Mme Denise Saint-Pé, rapporteur. En conclusion, je tiens à remercier tous ceux qui ont travaillé, ensemble, sur cette thématique – les auteurs de la proposition de loi, les membres de la commission des affaires économiques, mais également tous ceux qui sont présents ce matin. La précarité d’une partie de la population en France est un sujet qui nous intéresse et nous préoccupe tous.
Cela étant, Fabien Gay, je le dis sans animosité et avec toute la considération que j’ai pour vous et pour le groupe auquel vous appartenez, la proposition de loi que vous nous avez soumise ne tient pas la route d’un point de vue juridique. Ses articles sont contradictoires. Ainsi, l’article 1er prévoit que l’accès à l’énergie est un droit fondamental pour tous, mais les articles 3 et 4 restreignent certaines dispositions à ceux qui bénéficient du chèque énergie.
De même, votre proposition de baisser le taux de TVA sur la première tranche de consommation ne tient pas non plus la route juridiquement. Cécile Cukierman considère que nous aurions pu proposer d’abaisser le taux de TVA pour tout le monde, mais, comme je l’ai dit en préambule, je suis pour qu’on aide les personnes les plus précaires, comme en témoignent mes engagements personnels depuis des années, mais pas forcément pour qu’on aide les personnes qui ont les moyens d’acquitter la TVA.
Il faut cibler les personnes les plus précaires et travailler de concert avec le Gouvernement, puisque nous partageons tous le même objectif.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Denise Saint-Pé, rapporteur. Continuons donc de réfléchir aux pistes d’amélioration que nous avons évoquées, en particulier en faveur des 25 % de personnes précaires qui ne sont pas ciblées.
M. le président. Il faut vraiment conclure.
Mme Denise Saint-Pé, rapporteur. Travaillons également sur la question des fournisseurs, qui ne font pas toujours leur travail. Continuons de travailler ensemble sur ces sujets ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote sur l’article.
M. Guillaume Gontard. Nous sommes tous d’accord sur le fait que la précarité est grandissante. Cela a été rappelé, le niveau de vie des 5 % les plus pauvres a été réduit de 240 euros. Il va bien falloir trouver des solutions à un moment donné. Il est indispensable que tout le monde ait accès à l’énergie.
Mme la secrétaire d’État nous dit qu’il faut mener des actions à long terme, en profondeur, et procéder à la rénovation thermique des bâtiments. Or il faut être cohérent. Le budget du programme « Service d’accompagnement pour la rénovation énergétique » (SARE) n’est pas garanti après 2022. Les territoires ne savent donc pas comment leurs plateformes de rénovation énergétique vont pouvoir perdurer. Or on sait que ce sont ces plateformes qui vont accélérer la rénovation des bâtiments et des passoires thermiques. Encore une fois, le « en même temps » ne fonctionne pas !
Il va falloir commencer à agir. Pour cela, les territoires ont besoin de financements. Il va bien falloir que la contribution climat-énergie serve à quelque chose, que son utilité soit claire pour nos concitoyens ! Cette contribution doit être orientée vers les territoires pour leur permettre d’agir. Les beaux discours du Gouvernement ne suffisent plus, il faut passer aux actes !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État. Ce que je retiens de ce débat, c’est que nous sommes tous d’accord sur le fait que nous devons continuer d’agir contre la précarité énergétique. Personne ne peut se satisfaire de compter en France un tel taux de ménages en situation de précarité énergétique. Ce débat n’épuise pas le sujet ; nous allons continuer d’agir.
Permettez-moi de vous indiquer de quelle manière le Gouvernement va agir.
La mesure la plus importante est le chèque énergie, qui représente un budget de 850 millions d’euros par an, et dont peuvent potentiellement bénéficier aujourd’hui 5,7 millions de ménages, contre 3,6 millions auparavant. Certes, le taux de recours, qui est de 80 %, n’est pas satisfaisant, mais c’est un taux plutôt élevé pour une prestation sociale. Ce taux sera plus élevé en 2019, mais nous ne nous en satisferons pas. Notre objectif est de parvenir à un taux supérieur à 90 %. Nous allons nous y employer. Se pose ensuite la question globale des moyens. J’ai entendu l’interpellation.
Notre deuxième piste d’action, c’est le soutien aux travaux. C’est bien d’aider les gens à payer leurs factures, bien sûr, mais c’est mieux de leur permettre d’effectuer les travaux qui contribuent à les faire baisser. En outre, les travaux sont bons pour le climat.
Cette année, le montant des aides publiques directes ou à travers les certificats d’économies d’énergie s’élève à 3,5 milliards d’euros. La création de MaPrimeRénov’ a conduit à recentrer les aides publiques directes sur les déciles les plus modestes, ce qui nous a d’ailleurs beaucoup été reproché sur certaines travées. Nous allons continuer en ce sens.
Quant à l’accompagnement, il est l’un de mes combats. Vous avez évoqué les plateformes SARE, monsieur Gontard. Sachez que c’est la première fois qu’un financement pluriannuel est garanti, à hauteur de 200 millions d’euros sur les trois prochaines années, en certificats d’économies d’énergie. Jusqu’à présent, il fallait discuter avec l’Ademe tous les ans, lors de l’établissement de chacun de ses budgets.
Je vais signer des conventions avec toutes les régions. Je vais d’ailleurs en signer une avec la région Centre-Val de Loire dans une demi-heure. J’ai signé la première convention technique avec la Bretagne voilà quelques semaines et des protocoles d’intention avec presque toutes les régions. Je suis donc très confiante : nous saurons garantir les plateformes au cours des trois prochaines années, et de celles qui suivront.
Notre troisième piste d’action, c’est le soutien général au pouvoir d’achat. Nous avons ainsi augmenté de 5 milliards d’euros le budget alloué à la prime d’activité et diminué l’impôt sur le revenu de 5 milliards d’euros également. Ces mesures de soutien au pouvoir d’achat concernent tous les ménages.
Enfin, j’ai été interpellée sur le respect du Parlement. Les discussions sur ces sujets, nous les avons évidemment à l’Assemblée nationale et au Sénat. Nous les avons eues lors de l’examen de la loi relative à l’énergie et au climat. Nous nous sommes d’ailleurs engagés à ce que la programmation pluriannuelle de l’énergie, qui est un élément important de stratégie et d’investissement, soit rediscutée dans le cadre d’un projet de loi d’orientation tous les cinq ans. Ces discussions, nous les avons eues, et nous les aurons de nouveau, lors de l’examen du projet de loi de finances, qui constitue le cadre pour évoquer le budget alloué au chèque énergie et les questions de fiscalité sur l’énergie. Je ne doute pas que les débats auront lieu et qu’ils seront animés.
Tels étaient les quelques points que je souhaitais évoquer en conclusion de ce débat. À mon tour, je remercie les auteurs de cette proposition de loi d’avoir posé ces questions, qui sont importantes et sur lesquelles nous devons continuer de progresser.
M. le président. Je mets aux voix l’article 5.
(L’article 5 n’est pas adopté.)
Article 6
La perte de recettes résultant pour l’État des articles 3 et 4 est compensée, à due concurrence, par l’augmentation du taux de l’impôt sur les sociétés.
M. le président. Je rappelle que, les articles 3 et 4 précédents n’ayant pas été adoptés, l’article 6 est devenu sans objet.
Tous les articles de la proposition de loi ayant été rejetés ou étant devenus sans objet, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire.
En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures dix, est reprise à onze heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
4
L’organisation d’un référendum sur la privatisation d’Aéroports de Paris est-elle une exigence démocratique ?
Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur le thème : « L’organisation d’un référendum sur la privatisation d’Aéroports de Paris est-elle une exigence démocratique ? »
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 10 avril dernier, 248 parlementaires de tous bords ont signé la proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris, après le vote par l’Assemblée nationale de la privatisation d’Aéroports de Paris (ADP), au mépris du vote du Sénat, pourtant majoritaire.
Cette initiative quasi inédite se justifie d’abord par les caractéristiques d’ADP. Ce groupe détient 13 aéroports franciliens et des participations dans 26 aéroports de 30 pays différents. Il constitue la première frontière du pays puisque 100 millions de passagers transitent chaque année par ses aéroports. Ce nombre pourrait être porté à 120 millions d’ici à 2023, ce qui ferait des aéroports parisiens les premiers aéroports européens. ADP rapporte 342 millions de dividendes par an, dont la moitié pour l’État, et est propriétaire de 6 680 hectares d’infrastructures et de terrains et de 355 hectares de réserves foncières dédiées à de futures activités immobilières.
Cette initiative se justifie ensuite par le fait qu’ADP représente un enjeu de portée nationale en matière économique, sociale, stratégique, en termes de mobilités, d’aménagement du territoire et de protection des populations et de l’environnement.
Grâce à cette initiative, pour la première fois, la procédure du référendum d’initiative partagée a été engagée pour permettre, en ces temps d’exigences démocratiques toujours plus fortes dans notre société, à nos concitoyens de décider, avec l’intelligence qui les caractérise, du devenir des biens et des richesses de la Nation.
Au-delà du débat sur le bien-fondé ou non de cette privatisation, il s’agissait – et il s’agit toujours, et avant toute chose – de laisser enfin aux citoyens la possibilité de décider de l’avenir d’une infrastructure essentielle.
Cette exigence est d’autant plus forte que les arguments utilisés pour justifier la privatisation d’ADP ont largement été remis en cause lors des débats parlementaires, mais aussi en dehors de nos hémicycles par des économistes de tous bords, par des juristes, des collectifs citoyens et des syndicats. Nombre d’études, de rapports démontrent l’aberration que constitue cette privatisation, mais aussi celle des aéroports de Toulouse et de Lyon, des autoroutes et d’un nombre effarant de grandes entreprises publiques. À cet égard, une commission d’enquête sur le contrôle, la régulation et l’évolution des concessions autoroutières a été créée au Sénat, ce dont je me félicite. Monsieur le secrétaire d’État, devons-nous, dès à présent, prévoir la mise en place d’une telle instance sur la privatisation d’ADP d’ici à deux ou trois ans ? (Sourires.)
De nombreux travaux et contre-exemples étrangers, mais surtout le sentiment d’abandon d’une partie toujours plus importante de nos concitoyens, nous invitent à réfléchir à la réduction comme peau de chagrin de notre secteur public, au désengagement de l’État de toutes ses activités stratégiques au profit d’actionnaires privés, dont le seul horizon est la rentabilité à court terme.
Ces travaux nous invitent à agir contre l’abandon de toute volonté de s’appuyer sur un secteur public fort pour développer une politique économique et sociale au service du plus grand nombre, sur tout le territoire national, et non d’une caste de nantis. C’est vrai dans tous les domaines, qu’il s’agisse des transports, de l’énergie, des postes et télécommunications, des banques ou de la finance. La liste n’est pas exhaustive.
C’est pourquoi il est impératif de rappeler que, aujourd’hui, des privatisations de cette ampleur ne peuvent être décidées par des technocrates nourris aux dogmes de la concurrence libre et non faussée, au nom de la compétitivité, de retours financiers à court terme, du versement toujours plus important de dividendes à des actionnaires avides et peu enclins à œuvrer pour l’intérêt national. Pour nous, que les choses soient claires : c’est non !
Pouvoir se prononcer par référendum sur la privatisation d’ADP est une exigence démocratique. Un tel référendum devrait également être possible sur d’autres privatisations, annoncées ou larvées, comme celles des activités rentables d’EDF et des routes nationales, par exemple. Il devrait également être possible de se prononcer sur des mesures sociales aussi essentielles que la réforme de notre système de retraite, ou plutôt sa destruction.
Certes, cette procédure référendaire exige un nombre de signatures démesuré puisqu’il doit correspondre à 10 % des électeurs, soit 4 717 396 signatures. Nous le savions déjà lorsque nous avons rejeté cette procédure lors de la révision constitutionnelle de 2008. Nous le savions lorsque nous avons déclenché collectivement la procédure en avril 2019. Nous ne sommes pas naïfs, mais le plus marquant, c’est la position déloyale du gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le secrétaire d’État.
En premier lieu, le ministre de l’intérieur a mis en place un site internet de recueil des soutiens particulièrement rébarbatif et peu fonctionnel. On aurait pu s’attendre à des outils beaucoup plus efficaces et ergonomiques de la part de la « start-up nation » ! (Sourires.)
En second lieu, le pouvoir refuse obstinément d’agir pour que l’information sur l’exercice de ce droit constitutionnel soit fournie à l’ensemble de nos concitoyens, et ce malgré de nombreuses sollicitations.
Je dis « droit constitutionnel », car cette procédure référendaire est encadrée par l’article 11 de la Constitution. La validation par le Conseil constitutionnel de la proposition de loi référendaire originelle, déposée par 248 parlementaires, ouvre un droit constitutionnel : celui d’apporter son soutien à la tenue d’un référendum. En ce sens, ce droit s’apparente au droit de vote. Il ne s’agit en rien d’une simple pétition, contrairement à ce qu’affirment souvent le Gouvernement et ses soutiens. Je le répète : il s’agit de mettre en œuvre l’article 11 de la Constitution.
En démocratie, les citoyens doivent être informés de la possibilité d’exercer un tel droit. L’État doit affecter des moyens en ce sens, les parlementaires, qui sont pourtant à l’origine de la procédure référendaire, ne pouvant financer sa mise en œuvre du fait des imprécisions et imperfections d’une loi organique.
L’État doit ainsi intervenir auprès des chaînes publiques d’information, qui ont un rôle citoyen à jouer en la matière, afin qu’elles diffusent largement l’information sur ce sujet. C’est cela le respect du pluralisme, fondement de tout État démocratique ! Or nous en sommes loin.
La comparaison entre la médiatisation du grand débat national et celle du RIP est sans appel : 13 000 articles ont été publiés sur le grand débat, contre 500 sur le référendum d’initiative partagée ; 12 millions d’euros ont été dépensés pour le fameux grand débat, rien pour le RIP ! Idem du côté de la presse audiovisuelle : couverture sans précédent du grand débat, directs à rallonge et diffusion des discours présidentiels, spots pour le lancement de la privatisation de la Française des jeux (FDJ), mais rien sur le RIP, bien évidemment. Pis, Radio France a refusé de diffuser les communiqués financés par les parlementaires eux-mêmes, sur leurs deniers personnels.
Que dire encore des mairies qui n’ont pas mis en place de bureau d’aide pour que les citoyens puissent apporter leur soutien au RIP alors qu’elles y sont obligées par la loi, sans être aucunement inquiétées ? (M. François Bonhomme ironise.) C’est la loi, monsieur !
Que dire enfin du refus de la Commission nationale du débat public (CNDP), dont c’est pourtant la vocation, d’organiser un débat sur le projet de privatisation d’Aéroports de Paris, en complément du projet de référendum d’initiative partagée ?
La CNDP a été saisie non par le Gouvernement, mais par les parlementaires signataires de la proposition de loi référendaire, alors même que la privatisation d’ADP est une réforme « qui aura un effet important sur l’environnement ou l’aménagement du territoire ».
Pourtant, malgré les dysfonctionnements du site internet, malgré le silence assourdissant des grands médias et du Gouvernement, malgré l’absence de campagne officielle, plus d’un million de personnes ont apposé leur signature pour la tenue de ce référendum.
Le Président de la République, à l’issue du grand débat national, a annoncé qu’il abaisserait de 4,7 millions à 1 million le nombre de signatures nécessaires à la tenue d’un RIP. Nous y sommes ! Même si la Constitution ne l’oblige pas à organiser ce référendum, la promesse politique doit être tenue.
Aujourd’hui plus que jamais, nous constatons chez nos concitoyens une sourde colère, un rejet profond des injustices sociales, un soutien fort aux services publics – hôpitaux, écoles ou transports. Ils exigent des droits démocratiques réels sur les questions concernant la société tout entière et un contrôle sur les biens communs et les services publics.
Mais plus que la question de la maîtrise des biens communs, ce sont les limites de la monarchie républicaine qu’est le régime présidentialiste de la Ve République et la méfiance croissante des citoyens envers la démocratie représentative, qui sont aujourd’hui en jeu. Le RIP est une occasion constitutionnelle historique de redonner du souffle à notre démocratie en améliorant cette procédure de démocratie participative.
Alors que se déroule dans notre pays un mouvement social sans précédent, Emmanuel Macron a tort de ne pas écouter le peuple de France, sur cette question comme sur d’autres. À aucun moment, sauf lorsqu’il câline sa majorité parlementaire, il ne lui envoie de signaux apaisants et rassembleurs. Il préfère s’enfermer dans une posture qui illustre bien les dérives d’un pouvoir à bout de souffle, pétri de certitudes, dans un système institutionnel vermoulu, plutôt que d’ouvrir en grand la porte à l’expression citoyenne. C’est profondément regrettable, monsieur le secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner.
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État – votre présente atteste du goût des enfants pour les avions ! –, mes chers collègues, Auty, dans le Tarn-et-Garonne, Villardebelle, dans l’Aude, Boussenois en Côte-d’Or, Mantet, dans les Pyrénées-Orientales, Olcalni, en Haute-Corse : ce sont là quelques exemples de communes parmi des milliers dans lesquelles les Français – tous les Français, pas seulement les premiers concernés – se sont mobilisés et ont signé la pétition en faveur de l’organisation d’un référendum sur la privatisation d’Aéroports de Paris.
Le président de la République, le Premier ministre, le Gouvernement, en particulier M. Le Maire, avaient critiqué, voire moqué la démarche de notre groupe, qui a pourtant suscité l’adhésion d’un arc républicain extrêmement large et qui fait aujourd’hui l’objet de ce débat organisé à la demande de nos collègues du groupe CRCE, que je remercie.
Bercy a pensé que cette initiative n’était qu’une fantaisie de politiciens, une opposition bête et méchante, un accro à la légitimité de la chose votée, peut-être même une atteinte aux prérogatives du Parlement, en tout cas un crime de lèse-majesté jupitérienne. (Rires sur des travées des groupes SOCR et CRCE.) Mais, alors que l’on dénombre plus d’un million de signataires sur tout le territoire, cela ne tient plus. Vous nous direz qu’un million, ce n’est pas la France, mais au vu des moyens qui étaient les nôtres, de l’inertie assumée du Gouvernement afin d’atténuer l’impact de cette initiative à caractère constitutionnel, cela a été rappelé, je trouve que, un million, ce n’est pas rien !
M. François Bonhomme. Merci Sarkozy !
M. Rachid Temal. Et Hollande !
M. Patrick Kanner. Merci Sarkozy et Hollande, en effet !
Monsieur le secrétaire d’État, quand je pense aux 12 millions d’euros, au moins, qui ont été consacrés au grand débat – cela a été rappelé par Mme Assassi –, aux millions d’euros qui ont servi à financer la campagne de privatisation de la FDJ, je me dis qu’un million de signataires, ce n’est pas si mal. Un million de signataires, c’est d’ailleurs le nombre que le Président de la République avait souhaité fixer pour permettre l’organisation d’un référendum dans le cadre de sa réforme constitutionnelle, manifestement avortée à ce stade.
En tout cas, monsieur le secrétaire d’État, un million, c’est plus que les 150 membres de la Convention citoyenne sur le climat, qui ont d’ailleurs fait un bon boulot et qui vont peut-être avoir droit à un référendum grâce à l’initiative du Président de la République.
Les commentateurs disent souvent que ce dernier aime la confrontation directe et qu’il méprise les corps intermédiaires, voire le Parlement. Avec cette démarche, nous l’avons pris au mot. « Qu’ils viennent me chercher ! », avait-il dit. (Sourires sur les travées des groupes SOCR et CRCE.) Nous sommes là ! Et beaucoup de Français sont à nos côtés. Ils savent pourquoi il faut faire un référendum sur le sujet. Les raisons sont multiples.
La privatisation d’Aéroports de Paris est une aberration financière, économique et environnementale : financière d’abord, parce qu’on va brader un bien de l’État qui rapporterait plus en le gardant pendant les soixante-dix ans de l’éventuelle prochaine concession ; économique ensuite, parce que Roissy et Orly sont les portes d’entrée de la France en termes de tourisme, et il est important que la puissance publique garde la main ; environnementale enfin, parce que l’aménagement et le développement aérien sont des questions qui préoccupent pour l’avenir – là encore, l’État doit pouvoir intervenir pour réguler.
La décision de privatiser a un impact national qui légitime un référendum sur tout le territoire. Je le concède, monsieur le secrétaire d’État, ce n’est pas le seul sujet de préoccupation des Français. Il y en a bien d’autres qui ruissellent en ce moment : assurance chômage, pouvoir d’achat, retraites… Ils sont divers. Mais ils ont un point commun : la morgue avec laquelle le Président de la République, vous-même et votre gouvernement accueillez les craintes de nos concitoyens.
Refuser ce référendum serait porter un coup de plus à notre démocratie. Nous vous proposons une soupape, un moyen d’échanger avec le pays. Opposer une fin de non-recevoir à cette demande n’est pas une méthode. Ce serait de la provocation ; une de plus, me direz-vous… À les multiplier, vous faites le lit du populisme et vous portez atteinte à ce qu’il y a de plus sacré dans notre République : l’exigence démocratique, qui repose sur la souveraineté du peuple ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
M. Jean-Pierre Sueur. La chute est remarquable !
M. le président. La parole est à M. Olivier Léonhardt.
M. Olivier Léonhardt. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la privatisation d’Aéroports de Paris est assurément un des grands points d’achoppement de ce quinquennat. Annoncé en 2018 et inscrit dans la loi Pacte, adoptée l’an dernier, le processus est depuis lors mis entre parenthèses par le déclenchement, pour la première fois, de la procédure référendaire dite « d’initiative partagée », après le dépôt au mois d’avril 2019 d’une proposition de loi signée par plus d’un cinquième des parlementaires, dont votre serviteur.
Les privatisations ou ouvertures de capital d’entreprises publiques en France ne datent pas d’hier. Commencées en 1986 sous la première cohabitation, elles ont été poursuivies depuis par presque tous les gouvernements, sauf pendant la crise financière des années 2008-2009, où la chute des valeurs boursières les avait rendues peu rentables.
Parmi des privatisations restées emblématiques, on peut rappeler celles de TF1, de grandes banques, de Total et d’Usinor-Sacilor dans les années 1980 et au début des années 1990, l’ouverture du capital de Renault en 1996 et de France Télécom à partir de 1997, déjà de certaines compagnies d’autoroutes, d’EDF-GDF à partir de 2005 et, plus récemment, la baisse des participations de l’État au capital du groupe Safran.
L’ouverture du capital d’ADP a, quant à elle, débuté sous le gouvernement Villepin. Dans les années 2010, ce sont les grands aéroports régionaux qui ont connu à leur tour une vague de privatisations : l’aéroport de Toulouse, dans les conditions que l’on sait, et ceux de Lyon et de Nice.
L’entreprise ADP n’est pas une société anodine. Créée à la Libération, elle a accompagné la formidable modernisation de l’économie française pendant les Trente Glorieuses, avec l’ouverture d’Orly en 1961, puis de Roissy en 1974. C’est aujourd’hui le premier groupe de gestion aéroportuaire au monde en nombre de passagers, avec un chiffre d’affaires de 4,5 milliards d’euros et un résultat net positif de 600 millions d’euros en 2018. Sa filiale à l’international gère 24 aéroports répartis dans 13 pays différents, dont l’Algérie et la Turquie.
Le chapitre de la loi Pacte consacré aux privatisations semble faire peu de cas de cette histoire et de cette situation exceptionnelle, en traitant pêle-mêle de sujets aussi divers qu’ADP, la Française des jeux ou Engie. Sans mépris aucun pour ces dernières entreprises, on doit pourtant bien reconnaître que les enjeux d’ADP dépassent très largement ceux des jeux de loterie ou de la prévention. Il s’agit pour l’État français d’une question stratégique et patrimoniale. D’une certaine manière, ce qui se joue ici, c’est l’identité économique de la France.
Le préambule de la Constitution de 1946, qui fait partie de nos textes fondamentaux au même titre que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dispose : « Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. » C’est bien le cas d’Aéroports de Paris, qui joue de plus le rôle stratégique de principale porte d’entrée sur le territoire national.
L’an dernier, lors de l’examen de la loi Pacte, le Sénat avait majoritairement rejeté les articles de privatisation, à l’occasion d’une rare alliance entre la droite et la gauche de cet hémicycle. Le groupe du RDSE avait très majoritairement approuvé ces suppressions. Aujourd’hui, les Français restent aussi majoritairement opposés à une telle mesure.
Comment dès lors expliquer les difficultés pour réunir le nombre nécessaire de signatures pour soumettre à référendum l’objet de la proposition de loi ?
À l’évidence, les conditions prévues par l’article 11 de la Constitution apparaissent trop restrictives : un dixième du corps électoral, soit 4,7 millions de citoyens, cela équivaut à un score d’environ 20 % aux dernières élections, score que certaines formations ont d’ailleurs eu du mal à atteindre. À titre de comparaison, les pays qui ont réellement mis en pratique ce mode de consultation ont retenu des seuils bien plus bas. L’exemple suisse est bien connu : les référendums à l’échelle fédérale nécessitent la signature de 100 000 citoyens, soit moins de 3 % du corps électoral. En Italie, le seuil est fixé à 500 000 électeurs, bien au-dessous des 4,7 millions nécessaires chez nous, pour une population équivalente.
Beaucoup d’interrogations demeurent à propos de ce dossier. Par exemple, la difficulté à trouver des informations précises sur le Fonds pour l’industrie et l’innovation, que ces cessions de participations sont censées financer. Par ailleurs, si je ne nie pas l’intérêt des projets annoncés, ceux-ci masquent encore mal l’absence d’une réelle politique industrielle en France et a fortiori en Europe.
Enfin, le risque de hausse des redevances aéroportuaires, comme dans le cas des concessions d’autoroutes, et les conditions d’indemnisation des futurs actionnaires dans l’éventualité d’une fin de concession anticipée continuent de susciter de réelles interrogations, en particulier sur les conséquences sur le budget de l’État et pour d’autres acteurs, comme les compagnies aériennes, ainsi que sur le risque de suppression des petites lignes Paris-province non rentables.
C’est pourquoi, pour répondre à la question peut-être un peu rhétorique de mes collègues du groupe CRCE, l’organisation d’un référendum sur la privatisation d’Aéroports de Paris continue à mes yeux d’être une exigence démocratique. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)