compte rendu intégral
Présidence de M. David Assouline
vice-président
Secrétaires :
M. Éric Bocquet,
M. Yves Daudigny.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Candidatures à une commission spéciale
M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation des trente-sept membres de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique.
En application de l’article 8 bis, alinéa 3, de notre règlement, la liste des candidats présentés par les groupes a été publiée.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
3
Accès à l’énergie et lutte contre la précarité énergétique
Rejet d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, de la proposition de loi visant à instaurer un droit effectif à l’accès à l’énergie et à lutter contre la précarité énergétique, présentée par M. Fabien Gay et plusieurs de ses collègues (proposition n° 260 [2018-2019], résultat des travaux de la commission n° 538 [2018-2019], rapport n° 537 [2018-2019]).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Fabien Gay, auteur de la proposition de loi.
M. Fabien Gay, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, quarante et un ! Quarante et un, c’est le nombre de milliardaires que compte notre pays, répertoriés par Oxfam dans son récent rapport sur les inégalités. En tête de ces quarante et un milliardaires, Bernard Arnault, le patron de LVMH, avec 76 milliards de dollars, au quatrième rang mondial.
Le même rapport indique également que 400 000 personnes supplémentaires sont passées en 2019 sous le seuil de pauvreté, qui est de 1 015 euros par mois, ce qui donne le triste résultat de 9,8 millions de pauvres en France.
Les chiffres que je cite ici, mes chers collègues, visent à rappeler pourquoi nous avons déposé cette proposition de loi. Parce qu’elle résonne malheureusement avec l’actualité, car quand on touche 1 015 euros par mois, on doit souvent faire des choix entre payer ses factures, son loyer ou se nourrir.
Notre proposition de loi ne tend pas à réduire, à elle seule, toutes les inégalités, mais elle vise à lutter contre la précarité énergétique, qui s’est accrue et pénalise celles et ceux qui sont déjà en grande difficulté.
L’objectif de la loi relative à la transition énergétique, votée en 2015, était déjà de réduire la précarité énergétique de 15 % en 2020. Nous y sommes, et pourtant l’objectif est loin d’avoir été atteint. Les salaires et les pensions étant bloqués et le prix de l’énergie explosant, la situation s’est même dégradée. Sept millions de foyers, c’est-à-dire près de 12 millions de personnes, auxquels il faut ajouter 3,5 millions de personnes souffrant du froid : un Français sur quatre est en situation de précarité énergétique.
Après les augmentations de plus de 7 % du tarif de l’électricité durant l’été dernier, c’est une nouvelle augmentation de 2,4 % qui pèse sur les ménages depuis le 1er février 2020. Et cela ne s’arrêtera pas de sitôt, puisqu’il est même annoncé que ces augmentations seront continues jusqu’en 2025 !
Or l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) indiquait que, avec 10 % d’augmentation – ce qui est déjà presque le cas cette année –, près de 420 000 ménages pourraient basculer en situation de précarité énergétique.
Ainsi, après des mois de contestation des « gilets jaunes », des mobilisations toujours plus importantes contre la paupérisation comme seul horizon, voici votre réponse : augmenter la facture d’électricité des particuliers de plus de 180 euros par an en moyenne en l’espace d’un an !
M. Carenco, le président la Commission de régulation de l’énergie (CRE), affirmait il y a peu au Sénat que cette augmentation « n’est pas grave pour les ménages, car c’est l’équivalent d’un paquet de cigarettes par mois », ce qui confirme bien que certaines élites sont déconnectées de la réalité vécue par la majorité de nos concitoyens. Quel mépris dans cette phrase !
Contrairement à lui, nous affirmons que cette hausse aggrave les inégalités et fait basculer des dizaines de milliers de personnes en situation de précarité énergétique.
Et contrairement à ce que le Gouvernement a affirmé, les usagers, devenus des clients, paient non pas le coût de l’énergie, mais bien le prix de l’Europe libérale. Ce sont 1,3 milliard d’euros pris dans les poches des ménages qui passent ainsi directement dans les coffres-forts des opérateurs privés avec les deux augmentations des neuf derniers mois. C’est donc un hold-up rondement mené au profit du privé, avec votre bénédiction.
Avec ces différentes hausses, le peuple a compris une chose : le mythe selon lequel l’ouverture à la concurrence ferait baisser les prix est devenu une allégorie du mensonge. Depuis dix ans, l’électricité a augmenté de 27 % et le gaz de 70 %.
Et pendant ce temps-là, vous préparez le démantèlement, la désintégration puis la future privatisation de l’entreprise publique avec le projet Hercule, à rebours du sens de l’Histoire, qui veut que seule une entreprise publique, intégrée et monopolistique puisse répondre aux défis d’avenir qu’est la transition énergétique et répondre aux besoins humains.
Ces mêmes politiques de libéralisation plombent aujourd’hui EDF, l’obligeant à transférer à ses concurrents la rente du nucléaire sans contrepartie et sans engagement de leur part à investir.
La hausse des tarifs réglementés intervient ainsi sur demande des opérateurs alternatifs privés à la CRE, afin qu’ils puissent proposer des tarifs libres au même prix que les tarifs réglementés.
Tout cela, au final, pour respecter le dogme de la sacro-sainte concurrence libre et non faussée imposé par Bruxelles, même lorsque cette concurrence est défaillante.
Alors que la solution adoptée consiste à confier la régulation des prix au marché, méthode inefficace s’il fallait encore le démontrer, notre proposition de loi choisit de consacrer l’accès à l’énergie en droit fondamental, tel que garanti par la Constitution, gardienne de notre histoire et des droits fondamentaux qui en ont émergé.
Sous la monarchie absolue sont nées les revendications de libertés citoyennes et politiques. Avec la révolution industrielle, les premières garanties économiques et sociales ont été conquises, enrichies par le Front populaire et le Conseil national de la Résistance. Ce sont ensuite les catastrophes écologiques et la prise de conscience du danger futur qu’elles supposent qui ont introduit l’impératif de droits collectifs et de protection de l’environnement.
Alors que nous combattons sans relâche pour préserver et enrichir ces droits conquis de longue date, il nous faut inclure dans ces luttes la création de droits nouveaux.
Ériger l’accès à l’énergie en droit fondamental, comme nous le proposons à l’article 1er, s’impose comme une suite logique à cette dynamique historique qui fait correspondre nos droits fondamentaux aux nécessités de notre temps.
Il s’agirait également de respecter nos engagements en donnant un fondement national aux dispositions du socle des droits sociaux de Göteborg, lequel place l’énergie parmi les services essentiels auxquels toute personne a le droit d’accéder.
Oui, nous le disons : alors que les différents gouvernements, prônant une politique libérale, essaient de réduire depuis trente ans les droits et les accès aux droits, nous prônons une vision de la société radicalement différente. Nous voulons la garantie d’accès aux droits et en conquérir de nouveaux. Si nous votons ce premier article, il conviendra donc ensuite de garantir l’accès à ce droit.
Cet objectif d’égalité dans l’accès à l’énergie doit s’accompagner de celui de justice sociale. Nous voulons, à travers l’article 2, que soient interdites tout au long de l’année les coupures d’électricité, de chaleur et de gaz. Et ainsi, en finir avec ce scandale consistant à priver des hommes et des femmes d’électricité et de gaz, c’est-à-dire pouvoir se doucher, se chauffer ou encore manger.
Il y a quelques jours, à la suite d’actions syndicales au cours desquelles des syndicalistes de l’énergie ont coupé quelques instants l’électricité dans des lieux symboliques pour faire entendre leur voix contre la réforme des retraites, nous avons entendu la droite sénatoriale et le Gouvernement pousser de concert des cris d’orfraie et demander des sanctions exemplaires. Mais, bizarrement, personne n’a fait part de sa vive émotion lorsque, l’an dernier, 574 000 ménages ont vu leur électricité coupée ou réduite. Car, oui, en France, une entreprise, publique ou privée, peut punir les pauvres, parce qu’ils sont pauvres.
Nous disons aux syndicalistes que vous accusez de tous les maux, qui sont les mêmes que ceux qui rétablissent le courant en se nommant les Robins des Bois et qui sont poursuivis pour délit de solidarité, que nous les soutenons pleinement.
Enfin, nous entendons sortir l’énergie du secteur marchand pour lui reconnaître le statut de bien de première nécessité, afin d’y appliquer, via notre article 4, et en vertu de la directive du Conseil européen du 19 octobre 1992, un taux réduit de TVA à hauteur de 5,5 %.
Cette mesure d’allégement fiscal prend tout son sens lorsque l’on se livre à un examen de la composition du prix de l’électricité. Les taxes pèsent pour un tiers dans la facture payée par les usagers, ce qui est déjà lourd de conséquences financières pour les ménages précaires et rend la facture illisible. En l’état, cela veut dire toujours plus de vulnérabilité pour les 7 millions de ménages qui se trouvent en situation de précarité énergétique.
Enfin, après l’allégement de la TVA à 5,5 %, nous proposons que les bénéficiaires du chèque énergie soient exonérés de taxes sur la consommation d’électricité et de gaz, et à raison : la contribution au service public de l’électricité (CSPE), censée financer les énergies renouvelables, demeure un dispositif à la gestion et aux résultats opaques. Elle est aujourd’hui absorbée directement dans le budget de l’État et a donc servi par exemple à financer le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). En ce sens, il nous paraît nécessaire d’exonérer de CSPE et de taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN) les ménages les plus en difficulté.
Un dernier mot sur le rapport de Mme la rapporteure, que nous remercions pour son travail et son sérieux.
La commission n’a pas adopté notre proposition de loi et propose de travailler sur le chèque énergie. Nous rappelons que cette solution curative n’est pas durable et qu’en plus il faudrait, selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), un chèque d’en moyenne 710 euros par foyer.
M. Roland Courteau. Tout à fait !
M. Fabien Gay. Son montant varie aujourd’hui entre 48 euros et 277 euros, même s’il a été augmenté de 50 euros l’an dernier.
Nous sommes d’accord pour que son montant soit revu et son accès élargi, sachant que 25 % des potentiels bénéficiaires n’y ont pas recours, car ils ne savent pas qu’ils y ont droit. Mais nous pensons surtout que la majorité des personnes concernées veulent non pas recevoir l’aumône, mais plutôt pouvoir payer leur facture. Il est donc urgent d’augmenter les salaires. (M. Jean-François Husson s’exclame.)
Évidemment, cette proposition de loi ne répondra pas seule à la question de la précarité énergétique. Il faut mettre en place des politiques publiques ciblées sur les facteurs qui fragilisent les ménages – revenu disponible, prix de l’énergie, conditions de vie, qualité de l’habitat et de l’équipement de chauffage.
M. Jean-François Husson. On est d’accord !
M. Fabien Gay. Ce dernier point est important. Nous le redisons, comme nous l’avons affirmé pendant l’examen de la loi ÉLAN : il faut d’urgence un plan Marshall de la rénovation énergétique des logements.
M. le président. Il faut conclure.
M. Fabien Gay. Au rythme actuel, il faudrait cent quarante ans pour rénover l’ensemble des logements classés F et G. Les aides existantes sont par ailleurs aujourd’hui majoritairement destinées aux propriétaires, alors que la grande majorité des ménages précaires demeurent locataires.
M. le président. Il faut vraiment conclure.
M. Fabien Gay. Cette proposition de loi est donc un pas contre la précarité énergétique, mais nous avons besoin d’actions publiques cohérentes et d’ampleur. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Denise Saint-Pé, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous mesurons tous, dans notre vie quotidienne, l’importance de disposer d’une énergie en quantité suffisante et à un prix raisonnable.
Sans énergie, il est impossible de se chauffer, de se déplacer, voire de communiquer ou de s’informer. C’est donc un poste essentiel dans le budget des ménages et une dépense contrainte qu’il est souvent difficile de maîtriser, en particulier quand les moyens manquent pour mieux isoler son logement ou remplacer sa vieille chaudière.
Selon les données publiées par l’ONPE le 7 janvier dernier, près de 6,8 millions de personnes sont en situation de précarité énergétique au sens économique, c’est-à-dire que sont concernés les ménages pauvres et modestes consacrant plus de 8 % de leurs revenus au paiement de la facture énergétique de leur logement.
La question abordée par la proposition de loi de nos collègues du groupe communiste est donc majeure et chacun partage, à l’évidence, la préoccupation exprimée par ses auteurs pour faciliter l’accès à l’énergie ou réduire la facture – j’oserai dire : la fracture énergétique.
Pour autant, la commission a jugé qu’aucune des mesures proposées par le texte n’était satisfaisante et que d’autres pistes devaient être explorées pour répondre à ces enjeux, j’y reviendrai.
En premier lieu, nos collègues proposent d’élever l’accès à l’énergie au rang de droit fondamental. Comme tous nos interlocuteurs l’ont confirmé, cette mesure n’aurait, en elle-même, aucun effet juridique notable ; elle ne changerait rien sur le plan fiscal, pas plus qu’elle n’octroierait, à elle seule, de nouveaux droits.
La deuxième mesure proposée serait, quant à elle, bien concrète. Elle consisterait à étendre l’interdiction des coupures d’électricité, de chaleur et de gaz, qui ne vaut aujourd’hui que durant la trêve hivernale, à l’ensemble de l’année, comme c’est déjà le cas pour l’eau. Cette protection nouvelle serait accordée uniquement aux bénéficiaires du chèque énergie.
Or de nombreux motifs nous ont conduits à écarter cette solution. Elle reviendrait d’abord à déresponsabiliser une partie des usagers et augmenterait immanquablement les impayés, dont le coût se reporterait sur l’ensemble des consommateurs, y compris les plus modestes.
Le retour d’expérience de l’eau le démontre : dans les trois années suivant l’interdiction des coupures tout au long de l’année, les impayés et irrécouvrables ont augmenté de 20 %, selon les données de la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau.
Ensuite, elle tendrait aussi à masquer le coût réel de l’énergie et n’inciterait pas à la maîtrise des consommations, ce qui irait à l’encontre de nos objectifs climatiques.
Cette mesure, qui est adossée au dispositif du chèque énergie, poserait par ailleurs des difficultés en termes d’identification des bénéficiaires pour les fournisseurs, en particulier lorsque le chèque énergie a été affecté par leur client à un autre fournisseur. Elle pourrait ainsi conduire à des effets d’aubaine importants si, du fait de ces difficultés d’identification, et pour éviter tout risque de contentieux, elle venait à protéger indifféremment les ménages précaires et les ménages solvables.
À l’inverse, certains publics précaires n’en bénéficieraient pas, car l’ensemble des ménages n’est pas éligible au chèque énergie. Il en est ainsi des personnes en réinsertion vivant dans des logements en intermédiation locative.
Enfin, il faut rappeler que, si tout doit être fait, bien sûr, pour éviter sa mise en œuvre effective, l’annonce d’une possible coupure déclenche le plus souvent un processus d’évaluation de la situation du consommateur, d’orientation vers les différentes aides disponibles et d’étalement des paiements qui permet, bien souvent, de sortir de cette spirale d’accumulation de dettes.
Les deux autres mesures proposées visent le même objectif : celui d’alléger la facture en modulant le niveau de la fiscalité énergétique, mais selon des modalités bien différentes. La première consisterait à exonérer les bénéficiaires du chèque énergie de deux taxes, la CSPE et la TICGN ; la seconde mesure proposée établirait un taux réduit de TVA à 5,5 % sur une partie des consommations, dont le niveau serait fonction, notamment, de la composition familiale du foyer, mais sans condition de ressources.
Là aussi, nous pouvons partager le constat – celui de la hausse des taxes sur l’énergie au cours des dernières années – de même que l’objectif – celui d’alléger la facture des Français –, mais sans pour autant partager les solutions préconisées, qui seraient à la fois complexes, sinon impossibles à mettre à œuvre, et largement inefficaces sur le fond.
Sur le plan juridique d’abord, le droit européen n’autorise pas l’application de régimes d’exonération ou de taux différents entre les ménages. Cela ne veut pas dire, bien entendu, que l’on ne peut pas faire de redistribution au profit des ménages les plus modestes, mais alors il faut passer par des outils plus adaptés, à commencer par des aides directes.
Sur le plan pratique, ensuite, ces mesures rendraient plus complexe la facturation, avec des risques d’erreurs et des surcoûts importants, et les fournisseurs devraient même, pour appliquer la mesure sur la TVA, connaître la composition du foyer à chaque période de facturation, ce qui poserait clairement question en termes de protection de la vie privée.
Enfin, le rapport coût-efficacité de ces mesures serait très peu favorable selon nos calculs : la perte de recettes pour l’État serait d’au moins 2,5 milliards d’euros par an pour une mesure qui bénéficierait, dans le cas de la TVA, à tous les consommateurs, y compris ceux qui peuvent s’acquitter de leur facture sans difficulté particulière.
Il me semble que nous pourrions trouver un meilleur usage de ces montants pour cibler, en priorité, les plus modestes.
Pour ce faire, notre commission préconise d’améliorer et d’amplifier les dispositifs existants.
M. Roland Courteau. Lesquels ?
Mme Denise Saint-Pé, rapporteur. Tout d’abord, il importe de réduire le taux de non-recours au chèque énergie, qui demeure important puisqu’il s’établirait à ce jour entre 20 % et 25 %.
En effet, de multiples retours de terrain de la part de travailleurs sociaux, d’élus locaux, d’associations font encore état de difficultés à appréhender le dispositif.
Deux leviers peuvent corriger cela : d’abord, intensifier la communication sur le chèque énergie, pour que l’information parvienne bien à tous ses bénéficiaires potentiels ; parallèlement, il convient de simplifier son fonctionnement autant que possible, madame la secrétaire d’État, pour que ceux qui y ont droit ne se censurent pas par « phobie administrative ».
Au demeurant, il faudrait également augmenter les montants maximaux du chèque énergie pour les tranches de revenus les plus basses. Durant l’examen du projet de loi de finances pour 2020, le Sénat avait adopté une hausse des crédits alloués au chèque énergie de 75 millions d’euros, soit en moyenne 25 euros par ménage, contre l’avis du Gouvernement.
Je rappelle pourtant que le montant maximal du chèque énergie est aujourd’hui de 277 euros, quand l’ONPE, comme l’a rappelé notre collègue Fabien Gay, estime qu’il faudrait 710 euros pour ramener la part des dépenses d’énergie sous les 8 % du revenu des ménages les plus modestes.
Certes, le barème du chèque énergie a été augmenté en 2019, et je salue cette initiative, mais cette évolution reste insuffisante pour permettre à ces ménages de régler leurs factures, sans parler de couvrir leurs frais de rénovation énergétique.
Plus généralement, la précarité énergétique est un mal qu’on ne pourra éradiquer seulement en octroyant des aides au paiement des factures d’énergie. Ces mesures, telles que le chèque énergie, sont évidemment essentielles pour faire face à l’urgence, mais elles ne font que traiter les symptômes de la précarité énergétique.
Pour réduire celle-ci, il est aussi nécessaire d’amplifier la politique de rénovation énergétique des logements en continuant les efforts de simplification des dispositifs d’aides entamés en ce début d’année par le Gouvernement, sans renier pour autant leur niveau d’ambition. Je pense notamment au lancement de la prime unifiée MaPrimeRénov’.
Enfin, d’autres mesures pourraient être envisagées : par exemple sanctionner les fournisseurs qui ne respectent pas l’interdiction de rattrapage des factures de plus de quatorze mois, rendre obligatoire la contribution de l’ensemble des fournisseurs au fonds de solidarité pour le logement, ou encore étendre l’interdiction des coupures durant la trêve hivernale au gaz de pétrole liquéfié (GPL) en réseau.
Pour l’ensemble des raisons exposées, notre commission est défavorable à l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Daniel Gremillet applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, les mesures de lutte contre la précarité énergétique figurant dans cette proposition de loi abordent un vrai enjeu de politique publique.
La précarité énergétique est une réalité forte pour nombre de nos concitoyens. C’est un enjeu de transition énergétique et de lutte contre la pauvreté et le Gouvernement travaille pour y apporter des solutions.
L’ONPE, que vous avez cité, définit la précarité énergétique comme « le fait de consacrer plus de 8 % de ses revenus au paiement des factures d’énergie du logement ». En 2018, 11,7 % des Français étaient au-dessus de ce seuil, contre 14,5 % en 2013. Les progrès sont donc réels, mais, je le reconnais tout à fait, trop lents.
Au-delà des chiffres, la précarité énergétique est d’abord une réalité de difficultés individuelles, de ménages qui vivent dans un logement inconfortable, pour qui les dépenses de chauffage et de transport sont élevées, qui ont du mal à payer leurs factures. En 2017, 123 000 ménages ont bénéficié d’une aide des fonds de solidarité pour le logement pour payer leurs factures d’énergie.
En 2018, 572 000 interventions des fournisseurs d’énergie ont eu lieu à la suite d’impayés, c’est-à-dire des réductions de puissance, des suspensions de fourniture ou même des résiliations de contrat. Si ce nombre était de 624 000 en 2014, il montre bien l’ampleur du phénomène.
Nos concitoyens nous ont rappelé ces difficultés au cours des derniers mois. Ils nous ont dit que la fluctuation des prix de l’énergie avait sur eux un impact important.
La proposition de loi que vous présentez aujourd’hui a donc retenu toute l’attention du Gouvernement. Néanmoins, si son objectif, auquel nous souscrivons, est louable, les moyens qu’elle propose pour y parvenir ne nous semblent pas les mieux adaptés.
En effet, la proposition de loi entre en désaccord direct avec plusieurs engagements européens de la France, notamment en termes d’encadrement de la fiscalité.
Il est ainsi impossible, en matière de fiscalité de l’énergie, d’opérer une distinction entre les ménages en fonction de leurs revenus, comme cela est proposé. Le soutien à ces ménages peut en revanche passer par d’autres moyens, comme ceux que le Gouvernement a mis en œuvre et continuera à soutenir, par exemple le chèque énergie.
En outre, seule la Constitution peut élever un principe au rang de droit fondamental. La loi ordinaire n’est pas un vecteur suffisant, d’autant plus que l’électricité est d’ores et déjà considérée par les tribunaux comme un bien de première nécessité.
Enfin, la Commission de régulation de l’énergie suit en permanence la situation du marché de l’énergie, pour le gaz naturel comme pour l’électricité. Elle produit à ce sujet une documentation riche et abondante. Pour cette raison, il nous semble donc peu utile de présenter un rapport supplémentaire, qui ne viendrait pour l’essentiel que répéter ce que d’autres disent déjà.
Le Gouvernement est à l’écoute de ces difficultés et souhaite être force de propositions.
C’est pourquoi, au-delà des dispositifs déjà en place, nous avons, depuis 2017, renforcé les mesures de lutte contre la précarité énergétique.
Les coupures d’électricité et de gaz naturel étaient déjà interdites pendant la trêve hivernale afin de protéger tous les ménages ; mais, au-delà de l’interdiction de coupure, des protections supplémentaires sont mises en œuvre pour les bénéficiaires du chèque énergie sur leurs contrats d’électricité et de gaz naturel.
Ainsi, en cas d’incident de paiement, ces ménages bénéficient du maintien de leur puissance électrique pendant l’hiver, d’une réduction des frais liés à une intervention en cas d’impayés et d’une exonération des frais liés à un rejet de paiement.
De plus, dans le cas où un fournisseur envisagerait de mettre en œuvre une coupure, il est important de rappeler que les pratiques des fournisseurs sont très encadrées. En effet, l’annonce d’une possible coupure ou d’une réduction de puissance déclenche un processus d’évaluation de la situation du client, d’orientation vers les aides disponibles et d’étalement des paiements. En ce sens, elle fait office de signal d’alerte et permet de déclencher un processus d’accompagnement pour aider le consommateur en difficulté.
Par ailleurs, pour accompagner financièrement les ménages, le chèque énergie, créé sous forme expérimentale par la loi de 2015, a été généralisé en 2018, année où il a été ouvert à plus de 3,6 millions de ménages.
Disponible quel que soit le mode de chauffage, ce dispositif est plus efficace que les anciens tarifs sociaux, limités à l’électricité et au gaz.
En 2019, afin d’améliorer l’accompagnement des ménages précaires, le Gouvernement a élargi le chèque énergie à 5,7 millions de ménages et augmenté de 50 euros les montants versés par rapport à 2018. Près de 850 millions d’euros sont désormais consacrés à cette aide.
Ce chèque énergie est en train de trouver son public. Le taux de recours s’est établi à environ 80 % en 2018 ; il sera supérieur en 2019 et le Gouvernement travaille à la simplification des formulaires, des messages d’information, à l’automatisation du versement, pour augmenter encore ce taux de recours au-delà du montant un peu supérieur à 80 % auquel il va se situer cette année.
Notre effort doit aussi se concentrer sur les sources du problème et nous devons réduire directement et sur le long terme le poids des factures d’énergie. C’est la raison pour laquelle nous menons une politique ambitieuse en matière de rénovation de logements. Le Gouvernement vise un objectif de 500 000 rénovations énergétiques par an, dont 150 000 au titre des passoires énergétiques qui sont généralement occupées par les ménages les plus fragiles.