligation de loyauté applicable aux plateformes en ligne aux fournisseurs de système d’exploitation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylviane Noël, rapporteur. Mon cher collègue, un magasin d’applications est bien une plateforme en ligne au sens de l’article 111-7 du code de la consommation.
Cet amendement nous paraît pleinement satisfait. La commission en demande donc le retrait ; à défaut, son avis sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Alain Duran, pour explication de vote.
M. Alain Duran. J’ai bien noté que notre amendement serait satisfait dès lors que les magasins d’applications peuvent être assimilés à des plateformes en ligne.
Si tel est le cas, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous assurer que le principe de loyauté est respecté par les fournisseurs de système d’exploitation, s’agissant notamment des magasins d’applications ? Des opérations de contrôle du respect de cette obligation sont-elles menées ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État. Concernant les opérations qui ont déjà été conduites, monsieur le sénateur, il faudra que je revienne vers vous. Je peux d’ores et déjà vous confirmer que le dispositif de votre amendement n’élargirait pas le champ d’application de la réglementation : les systèmes que vous entendez viser entrent déjà dans ce champ.
Cela dit, je dois vous avouer que je ne connais pas le détail des opérations qui ont pu être menées en la matière. Si vous le souhaitez, je pourrai vous apporter une réponse détaillée ultérieurement. En tout état de cause, la possibilité que vous appelez de vos vœux existe déjà : les dispositifs existants concernent bien les opérateurs de plateforme.
M. le président. Monsieur Duran, l’amendement n° 4 est-il maintenu ?
M. Alain Duran. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 4 est retiré.
Chapitre II
INTEROPÉRABILITÉ DES PLATEFORMES
Article 4
Le titre Ier du livre III du code des postes et des communications électroniques est complété par un chapitre III ainsi rédigé :
« CHAPITRE III
« Interopérabilité des plateformes en ligne
« Art. L.110. – Dans le cadre de leurs attributions respectives, le ministre chargé du numérique et l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse prennent, dans des conditions objectives et transparentes, des mesures raisonnables et proportionnées en vue d’atteindre l’objectif d’interopérabilité des services proposés par les opérateurs de plateformes en ligne au sens de l’article L. 111-7 du code de la consommation, dans les conditions prévues au présent chapitre.
« Art. L. 111. – Lorsque la capacité des utilisateurs non professionnels à accéder à des services proposés par des opérateurs de plateformes en ligne au sens de l’article L. 111-7 du code de la consommation et à communiquer par leur intermédiaire est compromise en raison d’un manque d’interopérabilité des données et des protocoles pour des motifs autres que ceux visant à assurer le respect d’obligations législatives ou réglementaires, la sécurité, l’intégrité ou le bon fonctionnement de tels services, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse peut imposer, après consultation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, des obligations aux fournisseurs de ces services afin de les rendre interopérables.
« Les obligations mentionnées au premier alinéa ne peuvent s’appliquer qu’aux opérateurs de plateforme en ligne dont l’activité dépasse un seuil de nombre de connexions défini par décret.
« Elles sont raisonnables et proportionnées. Elles peuvent consister en :
« 1° La publication des informations pertinentes ;
« 2° L’autorisation de l’utilisation, de la modification et de la retransmission de ces informations par l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse ou d’autres opérateurs de plateformes en ligne ;
« 3° La mise en œuvre des standards techniques d’interopérabilité identifiés par l’Autorité.
« Les décisions de l’Autorité prises en application du présent article font l’objet de la consultation prévue au V de l’article L. 32-1.
« Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État. »
M. le président. L’amendement n° 3, présenté par Mme Artigalas, MM. Daunis, Temal et M. Bourquin, Mme Conconne, MM. Courteau et Duran, Mme Guillemot, M. Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Au début de cet article
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Après le 9° de l’article L. 32 du code des postes et des communications électroniques, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« …° Interopérabilité
« L’interopérabilité est la capacité que possède un produit ou un système, dont les interfaces sont intégralement connues, à fonctionner avec d’autres produits ou systèmes existants ou futurs et ce sans restriction d’accès ou de mise en œuvre. »
La parole est à Mme Viviane Artigalas.
Mme Viviane Artigalas. Aux termes du code des postes et des communications électroniques, l’interopérabilité constitue une exigence essentielle en ce qui concerne les services et les équipements. Il la définit comme l’aptitude des équipements « à fonctionner, d’une part, avec le réseau et, d’autre part, avec les autres équipements radioélectriques. »
L’interopérabilité est une considération structurante pour la liberté des internautes ; la définition actuelle paraît donc insuffisante par rapport aux enjeux soulevés dans la présente proposition de loi.
Il ne s’agit pas seulement de permettre à deux systèmes de communiquer entre eux ; il faudrait aussi que chacun soit en mesure de lire et de modifier les informations et les contenus de manière fiable et de garantir que n’importe quel système présent ou futur puisse s’interconnecter.
On ne peut par conséquent parler d’interopérabilité d’un produit ou d’un système que lorsqu’on en connaît toutes les interfaces.
Aussi, nous proposons de reprendre la définition de l’interopérabilité retenue dans le référentiel général d’interopérabilité. Le RGI est en effet le cadre de recommandations qui favorisent l’interopérabilité au sein des systèmes d’information de l’administration. Ces recommandations prennent en compte la nécessité de lever les barrières à l’interopérabilité, qu’elles soient d’ordre juridique ou technique.
Nous proposons en conséquence, par cet amendement, de définir l’interopérabilité comme la capacité que possède un produit ou un système dont les interfaces sont intégralement connues à fonctionner avec d’autres produits ou systèmes existants ou futurs, et ce sans restriction d’accès ou de mise en œuvre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Franck Montaugé, rapporteur. La commission émet un avis favorable sur cet amendement, qui vise à prendre en compte la définition du RGI des services d’information de l’État. Nous ne sommes pas sûrs que cela corresponde exactement au sujet, mais cela va du moins dans le sens d’une nécessité et d’un intérêt certain.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. De prime abord, la définition proposée ne me semble pas poser énormément de problèmes.
Néanmoins, je ne suis pas certain que cette précision soit à la fois utile et productive. En effet, définir trop précisément les termes ouvre souvent des voies de détournement pour les acteurs ; c’est d’ailleurs l’objet de discussions que nous avons eues avec l’Arcep. Parfois, on sort de l’ambiguïté à ses propres dépens.
En l’espèce, s’agissant d’une disposition qui, dans son état actuel, je le répète, ne lui semble pas poser beaucoup de problèmes, même si elle paraît mériter un travail un peu plus approfondi eu égard aux réserves que je viens d’émettre, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Nous voterons bien sûr en faveur de cet amendement, parce qu’il est important et que son adoption permettrait d’avancer sur ce sujet.
Sur le fond, monsieur le secrétaire d’État, je ne comprends toujours pas votre argumentation. Vous nous dites, ce qui est peut-être juste d’un point de vue légal, que nos propositions ne sont pas adaptées, qu’elles seraient redondantes ou superfétatoires par rapport à la législation existante. Toutefois, nous remarquons tous et vous avez vous-même reconnu que cette législation est aujourd’hui dans l’impossibilité de faire face aux phénomènes que nous avons dénoncés.
Alors, peut-être notre solution n’est-elle pas la bonne ; je veux bien l’admettre. Mais si nous sommes d’accord sur le constat, n’est-ce pas la tâche du Gouvernement que vous représentez ici, monsieur le secrétaire d’État, de nous proposer des solutions qui permettraient de réguler efficacement les Gafam ?
Or, depuis le début de notre débat et jusqu’à cet instant, tout ce que vous nous avez dit, c’est que l’Europe s’en occupera. Avouez que c’est un peu faible !
Je me souviens d’un autre dispositif qui avait été adopté à l’unanimité par notre assemblée : une proposition de loi de M. Assouline tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse. Ce texte, devenu loi, est venu conforter dans notre législation une directive européenne. Or ce dispositif bute aujourd’hui, parce que Google vous a annoncé très officiellement qu’il n’appliquerait pas la loi. On est face à un problème de fond !
Alors, monsieur le secrétaire d’État, dites-nous ce que le Gouvernement souhaite faire en matière de régulation des Gafam, et arrêtez de vous réfugier soit derrière l’Europe, soit derrière l’inefficacité de la réglementation existante !
M. le président. Je mets aux voix l’article 4, modifié.
(L’article 4 est adopté.)
Article 5
Le chapitre III du titre Ier du livre III du code des postes et des communications électroniques, tel qu’il résulte de l’article 4 de la présente loi, est complété par un article L. 112 ainsi rédigé :
« Art. L.112. – Le ministre chargé du numérique et l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse peuvent, de manière proportionnée aux besoins liés à l’accomplissement de leurs missions, et sur la base d’une décision motivée recueillir auprès des opérateurs de plateformes en ligne les informations ou documents nécessaires pour s’assurer du respect, par ces personnes, des obligations édictées en vue d’assurer l’interopérabilité de ces services en application de l’article L. 111. » – (Adopté.)
Article 6
I. – Le chapitre III du titre Ier du livre III du code des postes et des communications électroniques, tel qu’il résulte des articles 4 et 5 de la présente loi, est complété par un article L. 113 ainsi rédigé :
« Art. L. 113. – L’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse peut, soit d’office, soit à la demande du ministre chargé du numérique, d’une association agréée d’utilisateurs ou d’une personne physique ou morale concernée, sanctionner les manquements qu’elle constate de la part des opérateurs de plateforme en ligne mentionnés à l’article L. 111. Ce pouvoir de sanction est exercé dans les conditions prévues au présent article.
« I. – En cas de manquement par un opérateur de plateforme en ligne mentionné à l’article L. 111 aux dispositions du présent chapitre au respect desquelles l’Autorité a pour mission de veiller ou aux textes et décisions pris en application de ces dispositions, le fournisseur est mis en demeure par l’Autorité de s’y conformer dans un délai qu’elle détermine.
« La mise en demeure peut être assortie d’obligations de se conformer à des étapes intermédiaires dans le même délai. Elle est motivée et notifiée à l’intéressé. L’Autorité peut rendre publique cette mise en demeure.
« Lorsque l’autorité estime qu’il existe un risque caractérisé qu’un opérateur de plateforme en ligne mentionné à l’article L. 111 ne respecte pas à l’échéance prévue initialement ses obligations résultant des dispositions et prescriptions mentionnées au présent I, elle peut mettre en demeure l’exploitant ou le fournisseur de s’y conformer à cette échéance ;
« Lorsqu’un opérateur de plateforme en ligne mentionné à l’article L. 111 ne se conforme pas dans les délais fixés à la mise en demeure prévue au présent I ou aux obligations intermédiaires dont elle est assortie, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse peut, après instruction conduite par ses services, notifier les griefs à la personne en cause. Elle transmet alors le dossier d’instruction et la notification des griefs à la formation restreinte.
« Après que la personne en cause a reçu la notification des griefs, a été mise à même de consulter le dossier et de présenter ses observations écrites, et avant de prononcer une sanction, la formation restreinte procède, selon une procédure contradictoire, à l’audition du représentant de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse chargé de l’instruction et de la personne en cause.
« La formation restreinte peut, en outre, entendre toute personne dont l’audition lui paraît utile.
« La formation restreinte peut prononcer, à l’encontre de l’opérateur de plateforme en ligne en cause pour non-respect des obligations édictées en application de l’article L. 111, une sanction pécuniaire dont le montant est proportionné à la gravité du manquement et aux avantages qui en sont tirés, sans pouvoir excéder 2 % du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé par l’entreprise en cause au cours de l’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre, taux qui est porté à 4 % en cas de nouvelle violation de la même obligation. Si les comptes de l’entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d’affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l’entreprise consolidante ou combinante. À défaut d’activité permettant de déterminer ce plafond, le montant de la sanction ne peut excéder 150 000 €, porté à 375 000 € en cas de nouvelle violation de la même obligation. »
« Lorsque le manquement est constitutif d’une infraction pénale, le montant total des sanctions prononcées ne peut excéder le montant de la sanction encourue le plus élevé.
« Lorsque la formation restreinte a prononcé une sanction pécuniaire devenue définitive avant que le juge pénal ait statué définitivement sur les mêmes faits ou des faits connexes, ce dernier peut ordonner que la sanction pécuniaire s’impute sur l’amende qu’il prononce.
« Les conditions d’application des alinéas précédents sont déterminées par le décret mentionné à l’article L. 36-11.
« Les sanctions pécuniaires sont recouvrées comme les créances de l’État étrangères à l’impôt et au domaine.
« II. – En cas d’atteinte grave et immédiate aux règles mentionnées au I du présent article, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse peut ordonner, sans mise en demeure préalable, des mesures conservatoires dont la validité est de trois mois au maximum. Ces mesures peuvent être prorogées pour une nouvelle durée de trois mois au maximum si la mise en œuvre des procédures d’exécution n’est pas terminée, après avoir donné à la personne concernée la possibilité d’exprimer son point de vue et de proposer des solutions.
« III. – L’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse et la formation restreinte ne peuvent être saisies de faits remontant à plus de trois ans, s’il n’a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction.
« IV. – Les décisions de la formation restreinte sont motivées et notifiées à l’intéressé. Elles peuvent être rendues publiques dans les publications, journaux ou services de communication au public par voie électronique choisis par la formation restreinte, dans un format et pour une durée proportionnés à la sanction infligée. Elles peuvent faire l’objet d’un recours de pleine juridiction et d’une demande de suspension présentée conformément à l’article L. 521-1 du code de justice administrative, devant le Conseil d’État.
« V. – Lorsqu’un manquement constaté dans le cadre des dispositions du présent article est susceptible d’entraîner un préjudice grave pour une entreprise ou pour l’ensemble du marché, le président de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse peut demander au président de la section du contentieux du Conseil d’État statuant en référé qu’il soit ordonné à la personne responsable de se conformer aux règles et décisions applicables et de supprimer les effets du manquement ; le juge peut prendre, même d’office, toute mesure conservatoire et prononcer une astreinte pour l’exécution de son ordonnance. »
II. – L’article L. 130 du code des postes et des communications électroniques est ainsi modifié :
1° À la première phrase du cinquième alinéa, les références : « L. 5-3 et L. 36-11 » sont remplacées par les références « L. 5-3, L. 36-11, L. 109 et L. 113 » ;
2° Le sixième alinéa est ainsi modifié :
a) Après la référence : « L. 36-8 », la fin de la première phrase est ainsi rédigée : « , des I et II des articles L. 36-11 et l’article L. 108, et de l’article L. 113. » ;
b) À la dernière phrase, après la référence : « L. 36-11 », sont insérées les références : « et au II des articles L. 109 et L. 113 » ;
3° Le septième alinéa est ainsi modifié :
a) À la première phrase, les références : « et des I et II de l’article L. 36-11 » sont remplacées par les références « , des I et II de l’article L. 36-11 et de l’article L. 108, de l’article L. 109 et de l’article L. 113 » ;
b) À la seconde phrase, après la référence : « L. 36-11 », sont insérées les références : « et du III des articles L. 109 et L. 113 ».
M. le président. L’amendement n° 17 rectifié, présenté par Mme Noël et M. Montaugé, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 6
1° Au début, insérer la mention :
II. –
2° Remplacer les mots :
au présent I
par les mots :
au I du présent article
II. – Alinéa 7
Au début, insérer la mention :
III. –
III. – Alinéa 12
Remplacer les mots :
des alinéas précédents
par les mots :
du présent III
IV. – Alinéa 14, première phrase
1° Remplacer la mention :
II
par la mention :
IV
2° Après les mots :
mentionnées au
insérer les mots :
premier alinéa du
V. – Alinéa 15
Remplacer la mention :
III
par la mention :
V
VI. – Alinéa 16
Remplacer la mention :
IV
par la mention :
VI.-
VII. – Alinéa 17
Remplacer la mention :
V
par la mention :
VII
VIII. – Alinéa 21
Remplacer les mots :
des articles L. 36-11 et l’article L. 108, et de l’article L. 113
par les mots :
de l’article L. 36-11, de l’article L. 108, et des I et II des articles L. 109 et L. 113
IX.- Alinéa 22
Rédiger ainsi cet alinéa :
b) À la dernière phrase, les mots : « de l’article L. 36-11 » sont remplacés par les mots : « des articles L. 36-11, L. 109 et L. 113 » ;
X. – Alinéa 24
Remplacer les mots :
et de l’article L. 108, de l’article L. 109 et de l’article L. 113
par les mots :
, de l’article L. 108 et des I et II des articles L. 109 et L. 113
XI. – Alinéa 25
Rédiger ainsi cet alinéa :
b) À la dernière phrase, les mots : « de l’article L. 36-11 » sont remplacés par les mots : « des articles L. 36-11, L. 109 et L. 113 ».
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Sylviane Noël, rapporteur. C’est un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 6, modifié.
(L’article 6 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 6
M. le président. L’amendement n° 11 rectifié, présenté par Mmes Lienemann et Cukierman, M. Gay et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le I de l’article L. 442-1 du code de commerce est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« …° D’empêcher ou de tenter d’empêcher l’interopérabilité des services de communication au public en ligne dans les conditions définies à l’article L. 111 du code des postes et communications électroniques. »
La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cet amendement vise à permettre les actions devant le tribunal de commerce pour des manquements relatifs à l’interopérabilité. Dans la mesure où l’amendement n° 10, dont l’objet était similaire, a été rejeté par le Sénat, j’imagine que le sort réservé à celui-ci sera identique ; je préfère donc le retirer.
M. le président. L’amendement n° 11 rectifié est retiré.
L’amendement n° 8 rectifié, présenté par Mmes Lienemann et Cukierman, M. Gay et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Sous réserve du présent article, le chapitre Ier du titre V de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle et le chapitre X du titre VII du livre VII du code de justice administrative s’appliquent à l’action ouverte sur le fondement du présent article.
II. – Lorsque plusieurs personnes physiques placées dans une situation similaire subissent un dommage ayant pour cause commune un manquement de même nature aux dispositions de la présente loi par une entreprise systémique, une action de groupe peut être exercée devant la juridiction civile ou la juridiction administrative compétente au vu des cas individuels présentés par le demandeur, qui en informe l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse.
III. – Cette action peut être exercée en vue soit de faire cesser le manquement mentionné au II, soit d’engager la responsabilité de la personne ayant causé le dommage afin d’obtenir la réparation des préjudices matériels et moraux subis, soit de ces deux fins.
Toutefois, la responsabilité de la personne ayant causé le dommage ne peut être engagée que si le fait générateur du dommage est postérieur au jour de la publication de la présente loi au Journal officiel.
IV. – Peuvent seules exercer cette action :
1° Les associations régulièrement déclarées depuis cinq ans au moins ayant dans leur objet statutaire la protection des libertés numériques, de l’internet ouvert, de la vie privée ou la protection des données à caractère personnel ;
2° Les associations de défense des consommateurs représentatives au niveau national et agréées en application de l’article L. 811-1 du code de la consommation, lorsque le manquement affecte des consommateurs ;
3° Les organisations syndicales de salariés ou de fonctionnaires représentatives au sens des articles L. 2122-1, L. 2122-5 ou L. 2122-9 du code du travail ou du III de l’article 8 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ou les syndicats représentatifs de magistrats de l’ordre judiciaire, lorsque le manquement porte atteinte aux intérêts des personnes que les statuts de ces organisations les chargent de défendre.
Lorsque l’action tend à la réparation des préjudices subis, elle s’exerce dans le cadre de la procédure individuelle de réparation définie au chapitre Ier du titre V de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle et au chapitre X du titre VII du livre VII du code de justice administrative.
La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cet amendement vise à permettre d’engager des actions de groupe en réponse à toutes les atteintes à la neutralité des terminaux et à l’interopérabilité des plateformes.
Ce point est particulièrement important, car c’est certainement ce qui permettra de faire changer le rapport de forces vis-à-vis des Gafam en faveur de nos concitoyens, de notre pays, et même de l’Arcep. En effet, l’action de groupe devant les tribunaux peut souvent s’avérer extrêmement dissuasive du fait de la publicité négative subie par la plateforme.
Certes, je sais déjà que certains d’entre vous, mes chers collègues, vont me rétorquer qu’une telle action est déjà possible, mais il se trouve que nombre d’entre nous, sur toutes les travées de cet hémicycle, ont une expérience gouvernementale ou parlementaire importante : nous savons bien que, même si tout est dans les textes, il arrive que personne ne les utilise, parce qu’aucune démarche réelle n’a encore été accomplie pour le permettre.
J’estime même que, contrairement à ce qu’on nous affirme, cette possibilité d’action de groupe n’est pas offerte dans la législation actuelle.
On nous explique qu’on peut saisir l’Arcep, mais cette saisine est limitée aux associations de consommateurs : il faut l’élargir aux entreprises et aux individus.
On nous oppose que la neutralité et l’interopérabilité du Net seraient déjà couvertes. Nous pensons que tel n’est pas le cas, puisque les opérations couvertes sont celles qui concernent les relations entre entreprises – « B to B » – et non entre entreprises et clients – « B to C » –, qui devraient pourtant figurer en premier lieu dans la loi.
Il y a donc de forts risques que les personnes qui voudraient agir ne puissent le faire.
Regardons la liste des opérations qui peuvent donner lieu à une action de groupe devant la justice administrative : on n’y trouvera aucune référence au libre choix de l’utilisateur dans le cyberespace.
De même, devant le juge judiciaire, le code de la consommation ne permet que des actions de groupe en réparation de préjudices matériels ; les préjudices immatériels en sont exclus. Or, dans les cas qui nous occupent aujourd’hui, ce sont bien les préjudices immatériels qui doivent être pris en compte.
Enfin, si l’on s’intéresse plus précisément aux conditions juridiques de ces actions de groupe devant le juge judiciaire, on remarque que, en réalité, elles ne peuvent être intentées que par les associations de défense des consommateurs, et non par toute personne concernée par le problème en cause.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Dès lors, s’il existe des opportunités, il n’y a aucune réelle possibilité d’action de groupe.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Franck Montaugé, rapporteur. Je ne crois pas qu’on puisse aller jusqu’à dire que tout est déjà dans les textes et qu’il suffirait de s’en saisir pour régler les problèmes. De fait, la raison d’être de cette proposition de loi est justement de compléter la législation pour nous montrer plus efficaces.
Je rappelle que, selon le texte sur lequel nous sommes appelés à nous prononcer, l’Arcep peut déjà être saisie dans de nombreux cas. Les articles 3 et 6 de cette proposition de loi le précisent bien : l’Arcep « peut, soit d’office, soit à la demande du ministre chargé du numérique, d’une association agréée d’utilisateurs, ou d’une personne physique ou morale concernée, sanctionner » les atteintes au libre choix et à l’interopérabilité des plateformes.
Pour réparer collectivement le préjudice subi par les consommateurs devant les tribunaux, si la proposition de loi dont nous discutons devient loi, les atteintes à la neutralité des terminaux et à l’interopérabilité des plateformes seront couvertes par les actions de groupe prévues dans le code de la consommation. De ce point de vue, l’article L. 623-1 de ce code est très explicite quant à ce qui est possible : tout manquement d’un professionnel à ses obligations légales relevant ou non du code de la consommation « à l’occasion de la vente de biens ou de la fourniture de services » peut faire l’objet d’une action de groupe.
Pour ces raisons, nous considérons que cet amendement est satisfait. La commission en demande donc le retrait ; à défaut, son avis sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Cet amendement est satisfait ; l’avis du Gouvernement est par conséquent le même que celui de la commission.
M. le président. Madame Lienemann, l’amendement n° 8 rectifié est-il maintenu ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il se trouve que beaucoup de juristes qui travaillent sur ces sujets considèrent que la mise en œuvre de l’interopérabilité et de la neutralité ne constitue pas une fourniture de services ; dès lors, l’utilisation de ce dernier concept comme fondement d’une action de groupe sera immanquablement contestée devant les tribunaux par les plateformes.
En précisant que la neutralité et l’interopérabilité relèvent bien du domaine de ce dispositif, on s’assure qu’il n’y aura pas de divergences d’interprétation autour du concept de « fourniture de services ».
J’insiste sur ce point d’autant plus que les opérateurs que nous avons face à nous ne sont pas des enfants de chœur : ils vont déployer des batteries d’avocats pour tenter de trouver toutes les petites failles qui peuvent exister dans notre droit !
À l’étape où nous sommes, je pense donc qu’il est important de bien rappeler que les actions de groupe couvrent ce mécanisme. C’est fondamental pour le rapport de forces entre le consommateur et les géants du Net. Si l’on devait acquérir la certitude qu’elle est non pas nécessaire, mais redondante, on pourrait toujours retirer cette précision du texte ; mais si l’on ne l’y fait pas figurer maintenant, on se place dans une grande fragilité à l’égard des actions de groupe.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 8 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Chapitre III
LUTTE CONTRE LES ACQUISITIONS DITES « PRÉDATRICES »
Article 7
Après l’article L. 430-2 du code de commerce, il est inséré un article L. 430-2-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 430-2-1. – I. – L’Autorité de la concurrence fixe une liste des entreprises structurantes.
« Pour déterminer si une entreprise est structurante, l’Autorité prend en compte, aux niveaux français et européen ou mondial, un ou plusieurs des indices suivants : sa position dominante sur un ou plusieurs marchés, notamment multifaces, le nombre d’utilisateurs uniques des produits ou services qu’elle propose, son intégration verticale et ses activités sur d’autres marchés connexes, le bénéfice qu’elle retire de l’exploitation d’importants effets de réseaux, sa valorisation financière, son accès à des données essentielles pour l’accès à un marché ou le développement d’une activité, l’importance de ses activités pour l’accès de tiers aux marchés et l’influence qu’elle exerce en conséquence sur les activités des tiers.
« II. – Les entreprises structurantes mentionnées au I du présent article informent l’Autorité de la concurrence de toute opération de concentration au sens de l’article L. 430-1 susceptible d’affecter le marché français dans un délai d’un mois avant sa réalisation.
« III. – Le président de l’Autorité de la concurrence ou un vice-président désigné par lui peut enjoindre à une entreprise systémique mentionnée au I du présent article partie à une opération de concentration de soumettre celle-ci, avant sa réalisation, à la procédure prévue aux articles L. 430-3 à L. 430-10. »
« IV. (nouveau) – Lorsque l’Autorité de la concurrence engage un examen approfondi d’une opération notifiée en application du présent article, l’entreprise structurante doit apporter la preuve que l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence. »
M. le président. L’amendement n° 6, présenté par M. Daunis, Mme Artigalas, MM. Temal et M. Bourquin, Mme Conconne, MM. Courteau et Duran, Mme Guillemot, M. Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer la première occurrence des mots :
un ou
La parole est à Mme Viviane Artigalas.
Mme Viviane Artigalas. La présente proposition de loi prévoit que soient mieux contrôlées les acquisitions effectuées par les entreprises structurantes du numérique. L’objectif de cette mesure est de limiter la consolidation des entreprises qui rachètent peu à peu tout un écosystème.
Aux termes du texte de la commission, l’Autorité de la concurrence prendra en compte un ou plusieurs indices pour déterminer si une entreprise est structurante. Il est ainsi proposé de retenir une approche par indices, qui pourraient être mobilisés par l’Autorité de la concurrence pour caractériser l’importance de l’entreprise, a minima sur les marchés français et européen.
Cet amendement vise à clarifier et à préciser que l’Autorité de la concurrence devra recourir à un faisceau d’indices et non pas à un seul indice pour qualifier le caractère structurant d’une entreprise du numérique.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylviane Noël, rapporteur. Il s’agit d’une clarification bienvenue, car la qualification d’entreprise structurante doit provenir d’un faisceau d’indices ; un seul critère ne saurait être suffisant pour bien cibler les géants du numérique, les entreprises structurantes. La commission émet donc un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Modulo le sujet du bon niveau, européen versus national, il semble utile que cette qualification repose sur plusieurs indices plutôt que sur un seul. L’Autorité de la concurrence devrait-elle pour autant s’atteler à cette tâche seule ? C’est un débat.
Compte tenu de ces observations, sur cet amendement, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. En fait, monsieur le secrétaire d’État, chaque fois que vous approuvez une disposition, vous vous en remettez à la sagesse, car vous n’êtes pas d’accord avec le texte.
M. Cédric O, secrétaire d’État. Je vous fais remarquer que j’ai été favorable à l’amendement de coordination, monsieur le président ! Mais vous lisez en moi… (Sourires.)
M. le président. Vous êtes favorable à ce que les lois soient bien écrites, en somme.
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par Mme Artigalas, MM. Daunis, Temal et M. Bourquin, Mme Conconne, MM. Courteau et Duran, Mme Guillemot, M. Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Le dernier alinéa de l’article L. 450-3 du code de commerce est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ils ont également accès aux principes et méthodes de conception des algorithmes ainsi qu’aux données utilisées par ces algorithmes. »
La parole est à Mme Viviane Artigalas.
Mme Viviane Artigalas. Les algorithmes prennent une importance considérable dans l’économie numérique et sont au cœur du fonctionnement de certaines entreprises. Leur transparence et leur fonctionnement font cependant débat et posent de nouvelles questions aux régulateurs.
S’agissant des opérations de concentration et de pratiques anticoncurrentielles, il existe un risque que les algorithmes facilitent ou autorisent des comportements contraires au droit de la concurrence. Il faut désormais s’interroger sur les usages commerciaux des algorithmes, les algorithmes de prix, ou encore sur les risques de collusion horizontale.
Il paraît essentiel d’aborder dans ce texte la question de l’auditabilité des algorithmes, comme le Sénat l’a fait récemment dans le cadre des débats sur la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet.
Pour s’assurer que les algorithmes n’aient pas d’effets néfastes sur le fonctionnement concurrentiel des marchés, les autorités publiques compétentes, en l’espèce l’Autorité de la concurrence, doivent avoir une connaissance approfondie des systèmes algorithmiques utilisés par les plateformes numériques.
Cet amendement vise donc à renforcer les moyens d’action de l’Autorité de la concurrence, en complétant l’article 7. Il s’agit de prévoir que cette instance a, dans le cadre de ses missions de contrôle, accès aux principes et méthodes de conception des algorithmes, ainsi qu’aux données utilisées par ces derniers.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Franck Montaugé, rapporteur. La commission émet un avis favorable sur cet amendement, dont l’adoption permettra de clarifier le droit en vigueur. La mesure prévue répond d’ailleurs à l’une des recommandations de la commission d’enquête sur la souveraineté numérique.
J’ajoute que ce même dispositif a été proposé par voie d’amendement dans le cadre de la discussion de la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, amendement adopté au Sénat et dont les dispositions ont été conservées par l’Assemblée nationale.
M. le secrétaire d’État le confirmera peut-être, cette matière peut être source d’emploi : une équipe de data scientists est en train d’être constituée, qui sera mise à disposition des différentes autorités de régulation.
J’indique d’emblée que la commission émettra également un avis favorable sur l’amendement n° 2 rectifié, relatif aux agents habilités de la DGCCRF.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Mon analyse est un peu différente de celle de la commission. Il me semble en effet que cet amendement est satisfait.
Nous partageons bien évidemment l’objectif. M. le rapporteur a d’ailleurs eu l’occasion d’évoquer l’une des initiatives du Gouvernement, à savoir la création d’un service à compétence nationale – vous aurez, mesdames, messieurs les sénateurs, à vous prononcer sur ce sujet dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique –, pour mutualiser ces compétences rares et chères que sont celles des data scientists, les spécialistes en intelligence artificielle, au bénéfice des administrations, mais également des autorités indépendantes. Ce faisant, il s’agit de doter ces instances de cette compétence et de la capacité technique et technologique à vérifier ce qui se passe au sein des entreprises du numérique, notamment des réseaux sociaux, à travers leurs algorithmes et les dispositifs qu’elles déploient.
En l’espèce et juridiquement, l’alinéa 4 de l’article L. 450-3 du code de commerce autorise déjà les agents concernés à recueillir tout renseignement utile pour les besoins de l’enquête, sans qu’il soit nécessaire de préciser que tel est également le cas pour les données relatives aux algorithmes.
Avant même la création de ce service à compétence nationale, la DGCCRF a engagé un travail en coopération avec le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), pour se doter de cette compétence technique. De même, l’Autorité de la concurrence a, de son côté, entrepris un important travail dans ce domaine, en partenariat avec son homologue allemande, le Bundeskartellamt.
Pour cette raison, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je veux insister sur la pertinence de cet amendement, en tout cas de sa philosophie, mais ce qui pèche, ce sont les moyens. C’est bien de créer un service, mais il va falloir dégager des moyens financiers considérables.
Nous constatons bien que tous les ingénieurs et mathématiciens français, qui sont particulièrement doués en matière d’algorithmes, sont recherchés par les Gafam et se voient offrir des salaires et des moyens d’action sans commune mesure.
Travailler avec les universités relève d’un choix stratégique pour la France, afin que, à la fin de leurs études, ces ingénieurs et mathématiciens puissent se mettre au service de l’intérêt général ou des entreprises françaises. Cela suppose, je le répète, des moyens financiers très importants.
En tout cas, cet amendement va dans le bon sens. Lors du prochain débat budgétaire, nous aurons l’occasion de voir comment le pays se dote des moyens de faire appliquer cette loi.
M. le président. Madame Artigalas, l’amendement n° 1 rectifié est-il maintenu ?
Mme Viviane Artigalas. Oui, monsieur le président.
Même si une disposition qui autorise cette pratique existe déjà dans le code de commerce, il me semble utile d’ajouter cette mesure dans le texte. Cela montre l’importance des algorithmes, des données et ce que l’on en fait. J’y reviendrai en présentant l’amendement n° 2 rectifié.
Marie-Noëlle Lienemann a raison : il faut prévoir les moyens nécessaires. Le faire figurer dans la loi montre toute l’importance que nous accordons à ce sujet et au suivi de ce travail.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Franck Montaugé, rapporteur. Je suis sensible aux propos du secrétaire d’État. Cela dit, cet amendement a un objectif de clarification. C’est peut-être une redite, mais, sur ce sujet extrêmement important, il n’est pas inutile d’apporter un éclairage supplémentaire.
Je suis également sensible aux propos qu’a tenus Marie-Noëlle Lienemann sur les moyens. La commission d’enquête sur la souveraineté numérique a auditionné M. Bernard Stiegler, philosophe de la technique et spécialiste des questions du numérique. Celui-ci a indiqué à cette occasion qu’il fallait immédiatement, et sur une période de cinq à dix ans, engager les moyens nécessaires pour financer des milliers de thèses sur les questions touchant au numérique.
Je fais cet appel au Gouvernement. Je sais que de nombreux sujets nécessiteraient des investissements supplémentaires, mais il s’agit là d’un investissement stratégique, qui conditionne la souveraineté non seulement numérique, mais nationale pour les années à venir.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.
Mme Catherine Morin-Desailly. Lors du débat sur le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche, nous devrons poser le cadre des impératifs qui gouverneront nos choix. L’investissement dans les nouvelles technologies et la recherche, qui est encore largement insuffisante, devra être absolument prioritaire.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Oui, absolument !
Mme Catherine Morin-Desailly. La commission de la culture, de l’éducation et de la communication engagera d’ailleurs une réflexion sur ce sujet très important dans quelques jours. Il s’agit de se donner les moyens d’ancrer en Europe un écosystème du numérique, de soutenir nos ingénieurs, nos chercheurs, nos start-up. Il faut des modèles de croissance pour compléter ce dispositif, mais il s’agit là d’un sujet plus large, sur lequel il faudra également agir.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix l’article 7, modifié.
(L’article 7 est adopté.)
Chapitre III bis
LUTTE CONTRE LES INTERFACES TROMPEUSES
(Division et intitulé nouveaux)
Article 8 A (nouveau)
Le livre Ier du code de la consommation est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 111-7-2, il est inséré un article L. 111-7-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 111-7-3. – Les opérateurs de plateforme en ligne dont l’activité dépasse un seuil de nombre de connexions défini par décret s’abstiennent de concevoir, de modifier ou de manipuler une interface utilisateur ayant pour objet ou pour effet de subvertir ou d’altérer l’autonomie du consommateur dans sa prise de décision ou d’obtenir son consentement. » ;
2° L’article L. 131-4 est ainsi modifié :
a) Après le mot : « obligations », les mots : « d’information » sont supprimés ;
b) Après la référence : « L. 111-7 », les mots : « à l’article L. 111-7 et à l’article L. 111-7-2 » sont remplacés par les mots : « aux articles L. 111-7, L. 111-7-2 et L. 111-7-3 ».
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par Mme Artigalas, MM. Daunis, Temal et M. Bourquin, Mme Conconne, MM. Courteau et Duran, Mme Guillemot, M. Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 1
Supprimer les mots :
livre Ier du
II. – Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
…° L’article L. 512-11 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ils ont également accès aux principes et méthodes de conception des algorithmes ainsi qu’aux données utilisées par ces algorithmes. »
La parole est à Mme Viviane Artigalas.
Mme Viviane Artigalas. J’évoque de nouveau le même sujet, mais avec des arguments différents.
L’algorithme est devenu un outil incontournable des plateformes en ligne pour cibler au mieux les besoins et les envies du consommateur par des recommandations personnalisées. On le voit tous les jours sur les réseaux sociaux.
L’utilisation des algorithmes dans le secteur du e-commerce peut mener à des pratiques pouvant être considérées comme déloyales, voire trompeuses ou agressives, à l’encontre des consommateurs. Comme le souligne le rapport de la commission, il s’agit de pratiques auxquelles nous sommes tous confrontés au quotidien : des cases pré-cochées relatives au paiement d’une assurance que l’on ne souhaite pas, ou encore la désinscription à un service quasiment impossible à trouver.
À ce titre, l’article 8 A, introduit en commission par les rapporteurs, est très intéressant et permet de lutter contre les interfaces trompeuses. Les grandes plateformes devront s’abstenir de proposer de telles interfaces, sous peine de sanction administrative prononcée par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.
Cet amendement vise donc à renforcer les moyens d’action de la DGCCRF, en complétant l’article 8 A. Il s’agit de prévoir que cette structure a, dans le cadre de ses missions de contrôle, accès aux principes et méthodes de conception des algorithmes, ainsi qu’aux données utilisées par ces algorithmes, pour mieux lutter contre ces pratiques déloyales.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Franck Montaugé, rapporteur. Même avis favorable que pour l’amendement n° 1 rectifié.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Il nous semble là encore que cet amendement est satisfait. L’article L. 512-11 du code de la consommation autorise en effet déjà les agents de la DGCCRF à avoir « accès aux logiciels et aux données stockées ainsi qu’à la restitution en clair des informations propres à faciliter l’accomplissement de leurs missions. » Cette rédaction permet une adaptation à toute évolution technique ultérieure, alors qu’un excès de précision nous semble comporter le risque de limiter le champ d’application de l’article, d’autant que la rédaction proposée n’apporterait à notre sens rien de plus que ce qui est déjà possible aujourd’hui.
Pour cette raison, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
M. le président. L’amendement n° 14 rectifié ter, présenté par MM. Malhuret, Bignon, Capus, Chasseing, Decool, Fouché, Guerriau, Lagourgue, Laufoaulu et A. Marc, Mme Mélot, MM. Menonville, Wattebled, Gabouty, Buis, Saury, de Belenet, Bonhomme, Bonne, Bonnecarrère, Brisson et Cadic, Mme Canayer, MM. Canevet, B. Fournier, Henno, Huré et Kern, Mme Lamure, MM. Lefèvre, de Legge, Lévrier, Longeot, Louault, Mizzon, Moga et Pellevat, Mme Puissat, MM. Rapin et Requier, Mmes Troendlé et Vermeillet, M. Vogel et Mme Vullien, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer les mots :
dont l’activité dépasse un seuil de nombre de connexions défini par décret
La parole est à M. Claude Malhuret.
M. Claude Malhuret. La lutte contre les interfaces trompeuses est essentielle pour garantir le libre choix des consommateurs. Je tiens à saluer l’apport de la commission en la matière.
Cependant, ces pratiques ne se limitent pas aux grands opérateurs et sont également le fait de petits opérateurs. Toutes ont pour objet de « subvertir ou d’altérer l’autonomie du consommateur dans sa prise de décision ou d’obtenir son consentement. » Il s’agit donc d’une question de principe et non de moyens.
C’est pourquoi il est proposé d’étendre l’interdiction prévue par le présent article à l’ensemble des opérateurs et pas seulement aux grands opérateurs.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylviane Noël, rapporteur. Après mûre réflexion, la commission juge pertinent de ne pas distinguer selon la taille de la plateforme. Comme vous l’avez dit, mon cher collègue, c’est une question de principe, qui vise à protéger le consommateur. La commission émet donc un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Le Gouvernement émet quant à lui un avis défavorable pour les raisons suivantes.
Les dispositions de l’article 8 A, que cet amendement vise à compléter, sont redondantes avec les dispositions déjà prévues par le code de la consommation pour les pratiques commerciales trompeuses. Cet article ne fait que répéter le droit en vigueur dans un cas particulier. Le comportement visé est en effet interdit de façon générale et peut être très lourdement sanctionné. Altérer l’autonomie de décision ou le consentement du consommateur par des artifices techniques est un agissement grave et une pratique commerciale trompeuse.
Pour rappel, cette pratique est passible dans le droit actuel d’une amende potentiellement très élevée – elle peut être portée à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel en fonction de l’avantage tiré du délit – et d’une peine d’emprisonnement de deux ans, selon les articles L. 121-2 et suivants du code de la consommation.
Pour rappel encore, l’interdiction et la sanction de ce type de pratique résultent de la directive européenne du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales, qui est d’harmonisation maximale.
Cette interdiction ne se limite pas aux grands acteurs, car ces pratiques déloyales ne sauraient être tolérées dans aucun cas.
M. le président. Je mets aux voix l’article 8 A, modifié.
(L’article 8 A est adopté.)
Chapitre IV
DISPOSITIONS DIVERSES
Article additionnel avant l’article 8
M. le président. L’amendement n° 5, présenté par M. Temal, Mme Artigalas, MM. Daunis et M. Bourquin, Mme Conconne, MM. Courteau et Duran, Mme Guillemot, M. Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 8
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet un rapport au Parlement sur l’application de la section 3 du chapitre Ier du titre II de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique.
La parole est à M. Alain Duran.
M. Alain Duran. Par cet amendement, Rachid Temal entend revenir sur l’obligation de loyauté, de clarté et de transparence des plateformes imposée par la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, pour assurer la protection des consommateurs.
Il s’agit en effet de donner aux utilisateurs d’internet une information claire sur les critères de référencement et d’indiquer les liens contractuels et capitalistiques qui peuvent exister entre les différents résultats référencés. Concrètement, l’objectif est d’éclairer le consommateur sur les raisons qui font que certains résultats de sa recherche ont été mis en avant.
La loi pour une République numérique a posé les premières bases d’une régulation proactive des acteurs systémiques du numérique. « Dresser rapidement le bilan de l’application des principes de loyauté et de transparence des plateformes » fait partie des recommandations de la commission d’enquête sur la souveraineté numérique présentées le 1er octobre dernier.
En conséquence, cet amendement tend à reprendre cette recommandation en demandant au Gouvernement la présentation d’un rapport sur le respect et les conditions d’application de l’obligation de loyauté et de transparence.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Franck Montaugé, rapporteur. La commission d’enquête sur la souveraineté numérique recommandait également la publication d’un rapport qui permette de dresser le bilan de l’application des dispositions relatives à la loyauté et à la transparence des plateformes adoptées dans le cadre de la loi pour une République numérique. Cet amendement s’inscrit donc dans ce cadre.
Cela étant, la commission va en rester à la jurisprudence en matière de demandes de rapport par voie d’amendement et émet par conséquent un avis défavorable.
Cependant, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous vous engager à remettre un tel rapport ? Cela permettrait d’éclairer les parlementaires et les citoyens sur la bonne mise en œuvre de ces dispositions, qui restent pionnières en Europe.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Je suis du même avis que le Sénat sur les demandes de rapport.
Il me semble utile de spécifier certains points sur les dispositions qui sont ici visées. Compte tenu de l’information disponible, la demande me paraît satisfaite. En effet, dans le cadre de l’application de la loi pour une République numérique, la DGCCRF réalise des enquêtes nationales pour veiller à la bonne application de ces dispositions. Le résultat de l’enquête effectuée en 2018 a été rendu public en 2019. En d’autres termes, nous assurons le suivi de l’application de ces dispositions et nous publions les résultats. Certes, nous pouvons les encapsuler dans un rapport destiné au Parlement, mais les informations sont disponibles dans le bilan d’activité de la DGCCRF.
Le résultat susvisé a mis en évidence un taux de non-conformité élevé. Seule une plateforme s’est rapidement mise en conformité avec la réglementation sur un total de 29 plateformes contrôlées, ce qui a donné lieu à 22 injonctions et à 4 avertissements. Dans ce contexte, il va de soi que la pression en matière de contrôle sera maintenue. Elle l’a été pour faire en sorte que les plateformes concernées par la non-conformité rentrent dans le rang.
Je m’engage évidemment, monsieur le rapporteur, monsieur le sénateur, à ce que les résultats de l’enquête réalisée en 2019 soient rendus publics cette année.
M. le président. Monsieur Duran, l’amendement n° 5 est-il maintenu ?
M. Alain Duran. Non, je le retire, monsieur le président, compte tenu de la jurisprudence qu’a rappelée M. le rapporteur.
M. le président. L’amendement n° 5 est retiré.
Article 8
Les conséquences financières résultant pour l’État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. – (Adopté.)
Article 9
La présente loi entre en vigueur le premier jour du troisième mois suivant sa publication au Journal officiel. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Nous avions déposé un amendement qui n’a pas pu être examiné en séance, au motif qu’il était trop éloigné de l’objet du texte. Il visait à instaurer une protection particulière pour les lanceurs d’alerte qui, au sein des Gafam, alerteraient sur des pratiques de nature à porter atteinte au respect des libertés et à la protection des consommateurs. Cet amendement était fondé sur la notion d’asile constitutionnel, qui permet aux défenseurs de la liberté d’être considérés comme des demandeurs d’asile dans notre pays.
Compte tenu de l’affaire Snowden et d’autres cas en Californie, je pense que ce sujet méritera d’être traité, car il va de pair avec les protections diverses et variées que nous essayons de mettre en œuvre.
Nous voterons néanmoins cette proposition de loi, même si je dois dire, chers collègues, que nous sommes un peu consternés par l’attitude du Gouvernement lors de ce débat. Comme l’a dit Pierre Ouzoulias, et d’une certaine façon Mme Morin-Desailly, nous avons l’impression non pas que nous n’avons pas la même stratégie, ce qui pourrait être le cas, mais que le Gouvernement n’en a absolument aucune ! Il se contente en effet de dire qu’il faut s’en remettre à l’échelon européen, qu’on verra bien comment tout cela va finir. Or, compte tenu de la gravité des problèmes, de l’urgence de la situation, des attentes de nos concitoyens et de la nécessité pour la France de s’outiller afin d’être en mesure de se faire respecter et de défendre ses citoyens, l’attitude du Gouvernement est non seulement irrespectueuse du Sénat, mais aussi alarmante.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Madame Lienemann, ma collègue Chantal Jouanno et moi-même avions déposé il y a quelques années une proposition de résolution européenne visant à accorder l’asile politique à Edward Snowden, laquelle avait été adoptée dans cet hémicycle. Le Sénat a donc déjà pris une initiative en ce sens.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
Mme Catherine Morin-Desailly. Cela étant dit, nous voterons bien entendu la présente proposition de loi, dont Anne-Catherine Loisier et moi-même sommes cosignataires.
Il ne faut toutefois pas se mettre le doigt dans l’œil et se faire d’illusions. Nous allons certes adopter des mesures, mais, structurellement, c’est bien à l’échelon européen que nous pourrons agir. Encore faut-il avoir une vision claire de ce que l’on veut faire.
Monsieur le secrétaire d’État, vous faites depuis peu partie du Gouvernement, vous dites qu’il est important de superviser les plateformes : êtes-vous prêt à mener le combat pour rouvrir la directive e-commerce ? Cela me paraît être le b.a.-ba pour commencer.
Êtes-vous également prêt à revoir les règles de concurrence, afin qu’il soit possible de prendre des mesures ex ante, et non pas ex post, quand des abus de position dominante sont constatés ? Je rappelle que le Sénat a voté à l’unanimité deux propositions de résolution européenne, sur lesquelles le Gouvernement peut s’appuyer.
Êtes-vous aussi prêt à mener une politique industrielle offensive dans des secteurs clés stratégiques, porteurs de données sensibles ? Je pense à la santé, à l’énergie, aux mobilités, mais aussi à la cryptographie, sachant que cette technologie sera demain le fer-de-lance d’une nouvelle vague d’uberisation, encore plus grave, car elle touchera le secteur prudentiel et le secteur bancaire et nous affaiblira encore davantage.
Êtes-vous enfin prêt à conduire une réflexion sur les outils technologiques stratégiques ? Pour ma part, je m’interroge sur l’absence de vision de la France, dont vous n’êtes pas le seul responsable, bien sûr, monsieur le secrétaire d’État. C’est également le fait d’autres acteurs avant vous, depuis des années. Le fait que la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ait été obligée de passer un contrat avec Palantir technologies, la start-up cofinancée par la CIA, à défaut d’une d’option hexagonale, montre bien que nous n’avons pas de stratégie industrielle. C’est assez grave.
J’aimerais également avoir votre point de vue sur l’absence de patriotisme national dans le domaine. Je suis très surprise que le Président de la République ait confié la présidence de la French Tech à John Chambers, ancien président de Cisco, ce qui le conduit à représenter la France à l’étranger, jusqu’en Chine. Est-ce raisonnable ?
Tous ces abandons progressifs de souveraineté sont des signaux négatifs envoyés à la communauté française et à l’Union européenne.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Je tiens à remercier vivement Mme Primas et ses collègues de cette proposition de loi, qui arrive au bon moment, après la commission d’enquête du Sénat sur la souveraineté numérique, laquelle a démontré, comme l’a indiqué Mme Morin-Desailly, l’absence de stratégie globale de l’État pour réguler les Gafam.
Vous nous avez dit à l’instant, monsieur le secrétaire d’État, que plusieurs organismes avaient commis des infractions. Je suppose, et j’espère, que des amendes leur ont été infligées. Vous nous avez dit aussi, lors de la discussion générale, que les Gafam avaient dû payer 8 milliards d’euros d’amendes en deux ans, encore plus aux États-Unis, au Proche-Orient et en Asie. Ces montants à l’échelon mondial sont stupéfiants et montrent bien que, aujourd’hui, les amendes ne sont plus suffisantes pour réguler ces plateformes, dont le budget est équivalent à celui d’États importants. On le voit, nos moyens de rétorsion sont faibles.
Ce que je salue de façon très forte et solennelle dans cette proposition de loi, c’est la tentative de toucher au fondement même de la logique économique des Gafam, c’est-à-dire l’économie de l’attention. Cela me paraît beaucoup plus efficace que les amendes. En faisant comprendre aux utilisateurs comment ces sociétés parviennent à attirer les clients et leurs données, on permet une prise de conscience, notamment des jeunes générations, ce qui est fondamental. Les jeunes n’ont toujours pas compris en effet que lorsqu’un logiciel est gratuit, c’est parce que ces sociétés vendent ensuite leurs données. À cet égard, cette proposition de loi a d’importantes vertus pédagogiques.
Il est important, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement partage notre constat sur l’économie de l’attention, notre décryptage de la manière dont les Gafam ont acquis une puissance considérable et qu’il reconnaisse qu’il y a là un enjeu essentiel pour notre souveraineté et notre émancipation globale.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État. Je répondrai en détail à certains points et reviendrai sur quelques généralités.
Je répondrai d’abord à Mme Morin-Desailly et à M. Ouzoulias : les positions du Gouvernement sont claires. Je vous en ai fait part au moment de l’examen de la proposition de loi Avia – vous étiez présents –, lors duquel nous avons longuement évoqué la question de l’interopérabilité. Je suis tout à fait disposé à vous les réexpliquer, mais il est faux de dire que le Gouvernement n’a aucune vision claire de ce qu’il veut faire. Nos stratégies peuvent différer, en particulier sur le point de savoir s’il faut commencer à l’échelon français ou européen, si ce que nous faisons est suffisant ou non, mais il est faux d’affirmer que nous n’avons pas de vision.
Permettez une petite pique, madame Morin-Desailly. On me dit qu’il faut que la France avance sur ces questions, qu’il ne faut pas attendre que les choses se fassent à l’échelon européen. Or le président Retailleau, dans cet hémicycle, m’a soutenu exactement le contraire ! J’ai relu le compte rendu de son intervention lors de l’examen de la proposition de loi Avia : il considérait alors qu’il était très prématuré de prendre des initiatives dans le domaine numérique à l’échelon français dès lors que la Commission européenne en prenait à son niveau. Différents points de vue s’expriment donc…
Pour ma part, je considère qu’il y a une différence de nature entre la proposition de loi Avia et celle que nous examinons aujourd’hui. La première, qui vise à lutter contre les contenus haineux sur internet, était quasiment vitale, au sens propre du terme, …
Mme Catherine Morin-Desailly. Elle est vitale pour l’économie !
M. Cédric O, secrétaire d’État. … car de tels contenus ont conduit des jeunes filles à se suicider. La seconde, qui porte sur des questions de régulation économique, est certes très importante, mais elle n’est pas vitale, madame Morin-Desailly.
Monsieur Ouzoulias, je pense que nous nous rejoignons, et je vous l’ai déjà dit, sur la question des amendes, lesquelles ont en effet une portée limitée et sont inopérantes dans un monde où le cash-flow disponible des plateformes, pour parler en bon français, est très important. La preuve en est que des amendes de 8, 10 ou 15 millions d’euros n’ont pas suffi.
Ce qu’il faut, c’est mettre en place une régulation structurante, qui soit intrusive dans le business model de ces entreprises. Nous sommes d’accord. Pour notre part, nous considérons que ce sujet relève de prime abord de l’échelon européen, qui est le bon niveau d’action pour avancer.
La présidente Morin-Desailly a évoqué la négociation sur le Digital Services Act. Nous voulons profiter du dynamisme et de la volonté des commissaires européens Margrethe Vestager et Thierry Breton pour faire avancer des mesures très agressives en matière de lutte contre les concentrations, mais également de régulation des contenus.
Nous l’avons toujours dit, nous ne sommes pas opposés à la réouverture de la directive e-commerce. Je comprends de mes discussions avec Margrethe Vestager et Thierry Breton qu’il y a sur ce sujet des positions différentes en Europe. Ce qui compte, c’est que les plateformes soient plus responsables. L’urgence pour la France est d’être efficace, peu importe que des mesures soient prises dans le Digital Services Act, dans un texte spécifique ou dans des textes verticaux. Je le répète, mon objectif est d’être efficace.
Mme Catherine Morin-Desailly a posé une question offensive : quelle politique mettre en œuvre pour faire émerger nos propres champions et être au bon niveau ? Je pense que peu de gouvernements en ont fait autant pour les start-up et l’écosystème numérique que le nôtre. Si vous en doutez, je vous invite à interroger les principaux concernés. Nous avons mis en œuvre des réformes générales, mais pour faire émerger des champions nationaux, une réforme de la fiscalité du capital est impérative. Jamais l’État ne pourra mettre autant d’argent sur la table que les Gafam. Dans un monde d’investissements privés, il nous faut favoriser de tels investissements.
Enfin, madame Morin-Desailly, on vous a mal renseignée. John Chambers n’est pas président de la French Tech et ne l’a jamais été. Il n’y a d’ailleurs pas de président de cette mission, qui est un service de l’État. John Chambers est ambassadeur, chargé d’attirer les investisseurs étrangers en France. Il me semble que nous ne sommes pas le premier gouvernement à nous appuyer sur des personnes respectées dans le domaine de l’économie pour ce faire. Je n’ai jamais entendu qui que ce soit, un quelconque sénateur ou député, s’offusquer parce qu’on attirait des investisseurs étrangers en France. Si l’ancien président de Cisco nous ouvre son carnet d’adresses afin de favoriser les investissements dans les entreprises et les territoires français, il y a tout lieu de s’en féliciter. Je le répète : John Chambers n’est pas président. Il ne prend donc aucune part aux décisions sur les politiques que nous menons. Il nous aide simplement à favoriser les investissements en France.
Je reviens sur les moyens de faire émerger nos propres industries numériques en Europe. Le Gouvernement est très mobilisé sur cette question, à un point qui n’a jamais été atteint, je pense. Il est de même très mobilisé dans le domaine de la recherche. Le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche sera prochainement examiné. L’agenda de Lisbonne prévoyait que l’Union européenne devait consacrer 3 % de son PIB à la recherche et au développement en 2010. Nous vous proposerons d’inscrire cet objectif dans la loi de programmation, ce que n’a jamais fait un gouvernement auparavant.
En conclusion, dire du Gouvernement qu’il n’a ni vision ni ambition, c’est lui faire un mauvais procès. Au contraire, nous avons à cœur depuis trois ans de recréer de la puissance dans les domaines de l’industrie et de la recherche. C’est là un vaste sujet, j’en conviens.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas.
Mme Sophie Primas. Monsieur le secrétaire d’État, comme vous l’avez sans doute compris dès la discussion générale, nous ne sommes pas très surpris par votre opposition à ce texte.
Pour autant, elle nous semble incohérente au regard des mesures que vous soutenez par ailleurs. Je pense notamment à la taxe GAFA, que j’ai évoquée, à la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, ainsi qu’à d’autres textes. Nous sommes peut-être incohérents – cela étant, je vais lever dans quelques instants l’incohérence que vous avez cru percevoir dans nos propos –, mais je trouve qu’il y a aussi une forme d’incohérence de votre part.
Nous avons adopté la taxe GAFA. Peut-être les menaces de rétorsions économiques étaient-elles suffisamment puissantes pour que l’on appuie sur le bouton « stop » ou, à tout le moins, que l’on mette cette mesure en attente… C’est peut-être aussi ce qui explique votre opposition au texte que nous examinons aujourd’hui. Simplement, au regard du volontarisme que vous affichez – vous venez encore d’évoquer la place qui doit, selon vous, être celle de la France dans le combat à l’échelon européen –, elle nous paraît quelque peu incohérente.
J’ai lu voilà quelques instants l’entretien que vous avez accordé au journal La Tribune, en guise sans doute de réponse au texte que nous y avions publié hier. Croyez bien que nous entendons votre volontarisme. Nous sommes vraiment très surpris que vous ne nous tendiez pas la main sur cette proposition de loi.
Vous avez tout de même indiqué que si les choses n’allaient pas dans le bon sens ou n’avançaient pas suffisamment vite, vous pourriez revenir vers nous dans quelques semaines ou quelques mois. Sachez que, dans ce cas, vous seriez évidemment extrêmement bien accueilli au Sénat.
Afin de lever une ambiguïté, je précise que l’opposition de Bruno Retailleau à la proposition de loi Avia tenait à sa conviction que certaines dispositions attentaient aux droits et libertés individuels et contrevenaient au droit européen.
M. Pierre Ouzoulias. Bien sûr !
Mme Sophie Primas. Ce n’est donc pas tout à fait la position que vous lui prêtiez tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État.
M. Pierre Ouzoulias. Cela n’a rien à voir !
Mme Sophie Primas. Je remercie tous mes collègues d’avoir été des supports politiques et techniques très importants pour ce qui concerne l’ensemble de la proposition de loi. Je salue évidemment les rapporteurs, dont le travail a été profond, ardu et très engagé.
Je remercie également la présidente de la commission de la culture, Catherine Morin-Desailly, à la fois de son soutien et de tout le travail qu’elle réalise sur le numérique, dossier sur lequel sa compétence est parfaitement reconnue.
Je remercie les membres de la commission d’enquête sur la souveraineté numérique, dont les travaux nous ont inspirés. Je souligne les discussions très intéressantes et approfondies que nous avons eues avec les régulateurs, qu’il s’agisse de l’Autorité de la concurrence, de l’Arcep ou de la DGCCRF. Nous avons beaucoup échangé avec eux sur le sujet.
Je remercie le Conseil d’État de ses conseils et remarques, qui nous ont permis de consolider le texte.
M. Pierre Ouzoulias. Très utile, le Conseil d’État !
Mme Sophie Primas. En effet, mon cher collègue.
Je remercie enfin l’administrateur de la commission des affaires économiques qui a travaillé à nos côtés, un fonctionnaire de très grande qualité, comme nous en avons beaucoup au Sénat. (Applaudissements.)
M. le président. Ma chère collègue, je m’associe à vos remerciements pour saluer l’ensemble des personnels du Sénat, dont la compétence et la qualité sont précieuses pour nos travaux.
Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 91 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l’adoption | 342 |
Le Sénat a adopté à l’unanimité. (Applaudissements.)
5
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 20 février 2020 :
À quatorze heures trente :
Débat sur l’action du Gouvernement en faveur de l’agriculture ;
Débat sur la politique spatiale de l’Union européenne.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures quinze.)
nomination de membres d’une mission d’information
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, la liste des candidatures préalablement publiée est ratifiée.
Mission d’information sur le thème « Quel rôle, quelle place, quelles compétences des départements dans les régions fusionnées, aujourd’hui et demain ? » (vingt et un membres)
MM. Arnaud Bazin, Bernard Bonne, Jean-Marc Boyer, Max Brisson, Mme Cécile Cukierman, MM. Bernard Delcros, Hervé Gillé, Éric Gold, Mme Laurence Harribey, M. Benoît Huré, Mme Corinne Imbert, MM. Patrice Joly, Guy-Dominique Kennel, Pierre Louault, Didier Marie, Pierre Médevielle, Franck Menonville, Mme Frédérique Puissat, MM. Didier Rambaud, André Reichardt et Mme Patricia Schillinger.
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication