Mme Esther Benbassa. Elle est tout aussi dangereuse !
Mme Laurence Cohen. Franchement, on ne voit pas en quoi c’est une bonne nouvelle !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Je voudrais répondre à certaines remarques qui ont été formulées, notamment par M. Hervé, sur les forces utilisées en matière de maintien de l’ordre.
Oui, nous avons des forces spécialisées : les compagnies républicaines de sécurité, les escadrons de gendarmes mobiles ou les compagnies d’intervention de la préfecture de police de Paris. Ce sont les trois forces spécialisées en matière de maintien de l’ordre. Mais il serait illusoire de croire que nous utiliserons seulement ces forces pour gérer le maintien de l’ordre. D’abord, dans certains endroits, des manifestations peuvent se dérouler sans qu’il y ait de forces à disposition. Ensuite, dans des mouvements d’ampleur, comme ceux que nous avons connus, il faut aussi, malheureusement, faire appel à d’autres types d’effectifs de policiers et de gendarmes.
Il sera donc bien prévu au schéma national du maintien de l’ordre que l’ensemble des personnels soient formés et équipés en vue du maintien de l’ordre. Nous avons commencé à le faire. Nous avons augmenté les équipements en matière de protection, notamment pour des effectifs qui n’appartiennent pas aux forces spécialisées. Ce n’est pas parce qu’ils n’appartiennent pas aux forces spécialisées en matière de maintien de l’ordre qu’ils n’y sont pas formés. Ils sont également parfaitement formés à l’utilisation des armes intermédiaires. C’est extrêmement important et il est illusoire de laisser à penser que n’interviendront, lors des manifestations, que les effectifs spécialisés en matière de maintien de l’ordre.
Oui, il y aura toujours des escadrons d’une brigade territoriale de gendarmerie qui, pour se rendre sur un rond-point occupé par des manifestants, essuieront des jets de projectiles et se retrouveront en situation de maintien de l’ordre. Il est illusoire de raconter d’autres histoires…
Le ministre de l’intérieur et moi-même faisons donc en sorte que nos gendarmes et nos policiers soient formés partout en France aux techniques de maintien de l’ordre et puissent faire face à des manifestations, même si une telle mission reste évidemment la mission première des trois forces que j’ai évoquées.
De même, le schéma renforcera – nous avons déjà également commencé à le faire – le volet renseignement en matière de prévision des manifestations. Pardon, mais nous n’avons pas que des manifestants : il y a l’ultra-gauche, il y a les « ultra-jaunes » ! Nous avons aussi affaire à des personnes dont il faut anticiper les actions violentes. C’est ce que nous ferons. Une réflexion sur les services de renseignement est organisée dans le cadre du schéma national du maintien de l’ordre.
Si le maintien de l’ordre est une question si sensible, c’est évidemment aussi parce que, je l’ai indiqué, il implique l’usage proportionné de la force dans certaines circonstances. Je veux rappeler ici qu’une image tronquée, prise sur internet, déconnectée de son contexte, ne vaut pas vérité absolue. Nous avons eu énormément d’exemples de vidéos ayant circulé où, quand on regardait les tenants et les aboutissants, l’avant et l’après, nous avions souvent une autre histoire à raconter…
Mme Esther Benbassa. Quel vocabulaire : « une autre histoire à raconter » !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. … que celle qui pouvait circuler sur les réseaux sociaux.
Il est donc important pour nous que les forces de l’ordre soient en situation de filmer elles-mêmes leur action et de montrer par des vidéos le contexte dans lequel elles sont intervenues. Nous allons y travailler dans le cadre de la mise en œuvre du schéma national de maintien de l’ordre public.
Nous devons évidemment défendre les forces de l’ordre. Pour cela, ainsi que beaucoup d’entre vous l’ont dit, nous avons évidemment besoin de confiance, d’exemplarité et de déontologie. Cela me paraît évident. Chaque policier, chaque gendarme qui intervient dans le maintien de l’ordre doit être exemplaire et inscrire son action strictement dans le cadre prévu par la loi. Le schéma national du maintien de l’ordre examinera évidemment ces questions. Sachez d’ores et déjà que nos forces de l’ordre respectent ces règles de déontologie et sont soumises à un contrôle très exhaustif. (Rires sur les travées du groupe CRCE.)
Certains ont évoqué les signalements à l’IGPN. Un signalement à l’IGPN, cela ne signifie pas grand-chose. Ce n’est pas la preuve d’une « violence policière ». Ce n’est pas du tout cela ! Moi, je ne connais que 378 enquêtes judiciaires dont est saisie l’inspection générale de la police nationale. Un certain nombre ont été transmises au parquet. Un certain nombre ont d’ores et déjà donné lieu à des condamnations. Il y a eu 2 condamnations, et 26 informations judiciaires ont été ouvertes. Ce n’est pas rien !
Les forces de l’ordre travaillent sous le contrôle de l’autorité judiciaire. Quand il y a des fautes, il y a évidemment des enquêtes et, le cas échéant, des sanctions. Mais j’insiste sur un point : l’usage de la force par nos forces de l’ordre au cours des mois écoulés a été exemplaire dans la quasi-totalité des cas. Simplement, quand il y a des fautes, il y a des enquêtes. Ces enquêtes sont en cours, et il faut laisser la justice faire son travail.
Ainsi que le soulignait M. Hervé, ce qui se joue en l’occurrence, c’est la confiance entre les forces de l’ordre et la population. Nous l’avons bien évidemment à l’esprit.
Je vais maintenant répondre brièvement aux questions qui m’ont été posées.
Monsieur Allizard, les sanctions contre les fauteurs de troubles existent évidemment. Au cours des manifestations des « gilets jaunes », il y a tout de même eu plus de 14 000 interpellations, plus de 12 000 placements en garde à vue, et plus de 3 000 condamnations. Je veux le rappeler ici, le maintien de l’ordre réside aussi dans la capacité de nos forces de police et de gendarmerie d’enquêter, d’investiguer et de confondre les auteurs d’exactions.
Monsieur Durain, je vous ai déjà répondu sur la consultation citoyenne. Vous m’avez également interrogé sur la réflexion relative aux films vidéo. Des demandes émanent d’un certain nombre d’organisations syndicales. Pour l’instant, il n’y a pas été donné suite. Mais on peut parfois comprendre – ce n’est qu’une réflexion personnelle – l’inquiétude de certains policiers. Ils sont systématiquement filmés, et leur image se retrouve jetée en pâture sur les réseaux sociaux. Certains sont identifiés et reçoivent des menaces, parfois jusqu’à leur domicile. C’est ce qui fonde la demande de certaines organisations syndicales d’un floutage des vidéos réalisées. À ce stade, il n’y a pas de projet en ce sens. Mais je tiens à vous dire l’inquiétude des policiers. Nous la vivons.
Vous avez évoqué la règle en vertu de laquelle le tireur de LBD lui-même ou son binôme portent une caméra-piéton. Elle est naturellement toujours en application. Vous avez fait référence aux 10 400 caméras-piétons qui ont connu des problèmes de batterie. Ils ont été résolus avec l’ajout d’une deuxième batterie. Ce sera pris en compte dans les appels d’offres à venir. Le déploiement dans les brigades de sapeurs-pompiers a commencé. Ainsi, 40 caméras ont été déployées dans 16 centres de secours. À partir du mois de mars 2020, nous en aurons 200 supplémentaires qui seront déployées.
M. Alain Fouché. Très bien !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Comme je l’ai indiqué, il y a 378 enquêtes de l’IGPN, 26 informations judiciaires, et 2 personnes ont été condamnées.
M. Richard m’a posé quatre questions précises.
Premièrement, afin de mieux identifier les groupes violents et de les mettre à l’écart, il y a des contrôles préventifs en amont. Nous avons mis en place cette mesure forte. Elle figurera au schéma de maintien de l’ordre. Il sera possible – cette disposition a été adoptée dans le texte sur la gestion du maintien de l’ordre public du mois de juin dernier – d’effectuer des contrôles en amont, sous l’autorité des parquets, évidemment, et de mobiliser nos services de renseignement sur la gestion de ces manifestations.
Deuxièmement, la coopération entre les organisations syndicales et les forces de l’ordre sur les manifestations continue de bien se passer. Nous l’avons encore vu pendant le mouvement contre la réforme des retraites, notamment à Paris, où des échanges ont eu lieu. Simplement, vous ne pouvez pas exclure – c’est malheureusement une réalité – qu’un certain nombre d’organisations syndicales soient aujourd’hui débordées. D’ailleurs, elles-mêmes, via leur propre service d’ordre, visent à exclure et excluent de fait de leur cortège des individus plus virulents dont elles savent très bien qu’ils vont commettre des exactions. La relation se passe bien. Mais les organisations syndicales – elles vous diront peut-être le contraire – sont confrontées exactement aux mêmes difficultés que les forces de l’ordre dans la gestion des manifestations.
Troisièmement, à propos de l’action judiciaire, nous avons fait adopter une disposition importante au mois de juin 2019 : venir le visage dissimulé dans une manifestation avec la volonté de commettre des exactions, donc de créer des troubles à l’ordre public, est devenu un délit. Cela permet d’interpeller les individus et de les placer en garde à vue.
Quatrièmement – j’ai déjà répondu sur le caractère professionnel des forces –, il y a des forces spécialisées, mais toutes les forces seront évidemment formées pour le maintien de l’ordre.
Non, madame Benbassa, nous ne sommes pas dans un régime autoritaire ! La mission qui est la mienne, celle de Christophe Castaner, celle des forces de police et de gendarmerie est de faire en sorte que les manifestations se déroulent sans violence et correctement dans ce pays.
Mme Esther Benbassa. Ce n’est pas le cas !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Nous faisons notre travail. Quand il y a des exactions ou des débordements, nous intervenons pour y mettre un terme, ce n’est pas plus compliqué que cela. (Mme Esther Benbassa s’exclame.) Quand tout se passe bien, il n’y a pas de souci. Et quand il y a des violences, nous sommes obligés de les contenir. C’est notre travail.
Je ne peux pas non plus vous laisser dire que le décès d’un jeune homme de 18 ans à Marseille est lié à un mouvement d’ordre public. Il ne faut pas tout mélanger ! L’IGPN est saisie du décès d’un jeune homme du fait de l’action de la police. Mais il venait très probablement – l’enquête le confirmera ou non – de commettre un vol à main armée et il a retourné son arme contre les forces de l’ordre. Je ne crois pas que nous soyons dans un contexte d’ordre public.
L’IGPN est saisie et enquêtera. Mais, à ce stade, je n’ai pas de raison de penser que cette action n’était pas légale et légitime et que les fonctionnaires n’étaient pas en légitime défense.
Mme Esther Benbassa. Et Steve ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Madame Benbassa, les forces de l’ordre reçoivent évidemment des instructions en matière d’ordre public. Je viens de rappeler devant vous la doctrine que nous appliquons depuis plusieurs mois et que nous assumons totalement.
Je voudrais que vous sortiez de la légende de la désescalade à l’allemande. Il y a désescalade quand une manifestation se passe bien, quand vous avez des interlocuteurs.
Mme Sophie Taillé-Polian. Le 1er mai 2019, vous en aviez !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. D’ailleurs, je le rappelle, lors du sommet du G7 à Hambourg à l’été 2017, il y a eu des incidents d’une extrême violence, parce que les policiers allemands ont voulu intervenir au milieu d’une foule où il y avait des Black Blocs. Et ces incidents ont duré plusieurs jours. On cite souvent l’Allemagne comme un exemple de pays où la gestion serait plus soft et où il y aurait désescalade, mais c’est un tort. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Éliane Assassi. Bref, vous ne voulez pas du modèle allemand ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Laurence Cohen. Ils ne l’invoquent que quand ça les arrange ! (Mêmes mouvements.)
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Il faut savoir rétablir la vérité et avoir l’honnêteté de reconnaître que la désescalade n’est possible que quand il y a des interlocuteurs. Encore une fois, quand il y a des violences, il ne peut y avoir qu’un maintien de l’ordre assuré par les policiers.
De la même manière, madame la sénatrice, je ne peux à mon tour pas vous laisser parler de « violences policières ». Il ne s’agit pas d’un déni ou, si c’en est un, je l’assume.
Mmes Esther Benbassa et Laurence Cohen. Assumez-le !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Il y a une police républicaine qui effectue ses missions de manière remarquable et n’utilise la force que de manière proportionnée. Et quand il y a un usage disproportionné de la force, il y a des enquêtes et, le cas échéant, des sanctions.
Comme vous le savez, les policiers nationaux sont un corps de la fonction publique de l’État.
Mme Éliane Assassi. Justement !
Mme Sophie Taillé-Polian. Et c’est censé nous prouver que les violences policières « n’existent pas » ? (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. C’est un corps qui est contrôlé et qui exerce ses missions dans un cadre extrêmement réglementaire, déontologique, peut-être comme aucun autre corps de la fonction publique. C’est bien normal, puisque ces fonctionnaires sont dépositaires de la force.
À écouter certains d’entre vous, j’avais parfois un peu le sentiment de ne pas vivre dans le même monde. (Rires sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Laurence Cohen. Ça, c’est sûr !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Malheureusement, il y a des manifestants qui sont animés d’intentions très malveillantes et qui veulent commettre des exactions. Tant que ce sera le cas – à défaut de vous faire partager ce que je dis, je peux au moins vous rassurer sur un point –, nous serons toujours là. Les policiers et les gendarmes seront toujours là pour assurer le maintien de l’ordre public.
Mme Laurence Cohen. Vous tournez en boucle !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. M. Fouché évoquait la part de responsabilité du délégué interministériel à la sécurité routière dans le mouvement des « gilets jaunes ».
Il faut se garder de donner l’impression de légitimer des mouvements qui ont pu comporter une part de violence importante. Je sais que telle n’était pas votre intention, monsieur le sénateur. Mais gardons-nous de donner le sentiment que l’on peut légitimer la violence. Aucune revendication, aucune expression démocratique ne peut trouver à s’exprimer dans la violence.
Mme Esther Benbassa. Y compris dans la violence policière !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. M. le délégué interministériel à la sécurité routière a fait un excellent travail…
M. Alain Fouché. Non, non ! Aucune concertation !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Nous n’avons jamais eu aussi peu de morts sur les routes : il a donc fait un excellent travail ! Il va à présent rejoindre un poste que je connais bien, pour l’avoir occupé : celui de préfet de police des Bouches-du-Rhône. Je suis sûr qu’il continuera son excellent travail.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les réponses que je souhaitais apporter à vos interrogations, vos demandes de précisions et, parfois, vos observations sur le maintien de l’ordre. C’est effectivement un sujet important, qui touche à notre démocratie. Croyez bien que ce gouvernement veille à avoir sur le sujet une position équilibrée.
Mme Esther Benbassa. On ne vous croit pas !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Elle réside à la fois dans la protection de nos concitoyens et dans le respect de la nécessaire liberté d’expression. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants, RDSE et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quelle doctrine d’emploi de la police et de la gendarmerie dans le cadre du maintien de l’ordre ? »
8
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 19 février 2020 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures trente et le soir :
Désignation des vingt et un membres de la mission d’information sur le thème : « Quel rôle, quelle place, quelles compétences des départements dans les régions fusionnées, aujourd’hui et demain ? » ;
Proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace, présentée par Mme Sophie Primas et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 302, 2019-2020).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures cinquante.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication
Erratum
au compte rendu intégral de la séance du 5 février 2020
Sous le titre « Enfants franco-japonais », page 1349, seconde colonne, huitième ligne,
Au lieu de : « l’entrée de civils au Japon »,
Lire : « l’entraide civile au Japon ».