Sommaire
Présidence de Mme Hélène Conway-Mouret
Secrétaires :
MM. Joël Guerriau, Guy-Dominique Kennel.
2. Demande d’inscription à l’ordre du jour d’un projet de loi
plan local d’urbanisme intercommunal de l’agglomération fécamp caux littoral
Question n° 993 de Mme Catherine Morin-Desailly. – Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; Mme Catherine Morin-Desailly.
développement des maisons france services sur le territoire
Question n° 1030 de Mme Christine Herzog. – Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; Mme Christine Herzog.
Question n° 1043 de Mme Dominique Estrosi Sassone. – Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; Mme Dominique Estrosi Sassone.
composition de l’agence nationale de la cohésion des territoires
Question n° 1070 de M. Jean-François Rapin. – Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; M. Jean-François Rapin.
élections communautaires de mars 2020
Question n° 1025 de M. Dany Wattebled. – Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
risque routier et sanitaire lié au trafic de poids lourds entre poitiers et bordeaux
Question n° 1040 de Mme Nicole Bonnefoy. – M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports ; Mme Nicole Bonnefoy.
abus de faiblesse liés à la généralisation de la signature électronique à distance
Question n° 977 de Mme Corinne Imbert. – Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances ; Mme Corinne Imbert.
démarchage téléphonique abusif
Question n° 1022 de Mme Catherine Deroche. – Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances ; Mme Catherine Deroche.
états-unis et taxe sur les vins français
Question n° 959 de M. Daniel Laurent. – Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances ; M. Daniel Laurent.
financement des services d’aide et d’accompagnement à domicile en lot-et-garonne
Question n° 961 de Mme Christine Bonfanti-Dossat. – Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; Mme Christine Bonfanti-Dossat.
baisse de candidats dans les sessions de formation d’aides-soignants
Question n° 883 de Mme Agnès Constant, en remplacement de M. Bernard Buis. – Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; Mme Agnès Constant.
fermeture du service d’urgence de nuit de l’hôpital de sisteron
Question n° 888 de M. Jean-Yves Roux. – Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé
nouveau modèle tarifaire des allocations de solidarité départementales
Question n° 1032 de M. Hugues Saury. – Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; M. Hugues Saury.
extension des effets du fonds de garantie aux accidents médicaux
Question n° 1041 de M. Philippe Bonnecarrère. – Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
situation alarmante du centre hospitalier du rouvray à sotteville-lès-rouen
Question n° 1042 de Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, en remplacement de M. Didier Marie. – Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
consultations externes proposées par les hôpitaux de proximité dans les territoires sous-dotés
Question n° 1045 de Mme Anne-Catherine Loisier. – Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; Mme Anne-Catherine Loisier.
Question n° 1046 de Mme Brigitte Micouleau. – Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; Mme Brigitte Micouleau.
augmentation du prix des médicaments
Question n° 554 de Mme Catherine Procaccia. – Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; Mme Catherine Procaccia.
refonte des minima sociaux et inquiétudes des représentants du monde du handicap
Question n° 1068 de Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. – Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.
poursuite et extension du dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée »
Question n° 985 de M. Philippe Mouiller. – Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; M. Philippe Mouiller.
Question n° 1072 de Mme Agnès Canayer. – Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; Mme Agnès Canayer.
réforme des auto-écoles et du permis de conduire
Question n° 674 de M. Jean-Claude Luche. – M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.
demande de reconnaissance de catastrophe naturelle émise par la commune de leforest
Question n° 957 de Mme Sabine Van Heghe. – M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur ; Mme Sabine Van Heghe.
distribution de pastilles d’iode à proximité des centrales nucléaires
Question n° 962 de Mme Véronique Guillotin. – M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur ; Mme Véronique Guillotin.
Question n° 898 de M. Rachid Temal. – M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur ; M. Rachid Temal.
application du règlement de défense incendie et secours en seine-maritime
Question n° 994 de Mme Céline Brulin. – M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur ; Mme Céline Brulin.
Question n° 998 de M. Michel Canevet. – M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur ; M. Michel Canevet.
multiplication d’actions violentes de militants « végans »
Question n° 573 de M. Guillaume Chevrollier. – M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur ; M. Guillaume Chevrollier.
déclassification des documents liés à l’assassinat de deux journalistes
Question n° 1003 de M. Jean-Pierre Sueur. – M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur ; M. Jean-Pierre Sueur.
Question n° 1053 de M. Yannick Vaugrenard. – M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur ; M. Yannick Vaugrenard.
enseignement du flamand occidental et des langues régionales
Question n° 1028 de M. Jean-Pierre Decool. – M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Jean-Pierre Decool.
freins au développement de l’agroforesterie
Question n° 1019 de M. Dominique Théophile. – M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Dominique Théophile.
recommandations relatives à la consommation de fromages au lait cru
Question n° 881 de M. Max Brisson. – M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Max Brisson.
Question n° 821 de M. Jean-Marie Mizzon. – M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Jean-Marie Mizzon.
Question n° 1058 de M. Gilbert Roger. – Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports.
règles applicables dans le périmètre de protection d’un bâtiment classé
Question n° 1035 de M. Bernard Fournier. – Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports.
Suspension et reprise de la séance
Présidence de M. Vincent Delahaye
4. Mitage des espaces forestiers en Île-de-France. – Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Texte élaboré par la commission
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation
Mme Sophie Primas, rapporteur de la commission des affaires économiques
Adoption définitive de la proposition de loi dans le texte de la commission.
5. Barrière écologique aux frontières. – Adoption d’une proposition de résolution
Discussion générale :
M. Jean-François Husson, auteur de la proposition de résolution
Clôture de la discussion générale.
Texte de la proposition de résolution
Adoption de la proposition de résolution.
Suspension et reprise de la séance
6. Activité des entreprises alimentaires françaises. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Daniel Gremillet, auteur de la proposition de loi
M. Michel Raison, rapporteur de la commission des affaires économiques
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l’article.
Adoption, par scrutin public n° 64, de la proposition de loi dans le texte de la commission.
compte rendu intégral
Présidence de Mme Hélène Conway-Mouret
vice-présidente
Secrétaires :
M. Joël Guerriau,
M. Guy-Dominique Kennel.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 9 janvier 2020 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Demande d’inscription à l’ordre du jour d’un projet de loi
Mme la présidente. Par lettre en date du 9 janvier, le Gouvernement demande l’inscription des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire à l’ordre du jour du jeudi 30 janvier, à quatorze heures trente.
Acte est donné de cette demande.
3
Questions orales
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
plan local d’urbanisme intercommunal de l’agglomération fécamp caux littoral
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, auteure de la question n° 993, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la ministre, ma question porte sur l’application de la loi Littoral et ses conséquences sur le développement des projets portés par les communes du territoire seinomarin.
En effet, les services de l’État opposent parfois une lecture stricte des dispositions de cette loi à de nombreux élus porteurs de projets. Cette situation est d’autant plus difficile à comprendre que la loi ÉLAN, conformément à la volonté du législateur, a apporté des assouplissements à la loi Littoral pour accompagner l’urbanisation des communes littorales.
J’ai été notamment saisie par le maire de Sassetot-le-Mauconduit, commune de l’agglomération Fécamp Caux Littoral, laquelle a souhaité établir son document-cadre en matière d’urbanisme. Le travail mené a été exemplaire en tous points, comme l’a souligné le préfet.
Les services de l’État ont toutefois émis des réserves sur l’arrêt de projet, ce qui soulève des inquiétudes. Il n’est en aucun cas question de remettre en cause les observations formulées sur la bande des 100 mètres ou sur les zones proches du rivage, dont la protection est légitime et tout à fait souhaitée. Les points d’inquiétude portent sur ce qui s’apparente à des incohérences dont, faute de temps, je ne peux dresser la liste – je pourrai vous la faire parvenir, madame la ministre – et sur une interprétation stricte de la loi Littoral ignorant les termes de la loi ÉLAN.
Je m’en suis ouverte au préfet, lequel a pris soin, et je l’en remercie, de me répondre en détail. Si j’ai bien compris, dans le cadre d’un système transitoire, des autorisations d’urbanisme pourraient être accordées. Mais plus largement, madame la ministre, cette question de surinterprétation demeure. Ma collègue Agnès Canayer est d’ailleurs en train de travailler sur cette question avec la DDTM (direction départementale des territoires et de la mer).
De très nombreuses communes nous saisissent. C’est le cas, par exemple, de la commune de Cauville-sur-Mer, qui souhaiterait requalifier en « habitations » des bâtiments agricoles à caractère architectural remarquable afin de les préserver et qui s’est vu opposer un refus. De même, à Yville-sur-Seine, un agriculteur dont un des bâtiments agricoles a été endommagé à la suite d’inondations n’a pas été autorisé à le reconstruire, ce qui nuit à son activité. Je pourrais multiplier les exemples.
Madame la ministre, je souhaitais vous alerter et connaître votre état d’esprit et votre interprétation de la loi sur ces questions, qui, je le sais, remontent à vous de toute part.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Madame la sénatrice, je tiens d’abord à saluer le travail accompli par la communauté d’agglomération Fécamp Caux Littoral dans le cadre de l’élaboration de son plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI).
L’État a reconnu la qualité du projet et a émis un avis favorable, assorti d’observations. Ces dernières ne constituent nullement une remise en cause du caractère urbain de plusieurs des secteurs, comme vous l’évoquez. Elles visent à renforcer la sécurité juridique du PLUI, notamment au regard des évolutions récentes apportées à la loi Littoral par la loi ÉLAN et du SCOT (schéma de cohérence territoriale) applicable sur la zone depuis 2014.
Ainsi, lors de l’examen du projet arrêté, l’État a constaté que la communauté avait retenu une qualification différente du SCOT pour certains secteurs, à savoir celle de village. Ces observations visaient donc simplement à répondre à l’exigence de compatibilité du PLUI arrêté avec le SCOT en vigueur.
Un autre point d’achoppement portait sur la qualification de certains secteurs en zones urbaines dans une période transitoire au cours de laquelle cette qualification n’a pas encore été confirmée dans le SCOT.
Après examen, il semble que le zonage urbain de ces secteurs ne soit pas remis en cause par l’avis de l’État. C’est un point important, parce que ce zonage ouvre la possibilité de délivrer, sous réserve de l’accord du préfet, des autorisations de construire.
Les règles de constructibilité prévues par le projet de PLUI pour ces secteurs ne répondaient pas tout à fait à ce qu’autorise la loi ÉLAN. Des ajustements étaient donc nécessaires.
La mise en place d’un Stecal (secteur de taille et de capacité d’accueil limitées) s’est avérée incompatible avec la loi Littoral. Il convenait donc de requalifier le secteur concerné.
Dans cette période où les documents d’urbanisme évoluent pour tenir compte des nouvelles dispositions de la loi ÉLAN, certains territoires peuvent rencontrer des difficultés pour faire aboutir leurs projets d’urbanisation. Toutefois, point positif à souligner, les préfets et leurs services demeurent pleinement mobilisés pour apporter leur appui et leur expertise aux communes qui les solliciteraient pour les accompagner. Il ne s’agit en aucun cas de les freiner.
La communauté d’agglomération de Fécamp Caux Littoral a d’ailleurs eu, et continue d’avoir, de nombreux échanges avec les services déconcentrés de l’État.
J’insiste sur l’importance de faire évoluer concomitamment les SCOT et les PLU ou PLUI. La loi ÉLAN attribue au SCOT un rôle majeur dans la traduction, à l’échelon local, des principes de la loi Littoral. Aussi, j’invite les porteurs de SCOT, aux côtés des intercommunalités, à s’engager dès que possible dans une démarche d’adaptation de leur schéma.
J’entends également, madame la sénatrice, le besoin de souplesse que vous évoquez.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.
Mme Catherine Morin-Desailly. Je vous remercie, madame la ministre, des précisions que vous m’avez apportées.
Je souhaitais simplement vous alerter, comme certains autres de mes collègues, sur les freins parfois apportés à des projets de développement économique, touristique et d’aménagement, ainsi que sur les problèmes de requalification de certains bâtiments dans les territoires.
Mais je crois que vous êtes parfaitement consciente de ces questions et que nous allons poursuivre le travail avec les services de l’État. Notre préfet y est attentif.
développement des maisons france services sur le territoire
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Herzog, auteure de la question n° 1030, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Christine Herzog. Madame la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, j’appelle votre attention sur le déploiement des maisons France services (MFS), annoncé par le Premier ministre le 4 mai dernier.
Il existe aujourd’hui 1 340 maisons de services au public (MSAP). Avec l’annonce du Premier ministre, 500 maisons France services vont être mises en place – requalifiées ou créées – dans les zones rurales. Or il ne faudrait pas que les MSAP fassent les frais d’une telle mise en place et finissent par disparaître.
La Cour des comptes souligne, dans son rapport de mars 2019, le risque pour les MSAP de devenir « des structures de délestage de l’État et des opérateurs qui y verraient l’occasion de réduire leurs coûts de réseaux en les transférant aux collectivités ». Autrement dit, une charge financière supplémentaire pour les territoires.
De plus, elle dénonce « l’impasse du financement des MSAP », dont les fonds, qui reposent pour moitié sur les collectivités, ne seraient « pas de nature à en garantir la pérennité ».
À titre d’exemple, la commune de Kédange-sur-Canner, en Moselle, a créé une MSAP – la seule de son canton – en engageant d’importantes dépenses. Le Gouvernement ayant décidé qu’il n’y aura dorénavant qu’une seule MFS dans chaque canton, que deviendra cette MSAP si elle n’est pas labellisée ? Je pense également aux MSAP d’Albestroff, de Dabo et de Lorquin, toujours en Moselle. Que vont-elles devenir ? Devront-elles fermer ?
Je souhaiterais donc savoir, madame la ministre, quel sera l’avenir des MSAP. Que compte faire le Gouvernement pour compenser et réparer le préjudice financier des communes qui ont déjà investi dans ces structures ?
Par ailleurs, pouvez-vous nous dire comment vous allez aider les communes à financer ces maisons France services, notamment dans les zones rurales ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Madame la sénatrice, les choses sont claires.
Les maisons de services au public ont été créées par le gouvernement de Manuel Valls, alors Premier ministre. Les 1 340 MSAP présentes sur le territoire sont, dirais-je, de qualité extrêmement diverse. Or la démarche France services vise justement à améliorer le niveau des services publics offerts dans les territoires au travers de la création de maisons France services et de la labellisation de l’existant. Il n’est aucunement question de fermer les MSAP, mais simplement de les faire monter en gamme pour les labelliser, comme nous avons déjà eu plusieurs fois l’occasion de le dire.
Ce que nous voulons, ce n’est pas qu’il n’y ait qu’une MFS par canton, c’est qu’il y en ait « au moins » une, d’autant que certains cantons se sont notablement agrandis depuis la dernière réforme.
Sur les 460 premières MFS qui ont vu le jour en début d’année, environ 70 sont des créations et les autres des labellisations de MSAP existantes. Nous allons en labelliser au fil de l’eau : si une MSAP est prête, une fois que nos services auront vérifié que tout est conforme à la charte, nous la labelliserons.
En Moselle, me semble-t-il, à l’issue de la procédure de labellisation des projets proposés par la préfecture, la structure d’Entrange, qui répondait aux trente critères de qualité de service, a été labellisée. Un nouvel audit va être effectué dans les prochaines semaines pour les structures de Boulay-Moselle et de Morhange, particulièrement proches de la labellisation.
Si l’objectif, je le répète, est d’avoir au moins une structure par canton, je connais certains cantons où l’on trouve trois ou quatre MSAP dont certaines ont été labellisées. Nous n’avons pas l’intention de les fermer. Au contraire, nous voulons multiplier la présence des services publics dans les territoires. Nous signons de nouveaux partenariats, notamment avec la mutualité sociale agricole (MSA), pour porter des MFS en sus des collectivités territoriales – mairies, départements ou intercommunalités –, des associations ou de La Poste.
En ce qui concerne le financement, l’État et les opérateurs présents versent 30 000 euros par MSAP. De même, les partenaires qui portent les maisons contribuent aussi à leur financement. Nous verrons s’il faut augmenter ce montant dans le cadre de la pérennisation des maisons France services.
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Herzog, pour la réplique.
Mme Christine Herzog. Merci beaucoup de ces précisions, madame la ministre.
Pourquoi avoir lancé ce nouveau dispositif qui vient s’ajouter aux MSAP, créées en 2016 et qui n’ont pas eu le temps de se déployer ? Les élus locaux sont inquiets et ils ont besoin de garanties.
maisons de services publics
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, auteur de la question n° 1043, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Madame la ministre, ma question rejoint celle de Mme Herzog sans que nous nous soyons concertées, ce qui témoigne des inquiétudes exprimées sur l’ensemble de nos territoires quant au déploiement des maisons France services, plus particulièrement quant au financement des emplois dans ces MFS.
Depuis le 1er janvier dernier, 460 maisons France services doivent être théoriquement ouvertes. Elles ont été créées pour répondre aux besoins des Français dans leurs démarches administratives, principalement en zones rurales et périurbaines, afin de conserver un lien physique avec un certain nombre d’organismes et de services de l’État.
Ces nouvelles structures labellisées seront ouvertes au moins cinq jours par semaine et chacune d’entre elles devra disposer de deux personnes formées à l’accueil du public, capables d’apporter une aide dans les démarches. Or les collectivités locales s’inquiètent de leur financement.
Les préfets ont dû fournir la liste des maisons de services au public existantes « qui pourraient présenter les garanties de qualité et d’accueil pour être labellisées ». À défaut d’homologation, les structures « ne recevront plus de financement de l’État ».
Par ailleurs, comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, le financement de chaque nouvelle structure par l’État « sera forfaitisé à hauteur de 30 000 euros par an », ce qui correspond au coût d’un seul agent d’accueil dans chaque maison.
En outre, la Cour des comptes a souligné l’effet de ciseau qui atteint le réseau d’avant 2020, formaté pour 1 000 maisons seulement. Son budget de fonctionnement, à hauteur de 60 millions d’euros, repose à 50 % sur les collectivités ou les associations qui portent ou hébergent les maisons, à 25 % sur les fonds de l’État, restés stables depuis 2014, et à 25 % sur un fonds abondé par certains opérateurs dont se sont retirés la SNCF ou GRDF.
Les labellisations de MSAP au nouveau réseau France services se traduiront-elles par des charges nouvelles ou supplémentaires pour les communes ou les intercommunalités, compte tenu, par exemple, de l’obligation de disposer de deux agents pour recevoir le public ?
Que compte faire le Gouvernement pour le réseau actuel de maisons de services au public non labellisées et éviter qu’elles ne ferment ? Il s’agit de pérenniser ces emplois sur nos territoires.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Madame la sénatrice, je vais préciser certains points.
Je veux tout d’abord souligner la volonté du Gouvernement de développer la qualité des services publics proposés dans les maisons. Je me déplace beaucoup dans les territoires et j’ai vu des MSAP qui n’en ont que le nom. Il était nécessaire d’y remettre de la qualité. D’autres, formidables, ont été labellisées immédiatement.
Pour répondre à votre question, les MSAP qui n’ont pas été labellisées seront accompagnées financièrement jusqu’au 31 décembre 2021. Nous nous y engageons. Durant cette période, nous aiderons celles qui n’ont pas le niveau souhaité – je ne peux pas le dire autrement – à l’atteindre pour obtenir leur labellisation, ce qui laisse encore du temps et ne doit pas vous faire craindre de fermeture.
Le nouveau plan de financement pour les années 2020-2022 repose sur une convention avec les opérateurs partenaires. La Banque des territoires, par exemple, qui émane de la Caisse des dépôts et consignations, investit ainsi 30 millions d’euros pour assurer le déploiement de France services. Sur cette enveloppe, 17 millions sont alloués à La Poste, 10 millions à l’animation globale du réseau et 3 millions d’euros permettront le déploiement de structures France services mobiles.
L’État apporte un soutien financier aux structures France services labellisées, ainsi qu’aux MSAP en cours de montée en gamme : sa participation aux dépenses de fonctionnement de la structure consiste en un forfait de 30 000 euros, contre 25 000 euros par an en moyenne aujourd’hui. L’État accompagne également les collectivités dans leur investissement au travers des différentes dotations de soutien : on peut, par exemple, mettre de la DETR (dotation d’équipement des territoires ruraux) sur les équipements au profit d’une commune ou d’une intercommunalité qui ouvre une maison France services.
La formation dite « métier » des agents polyvalents est conduite par l’institut 4.10, qui relève de la sécurité sociale et qui met à disposition tous les outils nécessaires pour cette formation.
À l’échelon national, une équipe de douze personnes, composée d’agents de l’État, de la Banque des territoires et de La Poste, pilote ce programme d’appui au sein de l’Agence nationale de la cohésion des territoires.
Nous ferons un point financier dans un an. Je le redis, nous ne sommes pas opposés, par principe, à revaloriser notre soutien, le cas échéant.
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour la réplique.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Madame la ministre, la qualité dépend aussi de la présence de personnels sur les lieux. Or le financement du poste de deuxième agent d’accueil n’est pas garanti. Cet emploi risque d’être à la charge des collectivités territoriales, ce qui ne sera pas toujours possible, au détriment de la qualité.
composition de l’agence nationale de la cohésion des territoires
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Rapin, auteur de la question n° 1070, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Jean-François Rapin. Madame la ministre, en créant l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) afin de remédier aux disparités constatées dans notre pays, le Gouvernement a souhaité améliorer la cohésion territoriale. Nous ne pouvons que nous en réjouir.
L’article 3 de la loi du 22 juillet 2019 portant création de cette agence spécifie que « le conseil d’administration doit être composé de manière à favoriser une juste représentation de la diversité des territoires métropolitains et ultramarins ».
Pourtant, à la lecture du décret du 18 novembre 2019 relatif à cette agence, il s’avère qu’aucun représentant spécifique du littoral n’a été identifié. Ce sont tous les territoires littoraux de la France hexagonale et des outre-mer, reconnus par la loi Littoral de 1986 pour leur spécificité et le caractère exceptionnel de leur richesse en biodiversité, qui sont ici oubliés. Je ne peux m’y résoudre en tant que sénateur d’un département disposant d’une frange littorale importante et président de l’Association nationale des élus du littoral.
En parallèle, plusieurs associations d’élus bénéficient d’un siège, notamment l’Association nationale des élus de la montagne. Une telle situation interroge : si les spécificités de la montagne sont prises en compte, pourquoi celles du littoral ne le sont-elles pas ? Submersion marine, érosion côtière, changement climatique, biodiversité, préservation du patrimoine, économie bleue… Ces sujets ne méritent-ils pas d’être pleinement considérés dans le cadre d’une telle agence ?
Après plusieurs courriers vous alertant sur ce sujet, dont un émanant de députés de votre majorité, et une tribune signée par plus de 140 parlementaires, la situation n’a malheureusement pas évolué.
Pour une cohésion nationale forte, qui vous est chère, madame la ministre, et dans l’intérêt des 6 millions d’habitants résidant sur nos littoraux, ce décret doit être modifié. Une révision indispensable pour redonner au littoral, ainsi qu’à ses nombreux acteurs, la juste place qu’ils doivent naturellement avoir.
Quelles sont donc vos intentions à ce sujet ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, le conseil d’administration de l’Agence nationale de la cohésion des territoires, qui s’est réuni pour la première fois le jeudi 12 décembre 2019, est composé de manière à concilier deux impératifs presque antagonistes : une taille réduite et pilotable, d’une part ; la fidèle représentation des multiples enjeux du territoire national, d’autre part.
Je vais essayer de vous répondre franchement, monsieur le sénateur, sans vouloir formuler le moindre reproche. (M. Jean-François Rapin s’étonne.) L’Association nationale des élus du littoral n’est effectivement pas représentée au sein de ce conseil d’administration, mais cette demande n’a jamais été formulée lors de l’examen du texte portant création de l’ANCT. Sans vouloir être désagréable, à titre de comparaison, je ne risquais pas d’oublier les préoccupations des élus de la montagne…
M. Jean-François Rapin. Ça alors !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Si les élus du littoral font défaut dans la composition du conseil d’administration, les torts me semblent quelque peu partagés.
M. Jean-François Rapin. Ce n’est pas à la hauteur d’une réponse ministérielle.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je vous le dis gentiment et amicalement.
J’ai essayé de répondre à votre préoccupation, évoquée d’ailleurs lors de la première réunion du conseil d’administration. Plusieurs administrateurs, titulaires ou suppléants, sont issus de collectivités territoriales littorales. Votre association n’a certes pas été consultée, mais nous avons fait en sorte d’assurer la présence d’élus du littoral au sein du conseil.
Je me suis battue pour assurer la présence du plus grand nombre de représentants d’associations d’élus locaux au sein de ce conseil d’administration, tout en lui conservant une taille suffisamment réduite pour ne pas nuire à son efficacité. C’est la raison pour laquelle nous n’envisageons pas, aujourd’hui, de modifier le décret.
Je sais que cette réponse ne vous convient pas, monsieur le sénateur. Toutefois, j’aurai des propositions très concrètes à vous faire sur les thématiques que vous évoquez et les politiques que vous défendez pour faire en sorte que vos préoccupations soient vraiment défendues au sein de l’ANCT.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Rapin, pour la réplique.
M. Jean-François Rapin. Madame la ministre, votre réponse ne me convient absolument pas. Quand bien même vous ne le souhaitiez pas, vous m’avez vexé !
La loi portant création de l’Agence nationale de la cohésion des territoires précise que « le conseil d’administration doit être composé de manière à favoriser une juste représentation de la diversité des territoires métropolitains et ultramarins ».
Faut-il, pour être reconnu par le Gouvernement ou même par l’État, en passer par du lobbying ? C’est bananier ! Faut-il se battre pour réclamer le droit de siéger dans ce conseil d’administration ? Je suis désolé de vous le dire, mais votre réponse montre une méconnaissance des territoires. Les élus du littoral ne peuvent s’en satisfaire.
élections communautaires de mars 2020
Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled, auteur de la question n° 1025, transmise à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Dany Wattebled. Madame la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, dans le cadre des élections municipales et communautaires de mars 2020, les élus locaux s’interrogent sur la portée des modifications de l’article L. 5211-6 du code général des collectivités territoriales (CGCT), issues de la loi n° 2017-257 du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain.
En effet, cet article relatif aux organes délibérants des EPCI prévoit : « Après le renouvellement général des conseils municipaux, l’organe délibérant se réunit au plus tard le vendredi de la quatrième semaine qui suit l’élection des maires. »
Depuis la loi du 28 février 2017 susvisée, l’article L. 5211-6 du CGCT dispose désormais : « Lors de la première réunion de l’organe délibérant, immédiatement après l’élection du président, des vice-présidents et des autres membres du bureau, le président donne lecture de la charte de l’élu local prévue à l’article L. 1111-1-1. »
Les élus locaux s’interrogent sur le caractère obligatoire de procéder le même jour, et lors de la même séance, à l’élection du président de l’EPCI, des vice-présidents et des autres membres du bureau.
En effet, les métropoles comportent un nombre important d’élus et leurs représentants ne sont connus qu’à l’issue du deuxième tour des élections municipales. À l’échelle d’une métropole, il est donc difficile d’organiser une gouvernance en amont du résultat des élections municipales, contrairement à ce qui peut être fait à l’échelle d’une commune.
Dès lors, il est de pratique courante, au sein des métropoles, de procéder, dans un premier temps, à l’élection du président puis, dans un second temps, lors d’une autre séance – généralement une quinzaine de jours après –, à l’élection des vice-présidents et du bureau.
La modification de l’article L. 5211-6 du CGCT a eu pour finalité de rendre obligatoire la lecture de la charte de l’élu local lors de l’élection du président et des vice-présidents de l’EPCI.
Peut-on considérer que les dispositions de cet article sont respectées si l’élection du président et des vice-présidents a lieu lors de deux séances distinctes, mais que la charte de l’élu local est lue par le président lors de chacune de ces séances ? Ou faut-il considérer qu’il est désormais obligatoire de procéder à l’élection du président de l’EPCI, des vice-présidents et des membres du bureau le même jour et lors de la même séance ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Dany Wattebled, l’article L. 5211-6 du code général des collectivités territoriales dispose en effet : « Lors de la première réunion de l’organe délibérant, immédiatement après l’élection du président, des vice-présidents et des autres membres du bureau, le président donne lecture de la charte de l’élu local […] »
Cet article a été modifié par l’article 2 de la loi du 31 mars 2015 pour intégrer la lecture de la charte de l’élu local après l’élection de l’exécutif intercommunal.
L’intention du législateur était de mettre en œuvre la proposition n°°24 du rapport de la mission d’information sur le statut de l’élu, en créant une charte de l’élu local comme cadre déontologique.
Lors des débats parlementaires en commission des lois, le rapporteur avait précisé que les conseils municipaux et les conseils communautaires seraient concernés de la même façon par cette disposition.
Je vous confirme ainsi que, après le prochain renouvellement général des conseils municipaux et communautaires de mars 2020, le président, les vice-présidents et les autres membres du bureau d’un EPCI à fiscalité propre seront élus lors de la même réunion du conseil communautaire.
J’attire votre attention sur le fait que la disposition prévoyant que, « après le renouvellement général des conseils municipaux, l’organe délibérant se réunit au plus tard le vendredi de la quatrième semaine qui suit l’élection des maires » demeure au sein de l’article L. 5211-6 du CGCT.
Cette disposition permet de laisser un temps d’échange aux élus des conseils communautaires pour procéder à l’élection de leurs exécutifs.
Dès lors, en prévoyant un délai de près de cinq semaines entre l’élection des conseillers communautaires et l’élection de leurs président, vice-présidents et membres du bureau, le législateur a reconnu la nécessité, pour les EPCI à fiscalité propre, de bénéficier d’un temps plus long pour constituer leurs exécutifs.
Par comparaison, l’article L. 2121-7 du CGCT ne laisse qu’une semaine aux conseils municipaux pour procéder à l’élection des maires et des adjoints.
Il reste enfin loisible, de façon concrète, tout en organisant l’élection des vice-présidents et des autres membres du bureau dans la continuité de celle du président et lors de la même réunion, de réserver une suspension de séance dans le déroulement de ces scrutins.
risque routier et sanitaire lié au trafic de poids lourds entre poitiers et bordeaux
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, auteure de la question n° 1040, adressée à M. le secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur l’importance du trafic poids lourds, plus particulièrement celui en transit sur la RN10 entre Poitiers et Bordeaux.
Certains de ces poids lourds ne respectent ni les distances de sécurité, ni l’interdiction de doubler, ni la limitation de vitesse, au point que les routiers eux-mêmes disent prendre un risque pour leur vie et celle des automobilistes.
À l’insécurité routière s’ajoutent la pollution sonore ainsi que la pollution de l’air et des sols, si bien que les agriculteurs, soucieux de produire de la qualité, sont contraints de cultiver à plus de 300 mètres de la RN10 et à plus de 500 mètres pour les cultures bio, compte tenu des métaux lourds retrouvés dans les sols.
Au regard des conséquences de ce trafic sans cesse grandissant en termes de sécurité routière, sanitaire, environnementale, sociale et économique, sans oublier le coût d’entretien de la chaussée et la mobilisation des forces de l’ordre, plus de 7 000 personnes ont signé une pétition citoyenne demandant que les poids lourds en transit empruntent l’autoroute A10 adaptée à ce trafic et non plus la RN10. Par ailleurs, 126 communes ont délibéré dans le même sens.
Vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, l’autoroute A10 est parallèle à la RN10. Les poids lourds en transit quittent cette autoroute et traversent notamment mon département de la Charente en empruntant la RN10, ce afin d’économiser une cinquantaine d’euros de péage.
Une telle situation n’est ni tenable ni acceptable. Le 19 novembre dernier, Mme la ministre Élisabeth Borne, que j’interpellais sur ce sujet, me répondait qu’« il fallait se préoccuper des poids lourds en transit pour faire en sorte qu’ils n’aient pas la tentation d’emprunter des itinéraires gratuits ».
Ma question est simple : que comptez-vous faire, monsieur le secrétaire d’État, pour régler ce problème ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Madame la sénatrice, la restriction complète sur la route nationale 10 entre Poitiers et Bordeaux du trafic de poids lourds serait contraire au principe de libre circulation des marchandises sur le réseau structurant national. Vous le savez, la jurisprudence du Conseil d’État est constante sur ce point, afin de garantir un principe fort de la réglementation européenne.
Pour autant, les services de l’État chargés du contrôle sont mobilisés sur le terrain pour assurer le respect des réglementations applicables au transport routier, afin de prévenir les risques de surcharge. Il s’agit de contrôler notamment le temps de conduite et de repos des chauffeurs, ainsi que le respect de leurs conditions de travail.
Le Gouvernement entend donc prendre des mesures d’amélioration des infrastructures. Une telle politique est mise en œuvre sans porter préjudice aux concertations qui pourraient intervenir à l’avenir.
De nombreuses opérations de sécurisation de cet axe ont d’ores et déjà été engagées : la mise en service de la 2x2 voies entre Reignac et Chevanceaux ; l’étude du remplacement de six carrefours dans la Vienne par des échangeurs dénivelés avec mise à 2x2 voies dans le secteur de Croutelle ; l’étude de la suppression des derniers carrefours en Charente, notamment sur la commune de Mansle ; le diagnostic de sécurité sur la rocade d’Angoulême, en vue d’améliorer, dès 2020, les modalités d’information des usagers de la route, en particulier sur les congestions récurrentes et les risques d’accidents ; enfin, le diagnostic de sécurité sur la section entre Virsac et Angoulême.
Au regard de ces nombreux projets d’amélioration de l’infrastructure routière, le Gouvernement va demander à la préfète de la région Nouvelle-Aquitaine de s’assurer que chaque calendrier d’opération soit respecté au mieux.
Par ailleurs, le Gouvernement mandatera la préfète de la Charente, afin que des dispositifs de contrôle fixes et mobiles soient déployés de façon privilégiée sur cet axe, de manière à renforcer la répression contre les poids lourds qui ne respecteraient pas les différentes réglementations.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, pour la réplique.
Mme Nicole Bonnefoy. Je connais, monsieur le secrétaire d’État, les investissements réalisés pour améliorer la RN10. Je sais aussi, parce que je l’ai déjà entendu, que l’interdiction des poids lourds serait contraire au droit européen en matière de libre circulation des biens et des marchandises. En revanche, des dérogations ou des expérimentations sont possibles, et il faut y travailler ensemble.
La préfète de région, que j’avais interrogée sur ce sujet, était tout à fait favorable à l’étude d’une expérimentation ou d’une dérogation.
Je vous le répète, 7 000 personnes ont signé la pétition en question, dont 140 maires. Il y a donc là un vrai problème, qui va grandissant, y compris concernant la sécurité. Faut-il attendre qu’il y ait des morts pour que la situation évolue ?
Enfin, dans la loi LOM (loi d’orientation des mobilités), vous avez donné la possibilité, sur des routes départementales ou nationales, de créer des voies propres. Très bien, mais nous serions exclus de la politique de transition écologique ! En effet, jamais nous ne pourrons dédier tout ou partie de la RN10, qui est uniquement consacrée aux poids lourds, à une voie propre.
C’est un vrai problème, que je souhaite évoquer avec vous, à l’extérieur de l’hémicycle si vous le voulez, en prenant un rendez-vous. Certains de mes collègues rencontrent les mêmes difficultés, il convient donc de trouver une réponse.
abus de faiblesse liés à la généralisation de la signature électronique à distance
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Imbert, auteure de la question n° 977, adressée à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique.
Mme Corinne Imbert. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ma question concerne les abus de faiblesse liés à la généralisation de la signature électronique à distance.
Ce phénomène est principalement constaté dans le secteur des assurances. En effet, un contrat d’assurance peut être souscrit en quelques minutes par téléphone après la simple expression du consentement.
Ce dernier se matérialise généralement par un code reçu par SMS qu’il faut répéter à voix haute au courtier ou encore par une touche de téléphone sur laquelle il faut appuyer. Nous en conviendrons tous, cette spécificité accordée aux assurances est pratique lorsqu’il s’agit d’assurer dans l’urgence sa nouvelle voiture. Mais force est de le constater, elle est bien souvent utilisée à mauvais escient. Ce type de vente est souvent expéditif, afin que le client n’ait pas le temps de prendre la mesure de la situation.
Les personnes isolées, en particulier les personnes âgées et les personnes handicapées, sont bien souvent démunies face à des professionnels de la vente qui n’hésitent pas user de tous les stratagèmes possibles afin de parvenir au plus vite à la signature d’un contrat aux modalités hasardeuses. Bien souvent, ces personnes ne réalisent pas qu’elles viennent de souscrire à un contrat d’assurance, ce qui rend la tâche des familles qui les accompagnent bien plus difficile que dans le cas d’un simple démarchage, en porte-à-porte.
Ainsi, le délai de rétractation de 14 jours n’est souvent pas suffisant pour débusquer la supercherie. Sur la seule année 2018, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a contrôlé 92 entreprises et en a épinglé 27. Dans la plupart des cas, les démarcheurs recourent à des allégations mensongères, afin de recueillir l’accord verbal du consommateur ou obtenir la signature électronique du contrat.
Ma question sera la suivante, madame la secrétaire d’État : au regard des nombreux cas constatés d’arnaques et de ventes forcées, en particulier auprès des personnes âgées ou handicapées, je souhaiterais connaître les intentions du Gouvernement concernant la lutte contre ce phénomène inquiétant.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Madame la sénatrice Corinne Imbert, vous avez raison, cette pression téléphonique est insupportable pour nos concitoyens, en particulier pour les personnes âgées.
C’est pourquoi le Gouvernement a manifesté à plusieurs reprises sa volonté de renforcer la protection des consommateurs contre les pratiques de démarchage téléphonique abusif et intrusif.
Il a ainsi demandé au Conseil national de la consommation (CNC) d’établir un état des lieux des pratiques de démarchage téléphonique et de proposer des mesures pour mieux lutter contre les appels téléphoniques non sollicités et la fraude auxquels ils peuvent donner lieu, qu’il s’agisse de numéros surtaxés ou de contrats non souhaités.
Les travaux du CNC, qui se sont déroulés de septembre 2018 à janvier 2019 dans le cadre d’un groupe de travail dédié, ont fait l’objet d’un rapport qui a été diffusé le 22 février 2019. Ce dernier a nourri les travaux sur ce sujet, en particulier la proposition de loi visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux. Ce texte a fait l’objet d’un premier examen par l’Assemblée nationale le 6 décembre 2018, puis par le Sénat le 21 février 2019. Il sera examiné de nouveau par l’Assemblée nationale à la fin du mois.
Parallèlement, nous avons sollicité le CCFS (Comité consultatif du secteur financier) sur le cas particulier des contrats d’assurance, pour lesquels – c’est un élément qui était remonté dans le cadre de l’analyse effectuée avec la DGCCRF et le CNC – le simple démarchage téléphonique permet d’aboutir à la signature d’un contrat.
Le CCFS et, donc, les professionnels des assurances se sont engagés à ce qu’il ne puisse plus y avoir de signatures de contrats d’assurance par le simple enchaînement de décisions non tracées. Ils se sont donc engagés à respecter un minimum de formalisme, par le biais d’un écrit validant la décision de signature d’un contrat d’assurance.
Sur la base de ces éléments, nous poursuivrons le dialogue avec l’Assemblée nationale, en nous assurant que l’engagement pris par la profession est clairement respecté.
Vous avez raison, madame la sénatrice, il n’est pas légitime qu’un accord sur un sujet aussi complexe qu’un contrat d’assurance soit obtenu sans traçabilité écrite permettant de réagir dans le cadre de la protection des consommateurs.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour la réplique.
Mme Corinne Imbert. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de votre réponse. Je me réjouis que la proposition de loi que vous venez d’évoquer soit examinée de nouveau par l’Assemblée nationale. J’espère que l’engagement pris par les professionnels sera respecté. La traçabilité écrite, qui est indispensable pour la sécurité et le respect des personnes, lesquelles ne doivent pas être abusées à longueur de semaine, doit faire l’objet d’un suivi par vos services.
D’aucuns pourraient dire que les personnes victimes de ces agissements le sont « à l’insu de leur plein gré » ; c’est bien là tout le problème. Il faut vraiment une traçabilité écrite, car le public dont il est question est fragile et les appels téléphoniques incessants deviennent insupportables. Je sais que ma collègue Catherine Deroche s’apprête à vous interpeller sur ce sujet juste après moi.
démarchage téléphonique abusif
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche, auteure de la question n° 1022, adressée à M. le ministre de l’économie et des finances.
Mme Catherine Deroche. Madame la secrétaire d’État, ma question s’inscrit dans le prolongement de celle de Corinne Imbert et concerne en effet le démarchage commercial par téléphone.
Depuis plusieurs mois, chacun le constate au quotidien, nous assistons à une explosion du nombre d’appels non sollicités, qui s’apparente à une forme de harcèlement. Le phénomène a pris une ampleur exponentielle concernant les opérateurs téléphoniques mandatés par diverses sociétés exploitant des listings commerciaux pour joindre les occupants – principalement les propriétaires – de maisons individuelles qui pourraient bénéficier de travaux d’isolation à 1 euro.
En juin dernier, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a dû émettre une mise en garde à destination du public français à l’encontre de sociétés peu scrupuleuses cherchant à profiter de ce dispositif très utile.
Ces correspondants opèrent, la plupart du temps, depuis des plateformes basées à l’étranger, avec des numéros qui ne s’affichent pas ou ne peuvent être rappelés. C’est le cas pour les téléphones fixes, mais aussi, désormais, les téléphones portables. Parfois, des numéros commençant par 06 s’affichent, ce qui fait qu’on ne s’attend pas à un démarchage.
Je le sais pour l’avoir mis en place à titre personnel, le dispositif Bloctel ne fonctionne pas.
Certes, une proposition de loi est en cours d’examen par le Parlement. Pour autant, pourriez-vous, madame la secrétaire d’État, nous apporter des précisions sur ce sujet ? En effet, certains de nos concitoyens, à cran, développent une forme d’agressivité dans le cadre de ce type d’appels, qui peuvent se répéter jusqu’à quatre fois en une heure.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Madame la sénatrice Catherine Deroche, votre question s’inscrit effectivement dans le prolongement de celle qu’a posée Mme Imbert.
Nous nous sommes engagés à réduire le nombre d’appels téléphoniques non souhaités, dont il s’avère qu’ils ne respectent pas le droit. Notre difficulté est donc non pas de renforcer la législation, déjà assez dure, concernant l’autorisation des appels, mais de poursuivre les personnes ne la respectant pas.
C’est la raison pour laquelle nous avons travaillé sur un texte qui permettra notamment de renforcer un certain nombre de sanctions. Il autorisera également l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse) à se saisir d’un contrôle s’agissant des numéros n’apparaissant pas directement, afin d’agir avec les opérateurs téléphoniques concernant les intervenants peu scrupuleux. Tel est le cas dans le cadre du plan de lutte contre la fraude à la rénovation thermique. En effet, la DGCCRF a recensé une augmentation de 20 % du nombre de plaintes pour fraude en la matière.
Nous voulons mener ce combat. Nous traiterons ce sujet le 30 janvier prochain à l’Assemblée nationale, dans le cadre de l’examen en deuxième lecture de la proposition de loi que j’ai évoquée.
En 2019, 1 000 établissements ont été contrôlés et 70 démarcheurs ne respectant pas le dispositif Bloctel ont été sanctionnés par des amendes, dont le montant total a atteint 2,3 millions d’euros. Ces amendes seront renforcées, ce qui devrait contribuer à rendre très désagréable, pour les auteurs de ces appels, le fait de démarcher téléphoniquement nos concitoyens.
De la même manière, nous avons généralisé, à ma demande, le name and shame, afin de rendre les Français plus attentifs. Nous diffusons un certain nombre de conseils dans le cadre d’une campagne de sensibilisation aux bons réflexes face aux actes de démarchage téléphonique ou physique, pour ce qui concerne les thématiques complexes de la rénovation thermique.
Nous avons également saisi le CNC (Conseil national de la consommation) sur le démarchage téléphonique dans le cadre de la rénovation thermique, et nous devrions avoir un retour dans quinze jours.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour la réplique.
Mme Catherine Deroche. Nous allons donc attendre l’inscription à l’ordre du jour de ce texte, madame la secrétaire d’État.
Je le souligne, les opérateurs se présentent souvent au nom du conseil régional, du conseil départemental ou du ministère, leur discours étant toujours très ambigu. La mise en place d’un indicatif pour cibler le démarchage publicitaire pourrait apporter un certain nombre de solutions, puisque nous pourrions ainsi éviter de répondre en permanence à des gens avec lesquels nous ne souhaitons pas entrer en communication.
états-unis et taxe sur les vins français
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Laurent, auteur de la question n° 959, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Daniel Laurent. Madame la secrétaire d’État, en octobre dernier, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) permettait aux États-Unis de prendre des sanctions contre des biens européens, dans le cadre du conflit sur les subventions accordées à Airbus.
Début décembre, les États-Unis ont formulé de nouvelles menaces, à savoir des sanctions visant à imposer de nouveaux droits de douane additionnels jusqu’à 100 %. Était en cause le projet de taxe sur les géants du numérique. Les vins pétillants, dont le champagne, épargnés par les premières sanctions, seraient également concernés, ce qui représente 700 millions d’euros supplémentaires.
Le chiffre d’affaires réalisé sur le marché américain s’est élevé à un milliard d’euros en 2018. Sur les six premiers mois de 2019, les exportations étaient en hausse de 10 % en valeur et de 2 % en volume. Or, depuis bientôt trois mois, la profession enregistre une chute drastique des importations américaines, de l’ordre de 30 % en valeur, sur les vins en bouteilles, par comparaison avec le mois de novembre 2018.
Les exportateurs ont réduit leurs marges, mais ils redoutent de perdre des parts de marchés qui seront difficiles à reconquérir, d’autant que ces mesures entraîneront des distorsions de concurrence.
Le 16 décembre dernier, lors du Conseil Agriculture et pêche à Bruxelles, le ministre de l’agriculture a demandé à la Commission de renforcer les soutiens à la filière vitivinicole. Si les mesures proposées vont dans le bon sens, elles demeurent insuffisantes pour faire face aux conséquences directes pour la filière.
En conséquence, qu’en est-il de la mise en œuvre d’un fonds de compensation des mesures d’aides à la promotion ou de la résolution du conflit avec les États-Unis ? Le 6 janvier dernier, M. Bruno Le Maire a une nouvelle fois appelé les États-Unis à la raison. Toutefois, pour l’heure, on ne constate aucun effet.
Madame la secrétaire d’État, il y a urgence à agir, afin de ne pas fragiliser l’ensemble de la filière, victime d’un conflit qui ne la concerne pas. (M. Antoine Lefèvre applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur Daniel Laurent, dans le conflit opposant les États-Unis et l’Union européenne au sujet des subventions accordées à Airbus, l’OMC a tranché et autorisé les États-Unis à appliquer des sanctions à l’encontre de biens européens importés sur leur territoire.
Dans la mesure où il est vraisemblable que l’OMC sanctionne aussi, dans quelques semaines, les produits américains importés en Europe, pour des subventions accordées à Boeing, l’Union européenne a d’abord tenté de négocier avec les États-Unis, pour éviter une escalade de sanctions qui mette à mal l’économie de nos territoires respectifs.
Ces négociations continuent d’être menées de manière intense, pour limiter au maximum dans le temps l’application de ces taxes sanctions. Néanmoins, depuis le 18 octobre dernier, les États-Unis ont effectivement appliqué, ce que nous regrettons vivement, leur droit de sanctions.
Pour la France, les produits les plus touchés sont les vins tranquilles en deçà de 14 degrés conditionnés dans des contenants de moins de 2 litres, auxquels est imposée une taxe additionnelle de 25 %.
Toutes les régions viticoles françaises sont visées, à hauteur de 306 millions d’euros annuels. Les exportations françaises aux États-Unis des vins taxés ont représenté 25 % de l’ensemble des exportations européennes de vins vers les États-Unis.
Pour aider au plus vite la filière, injustement frappée et en difficulté, le Gouvernement a immédiatement mis en œuvre des mesures de soutien : doublement du budget de la promotion business to consumer des vins français développés aux États-Unis et dans plusieurs autres pays stratégiques, notamment en Asie, dans le cadre de la concession de service public Sopexa ; renforcement des actions de promotion business to business conduites par Business France, notamment sur les indications géographiques et les appellations d’origine contrôlée ; opérations collectives de promotion à l’export sur 38 marchés à potentiel en 2020 ; mise en œuvre de mesures de bienveillance concernant des délais de paiement ou des remises et de l’assurance prospection portée par Bpifrance.
Au-delà des mesures nationales, c’est bien sûr au niveau européen que doit se porter le soutien le plus fort. Ainsi, à notre demande, l’Union européenne a déjà accordé diverses mesures de souplesse et de simplification des fonds de promotion. Mais la France, notamment par la voix de Didier Guillaume, continue de solliciter, lors de chaque Conseil européen de l’agriculture, la mise en place d’un mécanisme européen de compensation de pertes constatées, et demande la levée des barrières non tarifaires pour faciliter l’export vers d’autres pays tiers, notamment le Canada, le Japon et la Corée du Sud.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Laurent, pour la réplique.
M. Daniel Laurent. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de votre réponse, ainsi que des mesures de soutien à la filière. Certes, nous sommes favorables à la négociation. Pour autant, vous n’êtes pas sans savoir que, si on perd des marchés, on ne les retrouve pas toujours. Vous n’êtes pas non plus sans savoir combien pèsent, positivement, dans la balance du commerce extérieur, les vins et spiritueux.
Il est donc urgent de trouver une solution, faute de quoi la situation deviendra dramatique pour cette filière économique française.
financement des services d’aide et d’accompagnement à domicile en lot-et-garonne
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat, auteur de la question n° 961, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ma question porte sur le financement des structures d’aide et d’accompagnement à domicile.
Je pensais que la fameuse loi Grand âge serait le grand soir des financements. Or je m’aperçois que nous sommes toujours dans les petits matins précaires des renoncements.
Les structures d’aides à domicile sont en effet désemparées : elles refusent de s’habituer à des effets d’annonces non suivies de résultats dans des délais raisonnables. La situation est pourtant désastreuse et alarmante : alors que 600 millions d’euros sont nécessaires pour rattraper le retard et améliorer un contexte tendu, seuls 50 millions d’euros ont été octroyés en 2019, 50 autres millions étant promis pour 2020, soit deux fois moins que ce qui avait été prévu en 2018.
En Lot-et-Garonne, les tarifs horaires appliqués pour les structures d’aide et d’accompagnement à domicile sont toujours fragiles et évidemment non pérennes : 20,73 euros pour un prix de revient de 21 euros. Dans le même temps, les 520 000 euros fléchés en 2019 posent question : le département ne se prononce pas pour 2020, les conditions d’attribution à remplir par le biais des appels à candidatures étant toujours inconnues. Imaginez le désarroi de toutes ces structures et de leur personnel !
À quand une réforme ambitieuse de la tarification des services d’aide à domicile ? À quand une remise à plat des modèles d’intervention ? À quand un financement à la hauteur des enjeux, alors qu’il faut treize ans à un intervenant à domicile pour être rémunéré légèrement au-dessus du SMIC ?
Madame la secrétaire d’État, quand pourrons-nous espérer passer des promesses, des commissions et des rapports aux actes réels, responsables et immédiats ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, vous appelez l’attention du Gouvernement sur le financement des services d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD).
Le financement des SAAD relève de la compétence des conseils départementaux. Le décret n° 2019-457 du 15 mai 2019, pris pour l’application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, vise à préfigurer un nouveau modèle de financement des SAAD, afin d’assurer l’accessibilité financière et géographique des services pour les bénéficiaires, de permettre une plus grande équité de traitement, de rendre l’offre plus lisible, d’assurer une meilleure transparence tarifaire, et de mieux maîtriser les restes à charge pour les usagers.
Le modèle rénové que nous envisageons repose sur un tarif de référence nationale applicable à tous les SAAD, et un complément de financement appelé « modulation positive ».
Dans le cadre de la préfiguration de ce nouveau modèle de financement, la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie) a fixé la répartition de l’enveloppe de 50 millions d’euros entre les départements concernés, dont 520 000 euros pour le Lot-et-Garonne, et les modalités de leur versement.
Il appartient aux départements de répartir ces crédits entre les SAAD retenus dans le cadre d’un appel à candidatures et dont le cahier des charges a été précisé dans le décret. Les critères de sélection des candidatures portent notamment sur le profil des personnes prises en charge, l’amplitude horaire d’intervention et les caractéristiques du territoire d’intervention, afin de renforcer l’attractivité des métiers du secteur.
La détermination du montant de la dotation complémentaire allouée aux SAAD à l’issue de l’appel à candidatures relève de la négociation entre le département et les SAAD lors de la signature du CPOM (contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens) ou d’un avenant à ce contrat.
Les départements bénéficiaires de ces crédits devaient transmettre à la CNSA les données relatives à l’utilisation des crédits au plus tard le 15 octobre 2019.
Concernant les ARS (agences régionales de santé), leurs seuls financements qui pourraient intervenir en faveur des SAAD seraient les financements alloués dans le cadre de l’accompagnement à la constitution d’un service polyvalent d’aide et de soins à domicile, regroupant les services d’aide et d’accompagnement à domicile et les services de soins infirmiers à domicile.
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat, pour la réplique.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Madame la secrétaire d’État, j’entends bien ce que vous dites. Pour autant, je suis intimement convaincue que le Gouvernement a la responsabilité de répondre au souhait de 95 % des Français, qui désirent vivre le plus longtemps chez eux, à domicile. Ne pas les entendre serait ne pas entendre une évolution majeure de notre société.
baisse de candidats dans les sessions de formation d’aides-soignants
Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Constant, en remplacement de M. Bernard Buis, auteur de la question n° 883, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Constant. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vais vous lire la question que souhaitait poser mon collègue Bernard Buis à Mme la ministre des solidarités et de la santé :
« Madame la ministre, nous vous alertons régulièrement sur les carences en matière de professionnels de santé dans différents secteurs. On pense évidemment aux déserts médicaux dus au manque de renouvellement des médecins généralistes tant en secteur rural qu’en ville ou dans les services d’urgence des hôpitaux. On pense aussi à la difficulté d’avoir un rendez-vous avec un médecin spécialiste ou de trouver un médecin traitant.
« Je souhaite aujourd’hui vous alerter et attirer votre attention sur le déficit constaté partout en France de candidats aux sessions de formation d’aide-soignant, métier de santé pourtant indispensable dans le dispositif de prise en charge des malades.
« En effet, si je me réfère à l’exemple de mon département, il y avait encore récemment en Drôme deux sessions de formation, avec chacune 60 stagiaires qui se dirigeaient ensuite vers le métier d’aide-soignant. Il n’y a eu cette année qu’une seule session, qui n’a même pas fait le plein de stagiaires.
« La situation est identique dans de nombreux départements et on peut légitimement craindre une pénurie dans le cadre du renouvellement des postes d’aides-soignants.
C’est pourquoi je me permets de vous interpeller, madame la ministre, sur cette problématique. Quelles mesures envisagez-vous pour enrayer la pénurie et rendre plus attractif le métier d’aide-soignant, en particulier pour ce qui concerne la rémunération ? »
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, je vous remercie pour votre question. Le Gouvernement partage le constat global que vous dressez au sujet de la perte d’attractivité de cette formation.
En effet, les données publiées par la Drees (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) révèlent une diminution du nombre des inscrits à la formation d’aide-soignant pour la deuxième année consécutive – la baisse est de 6 % entre 2016 et 2018 –, ainsi qu’une forte baisse du nombre de candidats au concours d’entrée, qui est de l’ordre de 40 % depuis 2014. Toutefois, l’évolution du nombre des diplômés est restée quasi stable : il était de 22 800 en 2018.
Afin de favoriser l’accès à cette formation et de mieux reconnaître les compétences des aides-soignants dans leur pratique professionnelle, plusieurs actions ont été engagées depuis 2018. Leur mise en œuvre se poursuit, notamment dans le cadre des plans Ma santé 2022 et Investir pour l’hôpital.
La valorisation de la formation et, par là même, de la profession d’aide-soignant est au cœur des mesures portées par le ministère.
Un groupe de travail associant tous les acteurs concernés s’est constitué en avril 2019. Il a engagé une refonte des référentiels métier et formation, qui est en cours de finalisation en vue d’une mise en place à la rentrée de septembre 2020. La réforme est aussi l’opportunité de mettre en place des passerelles avec d’autres professions et, donc, de décloisonner l’exercice de la profession d’aide-soignant.
Les travaux du groupe s’articulent autour des préconisations de la mission conduite par Myriam El Khomri. Dans son rapport remis à l’automne 2019, elle recommande une simplification des modalités d’accès à la formation, qui garantisse malgré tout une diversité des profils, indispensable. Mme El Khomri envisage aussi la mise en place de critères de sélection nationaux pour suivre la formation. Les arbitrages devraient être rendus publics prochainement.
La mobilisation continue au niveau des agences régionales de santé (ARS) pour valoriser le métier et desserrer le calendrier des concours existants, qui était trop étalé dans le temps. J’en veux pour preuve qu’il fallait attendre près d’un an entre son inscription au concours et l’entrée dans la formation, ce qui ne permettait pas aux jeunes intéressés par le métier d’aide-soignant de se projeter aussi loin.
À plus long terme, la réflexion se poursuit avec le ministère de l’enseignement supérieur, afin de rendre la formation d’aide-soignant beaucoup plus visible et lisible aux yeux des lycéens, notamment sur la plateforme Parcoursup.
Concernant les professionnels en activité, une revalorisation indemnitaire est prévue dès le début de cette année dans les conditions prévues par le plan Investir pour l’hôpital.
Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Constant, pour la réplique.
Mme Agnès Constant. Je vous remercie de ces éléments, madame la secrétaire d’État. Faire passer les aides-soignants de la catégorie C à la catégorie B serait une bonne chose pour la reconnaissance et l’attractivité du métier.
fermeture du service d’urgence de nuit de l’hôpital de sisteron
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Roux, auteur de la question n° 888, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
M. Jean-Yves Roux. Madame la secrétaire d’État, en juillet 2019, à la suite du congé maladie d’un médecin et des départs en vacances, les urgences de l’hôpital de Sisteron ont fermé la nuit. Cette situation devait être temporaire, ce qui a obligé le service à bricoler un peu et à s’en remettre à la très bonne volonté de chacun, notamment du SAMU (service d’aide médicale urgente), du SMUR (service mobile d’urgence et de réanimation) et des élus de Sisteron.
Or, depuis cet été, les urgences de Sisteron n’ont jamais rouvert la nuit. Or le bricolage comme la bonne volonté ne sont pas des politiques acceptables, surtout quand la sécurité des patients mais aussi la nécessaire accessibilité aux services publics sur tout le territoire et dans les mêmes conditions sont en jeu.
Élu des Alpes-de-Haute-Provence, je ne peux pas accepter d’être le sénateur d’un département où le service public de la santé n’existe que le jour. Je ne peux accepter non plus que, à terme, ce service public de nuit soit assuré dans d’autres départements, ce qui contraindrait les patients à des déplacements encore plus longs, dans des conditions parfois plus difficiles – nous nous situons dans un territoire de montagne –, qui seraient inadaptées à la gravité de certaines pathologies.
Des discussions ont eu lieu avec l’ARS (agence régionale de santé) pour trouver des solutions. Or, dans leur rapport sur les urgences hospitalières remis le 19 décembre dernier à Mme la ministre des solidarités et de la santé, le docteur Thomas Mesnier, député de Charente, et le professeur Pierre Carli, patron du SAMU de Paris, suggèrent d’ores et déjà d’autoriser la fermeture des urgences la nuit dans certains hôpitaux.
Madame la secrétaire d’État, la publication de ce rapport laisse entendre à tous les acteurs de la santé du département que l’hôpital de Sisteron ou d’autres services d’urgence du département, eux aussi fragilisés, pourraient être les premiers concernés par ces fermetures permanentes la nuit.
Pourtant, des solutions existent, à titre expérimental s’il le faut, pour que nos habitants bénéficient d’un réel accès aux soins les plus vitaux à proximité de leur domicile.
Concernant les difficultés de recrutement des médecins, puisque le salaire des médecins intérimaires doit être plafonné, le salaire des nouveaux médecins concourant à la permanence des soins dans ces structures pourrait bénéficier d’une surprime permanente en cas de travail de nuit.
On peut également envisager l’ouverture de maisons médicales de garde sans condition d’un nombre moyen de passages aux urgences, ou encore l’aménagement du temps partagé de médecins salariés dans des centres de santé à l’hôpital.
En outre, on pourrait prévoir l’implantation systématique de plateaux techniques, radiologiques et biologiques dans tous les déserts hospitaliers la nuit.
Enfin, des urgences gérontologiques pourraient elles aussi être expérimentées dans notre département, avec une nouvelle approche de la dépendance.
Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous me confirmer que l’hôpital de Sisteron et les autres hôpitaux du département auront bien des urgences de nuit ? Allez-vous soutenir la mise en place d’un nouveau modèle pour les urgences hospitalières de nuit dans nos territoires ruraux, fondé sur la proximité et adapté aux réalités géographiques et humaines de notre pays ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, le service d’accueil des urgences du centre hospitalier intercommunal des Alpes du Sud à Sisteron (Chicas) est en effet fermé de 20 heures à 8 heures du matin depuis le début de l’été. Cette fermeture est due à une absence médicale qui n’a pu être compensée.
De fait, l’établissement est confronté à des difficultés de recrutement dans un contexte national et départemental de raréfaction des ressources médicales, notamment urgentistes.
Seul le service d’accueil des urgences est fermé la nuit. Le SMUR de l’établissement ainsi que l’unité d’hospitalisation post-urgences continuent de fonctionner. La prise en charge urgente des patients sur le territoire est assurée.
Le Chicas, dont dépend l’établissement de Sisteron, prévoit la mutualisation des postes d’urgentistes entre sites : une clause obligatoire a été ajoutée dans les contrats de recrutement des nouveaux praticiens intégrant l’établissement. Environ 20 % du temps de travail des urgentistes venant travailler à Gap devra être effectué sur le site de Sisteron.
Par ailleurs, un projet de mutualisation des centres d’appel 15, du SAMU 04 et du SAMU 05 a vocation à apporter une réponse rapide à ce manque de ressources médicales. Dans cette hypothèse, la régulation médicale s’effectuerait en alternance dans les locaux du SAMU de l’un ou l’autre des départements. Cette organisation, vous en conviendrez, permettra de libérer du temps médical dans les services des urgences.
Ces mesures au niveau local viennent s’ajouter aux dispositions structurelles qui ont été annoncées dans le cadre du pacte de refondation des urgences. Parmi les douze mesures annoncées, la simplification des procédures de recrutement médical et l’encadrement de l’intérim médical viennent conforter le travail engagé localement par la direction du Chicas et l’ARS PACA (Provence-Alpes-Côte d’Azur), afin de favoriser le recrutement d’urgentistes.
Par ailleurs, le service d’accès aux soins déployé dès l’été 2020 doit garantir une réponse médicale de qualité en tous points du territoire.
Soyez assuré, monsieur le sénateur, que nous sommes pleinement mobilisés pour apporter à nos concitoyens les résultats qu’ils attendent légitimement. Les services de l’ARS PACA suivent avec une attention très particulière la situation des urgences de Sisteron.
(Mme Catherine Troendlé remplace Mme Hélène Conway-Mouret au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé
vice-présidente
nouveau modèle tarifaire des allocations de solidarité départementales
Mme la présidente. La parole est à M. Hugues Saury, auteur de la question n° 1032, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
M. Hugues Saury. Madame la secrétaire d’État, ma question porte sur le nouveau modèle tarifaire des allocations de solidarité.
À la suite de la réunion du comité de pilotage de l’aide à domicile le 11 février 2019, et après concertation avec les dix fédérations nationales et les départements, le principe d’un nouveau modèle tarifaire a été arrêté.
Ce dernier repose sur un tarif de référence national plancher pour l’APA (allocation personnalisée d’autonomie) et la PCH (prestation de compensation du handicap), ainsi qu’un complément de financement sur objectif, appelé modulation positive, dans le cadre d’un CPOM (contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens).
Dans l’attente de cette réforme globale, vous avez annoncé une enveloppe de 50 millions d’euros, qui permettrait aux conseils départementaux volontaires de commencer à mettre en œuvre cette modulation positive à titre expérimental.
Le décret n° 2019-457 du 15 mai 2019 est venu fixer le cadre de cette démarche. Après avoir postulé auprès de la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie), mon département, le Loiret, a engagé une concertation avec les sept fédérations présentes sur son territoire pour définir un cahier des charges conjoint, puis lancer un appel à candidatures. Une enveloppe de 664 140 euros a depuis été notifiée par la CNSA.
Jusque-là, tout va bien, sauf que le préfet du département, saisi dans le cadre du pacte de Cahors – et c’est bien là ma question –, a indiqué qu’il n’était « pas prévu de retraiter les dépenses exposées par les départements dans le cadre de la réforme de financement des services d’aide et d’accompagnement à domicile qui ne correspondent ni à un transfert de compétences ni à un élément exceptionnel ».
Or il semblerait que cette position diverge d’un département à l’autre.
Je souhaite donc savoir, madame la secrétaire d’État, si les dépenses engagées par le département du Loiret et qui correspondent à l’enveloppe allouée relèvent du plafond défini par l’article 29 de la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, ou si elles en sont exclues
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, je vous remercie pour votre question, qui me donne l’occasion de compléter ma précédente réponse et de rappeler que le Gouvernement est pleinement mobilisé sur les enjeux liés au vieillissement de la population.
L’aide à domicile constitue l’un des piliers de la réforme Grand âge et autonomie à venir. Elle vise à répondre à la préférence exprimée par nos concitoyens de pouvoir continuer à vivre chez eux.
Je profite de cette réponse pour remercier les professionnels de l’aide à domicile, qui font un métier indispensable, très gratifiant, mais difficile, comme l’a encore montré cet automne Myriam El Khomri dans son rapport.
Nous avons souhaité que, dès 2019, une enveloppe de 50 millions d’euros soit allouée aux services d’aide et d’accompagnement à domicile, afin de préfigurer la mise en place d’un nouveau modèle de financement visant à améliorer la qualité du soutien à domicile, tant pour les personnes accompagnées que pour les professionnels.
Cette enveloppe a été versée aux départements volontaires qui, comme vous le savez, sont chefs de file des politiques sociales, et dont nous voulons faire des acteurs de premier plan du maintien à domicile. Agnès Buzyn a récemment eu l’occasion d’évoquer ce sujet devant eux lors d’un séminaire organisé par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie.
Le département du Loiret s’est engagé dans cette voie de l’amélioration des services à domicile, initiative qu’il faut saluer. Je précise que ces crédits, qui financent des dépenses de fonctionnement, relèvent bien du plafond défini par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.
Désormais, nous souhaitons construire un partenariat renouvelé et renforcé avec les conseils départementaux. La réforme à venir pour le grand âge et l’autonomie doit nous permettre de renforcer les coopérations dans les territoires, pour garantir la qualité de l’accompagnement de nos aînés et de leurs aidants.
Mme la présidente. La parole est à M. Hugues Saury, pour la réplique.
M. Hugues Saury. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie pour votre réponse mais, vous vous en doutez, celle-ci ne me convient pas, non plus qu’aux départements ou probablement aux associations.
En réalité, le Gouvernement engage une politique, la finance, la délègue aux départements, qui sont prêts à l’appliquer dans les territoires mais, en définitive, il reprend d’une main ce qu’il avait donné de l’autre. Les départements sont lésés, les associations leurrées, et ce sont les usagers qui pâtissent de la situation. J’espère que le bon sens permettra de revenir à un dispositif plus approprié.
extension des effets du fonds de garantie aux accidents médicaux
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, auteur de la question n° 1041, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
M. Philippe Bonnecarrère. Madame la secrétaire d’État, je souhaiterais que vous vous penchiez sur la situation des victimes d’accidents médicaux, mais aussi sur celle des médecins qui peuvent être les auteurs de tels accidents au cours de vies professionnelles, par ailleurs, parfaitement honorables.
Ma question porte sur l’extension du fonds de garantie des dommages consécutifs à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins dispensés par des professionnels de santé exerçant à titre libéral, et aux accidents médicaux faisant l’objet d’une réclamation au sens de l’article L. 251-2 du code des assurances, afin que celui-ci s’applique à compter du 1er janvier 2011, en lieu et place du 1er janvier 2012.
Madame la secrétaire d’État, il s’agit de combler une espèce de « trou » législatif, qui a subsisté malgré deux dispositions légales datant de 2002, et une disposition votée en 2011.
À l’époque, des discussions affreusement compliquées ont eu lieu entre le Gouvernement, le Parlement et les compagnies d’assurance pour essayer de trouver une solution à l’insuffisance des garanties données par les contrats d’assurance qui avaient pu être souscrits à l’étranger. Pour faire bref, il s’agissait de trouver une solution à un problème de défaut partiel d’assurance.
Après l’adoption des dispositions légales de 2002, il est apparu qu’il restait encore des trous. Il a donc été mis en place un fonds de garantie, financé par la profession, s’agissant en particulier des actes de gynécologie.
Pour des raisons techniques de calcul de prescription, il reste une dernière zone non couverte par le fonds : elle concerne des accidents ayant fait l’objet d’une déclaration, à compter non pas du 1er janvier 2012, mais du 1er janvier 2011. En clair, une douzaine de médecins, essentiellement des gynécologues-obstétriciens, ne seraient aujourd’hui pas couverts.
Seuls les professionnels de santé financent ce fonds. Si cette extension n’est pas accordée, ce sont les caisses primaires d’assurance maladie qui devront couvrir les dommages.
Je ne parviens pas à aborder le nœud du débat puisque, lorsque l’on examine le projet de loi de financement de la sécurité sociale, on me répond qu’il faut aborder le sujet au moment de la loi de finances et que, en loi de finances, on m’oppose l’article 40 de la Constitution.
Le Gouvernement pourrait-il étudier et, de mon point de vue, accepter cette extension de la couverture du fonds de garantie au 1er janvier 2011 ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, je vous remercie pour votre question.
Le ministère de la santé a également été informé des difficultés auxquelles sont confrontés plusieurs médecins qui font face à des défauts de couverture assurantielle. Nous sommes sensibles à la situation de ces médecins et de leurs familles.
Néanmoins, une extension de la garantie du fonds ne peut se faire que sous deux conditions : le respect absolu de l’indemnisation des patients et le maintien de l’équilibre financier du fonds. L’assurance fournie à certains praticiens pour des litiges passés ne doit pas nous pousser à prendre le moindre risque pour la viabilité de l’assurance future de leurs confrères et des victimes.
Des travaux sont actuellement en cours pour évaluer les modalités de mise en œuvre de cette extension : il faudrait s’assurer que le fonds puisse couvrir le coût de l’extension de la garantie dans le temps. Cette extension des effets du fonds au 1er janvier 2011, voire même antérieurement si d’autres médecins que ceux qui sont aujourd’hui identifiés étaient concernés, pourrait faire peser un risque d’insolvabilité au fonds si les projections présentées étaient sous-estimées et les ressources mobilisées insuffisantes.
Ce risque ne doit pas être pris. Il est dans l’intérêt des patients qu’un financement complémentaire soit envisagé en cas d’extension des garanties couvertes par le fonds, ce que ne prévoyaient pas les amendements présentés lors de l’examen des textes budgétaires.
situation alarmante du centre hospitalier du rouvray à sotteville-lès-rouen
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, en remplacement de M. Didier Marie, auteur de la question n° 1042, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Avant de commencer, madame la présidente, je me permets de préciser que, si M. Didier Marie est absent, c’est parce qu’il est retenu dans les transports.
Je le remplace donc au débotté pour poser une question à laquelle il est très attaché. Elle porte sur la situation particulièrement préoccupante dans laquelle se trouve le centre hospitalier du Rouvray à Sotteville-lès-Rouen depuis 2018.
Ce centre hospitalier vit effectivement une période de crise durable qui ne cesse de s’aggraver à tous les points de vue.
Tout d’abord, les locaux ne permettent plus d’assurer un accueil digne des personnes. L’occupation des lits dépasse largement la capacité de l’établissement. Ainsi, certains patients se retrouvent à dormir dans la salle de visite des familles ou dans des bureaux ; d’autres sont obligés de cohabiter dans des chambres très exiguës, le nombre de patients étant parfois trois fois plus élevé que l’unité prévue.
Parallèlement, les conditions matérielles d’habitation sont déplorables : absence systématique de lunettes sur les cuvettes des toilettes, pas de sanitaires individuels. Les patients n’ont pas d’intimité : absence de serrure aux portes des chambres, portes avec des fenêtres transparentes, pas de dispositif de fermeture des placards.
Par ailleurs, la liberté fondamentale d’aller et venir des patients est bafouée. La libre circulation des patients en soins libres dépend de la disponibilité des soignants : ils sont donc très souvent soumis à un enfermement injustifiable. Les patients en soins sans consentement sont privés de leurs droits ipso facto, bien que les textes prévoient que toute restriction individuelle doit être décidée en fonction de l’état clinique du patient, après évaluation médicale.
En outre, les pratiques d’isolement sont complètement illégales. L’isolement doit être une procédure de dernier recours. Or, dans de nombreux cas, la contention est la règle, et la liberté l’exception. Les conditions de rétention de ces patients sont particulièrement avilissantes : sans accès aux sanitaires, vous imaginez comment les choses se passent ! Sans accès aux personnels soignants, ils sont condamnés à se blesser physiquement en frappant à la porte autant de temps que nécessaire.
Les patients sont également dessaisis de leur statut d’hospitalisation et de leurs droits. Ils ne disposent d’aucune information de la part des soignants sur l’offre de soins et les conditions de vie pendant leur séjour.
Enfin, il faut y insister, les droits des enfants sont constamment et consciemment foulés au pied. Cette situation ne peut plus durer. Il est incompréhensible que des enfants de moins de 12 ans soient enfermés dans la même chambre que des adultes. Selon le rapport de la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, ces enfants ont pu être violentés, parfois sous l’emprise de stupéfiants, ou encore victimes de sévices sexuels.
Cette situation est inadmissible et injustifiable. Les plaintes et les patients en souffrance ne peuvent plus être ignorés. Il est de la responsabilité du Gouvernement d’agir. Aussi, madame la secrétaire d’État, M. Marie vous demande comment le Gouvernement entend-il restaurer une situation d’accueil des patients digne de ce nom.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, cette visite de la contrôleure générale des lieux de privation de liberté s’est déroulée dix-huit mois après le conflit social intervenu en 2018.
Comme vous le savez, le protocole d’accord signé entre la direction et les syndicats en juin 2018 prévoyait la création en priorité de trente nouveaux postes de soignants, dont le déploiement était prévu sur une année. La création de ces postes a fait l’objet d’un accord de financement intégral avec l’ARS Normandie pour un montant de 1,35 million d’euros.
Conformément au protocole, les crédits correspondant aux vingt premiers postes ont été délégués et les recrutements intégralement effectués entre juin 2018 et juin 2019. L’ARS a délégué les crédits relatifs aux dix derniers postes en octobre 2019. Les professionnels concernés sont en cours de recrutement.
Au-delà de ces moyens supplémentaires, le protocole prévoyait également la mobilisation des équipes médicale et soignante pour formaliser des projets en vue de l’amélioration des prises en charge.
Ainsi, le projet de création d’une unité dédiée à la prise en charge des adolescents a été transmis par l’établissement à l’ARS au début du mois d’octobre 2019. Cette unité devrait voir le jour dans des locaux adaptés et rénovés en novembre 2020, à l’issue des travaux nécessaires à son installation.
Dès la communication des recommandations de la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, une réunion de travail entre le directoire de l’établissement et l’ARS s’est tenue. Elle a permis d’identifier les premières actions à mettre en œuvre en urgence.
Tout d’abord, il faut une accélération du plan de rénovation de l’établissement visant l’humanisation des conditions d’hébergement. Le plan actuel, prévu sur cinq ans, sera adapté pour permettre sa mise en œuvre complète d’ici à douze mois. Les surcoûts liés à la mise en place de ce plan feront l’objet d’un accompagnement budgétaire à hauteur de 1 million d’euros : ces crédits viennent d’être délégués par l’ARS.
Il faut également accélérer le déploiement de nouveaux dispositifs de réhabilitation psychosociale selon un calendrier à définir.
Enfin, il faut une actualisation du projet médical : l’établissement engagera dès le mois de janvier une révision de son projet médical avec l’appui d’un conseil extérieur, dans l’objectif de limiter strictement les restrictions à la libre circulation des patients à la mise en œuvre du traitement requis.
Soyez assurée, madame la sénatrice, que le ministère, comme l’ARS, suit avec beaucoup d’attention la situation de cet établissement et accordera les moyens nécessaires.
consultations externes proposées par les hôpitaux de proximité dans les territoires sous-dotés
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, auteure de la question n° 1045, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur l’inégalité de traitement entre la ville et l’hôpital concernant le financement des consultations externes.
Dans un contexte de désertification médicale grandissante, nombreux sont les hôpitaux de proximité qui proposent des consultations réalisées par les praticiens exerçant au sein de ces établissements, ou bien par des médecins retraités qui acceptent de redevenir salariés des hôpitaux. Ils assurent ainsi l’offre de soins dans des secteurs en grande carence.
Certes, l’activité externe n’est pas le cœur de métier de l’hôpital public, mais, si l’on s’en tient à la conception de l’hôpital de proximité telle que la développe votre gouvernement, ces établissements ont plus que jamais vocation à combler les manques existants, tout en favorisant bien sûr un partenariat et une dynamique avec les médecins libéraux locaux.
Ces activités diversifiées, consultations auprès de spécialistes, de généralistes, actes de biologie, sont de même nature que celles que réalisent les praticiens libéraux en cabinet de ville. Les tarifs de ces actes et consultations externes à l’hôpital sont déterminés de façon exogène par les conventions liant l’assurance maladie aux professionnels de santé libéraux.
Pourtant, à ce jour, les majorations tarifaires issues de ces conventions ne sont pas appliquées aux établissements de santé. En effet, un dispositif réglementaire limite nominativement les majorations transposables à l’activité d’actes et consultations externes des établissements de santé.
Cette discrimination de traitement entre la ville et l’hôpital pour des soins pourtant similaires est injuste et préjudiciable, non seulement aux populations locales déjà dépourvues de médecins libéraux, mais également au budget de ces établissements de santé, souvent de petits hôpitaux en grande difficulté financière du fait de la tarification à l’activité (T2A) toujours pratiquée à ce jour.
Cette discrimination entraîne la remise en cause de ces activités par ces petits hôpitaux largement sous-rémunérés selon l’inspection générale des affaires sociales.
À l’heure où le financement au parcours est un élément constitutif de la stratégie nationale de santé, madame la secrétaire d’État, pensez-vous accorder aux établissements de santé un financement équitable de leurs actes et consultations externes, de manière à permettre cet ultime recours aux populations souvent rurales, qui n’ont d’autre solution que leurs hôpitaux de proximité ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, votre question porte sur le financement des consultations de spécialités dans les hôpitaux de proximité.
Nous sommes, tout comme vous, attachés à ce que l’accès à un spécialiste soit garanti à tous, et ce sur tous les territoires. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a souhaité, dans la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé votée l’été dernier, confier obligatoirement aux hôpitaux de proximité la mission de proposer des consultations de spécialités.
Ces consultations pourront être assurées par des praticiens hospitaliers d’autres établissements dans le cadre de consultations avancées, ou par des praticiens libéraux du territoire via des coopérations avec les cabinets de ville. Celles-ci pourront également être réalisées par télémédecine, notamment dans les territoires isolés.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a permis de poser un modèle de financement adapté aux missions de ces hôpitaux, qui rompt avec la logique de la T2A. En effet, le financement de leur activité de médecine fera désormais l’objet d’une garantie pluriannuelle, qui assure à l’établissement de ne pas perdre de recettes sur la durée d’un cycle de trois ans, même si son activité venait à baisser.
Ces hôpitaux bénéficieront aussi de crédits supplémentaires : la dotation de responsabilité territoriale leur permettra d’exercer les missions d’appui au premier recours, de prévention, de prise en charge globale des personnes âgées qu’ils assurent en coopération avec l’ensemble des acteurs de leurs territoires.
Vous avez raison de noter que l’offre de consultations externes, du fait de ses modalités techniques de financement, est parfois déficitaire pour des établissements de petite taille. Aussi l’article 33 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 précise-t-il explicitement que cette dotation de responsabilité territoriale vise à soutenir l’offre de consultations de spécialités.
Enfin, vous soulignez à juste titre l’asymétrie qui prévaut actuellement entre la ville et l’hôpital concernant l’application des majorations des conventions médicales. Ces dernières ne s’appliquent en effet aux établissements de santé que dès lors qu’elles ont été expressément prévues par un arrêté.
À la suite de la publication de la convention médicale du mois d’août 2016, une réflexion sur l’ouverture progressive aux établissements de santé de l’ensemble des majorations tarifaires applicables aux actes et consultations externes a été lancée.
Les travaux de transposition des majorations se poursuivent. Nous continuerons à mieux valoriser cette activité de prise en charge externe, notamment dans les territoires isolés et ruraux, où l’on en mesure bien toute la nécessité.
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour la réplique.
Mme Anne-Catherine Loisier. Nous allons suivre de près les évolutions que vous évoquez, madame la secrétaire d’État. J’attire simplement votre attention sur le fait qu’il s’agit souvent de consultations non pas de spécialistes, mais de généralistes.
En effet, il n’y a plus de généralistes de proximité et les hôpitaux ne peuvent plus assumer les dépassements de forfait kilométrique pour se rendre au domicile de personnes âgées, qui ne disposent pas d’autre moyen de transport.
pénurie de médicaments
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Micouleau, auteure de la question n° 1046, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Brigitte Micouleau. Madame la secrétaire d’État, la situation est dramatique.
Alors que, le 8 juillet 2019, le Gouvernement a présenté vingt-huit mesures pour lutter contre les pénuries et améliorer la disponibilité des médicaments en France, s’inspirant des conclusions du rapport présenté le 27 septembre 2018 par la mission d’information du Sénat sur les pénuries de médicaments et de vaccins, la situation ne s’améliore pas. Elle s’est même encore aggravée depuis la fin de l’été.
Membre de cette mission d’information, je peux témoigner qu’un constat alarmant avait été dressé. Il y a plus d’un an, nous dénoncions déjà une mise en danger préoccupante de certains patients. Ceux-ci sont à présent confrontés, tout comme les pharmaciens, à une grave pénurie de médicaments.
Corticoïdes, antibiotiques, vaccins, la liste des médicaments en rupture de stock est longue. En mars 2018, j’alertais le Gouvernement sur le risque d’une rupture d’approvisionnement du BCG intravésical, utilisé dans le traitement du cancer de la vessie. Aujourd’hui, la rupture de stock du BCG-medac est effective. En France, les patients ne peuvent plus suivre leur traitement. Les urologues leur répondent qu’il faut patienter sans leur donner plus de précisions.
Devant une telle situation d’urgence, madame la secrétaire d’État, je vous interroge sur les actions efficaces que le Gouvernement entend prendre pour garantir à ces patients la légitime continuité de leurs soins et pour remédier à ce grave enjeu de santé publique.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, vous l’avez rappelé et vous le savez, les ruptures de stock de médicaments sont une préoccupation majeure des pouvoirs publics. C’est un phénomène ancien qui ne date pas d’aujourd’hui.
Selon l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, les signalements de tensions d’approvisionnement de médicaments ont été multipliés par vingt en dix ans.
Face à ce constat et afin d’améliorer rapidement la situation, la ministre des solidarités et de la santé a présenté, le 8 juillet 2019, une feuille de route « lutter contre les pénuries et améliorer la disponibilité des médicaments en France », construite autour de quatre axes et de vingt-huit actions opérationnelles.
Le comité de pilotage chargé de la stratégie de prévention et de lutte contre les pénuries de médicaments a été installé au mois de septembre. Il rassemble les associations de patients, tous les acteurs de la chaîne d’approvisionnement, les médecins, les pharmaciens et les autorités nationales compétentes. Cette instance suivra l’évolution des travaux de la feuille de route menés dans le cadre des différents groupes de travail mis en place, et se réunira trois fois par an.
En parallèle, compte tenu de l’impact des ruptures de stock dont vous avez rappelé l’effet pour certains médicaments, des mesures de prévention et de régulation ont été introduites à l’article 48 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020.
D’une part, ces mesures visent à imposer, pour tout industriel, l’obligation de constituer un stock de sécurité qui ne peut excéder quatre mois pour tout médicament. D’autre part, le texte prévoit une obligation d’importation, aux frais de l’industriel, en cas de rupture d’un médicament d’intérêt thérapeutique majeur pour lequel une rupture ou un risque de rupture de stock présente pour les patients un risque grave ou immédiat, ou en cas de rupture de stock d’un vaccin.
J’ajoute que les sanctions concernant les manquements des industriels en cas de rupture de stock sont renforcées.
Pour simplifier le parcours du patient, nous avons rendu possible le remplacement de médicaments par le pharmacien d’officine en cas de rupture de stock d’un médicament d’intérêt thérapeutique majeur.
Par ailleurs, le Premier ministre a confié à M. Jacques Biot une mission visant à procéder à l’analyse des causes profondes de cette situation en matière de choix industriels. Il doit analyser les processus de production et logistiques en vue d’en identifier les points de faiblesse et de proposer des solutions qui viendront s’ajouter à la feuille de route.
La difficulté n’est donc pas ignorée. Le Gouvernement, dans la loi de financement de la sécurité sociale, a prévu des mesures de financement qui sont en train de se mettre en place.
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Micouleau, pour la réplique.
Mme Brigitte Micouleau. Madame la secrétaire d’État, j’entends bien votre réponse et vos arguments, mais je doute qu’ils satisfassent les patients, notamment ceux qui sont atteints d’une tumeur à la vessie.
Les informations communiquées par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé sont effrayantes : après les conseils de limiter la rétrocession de médicaments, de distribuer les unités par deux et non plus par six, la rupture de stock au 7 janvier 2020 est effective. Elle perdure depuis le 2 décembre 2019 et la remise à disposition n’interviendrait qu’à la fin du mois de février 2020. Il est urgent d’agir !
augmentation du prix des médicaments
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia, auteur de la question n° 554, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Catherine Procaccia. Madame la secrétaire d’État, j’ai posé cette question par écrit il y a un an. Faute de réponse, je l’ai reposée sous la forme d’une question orale. J’espère que la difficulté dont je faisais état est aujourd’hui en partie résolue.
Depuis janvier 2019, les honoraires de dispensation des pharmaciens sont de 50 centimes par ordonnance. Cette somme est augmentée de 2 euros pour des médicaments spécifiques – anxiolytiques et hypnotiques, par exemple – et de 50 centimes selon l’âge du malade – moins de 3 ans et plus de 70 ans.
Tout cela, reconnaissez-le, est déjà bien compliqué. Comment font les patients dont les complémentaires ne prennent pas en charge les médicaments remboursés à 15 % ou à 30 % par la sécurité sociale ? Les 33 % d’honoraires de dispensation ne seront donc pas payés par les mutuelles, mais ils seront acquittés par les malades.
Comme la prise en charge de la mutuelle n’est déclenchée qu’en cas de demande de remboursement à la sécurité sociale, certains patients n’ont-ils pas intérêt à régler intégralement le prix du médicament pour éviter de payer un prix plus élevé en raison de l’honoraire du pharmacien, lequel ne sera pas pris en compte ? Sans compter que les sur-honoraires pour les médicaments prescrits aux enfants et aux personnes âgées sont passés à 3,5 euros et à 1,55 euro pour les anxiolytiques.
Il y a un an, je demandais déjà si l’information des patients sur cette situation pour le moins compliquée était prévue. Depuis un an, je suis allée un certain nombre de fois chez le pharmacien : je n’ai jamais eu aucun éclaircissement. Par conséquent, lorsque je paie un médicament, je ne sais pas quelle est la part du médicament, d’autant qu’il n’y a pas d’étiquette, et quelle est celle des honoraires du pharmacien. Pourrions-nous obtenir des éléments de réponse ?
J’aimerais également que le patient puisse choisir chez le pharmacien de ne pas demander le remboursement à la sécurité sociale d’un seul des médicaments mentionnés sur l’ordonnance.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, permettez-moi tout d’abord de rappeler brièvement le contexte de mise en place de ces nouveaux honoraires.
Une réforme du mode de rémunération des pharmaciens a été engagée avec la mise en place, en 2015, d’un honoraire au conditionnement et d’un honoraire pour ordonnance dite « complexe », facturé dès lors que les pharmaciens exécutent une prescription comportant au moins cinq lignes de médicaments différents remboursables, facturés à l’assurance maladie.
Une seconde étape a été engagée avec l’avenant n° 11 en 2017, qui prévoit la mise en place de trois nouveaux honoraires de dispensation en plus de ceux qui sont en vigueur depuis le 1er janvier 2015.
S’agissant des conditions de prise en charge de ces honoraires par l’assurance maladie obligatoire, elles diffèrent selon le type d’honoraire. Pour l’honoraire au conditionnement, le taux de prise en charge est le même que celui du médicament dispensé, lequel dépend du niveau de service médical rendu (SMR). Pour les médicaments à SMR important, le taux est fixé à 65 % ; pour ceux à SMR modéré, le taux est de 30 % ; pour ceux à SMR faible, le taux est de 15 %.
Pour l’honoraire pour ordonnance dite « complexe », la participation de l’assuré est supprimée.
Pour les trois nouveaux honoraires de dispensation, le taux de prise en charge par l’assurance maladie est de 70 %, soit une participation de l’assuré de 30 %.
Pour ce qui concerne les modalités d’information sur les prix des médicaments et les honoraires de dispensation dans les officines de pharmacie, elles sont fixées par un arrêté du ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique, datant du 28 novembre 2014 et publié le 4 février 2015. Ce texte sera mis à jour en 2020 pour, notamment, intégrer les nouveaux honoraires de dispensation mis en place depuis le 1er janvier 2019.
Enfin, la liste des médicaments dit « spécifiques » faisant l’objet d’un honoraire de dispensation particulière figure en annexe II.4 de l’avenant n° 11 de la convention nationale organisant les rapports entre les pharmaciens titulaires d’officine et l’assurance maladie.
La Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) est chargée de la mise à jour hebdomadaire de cette liste.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour la réplique.
Mme Catherine Procaccia. Je n’ai rien compris à votre réponse, madame la secrétaire d’État. Je présume que mes collègues ici présents se seront rendu compte que le sujet était horriblement complexe. Nul ne sait ce qui est à la charge du patient. Publier en 2020 un texte pour des mesures qui s’appliquent depuis 2019 prouve bien qu’il n’y a aucune transparence !
refonte des minima sociaux et inquiétudes des représentants du monde du handicap
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, auteure de la question n° 1068, adressée à Mme la secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Madame la secrétaire d’État, la grande majorité des associations représentatives des personnes handicapées est très défavorable à l’intégration de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) dans le revenu universel d’activité (RUA) annoncée par le Gouvernement.
Ces associations estiment à bon droit que l’AAH est non pas un minimum social, mais une prestation sociale liée à la reconnaissance d’une incapacité spécifique souvent, hélas, pérenne.
Intégrer l’AAH dans le RUA serait non seulement une remise en cause fondamentale des droits des handicapés et du cadre législatif acté en 1975 et en 2005, mais entraînerait de surcroît très vraisemblablement une dégradation des droits des bénéficiaires de cette prestation, alors même que, dans le cas d’une politique réellement inclusive, le montant actuel de l’AAH mériterait grandement d’être réévalué au regard des besoins des personnes handicapées.
Entendez-vous prendre en compte ces inquiétudes et renoncer à l’intégration de l’AAH dans le RUA ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer sur cette question importante du revenu universel d’activité et de l’inscription de l’allocation aux adultes handicapés au sein des concertations ouvertes en juin dernier sur le revenu universel d’activité.
Ce minimum social, témoin de la solidarité nationale, a été très fortement revalorisé par le Gouvernement. Comme vous le savez, la hausse s’élève à plus de 11 %.
L’AAH étant un minimum social, elle fait logiquement partie de la réflexion sur le revenu universel d’activité, qui vise à simplifier le système de prestations sociales afin de renforcer sa cohérence, son accessibilité, son équité et sa lisibilité. Il a également pour objet de procurer systématiquement un gain lors de la reprise d’un emploi pour encourager le retour à l’activité.
Cette réforme fait l’objet d’une concertation institutionnelle et citoyenne afin de permettre une large consultation de l’ensemble des personnes intéressées. La concertation institutionnelle s’appuie sur différents collèges. Le 4 juillet dernier, Sophie Cluzel a lancé les travaux du collège thématique dédié aux personnes en situation de handicap. Ce n’est qu’à l’issue de cette concertation que le périmètre de la réforme sera arrêté. Aucune décision n’est donc prise concernant l’AAH.
L’objectif du revenu universel d’activité étant de lutter contre la pauvreté et de la faire reculer, le Gouvernement ne portera en conséquence aucune réforme qui pénaliserait les plus vulnérables.
Cependant, exclure de cette réflexion transversale à l’ensemble des bénéficiaires des minima sociaux le champ du handicap fermerait a priori le dialogue sur les questions de la pauvreté et de l’accompagnement des personnes en situation de handicap, privant notamment les jeunes d’un accompagnement vers l’activité.
Je rappelle que le revenu universel d’activité vise deux objectifs très clairs : l’accompagnement vers l’activité et l’assurance qu’une reprise d’activité se traduira par un gain. Il n’a pas vocation à précariser davantage ceux qui sont les plus fragiles et qui se trouveraient temporairement ou durablement très éloignés de l’emploi.
À cet égard, Sophie Cluzel et moi-même avons pris des engagements, notamment dans le cadre des concertations. Les allocataires de l’AAH ne s’inscrivent pas dans une conditionnalité de reprise d’activité. Le bénéfice du revenu universel d’activité ne sera donc pas attaché à une obligation de recherche et de reprise d’activité pour les personnes en situation de handicap.
Concernant l’accompagnement vers l’activité, un groupe de travail complémentaire est en cours depuis le début de l’année. Cette réforme tiendra compte évidemment de ces travaux. Je me suis également engagée à ce que l’ensemble de l’enveloppe allouée au handicap demeure consacré aux personnes en situation de handicap.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, pour la réplique.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Madame la secrétaire d’État, j’aimerais savoir chanter pour vous faire des gammes !
Non, l’AAH n’est pas un minimum social, c’est une prestation spécifique définie dans la loi de 1975 et dans celle de 2005, que je vous invite à relire !
Les bénéficiaires de l’AAH perçoivent cette allocation au regard de critères médicaux objectifs, qui établissent un taux d’incapacité les éloignant durablement de l’emploi, voire, hélas, très durablement pour beaucoup d’entre eux.
Vous n’ignorez pas que 20 % seulement des bénéficiaires de l’AAH travaillent, majoritairement dans des établissements et services d’aide par le travail, car ils ont besoin de ces structures.
La société inclusive dont le Gouvernement parle très souvent, madame la secrétaire d’État, ce n’est pas seulement une belle formule pour des effets de tribune. Une société inclusive, c’est une société qui s’adapte aux besoins spécifiques des personnes en situation de handicap que la vie n’a pas épargnées. Elle met en place pour chacune et pour chacun les mesures adaptées pour tendre vers l’équité. Telle n’est pas, à l’évidence, la philosophie du RUA. On verra d’ailleurs bien ce qu’il en adviendra.
Quoi qu’il en soit, je vous en conjure : l’AAH ne peut pas et ne doit pas disparaître au profit du RUA, car – je le répète – l’AAH n’est pas un minimum social !
poursuite et extension du dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée »
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller, auteur de la question n° 985, adressée à Mme la ministre du travail.
M. Philippe Mouiller. Ma question s’adresse à Mme la ministre du travail.
Le dispositif « Territoires zéro chômeur de longue durée », créé par la loi du 29 février 2016 d’expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée, a d’ores et déjà fait la preuve de son efficacité. Il s’inscrit dans le préambule de notre Constitution, qui dispose que « chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi ».
Ainsi, sur les 1 849 volontaires retenus pour expérimenter ce nouveau dispositif, plus de 850 personnes durablement privées d’emploi ont été embauchées dans le cadre d’un contrat de travail classique ou ont retrouvé un emploi. Plus de 20 % d’entre elles avaient un handicap qui rendait leur insertion professionnelle encore plus difficile.
De plus, cette expérimentation a un effet d’émulation sur chacun des territoires concernés, comme j’ai pu le constater à Mauléon, dans mon département des Deux-Sèvres.
Madame la secrétaire d’État, je suis étonné que le projet de loi d’extension de ce dispositif ne soit toujours pas inscrit à l’ordre du jour du Parlement.
Le Président de la République avait annoncé en septembre 2018, lors de la présentation de la stratégie de lutte contre la pauvreté, l’extension de l’expérimentation à 50 nouveaux territoires. Il a également insisté le 1er mars 2019, à Bordeaux, lors d’un grand débat, sur l’urgence d’étendre le dispositif.
Plus d’une centaine de territoires se sont déjà déclarés volontaires et sont dans l’attente de l’adoption de ce texte. Par ailleurs, 200 parlementaires soutiennent cette initiative et la Belgique s’apprête à expérimenter le projet.
Le président du Sénat lui-même vient de saisir le CESE (Conseil économique, social et environnemental) d’une demande d’avis sur la prévention et la réduction du chômage de longue durée, faisant référence à cette expérience.
L’extension du dispositif restait suspendue aux conclusions de rapports qui, aujourd’hui, sont connues. Ma question est simple : dans quel délai la deuxième loi d’expérimentation tant attendue sera-t-elle présentée au Parlement ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Muriel Pénicaud, retenue dans le cadre des concertations sur les retraites.
L’essaimage, ainsi que l’ouverture du dispositif « Territoires zéro chômeur de longue durée », est une mesure de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté.
Lutter contre le chômage de longue durée constitue l’une des priorités du Gouvernement et des réformes qu’il mène depuis deux ans.
S’agissant de l’expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée prévue par la loi du 29 février 2016, elle a été lancée de manière opérationnelle en janvier 2017. Nous en sommes donc à trois années tout juste de mise en œuvre.
Depuis 2017, douze entreprises à but d’emploi (EBE) ont été créées sur les dix territoires qui ont été retenus après appel à projets. Ce sont 900 personnes privées d’emploi qui ont pu être recrutées, dont 750 sont actuellement salariées. Je puis vous assurer à ce titre que le ministère du travail apporte son plein soutien à cette démarche expérimentale.
Ainsi, 1 000 équivalents temps plein supplémentaires seront financés en 2020, en cohérence avec la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté.
La contribution totale de l’État s’élève à 28,5 millions d’euros dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2020, soit une progression de 6,13 millions d’euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2019.
Cette expérimentation est intéressante, car elle permet de tester des modalités innovantes de lutte contre le chômage de longue durée. Comme toute expérimentation, il est désormais important de prendre du recul pour l’évaluer et partager avec tous les acteurs un diagnostic.
C’est dans ce sens que Muriel Pénicaud a réuni lundi 25 novembre dernier Laurent Grandguillaume, l’association qui porte l’expérimentation, le comité scientifique qui a remis son évaluation intermédiaire et les inspecteurs de l’IGAS (inspection générale des affaires sociales) et de l’IGF (inspection générale des finances) qui ont conduit une évaluation économique. Les rapports, comme vous l’avez rappelé, sont maintenant publics. Lors de cette réunion, chacun a pu partager ses conclusions. Elles convergent pour une grande part, qu’il s’agisse des fragilités comme des points positifs.
C’est pourquoi Muriel Pénicaud a demandé à l’association qui porte l’expérimentation et à ses services de poursuivre le travail de diagnostic – une réunion a eu lieu en décembre – pour permettre, dans les prochaines semaines, de faire des annonces sur les suites à donner à cette expérimentation.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour la réplique.
M. Philippe Mouiller. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse. Je prends bonne note de votre volonté affichée de soutenir cette expérimentation, ce que vous avez confirmé par les travaux menés.
J’ai également relevé les chiffres de mobilisation lors du budget. Je rappelle néanmoins que la demande vise avant tout à étendre le nombre des territoires concernés, même si force est de constater que les engagements financiers sont de plus en plus importants sur la durée. En effet, puisque l’expérimentation fonctionne, des recrutements ont lieu dans les différentes EBE.
J’ai pris bonne note de votre programmation. Vous avez fait référence à la fois aux réunions de bilan et aux réunions de concertation. Je connais bien l’association concernée : les diagnostics sont prêts. Je sais aussi que les textes sont déjà analysés. Il y a donc des allers-retours. Toutes les conditions sont donc sur la table pour décider par voie législative de l’extension de cette expérimentation.
Il est important de continuer dans cette dynamique : une rupture, une interrogation ou des non-réponses pourraient avoir des conséquences dramatiques sur les territoires. Nous avons un outil qui fonctionne. Les retours et le bilan sont plutôt favorables, la mesure ayant une incidence directe sur l’emploi. Au vu de l’état d’esprit du Gouvernement, il y a urgence à accélérer le déploiement du dispositif…
Mme la présidente. Il faut conclure !
M. Philippe Mouiller. … dans les mois et les semaines à venir.
extension de l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée » à la commune de port-jérôme-sur-seine
Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Canayer, auteur de la question n° 1072, adressée à Mme la ministre du travail.
Mme Agnès Canayer. Ma question risque d’être quelque peu redondante avec celle de mon collègue Philippe Mouiller puisqu’elle porte également sur l’extension de l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée », mais c’est la preuve qu’il s’agit d’une mesure attendue sur l’ensemble des territoires.
L’extension de cette expérimentation, comme l’a souligné à juste titre mon collègue, permettrait aux territoires de mettre en place des actions au plus proche des enjeux et des chômeurs de longue durée.
Je suis présidente d’une mission locale en Normandie et de l’association régionale des missions locales : on voit bien que ce sont les actions d’accompagnement global, menées en lien avec les différents enjeux territoriaux de proximité, tant en matière de développement économique, de création d’emplois que de soutien des personnes les plus en difficulté pour connecter la demande à l’offre, qui sont efficaces. Les résultats de l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » vont dans le bon sens.
La commune de Port-Jérôme-sur-Seine, en Seine-Maritime, et son agglomération Caux Seine Agglo ont développé une méthodologie tendant à mettre en place cette expérimentation sur un territoire extrêmement dynamique. L’engagement des collectivités locales est fort pour trouver des solutions innovantes en parallèle des actions de développement économique et d’attractivité du territoire de la vallée de la Seine. Il existe donc une forte attente sur le territoire pour bénéficier également du dispositif.
Je comprends parfaitement l’enjeu d’expérimentation et surtout d’évaluation du dispositif. Néanmoins, veillons à ce que l’évaluation ne retarde pas trop la mise en œuvre de mesures nécessaires et ne freine pas les énergies qui montent aujourd’hui dans nos territoires.
Madame la secrétaire d’État, il y a véritablement urgence, comme l’a souligné mon collègue Philippe Mouiller, à étendre rapidement cette expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » aux 105 projets validés qui sont en attente.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, permettez-moi de revenir sur mes propos et de compléter ma réponse précédente.
Le Gouvernement est pleinement mobilisé pour lutter contre le chômage de masse. Les résultats sont encourageants. Le taux de chômage, certes encore très élevé dans notre pays, a baissé de 9,6 % à 8,6 %, soit son plus bas niveau depuis dix ans.
Le nombre de créations d’emplois nettes s’élève à 258 000 cette année et à 540 000 depuis deux ans et demi. S’agissant de l’apprentissage, les résultats sont historiques : 458 000 apprentis, soit 8,4 % de plus au premier semestre 2019.
Ces résultats nous invitent à poursuivre l’effort, notamment à l’égard des jeunes, sujet que vous suivez attentivement au travers de l’action des missions locales.
Comme je l’ai souligné précédemment, nous apportons dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté des moyens importants aux missions locales pour accompagner plus de personnes dans le cadre de la garantie jeunes. Nous consacrons aussi des moyens financiers au titre de l’insertion, je pense à l’allocation Pacea (parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie). Il s’agit de leviers pour éviter que des jeunes n’entrent dans la précarité et la pauvreté.
Enfin, à partir du 1er septembre 2020, entrera en vigueur l’obligation de formation des 16-18 ans. Le rapport a été remis hier au Premier ministre, à la ministre du travail, Muriel Pénicaud, et à Jean-Michel Blanquer. C’est en faisant de la prévention pour que ces jeunes ne deviennent pas invisibles que nous pourrons lutter efficacement contre le chômage.
Je tiens également à réaffirmer le soutien total et entier du ministère du travail et du ministère des solidarités et de la santé à cette démarche expérimentale visant à résorber le chômage de longue durée.
Ainsi, 1 000 équivalents temps plein supplémentaires seront financés en 2020, en cohérence avec la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté. La contribution totale de l’État s’élève à 28,5 millions d’euros, soit 6,13 millions d’euros de plus qu’en 2019. C’est un financement quasi exclusif de l’État.
Cette expérimentation est innovante, comme je viens de le rappeler. Elle permet de tester des dispositifs nouveaux pour lutter contre le chômage de longue durée.
Pour compléter mes propos, je souhaite insister sur l’ensemble des moyens supplémentaires apportés aux 99 départements qui ont contractualisé avec l’État dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Le Gouvernement apporte donc des moyens financiers supplémentaires pour permettre un accompagnement global par le biais d’un travailleur social et d’un conseiller de Pôle emploi. Tout cela est nécessaire lorsqu’il s’agit de chômeurs de longue durée.
C’est une nouvelle dynamique puisque chaque bénéficiaire du RSA peut être accompagné en moins d’un mois. Tel est l’ensemble des enjeux, au-delà de l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée ».
Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour la réplique.
Mme Agnès Canayer. La stratégie de lutte contre le chômage de longue durée est extrêmement difficile. Elle nécessite, vous le savez, madame la secrétaire d’État, une réelle collaboration et un travail collectif.
Certes, le taux de chômage est aujourd’hui en baisse, mais ceux qui restent très éloignés de l’emploi sont aussi ceux qui sont les plus difficiles à accompagner, qu’il s’agisse des jeunes ou des moins jeunes. Tout le monde doit donc se mettre autour de la table. Il faut un accompagnement global et des expérimentations qui partent des territoires, de la base. Il est urgent d’étendre cette expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée », d’autant qu’elle est très attendue. Il s’agit pour nous d’un levier supplémentaire.
réforme des auto-écoles et du permis de conduire
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Luche, auteur de la question n° 674, adressée à M. le ministre de l’intérieur.
M. Jean-Claude Luche. Monsieur le secrétaire d’État, en mai 2019, le ministre de l’intérieur proposait dix mesures pour tenter de faire baisser le prix du permis de conduire de l’ordre de 30 %. À cette occasion, de nombreux gérants et personnels d’auto-écoles avaient affirmé leurs inquiétudes lors d’importantes manifestations.
Les auto-écoles dites « traditionnelles » subissent la concurrence de nouveaux prestataires sur internet, qui proposent des prix paraissant plus attractifs. Effectivement, ce ne sont pas les mêmes charges qui pèsent sur les uns et sur les autres. Les auto-écoles telles que nous les connaissons assurent un emploi stable à leurs personnels, paient des charges sociales, les véhicules, le carburant et les assurances.
Sur internet, les prestataires mettent en relation les élèves avec un moniteur auto-entrepreneur ou indépendant qui exerce à son compte. Avec ce mode de fonctionnement, l’État perd des ressources fiscales et sociales ; pour les personnels, les emplois deviennent précaires.
Si, par exemple, les auto-écoles traditionnelles venaient à disparaître dans mon département de l’Aveyron, il n’est pas sûr que des auto-entrepreneurs viennent proposer des heures de conduite. Pour passer le permis de conduire, les élèves devraient effectuer de nombreux kilomètres avant de pouvoir trouver un de ces nouveaux moniteurs.
C’est pourquoi je souhaite attirer l’attention du ministre de l’intérieur sur l’importance de maintenir des auto-écoles dites « traditionnelles » dans nos territoires ruraux. Sur les dix mesures annoncées en mai, trois ont été mises en place et d’autres sont expérimentées dans plusieurs départements. Que donnent ces expérimentations ? Quand les prochaines mesures entreront-elles en vigueur ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, la mobilité est une priorité du Gouvernement, car le permis de conduire constitue un véritable passeport vers l’insertion professionnelle et sociale.
Comme vous le savez, le secteur de l’éducation routière a été profondément bouleversé ces dernières années. L’émergence des nouveaux modèles en ligne, à condition qu’ils s’inscrivent dans le cadre de la loi et d’un apprentissage de qualité, peut constituer un complément à l’offre proposée dans nos territoires.
Mais il ne s’agit pas de remettre en cause le modèle auquel nous sommes attachés et qui favorise le lien social.
Les réformes entreprises depuis la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques ont permis de nombreuses avancées. Je pense, par exemple, à la réduction significative des délais de passage aux examens. À cet égard, je tiens à saluer l’engagement de nos 1 400 inspecteurs du permis et leur capacité à s’adapter en permanence aux nouveaux défis.
Dans la continuité des travaux engagés, un plan de réforme constitué de dix mesures, vous l’avez rappelé, a été présenté le 2 mai 2019 par le Premier ministre. Sur ces dix mesures, trois sont déjà entrées en vigueur : le développement de l’usage du simulateur de conduite dans la formation, qui requiert un local, le développement de l’apprentissage de la conduite sur boîte automatique et l’abaissement de l’âge de passage de l’examen dans le cadre de l’apprentissage anticipé de la conduite.
Les sept autres mesures sont en cours de déploiement. Portées notamment par la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités, elles concernent la gratuité de l’examen théorique pour les volontaires du service national universel, la mise en place d’une plateforme gouvernementale dédiée au choix de son auto-école, le développement des apprentissages accompagnés de la conduite, la mise en place d’une nouvelle épreuve théorique moto du code de la route, la modernisation de l’inscription à l’épreuve pratique de l’examen du permis de conduire ou encore la mise en place d’un livret d’apprentissage numérique.
Vous le constatez, le Gouvernement poursuit sa politique innovante et veille à ce que, quel que soit le modèle économique choisi, soient garantis un enseignement de qualité et la sécurité des apprentis conducteurs.
demande de reconnaissance de catastrophe naturelle émise par la commune de leforest
Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Van Heghe, auteure de la question n° 957, adressée à M. le ministre de l’intérieur.
Mme Sabine Van Heghe. Je souhaite interroger M. le ministre de l’intérieur sur la demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle émise par la commune de Leforest au titre de la sécheresse de 2018.
Du fait des sécheresses qui ont marqué les trois dernières années, des habitations ont été touchées par des mouvements de terrain, ce qui provoque de véritables drames humains.
Confronté à un risque d’effondrement, le maire de Leforest n’a eu d’autre choix, sa responsabilité étant engagée, que de prendre un arrêté de péril imminent, synonyme, pour les habitants concernés, d’expulsion, donc de désarroi moral et matériel, les intéressés devant continuer à rembourser leur crédit immobilier.
Jusqu’en décembre dernier, leur seul espoir était que l’état de catastrophe naturelle soit reconnu pour 2018, afin que les assurances puissent les indemniser. Cependant, sous l’impulsion d’un collectif de parlementaires issus de différents groupes politiques, a été adopté un amendement au projet de budget pour 2020 visant à dégager une somme de 10 millions d’euros pour parer aux situations les plus urgentes – les cas de grande détresse et d’urgence sociale. La commune de Leforest s’inscrit tout à fait dans ce cadre.
Je vous demande donc, monsieur le secrétaire d’État, d’agir avec diligence afin que les dégâts occasionnés par les sécheresses sur le territoire de la commune de Leforest puissent être réparés au mieux, sachant que le régime d’indemnisation de 1982 n’est plus du tout à la hauteur des enjeux.
Les sénateurs du groupe socialiste et républicain présenteront d’ailleurs demain, dans cet hémicycle, une proposition de loi réformant le régime des catastrophes naturelles. Ce texte vise à renforcer les droits des assurés, à accroître le montant des indemnisations dont ils bénéficient et à renforcer la prévention des dommages, en diminuant le reste à charge pour les particuliers. Il tend également à soutenir les élus, qui se trouvent en première ligne lors de la survenance d’une catastrophe naturelle, par exemple en instaurant, dans chaque département, une cellule de soutien aux maires confrontés à une telle catastrophe.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice, vous avez appelé mon attention sur la situation de la commune de Leforest, dans le Pas-de-Calais, qui a déposé une demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle au titre de la sécheresse de 2018. Par arrêté interministériel du 15 octobre 2019, publié au Journal officiel le 15 novembre 2019, cette commune n’a pas été reconnue en état de catastrophe naturelle.
Je souhaite vous préciser que, pour décider de la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle pour une commune, l’autorité administrative est tenue de se prononcer sur l’intensité anormale de l’agent naturel à l’origine des dégâts, et non sur l’importance des dégâts eux-mêmes. Ces critères techniques sont fondés sur des études approfondies réalisées par les services d’expertise mandatés par l’administration. Chaque commune touchée par le phénomène et ayant déposé une demande fait l’objet d’un examen particulier.
Compte tenu de la cinétique lente qui caractérise l’aléa de sécheresse et des connaissances scientifiques disponibles à ce jour, il est considéré que ces phénomènes, engendrés par le retrait et le gonflement des argiles, ne peuvent se produire que si deux conditions se trouvent conjointement remplies : d’une part, une condition géotechnique – un sol d’assise des constructions constitué d’argiles sensibles au phénomène de retrait et de gonflement –, et, d’autre part, une condition de nature météorologique, à savoir une sécheresse du sol d’intensité anormale.
La méthode appliquée pour instruire les demandes communales formulées au titre de ce phénomène a été révisée par une circulaire datée du 10 mai 2019 afin, d’une part, de tenir compte des progrès les plus récents dans la modélisation hydrométéorologique réalisée par Météo France, et, d’autre part, de fixer des critères plus lisibles, pour les municipalités et pour les sinistrés, de caractérisation de l’intensité d’un épisode de sécheresse et réhydratation des sols.
Cette nouvelle méthode a été mise en application pour traiter l’ensemble des demandes communales déposées au titre de l’épisode de sécheresse de 2018. Sur son fondement, dix-huit communes du Pas-de-Calais ont été reconnues en état de catastrophe naturelle au titre de ce phénomène.
La présence importante dans le sous-sol de Leforest d’argiles sensibles au phénomène de retrait et gonflement est confirmée. En revanche, au regard des données recueillies par Météo France, les niveaux d’humidité des sols superficiels de Leforest ne relèvent d’une sécheresse géotechnique anormale pour aucune des quatre saisons de l’année 2018.
Je ne méconnais pas les effets des mouvements différentiels de terrain provoqués par la sécheresse et la réhydratation des sols sur certains immeubles de Leforest, mais seuls les épisodes de sécheresse présentant une intensité anormale avérée donnent lieu à une reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, ce qui n’est malheureusement pas le cas de cette commune pour l’ensemble de l’année 2018.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Van Heghe, pour la réplique.
Mme Sabine Van Heghe. Merci de ces explications techniques, monsieur le secrétaire d’État, mais je demande la prise en compte en urgence de la situation dramatique vécue par certains habitants de la commune de Leforest.
distribution de pastilles d’iode à proximité des centrales nucléaires
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin, auteure de la question n° 962, transmise à M. le ministre de l’intérieur.
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le secrétaire d’État, je vis en Meurthe-et-Moselle, à Villerupt, une commune d’environ 10 000 habitants située à une trentaine de kilomètres, par la route, de la centrale nucléaire de Cattenom, en Moselle, et à 5 kilomètres de la ville d’Esch-sur-Alzette, au Luxembourg. La commune de Villerupt est adhérente à une communauté de communes dont certaines communes membres sont éligibles à la distribution gratuite de pastilles d’iode.
Selon la réglementation, les habitants de Villerupt, comme d’ailleurs ceux d’autres communes voisines, sont exclus de ce dispositif, puisque le centre-ville est situé à 22 kilomètres, donc à plus de 20 kilomètres, de la centrale nucléaire. Le rayon retenu pour la distribution de pastilles d’iode, fixé auparavant à 10 kilomètres, a en effet été récemment porté à 20 kilomètres par les autorités.
C’est une sage décision, mais des questions demeurent. On constate que, chez nos voisins européens, la réglementation en la matière est bien plus protectrice. À titre d’exemple, en Belgique, à quelques kilomètres de chez nous, il est possible d’obtenir des pastilles d’iode gratuitement dans un rayon de 100 kilomètres autour des installations nucléaires. Au Luxembourg, à deux pas de notre collectivité, toute la population est progressivement dotée de pastilles d’iode en prévision d’un éventuel accident à Cattenom : un comble quand on sait que les habitants du Luxembourg sont plus éloignés de la centrale que ceux de ma commune et de nombreuses autres communes de mon département ! Comme je le disais, la règle retenue, qui repose sur le seul kilométrage, exclut, au sein d’une même intercommunalité, les habitants de certaines communes membres.
Alors que nos centrales nucléaires sont vieillissantes, que les phénomènes climatiques s’intensifient et que la population s’intéresse toujours plus, et à juste titre, aux questions environnementales, il paraît nécessaire d’engager une réflexion plus poussée sur la protection sanitaire des populations éventuellement exposées. Si la prise de pastilles d’iode ne permet pas, on le sait, de parer à un accident, elle constitue une solution d’urgence permettant d’éviter en partie le développement de cancers et de troubles de la thyroïde après une exposition radioactive. Je pense que vous serez d’accord avec moi pour affirmer, monsieur le secrétaire d’État, que, en matière de santé, il n’y a pas d’économies à réaliser.
Ma question est double : peut-on envisager une évolution de la réglementation et une mise à niveau par rapport à nos voisins européens dans les années à venir ? À court terme, est-il possible d’étendre la distribution gratuite de pastilles d’iode à l’ensemble des habitants d’une intercommunalité dès lors que l’une de ses communes membres est comprise dans le rayon de 20 kilomètres, règle qui pourra, je l’espère, évoluer à l’avenir ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice, depuis 1997, des campagnes de distribution de comprimés d’iode aux riverains des centrales nucléaires sont régulièrement organisées. Elles concernent effectivement les zones situées dans un rayon de 10 kilomètres autour d’une centrale et intégrées au plan particulier d’intervention (PPI).
Depuis 2019, la prédistribution a lieu dans un rayon de 20 kilomètres et concerne plus de 3 millions de personnes, les écoles, les administrations et les entreprises. Ces campagnes se déroulent au moins tous les sept ans. La dernière, dans un rayon de 10 kilomètres, a été organisée en 2016 et une campagne complémentaire, concernant les populations habitant entre 10 et 20 kilomètres d’une centrale, est en cours.
Cette campagne a permis l’information des maires concernés au premier trimestre 2019, via des courriers, des kits d’information, des réunions en préfecture dans les dix-huit départements concernés. Une précampagne d’information a été menée auprès des riverains en juin dernier et une campagne de distribution le 17 septembre dernier, avec des communiqués de presse, des courriers contenant des bons de retrait en pharmacie. Toute personne n’ayant pas reçu ce courrier peut néanmoins retirer une boîte de comprimés en pharmacie, sur simple présentation d’un justificatif de domicile. Fin novembre, le nombre total de retraits s’élevait à 150 000. Des actions de relance et de communication sont prévues jusqu’en juin 2020.
Dans le cadre de l’organisation de la réponse de sécurité civile (Orsec) aux échelons zonal et départemental, cette prédistribution est complétée par le prépositionnement de 110 millions de comprimés. Le prépositionnement, instauré dans les zones où l’urgence est moindre, offre une meilleure traçabilité et de meilleures conditions de stockage ; il permet surtout de déplacer rapidement les stocks, lesquels sont suffisants pour couvrir l’ensemble de la population.
Ce sont les préfets qui organisent les plans de distribution des comprimés. S’ils estiment que la situation nécessite la prise de comprimés, les stocks sont déployés vers des points de distribution.
Les campagnes de distribution de comprimés d’iode permettent de sensibiliser aux risques et de mobiliser les citoyens, dont l’implication est indissociable d’une gestion efficace des crises. De nombreux acteurs de terrain – maires, commissions locales d’information, professionnels de santé – sont également mobilisés aux côtés des pouvoirs publics et d’EDF.
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour la réplique.
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez fait un rapide rappel de la législation en vigueur, mais ma question était tout autre : comment éviter des « trous dans la raquette » au sein d’une intercommunalité et comment parvenir à nous mettre au niveau des autres pays européens ? En Belgique, je le redis, les pastilles d’iode sont distribuées dans un rayon de 100 kilomètres.
financement de la démocratie
Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, auteur de la question n° 898, transmise à M. le ministre de l’intérieur.
M. Rachid Temal. Notre démocratie repose sur une promesse d’égalité – un citoyen, une voix –, mais cette promesse s’estompe.
En effet, monsieur le secrétaire d’État, qui décide du contenu du débat démocratique dans notre pays ? Les citoyens ? Les médias ? Ou bien encore les partis ? En tout cas, nul ne penserait aux banques… Pourtant, ce sont elles qui tiennent entre leurs mains les clés du financement de nos campagnes électorales ; ce sont elles qui décident de notre avenir, sans jamais se présenter à une élection.
Le gouvernement auquel vous appartenez avait pourtant pris une bonne initiative avec la création, au travers de la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, d’une banque publique de la démocratie ; mais, depuis lors, ni son ni image !
J’ai donc interrogé, en juillet 2018, la garde des sceaux sur ce sujet. Elle m’indiqua en retour que la « condition de “défaillance de marché” posée par le législateur ne paraissait pas caractériser la situation actuelle ». Pourtant, lors de la campagne pour les élections européennes, voilà quelques mois, il ne s’est pas passé une semaine sans qu’une liste ne fasse part de ses difficultés à trouver des financements ou ne lance une souscription.
Monsieur le secrétaire d’État, notre démocratie a besoin de pluralisme et les carences sont bien réelles. La banque publique de la démocratie doit devenir une réalité, utile non aux seuls partis, mais bien à notre démocratie. Les pistes sont nombreuses et les formes peuvent varier, s’articulant autour d’outils connus de tous ; je pense à la Caisse des dépôts et consignations ou à la Banque publique d’investissement.
Monsieur le secrétaire d’État, quelles mesures concrètes le Gouvernement compte-t-il prendre pour faire aboutir cette belle promesse de la banque publique de la démocratie ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique a institué un médiateur du crédit afin de favoriser le pluralisme politique par la facilitation de son financement. Ce médiateur a pour mission de contribuer à rapprocher les candidats, partis et groupements politiques et les banques.
Dans son rapport rendu le 30 septembre dernier, à la suite des élections européennes du 26 mai 2019, le médiateur n’a pas relevé de difficultés systémiques, corroborant ainsi l’analyse menée en 2017 par l’inspection générale des finances et l’inspection générale de l’administration.
Toutefois, ce rapport a mis en lumière que, sur les trente-quatre listes de candidats aux élections européennes, huit ont été confrontées à des difficultés pour obtenir l’ouverture d’un compte bancaire, alors même que le législateur garantit un droit au compte, tandis que neuf partis ont essuyé un refus de prêt bancaire.
Ces chiffres révèlent une situation perfectible et le médiateur a fait plusieurs propositions de nature à la faire évoluer. Il appelle notamment à la réduction des délais pour les ouvertures de comptes bancaires, pour la délivrance des moyens de paiement et pour l’instruction des demandes de prêt.
À l’inverse, il est important que les candidats et les partis connaissent mieux les critères et exigences des établissements bancaires. Le site internet de la médiation, en cours de construction, devrait faciliter l’information sur les dispositifs en vigueur ou en cours de mise en place.
Au-delà de ces actions de sensibilisation, le médiateur a fait plusieurs recommandations visant à élargir l’accès de tous les candidats à la propagande, ce qui passe notamment par un surcroît de dématérialisation.
Par ailleurs, le rapport du 30 septembre 2019 met l’accent sur la nécessité, pour les candidats et les partis politiques, de recourir aux autres modalités de financement qui leur sont ouvertes, au-delà des aides publiques : appels aux dons de sympathisants et militants, emprunts auprès des partis et, désormais, auprès des particuliers. Cette dernière modalité a d’ailleurs été largement mise en œuvre lors des récentes élections européennes.
De même, en application de la loi du 2 décembre dernier, qui entrera en vigueur le 30 juin 2020, les partis et candidats pourront recueillir des fonds via un financement participatif.
Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour la réplique.
M. Rachid Temal. Monsieur le secrétaire d’État, vous nous dites que, finalement, il n’y a pas de difficultés, tout en admettant que neuf listes en ont connu pour accéder à un financement… Nous savons tous ici combien il est difficile d’obtenir un prêt bancaire pour financer une campagne ; on le voit notamment à l’approche des élections municipales.
Il faut donc agir ! Monsieur le secrétaire d’État, votre réponse m’inquiète d’autant plus qu’elle renvoie à d’autres sources de financement, les banques n’ayant aucune obligation. Je considère pour ma part qu’il revient à l’État de mettre en place la banque publique de la démocratie – c’était d’ailleurs le sens de l’article 30 de la loi du 15 septembre 2017 –, de sorte que chaque Français puisse être candidat à une élection. Sans cela, c’est encore une fois l’argent qui décide de qui peut ou non être candidat dans notre démocratie ; c’est très grave.
application du règlement de défense incendie et secours en seine-maritime
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, auteure de la question n° 994, transmise à M. le ministre de l’intérieur.
Mme Céline Brulin. Conformément à l’arrêté du 15 décembre 2015 fixant le référentiel national de défense extérieure contre l’incendie, un règlement départemental a été approuvé par la préfecture de Seine-Maritime en octobre 2017.
Ce règlement engage la responsabilité des maires au travers de nouvelles obligations particulièrement strictes relatives aux réserves incendie. En effet, désormais, les habitations doivent se situer à moins de 200 mètres d’une borne incendie, ou de 400 mètres dans le cas d’habitations isolées.
Dans bien des communes, ces distances sont souvent impossibles à respecter. Un maire du département dont je suis élue m’a par exemple informée que la mise en conformité avec ces normes représenterait dix fois son budget annuel d’investissement, y compris en optant pour des bâches extérieures, pourtant moins coûteuses.
Le référentiel national ne tient pas compte des spécificités locales, ce qui complexifie encore la situation. Il interdit par exemple le recours aux dispositifs mobiles des sapeurs-pompiers, qui serait pourtant particulièrement adapté pour les habitations isolées.
Encore une fois, les élus locaux ont l’impression que les décisions prises sont déconnectées de la réalité des territoires ; c’est pourquoi ils avaient unanimement rejeté, en 2017, une première proposition de règlement départemental. L’application stricte des distances retenues rend la situation intenable en Seine-Maritime. Pour beaucoup de maires, cela implique de cesser d’accorder des permis de construire et même, souvent, de se retrouver hors la loi.
Monsieur le secrétaire d’État, l’État ne peut pas renvoyer la responsabilité aux autorités départementales et aux services départementaux d’incendie et de secours (SDIS). Comptez-vous apporter une réponse à cette question, qui constitue l’une des principales préoccupations des maires du département de Seine-Maritime ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice, l’efficacité des opérations de lutte contre les incendies dépend notamment de l’adéquation entre les besoins en eau et les ressources disponibles.
La défense extérieure contre l’incendie (DECI), placée sous l’autorité du maire ou du président de l’établissement public de coopération intercommunale chargé d’un pouvoir de police administrative spéciale, a pour objet d’assurer, en fonction des besoins résultant des risques à couvrir, l’alimentation en eau des moyens des services d’incendie et de secours, par l’intermédiaire de points d’eau identifiés à cette fin. Il s’agit d’un appui indispensable pour permettre aux sapeurs-pompiers d’intervenir rapidement, efficacement et dans des conditions optimales de sécurité.
La réforme de la DECI, conduite en 2015, a instauré une approche novatrice : la DECI ne répond plus à une norme nationale, mais relève d’un règlement départemental élaboré par le préfet. Elle répond à un double objectif : un renforcement de la concertation avec les collectivités territoriales et une plus grande souplesse dans la définition et l’application des mesures, adaptées à la réalité et à la diversité des risques incendie propres à chaque territoire.
La distance maximale séparant les points d’eau et les risques à couvrir est déterminée au regard des enjeux en matière de protection et des techniques opérationnelles des sapeurs-pompiers. La fixation de ces distances est déterminée par l’analyse du risque d’incendie et elle conditionne les délais de mise en œuvre des dispositifs d’extinction.
J’ai parfaitement conscience que cette réglementation, nécessaire pour garantir une lutte efficace et rapide contre les incendies, peut parfois être contraignante dans certaines communes, notamment rurales. Ce règlement peut évoluer par le biais de nouveaux échanges avec les partenaires et selon les procédures applicables.
J’ajoute que la DECI ne doit pas altérer la qualité sanitaire de l’eau distribuée ni conduire à des dépenses excessives, au regard, notamment, du dimensionnement des canalisations. Si le réseau d’eau potable ne permet pas d’obtenir le débit nécessaire à la DECI, d’autres ressources sont utilisables : points d’eau naturels, réseaux d’irrigation agricole, citernes fixes, cuves ou encore réservoirs réalimentés par l’eau de pluie.
La DECI repose sur un équilibre entre les impératifs de la sécurité des populations, sa constante amélioration et un coût financier supportable, notamment pour les communes rurales, le tout étant apprécié à l’échelon local.
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, pour la réplique.
Mme Céline Brulin. Je retiens de vos propos, monsieur le secrétaire d’État, que ce règlement peut encore évoluer.
Vous avez parlé de souplesse ; c’est précisément ce dont nous manquons en Seine-Maritime, où l’application du référentiel est extrêmement stricte et rigoureuse. Je vous remercie donc de bien vouloir intervenir pour qu’une souplesse soit concrètement apportée. On constate aujourd’hui des situations totalement aberrantes, ubuesques, qui, c’est le moins que l’on puisse dire, ne renforcent pas le crédit de la parole de l’État ni les liens de confiance entre celui-ci et les élus locaux.
Je conclurai en exprimant un sentiment de « deux poids, deux mesures ». En effet, sans entrer dans les détails, l’incendie de Lubrizol a tout de même fait apparaître des manquements à la réserve incendie sur certains sites industriels. On ne peut pas être plus exigeant à l’égard de communes disposant de peu de moyens qu’on ne l’est à l’égard d’industriels dont les possibilités sont autrement plus importantes.
état civil et usage du tilde
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet, auteur de la question n° 998, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Michel Canevet. Je suis heureux, monsieur le secrétaire d’État, que vous soyez au banc du Gouvernement aujourd’hui pour me répondre, car vous êtes particulièrement concerné par les questions de patronymie.
En Bretagne, une affaire fait grand bruit. Un couple a décidé de prénommer son enfant Fañch, avec un tilde sur le « n », et, depuis lors, les procédures judiciaires s’enchaînent, sur l’initiative du procureur de la République. Si le tribunal de grande instance de Quimper a donné raison à ce dernier, tel n’a pas été le cas de la cour d’appel de Rennes et de la Cour de cassation.
Mon vœu le plus cher est que la circulaire de la Chancellerie du 23 juillet 2014 établissant les signes diacritiques utilisables dans la patronymie française puisse être modifiée. En effet, si le décret dit « Robespierre » du 2 thermidor de l’an II préconise l’utilisation du français pour la rédaction des actes de l’état civil, on peut aussi se référer à l’ordonnance royale de Villers-Cotterêts de 1539, dont le texte même comprend un grand nombre de tildes. C’est dire que ce signe appartient bien à la langue française !
Je souhaite donc savoir si le Gouvernement est enfin décidé à modifier la circulaire précitée pour admettre l’usage du tilde dans la langue française.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, vous avez souhaité appeler l’attention de la garde des sceaux, que je représente ici, sur la reconnaissance du tilde dans les actes de l’état civil et sur la date prévisible de l’ajout de ce signe à la liste des signes diacritiques admis en langue française au travers de la circulaire du 23 juillet 2014.
Tout d’abord, il faut souligner que la promotion des langues régionales est assurée de diverses manières et, ainsi que le rappelle notamment le contrat d’action publique pour la Bretagne, elle passe principalement par le biais de l’enseignement et de la culture.
La circulaire du 23 juillet 2014 de la Chancellerie que vous évoquez dresse la liste des voyelles et consonne accompagnées d’un signe diacritique souscrit – placé au-dessous de la lettre, telle la cédille – ou suscrit – placé au-dessus de la lettre, tels l’accent et le tréma – connues de la langue française. Cette liste, ne comprenant pas le tilde, a été validée en 2014 par l’Académie française, qui a confirmé sa position en novembre 2018.
Le 17 octobre 2019, dans l’affaire Fañch, la Cour de cassation a déclaré irrecevable le pourvoi en cassation formé par le procureur général près la cour d’appel de Rennes, au motif que les parents de l’enfant n’avaient été appelés qu’en leur qualité personnelle, et non en leur qualité d’administrateurs légaux de l’enfant. Ainsi, la Cour de cassation ne s’est pas prononcée sur le fond de l’affaire ni sur la possibilité d’employer le tilde dans les actes de l’état civil, en l’occurrence sur la lettre « n ».
Néanmoins, nous souhaitons indiquer que, pour ce qui concerne l’état civil, les services de l’État étudient la faisabilité d’une intégration de signes diacritiques pour permettre la prise en compte de l’orthographe de certains prénoms issus de langues régionales au regard, d’une part, des enjeux normatifs et informatiques, et, d’autre part, de la charge de travail des officiers de l’état civil.
Enfin, dans la continuité des actions de promotion des langues régionales de France, les textes en vigueur, confortés par la jurisprudence, autorisent les officiers de l’état civil à délivrer, sur la demande des intéressés, des livrets de famille et des copies intégrales et extraits d’actes de l’état civil bilingues ou traduits dans une langue régionale.
M. Jean-Pierre Sueur. Mais qu’en pensez-vous personnellement, monsieur le secrétaire d’État ?
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet, pour la réplique.
M. Michel Canevet. Monsieur le secrétaire d’État, c’est une toute petite ouverture que vous faites, mais je regrette l’entêtement du Gouvernement en cette matière. Le procureur près la cour d’appel de Rennes a précisément indiqué ce matin qu’il faudrait que le législateur s’empare du sujet. Je remercie à cet égard ceux de mes collègues, dont Jean-Pierre Sueur, Françoise Gatel, Agnès Canayer et Jean-Luc Fichet, qui ont soutenu mon amendement à la proposition de loi qui sera examinée jeudi prochain. J’espère que nous parviendrons enfin, par la loi, à faire que le tilde puisse figurer dans le prénom de certains petits Bretons. Ce ne serait que logique.
multiplication d’actions violentes de militants « végans »
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, auteur de la question n° 573, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Guillaume Chevrollier. Les violences exercées à l’encontre des professionnels du secteur agricole, qu’il s’agisse d’actions d’intimidation, d’intrusions dans des lieux de production ou d’agressions physiques, notamment par des activistes « végans » anti-viande et anti-élevage, sont de plus en plus fréquentes. Ces violences sont inacceptables. Entre 2017 et 2018, plus d’une centaine d’actions illégales ont eu lieu partout en France.
Bien évidemment, je respecte les idées de ces militants, mais eux doivent respecter nos agriculteurs, dont les activités sont, elles, légales. Dans leur immense majorité, nos agriculteurs veillent au bien-être animal.
Compte tenu du poids économique du secteur agroalimentaire et de l’implication des hommes et des femmes qui remplissent avec cœur la mission vitale de nourrir la population, nous avons la responsabilité de défendre nos agriculteurs et nos modèles agricoles. Une prise de conscience et une mobilisation collectives des professionnels et des élus sont indispensables pour dénoncer ces agissements.
Dans mon département, la Mayenne, un observatoire de l’agri-bashing a été mis en place. Il rassemble les services de l’État, les syndicats agricoles et la chambre d’agriculture en vue de lutter contre les intrusions dans les exploitations. Les filières agricoles et agroalimentaires attendent des réponses très concrètes de la part de l’État : une évolution de la loi doit permettre de prononcer des sanctions fermes contre les malfaiteurs qui, par leurs intrusions dans les exploitations, bafouent la propriété privée.
Monsieur le secrétaire d’État, comment mieux protéger, de façon concrète, les agriculteurs en cas d’intrusion et comment lutter, en outre, contre la diffusion numérique de fausses informations sur l’agriculture ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, je vous confirme que la garde des sceaux, que je vous prie d’excuser, le ministre de l’intérieur et moi-même suivons avec la plus grande attention cette question, qui concerne tout notre territoire. Le Gouvernement est pleinement engagé dans la lutte contre les actions violentes que subissent certains professionnels de la filière agroalimentaire.
À ce titre, la direction des affaires criminelles et des grâces a diffusé, le 22 février 2019, une dépêche sur le phénomène des actions violentes de mouvements animalistes radicaux, afin de mobiliser les parquets et de leur rappeler les qualifications pénales pouvant être retenues dans ces situations.
Ces agissements font ainsi l’objet de la plus grande attention de la part des procureurs, qui diligentent systématiquement des enquêtes pénales minutieuses, aux fins d’établir le contexte de la commission des faits, d’en identifier les auteurs et de présenter ces derniers à une juridiction. Ils sont épaulés, à cette fin, par les services d’enquête judiciaire, plus particulièrement ceux de la gendarmerie nationale, qui a récemment créé une cellule nationale spécifique, appelée « Demeter », chargée de centraliser les informations disponibles sur ce type d’affaires et de réaliser des rapprochements en vue de faciliter l’identification des auteurs de ces agissements.
Certains faits similaires à ceux que vous évoquez, qui ont pu avoir lieu ailleurs sur notre territoire national, ont d’ailleurs déjà conduit à des condamnations. Par exemple, en décembre 2018, six personnes ont été condamnées par le tribunal correctionnel de Roanne du chef de violation de domicile alors qu’elles avaient pénétré sur un site d’abattage sans autorisation ; en juin 2019, le tribunal correctionnel de Paris a condamné deux individus à trois mois et six mois d’emprisonnement pour des dégradations commises dans une boucherie parisienne et des violences sur les personnes d’un boucher et de fromagers.
Ces réponses judiciaires attestent de la prise en compte par les parquets du trouble à l’ordre public inacceptable ou de l’entrave à l’exercice professionnel qu’occasionnent de tels agissements, nécessitant, lorsque les éléments de preuve recueillis le permettent, une réponse pénale ferme et adaptée.
Le ministère de la justice estime que le cadre juridique actuel permet, dans la plupart des cas, de répondre efficacement aux actions violentes subies par les professionnels de la filière animale.
Toutefois, la garde des sceaux a rencontré, il y a quelques jours, les représentants de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Sensible à leurs inquiétudes, elle a chargé les services de son ministère d’engager une réflexion sur une éventuelle adaptation législative de la rédaction du délit de violation de domicile pour lever toute ambiguïté sur le fait que ce délit trouve bien à s’appliquer, y compris en cas d’intrusion dans les locaux professionnels d’une exploitation agricole.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour la réplique.
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le secrétaire d’État, j’entends votre réponse et vous en remercie.
Effectivement, des précisions concernant la notion de violation de domicile sont attendues. Je rappelle que nos agriculteurs, qui sont déjà fragilisés sur le plan économique et dont les revenus ne sont pas à la hauteur de la charge de travail, attendent vraiment un soutien des pouvoirs publics. Ils veulent pouvoir exercer leur métier, être respectés par la société et être préservés des actions de minorités excessivement violentes et parfois radicalisées. Il est important que l’État soit au rendez-vous pour apaiser certaines tensions dans nos territoires, notamment ruraux.
déclassification des documents liés à l’assassinat de deux journalistes
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la question n° 1003, adressée à Mme la ministre des armées.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite appeler votre attention sur l’assassinat le 2 novembre 2013 dans la région du Kidal, au Mali, de deux journalistes de Radio France Internationale, Ghislaine Dupont et Claude Verlon.
Ces deux journalistes ont été enlevés par quatre hommes armés, avant d’être abattus, quelques kilomètres plus loin. Selon les enquêteurs, le véhicule des ravisseurs serait tombé en panne et ces quatre hommes auraient éliminé les deux otages avant de prendre la fuite.
Plusieurs zones d’ombre demeurent dans cette affaire tragique.
Premièrement, il a été découvert que le chef du commando était connu des services de renseignement, qu’il avait été auditionné par la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) quelques mois avant le rapt et l’assassinat des journalistes et qu’une seconde entrevue était prévue, ce qui pourrait laisser penser qu’il aurait été recruté comme informateur par les services de la DGSE. Qu’en est-il, monsieur le secrétaire d’État ?
Deuxièmement, différentes enquêtes effectuées par les journalistes mettent en avant un lien possible, et même probable, entre cet assassinat et l’affaire Arlit, désignant l’enlèvement d’employés d’Areva en 2010 au Niger. Selon ces enquêtes, leur libération aurait été négociée en échange d’une rançon de 30 millions d’euros et l’enlèvement des deux journalistes aurait été commis par des membres d’un bataillon considérant avoir été floués dans la répartition de cette rançon. Qu’en est-il ?
Troisièmement, il existe deux versions contradictoires sur un fait essentiel : les autorités françaises ont formellement assuré que les militaires étaient arrivés sur place après le drame et qu’ils n’avaient jamais eu de contact avec les ravisseurs ; un rapport des Nations unies affirme strictement le contraire. Quelle est la vérité ?
Enfin, je veux vous interroger sur une enquête menée par des journalistes, qui montre que les gendarmes chargés de l’établissement du procès-verbal sur place ont indiqué être intervenus sur une scène de crime largement souillée et modifiée, alors que le détachement de Serval avait reçu l’ordre de ne toucher à rien. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Jean-Pierre Sueur, vous évoquez dans votre question l’assassinat, le 2 novembre 2013 à Kidal, des journalistes de RFI Ghislaine Dupont et Claude Verlon.
Ces faits d’enlèvement et d’assassinat font l’objet d’une information judiciaire, dans le cadre de laquelle le ministère des armées a apporté et continue d’apporter son plein concours. Les forces françaises ont toujours appuyé l’action judiciaire, que ce soit sur place, à Kidal, au lendemain des faits, ou à Paris.
Je rappelle que c’est avec le concours de l’armée française, dans un contexte sécuritaire tendu, que les gendarmes de la prévôté ont été projetés sur les lieux, pour effectuer les premières constatations et fournir à la justice le maximum d’éléments de preuve. Les enquêteurs français de la direction centrale du renseignement intérieur de l’époque et de la sous-direction antiterroriste de la direction centrale de la police judiciaire ont également pu intervenir très rapidement. Cet appui logistique assuré dès le départ s’est poursuivi à mesure des besoins exprimés par les magistrats.
En effet, le ministère des armées a été requis à plusieurs reprises, en 2015 et en 2016, par les magistrats chargés de l’enquête. Toutes les demandes de déclassification successives formulées par la justice ont donné lieu à la fourniture de documents du ministère des armées, en parfaite conformité avec les avis de la Commission du secret de la défense nationale, qui est une autorité administrative indépendante.
Si des documents ou extraits de documents n’ont pas été déclassifiés, c’est uniquement, comme le prévoit la loi, pour préserver les capacités et méthodes des services, mais aussi assurer la continuité des opérations ou la protection des personnels. Conscient de la douleur des proches des journalistes assassinés, le ministère des armées a, autant que le lui permet l’impératif de protection du secret de la défense nationale et de l’instruction, répondu directement aux interrogations de ces derniers.
Je vous le redis, monsieur le sénateur, le ministère des armées continue à appuyer les investigations judiciaires en cours et répond avec une extrême diligence aux sollicitations des magistrats. En revanche, cet appui n’a pas vocation à être exposé publiquement, car il est couvert par le secret de l’enquête et de l’instruction. Je pense que vous le comprendrez.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le secrétaire d’État, j’entends ce que vous dites. Vous concevrez toutefois notre déception de n’avoir reçu aucune réponse précise aux quatre questions précises que je vous ai posées et que se posent les journalistes de Radio France Internationale. Ces questions demeurent.
oubliés de la nation
Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, auteur de la question n° 1053, adressée à Mme la ministre des armées.
M. Yannick Vaugrenard. Ma question concerne ceux que nous pourrions appeler les « oubliés de la Nation ».
Selon le code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre, la mention « mort pour le service de la Nation » peut être attribuée à une personne décédée « du fait de l’accomplissement de ses fonctions dans des circonstances exceptionnelles ». Cependant, l’appréciation des « circonstances exceptionnelles » est laissée au ministre en fonction.
Or, avant 2017, les attributions de la mention « mort pour le service de la Nation » ont confirmé la reconnaissance des militaires décédés « accidentellement » lors d’exercices opérationnels. Mais depuis cette date, les décisions de la ministre vont à l’encontre de l’esprit initial du décret du 28 décembre 2016. En effet, les demandes de mention « mort pour le service de la Nation » pour des militaires qui décèdent accidentellement lors d’exercices opérationnels ou en missions intérieures sont désormais systématiquement rejetées.
Ces décisions, outre l’incompréhension qu’elles suscitent, instaurent une injustice à l’égard des militaires qui décèdent à l’entraînement. Les enfants de ces derniers ne sont pas reconnus comme « pupilles de la Nation », leur conjoint ne perçoit que 50 % de la pension de réversion et leur nom ne sera pas gravé sur le monument aux morts de leur commune.
L’un de mes collègues députés a déposé, le 22 mai dernier, une proposition de loi visant à octroyer le statut de « mort pour le service de la Nation » aux militaires décédés en exercice, ce qui permettrait d’assainir la situation actuelle et de la rendre plus juste.
Monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais connaître votre position sur cette proposition de loi et, plus globalement, que vous clarifiiez les conditions d’attribution de la mention « mort pour le service de la Nation » afin de supprimer l’arbitraire et d’intégrer les militaires décédés accidentellement lors d’exercices opérationnels ou en missions intérieures. Cela permettrait d’assurer notre soutien fraternel aux familles de ceux qui s’engagent pour défendre notre pays.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question, qui permet au Gouvernement de préciser les conditions d’attribution de la mention « mort pour le service de la Nation ».
Cette mention a été créée en 2012, au lendemain des attentats commis par Mohammed Merah contre la communauté juive et contre l’armée. Elle vise à honorer la mémoire des militaires et des agents publics tués en raison de leurs fonctions ou de leur qualité par l’action volontaire d’un tiers.
Vous avez évoqué le décret de 2016, qui est venu inclure le décès « dans des circonstances exceptionnelles », appréciées comme des situations présentant un caractère de gravité particulière ou anormale et imprévisibles.
Les mesures symboliques prises par la République n’ont de valeur que si elles sont précisément ordonnées. Le décret de 2016 a créé des incertitudes, et le ministère des armées réfléchit à la façon dont il peut y mettre fin pour éviter toute confusion et tout sentiment d’injustice.
Cependant, il n’est pas souhaitable, pour la mémoire et la reconnaissance des militaires tués au combat ou celle des agents publics victimes d’actes de terrorisme, d’étendre de façon indéfinie l’attribution des marques de reconnaissance. Les armées sont légitimement attachées à ces distinctions et à leur sens.
Toutes les morts sont tragiques. Le ministère des armées s’attache à apporter un soutien sans faille aux familles endeuillées. Les ayants cause peuvent ainsi se voir attribuer une allocation du fonds de prévoyance. Les enfants mineurs peuvent également bénéficier d’un régime de protection particulier. Une aide à l’éducation et/ou une allocation d’entretien peuvent ainsi leur être attribuées, pour un an renouvelable, via l’intervention de l’action sociale des armées.
Soyez assuré que le ministère des armées – et, à travers lui, le Gouvernement – apporte un soutien fraternel aux familles de tous les militaires décédés, que ce soit en combat ou en accident de service. Toutefois, il n’envisage pas d’étendre à ce dernier cas l’attribution de la mention « mort pour le service de la Nation ».
Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, pour la réplique.
M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le secrétaire d’État, vous vous en doutez, je ne suis pas totalement satisfait par votre réponse.
Vous avez évoqué une extension indéfinie : ce n’est pas de cela qu’il s’agit ! Il s’agit de mettre fin à une distinction, presque de principe, faite au détriment des militaires décédés accidentellement à l’entraînement. L’entraînement est indispensable pour assurer la défense de notre pays et de ses habitants. Je souhaiterais que cette distinction soit atténuée.
enseignement du flamand occidental et des langues régionales
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, auteur de la question n° 1028, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Jean-Pierre Decool. Ma question porte sur l’enseignement des langues minoritaires et régionales de France.
Je prendrai l’exemple du flamand occidental, parlé dans mon territoire des Flandres françaises, mais je pense aussi au picard, cher à mon ami Jérôme Bignon, et à toutes les autres langues de France.
Le Gouvernement tente de mettre en œuvre, depuis 2017, le programme défendu par Emmanuel Macron lors de la campagne pour la dernière élection présidentielle et les engagements pris à cette occasion.
Les défenseurs des langues minoritaires et régionales, dont je fais partie, avaient alors pris bonne note d’une promesse qui a été oubliée, depuis, par le Gouvernement. Le candidat Emmanuel Macron entendait en effet encourager, une fois élu Président de la République, l’enseignement de ces langues.
Cette promesse, nous y tenions ! L’enseignement est la seule et unique garantie de la survie des langues minoritaires et régionales, qui appartiennent au patrimoine national.
Cette promesse, nous y tenons toujours ; c’est pourquoi j’interroge de nouveau M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
Depuis 2017, les moyens de l’enseignement scolaire de ces langues régressent… et la promesse du Président de la République est bafouée.
Un exemple illustre le renoncement du Gouvernement à protéger les langues minoritaires. Dans les Hauts-de-France, le flamand occidental bénéficiait d’un enseignement depuis dix ans. Expérimenté pendant trois ans, celui-ci avait été validé après une évaluation rigoureuse. Suivi dans plusieurs écoles de l’arrondissement de Dunkerque, cet enseignement était très apprécié des jeunes et de leurs familles et complété par des activités extrascolaires, preuve de l’intérêt de la population.
L’heure de la retraite est venue pour l’enseignant ; l’heure de son remplacement, pensait-on : erreur ! Le rectorat renvoie aux acteurs locaux la responsabilité de la fin de cet enseignement. En irait-il de même pour le départ à la retraite d’un professeur d’anglais ? Ailleurs en France, en irait-il de même pour le départ à la retraite d’un enseignant de la langue basque à Biarritz ?
Cette hypocrisie est symptomatique du mépris du Gouvernement et de l’éducation nationale pour les langues minoritaires et régionales, que confirme, malgré toute l’estime que je vous porte, monsieur le secrétaire d’État, le fait que vous représentiez le Gouvernement pour répondre à cette question.
Ces langues ne sont pas une menace pour l’unité de la République. Elles relèvent de l’identité de ses territoires. C’est la raison pour laquelle nous sommes nombreux à attendre votre réponse à la question suivante : que compte faire le Gouvernement pour encourager l’apprentissage des langues régionales sur les territoires qui ont la chance d’en posséder une ? Plus précisément, pour le cas du flamand occidental, entendez-vous remplacer le professeur ayant fait valoir ses droits à la retraite, afin de ne pas rompre la continuité de l’enseignement du flamand dans le département du Nord ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Jean-Pierre Decool, la préservation et la transmission des diverses formes du patrimoine – linguistique et culturel – des régions françaises font l’objet de la plus grande attention de la part du ministère de l’éducation nationale.
C’est dans cet esprit qu’est examinée la situation du flamand occidental, qui ne fait pas l’objet d’un enseignement de langue et culture régionales tel que décrit dans la circulaire du 12 avril 2017.
Rappelons d’abord que l’introduction d’un nouvel enseignement de langue vivante dans notre système scolaire, de l’école primaire au baccalauréat, doit être étudiée au regard de nombreux critères, tels que sa zone d’implantation et de diffusion, le nombre de locuteurs potentiels et le degré d’imprégnation et d’utilisation de la langue par la population, le corpus disponible dans les différents registres littéraires ou encore la demande des familles. Ainsi, la situation du flamand occidental doit être appréciée avec finesse et discernement au regard de l’ensemble de ces éléments.
En outre, vous le savez bien, monsieur le sénateur, l’enseignement du néerlandais, langue de communication avec la Région flamande de Belgique et les Pays-Bas, est une priorité de l’académie de Lille, notamment pour le département du Nord, aussi bien pour l’enseignement primaire que pour le collège et le lycée. L’apprentissage de cette langue répond notamment à de forts enjeux économiques et d’employabilité. De fait, c’est la connaissance de la langue néerlandaise qui permet aux élèves de la zone frontalière de trouver des débouchés professionnels, ce qui n’exclut pas, bien sûr, une connaissance de ses variations dialectales.
La sensibilisation à la langue et à la culture du flamand occidental peut trouver une place à l’école. Le code de l’éducation dispose que les enseignants des premier et second degrés « sont autorisés à recourir aux langues régionales, dès lors qu’ils en tirent profit pour leur enseignement. Ils peuvent également s’appuyer sur des éléments de la culture régionale pour favoriser l’acquisition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture et des programmes scolaires. »
Cette sensibilisation peut intervenir en classe, durant le temps scolaire, dans le cadre de plusieurs enseignements, notamment de langues vivantes, par exemple en cours de néerlandais, d’histoire, d’enseignement artistique ou d’histoire de l’art.
Ainsi, la proximité linguistique de la langue régionale flamande avec la langue néerlandaise peut être avantageusement mise à profit lors des séances consacrées à l’apprentissage de cette dernière, avec un travail sur les nuances dialectales et sur les réalités culturelles de l’espace linguistique du franco-flamand. Les enseignements pratiques interdisciplinaires du collège, qui réunissent plusieurs disciplines autour de projets communs, souvent ancrés dans les réalités locales, offrent un cadre propice à une telle sensibilisation.
Signalons aussi qu’un enseignement de la variante française du flamand occidental est dispensé dans trois écoles primaires publiques dans le cadre d’une expérimentation. La poursuite de cette expérience sera fonction des conclusions de l’évaluation qui sera conduite par les services de l’académie de Lille.
Enfin, à l’école primaire, la sensibilisation au flamand occidental et à la culture qu’il porte peut aussi faire l’objet d’activités éducatives et culturelles complémentaires, conduites dans les temps périscolaires, en lien, par exemple, avec des associations locales bénéficiant d’un agrément pour intervenir en milieu scolaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le secrétaire d’État, votre réponse ne peut me satisfaire. Je vous interroge tout simplement sur le devenir du poste de l’enseignant qui est parti à la retraite.
Il n’y a pas d’antagonisme entre le néerlandais et le flamand. Le flamand est d’ailleurs antérieur au néerlandais. Pourquoi réserverait-on un traitement particulier à cette langue régionale qu’est le flamand occidental ?
freins au développement de l’agroforesterie
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Théophile, auteur de la question n° 1019, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Dominique Théophile. Ma question porte sur le développement de l’agroforesterie.
En Guadeloupe, la culture de la banane et celle de la canne à sucre sont fragilisées, depuis plusieurs années, par un contexte économique et social difficile, ainsi que par l’âpre concurrence des pays d’Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique.
Il convient, dans ce contexte, de repenser en partie le développement de notre filière agricole. Certaines cultures traditionnelles de niche – je pense notamment au café, au cacao et à la vanille – offrent, par exemple, des perspectives intéressantes. Principalement destinées à l’exportation, ces cultures de sous-bois, en nombre limité aujourd’hui, pourraient permettre à la Guadeloupe de diversifier sa production agricole sans rogner sur les cultures déjà existantes, et ce malgré la réduction du foncier disponible.
L’agroforesterie est également pourvoyeuse d’emplois, puisque les exploitations, non mécanisées, doivent recourir à de nombreux salariés agricoles. Son développement permet, en outre, de répondre à certaines considérations environnementales.
Un projet d’implantation d’un parc agroforestier et agrotouristique a ainsi vu le jour sur le territoire de Bouillante, en Guadeloupe. D’autres ne demandent qu’à émerger. Cependant, le fait que l’agroforesterie relève de la foresterie, et non pas de l’agriculture, freine son développement, en Guadeloupe comme ailleurs. Il en résulte une baisse importante des financements alloués à ces projets. Envisagez-vous, monsieur le ministre, de faire évoluer cette classification, afin de favoriser le développement de cette activité ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Dominique Théophile, je souhaite vraiment que nous parvenions à faire évoluer les dispositifs existants afin de permettre une meilleure prise en compte de l’agroforesterie, notamment dans les territoires ultramarins. Comme vous l’avez dit, la filière agroforestière revêt une importance particulière.
Nous devons effectivement travailler sur les cultures de niche. Les territoires d’outre-mer en général, et la Guadeloupe en particulier, doivent absolument diversifier leur agriculture et préparer la transition agroécologique. Il importe de mettre en place de nouvelles filières résilientes, qui apporteront de la valeur ajoutée et permettront aux habitants de trouver des emplois durables. Les territoires ultramarins ont besoin de tendre vers l’autonomie alimentaire.
Les filières agricoles et agroforestières représentent une opportunité de développement très importante en outre-mer. Nous devons progresser vers des pratiques vertueuses, qui permettent de lutter contre le réchauffement et le dérèglement climatiques. Elles peuvent prendre des formes variées : bocages, alignements interparcellaires, prés-vergers ou, plus spécifiquement, jardins créoles, cultures sous forêt…
Vous évoquez particulièrement l’agroforesterie, qui est très importante pour la Guadeloupe. Dans le cadre de la politique agricole commune, deux types d’aides permettent de financer l’agroforesterie : les aides à l’entretien des infrastructures agroécologiques, via les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC), et surtout les aides à l’investissement. Parmi celles-ci, outre les dispositifs visant les investissements dits « non productifs », l’agroforesterie bénéficie d’un régime spécifique : l’aide à la mise en place et à l’entretien des systèmes agroforestiers.
Nous travaillons dans cette direction dans le cadre du plan stratégique national. Je souhaite, au titre de la transition agroécologique, promouvoir l’agroforesterie, qui doit avoir toute sa place sur le territoire national, notamment en outre-mer. J’espère que nous parviendrons à trouver des financements adéquats dans le cadre de la future politique agricole commune.
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Théophile, pour la réplique.
M. Dominique Théophile. Je vous remercie de ces indications, monsieur le ministre.
Le développement des cultures historiques de la canne à sucre et de la banane est désormais limité sur notre territoire. Il nous faut donc imaginer une diversification pour maintenir les emplois du secteur agricole. Sur le terrain, le travail réalisé par la chambre d’agriculture et d’autres acteurs permet à des jeunes d’intégrer ce secteur d’activité, qui reste pourvoyeur d’emplois.
Le financement est au cœur des préoccupations des porteurs de projets. Un soutien des pouvoirs publics et de la PAC est souhaitable.
recommandations relatives à la consommation de fromages au lait cru
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, auteur de la question n° 881, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Max Brisson. Camembert, reblochon, roquefort, picodon, banon, et bien d’autres encore… Ces fromages au lait cru sont-ils définitivement bannis de nos cantines scolaires ?
En effet, en mai 2019, le ministère de l’agriculture et de l’alimentation a diffusé une instruction rappelant notamment « la nécessité d’éviter la consommation de ces denrées par les jeunes enfants, particulièrement en restauration collective », « que les enfants de moins de 5 ans ne doivent en aucun cas consommer ces produits » et que « les qualités nutritionnelles de ce type de produits » ne peuvent « occulter le risque sanitaire ».
Bien entendu, je ne remets pas en cause le bien-fondé de ces recommandations. Il est vrai qu’une trentaine de cas d’infections et un dramatique décès ont été portés à la connaissance des pouvoirs publics en mai 2018 et en avril 2019. Il est évidemment responsable et attendu que le ministère de l’agriculture et de l’alimentation prévienne ces risques et alerte à leur sujet.
Néanmoins, vous devinez, monsieur le ministre, que cette application stricte du principe de précaution conduit une grande partie des responsables de restauration collective à ne prendre aucun risque et donc à ne plus offrir ces produits.
Dans un contexte où la défiance envers les agriculteurs et les éleveurs est telle qu’ils dénoncent l’agri-bashing dont ils sont victimes, cette mesure distend un peu plus le lien entre société et agriculteurs.
Pourtant, de nombreuses collectivités locales sont engagées avec les producteurs locaux dans une démarche de circuits courts et d’intégration de leurs produits dans la restauration collective.
Ainsi, le conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques, comme beaucoup d’autres, est le promoteur, auprès des communes et des intercommunalités, de la belle démarche « Manger bio & local, labels et terroirs ».
L’éducation nationale, quant à elle, favorise l’éducation au goût. Les semaines du goût dans les établissements scolaires connaissent un grand succès.
Il serait donc paradoxal que l’instruction de votre ministère freine le recours à la production locale et conforte la prééminence de la nourriture industrielle dans la restauration collective, laquelle n’est pas non plus imperméable aux difficultés sanitaires.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer si l’impact économique de cette instruction a été appréhendé ou sera étudié prochainement par les services de votre ministère ? Combien de temps durera l’interdiction de la consommation de fromages au lait cru en restauration collective ? Envisagez-vous de la lever afin que ces produits, auxquels les Français sont attachés, puissent être exempts de soupçons ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Max Brisson, vous êtes vraisemblablement, comme moi, un amateur de bonne chère. Nous avons la chance d’avoir, dans ce pays, une bonne agriculture, qui fournit une alimentation saine, sûre, tracée et durable. Ses produits sous signes de qualité sont absolument remarquables.
Je suis comme vous favorable à la consommation de bons fromages au lait cru, le plus emblématique étant sans doute le camembert ! Cela étant, il convient de ne pas opposer les uns aux autres. Vous avez évoqué la démarche du conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques, qui promeut le manger bio et local. Cette initiative est absolument remarquable : il faut aller dans ce sens. C’est l’avenir de l’agriculture et de l’alimentation collective, notamment de la restauration scolaire.
Plus spécifiquement, je soutiens de toutes mes forces les producteurs de fromages au lait cru. Les aliments de qualité typiques ou élaborés dans le respect de l’environnement et du bien-être animal font partie du patrimoine alimentaire français. En outre, les fromages au lait cru renferment une flore bactérienne vivante et variée qui peut être favorable à la santé, comme l’a récemment déclaré l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement.
En revanche, ils peuvent aussi contenir des agents pathogènes – salmonelles, Escherichia coli… –, qui ont provoqué dans le passé un certain nombre de maladies et, malheureusement, de décès.
Les spécialistes de la santé, saisis par le ministère de l’agriculture, nous ont recommandé, en application du principe de précaution, d’éviter de faire manger aux enfants de moins de cinq ans du fromage au lait cru. En effet, le risque est assez faible pour les adultes, mais, pour les enfants de zéro à cinq ans, il existe un sur-risque significatif : la probabilité que survienne un syndrome hémolytique et urémique est 110 fois plus élevée.
C’est la raison pour laquelle cette instruction a été donnée. Nous n’avons pas encore de retour d’expérience ; il y a de toute façon assez peu de fromages au lait cru, me semble-t-il, dans les cantines d’écoles maternelles ou primaires, mais le principe de précaution nous oblige à être vigilants.
Néanmoins, je tiens à réaffirmer que le ministère de l’agriculture et de l’alimentation veut promouvoir l’ensemble des fromages, en particulier ceux qui sont au lait cru.
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.
M. Max Brisson. J’apprécie la manière dont M. le ministre parle des bons produits. J’espère que ce n’est pas mon embonpoint qui l’inspire… (Sourires.)
Néanmoins, il faut conserver un équilibre, me semble-t-il. Les responsables de la restauration collective, y compris quand celle-ci est destinée aux adultes, ne doivent pas aller trop loin par rapport aux souhaits exprimés dans cette instruction, dont je ne remets pas en cause la nécessité.
enseignement agricole
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, auteur de la question n° 821, transmise à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le ministre, en janvier dernier, vous déclariez que l’enseignement agricole était au cœur de vos priorités. C’est une ambition que nous ne pouvons que partager.
Or, force est de constater que cette filière de formation, qui prépare à plus de deux cents métiers dans de nombreux domaines, demeure, hélas, peu attractive.
À l’heure actuelle, l’enseignement agricole, qui est piloté par votre ministère, mais qui fait partie du service public de l’éducation, est bien le deuxième réseau éducatif français. À ce jour, ce sont 806 établissements répartis sur l’ensemble du territoire qui accueillent 160 000 élèves de la classe de quatrième au brevet de technicien supérieur, chiffre auquel s’ajoutent quelque 35 000 apprentis.
Quelque 40 % des formations proposées sont en lien avec la nature – agriculture, forêt, environnement, agroalimentaire, paysage, horticulture, viticulture – et ouvrent sur une très large gamme de métiers ou permettent d’intégrer l’enseignement supérieur agricole, qui, avec douze écoles publiques, délivre des diplômes de vétérinaire, d’ingénieur agronome, de paysagiste ou encore de professeur de l’enseignement agricole.
Dernière précision, et non des moindres, l’enseignement agricole, très largement ouvert sur le monde, avec des échanges européens et internationaux via Erasmus et la coopération, permet aux jeunes de trouver facilement un emploi au terme de leur scolarité. Aussi la confidentialité entourant cette filière est-elle d’autant plus incompréhensible.
Ma question est donc simple : pourquoi, avec votre collègue de l’éducation nationale, ne communiquez-vous pas davantage et plus efficacement sur l’enseignement agricole et ne valorisez-vous pas plus cette filière auprès des jeunes ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur Mizzon, vous parlez d’or : l’enseignement agricole est un joyau, une pépite.
Laissez-moi vous expliquer comment nous communiquons. Lorsque j’ai été nommé à mon poste, j’ai immédiatement déclaré que la réussite de la transition agroécologique et l’avènement de nouvelles pratiques agraires passeraient par la formation.
Vous l’avez dit, nous avons plus de 800 lycées techniques agricoles, mais, depuis dix ans, le nombre d’élèves dans ces établissements diminuait sans cesse. J’ai voulu mettre fin à cette hémorragie.
C’est pourquoi, avec Jean-Michel Blanquer, l’année dernière, lors du Salon de l’agriculture, nous avons lancé une immense campagne, que nous avons baptisée « L’aventure du vivant », pour intéresser les jeunes. En effet, au lieu d’être un second choix, l’enseignement agricole doit devenir un primo-choix, que ce soit dans un lycée public, dans un lycée privé ou dans une maison familiale rurale – je ne fais pas de différence entre les trois familles d’établissements.
Cela a fonctionné. Alors que nous perdions environ 4 000 élèves par an, pour la première fois, cette année, nous avons enregistré 750 élèves en plus ; le delta est là.
L’enseignement agricole est devenu une force, parce que nous avons lancé une communication sur internet qui a été vue par 12 millions de personnes et parce que nous avons créé le site « L’aventure du vivant », que je vous invite à consulter. Vous avez raison, monsieur le sénateur, il y a plus de 200 métiers possibles à la clé. Vous l’avez compris, je suis un ardent défenseur de l’enseignement agricole et je suis fier d’avoir inversé la tendance.
Cette année, nous allons lancer au Salon de l’agriculture un tour de France des bus de « L’aventure du vivant ». Ces véhicules vont sillonner la France pour faire la promotion de l’enseignement agricole, en zone rurale comme dans les quartiers urbains.
Cet enseignement est une solution, car ses résultats aux examens et au baccalauréat sont très bons. Lorsque l’on entre dans un établissement de la filière enseignement agricole, on en sort avec une formation et un emploi. Que l’on soit fort ou moins fort à l’école, on peut être accueilli dans cet enseignement, la palette de nos formations permettant d’intégrer tout le monde, les élèves de la ruralité comme ceux des villes.
Monsieur le sénateur, je partage totalement votre enthousiasme. L’enseignement agricole – public, privé ou assuré par les maisons familiales rurales –, tous ses lycées, toutes ses formations constituent un vivier, pour que, demain, l’agriculture française soit résiliente, des jeunes venant s’installer pour travailler selon les principes de l’agroécologie.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour la réplique.
M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le ministre, je ne vous surprendrai pas en disant que l’agriculture doit être accompagnée à tous les échelons, et singulièrement à celui de l’éducation et de la formation.
J’entends votre réponse. Vous me dites que la courbe est inversée et que les effectifs sont désormais en hausse. Je n’ai pas de raison d’en douter et je ne puis que vous encourager à poursuivre sur cette voie. Un premier pas a été accompli, et il faut maintenir l’effort, voire l’amplifier, pour que cette filière, qui débouche sur des emplois, soit traitée de la meilleure manière possible.
risques de non-réalisation dans les délais de certains équipements et de surcoûts pour les jeux olympiques de 2024
Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Roger, auteur de la question n° 1058, adressée à Mme la ministre des sports.
M. Gilbert Roger. Madame la ministre, j’attire votre attention sur les risques de réalisation hors délais de certains équipements des jeux Olympiques de 2024, mais aussi sur les surcoûts, relevés en mars 2018 dans un rapport de l’inspection générale des finances remis au Gouvernement et conforté par un récent article de presse très documenté.
La métropole du Grand Paris a voté, le 4 décembre dernier, la prolongation des négociations en vue de l’attribution du chantier du centre aquatique et d’une passerelle piétonne enjambant l’autoroute A1 pour le relier au Stade-de-France, les projets des entreprises candidates étant jugés trop coûteux. On évoque des offres qui se situeraient au moins entre 25 % et 30 % au-dessus du budget prévisionnel de 113 millions d’euros…
Le calendrier prévoyait initialement que le chantier soit attribué à la mi-novembre 2019, la construction du centre aquatique devant commencer au début de 2021, pour une livraison dans les temps pour les JO.
Madame la ministre, je souhaiterais que vous puissiez renouveler l’engagement du Gouvernement à tenir les délais et le budget du projet olympique, tout en en maintenant l’ambition et l’utilité de ces équipements pour les habitants du territoire.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. Monsieur le sénateur, vous évoquez la question du centre aquatique et de la passerelle de Saint-Denis. Effectivement, nous devons veiller en permanence à ce que la construction des équipements entre dans les délais prévus pour une livraison dans les temps, mais également à ce que les coûts restent dans l’enveloppe prévue.
Permettez-moi de vous rassurer : tout est aujourd’hui maîtrisé ! La Société de livraison des ouvrages olympiques, la Solideo, est totalement en phase avec le calendrier des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024.
Aujourd’hui, les travaux se déroulent normalement, la Solideo collaborant très bien avec les collectivités locales et avec l’ensemble des parties prenantes, comme le comité d’organisation. J’ai pu rencontrer quasiment toutes les collectivités à la préfecture de Saint-Saint-Denis pour m’en assurer personnellement.
L’État, premier financeur de la Solideo, va évidemment assurer un suivi et un accompagnement permanents pour que l’on arrive à tenir non seulement les délais, mais aussi les enveloppes.
Pour vous donner plus de détails, sachez que l’année 2019 a été marquée par une forte activité juridique liée aux procédures d’urbanisme et foncières.
Aujourd’hui, la quasi-totalité du foncier nécessaire à l’accueil des sites olympiques a pu être sécurisée. La Solideo a avancé sur la sélection des prestataires devant intervenir sur les différents sites, et nous avons pu, le Premier ministre et moi-même, lancer les travaux du village olympique le 4 novembre dernier, à l’occasion du comité interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques.
Un grand nombre de permis de construire seront déposés au cours du premier semestre 2020, et les opérations d’aménagement seront engagées durant l’année, pour que l’on puisse avancer par rapport au calendrier prévisionnel.
Sur le plan budgétaire, plus précisément, les engagements financiers sont aujourd’hui maîtrisés. Pourtant, comme le signalent tous les acteurs du secteur, le contexte est marqué par une forte tension sur les prix du BTP en Île-de-France ; il faut donc rester vigilant à cet égard.
C’est pourquoi le Premier ministre et l’ensemble des parties prenantes ont validé, le 14 juin 2018, un nouveau protocole financier, qui prévoit un programme optimisé d’ouvrages à construire et qui reste, je puis vous l’assurer aujourd’hui, dans l’enveloppe budgétaire initialement prévue. Vous le voyez, nous restons attentifs à ces questions, notamment à l’évolution du budget du centre aquatique que vous avez évoqué.
Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Roxana Maracineanu, ministre. Nous sommes trois ministères clairement engagés sur le sujet – le ministère de l’action et des comptes publics, le ministère de la ville et le ministère des sports –, au travers de la Dijop, la délégation interministérielle aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.
règles applicables dans le périmètre de protection d’un bâtiment classé
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fournier, auteur de la question n° 1035, transmise à M. le ministre de la culture.
M. Bernard Fournier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur les règles applicables en matière architecturale, notamment dans le périmètre de protection d’un bâtiment classé.
La loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine avait pour objectif de conforter et de moderniser la protection des patrimoines en simplifiant le droit des espaces protégés, tout en rendant ce dernier plus intelligible pour les citoyens.
Dans le cadre des débats organisés lors de l’élaboration de ce texte par la commission de la culture du Sénat, la présidente du Conseil national de l’ordre des architectes convenait que « la loi, intelligemment, prévo[yait] désormais un périmètre réfléchi selon les perspectives et les abords d’un monument classé, au lieu des systématiques 500 mètres » et que « la loi port[ait] une ambition nouvelle pour la qualité architecturale. » Elle reconnaissait qu’il était « nécessaire de marier l’architecture contemporaine et les sites classés ».
Dans les faits, malheureusement, le traitement réalisé par les services des directions régionales des affaires culturelles et des unités départementales de l’architecture et du patrimoine ne va absolument pas dans ce sens.
Sur le terrain, dans nos départements respectifs, le développement des communes, notamment rurales, est très largement contraint aujourd’hui en matière de consommation des espaces agricoles, avec un empilement de réglementations : PLU, SCOT, PLH, etc.
Que nous réserve l’avenir ? Nous n’avons qu’une seule certitude : les restrictions seront de plus en plus fortes et les contraintes encore plus grandes.
Le Premier ministre a d’ailleurs déclaré au congrès de l’Association des maires ruraux de France, en 2019, que le Gouvernement souhaitait « lutter contre l’artificialisation des sols, ce qui impliqu[ait] de renforcer les outils disponibles pour réhabiliter le bâti ancien ou pour mieux réguler les activités commerciales. » Il a ajouté : « Il faut faire attention au développement des espaces urbains ou périurbains ».
Si les communes rurales et périurbaines veulent continuer d’être dynamiques, il faut permettre une réhabilitation du bâti existant, même dans les périmètres de protection d’un bâtiment classé. Sinon, des communes seront totalement privées de toute perspective d’évolution en matière architecturale.
Aujourd’hui, les rejets des demandes de permis semblent beaucoup trop systématiques et bien souvent déconnectés des réalités locales. Il est indispensable de se donner les moyens de rénover et de moderniser de nombreuses habitations. On ne peut pas mettre des secteurs entiers de nos communes « sous cloche ». Les élus attendent une réponse adaptée à cette situation.
En conséquence, madame la ministre, je souhaiterais connaître l’analyse et les intentions du Gouvernement en la matière.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. Monsieur le sénateur Bernard Fournier, la loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, voulue par le Gouvernement, a introduit un nouveau dispositif de protection des abords de monuments historiques, que vous avez détaillé.
L’objectif était de remplacer progressivement, sur proposition de l’architecte des Bâtiments de France, les périmètres automatiques de 500 mètres autour des monuments historiques par des périmètres délimités des abords (PDA), définis dans le code du patrimoine et plus adaptés à la réalité et aux enjeux locaux.
Depuis l’adoption de la loi, plus de 300 PDA de monuments historiques ont été institués. Les collectivités territoriales se sont bien approprié ce dispositif, qui tend à préserver un espace cohérent avec les monuments historiques qu’ils englobent. Notons que ces périmètres sont aussi validés après concertation avec la population, via l’enquête publique.
En leur sein, tous les travaux sont soumis à l’accord de l’architecte des Bâtiments de France. Les projets doivent concilier la préservation du patrimoine et la qualité architecturale du bâti, en tenant compte des enjeux d’habitabilité et de développement durable.
L’un des objectifs est d’éviter l’étalement urbain et les évasions commerciales, dans le cadre du plan national « Action cœur de ville ».
Nous pensons que le projet architectural contemporain de qualité participe de la démarche patrimoniale, de son dynamisme et de sa pérennité. Le patrimoine peut ainsi évoluer grâce à la création architecturale : il s’agit de réhabiliter des bâtiments en leur donnant une nouvelle fonction, en agrandissant des architectures existantes ou en s’y insérant. C’est l’un des enjeux de la lutte contre l’étalement urbain.
Ainsi, l’architecture contemporaine a pu être introduite au sein de nombreux sites protégés au titre de code du patrimoine. Nous pouvons, notamment, citer les exemples du Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine de Sedan, du musée des Beaux-arts de Dijon ou encore de l’école de musique de Louviers.
Enfin, comme a pu le dire le ministre de la culture à l’occasion des dernières Journées nationales de l’architecture : « Penser transformation et adaptation, […] c’est sortir peu à peu de la logique du jetable au profit du recyclable et du réparable, sur le plan culturel comme sur le plan environnemental. »
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
4
Mitage des espaces forestiers en Île-de-France
Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à lutter contre le mitage des espaces forestiers en Île-de-France (proposition n° 159, texte de la commission n° 225, rapport n° 224).
La conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre XIV bis du règlement du Sénat.
Au cours de cette procédure, le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l’ensemble du texte adopté par la commission.
proposition de loi visant à lutter contre le mitage des espaces forestiers en île-de-france
Article 1er
(Conforme)
I. – L’article L. 143-2-1 du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :
1° Au début de la première phrase du premier alinéa, les mots : « À titre expérimental, pendant une durée de trois ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi n° 2017-257 du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain, » sont supprimés ;
2° Le dernier alinéa est supprimé.
II. – Le I entre en vigueur le 1er mars 2020.
Article 2
(Conforme)
La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par l’augmentation de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, au Gouvernement, puis au rapporteur de la commission, pour sept minutes, et, enfin, à un représentant par groupe, pour cinq minutes.
La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord vous dire que la procédure de législation en commission suivie pour ce texte est une belle et bonne procédure.
Il y a des sujets sur lesquels nous avons besoin de débattre afin que tout le monde soit éclairé ; c’est bien normal. D’autres, en revanche, font consensus : c’est alors que le travail en commission peut se révéler encore plus approfondi. Tel a été le cas pour ce texte.
Je tiens dès lors à vous féliciter, madame la présidente de la commission des affaires économiques, ainsi que tous les membres de cette commission, d’avoir engagé ce travail.
Cette proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale et examinée la semaine dernière par votre commission, vise à pérenniser une expérimentation qui doit arriver à son terme à la fin du mois prochain.
Cette expérimentation, mise en place par la loi du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain, a offert pour trois ans à la société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) d’Île-de-France la possibilité de préempter les ventes de biens boisés, dès lors que leur superficie est inférieure à trois hectares et que les communes où ces biens sont situés sont dotées d’un document d’urbanisme. Ces préemptions sont motivées par un nouvel objectif : la protection et la mise en valeur de la forêt.
Comme en témoigne ce nouvel objectif, le texte qui vous est soumis aujourd’hui n’est pas une proposition de loi strictement technique. Je salue à ce propos tous les élus d’Île-de-France siégeant sur ces travées : ils connaissent bien le sujet de l’artificialisation et du mitage des terres par l’achat répété de petites parcelles. Ce problème est bien plus important en Île-de-France qu’ailleurs.
C’est la raison pour laquelle nous avons voulu, au travers de l’examen de ce texte par l’Assemblée nationale, puis par votre Haute Assemblée, traiter ce problème francilien de façon spécifique. Il n’est pas question de généraliser le dispositif prévu ! Celui-ci a pour seul objet, bien évidemment, la forêt d’Île-de-France ; il ne sera en aucun cas question d’aller plus loin demain.
Il n’en reste pas moins que nous avons besoin, plus généralement, de changer le regard que nous portons sur la forêt.
Je ne reviendrai pas sur l’intérêt, déjà évoqué dans cet hémicycle à de nombreuses reprises, que présente la forêt française, ni sur son rôle dans la lutte contre le réchauffement climatique, au travers du captage de carbone qu’elle permet. La forêt française, fort heureusement, est un puits de carbone sans fond !
Pour autant, cette forêt doit être exploitée ; elle doit évoluer. Il ne faudrait pas souffrir, pour reprendre une expression que l’un d’entre vous a employée en commission, du « syndrome d’Idéfix », c’est-à-dire se mettre à pleurer chaque fois que l’on coupe un arbre. On peut couper des arbres dans une forêt ; je dirais même qu’on le doit, afin de la régénérer, de l’aérer et de traiter ses maux.
Le Sénat, en examinant ainsi ce texte, a fait montre de sagesse, au-delà des clivages politiques. Pour bien connaître cette maison, je n’en suis nullement étonné.
Tout le monde s’est rassemblé au service d’un intérêt particulier, pour aider les élus d’Île-de-France, qui demandaient depuis longtemps que la Safer de cette région soit autorisée à étendre sa protection aux espaces boisés, dans la mesure où ils sont tout autant concernés par le phénomène du mitage que les espaces agricoles.
Le mitage subi par les forêts de l’Île-de-France est extrêmement important. La Safer ne pouvait en effet intervenir que sur des parcelles agricoles naturelles, alors que l’artificialisation exercée sur la forêt est, elle aussi, importante.
Une expérimentation a été menée, sur votre initiative, afin d’y remédier. Depuis février 2017, la Safer de l’Île-de-France a exercé son droit de préemption à 510 reprises, et 198 de ces préemptions, soit une proportion de 39 %, ont été motivées par le nouvel objectif de protection et de mise en valeur de la forêt. La surface moyenne d’intervention s’établit à 5 289 mètres carrés par vente : cela montre que ces préemptions s’effectuent sur des parcelles de très petite taille, ce qui répond aux inquiétudes qui ont pu s’exprimer.
Par ailleurs, 180 de ces préemptions ont été réalisées par la Safer d’Île-de-France à la demande de collectivités, afin de protéger des espaces boisés.
Il s’agit à la fois de maintenir la possibilité de faire évoluer la forêt et de respecter l’impérieuse nécessité de protéger contre le dérèglement climatique la forêt d’Île-de-France, comme toutes les forêts de France : la forêt du Grand Est, chère à MM. Pierre et Gremillet ; la forêt méditerranéenne, chère à M. Daunis… Si je devais mener cette liste à son terme, je n’en finirais pas ! (Sourires.)
Pour en revenir aux forêts d’Île-de-France, seules 18 demandes ont été formulées, dans le cadre de cette expérimentation, par les propriétaires forestiers. Cela montre bien l’importance du présent texte.
Pour faire court, afin de prolonger cette expérimentation, il importait de faire en sorte que les collectivités et la Safer puissent travailler ensemble à l’avenir. De fait, les préemptions menées en forêt par cette dernière ont été bien accueillies par tous les acteurs des territoires.
C’est pourquoi il vous est proposé, par le présent texte, de faire entrer dans le droit commun ce dispositif expérimental dont tous ont reconnu l’utilité dans la lutte contre les défrichements illégaux et l’artificialisation des sols.
Le Gouvernement est par conséquent favorable à l’adoption de ce texte déjà adopté par l’Assemblée nationale. Cette proposition de loi répond à une demande forte de la population, des communes et de la Safer d’Île-de-France. Au bout du compte, en adoptant ce texte, vous ferez œuvre utile pour préserver la forêt de l’Île-de-France contre un mitage trop important et contre une artificialisation trop forte. Je me doute que vous adopterez à une très large majorité, voire à l’unanimité, ce texte qui va dans le bon sens.
Cette adoption conforme permettra l’application rapide de ce texte important pour les forêts de l’Île-de-France. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Sophie Primas, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne répéterai pas à cette tribune les brillants propos que vient de tenir M. le ministre quant à l’objectif de ce texte.
Nous avons tous bien compris ce dont il est question : ce texte concerne uniquement l’Île-de-France et porte sur un problème parfaitement connu des élus locaux et des propriétaires forestiers, à savoir la « cabanisation » de parcelles rurales et forestières de notre région.
Nous avons mené un travail commun avec l’Assemblée nationale, notamment, avec notre collègue député Jean-Noël Barrot – signe de notre ouverture politique –, pour faire adopter cette proposition de loi, dans les mêmes termes, par nos deux assemblées, avant la fin de l’expérimentation en cours.
Cette expérimentation aura duré trois ans ; elle avait été mise en place sur l’initiative du Sénat, en février 2017, au sein de la loi relative au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain. Rappelons que les préemptions qu’elle permet à la seule Safer d’Île-de-France ne portent que sur les petites parcelles. Nous avons examiné attentivement les résultats de cette expérimentation : ils sont tout à fait probants et montrent bien l’efficacité de ce dispositif.
Nous nous étions également interrogés sur la possibilité juridique de légiférer de façon différenciée pour une partie du territoire national, c’est-à-dire de créer un droit différent selon les régions. Je crois pouvoir dire que la législation que nous vous proposons ne comporte pas, de ce point de vue, de risque constitutionnel. En effet, notre droit ne comporte pas d’outil alternatif d’une efficacité préventive comparable.
Par ailleurs, d’autres textes spécifiques à une seule région, en particulier à l’Île-de-France, sont déjà en vigueur. On peut mentionner la décision du 15 décembre 2017 du Conseil constitutionnel, qui validait l’instauration d’une taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux dans cette seule région : le juge constitutionnel a pris en considération les difficultés spécifiques qui se manifestent sur ce territoire avec une acuité particulière.
Enfin, on peut justifier la nécessité d’un dispositif spécifique à la forêt francilienne par le fait que celle-ci est trois fois plus morcelée que la moyenne de l’Hexagone. Elle représente moins de 2 % de la superficie de la forêt de métropole, mais bénéficie à 12 millions de Franciliens. Sa préservation est donc essentielle, alors que son morcellement est hors-norme.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous estimons que cette proposition de loi est constitutionnellement solide. Politiquement, elle est attendue sur toutes nos travées. Mes chers collègues, je vous recommande donc de l’adopter à une large majorité ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes LaREM et SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Rachid Temal. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes amenés, à la demande de la commission des affaires économiques, à nous prononcer aujourd’hui sur une proposition de loi portée, à l’Assemblée nationale, par M. Jean-Noël Barrot.
Ce texte vise à pérenniser une expérimentation introduite par la loi relative au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain du 28 février 2017. Cette loi a été adoptée sous le précédent quinquennat : il est important de le rappeler !
Cette expérimentation permet la préemption par la Safer d’Île-de-France de parcelles forestières de petite taille dès lors que l’objectif visé est bien la protection et la mise en valeur de la forêt.
Cette société d’aménagement assure un service public important ; les collectivités sont heureuses d’avoir à leurs côtés cet opérateur, qui montre au quotidien que des opérations peuvent être menées avec succès sur différents territoires. En tant que Valdoisien, je puis mesurer combien l’intervention de la Safer est utile pour protéger beaucoup de territoires.
Ce texte ne pose pas de problème. Nous voterons en sa faveur, quand bien même je suis plus dubitatif que M. le ministre quant à la procédure législative suivie. Certes, celle-ci permet de travailler en commission, mais elle ne permet pas à tous les sénateurs de travailler sur un texte donné, comme on peut l’observer à présent.
Cela dit, le groupe socialiste et républicain soutiendra ce texte, qui va dans le bon sens et répond à un besoin de nos collectivités. Non seulement il pérennise un dispositif introduit au cours du précédent quinquennat, période pour laquelle j’ai une certaine sympathie, mais il aborde aussi un sujet qui n’est pas anodin pour l’Île-de-France et ses habitants.
Surtout, ce dispositif fonctionne. Il est important, pour notre République et nos institutions, de pouvoir pérenniser ce qui fonctionne. Le présent texte peut en être un exemple.
En effet, le phénomène du mitage forestier, qui consiste en la vente de parcelles de petite taille à des particuliers, souvent à des prix très élevés, est très prégnant en Île-de-France, région où la pression foncière est très importante.
Ce problème est aggravé parce que le morcellement de la forêt francilienne est de trois fois supérieur à la moyenne nationale. Par ailleurs, il faut noter que la forêt francilienne couvre 261 000 hectares, soit un taux de boisement de 21 %, ce qui fait de l’Île-de-France une région assez forestière, contrairement à l’image que l’on peut parfois s’en faire, ce qui justifie l’intérêt de ce dispositif.
L’Île-de-France est la région la plus densément peuplée de notre pays. La préservation de la forêt y est donc indispensable, que ce soit pour la protection de ses paysages, pour la qualité de vie de ses habitants, notamment de manière à assurer la proximité de lieux de détente, et surtout pour le maintien de la biodiversité. Notre démarche est donc positive à la fois pour l’écologie, pour l’agriculture et pour l’alimentation, domaine dans lequel cette région a des capacités conséquentes.
Le Val-d’Oise est une parfaite illustration de ce phénomène. En effet, environ 20 % de sa surface est boisée, mais, de ces forêts, 75 % sont privés et soumis aux contraintes de morcellement que j’ai déjà évoquées.
Des efforts collectifs sont néanmoins accomplis. Ainsi, dans le Val-d’Oise, le syndicat mixte d’aménagement de la plaine de Pierrelaye-Bessancourt crée une nouvelle forêt de 1 350 hectares : les premières plantations ont été réalisées le 25 novembre dernier.
À terme, sur une période de dix ans, près d’un million d’arbres seront plantés, de manière à parvenir à une forêt mature dans une trentaine d’années. L’ensemble des collectivités de ce territoire participe à ce projet, première forêt humaine plantée depuis quarante ans. J’ai eu le plaisir de travailler sur ce projet, en qualité d’adjoint au maire, puis de conseiller régional.
Telles sont les raisons qui expliquent notre vote. Je le répète, cette proposition de loi est bienvenue, ce dispositif est utile. Il est question d’enjeux concrets pour des millions de Franciliens. C’est pourquoi nous voterons en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Martin Lévrier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Léonhardt, pour explication de vote.
M. Olivier Léonhardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les problématiques urbaines, très prégnantes en Île-de-France, ne doivent pas occulter les enjeux agricoles et forestiers qui se concentrent aussi dans cette région, en particulier dans la grande couronne parisienne.
Les auteurs de la proposition de loi visant à lutter contre le mitage forestier nous rappellent aujourd’hui cette réalité francilienne, celle d’un espace boisé à hauteur de 21 % – dans mon département, l’Essonne, ce taux s’élève même à 23 %.
Personne n’ignore non plus le rôle fondamental que joue la forêt. Tout à tour puits de carbone indispensable à la lutte contre le réchauffement climatique, ressource économique pourvoyeuse d’emplois, ou encore terrain propice aux activités de loisirs, la forêt mérite pour bien des raisons que nous la protégions.
Malgré la bonne volonté des collectivités locales et l’action de l’Office national des forêts, certaines zones forestières se dégradent pourtant. Lequel d’entre nous n’a-t-il pas déploré des dépôts sauvages en lisière de forêt ? On recense aussi, un peu partout, des surfaces en déshérence bloquées par l’indivision.
Un autre fléau a reçu le nom de « cabanisation » : il s’agit des constructions illégales qui affectent les zones naturelles. Enfin se pose la question du mitage, qui nous intéresse directement aujourd’hui.
On sait bien que cette difficulté qui pèse sur toutes les forêts françaises. Toutefois, Mme le rapporteur a souligné à juste titre que l’Île-de-France, avec ses 12 millions d’habitants, doit faire face à une menace plus aiguë encore. La densité de population y est plus élevée qu’ailleurs, ce qui entraîne une pression foncière très conséquente.
Le mécanisme est bien connu : certains propriétaires profitent de cette pression pour vendre de petites parcelles à des prix très élevés, dans la perspective de leur changement d’affectation.
Ces pratiques destinées à la réalisation d’opérations juteuses sont l’un des obstacles à la bonne gestion de nos forêts. Elles accentuent un morcellement déjà très ancré sur notre territoire du fait de l’existence ancestrale d’une multitude de propriétaires privés.
Bien des outils spécifiques à la région francilienne peuvent être mobilisés pour protéger les espaces naturels, notamment l’agence des espaces verts de la région, ou encore les conventions de surveillance et d’interventions foncières qui réunissent la Safer et les collectivités locales. Toutefois, ces leviers ne suffisent pas à prévenir radicalement le mitage des espaces forestiers.
Aussi, je salue l’initiative de nos collègues députés visant à reconduire le dispositif expérimental adopté dans le cadre de la loi du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain. Il s’agit – cela a été rappelé – de pérenniser le droit de préemption de la Safer de l’Île-de-France pour les espaces boisés d’une superficie inférieure à trois hectares.
Le bilan de l’expérimentation réalisée depuis plus de deux ans par la Safer semble démontrer son efficacité, puisque 198 préemptions sur 510 ont été effectuées au titre de la protection et de la mise en valeur de la forêt. La taille des parcelles concernées, qui s’établit en moyenne autour de 5 000 mètres carrés, répond à l’objectif précis de lutte contre le mitage.
Bien entendu, malgré la qualité des missions exercées par la Safer d’Île-de-France, cet outil préventif ne résoudra pas tout. Lutter contre la spirale du mitage impose une vigilance à bien des égards.
Cette vigilance peut notamment passer par une mise à jour rigoureuse des parcelles forestières en déshérence, par l’application efficiente des sanctions prévues à l’encontre des bâtis illégaux, ou encore par l’appel au respect des règles déontologiques par les acteurs impliqués dans les ventes de petites parcelles forestières.
En attendant, compte tenu de ces résultats encourageants, le groupe du RDSE est favorable à l’adoption de cette proposition de loi, qui a été examinée la semaine dernière par la commission des affaires économiques dans le cadre de la procédure de législation en commission. Mon groupe se joint en effet au consensus qui prévaut sur ce texte.
Mes collègues et moi-même y sommes d’autant plus favorables que l’objectif de lutte contre le mitage et, plus globalement, contre le morcellement contribue à répondre à un autre défi, celui de la sous-exploitation de la forêt française en général.
Ce n’est pas le sujet qui nous occupe aujourd’hui, mais cette préoccupation remplit régulièrement les pages de nombreux rapports. Il est donc difficile de ne pas l’évoquer, ne serait-ce que pour rappeler que, en dépit de nombreux dispositifs publics de soutien, la structuration de la filière bois n’est pas encore optimale, ce qui est bien regrettable.
Cela dit, je tiens à répéter que la forêt est un bien commun que l’urgence écologique nous impose de conserver. L’accord de Paris sur le climat le rappelle, à son article 5, en invitant à l’instauration de mesures contre le déboisement.
En adoptant ce texte, nous apporterons ainsi une petite contribution à l’effort collectif de protection des zones naturelles. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et LaREM. – Mme le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Martin Lévrier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tous, nous n’avons pu que constater la violence inédite des incendies meurtriers qui dévastent l’Australie, sa faune et sa flore.
Si la préservation du patrimoine forestier mondial prend, à l’aune du changement climatique, une importance particulière, l’inquiétude quant à l’état des forêts françaises est ancienne. En effet, notre forêt tempérée associe des organismes vivants, végétaux et animaux, de toutes sortes et de toutes tailles, à des milieux très diversifiés par les sols, les climats, l’eau et les matières minérales. Comme tout être vivant, notre forêt est soumise à des influences susceptibles de perturber un équilibre fragile.
Mitage forestier, phénomène de « cabanisation », pollution : les menaces sur la forêt française, si elles ont changé de visage, demeurent d’actualité.
L’action indispensable du garde forestier ne suffit plus. La préservation de la forêt requiert l’intervention du législateur.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a été déposée par le député Jean-Noël Barrot, vise à lutter contre le mitage des espaces forestiers en Île-de-France. Pour rappel, le mitage n’est autre que la vente de parcelles de petite taille à des particuliers, souvent à des prix très élevés, en vue de donner au bien ainsi acquis un usage non conforme à sa vocation naturelle ou à son classement dans les documents d’urbanisme locaux.
L’île de France est, malgré son caractère urbain remarquable, aussi verte que bien d’autres régions françaises : ses 261 000 hectares de forêts aux caractéristiques bien spécifiques justifient la mise en œuvre d’outils spécifiques concourant à la préservation de cette forêt. En effet, le poumon vert de la région la plus densément peuplée du pays est soumis à une pression foncière sans comparaison avec le reste du territoire ; cette forêt connaît de multiples usages et un morcellement excessif.
Autre point non négligeable, sa répartition spatiale est très hétérogène : on relève quelques très gros massifs forestiers, comme ceux de Fontainebleau, de la vallée de la Seine et de Rambouillet, bien évidemment, mais aussi une forêt d’une plus faible densité dispersée sur le territoire rural de la grande couronne. Vous comprendrez que ce sujet tienne particulièrement à cœur à Mme le rapporteur et moi-même en tant qu’Yvelinois.
La forêt francilienne apparaît donc, dans ce contexte, particulièrement exposée au mitage forestier.
L’objectif de cette proposition de loi est simple : il s’agit de pérenniser un dispositif expérimental. En effet, la loi du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain a donné un nouveau pouvoir à la Safer d’Île-de-France, en l’autorisant à préempter, pour une durée de trois ans, en cas d’aliénation à titre onéreux, des parcelles en nature réelle de bois ou qui sont classées en nature de bois et forêt au cadastre, d’une superficie totale inférieure à trois hectares, lorsque l’exercice de ce droit de préemption a pour objet la protection et la mise en valeur de la forêt desdites parcelles.
L’expérimentation n’est pas encore arrivée à son terme. Néanmoins, le bilan de sa mise en œuvre du 28 février 2017 au 31 octobre 2019, tel qu’il résulte des données transmises par la Safer, apparaît suffisamment probant ; tous les acteurs de terrain le plébiscitent.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : depuis février 2017, la Safer d’Île-de-France a engagé de la sorte 198 préemptions. Ces actions ont été fréquemment motivées par plusieurs objectifs légaux, mais, dans 107 cas, le principal objectif invoqué était la protection et la mise en valeur de la forêt.
En d’autres termes, si nous n’avions pas légiféré sur le sujet et mis en place cette expérimentation il y a trois ans, dans 107 cas, soit 20 % des situations de préemption, les collectivités et la Safer se seraient trouvées impuissantes face à une vente contribuant à accroître le mitage…
L’efficacité de ce dispositif sur le territoire repose sur son caractère préventif. C’est bien logique, puisque, une fois la parcelle vendue, illégalement défrichée et artificialisée, il est particulièrement difficile pour les communes d’intervenir.
Je le redis : des collectivités territoriales à la Safer, des propriétaires privés aux préfectures, en passant par les associations environnementales, tous les acteurs sont d’accord quant à la qualité de ce dispositif, qui a fait la preuve de sa pertinence opérationnelle.
Mes chers collègues, les objectifs fixés dans le cadre de l’expérimentation – amélioration de la structure des propriétés forestières et préservation des forêts franciliennes du mitage, de la pression foncière et de l’étalement urbain – ayant été atteints, il apparaît donc totalement justifié de pérenniser ce dispositif sans attendre l’expiration du délai de trois ans.
Bien évidemment, le groupe La République En Marche votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, votée le 28 novembre dernier par l’Assemblée nationale, la proposition de loi visant à lutter contre le mitage des espaces forestiers franciliens a été adoptée, suivant la procédure de législation en commission, par la commission des affaires économiques.
Notre groupe votera ce texte,… (Exclamations ironiques sur les travées des groupes LaREM et SOCR.)
M. Martin Lévrier. Bravo !
M. Fabien Gay. … dans une belle unanimité, un texte dont la portée géographique réduite, puisqu’elle est circonscrite à l’Île-de-France. En effet, nous pensons qu’il faut aborder cette proposition de loi dans le contexte plus global de l’urgence écologique et de l’impérative nécessité de protéger notre patrimoine forestier.
Comme le souligne l’accord de Paris sur le climat, les forêts et les arbres jouent un rôle essentiel, agissant comme des puits de carbone et absorbant l’équivalent de 2 milliards de tonnes de dioxyde de carbone chaque année.
Or la forêt française est la troisième forêt d’Europe : elle occupe 30 % du territoire national et capte chaque année près de 70 millions de tonnes de CO2. Avec près de 140 variétés d’arbres différentes, elle compte parmi les plus diversifiées d’Europe.
Nous pensons d’ailleurs qu’il nous faut réfléchir à un texte visant à protéger plus largement notre forêt, notamment notre forêt amazonienne. Nous attendons avec impatience la réforme du code minier, qu’on attend depuis près d’un siècle.
En Île-de-France, puisque tel est le champ géographique de la proposition de loi, la forêt est présente sur environ 261 000 hectares, soit un taux de boisement de 21 %, pour une moyenne nationale de près de 30 %.
Or l’une des caractéristiques de cette surface forestière et boisée est son extrême morcellement, trois fois supérieur à l’échelle nationale, mais également son manque d’entretien. Comme cela a été souligné lors des travaux de la commission, cette situation accélère sa dégradation et favorise la spéculation.
Le mitage forestier, la « cabanisation », l’artificialisation des sols, la pollution via la dépose illégale de déchets, accélèrent la vente de parcelles de petite taille à des particuliers, à des entreprises ou à des fonds d’investissement, souvent à des prix très élevés.
C’est pourquoi la proposition d’inscrire de manière pérenne dans la loi un droit de préemption à la société d’aménagement foncier et d’établissement rural de l’Île-de-France pour les ventes de parcelles forestières de moins de trois hectares, lorsque l’opération vise à protéger et à mettre en valeur la forêt, est plus que nécessaire, d’autant que les collectivités se trouvent démunies pour freiner ce phénomène de mitage et de détournement de la fonction première de ces parcelles.
En effet, depuis 2017, la Safer de l’Île-de-France a motivé, notamment par l’objectif de protection et de mise en valeur de la forêt, 198 préemptions. Ces actions ont été fréquemment justifiées par plusieurs objectifs légaux, mais, dans 107 cas, le principal objectif invoqué était la protection et la mise en valeur de la forêt.
Ainsi, en l’absence de cette disposition, dans ces 107 cas, soit environ 20 % des préemptions de la Safer, celle-ci n’aurait pas pu empêcher la vente des parcelles et l’accroissement du mitage forestier qui en aurait résulté.
Les 198 ventes sur lesquelles la Safer est intervenue représentent une surface totale d’environ 105 hectares de foncier forestier.
Enfin, nous tenons à rappeler que, depuis de nombreuses années, notre groupe porte des amendements visant à élargir le droit de préférence des riverains, mais aussi à étendre, sur l’ensemble du territoire, le droit de préemption des Safer, ainsi que des communes forestières, aux parcelles boisées de moins de 4 hectares, ou encore à modifier le mode de représentation des Safer, en augmentant le nombre d’élus locaux et de la société civile.
La forêt est devenue une valeur refuge, qui suscite beaucoup d’appétit de la part des investisseurs privés, lesquels n’ont que peu de considération pour l’écosystème forestier, pourtant si fragile. Et c’est encore plus prégnant en Île-de-France.
C’est pourquoi, je le répète, nous voterons avec plaisir cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SOCR et LaREM. – M. Sébastien Meurant applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen de la proposition de loi visant à lutter contre le mitage des espaces forestiers en Île-de-France revêt un caractère tout particulier, alors que plus de 10 millions d’hectares ont été détruits en Australie par de violents incendies depuis septembre dernier, laissant des paysages lunaires et des forêts dévastées.
Les forêts constituent l’un de nos atouts majeurs dans la lutte contre le dérèglement climatique. Elles absorbent en effet chaque année 2 milliards de tonnes de CO2, l’un des principaux gaz à effet de serre.
La France a la chance d’avoir 30 % de son territoire couvert par la forêt, ce qui lui permet d’absorber 70 millions de tonnes de CO2 chaque année.
Les espaces forestiers sont également indispensables à la préservation de la biodiversité des espèces animales et végétales. Ils présentent des qualités environnementales évidentes, mais aussi des qualités sociales, comme point de contact entre l’homme moderne et la nature, et des qualités économiques, au travers de la sylviculture.
Les forêts subissent cependant de nombreuses atteintes, et leur surface a continué, au cours des trente dernières années, à se réduire à l’échelon mondial.
Parmi ces atteintes, les activités humaines jouent un rôle majeur, que ce soit pour la création d’espaces agricoles ou pour l’exploitation industrielle. Les feux de forêt, comme les incendies spectaculaires en Australie ou dans la forêt amazonienne, rendent la déforestation bien visible. Celle-ci révolte à juste titre les citoyens soucieux de l’environnement.
Il existe cependant des menaces plus silencieuses et moins visibles. Le mitage en fait partie. Cette pratique, qui consiste en la vente de petites parcelles forestières à des particuliers, pour des usages qui ne correspondent pas à la destination de ces lieux, met en péril la croissance de nos forêts.
La région de l’Île-de-France concentre un cinquième de la population française sur moins de 3 % de la superficie nationale. Malgré cette forte densité, la région parisienne comprend d’importantes surfaces boisées, représentant 20 % de son territoire.
Élue de la Seine-et-Marne – le plus vaste département de l’Île-de-France –, où la forêt représente 25 % de la surface, vous comprendrez que je suis sensibilisée à ce sujet, d’autant que mon département reste le premier de la région pour la production de bois. Je ne puis non plus passer sous silence le massif de Fontainebleau, seconde forêt domaniale de France, qui s’étend sur 25 000 hectares.
Pour tenter de protéger ces espaces contre le mitage, une expérimentation a été introduite par la loi de 2007 relative au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain. Il s’agissait de conférer à la Safer Île-de-France un droit expérimental de préemption portant sur les parcelles forestières de moins de trois hectares.
Le droit de préemption permet une intervention en amont, avant que la parcelle ne perde ses qualités forestières. Un tel dispositif permet d’entraver au minimum la liberté des propriétaires, qui demeurent maîtres de la décision de vendre leur parcelle et d’en fixer le prix.
Cette expérimentation s’est révélée utile. Le bilan fait état de près de 200 préemptions, pour une surface moyenne de 5 000 mètres carrés par vente.
Les différents acteurs de ces ventes ne se sont pas montrés hostiles au dispositif. Les collectivités locales sont à l’origine de la majorité des préemptions et, même si elles sont moins nombreuses, certaines préemptions ont eu lieu sur l’initiative de propriétaires privés.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à rendre permanent le droit de préemption de la Safer Île-de-France. Ce texte peut sembler modeste, technique, mais nous pensons qu’il contribue utilement à la préservation de la forêt francilienne.
Une question pourrait se poser quant à l’opportunité d’étendre ce dispositif à tout le territoire national, ou encore de le limiter aux zones soumises à une pression démographique ou à un étalement urbain important.
Les résultats de l’expérimentation ont démontré l’efficacité et la pertinence du dispositif sur le territoire francilien, mais ces résultats ne valent que pour ce territoire, si particulier, avec ses 1 014 habitants au kilomètre carré.
Le groupe Les Indépendants estime que toute atteinte à la liberté doit être strictement limitée et proportionnée au regard de l’objectif visé. L’éventuelle extension du mécanisme devra donc être soumise à un examen précis des spécificités de chaque territoire.
Concernant la région d’Île-de-France, à l’heure où les enjeux climatiques et environnementaux sont devenus primordiaux, et dans un contexte régional où 98,8 % du territoire correspond à une aire urbaine, chaque hectare compte.
Nous soutenons donc cette proposition de loi, qui, au vu de l’expérimentation, constitue une réponse adaptée au mitage des forêts franciliennes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, LaREM et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la forêt française constitue un des atouts naturels majeurs de la France, singulièrement dans le contexte actuel de transition énergétique et écologique, de lutte contre les gaz à effets de serre.
Filière économique de tout premier plan, elle représente plus de 440 000 emplois répartis sur l’ensemble du territoire. Son potentiel de développement est considérable et nous ne sommes qu’aux prémices de ce que ce matériau renouvelable de substitution peut nous offrir.
Cette forêt est aujourd’hui menacée, comme la plupart des espaces naturels. Victime de multiples fléaux, dont l’accélération du changement climatique n’est pas le moindre, elle pâtit aussi de l’étalement urbain.
Ainsi en Île-de-France, elle est victime d’une urbanisation « sauvage » et d’une pression foncière toujours grandissante. Le mitage et la « cabanisation », tels qu’ils vous ont été expliqués, conduisent au « grignotage » et à la disparition de forêts périurbaines, pourtant plus que jamais essentielles à l’équilibre des régions densifiées.
Ces constructions illégales font fi de l’autorité des maires et de leurs projets d’aménagements. Elles causent des nuisances aux riverains, entraînent des coûts supplémentaires à la charge directe et indirecte des collectivités, conduisent parfois à des extensions inopportunes de réseaux et rendent plus difficile la prévention des risques d’inondation, d’incendie et d’écoulement de boue.
La principale mesure de ce texte consiste donc à pérenniser le dispositif de lutte contre le mitage forestier en Île-de-France, expérimenté depuis 2017.
Il devenait urgent d’agir en mobilisant les outils existants, mais surtout en renouvelant l’action publique en la matière. En trois ans, le droit de préemption de la Safer Île-de-France a été utilisé 190 fois environ, souvent à la demande des collectivités locales.
Cette proposition de loi est plébiscitée, tant par les élus locaux que par les forestiers. Le groupe centriste la soutiendra donc, tout en demandant que l’évaluation de ce droit de préemption, prévue dans la loi de 2017 à l’issue de l’expérimentation, puisse bien faire, monsieur le ministre, l’objet d’un débat, de manière à définir s’il est ou non pertinent de le dupliquer à d’autres espaces naturels périurbains. En effet, si la pression foncière et démographique est particulièrement forte en Île-de-France, elle s’accroît également aux abords d’autres métropoles.
Face aux enjeux de climat, de neutralité carbone et de pollution, dans le cadre des PCAET, la place et les services rendus par les espaces forestiers sont devenus des sujets incontournables, qu’il convient de maîtriser, notamment tant que la fiscalité sur le foncier restera défavorable aux espaces naturels.
Tant qu’il sera fiscalement plus intéressant d’urbaniser une parcelle que de préserver des espaces naturels, la tentation sera grande, et la disparition des espaces naturels risque de se poursuivre.
Ce dispositif, utile pour lutter contre le mitage des espaces forestiers en Île-de-France, s’accompagne fort heureusement sur ces territoires périurbains, et depuis la mise en place des plans régionaux forêt-bois, de politiques de préservation et de développement forestier.
Je tiens toutefois à ce qu’il n’y ait aucune confusion : à mon sens, cette mesure n’a pas vocation à se déployer au-delà des massifs périurbains.
Mme Anne-Catherine Loisier. Elle ne répond aucunement à la question du morcellement de la propriété forestière.
L’enjeu est tout autre, puisqu’il s’agit non pas d’éviter la « cabanisation », objet de ce texte, mais bien, pour lutter contre le morcellement, de permettre des regroupements de parcelles propices à créer des unités de gestion sylvicole durable. En ce sens, le droit de préférence accordé aux riverains demeure l’outil le plus approprié ; il doit être favorisé. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Indépendants et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la pédagogie étant affaire de répétition, je rappelle pour la énième fois que la proposition de loi n° 159, adoptée par l’Assemblée nationale et visant à lutter contre le mitage des espaces forestiers en Île-de-France, a pour objectif de pérenniser une expérimentation lancée il y a bientôt trois ans.
Ce dispositif expérimental a démontré son utilité sur le terrain, mais il arrive bientôt à son terme et risque de s’éteindre si nous n’intervenons pas pour le pérenniser.
Il s’agit donc de protéger la forêt francilienne. Ce « poumon vert » de la région la plus densément peuplée de l’Hexagone est en effet particulièrement exposé au phénomène de « mitage forestier ».
Concrètement, des parcelles de petite taille sont vendues à des particuliers pour un prix élevé et font ensuite l’objet d’un usage non conforme à leur vocation naturelle ou à leur classement dans les documents d’urbanisme. Il en résulte un processus de « cabanisation ».
Le mécanisme retenu pour contrecarrer cette évolution a été de créer un droit de préemption des petites parcelles forestières, au profit de la seule société d’aménagement foncier et d’établissement rural d’Île-de-France.
Le succès de l’expérimentation est le critère fondamental pour permettre au législateur d’évaluer le bien-fondé d’une pérennisation. C’est également une condition de validité essentielle selon le juge constitutionnel : celui-ci vérifie en effet que la pérennisation ou la généralisation d’un dispositif dérogatoire repose bien sur une évaluation de sa mise en œuvre solide et convaincante.
Or le bilan de la mise en œuvre du nouveau droit de préemption du 28 février 2017 au 31 octobre 2019, transmis par la Safer Île-de-France, montre bien la nécessité de pérenniser le dispositif. En effet, sur presque 200 cas de mise en œuvre du droit de préemption de parcelles forestières, la moitié n’aurait pas été possible sans actionner le dispositif expérimental.
Plus en détail, quantitativement, depuis février 2017, l’objectif de protection et de mise en valeur de la forêt a figuré parmi les motifs invoqués par la Safer dans 198 procédures de préemption, soit 39 % des 510 préemptions exercées au total. Cet outil juridique est donc pleinement opérationnel.
En outre, qualitativement, la mise en œuvre de ce droit permet de contrecarrer la tendance au morcellement extrême de la forêt francilienne.
Les 198 ventes sur lesquelles la Safer est intervenue représentent une surface totale d’environ 105 hectares de foncier forestier. Il en ressort une surface moyenne de 5 289 mètres carrés par opération, soit environ le sixième du plafond de trois hectares prévu par la loi.
L’efficacité du dispositif comporte donc un volet préventif et dissuasif particulièrement utile, et c’est une excellente chose puisque, lorsqu’une parcelle est vendue, illégalement défrichée et artificialisée, il est excessivement difficile pour les communes et les maires d’intervenir, car notre droit prévoit un certain nombre de souplesses permettant de s’installer à titre provisoire dans certains habitats démontables ou mobiles.
S’agissant de la conformité juridique de ce texte, qui ne s’applique que sur une portion du territoire hexagonal, on peut citer des précédents, comme la décision du Conseil constitutionnel qui a validé la création d’une taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux en Île-de-France.
Pour justifier la nécessité d’un dispositif spécifique à la forêt francilienne, il convient de rappeler que celle-ci est trois fois plus morcelée que dans l’ensemble de l’Hexagone, avec des parcelles d’une superficie moyenne d’un hectare, ce qui affaiblit son potentiel de gestion et de protection.
Les forêts franciliennes doivent donc rester en mesure de bénéficier de ce que les scientifiques appellent l’effet fertilisant du CO2, qui permet aux arbres de se développer en capturant du carbone tout en diffusant de l’oxygène dans l’atmosphère francilienne.
De plus, ces peuplements forestiers sont les garants d’une certaine fraîcheur climatique pour les Franciliens, puisqu’un arbre d’assez grande taille puise environ 100 litres d’eau par jour dans le sol et en vaporise une grande proportion dans l’air.
Je précise également ici que, comme l’ont souligné fort justement en commission nos collègues Daniel Gremillet Jackie Pierre, Franciliens d’adoption (Sourires.), il s’agit non pas de mettre la forêt « sous cloche », mais de pouvoir l’exploiter comme elle doit l’être.
Le 8 janvier dernier, la commission des affaires économiques, sous la présidence de notre collègue Sophie Primas, a examiné le rapport et adopté sans modification, selon la procédure de législation en commission, cette proposition de loi.
L’unanimité étant rare de nos jours, c’est donc avec plaisir et sans réserve que le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants et LaREM. – M. le ministre applaudit également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à lutter contre le mitage des espaces forestiers en Île-de-France.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.) – (Applaudissements.)
5
Barrière écologique aux frontières
Adoption d’une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, l’examen de la proposition de résolution demandant au Gouvernement de porter au niveau de l’Union européenne un projet de barrière écologique aux frontières, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par MM. Jean-François Husson, Bruno Retailleau et plusieurs de leurs collègues, (proposition n° 165).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-François Husson, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au mois de mai prochain, nous célébrerons le soixante-dixième anniversaire de la « déclaration Schuman ». Ce Lorrain éminent avait vu juste en déclarant que l’Europe ne se ferait « pas d’un coup ni dans une construction d’ensemble », mais qu’elle prendrait la voie de « réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait ».
Force est de constater que ce souffle, aujourd’hui, manque à notre continent. L’Union européenne est en panne de projets fédérateurs, sa législation est vécue davantage comme une contrainte que comme une opportunité de développement économique et nos concitoyens peinent à se retrouver dans cet ensemble désormais très vaste.
L’Union européenne a d’abord été une réalisation économique, avant de devenir, avec le traité de Maastricht, un ensemble politique sur la voie de l’unification. Notre Union a, par sa taille, par sa force économique et commerciale, par la détermination d’une partie croissante de sa population aussi, tout intérêt à devenir, demain, une puissance écologique de premier plan.
Comment le pourrait-elle ? J’identifie, pour ma part, trois axes de travail.
Le premier de ces chantiers est d’ordre philosophique. Il s’agit de réconcilier l’écologie et la croissance économique.
Certains, depuis longtemps, ont souhaité faire de l’écologie sans la croissance et, parfois, contre cette dernière. Cela a donné les discours les plus rétrogrades, déclinistes et collapsologues. L’avenir de notre planète mérite pourtant d’être abordé avec sérieux et hauteur de vue, grâce à une action éclairée par la vérité scientifique.
Héritiers des Lumières, nous devons porter une adaptation de nos sociétés aux nouveaux défis grâce à la raison et au progrès, et non sombrer dans un déclinisme moribond, aux relents populistes.
Une écologie privée de croissance, soyons-en sûrs, ne bénéficierait qu’aux éternels donneurs de leçons pour qui la cause environnementale s’est toujours résumée en un « yakafokon » démagogique. Elle ne pourra en revanche que pénaliser ceux pour qui l’écologie a toujours été ressentie comme une contrainte, alors qu’elle aurait dû être source de chances nouvelles.
Pour autant, mes chers collègues, soyons lucides : une croissance sans écologie aurait des effets tout aussi néfastes. Les années de prospérité économique reposant sur une production carbonée et polluante sont à oublier, au risque pour les acteurs économiques qui décideraient de maintenir ce modèle de croissance d’être confrontés très prochainement à des pénuries évidentes de matières premières.
Le pragmatisme nous commande donc fil des modèles économiques permettant un développement soutenable dans le temps long.
Par ailleurs, les années de « croissance sale » sont à oublier parce qu’une partie toujours plus nombreuse de nos nations n’en veut plus. La revendication climatique a parfois ses excès, et toujours il faudra, dans ces débats complexes, l’appui de la science et de la raison. Pour autant, refuser de constater que les conditions de la croissance ont changé, c’est se condamner à la « cornerisation » politique autant qu’au suicide économique.
Ouvrons les yeux : quand la France aligne péniblement 100 millions d’euros pour son plan hydrogène, la Chine a déjà investi 11 milliards d’euros !
Bien plus qu’un créneau idéologique, je considère depuis longtemps l’écologie comme une occasion majeure de développement économique, de cohésion sociale et d’interaction territoriale.
Le deuxième défi à relever est donc celui de l’unité de notre continent, autour d’une ambition climatique forte.
Vous le savez, la France a consenti des efforts importants au nom de la transition écologique. Ces efforts ne seront acceptés que s’ils sont justes et équitablement partagés par tous. Mais si nous sommes les seuls à faire des efforts, nous perdrons le double combat de l’efficacité environnementale et de l’équité économique.
Les exemples sont nombreux, dans nos départements, d’entreprises pénalisées par cette absence de réciprocité normative entre États membres de notre Union européenne. Des entrepreneurs se battent pourtant pour accélérer la transition écologique de leurs productions.
Comment, dès lors, accepter que, à quelques centaines de kilomètres de là, un membre éminent de l’Union puisse remettre en service ses centrales à charbon ? Comment expliquer qu’un autre État puisse délibérément refuser de s’engager avec le reste de l’Europe sur la voie d’un continent en voie de verdissement ? Comment continuer à imposer une fiscalité carbone aussi élevée dans notre pays, alors que seuls cinq États membres s’en sont dotés ?
Je crois, mes chers collègues, que nous ne pouvons plus faire comme si notre pays évoluait en dehors d’une économie ouverte, au sein de laquelle les actions de l’État ont souvent le même effet qu’un éléphant au milieu d’un magasin de porcelaine.
L’Union européenne a donc tout à gagner à l’harmonisation des législations environnementales. Dans ce contexte, la France peut être, avec les pays de l’Europe du Nord, une force de transformation.
Ne nous y trompons pas : sans revitalisation des secteurs primaire et secondaire, nous ne parviendrons que difficilement à maintenir notre rang dans la mondialisation.
Or l’écologie, à condition d’être une ambition partagée par toutes les nations européennes, peut être demain, je le crois, une composante majeure des politiques économiques européennes. Si tous les États membres de l’Union avancent dans la même direction, nous pourrons alors sortir de la dépendance aux importations qui affaiblissent aujourd’hui l’économie de notre continent. C’est notamment vrai pour l’énergie.
Qu’attendons-nous pour bâtir une union de l’énergie où tous les pays mettraient en commun leurs avantages comparatifs, après analyse en cycle de vie – le nucléaire français, le renouvelable pour l’Allemagne ou la biomasse pour l’Europe du Nord –, pour aboutir à une vraie indépendance énergétique ?
Qu’attendons-nous pour donner à la politique commerciale européenne son pendant industriel, avec des investissements massifs dans la transition énergétique, pour une véritable valeur ajoutée à l’international et l’exportation de nouveaux brevets ?
Qu’attendons-nous, enfin, pour aligner les standards qualitatifs de l’agriculture européenne sur un mieux-disant environnemental, garantissant tout autant la sécurité sanitaire, la traçabilité et la qualité des produits, pour mettre fin aux importations, qui sont aberrantes sur le plan écologique et destructrices sur le plan économique ?
Vous le voyez, mes chers collègues, ce n’est donc que dans la conjugaison des forces et dans le juste partage des efforts, que notre Union européenne pourra apparaître, à la face du monde, comme une puissance économique et écologique unie et cohérente, capable de valoriser le travail de ses entreprises et de ses agriculteurs.
C’est aussi la condition pour que nos citoyens retrouvent foi dans le projet européen. En effet, si l’Europe tarde encore à agir pour le climat, elle aura beau être un géant économique, elle n’en restera pas moins un nain politique.
Pour que ce chantier que je nous propose ait du sens, il lui faut une clé de voûte, qui constitue le cœur de la proposition de résolution que nous débattons et qui représente la troisième piste de réflexion.
Pourquoi une barrière écologique aux frontières de l’Union européenne ? L’enjeu est double. Comme je l’ai indiqué, nous ne pouvons plus accepter que l’écologie soit vue comme une entrave au développement économique de nos entreprises. Or elle l’est encore largement aujourd’hui, à cause de la concurrence déloyale que nous fait subir un certain nombre de nos partenaires commerciaux, affranchis de toutes les règles environnementales que nous avons choisi d’adopter.
Les récents débats sur le CETA (accord économique et commercial global) l’ont montré : inutile d’avoir fait quarante ans de politiques environnementales pour ouvrir, sinon à tout va, du moins trop largement nos marchés à des produits issus de pratiques que nous condamnons !
Sans protection écologique à nos frontières, nous serons également condamnés à l’impuissance climatique.
Le bilan carbone des économies européennes est aujourd’hui dominé, non par les émissions de CO2 nationales, mais par l’ensemble des émissions liées aux importations. Nous pourrons donc continuellement durcir nos normes, alourdir nos fiscalités énergétiques, si rien n’est fait pour faire changer nos partenaires commerciaux, nous aurons perdu d’avance la bataille du climat.
Il convient ainsi de rétablir une justice économique et écologique dans nos échanges, par l’instauration d’une taxation des importations provenant de pays s’affranchissant de tout engagement climatique. C’est tout le sens de la proposition de résolution que nous présentons devant vous, avec une centaine de membres du groupe Les Républicains et son président, Bruno Retailleau.
Madame la secrétaire d’État, la balle est dans votre camp. Il est grand temps de sortir du greenwashing et des bonnes intentions, pour réaliser dès maintenant, alors même qu’un consensus sociétal existe, les évolutions nécessaires à l’échelon de l’Union européenne ; c’est en effet celui qui convient le mieux pour que les actions nationales ne se retrouvent pas prisonnières de l’attitude du passager clandestin adoptée par d’autres pays.
L’un de nos illustres prédécesseurs au Sénat, Victor Hugo, avait l’audace de déclarer : « Ce que Paris conseille, l’Europe le médite ; ce que Paris commence, l’Europe le continue. ». Entendez donc, madame la secrétaire d’État, la voix du Sénat, qui vous invite et vous presse d’agir pour réconcilier économie et écologie au service de la prospérité de l’Union européenne et de son rayonnement mondial. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Stéphane Piednoir. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je commencerai cette intervention sur une notre positive, car il est réjouissant de voir les questions climatiques de plus en plus mises à l’agenda. Le discours selon lequel « l’écologie ça suffit », qui n’est pas si ancien, n’a plus droit au chapitre, et c’est une bonne chose. Il faut dire que les événements climatiques extrêmes en France comme dans le monde permettent difficilement d’ignorer l’urgence environnementale à laquelle nous faisons face.
Cependant, après les paroles, il faut des actes forts. Or, aujourd’hui, on peine encore à distinguer derrière les discours les actions concrètes qui permettraient d’affronter véritablement les enjeux se présentant à nous.
C’est pourquoi il nous semble nécessaire que le sujet de la « barrière écologique aux frontières » soit à l’ordre du jour. J’espère que cette idée, qui figure aujourd’hui dans tous les discours, pourra déboucher sur la mise en place de mécanismes à la fois efficaces et justes.
Ce sujet semble, dans son principe en tout cas, faire consensus dans notre pays : la taxation carbone aux frontières faisait partie du programme de la plupart des formations politiques françaises lors des élections européennes. De même, via le Green Deal, la présidente de la Commission européenne a annoncé envisager un ajustement carbone aux frontières si les écarts entre l’Union européenne et le reste du monde persistaient.
En effet, en plus de rétablir une certaine équité dans les échanges internationaux, une taxation bien pensée pourrait inciter les entreprises à adopter des technologies bas-carbone et à apporter les recettes nécessaires au financement d’une transition écologique à la fois efficace et juste.
Une récente étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), publiée le 9 janvier dernier, indique qu’une taxe carbone aux frontières bien conçue pourrait avoir des effets redistributifs, tout en permettant aux ménages de s’orienter efficacement vers des biens moins polluants.
Or on sait qu’il est nécessaire, pour des questions d’acceptabilité, mais aussi et surtout de justice sociale, que la transition écologique contribue à réduire les inégalités.
Cependant, cette question est très complexe, et, pour qu’elle soit abordée de manière constructive, il est nécessaire de répondre à certaines interrogations sur les modalités de mise en œuvre des dispositifs déployés à cette fin.
Tout d’abord, on peut se demander comment échapper aux accusations de protectionnisme déguisé. La proposition de résolution prévoit ainsi de taxer aux frontières les produits fortement émetteurs de gaz à effets de serre. Pour être légitime, il faudrait que cette taxe s’applique de manière identique sur les producteurs européens. Or cette solution ne semble pas proposée au travers du texte qui nous est soumis.
Aussi ce texte ne serait-il pas compatible avec les règles du commerce international et sa légitimité serait-elle difficile à défendre. L’ajustement carbone aux frontières ne doit pas constituer un simple outil de protectionnisme : il doit favoriser les produits les plus respectueux de l’environnement et inciter l’ensemble des acteurs à faire évoluer leurs pratiques, et pas uniquement les producteurs des pays tiers.
L’autre mesure proposée au travers de ce texte, à savoir une taxation des produits provenant de pays ne respectant pas les standards européens en matière environnementale, nous paraît plus juste et plus réalisable, mais la proposition de résolution ne semble l’envisager que secondairement.
Au-delà des questions de mise en œuvre, afin de contrer toute accusation de protectionnisme déguisé, il convient de s’interroger sur l’insuffisance des efforts nationaux.
Quelle pourrait être la légitimité de la France à exiger un renforcement de la taxe carbone en Europe, alors qu’elle fait partie des plus mauvais élèves européens en matière de recettes fiscales environnementales en pourcentage du produit total d’impôts et de cotisations ?
M. Stéphane Piednoir. Ça, c’est un indicateur !
M. Joël Labbé. Même l’Europe est loin d’être exemplaire concernant sa politique de réduction de gaz à effet de serre.
Comme le relevait le Réseau Action Climat à ce sujet, les émissions de l’industrie n’étant pas en baisse en Europe faute de réelles mesures, la proposition d’une taxe carbone aux frontières revient à faire payer notre inaction par le monde extérieur.
Pour mener à bien cette nécessaire transition écologique, nous nous devons de mener une action volontariste, à l’échelon tant national qu’intraeuropéen, pour amorcer un véritable changement de nos modes de productions et de consommation.
Pour nous, la nécessaire relocalisation de l’économie ne doit pas seulement passer par une taxe carbone. Ainsi, réserver les marchés publics à des entreprises européennes serait une autre piste pour amorcer une transition. (M. Stéphane Piednoir s’exclame.)
De même, en agriculture, pour citer un secteur particulièrement touché par la compétition mondiale, afin d’éviter que nos paysans ne subissent la concurrence déloyale des pays n’ayant pas les mêmes normes que les nôtres, la relocalisation de l’alimentation – nous aurons l’occasion de revenir très souvent sur ce sujet cette année –, notamment dans la restauration collective, nous paraît une priorité.
Par ailleurs, les questions de la responsabilité différenciée des pays du monde dans le réchauffement climatique et de l’impact potentiel de cette taxe sur les pays émergents ne sont pas non plus abordées dans cette proposition de résolution. Or elles doivent être posées.
Enfin, les normes environnementales sont présentées ici essentiellement sous l’angle d’une perte de compétitivité. Ce texte n’appelle pas réellement à plus d’ambition nationale. Or, si dans certains secteurs précis le risque de « fuite de carbone » est réel, nous avons de nombreuses marges de manœuvre pour agir en France et dans l’Union européenne, nous semble-t-il, sans faire porter aux autres pays la responsabilité de notre manque de volontarisme.
Pour conclure, si le sujet est important et dans la mesure où la nécessité de mettre en place une taxation du carbone aux frontières est urgente, ce texte ne me semble pas porter une ambition suffisante aux échelons national et intraeuropéen. C’est la raison pour laquelle, à titre personnel, je m’abstiendrai. Cependant, les positions sont diverses au sein du groupe RDSE. (M. Yvon Collin applaudit.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je salue tout d’abord l’initiative du groupe Les Républicains : cette proposition de résolution, dans ses grandes lignes, se fixe les mêmes objectifs que la France et son gouvernement et que l’Union européenne dans sa configuration actuelle.
En effet, ce texte envisage un objectif environnemental et climatique dont on sait qu’il est aujourd’hui majeur, stratégique et essentiel. Par ailleurs, il définit un périmètre d’action qui, à mon sens, est le périmètre pertinent dans ce domaine, à savoir le périmètre européen.
Tous ici, sinon la plupart d’entre nous, nous sommes favorables au commerce international, à condition bien sûr que celui-ci soit régulé.
Or les tensions commerciales, pour ne pas dire les prémices de guerre commerciale, que l’on a pu voir émerger ces derniers mois, mais surtout la paralysie de longue date de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) – paralysie renforcée par le fait que l’organe de règlement des différends entre les pays ne fonctionne plus vraiment, dans la mesure où les États-Unis, je le rappelle, n’ont toujours pas nommé leur juge –, font que l’on assiste à un délitement global de l’OMC, que l’on apprécie ou pas cette institution.
Cette situation a notamment conduit l’Union européenne dans une intense politique d’accords commerciaux et de libre-échange ces dernières années, en particulier depuis une décennie. Il faut le rappeler, la question du commerce international et du commerce extérieur est l’une des compétences propres et exclusives de l’Union européenne.
Cette démarche s’est traduite par certains succès commerciaux, comme les accords entre l’Union européenne et la Corée du Sud, qui ont permis de rétablir un équilibre dans nos échanges entre ces deux parties du monde, mais elle a aussi montré ses limites et parfois connu des échecs.
Ces limites s’expliquent par le fait que, bien souvent, nous nous sommes fondés sur une théorie très classique, pour ne pas dire néo-libérale, de libre-échange, et celle-ci est peu portée sur le principe de conditionnalité et sur les exigences relatives au commerce. Or on ne commerce pas de la même manière avec des pays qui s’inscrivent dans les logiques de l’État de droit et respectent un haut niveau de normes sanitaires et environnementales qu’avec les autres pays.
De la même manière, la logique de réciprocité – si je te donne quelque chose, que me donnes-tu en retour ? – a longtemps été absente. Ces derniers mois, nous l’avons vu, la question de la réciprocité a été de plus en plus posée, notamment entre l’Union européenne et la Chine, mais également entre les États-Unis et la Chine. Tout cela faisait défaut dans les accords conclus par l’Union européenne dans le passé.
Par ailleurs, on le voit bien, cette absence de réciprocité nous ramène à la question qui nous intéresse, celle de la lutte contre le changement climatique, par exemple au travers de l’absence d’une taxation carbone externe à ce que l’on appelle les fuites de carbone vers des pays aux industries fortement émettrices – c’est très bien rappelé dans l’exposé des motifs. Sans aller jusqu’à reprendre totalement à mon compte les propos de l’orateur précédent, il faut reconnaître que nous avons tendance à exporter notre pollution en délocalisant ce que nous faisons.
Les traités internationaux de libre-échange qui ont été conclus dans l’Union européenne avec des pays tiers présentent une autre faille, à savoir le faible suivi et la faible vérification de la mise en œuvre des mesures prévues ; nos collègues américains appellent cela l’accountability, un terme qui est très difficilement traduisible.
Après avoir dit du bien du groupe Les Républicains, je tiens maintenant à saluer Matthias Fekl, qui a été un grand secrétaire d’État chargé du commerce extérieur socialiste.
Devant cette même assemblée, voilà trois ou quatre ans, à un moment où nous débattions déjà des accords commerciaux européens, il critiquait la Commission européenne en ces termes : si plusieurs milliers de personnes travaillent à l’élaboration de nouveaux traités commerciaux – c’est devenu une véritable industrie au sein de l’Union européenne –, en revanche, seules cent à deux cents personnes sont chargées de leur suivi, de leur vérification et de leur application…
Ce constat est extrêmement important : il ne suffit pas de passer des accords et de fixer des conditions ; il faut aussi en vérifier l’effectivité et le suivi dans le temps.
Le Gouvernement partage la préoccupation qui est exprimée dans cette proposition de résolution et il agit dans ce sens. On l’a vu avec le CETA, la mise en place de la commission Schubert et la volonté d’assurer un suivi et d’améliorer la prise en compte des enjeux sanitaires et environnementaux ; on l’a vu également lors du rejet du projet d’accord commercial avec le Mercosur, avec un motif juste : le non-respect par le Brésil de ses engagements en matière de climat et de biodiversité.
Le Gouvernement agit également quand il veut inscrire la lutte contre la déforestation comme l’un des éléments essentiels dans les accords passés. C’est dans le cas des négociations actuelles entre l’Union européenne et l’Indonésie, mais aussi, plus récemment, cet été, dans les discussions du G7 de Biarritz sur l’Amazonie.
Heureusement, ces derniers temps, l’Union européenne a commencé à bouger. Elle va un peu plus loin dans la vérification.
En conclusion, si nous partageons les mêmes objectifs que les auteurs de cette proposition de résolution, en revanche, j’émettrai des critiques de forme et de fond.
Pourquoi s’agit-il d’une proposition de résolution et non d’une proposition de résolution européenne ? Cette dernière solution aurait eu un triple avantage.
Tout d’abord, elle aurait eu plus d’impact politique, puisque non seulement nous nous serions adressés au gouvernement français, mais nous aurions pu produire un avis politique en direction de la Commission européenne.
Ensuite, elle aurait permis à la commission des affaires européennes du Sénat, qui est compétente sur ce sujet, de se saisir de cette question.
Enfin, elle aurait évité certains écueils et certaines malfaçons de ce texte.
En effet, sur le fond, la production d’une nouvelle taxe à l’échelon européen, censée alimenter de nouvelles ressources propres pour l’Union européenne pour financer la transition écologique des États membres, est une très bonne idée, mais qui est quelque peu complexe à mettre en œuvre : il n’existe pas de taxes affectées dans le budget européen ; il faudrait les créer.
Or cela suppose une décision à l’unanimité du Conseil européen ! Quand on connaît les logiques de blocage qui peuvent exister, on sait que c’est dangereux.
En outre, l’idée même de barrières nous expose directement aux sanctions de l’OMC. C’est pourquoi la proposition formulée par la Commission européenne d’un mécanisme d’ajustement aux frontières ou celle, qui a été émise par le Gouvernement, d’un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières permet de contourner cet obstacle et le risque d’accusation de protectionnisme.
Pour toutes ces raisons, mon groupe votera ce texte, pour encourager la prise en compte à la fois européenne et environnementale du groupe Les Républicains,…
M. Stéphane Piednoir. C’est généreux !
M. André Gattolin. … même s’il reste beaucoup à faire pour l’améliorer. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avec la nouvelle année, il semblerait que le groupe Les Républicains entame sa transition écologique.
M. Stéphane Piednoir. Cela part mal… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Guillaume Gontard. En effet, les auteurs du texte qui est soumis aujourd’hui au Sénat ne proposent rien de moins que la mise en œuvre d’une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne, afin, je cite l’exposé des motifs, « d’inciter nos partenaires extraeuropéens à une plus grande exigence environnementale ».
Certes, la surprise n’est pas totale, puisque le candidat Bellamy aux élections européennes défendait la même proposition, comme beaucoup d’autres candidats à ces élections, du reste. Ce consensus se retrouve aujourd’hui dans l’action de la Commission européenne nouvellement nommée, puisque le Green Deal présenté prévoit justement une taxe carbone aux frontières, mon collègue Joël Labbé l’a rappelé.
Puisque cette disposition est déjà dans les tuyaux, quel est l’intérêt de soumettre une telle proposition de résolution ? On aurait pu imaginer une proposition de résolution européenne.
Par ailleurs, comment comprendre cette initiative, alors même, chers collègues du groupe Les Républicains, que votre groupe parlementaire au Parlement européen, le PPE, a voté tous les traités de libre-échange qui justement suppriment toutes les barrières aux frontières, qu’elles soient financières ou normatives, engageant une régression environnementale et sanitaire très dangereuse, faisant primer les marchés sur les droits humains.
Comment comprendre cette prise de conscience ? Il faut sans doute mieux lire la proposition de résolution pour bien saisir votre propos et comprendre que cette proposition d’action résolue à l’échelon européen se conjugue avec l’idée d’un retour en arrière dans les politiques nationales. En effet, vous jugez la taxe carbone nationale injuste et inefficace par nature, dans la mesure où elle pèse sur les entreprises.
Voilà votre véritable sujet : il s’agit bien, par cette résolution, d’écarter toute norme et toute fiscalité pour les entreprises nationales.
M. Jean-François Husson. C’est du grand délire !
M. Guillaume Gontard. Cette position est cohérente avec votre volonté exprimée lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2020 de ne pas revenir sur les exonérations de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) dont disposent certains secteurs, notamment la route.
Pour le groupe Les Républicains, compétitivité se conjugue ainsi toujours avec déréglementation, bien loin des préoccupations écologiques, sociales ou démocratiques.
L’intérêt de cette proposition de résolution réside donc non pas dans ce qu’elle contient, mais plutôt dans ce qu’elle ne dit pas : le refus de toute fiscalité pour les entreprises et de normes environnementales considérées, à tort, comme des handicaps à la compétitivité.
On a d’ailleurs rarement vu une proposition de résolution présenter aussi peu de liens avec son objet et sa conclusion.
Loin de vous intéresser à l’ambition écologique du continent, vous ne cherchez au fond qu’à retarder les efforts de la France. C’est sans doute d’ailleurs pour cela que vous n’avez pas déposé de proposition de résolution européenne.
Mes chers collègues, tout cela reste très « vieille époque » !
M. Guillaume Gontard. Nous considérons bien au contraire que les entreprises doivent participer au changement de modèle environnemental. C’est même la manière de les rendre innovantes. Par ailleurs, une taxe carbone nationale n’est pas antinomique avec un quelconque dispositif européen.
À nos yeux, le principal défaut de la taxe carbone, telle qu’elle est actuellement mise en œuvre dans notre pays, est non pas qu’elle touche les entreprises, mais bien au contraire qu’elle comporte trop d’exonérations et, surtout, pénalise injustement les ménages.
Une limite importante tient également au fait que cette fiscalité n’est que très peu fléchée au profit de la transition écologique : elle vient en soutien aux politiques d’austérité, justifiant au passage la régression de la fiscalité sur le travail et sur le capital. C’est d’ailleurs ce qui a soulevé la colère des « gilets jaunes ».
Contrairement à ce qui est soutenu au travers de la proposition de résolution, nous pensons que l’existence de normes environnementales est justifiée et témoigne de la prise en compte d’un intérêt général devenu incontournable : la protection de la biodiversité et du vivant et la préservation des ressources, qui ne sont pas un puits sans fin.
Nous notons d’ailleurs que le groupe Les Républicains vote toujours toutes les mesures allant dans le sens d’une régression des normes environnementales, alors même que la situation actuelle nécessite de limiter très fortement les transports, de relocaliser et de diminuer les impacts sur la planète.
La dernière phrase de l’exposé des motifs en dit long : « La proposition de résolution, qu’il vous est demandé de voter, porte la volonté d’une vision ambitieuse de l’écologie, facteur de croissance et de développement, au service des intérêts environnementaux et économiques de l’Union européenne. » Le mythe de la croissance infini est tenace et témoigne de l’absence de compréhension des enjeux environnementaux d’une consommation économe des ressources et de sobriété !
Pour en revenir au fond de votre proposition, nous considérons pour notre part que, si l’idée d’une taxe carbone aux frontières est intéressante, elle est largement insuffisante pour rompre avec un modèle européen libéral.
Comment d’un côté instaurer une barrière écologique et de l’autre accélérer tous les politiques de libéralisation des services publics, alors qu’ils sont justement de formidables outils de lutte contre la pollution ?
Comment affirmer agir pour le développement du fret ferroviaire tout en libéralisant le rail ?
Comment promouvoir la production d’une énergie propre en privatisant les moyens de production ? C’est un contresens que de promouvoir d’un côté la protection de l’environnement et, de l’autre, de mener des politiques uniquement tournées vers le profit et la course aux dividendes, des politiques qui accélèrent le pillage des ressources et qui détruisent nos communs !
Il faut donc, pour accompagner un dispositif bienvenu de barrage écologique aux frontières, dénoncer tous les accords de libre-échange, instaurer à l’échelon européen un haut niveau de garantie pour les services publics et organiser une harmonisation fiscale et sociale pour lutter contre les dumpings environnementaux et sociaux qui s’opèrent au sein même de l’Union européenne.
Pour l’ensemble de ces raisons et, surtout, de ces contradictions, notre groupe s’abstiendra sur cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Joël Labbé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le mécanisme de barrière écologique aux frontières, dont il est question aujourd’hui, est soutenu depuis le début des années 2010 par la France et les gouvernements successifs. Il vient apporter des réponses concrètes à la réduction nécessaire et souhaitée des émissions de gaz à effet de serre
Je tiens à remercier le groupe Les Républicains et les sénateurs Jean-François Husson et Bruno Retailleau, qui nous offrent l’occasion d’approfondir ce sujet devenu fondamental.
M. Jean-Pierre Decool. Nous l’avons remarqué lors des élections européennes du mois de mai dernier, l’idée d’une taxe écologique aux frontières de l’Europe a été très largement partagée par le spectre politique en France. Comme les auteurs de la proposition de résolution le précisent, l’échelon européen semble le plus indiqué pour une efficacité réelle du mécanisme et une protection de nos engagements et de nos règles intérieures.
Le gouvernement actuel fait de ce mécanisme d’ajustement aux frontières un point essentiel de sa vision environnementale et économique européenne, ce que nous saluons, tout comme est essentielle l’importance de la réciprocité dans les accords commerciaux que l’Union européenne est amenée à conclure avec le reste du monde. Il s’agit d’un instrument parmi d’autres du respect de notre modèle, de nos règles et de nos valeurs.
L’Union européenne a consenti des efforts notables sur ce sujet, grâce à la nouvelle génération d’accords internationaux qui inclut un volet social et environnemental. Nous devons poursuivre notre engagement dans ce sens. Le refus de négocier des accords avec des alliés ne respectant pas nos principes doit être considéré comme une juste affirmation de notre identité collective et une volonté de préserver notre système.
L’Europe, qui aspire à la neutralité carbone à l’horizon 2050, est consciente de l’importance d’un mécanisme d’ajustement du carbone aux frontières. La nouvelle Commission européenne l’inscrit d’ailleurs dans la première partie de sa communication présentant son Pacte vert européen. Une proposition sera formulée sur le sujet au cours du dernier trimestre de l’année 2021 ; nous y serons très attentifs et souhaitons que le gouvernement français reste mobilisé sur cet enjeu.
La semaine dernière, le commissaire européen Thierry Breton, présentant les grandes lignes de son projet, a expliqué que le travail s’orientait « pour faire en sorte que nos concurrents paient le juste prix des normes en vigueur chez nous ». C’est important pour l’environnement comme pour notre compétitivité.
La proposition de résolution rappelle que les entreprises vertueuses européennes pourraient être pénalisées par rapport au reste des puissances mondiales. Ces phénomènes de concurrence déloyale et de distorsion ne sont pas acceptables. Les fuites de carbone, comme on les appelle, profitent de l’absence du mécanisme juste, clair et efficace que nous appelons de nos vœux.
De nombreuses questions se posent quant à la forme que pourrait prendre un tel mécanisme. La proposition de résolution évoque la taxation de produits importés fortement émetteurs ou de produits provenant de pays qui ne respectent pas les standards européens en matière environnementale. Ce sont des pistes intéressantes, qui pourraient garantir l’efficacité du dispositif.
Cependant, des limites et des obstacles devront être surmontés.
Tout d’abord, l’Europe doit s’accorder. La vision française de la taxe carbone aux frontières semble s’imposer peu à peu, mais nous devrons trouver des points de compromis. Nous avons noté récemment la complexité des échanges sur la neutralité carbone de l’Union européenne en 2050 et l’absence de participation de la Pologne à ce dispositif, pour le moment.
Les questions fiscales relèvent de la compétence nationale, et il faudra obtenir l’unanimité des États membres pour créer une taxe écologique à l’échelon européen. Certains de nos partenaires restent à convaincre.
Par ailleurs, comme le souligne très justement la proposition de résolution, la barrière écologique aux frontières devra respecter les règles de l’Organisation mondiale du commerce. Nous connaissons tous le principe de non-discrimination des produits similaires, d’où la nécessité d’établir le bon format, afin de s’assurer d’une dérogation efficace.
Enfin, la dernière interrogation que je souhaite porter à votre attention, mes chers collègues, porte sur la méthode de mesure de l’empreinte des produits et sur le montant du prix du carbone qui seront suffisamment efficaces pour permettre de créer une barrière performante et influente.
N’oublions pas que nous souhaitons non seulement nous protéger économiquement et sauvegarder notre environnement, mais également inciter d’autres parties du monde à respecter des engagements environnementaux forts, notamment ceux qui ont été pris lors de la COP21 à Paris.
Cette taxe pourrait ainsi créer parallèlement deux cercles vertueux : un premier, international, où entreraient le plus de pays possible, qui réduirait notre impact global sur l’environnement ; un second, européen, où la taxe permettrait de financer la transition écologique de notre ensemble.
De nombreux volets sont à soutenir en termes de recherche et d’innovation, de rénovations ou de financement vert, pour ne citer que ces points. Afin d’accomplir tous ces efforts, les moyens financiers se révéleront déterminants. C’est pourquoi il est primordial de redistribuer de manière pratique et utile les recettes d’un tel mécanisme.
Le gouvernement français doit continuer à défendre la taxe carbone et à persuader ses partenaires européens de construire un mécanisme performant. Le groupe Les Indépendants en est convaincu et votera donc cette proposition de résolution. Il y va de la protection de notre modèle et de notre compétitivité, mais aussi de l’influence mondiale que l’Europe ambitionne d’avoir sur les sujets économiques et environnementaux dans les décennies à venir.
Mes chers collègues, l’horizon 2050 commence aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Valérie Létard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà sept mois, la mission d’information sur l’avenir de la sidérurgie présentait son rapport final. Sa conclusion était claire : il est urgent de « donner des armes » aux producteurs français d’acier, face à une compétition mondiale féroce, à des concurrents proposant des prix toujours plus cassés et au défi immense de la transition environnementale.
La proposition de résolution qui nous est présentée aujourd’hui répond à l’appel lancé par ce rapport d’information. Elle vise justement à « donner une arme » concrète aux entreprises européennes, afin que l’ambition écologique, qui ne doit pas être remise en question, dépasse les frontières de notre marché intérieur.
Dans le cas de l’acier, ressource d’importance stratégique que nous avons étudiée de près, le déséquilibre est flagrant. L’industrie française consomme en majorité de l’acier importé, alors même que nous avons fermé 144 des 152 hauts-fourneaux français en cinquante ans. À l’inverse, la Chine produit aujourd’hui la moitié de l’acier mondial, en grande partie dans des fourneaux obsolètes et extrêmement polluants, mais elle ne connaît ni quota carbone ni taxation énergétique.
Le résultat est clair : l’acier plat chinois est en moyenne environ 20 % moins cher que l’acier européen, à qualité et techniques égales. Les importations d’acier par la France ont augmenté de 70 % en cinq ans.
Entendons-nous bien : nous risquons là de manquer notre objectif ! Au-delà de notre industrie, c’est la protection de l’environnement qui pâtit de ces déséquilibres. L’empreinte carbone de la France s’est détériorée malgré tous les efforts des acteurs économiques, malgré les immenses efforts financiers consentis. Je rappelle, par exemple, que la « compensation carbone » coûte, à elle seule, 280 millions d’euros par an à notre pays.
La transition énergétique et écologique de l’industrie européenne ne pourra se faire si les politiques publiques tuent les entreprises les plus vertueuses.
Je partage donc entièrement l’objectif de la proposition de résolution de Jean-François Husson et Bruno Retailleau : il faut restaurer des conditions de concurrence équitables, en compensant le déficit de compétitivité résultant des contraintes environnementales imposées à nos entreprises. Même si ces dernières sont nécessaires, nos entreprises doivent disposer des outils adaptés.
La bonne solution, c’est d’inciter nos partenaires commerciaux à adopter des modes de production plus vertueux, sous peine d’acquitter une taxe aux frontières de l’Europe. Il faudra travailler sur la nature de cette taxe et sur le calibrage des outils de mesure, mais je partage le point de vue de notre collègue Jean-Pierre Decool : il est tout à fait vrai que certaines questions doivent encore être réglées. Dans ces conditions, les mêmes règles du jeu vaudront pour tout le monde.
Ce principe d’action, cette réponse, ne peut évidemment être qu’européen, madame la secrétaire d’État. C’est pourquoi le gouvernement français doit s’engager à continuer de défendre auprès des institutions européennes la mise en place d’un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières du marché intérieur.
Aujourd’hui, la réflexion mûrit, et la dynamique est bonne : la nouvelle Commission a repris cette proposition, émise de longue date par la France.
Nous demandons à l’exécutif de poursuivre ses efforts, afin de rallier tous les États membres. Il faut enfin entrer dans une dynamique vertueuse, constructive, concrète, grâce à laquelle les efforts des industriels en faveur de l’environnement seront réellement valorisés, plutôt que d’être vus comme des poids pour l’emploi et la prospérité de l’Europe.
En conclusion, madame la secrétaire d’État, il faut faire en sorte que le temps de l’Europe corresponde au temps réel de l’économie, afin que les entreprises vertueuses, celles qui ont fait justement l’effort de s’adapter aux nouveaux enjeux, ne meurent pas. L’Europe doit être au service de nos concitoyens et de l’économie de tous les États membres ; sinon, nous aurons tout perdu, et la crédibilité de l’Union européenne en pâtira. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Jean-Pierre Decool applaudit également.)
M. Jean Bizet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Bizet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à mon tour à remercier notre collègue Jean-François Husson de nous permettre de débattre de la stratégie de l’Union européenne en matière de lutte contre les dérèglements climatiques, de ses conséquences économiques éventuelles et des mesures à adopter pour concilier développement durable, développement économique et inclusion sociale.
Aujourd’hui, au travers de cette proposition de résolution, Jean-François Husson lance un appel à la vigilance et à l’action : il s’agit de mettre en œuvre des mécanismes d’accompagnement adaptés à l’échelon européen.
C’est une nécessité, alors que le Conseil européen, suivant le Pacte vert pour l’Europe présenté par la Commission, ambitionne de faire de l’Europe un continent climatiquement neutre d’ici à 2050. L’Europe, qui souhaite être à la pointe de l’action contre les dérèglements climatiques, sera ainsi exemplaire dans la mise en œuvre de l’accord de Paris sur le climat.
Il ne faut toutefois pas se voiler la face : atteindre la neutralité carbone demandera d’intenses efforts. La Commission européenne le souligne d’ailleurs dans sa communication sur le Pacte vert, en affirmant qu’il faut « transformer l’économie de l’Union ».
Pour mener à bien cette transformation, la Commission entend utiliser de nombreux leviers, que ceux-ci soient budgétaires, fiscaux ou même taxonomiques, pour encourager les investissements orientés vers le développement durable. Sur ces différents points, je vous renvoie à la communication qu’a présentée notre collègue Jean-Yves Leconte à la commission des affaires européennes, en novembre dernier.
Certaines filières bénéficieront de cette transformation économique. Le développement des technologies bas carbone représente un potentiel considérable. Il y a là une occasion que l’Europe doit saisir en développant des filières à la fois innovantes, compétitives et pourvoyeuses d’emplois. En résumé, il nous faudra mener une réflexion fondée sur la transgression, l’innovation et la brevetabilité.
D’autres filières subiront des contraintes nouvelles, et il faudra les accompagner. Tel sera notamment l’objet du nouveau fonds de transition promis par la Commission. Je forme le vœu que cet accompagnement soit bien calibré, afin d’éviter que certains de nos concitoyens ne se sentent exclus de la marche de l’Europe.
L’Europe n’évolue pas dans une bulle, à l’abri des contraintes extérieures. L’émergence sur notre sol de processus industriels vertueux, qui nécessitera des investissements gigantesques, n’aura qu’une portée limitée pour lutter contre le changement climatique si les conditions de l’échange international n’évoluent pas et si nous ne sommes pas en mesure de lutter contre le dumping écologique.
Rappelons à cet égard que les États-Unis, la Chine, l’Inde, le Brésil ou encore la Russie n’ont pris aucun engagement similaire à ceux de l’Europe, et que rien n’indique qu’ils le feront dans un proche avenir. J’ajoute, sans vouloir être provocateur, que l’Europe ne produit que 9 % des émissions de gaz à effet de serre à l’échelon mondial. On peut être vertueux et être un initiateur, mais cet élément doit être pris en compte.
Je me félicite donc que la Commission européenne, dans sa communication sur le Pacte vert présenté en décembre dernier, affirme qu’elle entend « utiliser son influence, son expertise et ses ressources financières pour inciter les pays de son voisinage et ses partenaires à la rejoindre sur une trajectoire durable », mais aussi qu’elle souligne « la nécessité de préserver sa sécurité d’approvisionnement et de maintenir sa compétitivité, même lorsque les autres ne sont pas disposés à agir ».
Ne soyons pas naïfs, de l’autre côté de l’Atlantique, nos amis américains investissent différemment et brevettent. Lorsqu’ils maîtriseront suffisamment leurs brevets, ils les imposeront à l’Europe. Être vertueux, c’est bien ; être innovant, ce n’est pas mal non plus !
De manière très concrète, lors de sa venue à Paris la semaine dernière, au cours de laquelle il s’est entretenu avec le président Larcher, le commissaire européen au commerce Phil Hogan a indiqué qu’il entendait faire du respect de l’accord de Paris une clause essentielle des futurs accords commerciaux. C’est un point important, qui témoigne de la volonté de cette commission d’affirmer la puissance commerciale de l’Europe et d’utiliser les relations commerciales pour « faire la norme » à l’échelon mondial. Je le dis souvent : la norme fait le marché.
Cette proposition de résolution insiste par ailleurs évidemment sur les mesures à prendre tant que d’autres États ne joueront pas le jeu, tant qu’ils ne partageront pas notre ambition. Nous ne pouvons accepter ce que les experts appellent le risque de fuite de carbone, c’est-à-dire la possibilité que des productions soient transférées de l’Union vers des pays moins ambitieux.
J’aurais encore beaucoup à dire, mais je serais alors rappelé à l’ordre par le président de séance… (Sourires.)
Pour conclure, je ferai miens les propos de Valérie Létard sur les filières de l’acier et de l’aluminium.
Madame la secrétaire d’État, on voit bien que la Chine et l’Indonésie sont en train de nous prendre des parts de marché assez considérables et que, indépendamment de la problématique des fuites de carbone, il faut mettre en place des mesures compensatoires. L’Europe prend toujours des décisions de façon tardive ; pendant ce temps, les entreprises souffrent lamentablement… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution de nos collègues du groupe Les Républicains est très générale, mais elle va dans le bon sens. On peut simplement regretter, comme cela a déjà été dit par certains de nos collègues, que ses auteurs ne font qu’affirmer un principe, sans entrer dans le détail de sa mise en œuvre.
Cette proposition de résolution est conforme aux orientations de la Commission européenne sur l’ajustement carbone aux frontières. L’occasion nous est donc donnée d’en discuter aujourd’hui.
Rappelons que l’Union européenne s’est fixé pour objectif de réduire d’au moins 40 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, voire de 50 %, par rapport aux niveaux de 1990, et de parvenir à la neutralité carbone en 2050. Tous ces engagements ne seront toutefois qu’une tartufferie si, en parallèle, nos importations représentent l’équivalent de 50 % de nos émissions !
Il faut savoir que les importations françaises représentent aujourd’hui 60 % d’émissions de plus qu’en 1990. Tous les efforts que nous faisons pour réduire nos émissions de carbone peuvent donc être totalement réduits à néant par nos délocalisations.
Il faut agir différemment. C’est la raison pour laquelle, depuis 2005, l’Union européenne a mis en place un marché du carbone, le premier au monde, le but étant d’élever le prix de l’émission de la tonne de carbone, afin de limiter les activités. Mais de telles mesures pèsent, cela a été dit, sur la compétitivité de nos entreprises.
De ce point de vue, on doit saluer l’instauration d’un marché du carbone en Chine en 2017. Il appartient à l’Union européenne d’inciter ses principaux partenaires à mettre également en place de tels marchés qui, par convergence, nous permettrons de ne plus constater d’empreinte carbone supérieure à nos émissions, du fait des délocalisations.
Lorsque l’on réfléchit à l’instauration d’une barrière écologique, il faut se poser quelques questions : souhaitons-nous renverser les règles du commerce mondial ou voulons-nous un dispositif conforme aux règles de l’Organisation mondiale du commerce, quelles que soient les difficultés de cette organisation aujourd’hui ? Voulons-nous une taxe ou une compensation ? On comprend le mot « barrière », mais que recouvre-t-il concrètement dans le cas d’espèce ?
Si un mécanisme de compensation carbone devait être instauré, un peu comme celui qu’envisage la Commission européenne, comment traiterions-nous alors les grandes industries qui, aujourd’hui, bénéficient de quotas gratuits jusqu’en 2030 ? Devraient-elles aussi payer ? Si elles devaient ne pas payer, nous aurions un problème avec l’OMC ; si elles devaient payer, je crains que, en voulant les aider, nous ne les handicapions jusqu’en 2030.
Il faut aussi veiller aux rétorsions que nous pourrions subir dans un certain nombre de secteurs, en particulier dans les secteurs agricole et agroalimentaire.
Bien entendu, nous sommes tous d’accord ici sur le fait qu’il est absolument inacceptable de continuer à commercer, comme si de rien n’était, avec des pays qui ne respectent pas l’accord de Paris. Nous devons utiliser la force et la taille du marché européen pour inciter nos partenaires à le respecter.
Il faut aussi avoir à l’esprit que le protectionnisme n’est pas l’ami de l’écologie. Les circuits courts ne sont pas automatiquement synonymes d’absence d’émissions. Le transport maritime et le transport aérien émettent moins de CO2 que les data centers. Le commerce international n’est pas l’ennemi de l’écologie. Simplement, il faut mettre l’un et l’autre en adéquation.
Madame la secrétaire d’État, pourriez-vous nous dire si les dispositions envisagées par la Commission européenne sont en congruence avec les accords de libre-échange que l’Union européenne a signés et ratifiés jusqu’à présent, en particulier le CETA (accord économique et commercial global) ?
Par ailleurs, serons-nous exigeants de ce point de vue, dans le cadre de notre future relation avec le Royaume-Uni ? (Mme la secrétaire d’État opine.) Ces questions sont importantes, le risque étant que toute l’architecture des compétences de l’Union européenne ne tombe.
Voulons-nous ne viser que les grandes industries qui sont émettrices de carbone parce qu’elles sont consommatrices d’énergie – le papier, l’acier, le verre, la chimie, le ciment – ou souhaitons-nous évoluer vers une certification des émissions carbone qui toucherait l’ensemble des biens ? De ce point de vue, la Chine, qui a mis en place, je le rappelle, un marché carbone, peut être un partenaire de travail sur ce type de certification.
Il faut savoir que si l’on vise les grandes industries émettrices de carbone, le pays qui serait principalement visé serait la Chine, suivi du Moyen-Orient, des États-Unis et de la Russie.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Yves Leconte. Je commence à conclure ! (Sourires.)
M. le président. Il faut plutôt finir de conclure !
M. Jean-Yves Leconte. Il faut aussi faire en sorte que cette certification carbone incite l’ensemble de nos partenaires à émettre moins de gaz à effet de serre.
En conclusion, le groupe socialiste et républicain votera cette proposition de résolution, malgré les questions que nous nous posons sur ce sujet. (Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains manifestent leur impatience en martelant leur pupitre.) Mais comment sera utilisé le produit de cette nouvelle taxation ? (M. André Gattolin applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-François Longeot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le groupe Les Républicains de cette proposition de résolution, qui est cohérente avec l’actualité européenne récente et qui défend une certaine vision européenne, sur laquelle je reviendrai.
En effet, la nouvelle Commission européenne souhaite renouer avec un agenda positif, l’objectif étant de faire de l’Union européenne le premier continent neutre en carbone en 2050, grâce à la mise en œuvre de plusieurs politiques d’envergure, telles qu’un plan d’investissement massif dans la transition écologique ou encore la création d’une taxe carbone aux frontières.
Ce projet pourrait être vu comme le nouvel acte protectionniste d’une guerre commerciale, qui reléguerait la lutte contre le changement climatique derrière des intérêts nationaux. Il n’en est rien ! Au contraire, un tel outil permettrait enfin à l’Union européenne de se doter d’une stratégie d’ensemble et de concilier ambition écologique et efficacité économique.
Jusqu’alors, les gros émetteurs participaient à un marché européen des quotas de carbone, qui a rapidement perdu sa crédibilité et qui a envoyé des signaux économiques contradictoires. Les émetteurs diffus, quant à eux, étaient soumis à des taxes nationales sur le carbone, taxes non coordonnées, voire concurrentes.
Or une taxe aux frontières permettrait, d’une part, de prévenir les fuites de carbone, qui rendent les dispositifs nationaux inefficaces, et, d’autre part, de protéger les entreprises européennes contre tout risque de concurrence déloyale de la part d’acteurs non soumis aux mêmes contraintes.
Si l’Europe veut être pionnière dans la transition écologique, elle devra poursuivre une politique climatique ambitieuse consistant à restaurer la crédibilité du marché du carbone en interne, et mettre en place la taxe carbone aux frontières, afin de compenser l’impact du prix du carbone sur la compétitivité des entreprises européennes.
La transition écologique ne doit pas opposer écologie et compétitivité ; elle ne doit pas non plus opposer écologie et justice sociale. À cet égard, l’objectif des taxes nationales reste bien de verdir la fiscalité, et non de l’alourdir. De même, une fiscalité carbone aux frontières aurait des effets redistributifs plus importants qu’une taxe carbone domestique, en ce qu’elle porte sur des biens substituables, contrairement aux produits énergétiques.
En parallèle, les objectifs du New Green Deal imposent de soutenir les investissements dits « verts ». À cet égard, je suis convaincu de la nécessité de faciliter de tels investissements, en permettant aux États membres de les extraire du pacte de stabilité et de croissance, comme l’a suggéré récemment le nouveau commissaire à l’économie, Paolo Gentiloni. C’est une position que je partage pleinement, pour l’avoir suggérée dans une proposition de résolution déposée au Sénat le 10 septembre dernier.
Je le disais en introduction, la taxation du carbone aux frontières de l’Europe n’est pas une manière pour l’Europe de défier ses partenaires commerciaux. Alors qu’un prix du carbone n’a pas pu être inscrit dans l’accord de Paris, la mise en place de cette taxation au sein de l’Union européenne assurerait au continent une crédibilité sur la scène internationale et une influence sur ses partenaires.
Elle traduirait également un pouvoir d’initiative retrouvé, qui permettra à l’Europe, j’en suis sûr, d’orienter les grandes transformations que connaît notre monde et de montrer, à rebours du constat amer de Paul Valéry, qu’elle est capable d’avoir « la politique de sa pensée ». (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la contradiction est éternelle entre la croissance économique, la nécessité d’être compétitifs et l’urgence écologique.
À l’heure de la nécessaire mobilisation face aux changements climatiques, tout l’enjeu est de rééquilibrer la mondialisation et de réapprendre à produire ce que nous consommons. Nous devons refuser de vivre dans ce monde absurde où on pêche du poisson en Norvège, où on le traite en Chine et où on le consomme en Europe !
M. Jean-François Husson. Très bien !
M. Guillaume Chevrollier. Avec un marché de 500 millions d’habitants comme l’Europe, je suis convaincu que nous pouvons apporter au monde l’équilibre dont il a besoin.
Le mathématicien et philosophe Olivier Rey a publié une excellente tribune la semaine dernière. En voici quelques extraits : « La vérité, c’est que le mondialisme ne peut être la solution à la crise qu’il engendre. Non seulement cela, mais le “no-borderisme”, c’est-à-dire la non-frontière, constitue l’exact inverse de la voie à suivre. Bien sûr, certains problèmes sont globaux. Mais c’est la perte de la mesure locale qui les a engendrés, et c’est recouvrer cette mesure qui peut seule permettre d’y faire face ».
La barrière écologique aux frontières de l’Union européenne que prévoit cette proposition de résolution peut être l’une des solutions pour recouvrer cette mesure locale, qu’elle soit nationale ou européenne.
Nous devons cesser d’être naïfs : l’Europe doit imposer ses règles à ceux qui veulent commercer avec elle. Il me semble qu’une telle exigence est légitime de la part de la première puissance commerciale au monde !
Nous croyons à l’échange, à la force de nos entreprises, à la compétence de nos agriculteurs et à l’excellence de leurs savoir-faire, mais pour que cette liberté d’échanger ait un sens, il faut que les règles soient les mêmes pour tous ! La mise en place d’une barrière écologique à l’entrée du marché unique permettrait de remettre de l’équité et de la réciprocité dans les échanges internationaux.
Concrètement, elle consisterait en la compensation du prix des quotas de CO2 qui s’applique actuellement aux industriels européens qui exportent vers le marché européen – et non aux industriels étrangers chinois, américains, européens ou autres. Aujourd’hui en effet, nous trahissons nos industries et nos agriculteurs en faisant entrer en France ces produits internationaux en Europe. Nous créons nous-mêmes la concurrence déloyale !
Nous ne pouvons continuer à déstabiliser ceux qui produisent chez nous et à encourager ceux qui produisent à l’extérieur, c’est-à-dire ceux qui ne respectent pas les normes environnementales que nous nous fixons.
J’ajoute que, selon les estimations, les importations de CO2 dans l’Union européenne représentent entre 1,8 et 2,1 milliards de tonnes par an. Si nous fixons à 27 euros le prix de la tonne de carbone, notre barrière écologique pourrait rapporter environ 50 milliards d’euros par an. Il s’agirait là d’une véritable manne, qui permettrait d’accompagner la transition écologique et d’agir pour la reconquête de la biodiversité.
Mes chers collègues, l’Union européenne a respecté les engagements qu’elle a pris dans le cadre du protocole de Kyoto en 1997 et réduit de 5 % ses émissions de gaz à effet de serre en 2012 par rapport aux niveaux de 1990, même si beaucoup reste à faire.
Or, pendant que l’Union européenne diminuait de 17 % ses émissions de CO2 au cours des dernières décennies, « l’atelier du monde », à savoir la Chine, a considérablement augmenté les siennes, lesquelles représentent 26 % des émissions mondiales, soit une hausse de 53 % entre 1990 et 2018. Il en est de même des États-Unis.
Il est impensable que l’Europe finance seule la transition écologique. Dans l’espace européen, la France ne représente que 1,2 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. À cet égard, la crise des « gilets jaunes » a été révélatrice : l’effort doit être proportionné, adapté, cohérent et transparent pour être accepté socialement.
Pour que l’écologie soit non pas dogmatique, mais pragmatique, durable et protectrice de nos emplois, je vous invite, mes chers collègues, à voter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Michèle Vullien applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Joël Bigot.
M. Joël Bigot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie le groupe Les Républicains d’avoir inscrit à l’ordre du jour de nos travaux cette proposition de résolution sur un sujet ô combien stratégique, tant pour notre économie que pour le climat.
Toutefois, avant d’aller plus avant, permettez-moi de formuler un point de sémantique, car les termes employés, aussi bien dans l’exposé des motifs que dans la résolution elle-même, tendent à brouiller l’objet de la proposition. Vous utilisez, à la suite du candidat Les Républicains aux dernières élections européennes, l’expression de « barrière écologique », comme on parlait autrefois de « barrières douanières ».
Je comprends bien l’intérêt du mot « barrière » pour réduire les réticences de nos voisins européens, mais pourquoi ne pas parler plus distinctement à nos concitoyens et évoquer plus précisément la mise en place d’une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne ? Car c’est bien de fiscalité écologique qu’il s’agit. Nous avions nous aussi soutenu cette idée lors des élections européennes.
Le levier écologique constitue aujourd’hui l’outil fondamental pour modifier profondément le fonctionnement de l’Union européenne et permettre à cette dernière de répondre aux demandes de protection et de compétitivité de nos concitoyens et de nos entreprises. Cette nouvelle politique commerciale doit être un outil au service de la transition écologique et climatique, conformément à nos objectifs de neutralité carbone.
L’Union européenne doit se saisir de cet outil, aussi bien pour réguler ses importations que pour contraindre par la norme ses partenaires commerciaux. Le marché européen est de taille suffisamment critique pour exercer une véritable influence normative et, ainsi, accélérer la décarbonation de la production.
La mise en place d’une taxe serait une mesure d’équité concurrentielle dans le cadre du système d’échange de quotas de CO2. En clair, il s’agirait de demander à tout importateur d’un produit soumis au système communautaire d’échange de quotas d’émissions, quand il est produit en Europe, de se plier aux mêmes règles européennes que ses concurrents.
Le très sérieux Conseil des prélèvements obligatoires confirme, dans un rapport rendu en septembre dernier, que « les initiatives visant à doter l’Union européenne d’un mécanisme de protection commerciale à l’encontre des territoires non coopératifs doivent être soutenues. »
Le 9 janvier dernier, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) ont publié une étude très intéressante tendant à dessiner les contours d’une fiscalité carbone aux frontières, fiscalité qui pourrait être redistributive.
L’étude pose bien la question des émissions importées dans notre empreinte carbone et la difficulté d’établir une comptabilité carbone fiable, fidèle à la réalité du processus de production. Cette part de gaz à effet de serre cachée de notre consommation constitue « un angle mort de la lutte contre le réchauffement climatique », qui, de surcroît, ne permet pas de mettre en valeur les efforts des États européens pour réduire leurs émissions.
Ainsi, pour la France, indique la même étude, « la diminution constatée des émissions liées à la production nationale depuis plus de quinze ans s’est accompagnée par une hausse continue de celles provenant des importations. L’empreinte carbone des Français en 2015 serait ainsi équivalente à celle de 1995 [et] les émissions importées sont supérieures à celles issues de la production intérieure destinée à la consommation domestique. »
Ces conclusions justifient l’instauration d’un système de rééquilibrage fiscal aux frontières et démontrent qu’une redistribution totale et progressive du produit de cette taxe aux ménages permettrait d’éviter certains des écueils ayant conduit à la crise des « gilets jaunes ».
L’instauration d’une taxe carbone aux frontières, laquelle serait redistributive, me paraît importante. Cette dimension redistributive semble malheureusement échapper aux auteurs de la proposition de résolution, alors qu’elle me semble être au cœur de l’acceptabilité sociale d’une nouvelle prise en compte de l’empreinte carbone de nos échanges, que sa mise en œuvre soit nationale ou européenne.
C’est une part du destin économique et politique de la construction européenne qui se joue au travers de la mise en place ou non de cette taxe carbone aux frontières. Espérons que cette taxe ne connaîtra pas le même sort que la taxe européenne sur les transactions financières, la fameuse taxe Tobin, ou encore que le « veto climatique », qui devait être intégré dans le CETA.
Mercredi dernier, la présidente de la Commission se serait rangée à l’idée d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Celui-ci viserait en priorité les secteurs de l’acier, du ciment, du papier-carton, du verre et de la chimie et permettrait de lutter contre la concurrence déloyale – le dumping écologique –, mais aussi contre la tentation pour les entreprises européennes de transférer leur production, et donc le carbone, hors de l’Union européenne.
À l’heure où nous parlons, votre souhait, monsieur Husson, semble donc être exaucé. Mais, une fois encore, rien n’est prévu sur la dimension redistributive des produits de cette taxe. Les recettes seront-elles fléchées en direction des ménages européens les plus modestes, qui sont souvent en situation de précarité énergétique ? Il serait intéressant de connaître votre avis sur ce point, qui me paraît essentiel, madame la secrétaire d’État.
En conclusion, mes chers collègues, nous voterons cette proposition de résolution, tout en regrettant la forme de cette initiative, car le véhicule choisi ne permet pas de réaliser le travail de fond nécessaire à la mise en œuvre d’un dispositif crucial pour l’avenir de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans la fable de l’élu et du citoyen, la morale reprocherait sans doute au politique de prendre des engagements qu’il ne pourra vraisemblablement pas tenir et à ses administrés de croire naïvement à certaines promesses dont ils subodorent pourtant l’infaisabilité. En matière d’écologie, il faut bien l’admettre, on bat des records depuis quelque temps !
À grand renfort de communication, pour ne pas dire de pression, de nombreuses organisations à la respectabilité parfois contestable enjoignent les décideurs à s’engager en faveur de protocoles dont les formulations abstraites nous laissent pour le moins dubitatifs.
On mesure en outre facilement le « bisounoursisme » des solutions proposées, lesquelles rencontrent pourtant un écho favorable dans une partie de l’opinion publique, qui se pâme devant une adolescente réussissant à vendre le séchage généralisé des cours comme une activité plus vertueuse que l’assimilation des rapports du GIEC.
M. Joël Labbé. Oh là là !
M. Stéphane Piednoir. Depuis Rio, en 1992, les grands sommets internationaux débouchent avec plus ou moins de succès sur des traités dont l’ambition n’a d’égale que l’absence de sanction envers les pays signataires qui ne respecteraient pas leurs engagements, ou même qui y renonceraient totalement, comme nous l’avons vu récemment avec les États-Unis.
Même lorsque certains accords, tels que celui de la COP21 à Paris, sont quasi unanimement salués pour l’adhésion générale qu’ils ont suscitée, les moyens financiers engagés ne sont pas à la hauteur, loin de là, et ne sont en vérité jamais quantifiés de manière sincère. Pourtant, personne ne peut croire que l’on va raser gratis, ni qu’une baguette magique sauvera la planète.
Rappelons que la France ne compte que pour 1 % des émissions carbone dans le monde, ce qui correspond presque à sa part de population. Cela signifie, compte tenu de nos modes de vie très énergivores, que notre production énergétique est très largement décarbonée, essentiellement en raison d’une filière nucléaire spécifique à notre pays, n’en déplaise à certains !
Aujourd’hui, selon les estimations, un habitant de la planète produit entre 5 et 6 tonnes de CO2 par an. À part ceux qui considèrent leurs œillères comme un guide efficace de réflexion, chacun prend conscience que ce rythme de progression n’est plus supportable, surtout si l’on prend en compte la démographie galopante et l’aspiration au développement, avec pour conséquence une augmentation des besoins énergétiques, tant en Afrique qu’en Asie.
Néanmoins, il faut bien admettre que la situation en Europe est aussi très hétérogène : certains renoncent au nucléaire pour des raisons idéologiques et, disons-le, électoralistes, mais en ouvrant de nouvelles centrales électriques au charbon. D’autres restent tout simplement sourds à ces préoccupations, qu’ils considèrent comme très éloignées des leurs. Par exemple, quand le Premier ministre norvégien vient parler énergies renouvelables au président polonais, c’est un peu comme si un élu de Maine-et-Loire évoquait le processus de création des communes nouvelles avec un homologue corse… (Sourires.)
Dès lors, que pouvons-nous faire concrètement pour limiter notre production de CO2 et engager une convergence internationale qui ne se traduirait pas uniquement par de beaux discours ?
Comment faire comprendre que, si nous ne faisons rien aujourd’hui, nous prenons le risque de franchir un point de rupture irrémédiable ?
Comment ne pas faire porter l’indispensable changement des comportements uniquement sur les ruraux, qui devraient répondre aux injonctions d’ultra-urbains habitués au métro, du moins quand les conducteurs de la RATP ne sont pas en grève…
Conscients de la faiblesse de la portée de chaque action nationale, nous devons user de la masse critique de l’Europe pour peser efficacement face aux géants mondiaux, au niveau tant de la consommation d’énergie que des émissions carbone.
C’est le sens de la proposition de résolution qui nous est proposée aujourd’hui. Je remercie Jean-François Husson et Bruno Retailleau de cette initiative et je vous invite, mes chers collègues, à voter ce texte pour, enfin, engager une démarche plus concrète ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier vivement les sénateurs Jean-François Husson et Bruno Retailleau, qui ont déposé cette proposition de résolution le 29 novembre dernier, quelques jours avant la COP25 et préalablement à la présentation par la Commission européenne de son projet de pacte vert pour l’Europe.
Le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité apparaissent désormais comme des enjeux existentiels, et nous avons besoin d’une mobilisation transpartisane pour y faire face. Chacun peut apporter sa vision des moyens à mobiliser et des façons d’aborder ce défi, et je me félicite de constater que, dans toutes les tendances politiques, l’on contribue activement à un débat de qualité.
Selon l’impression générale, la COP25 a été décevante. Nouvelle étape de la mobilisation internationale pour la lutte contre le changement climatique, elle devait être celle de l’action, de l’urgence à agir. Mais elle a été bloquée par certains États, et, sans consensus, les dernières règles relatives à la mise en œuvre de l’accord de Paris n’ont pu être adoptées.
Je modérerais toutefois ce pessimisme en rappelant que c’est aussi pendant cette COP, accueillie généreusement par l’Espagne, dans les circonstances politiques que nous connaissons, que l’Union européenne a annoncé son objectif de neutralité carbone pour 2050, le 12 décembre. Le lendemain, elle a présenté son pacte vert, le fameux Green Deal. Il est important de le souligner.
Les dernières règles que nous devions adopter à Madrid portaient précisément sur les systèmes d’échange d’émissions de gaz à effet de serre entre États, notamment les marchés du carbone.
Certains États poussaient à la conclusion d’un mauvais accord, qui leur aurait permis de compter deux fois leurs crédits carbone ou de financer des projets de transition supposée, sans aucune garantie sur leur bonne mise en œuvre et leur impact en faveur du climat. Nous ne pouvions l’accepter, et l’Europe a eu le courage de reporter l’adoption de ces règles, afin qu’elles soient robustes et efficaces. Nous le savons, en diplomatie, une absence d’accord vaut parfois mieux qu’un mauvais accord.
Cette situation ne nous empêche toutefois pas d’avancer. Tout d’abord, l’accord de Paris est d’ores et déjà effectif. Il est désormais quasi universel, avec la récente ratification de la Russie, sans compter tous les pays qui ont commencé à le mettre en œuvre. Son système d’ambitions croissantes, qui respecte la souveraineté des États, doit nous amener, dès 2020, lors de la COP26 de Glasgow, à présenter des plans nationaux plus ambitieux. La France continuera à agir pour rehausser son ambition, en se plaçant dans le cadre européen.
Nous devons agir plus vite, et ensemble. Comme le disait Valérie Létard, c’est un test de crédibilité, d’efficacité, de souveraineté, donc de réactivité.
Nous le voyons en effet chaque été, avec des canicules plus longues et plus fortes dans nos villes : les Français et les Européens souffrent. Nous voyons des feux de forêt toujours plus étendus, comme le montrent les spectacles apocalyptiques venant dernièrement d’Australie, mais aussi d’Amazonie, de Californie ou de Scandinavie. Nous voyons aussi la fonte des pôles et la réduction des glaciers sur nos montagnes, la récurrence accrue des inondations, l’accroissement de la puissance et des zones d’activité des tempêtes et des typhons, dont souffrent nos territoires d’outre-mer, ou encore la montée des eaux, lente, mais inexorable, qui ronge nos côtes.
Tous les pays du monde sont touchés, et nous devons déjà composer avec des changements majeurs – on le voit notamment dans le secteur agricole.
Le coût économique humain et politique est déjà important, et plus nous retardons nos efforts, qui nous semblent déjà coûteux et difficiles aujourd’hui, plus le prix que nous aurons à payer, non pas dans cent ans, mais dans dix ou quinze ans, s’accroîtra.
Le Conseil européen s’est mis d’accord en décembre dernier sur un objectif de neutralité pour 2050. L’Europe serait ainsi le premier continent neutre en carbone. C’est un succès pour la France et pour le Président de la République, qui souhaitait que nous portions très fermement cette ambition. Je le rappelle, nous étions 3 pays en mars 2019, 8 pays en mai 2019 et 28 pays en décembre 2019 !
Par ailleurs, cet objectif est d’ores et déjà inscrit dans la loi française, et je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, du soutien que vous nous avez apporté.
C’est un succès qu’il convient désormais de consolider, en accompagnant les régions qui seront les plus touchées économiquement et socialement par cette transition écologique, en particulier lorsque leur économie dépend d’industries fortement émettrices, comme les énergies fossiles.
Je tiens également à souligner que ce Conseil européen a accepté de rappeler extrêmement clairement la souveraineté de chaque pays à définir ses choix énergétiques, en faisant mention notamment du nucléaire, sur le fondement de l’article 194 du Traité européen. Cette précision est importante.
Pour réussir, certains d’entre vous l’ont rappelé, la transition doit être juste. Au moment où je vous parle, lors de la séance plénière du Parlement européen à Strasbourg, la Commission européenne est en train de présenter son mécanisme de transition juste, pilier de financement et de crédibilité de son pacte vert.
Une transition juste devra faire l’objet d’un accompagnement économique et social, car nous avons à vivre une transition industrielle et énergétique majeure. Il nous faut donc renforcer les mécanismes existants et accompagner budgétairement les régions économiques les plus touchées. Il reviendra ensuite à ces dernières de définir la meilleure manière de dépenser les sommes qui leur seront allouées et d’accompagner les acteurs économiques les plus concernés.
Telle est la volonté de la France pour le prochain cadre financier pluriannuel, avec comme ambition que 30 % du prochain budget de l’Union européenne soit dédié au climat, et que 10 % soient dédiés à la protection de la biodiversité et à la lutte contre la pollution.
Toutefois, comme vous l’avez souligné très clairement dans l’exposé des motifs de votre résolution, messieurs Husson et Retailleau, cette transition n’a aucun sens si nous nous contentons, pour réaliser une Europe neutre en carbone, de délocaliser nos émissions de gaz à effet de serre, en continuant à importer sans sourciller des biens fortement carbonés.
Le Président de la République a fait de ce sujet un point dur, notamment dans tous les cercles de discussion mondiaux, au G7 comme à l’ONU. Nous devons retrouver de la cohérence et, pour réduire notre empreinte écologique et entraîner une dynamique mondiale de décarbonation de l’économie, poursuivre deux approches complémentaires.
Il nous faut, premièrement, continuer à améliorer nos efforts au sein de l’Union européenne. Au-delà du mécanisme d’inclusion carbone aux frontières sur lequel nous travaillons – j’y reviendrai en détail –, nous avons également pour ambition de réviser en profondeur le fonctionnement du marché des quotas carbone, ou marché ETS, en Europe, notamment en définissant un prix plancher ; nous avons tous en tête, me semble-t-il un prix proche de 25 euros la tonne de CO2…
M. Jean Bizet. Pas moins !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Cela permettra d’assurer une prévisibilité à nos industriels. En effet, comment leur demander de se projeter à long terme si le prix du carbone peut de nouveau diminuer à tout moment ?
Nous voulons, deuxièmement, exiger que les efforts que nous faisons soient également réalisés par nos partenaires commerciaux, en intégrant une « donne carbone et climat », si j’ose dire, à nos politiques commerciales.
Le 13 décembre dernier, en pleine COP25, la Commission a présenté une trajectoire crédible, avec son pacte vert ou Green Deal. Ce plan, dont nous avons salué l’ambition, reprend en particulier les deux approches que je viens de mentionner.
La feuille de route qui nous est proposée par la nouvelle commission vise à mettre en cohérence l’ensemble des politiques publiques européennes avec nos engagements en faveur du climat et de l’environnement. Mais elle contient également une dimension sociale affirmée, une dynamique commerciale, industrielle, ainsi que sur le fret ferroviaire, les aides d’État et la concurrence.
Nos efforts doivent porter de façon transversale sur tous les secteurs fortement émetteurs, afin que nous nous donnions les moyens d’atteindre, ensemble, dans chacun des pays et chacun des secteurs, les objectifs de neutralité carbone en 2050, en y ajoutant un objectif de biodiversité et d’absence de pollution.
Ce pacte vert est un document nécessaire, salutaire, et nous aurons certainement, dans les mois qui viennent, l’occasion d’échanger sur les moyens de le préciser et de l’améliorer. Nous souhaitons en effet que ce pacte vert européen aboutisse à de nouvelles propositions législatives dans les meilleurs délais, afin que ses objectifs soient rapidement atteints.
Nous sommes en particulier satisfaits que la Commission ait repris, comme vous le faites dans ces murs, mesdames, messieurs les sénateurs, l’idée d’un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières, et que notre proposition visant à faire de l’accord de Paris une clause essentielle des accords commerciaux ait été retenue.
Ce document constitue donc une base de travail très utile, qui prouve que notre ténacité à faire valoir ces points depuis longtemps a payé. Certains pensaient qu’il était trop ambitieux de l’écrire tout de suite et qu’il fallait mener un travail en chambre, entre experts, avant de prendre un tel engagement… Or il est désormais couché sur le papier.
Nous devons désormais poursuivre les efforts vis-à-vis de nos partenaires européens. Ils sont certes nombreux à nous faire part de leur intérêt à travailler à l’élaboration d’un tel outil, mais ils se posent également des questions légitimes. Nous devons les rassurer, et travailler également avec nos partenaires extraeuropéens, dont certains veulent croire que, si nous engagions cette marche, nous irions à l’encontre des règles de l’Organisation mondiale du commerce.
Nous nous focalisons plus précisément sur trois points d’attention.
Tout d’abord, nous devons trouver une solution faisable et techniquement fiable, en particulier pour mesurer le contenu carbone de nos importations. C’est pourquoi nous préconisons de concentrer dans un premier temps ce mécanisme sur des biens « basiques » comme l’acier, l’aluminium, le ciment, et peut-être aussi le papier ou le verre, autant de biens dont nous connaissons les lieux de production et pour lesquels nous pouvons avoir des informations fiables sur leur contenu carbone.
Ensuite, il est important pour la France que les recettes liées à ce mécanisme d’inclusion soient une ressource propre de l’Union et qu’elles permettent de financer la transition. Certains nous disent que l’eau doit payer l’eau ; en l’occurrence, en matière de climat, ceux qui ne respectent pas les normes définies en Europe doivent payer.
Enfin – c’est un point fondamental –, notre but est non pas de créer une taxe, qui pourrait être vue par l’OMC comme une mesure distorsive, mais bien d’élargir le marché ETS européen aux importations. Nous restons donc dans un domaine de souveraineté. Nous avons mis en place un marché ETS européen et nous souhaitons désormais que le prix du carbone appliqué aux productions européennes Europe puisse aussi s’appliquer pleinement aux biens importés. En d’autres termes, tous les produits qui sont vendus en Europe doivent se voir appliquer le prix du carbone en vigueur en Europe.
Si ce mécanisme ressemble à une taxe, ce n’en est pas une en réalité. En effet, si un bien provient d’un pays qui a lui-même fixé un prix du carbone, l’ajustement sera différent que si ce même bien provient d’un pays où il n’existe aucun prix du carbone. Il y a donc non pas une distorsion face aux importations en général, mais une inclusion du contenu carbone des importations.
Si nous investissons autant d’efforts dans la mise en œuvre d’un tel mécanisme, c’est parce que celui-ci constitue une composante essentielle de la politique climatique ambitieuse portée par la France.
C’est un enjeu de souveraineté économique. En effet, pour parvenir à la neutralité climatique en 2050, nos entreprises et nos citoyens, partout en Europe, vont devoir fournir des efforts importants, en transformant leur mode de production, en modifiant leur comportement. Et pour que ces efforts soient acceptables, pour que la croissance et la compétitivité soient préservées, il faut que les mêmes efforts soient demandés à tout le monde.
Tel est l’objet de ce mécanisme d’inclusion carbone aux frontières : faire en sorte que les importateurs payent autant que les producteurs européens, pour une même quantité d’émissions. Ce mécanisme aura également un effet incitatif : en tenant compte des mesures qui auront déjà été mises en place dans le pays d’origine des biens, nous pourrons comptabiliser le coût du carbone.
Nous débattons régulièrement du sujet des ressources propres de l’Union avec la commission des affaires européennes. D’autres idées sont sur la table, comme une ressource assise sur le plastique non recyclé ou une taxe sur les GAFA. Il est essentiel que l’Europe progresse sur cette question, les ressources propres constituant la clé pour réconcilier les pays qui se disent « frugaux » et souhaitent limiter leur contribution au budget européen, et les ambitions, légitimes et nécessaires, que nous nous fixons ensemble pour avancer. Ce mécanisme nous apparaît donc primordial.
Dix jours avant le Conseil européen de décembre, je me suis rendue à Prague, où j’ai débattu de façon extrêmement décisive avec les responsables des pays du groupe de Visegrad – la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie et la Pologne. Ces pays sont souvent identifiés comme réticents sur les enjeux climatiques, mais ils ont des demandes légitimes, que l’on peut comprendre. Ils partent en effet de plus loin, et leurs économies comme leurs emplois pourraient être encore plus touchés que les nôtres par cette transition énergétique.
Pourtant, dix jours avant le Conseil européen, nous avons signé avec ces pays une déclaration commune, dans laquelle nous appelions à ouvrir les discussions, en vue de créer un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières respectueux des règles de l’OMC, afin de lutter contre les fuites de carbone, sur la base d’une étude d’impact approfondie. Nous avions donc trouvé un accord, sur un point essentiel, avec des pays que certains décrivent comme fondamentalement et en permanence opposés à nos positions.
Je serai dans quinze jours à Copenhague, pour une réunion avec mes homologues danois, suédois et finlandais, afin de poursuivre le travail et d’élargir la coalition de ceux qui veulent non seulement travailler sur le sujet, mais également le soutenir et s’assurer de sa mise en œuvre.
L’application d’un tel mécanisme passera en effet par un travail technique de diagnostic et de description, pour en préciser les modalités, le rendre économiquement et techniquement faisable et rassurer les différents acteurs concernés. Cela constituera une part importante de notre travail, à la fois politique et diplomatique.
Vous m’avez interrogée, monsieur Leconte, sur le triangle de problématiques que constituent l’Europe, le climat et le Brexit.
Je tiens à être extrêmement claire. L’Union européenne vient de se fixer un objectif climatique ambitieux, celui d’une neutralité en carbone en 2050. Nous nous imposons donc de nouvelles contraintes, pour de bonnes raisons.
Nous essayons de les rendre acceptables, avec ce mécanisme d’inclusion carbone aux frontières, mais nous attendons très clairement que les Britanniques nous disent ce qu’ils comptent faire. Entendent-ils prendre les mêmes engagements ? Recherchent-ils également la neutralité carbone d’ici à 2050 ? Les contraintes que nous nous fixons appellent une réponse !
Quelles marchandises viendront sur nos marchés européens ? Quelles garanties et quels engagements les Britanniques prendront-ils sur ce sujet climatique et environnemental ? Il s’agit d’un point essentiel, au demeurant parfaitement identifié par la Commission, Michel Barnier, le Président de la République et Ursula von der Leyen.
Vous l’avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, nous serons extrêmement vigilants sur cette question, car il y va de la réciprocité, de l’équilibre et de la loyauté, à la fois commerciale et climatique, de nos relations avec les Britanniques dans les années à venir.
Sur le plan diplomatique et commercial, nous allons continuer à jouer la carte du multilatéralisme. Aujourd’hui même, Phil Hogan, commissaire européen au commerce, signe à Washington un accord entre l’Union européenne, les États-Unis et le Japon sur le sujet chinois, sur les subventions industrielles et sur la propriété intellectuelle. Cela montre bien que, sur certains dossiers, la persévérance paye.
J’espère que nous aurons également, sur ces enjeux de climat, des résultats dans les années qui viennent. D’ici à la COP26 de Glasgow sur le climat, et d’ici à la COP15 de Kunming sur la biodiversité, en nous appuyant sur la détermination européenne et sur notre détermination nationale, nous concentrerons nos efforts pour convaincre les principaux émetteurs de gaz à effet de serre, qui sont aussi les principales forces économiques réunies au sein du G20, de répondre à cette ambition consistant à fixer un prix du carbone au niveau international.
Dans ce contexte, vous l’avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement soutient les objectifs de la résolution que vous présentez, avec la méthode et les points de détail que je viens d’exposer.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’espère pouvoir échanger avec vous plus en détail, au fur et à mesure que les négociations européennes sur ces sujets concrets, tangibles et extrêmement importants pour nos territoires se poursuivront. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution demandant au gouvernement de porter au niveau de l’union européenne un projet de barrière écologique aux frontières
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu les articles 1er à 6 de loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution,
Vu le chapitre XVI du Règlement du Sénat,
Vu l’Accord de Paris sur le climat,
Vu les objectifs de l’Union européenne définis successivement dans le paquet énergie-climat et le cadre d’action en matière de climat et d’énergie d’ici à 2030,
Vu la directive 2009/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 modifiant la directive 2003/87/CE afin d’améliorer et d’étendre le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, notamment son considérant 25,
Vu la communication « Une planète pour tous » de novembre 2018, le « Nouveau programme stratégique 2019-2024 » adopté par le Conseil européen en juin 2019 et le document « Une union plus ambitieuse : mon programme pour l’Europe » présenté par Mme Von der Leyen le 16 juillet 2019,
Considérant la nécessité de conduire des politiques européennes et nationales visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre ;
Considérant que la transition écologique ne peut être acceptée que si elle implique une réciprocité dans les efforts consentis en son nom ;
Considérant que la taxation du carbone n’est un instrument efficace et juste de lutte contre ces émissions que si elle est équitablement répartie entre émetteurs et lorsque les recettes de cette fiscalité servent à financer la transition écologique ;
Considérant que les politiques nationales de taxation du carbone apparaissent à la fois distorsives en l’absence de coordination fiscale entre États membres de l’Union européenne et inefficaces sans prise en compte des émissions de gaz à effet de serre importées ;
Considérant la nécessité de doter l’Union européenne d’une politique commerciale et environnementale qui protège ses acteurs économiques dans la mondialisation tout en favorisant la réduction des gaz à effet de serre ;
Déplorant la perte de compétitivité d’un nombre croissant de secteurs économiques au sein de l’Union européenne du fait de normes et taxes environnementales élevées échappant à toute réciprocité commerciale ;
Constatant que seule une action plus résolue au niveau de l’Union européenne pourra permettre de concilier exigence environnementale et pragmatisme économique dans les systèmes de taxation du carbone ;
Estimant que cette action aurait intérêt à prendre la forme d’une taxation des produits importés fortement émetteurs, ou, à défaut, une taxation des produits provenant de pays ne respectant pas les standards européens en matière environnementale ;
Estimant qu’une telle barrière écologique aux frontières servirait un double intérêt : économique, en dotant l’Union européenne d’une nouvelle ressource propre permettant de financer la transition écologique des États membres et environnementale en contraignant les partenaires commerciaux de l’Union à mener des politiques écologiques plus ambitieuses et en réduisant la part du carbone importé ;
Demande au Gouvernement de porter au niveau de l’Union européenne un projet de barrière écologique aux frontières pour retrouver une vraie réciprocité normative dans nos échanges commerciaux et inciter nos partenaires à une plus grande exigence environnementale.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explications de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
(La proposition de résolution est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, Les Indépendants et LaREM.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à seize heures cinquante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Activité des entreprises alimentaires françaises
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande de la commission des affaires économiques, la discussion de la proposition de loi modifiant la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous afin de préserver l’activité des entreprises alimentaires françaises, présentée par M. Daniel Gremillet et plusieurs de ses collègues (proposition n° 138, texte de la commission n° 215, rapport n° 214).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Daniel Gremillet, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Gremillet, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier Michel Raison, rapporteur de ce texte, du travail qu’il a accompli, lequel s’est inscrit dans la continuité de celui de la commission des affaires économiques du Sénat, qui s’est dotée, le lendemain de la promulgation de la loi Égalim, la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, d’un groupe de suivi inédit chargé de mesurer les effets généraux de cette loi sur les acteurs concernés.
Cette démarche innovante revient finalement à l’essence même du rôle du Parlement : adopter des lois et en évaluer les effets pour, au besoin, proposer les correctifs nécessaires.
En octobre dernier, le groupe de suivi a produit un rapport d’information dressant un premier bilan de la loi Égalim, un an après l’adoption de cette dernière. Ce travail important, réalisé après des auditions effectuées auprès des administrations, des organismes professionnels, mais aussi – ce point est important – des acteurs de terrain, a permis de dégager des premières tendances inquiétantes.
Bien sûr, il est trop tôt pour tirer des enseignements définitifs sur les effets de cette loi ; ainsi, le titre Ier organise une expérimentation de deux ans qui est en cours. Au terme de ce délai, nous y verrons plus clair et nous ne manquerons pas d’en tirer les conséquences.
Toutefois, les auditions du groupe de suivi ont déjà mis en lumière trois problèmes majeurs posés dès à présent par la loi. Sur le terrain, nous avons constaté auprès d’entreprises qui sont en difficulté du fait même de l’application de la loi des effets pervers majeurs. Faut-il attendre que la situation empire ? Si les failles sont d’ores et déjà identifiées, il est de notre responsabilité d’agir. C’est en tout cas la position du groupe de suivi qui a déposé, dans la foulée, une proposition de loi comprenant trois mesures d’urgence.
Le texte qui est soumis à notre examen aujourd’hui a été signé, à ce stade, par cent quarante-six sénatrices et sénateurs de la quasi-totalité des groupes politiques. Cette capacité des élus à se rassembler autour de ce texte, quels que soient les clivages, est une démonstration de l’intérêt stratégique des sujets évoqués. Monsieur le ministre, c’est de la politique au sens noble du terme, et je souhaite remercier l’ensemble des sénatrices et sénateurs qui se sont associés à cette démarche. Le Sénat joue son rôle de contrôle de l’action du Gouvernement et est une force de proposition pour améliorer l’efficacité des politiques publiques – c’est essentiel !
La première mesure proposée dans le texte concerne l’encadrement des promotions en volume. Nous sommes dans le cas d’une disposition rigide qui ne prend pas en compte les réalités très différentes selon les entreprises, les filières, les secteurs.
Et cela pose des difficultés, notamment pour les fabricants de produits achetés par le consommateur de manière impulsive ou pour les producteurs de denrées saisonnières. Pour les entreprises concernées, le soutien promotionnel est essentiel. Quand un consommateur ne programme pas son achat à l’avance – c’est le cas pour des produits comme la viande de lapin ou le saumon fumé –, il revient à l’industriel de le convaincre, dans les linéaires, d’acquérir son produit : il le fait par le biais d’une promotion. C’est pourquoi certains produits sont dépendants de cette démarche. Ce n’est pas une manière de tromper le consommateur. La raison est simple : faute d’un soutien promotionnel, ces produits ne sont pas vus par le consommateur. Or ce qui n’est pas vu n’est pas vendu !
Le mécanisme est le même pour les produits saisonniers : ceux-ci ont besoin d’un soutien particulier, notamment en dehors des périodes de pic de consommation, comme les fêtes – tel est le cas du foie gras, du champagne, des chocolats, entre autres.
L’encadrement des promotions limite le volume des ventes. Les résultats sont clairs : les chiffres d’affaires des entreprises concernées se sont effondrés depuis un an. Ils parlent d’eux-mêmes : recul de 25 % des volumes de foie gras vendus en une année ; baisse de 20 % des ventes de champagne dans la grande distribution. Les représentants de certaines entreprises auditionnées par le groupe de suivi ont fait état d’un recul de près de 50 % de l’activité !
Monsieur le ministre, combien d’entreprises peuvent résister deux ans à un tel choc ? Et qui paiera in fine ? Ce sont bien les producteurs : le volume des commandes baisse, nous l’avons constaté sur le terrain, ce qui a évidemment des conséquences sur les revenus et sur l’emploi.
C’est un effet de bord majeur qui aboutit à un paradoxe : la loi Égalim pénalise et handicape le revenu des producteurs en cause. Nous sommes donc aux antipodes des effets recherchés ! Et ce qui est le plus paradoxal, c’est que la loi déstabilise les filières qui rémunéraient le mieux les producteurs, des filières qui avaient instauré une indexation des prix avec l’amont agricole. Monsieur le ministre, la semaine dernière, nous avons rencontré les représentants de deux filières, dont l’organisation est aujourd’hui remise en cause, alors qu’elles étaient exemplaires, puisqu’elles rebasaient les prix tous les trimestres en fonction des coûts réels de production, ce qui correspond exactement à l’esprit de la loi Égalim.
J’ajoute que cet encadrement représente un biais anticoncurrentiel majeur pour les PME – ce sont ces entreprises qui sont fragilisées aujourd’hui –, parce qu’il limite leur seule possibilité d’exister face aux budgets publicitaires des plus grandes marques. Cette mesure, couplée à la hausse du seuil de revente à perte, a abouti à ce que la croissance de la présence des PME dans nos rayons a été considérablement ralentie depuis la mise en œuvre de la loi, alors même que celle-ci était censée favoriser les entreprises de nos territoires. C’est problématique ! Cette loi ne peut tout de même pas se résumer à fragiliser, voire à faire disparaître, les PME, les artisans et les autres entreprises implantées localement.
La proposition de loi entend remédier à ce problème, en prévoyant de sortir les produits au caractère saisonnier marqué de l’encadrement des promotions en volume. Surtout, j’insiste sur ce point, la mesure ne remet nullement en cause l’esprit de l’expérimentation. Monsieur le ministre, nous ne remettons pas en question l’encadrement des promotions en valeur à 34 % du prix du produit.
De plus, la dérogation ne concernerait que les produits les plus saisonniers, ceux qui sont aujourd’hui exposés et dont les filières sont fragilisées, voire en danger. Ce n’est pas ce type de disposition de bon sens qui est de nature à relancer la guerre des prix dans les grandes surfaces ni à remettre en cause l’expérimentation en cours. En revanche, elle permettrait de sauver des entreprises en grande difficulté. Attendre deux ans serait criminel pour nos entreprises alimentaires. Toutes les personnes que nous avons auditionnées s’accordent sur le fait qu’il y a un problème. Il aurait d’ailleurs été intéressant, monsieur le ministre, que vous assistiez à la réunion que nous avons organisée la semaine dernière en Vendée avec une vingtaine de professionnels représentant plusieurs filières, allant du foie gras au lapin, en passant par les fruits de mer, le muscadet ou le jambon. Tous sont aux abois du seul fait de la loi. Il y a un vrai caractère d’urgence.
Si le seul contre-argument est celui de ne pas vouloir fausser statistiquement l’expérimentation, permettez-moi, monsieur le ministre, d’en appeler à votre pragmatisme. Des centaines, voire des milliers d’emplois sont en jeu !
La proposition de loi comporte une deuxième mesure, qui est expérimentale. Cela fait plusieurs années que nous débattons du manque d’efficacité de la renégociation des contrats entre un fournisseur et son distributeur en cours d’année en cas de choc conjoncturel sur le cours d’une matière première. La clause de renégociation ne fonctionne pas, car, une fois activée, tous les points du contrat peuvent être renégociés, ce qui avantage considérablement le distributeur.
Il est proposé dans le texte d’expérimenter la mise en place, dans les contrats, d’une clause de révision automatique des prix, déterminée par les parties, qui s’activerait en cas de variation importante du cours de la matière première principale et fortement présente dans un produit alimentaire. Ce serait par exemple le cas du cours du porc pour la charcuterie ou de celui du blé dur pour les pâtes alimentaires. L’expérimentation ne porterait que sur quelques produits choisis selon leur exposition à la volatilité des cours.
Enfin, il est remarqué dans la proposition de loi que l’ordonnance sur la réforme du droit coopératif publiée par le Gouvernement ne respecte pas le champ de l’habilitation donnée par les parlementaires. C’était le seul point d’accord constaté en commission mixte paritaire entre les deux chambres : plutôt que de signer un chèque en blanc au Gouvernement, les deux chambres ont restreint strictement le champ de l’habilitation. Constatant sans doute que cette habilitation l’empêchait désormais de faire ce que bon lui semblait, le Gouvernement a eu recours à une autre ordonnance pour passer en force…
Sans même parler du fond de la mesure qui mériterait un débat sur le modèle coopératif, débat dont le Parlement a été privé lors de l’examen de la loi Égalim, il a semblé aux membres du groupe de suivi que le Parlement devait se montrer intransigeant sur le respect des champs d’habilitation qu’il déterminait lorsqu’il confiait au Gouvernement le droit de prendre une ordonnance. C’est pourquoi la proposition de loi ratifie l’ordonnance sur le modèle coopératif corrigée de la partie qui a excédé le champ de l’habilitation. Cette mesure répond avant tout à une logique institutionnelle de défense des droits du Parlement. Si le Gouvernement tient à cette disposition, qu’il la présente dans un projet de loi pour que le Parlement ait enfin le droit de débattre sereinement de nos coopératives agricoles !
Pour conclure, vous l’aurez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi n’a pas l’ambition de résoudre l’ensemble des défis posés à notre agriculture. Elle n’a pas non plus la prétention de revoir l’intégralité de la loi Égalim. Elle entend simplement en corriger les premières failles, car ces dernières posent déjà de graves difficultés dans nos territoires. C’est notre rôle constitutionnel d’évaluer la loi, et le groupe de suivi a voulu mettre ce rôle en avant.
Nous sommes donc loin d’une remise en cause politicienne de la loi Égalim adoptée il y a moins d’un an. Au contraire, malgré nos doutes, il me semble que cette proposition de loi entend préserver toutes ses chances d’améliorer le revenu de nos agriculteurs.
Enfin, je tiens à remercier Michel Raison et Anne-Catherine Loisier qui étaient rapporteurs du projet de loi Égalim, ainsi que la présidente de la commission des affaires économiques et l’ensemble des membres du groupe de suivi.
Un dernier mot : le présent texte a été adopté à l’unanimité par la commission ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu’au banc des commissions. – MM. Franck Menonville et Franck Montaugé applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Raison, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de l’examen du projet de loi Égalim, le Sénat avait pris une position claire : malgré son scepticisme sur l’efficacité de la loi, il ferait tout pour qu’elle permette au mieux d’améliorer le revenu agricole. C’est dans cette perspective que nous avions proposé la création immédiate d’un groupe de suivi des effets de la loi pour pouvoir au mieux accompagner son déploiement.
Nous avons toujours fait part de nos inquiétudes sur un texte qui nous semblait déséquilibré et qui était loin d’être la loi agricole attendue dans nos campagnes. Comment aurait-il pu l’être, alors qu’il n’agissait que sur les relations contractuelles entre l’agriculteur et ses acheteurs, ce qui représente moins d’un cinquième des recettes de l’agriculteur ? Dans le même temps, la France ne mène pas forcément les combats essentiels sur le budget de la politique agricole commune (PAC) ou sur les exportations alimentaires…
À la lecture de la loi finalement adoptée, nous avions une certitude : elle représenterait une hausse de charges pour les agriculteurs. En échange, le mécanisme du ruissellement contenu dans le texte était loin d’assurer une revalorisation certaine des revenus des agriculteurs en l’absence d’instrument le garantissant. J’ai indiqué à plusieurs reprises que, pour faire ruisseler de l’aval vers l’amont, il fallait une bonne pompe de relevage ! (Sourires.) Tout reposait sur un mot : la confiance entre les acteurs ou, en d’autres termes, la « morale ».
Les premiers résultats des négociations commerciales sur les contrats annuels de 2019 ne nous ont pas démentis : la déflation est toujours présente. Hormis quelques emblématiques contrats laitiers, rien n’a changé !
L’argument selon lequel ces éléments ne sont pas représentatifs, car les textes d’application de la loi n’étaient pas tous en vigueur, est insuffisant. De son côté, la grande distribution a bien récupéré les fruits de la hausse du seuil de revente à perte (SRP), mais plutôt que de les redistribuer par une revalorisation des prix accordée à ses fournisseurs, elle a adapté, comme à chaque fois, son modèle à cette nouvelle donne pour limiter l’augmentation des prix pour le consommateur.
La hausse du SRP aura servi, cette année, à déplacer la guerre des prix. Elle n’est pas terminée sur les produits des grandes marques et s’est intensifiée sur les produits sous marques de distributeurs (MDD) et dans les rayons non alimentaires. C’est seulement à titre résiduel que le SRP a permis de revaloriser quelques contrats laitiers emblématiques.
Cette réalité risque, hélas, de se reproduire en 2020, en dépit de la publication des textes d’application. L’esprit des États généraux de l’alimentation semble assez loin.
Les résultats des négociations commerciales de cette année seront un indicateur important. Disons-le franchement en reprenant vos propres termes, monsieur le ministre : « Si les prix ne remontent pas dans les trois prochains mois, je considérerai que les États généraux de l’alimentation sont un échec ».
Mais d’autres éléments doivent être surveillés : par exemple, nous n’avons aucune information statistique fiable sur les résultats des négociations relatives aux produits MDD. Dès lors, comment mesurer finement les effets de la loi ?
À moyen terme, le groupe de suivi poursuivra ses travaux, mais le rapport d’information que nous avons rendu le 30 octobre dernier a démontré que la loi posait des problèmes à court terme. La présente proposition de loi entend, modestement, en limiter les effets les plus néfastes, en comportant trois mesures d’urgence.
Tout d’abord, la loi Égalim ne réduit en rien l’exposition des industriels de l’agroalimentaire à la volatilité des prix des matières premières sur les marchés mondiaux. Ils sont le plus souvent pris en étau entre une hausse des prix des denrées agricoles payés aux agriculteurs qui suivent les cours mondiaux et un prix de vente au distributeur très difficilement renégociable. La clause de renégociation des prix ne fonctionne pas bien et la loi Égalim n’est pas allée assez loin sur ce point. Les difficiles renégociations qui ont eu lieu en 2019 malgré la flambée du cours du porc, par exemple, l’ont démontré. C’est la compétitivité de nos entreprises qui est en jeu.
L’expérimentation d’une clause de révision des prix uniquement sur les produits les plus exposés est une idée intéressante et mérite d’être menée. Cela fait des années que nous en parlons et j’avais déposé un amendement en ce sens lors de l’examen du projet de loi Égalim. Pourquoi ne pas essayer une telle expérimentation sur quelques produits comme la charcuterie ou les pâtes alimentaires ? C’est le pari que fait l’article 2 de cette proposition de loi.
Un autre problème posé par la loi est l’assimilation d’une relation entre un associé coopérateur et sa coopérative à une relation entre un fournisseur et son client.
Daniel Gremillet en a parlé, les coopératives ne sont pas régies par les mêmes règles que les entreprises privées. Il faut toujours garder à l’esprit cet élément, car les coopératives appartiennent aux agriculteurs ; elles sont le prolongement de leur exploitation et sont, en cela, des acteurs essentiels du monde agricole. Je rappelle aussi qu’une coopérative est une sorte de service public : comme le facteur qui doit distribuer le courrier partout, la coopérative doit ramasser les produits des exploitants partout. Et ce n’est pas parce qu’une coopérative aurait été, un jour ou l’autre, très mal gérée qu’il faut remettre en cause cette organisation et ce statut – si nous avions un mauvais gouvernement, ce qui n’est pas le cas (Sourires sur plusieurs travées.), nous ne devrions pas nécessairement changer la Constitution…
À trop assimiler les coopératives à des entreprises commerciales, on prend le risque de troubler gravement un équilibre qui est important pour nos territoires agricoles. Cela ne veut pas dire que les coopératives doivent être exonérées de toute obligation et que la loi Égalim ne leur est pas applicable. L’ordonnance fait actuellement l’objet d’un contentieux, le juge administratif rendra son verdict, mais en tant que rapporteur du projet de loi Égalim au Sénat, je veux réaffirmer que, dans l’esprit des parlementaires, le champ de l’habilitation ne comportait pas cette mesure. Le rapporteur de l’Assemblée nationale partage ce point de vue.
J’en viens, enfin, à la troisième difficulté qui est liée à la rigidité de l’encadrement des promotions en volume pour les produits saisonniers et festifs.
Daniel Gremillet a cité les chiffres inquiétants de l’évolution des ventes de certains produits. Permettez-moi d’évoquer des cas concrets qui nous ont été présentés lors de nos auditions.
Des producteurs de lapin, un produit très saisonnier – peut-être pas particulièrement festif, mais tout dépend de la sauce qui l’accompagne… (Sourires.) –, nous ont fait état d’une tendance au déréférencement de leurs produits dans les catalogues au cours des périodes de creux des ventes, souvent l’été, afin de respecter les plafonds de promotion fixés dans la loi. Comment un éleveur peut-il faire face à un trou de commandes dans l’année, alors que le cycle de production de ces mammifères est de six semaines et naturellement non compressible ?
Autre exemple : une entreprise qui fabrique des produits d’accompagnement pour l’apéritif, qui n’est référencée que durant la haute saison et qui réalise presque l’intégralité de ses ventes sous promotion a perdu 12 % de son chiffre d’affaires en 2019 avec l’encadrement des promotions.
Je peux citer encore un cas : une PME dont le marché est dominé par des géants et qui n’a pas le budget pour faire de la publicité à la télévision à une heure de grande écoute. Son seul moyen d’exister reposait sur la promotion dans les magasins – c’est un système de vente comme un autre. Cet outil étant contraint, elle a vu son chiffre d’affaires reculer de 30 % sur les six premiers mois de l’année. Et je pourrais multiplier les exemples.
Monsieur le ministre, pour les produits au caractère saisonnier marqué et reposant sur des achats impulsifs, la promotion fait partie du modèle de vente des entreprises. Leur retirer ce moyen d’exister en linéaire revient à les condamner.
L’expérimentation prévue par la loi Égalim n’est pas là pour supprimer des emplois dans des entreprises, pour tuer l’esprit du commerce ou pour affaiblir les paysans de ces filières. Nous avons rencontré des dizaines de chefs d’entreprise : leur désarroi est total.
Certes, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) semble vouloir accorder des dérogations, mais la sécurité juridique est insuffisante, puisque cette possibilité n’est nullement prévue par l’ordonnance. Le seul moyen de sortir ces entreprises de l’ornière, c’est de modifier l’ordonnance dès aujourd’hui pour ôter de l’encadrement des promotions en volume, et non en valeur, les produits au caractère saisonnier marqué. C’est ce que propose le texte qui nous est soumis.
Aux trois difficultés que je viens d’évoquer, la proposition de loi apporte trois solutions adaptées, équilibrées et pragmatiques qui constituent finalement des ajustements à la marge. Son adoption ne résoudra pas tous les problèmes posés par la loi Égalim, mais elle réduira certains effets de bord et sauvera, à très court terme, des emplois. En ce sens, elle renforcera les chances de réussite de cette loi, ce que nous souhaitons tous. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu’au banc des commissions. – MM. Henri Cabanel et Franck Menonville applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la loi Égalim a été promulguée il y a un peu plus d’un an ; ses décrets d’application ont été pris au printemps dernier et, lors de la dernière réunion du comité de suivi des relations commerciales, il a été convenu qu’il fallait considérer la période des négociations commerciales qui va de décembre 2019 à février 2020 comme la première à laquelle s’applique réellement cette loi. En effet, les décrets d’application n’ayant pas été publiés, aucune règle, aucune contrainte, ne s’imposait l’année dernière à ces négociations, lesquelles se sont d’ailleurs passées comme les années précédentes…
J’ai eu l’occasion de le dire publiquement à plusieurs reprises – cela m’a parfois été reproché… –, le compte n’y est pas en ce qui concerne les effets de la loi Égalim, en particulier pour les producteurs.
Un certain nombre de garanties très claires ont été mises en place et l’objectif principal est d’inverser la construction des prix. Il est quand même incroyable qu’en France la seule profession qui ne fixe pas ses prix soit la profession agricole. Le lait est prélevé sur l’exploitation d’un éleveur sans qu’il en connaisse le prix de vente et, à la fin du mois, il reçoit un chèque… C’est la coopérative ou l’entreprise qui détermine le prix elle-même, sans aucune discussion. Autre exemple : il est quand même incroyable que le producteur de race à viande vende ses bêtes moins chères qu’elles ne lui coûtent à élever. Ce n’est pas acceptable !
C’est la raison pour laquelle le législateur a fait le choix de suivre les préconisations des États généraux de l’alimentation, durant lesquels l’unanimité des acteurs, à l’exception d’une grande surface, a proposé de mettre en place des outils pour que les agriculteurs ne vendent plus à perte, ce qui signifie qu’il faut inverser la construction des prix, en demandant aux filières de fixer des prix de référence auxquels les produits agricoles devaient être achetés. Une autre demande très forte qui est ressortie des États généraux était d’arrêter les promotions qui font croire au consommateur que les denrées alimentaires peuvent être gratuites : les opérations commerciales du genre « une côte de porc achetée, une offerte » ou « un magret de canard acheté, le second à un euro » ne sont pas acceptables ! Ce type d’opération ne constitue aucunement de l’information ou de l’éducation du consommateur, mais correspond plutôt à du libéralisme à tout crin : l’important n’est plus ce que le produit coûte, mais ce qu’il vaut sur le marché.
C’est pourquoi la loi Égalim, qui est issue des États généraux de l’alimentation, et les ordonnances qui en découlent ont établi comme principe la limitation des promotions, tant en volume qu’en valeur. Cette décision a été prise par l’ensemble de la profession agricole et des acteurs économiques et politiques. Lors du dernier comité de suivi des négociations commerciales, tous les syndicats agricoles nous ont demandé de ne pas revenir sur ce principe et d’appliquer ce texte.
Nous savons qu’il y a un problème pour ce qu’on appelle les produits festifs ou achetés de manière impulsive, que ce soit le foie gras à Noël ou les autres produits de cette catégorie – je ne vais pas faire de publicité, ils sont tous bons.
La loi Égalim prévoit deux ans d’expérimentation et le Gouvernement estime qu’il n’est pas judicieux d’en modifier d’ores et déjà les termes, même si je me suis engagé à accorder aux produits festifs une dérogation pendant les fêtes. Si nous modifions la loi, nous ne saurons pas si elle est efficace ! C’est la raison pour laquelle le Gouvernement est défavorable à cette proposition de loi. Nous souhaitons faire confiance quelques mois encore au monde agricole et aux acteurs économiques.
Je vous le disais, le compte n’y est pas et il est vrai que jusqu’alors les négociations commerciales n’ont pas fonctionné correctement. Est-ce que ce sera mieux cette année ? Je n’en sais rien. Les premières informations qui nous remontent ne sont pas excessivement positives, mais il reste deux mois.
En tout cas, nous souhaitons aller beaucoup plus loin sur les négociations commerciales relatives aux produits sous marques de distributeurs, parce que les volumes sont nettement plus importants.
Il est urgent que les agriculteurs réussissent à obtenir des prix corrects pour leurs produits. Or ce n’est pas encore le cas. Aussi, Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances, et moi-même réunissons tous les trois mois le comité de suivi des négociations commerciales. Notre attention porte à la fois sur les marques et sur les MDD.
Je ne crois pas que le mot « ruissellement » ait été utilisé par le Gouvernement lors des débats sur la loi Égalim. En ce qui me concerne, je n’ai jamais pensé que l’augmentation du SRP du Coca-Cola ou du Nutella apporterait des revenus supplémentaires aux agriculteurs. C’est un problème non pas de ruissellement, mais d’inversion de la conception et de la construction des prix. Si les agriculteurs restent dépendants des acheteurs, nous ne nous en sortirons jamais !
La loi Égalim contient quatre-vingt-dix-huit articles et un certain nombre de mesures se mettent en place dans le cadre d’une expérimentation, dont le seuil de revente à perte – ce sujet n’a pas été évoqué, mais il est important – et l’encadrement des promotions. Sur ces points, le Gouvernement doit remettre au Parlement un rapport d’évaluation au plus tard le 1er octobre 2020. C’est pourquoi il nous paraît préférable, plutôt que de modifier la loi dès maintenant et par petits bouts, d’attendre l’automne prochain. À la suite du bilan que nous ferons, nous saurons précisément s’il faut revoir la loi et penser différemment la construction des prix agricoles.
Pour autant, je veux saluer le travail mené par le groupe de suivi du Sénat. Vos travaux et auditions, mesdames, messieurs les sénateurs, permettent d’éclairer la réflexion du Gouvernement et d’y voir plus clair sur ces sujets délicats. Le contenu de la proposition de loi, dont les trois articles ont été présentés, est clair.
Tout d’abord, vous proposez de revenir sur l’encadrement des promotions, non pas en valeur, mais en volume, en ce qui concerne les denrées saisonnières et les produits festifs.
Je veux simplement vous mettre en garde : à force de toujours vouloir des prix plus bas, le consommateur finit par s’habituer à de tels prix. Si le lapin, pour reprendre votre exemple, est exclusivement vendu en promotion, plus aucun consommateur ne voudra en acheter le jour où l’éleveur le vendra au prix de revient.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Nous ne parlons que des promotions en volume, pas de celles en valeur !
M. Didier Guillaume, ministre. C’est la raison pour laquelle nous voulons aller plus loin dans le travail sur l’étiquetage et l’information. Je ne crois pas que ce soit le rôle du Parlement d’envoyer un signal en faveur d’une baisse continue des prix – il y a des gens dont c’est le métier…
Nous voulons prendre en compte ce que coûte un produit, pas ce qu’il vaut ! Si le prix est de 100 euros, une promotion de 10 ou 20 euros peut se comprendre, mais pas de 90 % ! Ce n’est pas un système satisfaisant. Nous ne sommes donc pas favorables à votre proposition, même si, je l’ai dit, nous voulons autoriser de nouveau les promotions sur les produits festifs, comme nous l’avons fait sur le foie gras ou le champagne.
Cette proposition d’exclure les produits saisonniers ou festifs de l’encadrement des promotions a été soutenue par certains acteurs, comme la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) et l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA), lors de la concertation qui a eu lieu sur le projet d’ordonnance relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires. Nous avons finalement choisi de n’exclure aucune filière de l’expérimentation, car l’objectif de la mesure était de redonner une vraie valeur aux produits.
Le sujet du porc, initialement débattu, est exclu depuis le relèvement des cours et les ravages de la peste porcine africaine en Chine.
La DGCCRF a d’ores et déjà précisé, dans ses lignes directrices, qu’elle peut prendre en compte, dans le cadre des contrôles, la situation particulière du fournisseur au regard de l’effet de l’encadrement en volume des avantages promotionnels. Cette prise en considération s’effectue au cas par cas. Dans le cadre de cette expérimentation de la loi Égalim, des entreprises ont demandé l’examen d’un certain nombre de points à la DGCCRF, qui va regarder précisément les choses. Il nous semble de bien meilleure méthode de procéder ainsi, à la lumière d’éléments objectifs relatifs à la situation financière du fournisseur.
M. Michel Raison, rapporteur. C’est bien le signe qu’il y a un problème ! Il est trop tard !
M. Didier Guillaume, ministre. Dans ce cas, il est également trop tard pour changer la loi ! Or si vous avez déposé cette proposition de loi, c’est parce que vous en jugez autrement !
Ensuite, à l’article 2, vous proposez d’expérimenter l’introduction d’une clause de révision des prix, à la hausse comme à la baisse, pour les produits composés à plus de 50 % d’un produit agricole, tout en prévoyant des amendes administratives en cas de non-respect. Le contenu précis de cette clause sera défini par les parties au contrat.
La loi a renforcé la clause de renégociation en raccourcissant le délai d’un mois et en obligeant à avoir recours au médiateur des relations commerciales agricoles en cas d’échec. Votre proposition ouvre de nouveau un débat, que nous avions eu dans cet hémicycle, à l’époque où j’étais sénateur, durant l’examen du projet de loi Égalim en première lecture. Un amendement visant à introduire le même mécanisme avait alors été adopté, contre l’avis du Gouvernement et de mon prédécesseur.
Aujourd’hui, la réponse du Gouvernement est identique. Les acteurs économiques, même ceux qui ont des difficultés, nous demandent une stabilité du cadre juridique. Il me semble préférable d’appliquer les dispositions introduites par la loi Égalim, promulguée en 2018, en matière de clause de renégociation et de ne pas bouger maintenant les curseurs.
Je crois savoir que cette clause de renégociation a été activée pour les produits charcutiers en 2019. Bien sûr, je le concède, cette renégociation ne va jamais assez vite, mais nous ne pouvons pas dire qu’elle n’est pas opérationnelle. Vous conviendrez avec moi que la loi ne peut pas imposer les prix aux acteurs.
Enfin, à l’article 3, vous proposez de ratifier l’ordonnance relative à la coopération agricole en supprimant néanmoins le dispositif aux termes duquel la responsabilité des coopératives peut être engagée en cas de rémunération des apports abusivement bas.
Je crois qu’il y a eu une confusion. Il faut faire très attention : je rappelle que la loi porte sur la rémunération des apports et non pas sur le prix de cession !
Le rapporteur évoquait les coopératives, mais il n’est pas question de mettre en cause quelque coopérative que ce soit, car j’attache une très grande importance au modèle coopératif.
Nous avons eu un excellent débat sur le sujet dans cet hémicycle voilà plusieurs mois. Il y a coopérative et coopérative. Les coopératives qui réalisent plus de 1 milliard, 2 milliards, voire 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an sont celles qui font du volume. Elles sont différentes de celles qui existent dans nos territoires ruraux. Ce qui compte surtout, c’est de mieux respecter l’associé coopérateur, qui, selon la loi, doit apporter 100 % de sa production.
Sur ce sujet, un recours a été déposé en mai par la coopération agricole devant le Conseil d’État dont nous attendons maintenant la décision. Vous voulez légiférer sur ce point. Mais le Conseil d’État se prononcera, il dira le droit et le Gouvernement prendra ses responsabilités.
Je conclus en vous disant, le plus sereinement possible, que je partage les objectifs que vous visez. Nous nous accordons tous sur les difficultés rencontrées dans certaines filières sur le sujet des promotions, notamment celles qui concernent les produits festifs. Je veux attendre le rapport d’évaluation de l’expérimentation sur le SRP et l’encadrement des promotions et je souhaite en disposer le plus rapidement possible parce qu’il faudra peut-être prendre des mesures. Nous attendons aussi la décision du Conseil d’État. Cela étant, l’avis défavorable du Gouvernement sur la proposition de loi concerne beaucoup plus la forme que le fond.
Il me semble que le texte que vous présentez, sans doute intéressant à certains égards, ne permettra pas d’atteindre l’objectif que vous vous fixez : assurer demain aux agriculteurs une meilleure rémunération et aider les entreprises du secteur agroalimentaire à s’en sortir le mieux possible. C’est la raison pour laquelle je suis au regret de vous dire que le Gouvernement émet un avis défavorable. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. C’est bien dommage !
M. le président. La parole est à Mme Noëlle Rauscent.
Mme Noëlle Rauscent. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi modifiant la loi Égalim. Cette proposition de loi fait suite à l’adoption par la commission des affaires économiques du rapport d’information de MM. Daniel Gremillet, Michel Raison et Mme Anne-Catherine Loisier. Je tiens en cet instant à leur rendre hommage pour le travail pertinent accompli.
Dans le rapport d’information est critiqué le manque d’efficacité de la loi Égalim concernant la revalorisation du revenu des agriculteurs et sont dénoncés les effets pervers de deux mesures : le relèvement du seuil de revente à perte et l’encadrement des promotions.
La loi Égalim a prévu une expérimentation de deux ans concernant ces deux mesures. Je rappelle que les décrets d’application sont sortis en février dernier, il y a moins d’un an.
Mes chers collègues, nous devons prendre le temps nécessaire pour tirer les conclusions de ces mesures. L’agriculture s’inscrit dans le temps long. Et comme le rappelle le rapport d’information, la part des recettes des agriculteurs liée aux ventes en grande distribution ne représente qu’une petite partie du revenu de ces derniers. Nous ne pouvons pas obtenir de résultats spectaculaires en si peu de temps.
Toutefois, la loi aura eu le mérite de mettre fin à cinq années consécutives de déflation des prix alimentaires.
Il est aujourd’hui difficile de faire le bilan si peu de temps après sa promulgation.
Comme nous avons pu l’observer dans nos territoires, le rééquilibrage des relations commerciales entre producteurs, industriels et distributeurs n’est bien évidemment, pour l’instant, pas satisfaisant. Le constat est toujours le même : l’agriculteur ne vit pas dignement de ses activités.
Les PME apparaissent comme les grandes perdantes de la loi. Nous avons constaté une baisse significative de la croissance des produits de grande consommation et des produits frais en libre-service, affectant en particulier les PME. Celles-ci, qui, hier, tiraient le marché, ont brutalement vu leur activité chuter.
Ce coût d’arrêt à la croissance des PME est préoccupant. Seules les marques de distributeurs, dont 80 % des ventes sont réalisées par des PME, TPE et ETI, arrivent à tirer leur épingle du jeu.
Bien que ce constat soit alarmant, la croissance des PME est affectée par une multitude de mécanismes. Par exemple, ces entreprises ont aujourd’hui de moins en moins le monopole des produits locaux, bio ou sans gluten, qui tirent la croissance. Nous savons que les grands groupes se positionnent de plus en plus sur ces secteurs de marché.
Mes chers collègues, les négociations commerciales en cours sont un véritable test. Nous pourrons faire le bilan seulement à l’issue de l’expérimentation du relèvement du SRP et de l’encadrement des promotions. Aussi, le groupe La République En Marche s’abstiendra.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. « Une loi creuse, marquée du sceau de l’échec, qui va toujours faire gagner le plus fort au détriment des agriculteurs. » C’est en ces termes, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que j’avais qualifié le projet de loi Égalim lors des débats au Sénat.
Un an après la promulgation de la loi, le constat est unanime : celle-ci est en deçà des aspirations exprimées lors des États généraux de l’alimentation. Elle n’a pas répondu à son premier objectif : un meilleur partage de la valeur et l’assurance d’un revenu décent aux agriculteurs.
Le rééquilibrage des négociations commerciales est un échec. L’interdiction des prix de cession à des montants abusivement bas est inopérante. La hausse du seuil de revente à perte et l’encadrement des promotions dans les grandes surfaces ont eu un effet rebond pénalisant pour les PME du secteur agroalimentaire, qui ont vu un net recul de leur chiffre d’affaires depuis la mise en œuvre de la loi.
Comme les autres années, les négociations commerciales de 2019 se sont déroulées dans un climat tendu et restent extrêmement déséquilibrées : chantage aux prix bas, menace de déréférencement des produits, baisse générale des prix d’achat de la grande distribution aux fournisseurs, non prise en compte du prix de revient calculé par les organisations de producteurs. Telle est la réalité de ces négociations qui n’en ont que le nom !
Jamais les promesses de la grande distribution, sur lesquelles les grandes orientations de la première partie du projet de loi étaient fondées, n’auront autant été bafouées.
Pendant ce temps-là, le désarroi agricole est toujours aussi profond ; les agriculteurs continuent de vendre à perte leurs productions quand les marges de l’industrie de la distribution ont progressé plus fortement que les prix agricoles, entraînant une inflation supplémentaire injustifiée pour les consommateurs.
Le consommateur est lui aussi lésé. En un an, les prix des produits alimentaires ont bondi de 2 %, soit leur plus forte hausse depuis 2012. Cette augmentation atteint 5,2 % pour les produits frais, et jusqu’à 10 % même pour certains autres produits.
Nous l’avions dénoncé lors des débats sur le projet de loi Égalim. De simples engagements volontaires à mettre en œuvre des chartes et des plans, ou encore des indicateurs ne peuvent remplacer de véritables outils contraignants de régulation des marchés agricoles.
D’autant qu’aujourd’hui ces centrales organisent leur extraterritorialité, à l’image d’un groupe français qui a pour slogan « vous savez que vous achetez moins cher » et qui, pour ce faire, développe à partir de Bruxelles, une centrale d’achat qui négocie ouvertement les prix pour le marché français. De la sorte, il devient possible de s’affranchir de certaines règles françaises : droit de la concurrence, délais de paiement…
Ce groupe a terminé l’année 2018 avec un chiffre d’affaires de 37,75 milliards d’euros, en progression de 1,5 % par rapport à l’année précédente.
Enfin, certains mécanismes, comme le relèvement du seuil de revente à perte et l’encadrement des promotions, ont eu des effets contraires à ceux qui sont recherchés, cela a déjà été dit.
Ainsi, les sénateurs, mais aussi les associations de consommateurs, comme l’UFC-Que Choisir, ou encore les organisations syndicales agricoles telles que la Confédération paysanne et la FNSEA s’accordent pour dire que ces outils n’ont pas fonctionné, voire qu’ils ont eu des effets néfastes sur l’emploi des PME.
Pour l’UFC-Que Choisir et la Confédération paysanne, le système du seuil de revente à perte est un « chèque en blanc de 1,6 milliard d’euros à la grande distribution » sur deux ans et un « chèque en bois pour les agriculteurs ».
La hausse du seuil de revente à perte a modifié la composition des linéaires selon les types de marque dans les grandes surfaces et a eu pour effet de revaloriser les produits des grandes marques et sous marques de distributeurs dans les rayons au détriment des produits des PME de l’industrie agroalimentaire.
Les ventes en valeur des produits des PME ont diminué de 3,7 points entre 2018 et 2019, tandis que pour les produits sous marques de distributeurs, la croissance de ces ventes a enregistré une augmentation de 0,3 point.
Concernant l’encadrement des promotions, il y a eu purement et simplement un détournement du dispositif via le développement de nouvelles offres commerciales. Il en est ainsi de ce qui est maintenant communément appelé le « cagnottage », technique de fidélisation qui consiste pour les distributeurs à proposer l’achat de certains produits et des réductions, dont le montant peut être reporté sur une carte. Il en est ainsi également du déplacement de la promotion : l’encadrement ne s’appliquant que sur un même produit, la grande distribution a simplement déplacé son offre sur des produits annexes. Si les produits sont différents, de fait, l’encadrement ne s’applique pas.
Face à ce constat, la proposition de loi, signée par l’ensemble des membres de la commission des affaires économiques, a le mérite de répondre dans l’urgence aux défaillances les plus criantes de la loi Égalim. Ses dispositions sont d’application directe et pourraient donc avoir un effet immédiat en faveur des PME et TPE du secteur agricole.
Mon groupe votera en faveur de cette proposition de loi. Monsieur le ministre, tout notre désaccord porte certainement sur le fait que nous ne pouvons pas continuer de faire confiance, d’attendre de voir, de laisser s’écouler un an de plus pour espérer que les choses s’amélioreront peut-être un jour.
Je crois que le rôle des élus, du Gouvernement et des pouvoirs publics dans leur ensemble, c’est justement d’agir avec tous les acteurs pour sortir de cette difficulté à laquelle est confronté le monde agricole dans notre pays depuis maintenant de nombreuses années. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et UC, ainsi que sur des travées des groupes SOCR et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, issue des États généraux de l’alimentation, la loi Égalim a suscité de grands espoirs.
Un an après le début de son application et au milieu de l’expérimentation prévue, force est de constater qu’elle peine encore à porter ses fruits, et des effets pervers sont apparus.
La présente proposition de loi résultant des travaux du groupe de suivi de la loi Égalim tend à corriger ces derniers. Elle comporte trois mesures d’urgence : la fin de l’encadrement des promotions dans certains cas, notamment pour des produits saisonniers marqués, l’expérimentation d’une clause de révision automatique des prix, et une disposition concernant le droit coopératif.
Je souhaite m’attarder sur la deuxième mesure, l’expérimentation de la conclusion d’une clause de révision automatique des prix.
En effet, le mécanisme actuel de révision des prix paraît trop lourd pour que les acteurs s’en emparent. Librement consentie par les parties, cette clause fonctionnera à la hausse comme à la baisse au cours de l’année.
La nécessité d’un tel mécanisme est parfaitement illustrée par la forte augmentation du prix du porc, conséquence de la peste porcine africaine qui décime actuellement les élevages chinois. En 2019, le prix du porc a augmenté de près de 50 %. De tels à-coups sont susceptibles de mettre en péril l’équilibre de certains contrats et la pérennité des entreprises, en particulier des PME. C’est notamment le cas des producteurs de charcuterie qui achètent le porc au prix du marché, mais revendent leurs produits à un prix fixé par un contrat qu’ils ont conclu antérieurement avec le distributeur. La situation devient ainsi intenable pour bon nombre d’entre eux.
La clause de révision automatique des prix nous semble être de nature à permettre aux contrats de rester en phase avec les réalités du marché et à garantir plus de justice.
En outre, nous saluons la proposition de suppression de la disposition prévoyant la possibilité d’engager la responsabilité des coopératives pour les rémunérations abusivement basses des apports.
Cette transposition du code de commerce vers le code rural de la notion de prix abusivement bas nous paraît, d’une part, dépasser le cadre de l’habilitation législative conférée au Gouvernement, d’autre part, être parfaitement inadaptée au système coopératif.
Le groupe Les Indépendants soutient et votera cette proposition de loi, qui illustre parfaitement le travail de la Haute Assemblée.
Le groupe de suivi de la loi Égalim est animé par la seule volonté constructive d’améliorer les dispositifs en vigueur et de faire de cette loi une réelle opportunité pour notre agriculture.
Pour terminer, je tiens à saluer le rapporteur, Michel Raison, l’auteur de la proposition de loi, Daniel Gremillet, et l’ensemble des membres du groupe de suivi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi Égalim est l’aboutissement de longs mois de discussions. Elle porte en elle l’espoir de lendemains meilleurs pour des producteurs français en grande détresse. Aussi, dès sa promulgation, fin octobre 2018, le Sénat a souhaité mettre en place un groupe de suivi.
J’ai eu le plaisir de participer, avec mes collègues Daniel Gremillet et Michel Raison, à ces rencontres régulières avec les acteurs économiques.
Au cours de ces entretiens, ces fameux « effets de bord » préjudiciables aux entreprises sont apparus. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à les corriger sans attendre, mais sans pour autant préjuger l’efficacité globale de la loi qui ne pourra être appréhendée qu’à l’issue de la période expérimentale, dans un an.
Les préconisations d’étape sont de trois ordres : l’encadrement des promotions, la clause de révision des prix et le cadre de l’ordonnance sur les coopératives.
Dès le début 2019, la grande distribution, pourtant bénéficiaire de la hausse du SRP, a choisi de baisser les prix sur les produits sous marques de distributeurs, ainsi que sur ceux des rayons non alimentaires, engageant ainsi une nouvelle guerre des prix entre distributeurs.
Quant aux mesures d’encadrement des promotions, elles ont été rapidement contournées, en jouant sur les cagnottes des cartes fidélité et en associant des produits différents.
La grande distribution a ainsi cherché à se reconstituer des marges. À ce stade de la mise en œuvre de la loi, vous-même, monsieur le ministre, vous constatez que le compte n’y est pas. Le fameux relèvement du seuil de revente à perte qui devait donner de nouvelles marges aux industriels pour mieux rémunérer les producteurs, selon la théorie du ruissellement, ne se vérifie pas.
Où sont donc passés les bénéfices de l’inflation et du SRP, pourtant bel et bien payés par les consommateurs ? L’un des grands gagnants de la loi, à ce stade, c’est peut-être aussi l’État, grâce aux recettes supplémentaires de TVA liées au relèvement du SRP.
Le paradoxe de la loi Égalim, que nous souhaitons corriger aujourd’hui, c’est qu’elle pénalise, au final, les entreprises les plus proches des agriculteurs. Ce sont désormais les grandes marques et les MDD qui sont privilégiées dans les linéaires des grandes surfaces.
Les PME alimentaires ne sont plus au cœur de la stratégie des distributeurs. Elles se trouvent reléguées, et leur croissance a brutalement ralenti depuis le début d’année.
En encadrant plus strictement toute promotion, la loi a introduit un biais anticoncurrentiel à leur détriment : elles ne peuvent pas rivaliser avec les budgets marketing des grandes marques. À défaut de diffuser un spot publicitaire à la télévision, elles faisaient, jusqu’alors, des promotions en magasin. La loi les a en partie privées de cet outil. Certaines ont ainsi perdu jusqu’à 50 % de leur chiffre d’affaires depuis le début de l’année dernière.
Pour remédier à ces difficultés, la proposition de loi vise à sortir les produits saisonniers de l’encadrement en volume des promotions, de manière à permettre de mieux écouler les stocks. Elle prévoit d’expérimenter sur les produits charcutiers à forte variabilité une clause de révision automatique des prix, car le cours du porc, en particulier, augmente très rapidement. Autre mesure proposée, revenir à un modèle dans lequel les coopératives agricoles ne sont pas assimilées à des entreprises privées, conformément à la volonté du législateur exprimée dans le cadre du vote des ordonnances.
Monsieur le ministre, l’urgence est bien réelle pour la survie de ces entreprises. Pour ces motifs, le groupe Union Centriste soutiendra cette proposition de loi, tout en souhaitant que les travaux du groupe de suivi ne s’arrêtent pas là et qu’ils reviennent sur les questions du revenu agricole, de la compétitivité des entreprises, du surcroît des charges imposées, de la restauration collective et peut-être et surtout sur le respect de l’article 44, mesure clé de voûte face à la concurrence déloyale de produits qui ne respecte pas les exigences européennes de production et exerce une pression à la baisse sur l’ensemble des produits agricoles en France. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, sur des travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à mon tour de féliciter le travail mené depuis l’adoption de la loi par Daniel Gremillet, Michel Raison, Anne-Catherine Loisier, mais aussi tous les membres du groupe de suivi de la commission des affaires économiques.
Ce travail de contrôle de l’application de la loi dès les premiers jours me semble un exemple d’évaluation des politiques publiques. Ce travail, nous le poursuivrons, car nous savons avoir bien d’autres dispositions à examiner.
Nous sommes plus que jamais dans notre rôle institutionnel de contrôle du Gouvernement qui aboutit, si besoin est, à des propositions de modification de cette loi.
Cette action sénatoriale se manifeste aussi, monsieur le ministre, dans le strict respect du champ de l’ordonnance. Le recours accru aux ordonnances opère un dessaisissement inquiétant du Parlement.
Mes chers collègues, 350 ordonnances ont été publiées entre 2012 et 2018. Ce nombre est plus élevé que celui de lois adoptées par le Parlement durant la même période. Je pense que cela doit nous faire réfléchir, car, on le sait, il n’est pas toujours plus rapide de prendre une ordonnance que d’élaborer un projet de loi.
Une fois l’autorisation donnée, les ordonnances entrent en application sans ratification et les instruments de contrôle du Parlement sont limités, y compris si le Gouvernement sort du champ de son habilitation. Ainsi, rappeler au Gouvernement qu’il doit strictement se limiter au champ de l’habilitation qui lui a été accordée par le Parlement au moment de l’adoption de la loi, comme le fait cette proposition de loi, c’est aussi exercer un travail de contrôle parlementaire nécessaire.
Venons-en au bilan de la loi Égalim à ce stade. Vous le savez, monsieur le ministre, le Sénat a émis très tôt des doutes sur l’efficacité de cette loi, notamment sur le SRP et sur cette fameuse cascade. Mais non, nous n’avons pas voulu détricoter, dans cette proposition de loi, l’ensemble de la loi qui a été adoptée ! En effet, nous voulons, comme vous, aller jusqu’au bout de l’expérimentation et nous voulons prendre le temps, chère Noëlle Rauscent, de mesurer les effets réels de la loi.
Nos auditions et nos déplacements nous ont permis de rencontrer les acteurs de terrain. Ce sont eux les mieux placés pour juger de l’efficacité de la loi. Certaines entreprises accusent des reculs considérables de leur chiffre d’affaires compte tenu de l’encadrement des promotions en volume, monsieur le ministre. Elles ne réclament rien sur l’encadrement en valeur. Ce problème est connu par des transformateurs, des PME, des ETI et des petites filières agricoles dans lesquelles les producteurs sont d’ailleurs justement rémunérés. Et c’est un comble parce que leurs difficultés en termes de volumes vendus vont aller à l’encontre des accords qu’ils ont conclus dans leur filière et alors même qu’ils gagnent de l’argent !
Vous parliez du magret de canard supplémentaire à un euro. Mais ce magret est produit dans une filière qui s’est organisée après le problème sanitaire bien connu dans le Sud-Ouest. Aujourd’hui, il permet de gagner de l’argent eu égard à l’équilibre global réalisé avec les produits résultant des différents morceaux de l’animal : foie gras, magret et confit. Si on ne vend pas en promotion le magret hors périodes habituelles de vente, on déséquilibre l’ensemble de la filière, le prix du canard et les revenus des agriculteurs !
Je suis très étonnée que les syndicats agricoles s’arc-boutent sur ce mécanisme et sur les promotions. Je comprends parfaitement la logique pour ce qui concerne les grandes filières et les grands produits agroalimentaires. Mais cette attitude est en train d’affaiblir les petites filières agroalimentaires dont je suis très surprise que les syndicats agricoles ne prennent pas en compte les difficultés.
Monsieur le ministre, vous nous demandez d’attendre alors que ces PME, ces ETI sont en train de débaucher des salariés ! Je pense en particulier à une entreprise de Pouzauges qui va obtenir des résultats très inquiétants, y compris dans le domaine du porc.
Notre rapporteur proposera, lors de l’examen de l’un des articles du texte, la révision automatique des tarifs. Allez voir ces industriels de l’agroalimentaire ! Affaiblir les entreprises agroalimentaires de transformation, c’est à terme mettre en péril les agriculteurs même s’ils gagnent aujourd’hui plus d’argent avec le cours du porc !
Regardez leurs résultats, comparez avec ceux de l’année dernière, étudiez ceux de cette année et vous verrez que notre expérimentation fait sens et qu’il est vraiment très urgent d’agir. Nous n’avons pas le temps d’attendre !
Ne croyez pas que nous voulons absolument nous battre contre la loi Égalim. Nous voulons que cette loi réussisse, monsieur le ministre, mais nous voulons aussi que nos PME continuent à irriguer les territoires ruraux dans ce beau pays, à Pouzauges, dans cette belle Vendée et dans la région Pays de la Loire. Nous ne sommes pas dans le totem politique.
Vous l’avez vu, la proposition de loi va être soutenue par un grand nombre de groupes politiques. Elle répond à un enjeu assez grave de dynamisation de nos territoires ruraux. J’ai compris que vous êtes défavorable à cette proposition de loi. Réfléchissez de nouveau, écoutez ce qu’on vous dit : vraiment, il y a urgence, avant la fin des négociations, à réviser ces points ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en juillet 2018, je disais ici, au nom de mon groupe, notre scepticisme quant aux effets réels que pouvait avoir la loi Égalim sur la modification de la répartition de la valeur créée tout au long de la chaîne, qui va du producteur au distributeur.
Je salue l’initiative de la présidente de la commission des affaires économiques qui a, sans tarder, engagé une évaluation des premiers effets de ce texte à partir du round de négociations commerciales 2018-2019.
Je suis un fervent promoteur des démarches d’évaluation des politiques publiques et le Sénat donne en l’espèce l’exemple, en lien très fort avec les territoires et leurs acteurs, d’une évaluation de l’efficacité du travail législatif et gouvernemental.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Très bien !
M. Franck Montaugé. Les États généraux de l’alimentation étaient une belle promesse à laquelle nous avons voulu croire ! Mais pour ce qui est des prix et des revenus, ils sont venus se fracasser sur la réalité d’un contexte économique tendu qui a conduit à une baisse globale constatée des prix de l’ordre de 0,4 % selon l’Observatoire de la formation des prix et des marges.
Les transformateurs ne s’y retrouvent pas et les producteurs, sauf exception tenant plus de la conjoncture internationale que des effets de cette loi, n’ont pas vu l’amorce d’une amélioration de leur revenu.
Dès lors, et même si nous n’en sommes qu’au mitan de la période d’expérimentation, il était sain et responsable de réagir, afin de corriger certains mécanismes, de toute évidence dévoyés par la pratique, bien éloignés de l’esprit du législateur de la loi Égalim. Les dégâts sont déjà là, avérés. Il faut aller vite et réagir sans attendre le terme des deux ans.
Vous l’avez entendu vendredi dernier, monsieur le ministre, dans le Gers, de la bouche d’un représentant de la filière « gras-volailles festives » : le seuil de revente à perte a été très préjudiciable pour les productions saisonnières. Il a donné lieu à des contournements inacceptables que vos services doivent repérer et sanctionner. Je sais que vous vous y employez.
Le SRP s’est aussi traduit négativement pour certains vins dont l’acte d’achat est étroitement lié aux périodes de fêtes. Le président d’une grande coopérative viticole gersoise vous l’a aussi dit. Il faudra que la liste des produits dérogatoires au SRP prévue par le texte que nous allons voter aujourd’hui tienne compte des pratiques saisonnières des consommateurs dans leur ensemble. Les professionnels et leurs représentants devront être étroitement associés à ce travail de définition.
Aux grandes difficultés éprouvées par la filière « gras » depuis 2015 – notamment les deux épisodes catastrophiques de grippe aviaire – ne doivent pas s’ajouter les effets délétères du SRP.
Les décisions de dérogation au SRP devront également tenir compte des spécificités de la filière viticole qui tire une bonne partie de nos exportations et qui est aujourd’hui victime, directement ou indirectement, des difficultés diplomatiques et économiques avec les États-Unis. Pour dire les choses plus prosaïquement, les agriculteurs ne doivent pas payer pour la guerre menée dans la filière aéronautique.
Ce texte prévoit ensuite de conduire une expérimentation en adaptant les mécanismes de la clause de révision des prix des contrats de plus de trois mois passés entre distributeurs et entreprises : ciblage des produits finis composés à plus de 50 % d’un produit agricole, plus grande réactivité et automaticité de la révision à la hausse ou à la baisse, simplification de la procédure ont présidé à l’introduction de l’article 2. L’expérimentation durera trois ans et les produits seront arrêtés par décret.
Tout en étant favorables à cette expérimentation, nous pensons que le risque est grand de voir le rapport de force continuer de prévaloir, les seuils de déclenchement étant renvoyés à la négociation entre les parties.
Enfin, il nous paraissait nécessaire, nonobstant les questions de fond relatives à la nature même du contrat liant le coopérateur à sa coopérative agricole, que le champ de l’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance, fixé par le législateur, soit strictement respecté.
Pour terminer, je me réjouis que ce texte, qui concerne la vie de nos territoires, ait réuni des signataires de tous les groupes politiques de la Haute Assemblée, sans exception. J’espère que le Gouvernement voudra le faire prospérer à l’Assemblée nationale, dans l’intérêt des entreprises et des exploitations concernées.
Toutefois, cette proposition de loi laisse entière la question du revenu des agriculteurs à laquelle le Gouvernement, notamment à travers la PAC, devra apporter des réponses à la hauteur des enjeux et de la situation difficile que vivent nombre d’entre eux.
Je tiens enfin à remercier tout particulièrement Daniel Gremillet, auteur de ce texte, et Michel Raison du travail qu’il a mené. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, Les Indépendants, RDSE, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE – Mme la présidente de la commission des affaires économiques applaudit également.)
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier la commission des affaires économiques de la création du groupe de suivi de la loi Égalim auquel j’appartiens, ainsi que Daniel Gremillet, Michel Raison et Anne-Catherine Loisier de leur initiative.
Évaluer les décisions prises et les faire évoluer, le cas échéant, me semble être le b.a.-ba d’une démarche de responsabilité du Parlement envers les Français.
Trop de citoyens nous reprochent d’accumuler les lois sans en évaluer suffisamment les conséquences ni en tirer de bilan. Sur le terrain, les maires nous rappellent d’autres exemples, comme le fiasco de la réforme des rythmes scolaires et la limitation de la vitesse à 80 kilomètres par heure. Comment leur répondre ? Comment leur expliquer que, trop souvent, les textes s’enchaînent et que l’énorme travail réalisé en commission est quelquefois balayé d’un revers de main pour des raisons d’entêtement politique ?
Se poser, écouter pour faire le point, est d’abord un geste d’humilité : il s’agit d’accepter que l’on puisse se tromper, que l’on puisse ne pas avoir perçu toutes les conséquences d’une loi et, après analyse, de la réajuster. Cette initiative de la commission nous permet de nous sentir responsables et efficaces.
La loi Égalim, je l’ai dit et répété, partait d’un bon sentiment : asseoir autour d’une table toutes les parties concernées via les États généraux de l’alimentation. Grâce à des réunions thématisées, les enjeux ont été posés et chacun a pu s’exprimer. Jusque-là, tout allait bien : il s’agissait d’une posture innovante, à la hauteur des défis de notre agriculture. Malheureusement, les bonnes intentions se sont arrêtées là.
Dès l’examen du projet de loi, comme très souvent, nous avons assisté à un véritable déni de démocratie. Le Sénat vous avait averti des conséquences de certaines mesures, car nous sommes proches des territoires et de leurs acteurs.
Les responsables professionnels, qui ont aussi adopté une posture constructive en s’investissant dans les États généraux, nous avaient alertés sur certains points d’achoppement. Nous avons relayé ces craintes, mais nous n’avons pas été entendus.
Premier écueil : pourquoi généraliser une mesure destinée à gérer une problématique particulière, à savoir la commercialisation de certains produits trop conditionnés à des ventes en promotion ?
Pour répondre à ce contexte de menace pour nos éleveurs, par exemple dans la filière porcine, la loi a généralisé la limitation des ventes sous promotion sans tenir compte d’un argument soulevé durant les auditions : la difficulté annoncée de certaines entreprises ayant une agriculture de saison, comme vous venez de le reconnaître, monsieur le ministre.
Résultat prévu et aujourd’hui plus que subi : les petites entreprises, souvent familiales, qui ne peuvent se payer de publicité et qui vivaient grâce au système des promotions, sont en grand danger. C’est la raison pour laquelle nous demandons unanimement que seule l’autorité compétente, à savoir la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, définisse le caractère saisonnier. Faisons confiance à nos administrations, si toutefois elles sont libres de se prononcer.
Sans évolution, seules les grosses entreprises s’en sortiront. Les plus petites risquent de disparaître et, avec elles, les emplois. Cela nous oblige à réfléchir et à revenir sur un sujet de fond : l’avenir de notre agriculture. Voulons-nous maintenir les structures familiales ou privilégier les grosses unités ?
L’un des enjeux affichés des États généraux était une meilleure répartition de la valeur. Aujourd’hui, c’est encore un constat d’échec.
Nous le savons, le défi est majeur et complexe à appréhender dans un marché mondialisé et libéral. Dans la guerre des prix, il n’y a toujours qu’un perdant : le producteur. C’est la raison pour laquelle nous devons unir nos efforts et, surtout, les partager tout au long de la chaîne dans les mêmes proportions.
Le texte que nous examinons aujourd’hui s’intéresse aux prix abusivement bas. La volonté vertueuse de départ était de protéger les adhérents face à l’opacité de certains grands groupes coopératifs. Certaines structures, avec leurs filiales, à l’organisation très complexe, sont très difficiles à appréhender. Il faut donc prévoir des garde-fous pour protéger les adhérents de toute erreur de stratégie, car ce sont eux, in fine, qui verront leur rémunération baisser.
Mais là encore, il ne faut pas généraliser. Il existe de nombreuses coopératives petites et moyennes. J’ai déjà eu l’occasion de dire que les coopératives n’étaient pas des commerçants : elles n’achètent pas les produits des adhérents, mais les transforment et les vendent. S’il fallait toutefois toucher au statut de la coopération, ce serait au Parlement, et à lui seul, de le faire.
Vous l’avez compris, la loi Égalim, fruit d’une excellente méthode, s’est arrêtée en marche. Notre posture n’est pas politicienne. Seul l’avenir de notre agriculture compte. Souvenez-vous que le compteur tourne : chaque jour, un paysan se suicide. Il est urgent d’agir sans tergiverser, sans composer. Pour ma part, je voterai cette proposition de loi, comme une majorité de mes collègues du groupe RDSE ; les autres s’abstiendront. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE – Mme la présidente de la commission des affaires économiques applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, persuadé que l’agriculture et l’alimentation sont l’affaire de tous, le groupe Les Indépendants s’était mobilisé tout au long de l’examen de la loi Égalim pour défendre un modèle agricole économiquement viable et écologiquement responsable.
L’agriculture est au cœur de la société française, tant par son importance économique que par le profond attachement de nos concitoyens à son égard. Il s’agit cependant d’un secteur qui connaît de fortes mutations et dans lequel la souffrance perdure.
Nous avions soutenu les ambitions de justice et de développement écologique contenues dans la loi Égalim qui concerne directement plusieurs centaines de milliers d’agriculteurs et, indirectement, l’ensemble des Français. Cela justifie que le Parlement soit particulièrement attentif aux effets de l’application de ce texte.
L’agriculture française doit continuer d’évoluer pour continuer d’exceller. Ces évolutions ne sont pas seulement écologiques. Il est notamment nécessaire d’améliorer et d’équilibrer davantage les relations commerciales du secteur qui sont en défaveur des agriculteurs dont les revenus s’amenuisent. Les difficultés économiques qu’ils rencontrent poussent certains d’entre eux à commettre l’irréparable. Il fallait donc œuvrer à rendre le revenu des agriculteurs plus juste.
La logique promotionnelle contient le risque d’une rémunération au rabais. Pour en sortir, la loi Égalim prévoit un strict encadrement des promotions, notamment leur limitation en volume.
L’objectif est louable, mais il a un effet dévastateur sur les produits saisonniers dont la promotion représente une part essentielle des ventes. Des produits comme le foie gras ou le lapin ne sont achetés qu’à certaines périodes. Hors celles-ci, seules les promotions sont à même de susciter l’achat. La mesure d’encadrement ne convient donc pas aux secteurs à saisonnalité marquée.
Les différentes auditions laissent penser que d’autres ajustements de la loi Égalim pourraient s’avérer nécessaires. Les mesures contenues dans cette proposition de loi, ainsi que leur caractère limité, démontrent non seulement l’attention que porte le Sénat au monde agricole, mais aussi son écoute et son esprit constructif.
Je souhaite féliciter Daniel Gremillet, Michel Raison et Anne-Catherine Loisier pour leur action déterminée.
Le groupe Les Indépendants soutient les objectifs de cette proposition de loi. L’agriculture est l’un des atouts les plus précieux de notre pays ; nous souhaitons le voir prospérer et nous y travaillerons. (M. Jean-Paul Émorine applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat. (Applaudissements sur les travées du groupe UC – Mme la présidente de la commission des affaires économiques applaudit également.)
Mme Françoise Férat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en septembre 2018, à cette même tribune, j’avais estimé que le projet de loi Égalim était décevant sur le fond, car il n’était pas l’expression des conclusions des États généraux de l’alimentation. Il détricotait ce qui fonctionne, comme la sécurisation des pratiques contractuelles et des engagements pluriannuels adaptés à la filière viticole.
Je l’avais jugé décevant aussi sur la forme : la CMP n’a pas été conclusive, car la majorité de l’Assemblée nationale est restée figée sur les positions du Gouvernement, en contradiction parfois avec ses propres votes. Les sénateurs ne pouvaient accepter que leur travail soit balayé d’un revers de main par les députés, alors que leur regard initial était constructif et bienveillant.
Enfin, le texte était décevant, voire alarmant, pour l’économie. Ce rendez-vous devait être le moment de revaloriser le revenu de nos agriculteurs qui souffrent encore trop. Il devait permettre d’inverser le rapport de force entre les producteurs et la grande distribution.
Depuis, de manière constructive, au moyen d’un groupe de travail dédié, le Sénat a voulu analyser les préconisations de la majorité présidentielle et vérifier si elles étaient pertinentes et adaptées à l’amélioration des revenus des agriculteurs.
Ainsi, la commission des affaires économiques a adopté, le 30 octobre dernier, le rapport d’information n° 89 du groupe de suivi de la loi Égalim. Malheureusement, comme son titre l’indique, un an après, le compte n’y est pas. Sur ce point au moins, monsieur le ministre, nous sommes d’accord.
La proposition de loi que nous étudions aujourd’hui, et que j’ai bien évidemment cosignée, tire les conclusions du premier bilan de cette loi réalisé par la commission des affaires économiques, sous la direction de Michel Raison et Anne-Catherine Loisier que je félicite pour leurs travaux et leur implication.
Trois effets particulièrement problématiques, notamment pour les PME, ont été soulevés : tout d’abord, certaines d’entre elles accusent un recul considérable de leur activité compte tenu de l’encadrement des promotions en volume – 25 % de leur chiffre d’affaires prévisionnel ; ensuite, certains industriels peinent à renégocier leurs contrats avec leurs distributeurs en cours d’année en cas de hausse des cours des matières premières agricoles entrant dans la composition de leurs produits ; enfin, une mesure de l’ordonnance sur les coopératives agricoles prise par le Gouvernement permet d’engager la responsabilité d’une coopérative pour une rémunération des apports abusivement basse, ce qui n’entrait pas clairement dans le champ de l’habilitation donnée par le Parlement.
La présente proposition de loi, présentée par Daniel Gremillet, président du groupe de suivi, que je salue, entend simplement tirer les conclusions de ce bilan et corriger la loi à la marge, de manière constructive.
Notre objectif, monsieur le ministre, n’est pas le démantèlement intégral de la loi Égalim : cette proposition de loi, qui ne comporte que trois articles, ne saurait avoir une telle prétention.
Il est aujourd’hui un peu tôt pour dresser un bilan exhaustif et incontestable de la loi Égalim, même si des doutes demeurent. Ainsi, le groupe de suivi poursuivra ses travaux de contrôle en 2020.
Toutefois, son premier rapport est clair : des PME et des ETI sont très fragilisées par la loi. Au bout de la chaîne, ce sont bien les producteurs agricoles qui verront leurs revenus pâtir de la baisse d’activité de ces entreprises. Si les failles sont d’ores et déjà repérées, pourquoi ne pas agir tout de suite ? Tout le monde souhaite que les agriculteurs soient mieux rémunérés à court terme.
Cette proposition de loi entend justement renforcer ses chances de succès en limitant ses effets de bord et en proposant une amélioration. La commission a appuyé cette démarche.
Je soutiens les mesures de cette proposition de loi et le groupe Union Centriste votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Vincent Segouin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois la loi Égalim adoptée, un groupe de suivi de ce texte a rapidement été mis en place. Il s’agit d’une excellente initiative qui permet d’évaluer la pertinence et l’efficience de cette loi. Nous devrions la généraliser.
La loi Égalim comportait plusieurs objectifs notoires, parmi lesquels l’augmentation de 10 % du seuil de revente des produits sans marge pour un transfert de ces bénéfices sur les produits agricoles, l’encadrement des promotions à 25 % pour tout produit en valeur et en volume et le report des augmentations des matières premières sur les prix finaux dans les grands magasins.
Un an après, nous tirons la sonnette d’alarme. Le compte n’y est pas. Comme certains orateurs l’ont déjà souligné, cette loi produit même des effets contraires à ce qui était initialement prévu – un comble !
Certaines mesures déstabilisent très clairement les PME et les ETI des territoires et n’apportent pas de marge supplémentaire à nos agriculteurs. La revalorisation du SRP de 10 % qui visait à renforcer l’équilibre général des négociations au profit des entreprises et des agriculteurs et à augmenter les prix et les revenus complémentaires des agriculteurs a été un échec.
Entre nous, penser que la grande distribution, qui possède 92 % de parts de marché, allait transférer des marges supplémentaires des SRP pour augmenter le prix d’achat des produits agricoles ou des TPE était illusoire. C’est ignorer la très dure loi du marché.
À titre d’exemple, lors de l’épisode de la peste porcine, le cours du porc a augmenté de 45 % et les transformateurs, au milieu de la chaîne, ne sont pas parvenus à réévaluer leurs prix de vente face à la grande distribution qui contractualise annuellement. Au final, ces sociétés se sont retrouvées en difficulté, ce qui est absolument anormal.
De plus, on s’aperçoit que les promotions pratiquées par les TPE ou par les entreprises familiales de nos territoires sont un moyen de publicité efficace, sans doute l’un des seuls dont elles disposent. Ces dernières, contrairement aux grandes entreprises, ne peuvent en effet acheter des espaces publicitaires sur des chaînes télévisées, par exemple, et perdent de ce fait le bénéfice escompté de cette pratique.
L’encadrement des promotions a donc fait chuter le chiffre d’affaires de nos entreprises familiales. Il est urgent de revenir sur cette disposition et d’examiner, entre autres, la limite de l’encadrement des produits saisonniers.
En outre, certaines entreprises travaillent sur un segment de marché qui nécessite des promotions permanentes, les périodes au cours desquelles elles réalisent le gros de leur chiffre d’affaires étant très courtes, ou en raison des emplois saisonniers.
Devant l’urgence et la détresse des entreprises familiales de nos territoires qui ont vu leur chiffre d’affaires et leur bénéfice fondre, le groupe de suivi a vite réagi. Je tiens à l’en féliciter. Il est par conséquent urgent de revoir et de corriger la loi Égalim pour revenir aux fondamentaux recherchés.
Trois mesures d’urgence sont proposées : l’exclusion de l’encadrement en volume des promotions sur les produits saisonniers et au cas par cas pour les entreprises en difficulté ; l’expérimentation d’une clause automatique de révision des prix tous les trois mois, en fonction des cours ; la suppression de la possibilité pour les juges de sanctionner financièrement des coopératives ayant pratiqué une politique de prix extrêmement basse.
Il est indispensable de maintenir et de développer le tissu de PME sur les territoires qui paient de la TVA, des impôts et des charges sociales. Ce sont elles qui génèrent de l’emploi sur les territoires et créent la richesse du pays. L’Allemagne, qui est selon moi la référence économique, s’appuie sur ce modèle.
En outre, il nous faut sortir de la logique de compression des prix pratiquée par la grande distribution depuis des années. Les industriels ont toujours eu une logique de préservation des marges pour leurs fournisseurs, permettant d’assurer de la stabilité et de la continuité. Or la grande distribution n’a jamais partagé cette philosophie. Il faut que cette mécanique change.
L’agriculture française doit aussi se réformer et s’adapter aux évolutions et aux besoins du consommateur. Nous en sommes bien conscients.
Cette proposition de loi vient corriger certains errements de la loi Égalim. J’ai bien entendu, monsieur le ministre, que le Gouvernement y était défavorable. J’espère simplement que vous reverrez votre position ou que vous nous proposerez d’autres solutions. Nous ne pouvons en rester à la situation actuelle. Je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est rare qu’une proposition de loi reflète une position partagée quasi unanimement sur les travées de notre hémicycle.
À mon tour, je tiens à remercier Daniel Gremillet de nous avoir associés à ce texte totalement transpartisan, cosigné par une centaine de collègues, issus de tous les groupes.
Lorsque les clivages traditionnels entre nos groupes sont ainsi surmontés, c’est que l’enjeu est suffisamment fort pour nous inviter à faire cause commune. Et lorsque notre assemblée est ainsi homogène dans son expression, il serait bon que le Gouvernement l’entende.
Le constat d’échec de la loi Égalim que nous faisons tous aujourd’hui n’est malheureusement pas une surprise. Si les États généraux de l’alimentation avaient suscité de vrais espoirs, le texte censé les traduire s’est avéré des plus décevants, sur les volets tant des revenus des agriculteurs que de l’alimentation.
Très vite, il nous a semblé nécessaire de constituer, au sein de la commission des affaires économiques, un groupe de suivi de cette loi, afin d’en analyser la portée réelle.
Les travaux de ce groupe ont permis de mettre en évidence les effets néfastes de ce texte qui ont affecté encore davantage les agriculteurs, plus particulièrement les PME, grandes victimes de la loi Égalim.
Ainsi, le relèvement du seuil de revente à perte de 10 % sur les produits alimentaires et l’encadrement des promotions n’auront pas permis d’augmenter le revenu des agriculteurs. Le prix d’achat aux fournisseurs en 2019 aura même diminué de 0,4 % selon l’Observatoire de la formation des prix et des marges.
En conclusion, les auteurs du rapport de suivi ont souligné que « la loi Égalim aura l’effet paradoxal de pénaliser les acteurs les plus proches des agriculteurs français et qui, souvent, sont les plus créateurs d’emplois ».
Il était donc indispensable de légiférer de nouveau pour corriger sans attendre les effets les plus négatifs de ce texte. Cette proposition de loi transcrit les préconisations du groupe de suivi.
Trois problèmes doivent être « résolus avec urgence » pour ne pas mettre en difficulté les entreprises françaises de l’agroalimentaire et les producteurs agricoles : les difficultés majeures posées par l’encadrement des promotions pour les PME ; les effets de la clause de renégociation des prix jugés non satisfaisants ; la réforme considérée par certains comme trop extensive en matière de droit des coopératives agricoles sur la base de l’habilitation par ordonnance prévue dans la loi Égalim.
Ces problématiques se traduisent très directement dans les trois articles de la proposition de loi.
L’article 1er pose un principe de dérogation à l’encadrement des promotions qui permettra d’apporter de la souplesse en ce domaine.
Si cette souplesse peut s’avérer nécessaire pour des filières spécifiques dont les ventes se concentrent sur une période de l’année, il ne faudrait pas pour autant qu’une multiplication de dérogations rende vain l’encadrement des promotions. Pour cela, plutôt que de réduire année après année ses moyens, il faudrait notamment que le Gouvernement en redonne à la DGCCRF.
L’article 2 met en place une expérimentation autour d’une clause automatique de renégociation des prix. Le médiateur des relations commerciales avait recommandé d’instaurer une telle clause qui permet d’ajuster mécaniquement le prix d’achat contractuel à la hausse comme à la baisse.
C’est le cas du porc, dont le cours a augmenté de 45 % entre janvier et octobre 2019, alors même que le coût de la matière première constitue 70 % du coût de revient de l’industrie charcutière, ou encore des pâtes alimentaires, affectées par une augmentation du cours mondial du blé dur de 25 % en six mois.
Si le travail en commission a eu le mérite de simplifier le dispositif retenu, l’une des modifications opérées par rapport au texte initial risque d’avoir des effets non désirés : en renvoyant les seuils de déclenchement de la clause à la négociation entre les parties, elle pose une fois de plus la question du rapport de force lors de tels échanges. La grande distribution risque d’être intraitable sur ses seuils, rendant leur activation sûrement difficile, sinon très encadrée.
L’article 3 tend à la suppression du régime des prix abusivement bas. À cet endroit du texte, j’aurai une approche légèrement différente de celle de mes collègues.
Je les rejoins sur le fait que le Gouvernement est allé au-delà du champ de l’habilitation que lui donnait l’article 11 de la loi Égalim en modifiant le code rural, alors que la loi ne citait que le code du commerce. Comme eux, je suis attaché aux droits du Parlement. Trop souvent, ces dernières années, nous avons contesté la confiscation des débats parlementaires par le recours aux ordonnances.
Je suis également très attaché au modèle coopératif et je conçois que mes collègues soient choqués par l’assimilation, de fait, des coopératives à des sociétés commerciales.
Toutefois, les dispositions supprimées par l’article 3 permettraient à des associés coopérateurs se sentant lésés du fait d’une rémunération abusivement basse de leurs apports au regard des indicateurs agricoles de pouvoir mettre fin à cette situation ou d’obtenir réparation en justice.
Elles constitueraient donc une parade contre certaines pratiques affectant le revenu des agriculteurs. Ces derniers, nous le savons, se sentent parfois impuissants, notamment lorsqu’ils appartiennent à de très grosses coopératives s’apparentant à des géants de l’agroalimentaire.
Il ne s’agit pas de remettre en cause l’esprit coopératif, car le dispositif, tel qu’il est prévu dans la loi, reste relativement lourd et ne s’appliquerait donc que dans certains cas extrêmes. En effet, l’action en justice doit être introduite par le ministre de l’économie, après l’avis motivé du ministre de l’agriculture et du Haut Conseil de la coopération agricole.
Ce dispositif affectera par conséquent non pas l’ensemble de nos coopératives, mais seulement la poignée d’entre elles ayant ces comportements inadmissibles. Il me semble donc regrettable de le supprimer purement et simplement sans offrir d’autre réponse aux agriculteurs se retrouvant dans ces situations.
Toutefois, dans un souci de maintenir cette belle unanimité sur ce texte et me retrouvant, à cette nuance près, complètement dans la démarche des auteurs de cette proposition de loi, j’ai retiré mon amendement visant à supprimer l’alinéa 2 de l’article 3.
Mes chers collègues, la loi Égalim, malgré tout le travail effectué en amont, notamment au travers des États généraux, est en échec sur ses principaux objectifs. Il nous appartient aujourd’hui, à travers cette proposition de loi, d’en corriger les effets les plus néfastes. Les membres du groupe socialiste et républicain voteront cette proposition de loi transpartisane. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nombre d’entre nous, je suis élue d’un département où l’agriculture est un moteur essentiel de la vie économique : 7,5 % de la population active travaille dans ce secteur, générant un chiffre d’affaires de 720 millions d’euros, comparable à celui de l’industrie agroalimentaire.
Au-delà de son poids économique, nous avons un attachement viscéral à cette activité si particulière qui façonne notre territoire et dont il ne faut pas oublier l’objectif essentiel : produire, nourrir, et pouvoir vivre de son travail.
La loi Égalim est un rendez-vous manqué pour les agriculteurs. Elle aborde les enjeux liés à l’alimentation, aux relations commerciales entre les producteurs et les distributeurs de manière imparfaite.
Les réponses apportées à leur précarisation ne sont pas à la hauteur, la loi n’ayant un effet que sur un cinquième des recettes des agriculteurs et quelques filières.
Aussi, je veux saluer la qualité des travaux du groupe de suivi, qui nous conduit à débattre cet après-midi de cette proposition de loi, largement cosignée. Elle est attendue par le monde agricole, dont de nombreuses PME et entreprises de taille intermédiaire.
En effet, certaines conséquences négatives de la loi Égalim sont déjà clairement identifiées. C’est le cas notamment du recul de l’activité lié à l’encadrement des promotions en volume, dont les effets sont particulièrement douloureux pour les produits à forte saisonnalité, avec des baisses de chiffre d’affaires allant jusqu’à 50 % et au-delà.
Comme le souligne Daniel Gremillet, auteur de la proposition de loi, « sans soutien promotionnel, les ventes s’effondrent. » Allons-nous laisser s’affaiblir puis disparaître ces productions ?
De plus, les difficultés persistent dans les mécanismes de renégociation des prix et des contrats en cours d’année. Il est significatif que les industriels porcins aient préféré ne pas y recourir l’an passé, en raison de leur lourdeur et de leur faible protection.
Monsieur le ministre, vous avez là, clé en main, des solutions aux « effets de bord » que relève M. le rapporteur, Michel Raison. Vous le savez, le monde agricole est en crise. Nous le répétons sans honte et le répéterons sans relâche, le monde agricole est en crise depuis trop longtemps.
La difficulté du métier, sa faible rémunération – vous l’avez dit vous-même, « le compte n’y est pas » –, les risques liés à la santé, le développement de l’agri-bashing conduisent les jeunes générations à faire le choix rationnel de ne pas se lancer dans cette voie. L’enjeu du renouvellement des générations n’a jamais été aussi important : un tiers des agriculteurs a plus de 50 ans.
Notre pays est déjà devenu la troisième puissance agricole, derrière l’Allemagne et les Pays-Bas. Faudra-t-il attendre sans bouger que notre excédent commercial agricole disparaisse du fait de la concurrence européenne ? Quels signaux supplémentaires faut-il pour réveiller les consciences et agir ?
Évidemment, l’amélioration de la condition des agriculteurs ne se fera pas du jour au lendemain. Les changements proposés doivent être apportés progressivement et corrigés au fur et à mesure lorsqu’ils produisent des effets négatifs.
« Le bon sens fait les hommes capables » disait Napoléon. Du bon sens, les agriculteurs en ont ! Il est temps que notre pays retrouve la fierté de son agriculture. Aussi, monsieur le ministre, je vous invite à vous appuyer sur la vigilance du Sénat et, une fois n’est pas coutume, à vous servir des réponses apportées par cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Raison, rapporteur. Toutes les interventions vont dans le même sens, malgré une petite dissonance pour ce qui concerne les propos de Noëlle Rauscent, que je remercie néanmoins de la bienveillance de son intervention.
Monsieur le ministre, vous êtes intervenu longuement. Les vertus que vous avez su déployer lorsque nous étions collègues, la qualité de nos échanges, votre façon d’écouter, me permettent d’espérer que vous puissiez changer d’avis. Mme la présidente de la commission des affaires économiques escompte d’ailleurs la même chose.
Vous avez affirmé qu’avant la loi Égalim les prix n’étaient pas négociés. Je vous le rappelle, même avant les quotas laitiers, il existait déjà des négociations interprofessionnelles sur les prix très dures, lesquelles se sont poursuivies une fois les quotas mis en place ; et après les quotas, la LMA, la loi de modernisation de l’agriculture, dont j’avais été le rapporteur, visait à constituer des contrats, lesquels existaient donc avant l’adoption de la loi Égalim.
Certes, la loi Égalim inverse la construction. Même si on introduit dans le contrat une notion de prix de revient, ce dernier ne détermine pas le prix final, qui se fonde essentiellement sur le cours.
Vous avez, monsieur le ministre, bâti votre analyse à partir de réflexions de quelques économistes, que je ne connais pas, mais qui semblent avoir travaillé depuis leur bureau. Pour notre part, nous avons beaucoup auditionné et eu de nombreux contacts, comme en témoignent les coups de téléphone que nous continuons de recevoir. Nous sommes également allés sur le terrain.
Par ailleurs, vous nous avez dit que vous écoutiez les syndicats. Je ne sais pas si tous vos collègues élaborent leurs projets de loi en agissant ainsi. Ce ne serait guère rassurant dans d’autres domaines, comme celui des retraites.
Vous avez par ailleurs justifié votre rejet de cette proposition de loi en soulignant que l’expérimentation s’achevait en 2020.
Pourtant, nous vous proposons de régler un problème grave par une solution très simple, qui ne déstabilise pas l’ensemble de la loi Égalim, puisque seuls certains produits seraient concernés, à la marge et de façon expérimentale.
Permettez-moi de reprendre l’exemple du lapin. Le mécanisme que nous souhaitons instaurer n’aboutit absolument pas à une dévalorisation du produit. La filière – nous avons visité des sites de production en Vendée, premier département producteur de lapins – est organisée, pour que le producteur soit payé à son juste prix. Les promotions se font à certaines périodes de l’année et concernent certains morceaux, mais c’est l’ensemble qui compte. Une telle méthode commerciale est comprise dans le coût global des charges de l’entreprise.
Aujourd’hui, une véritable catastrophe s’abat sur un certain nombre de PME et de TPE. Vous le reconnaissez vous-même, puisque vous nous avez dit avoir accordé des dérogations pour des produits festifs. À ma connaissance, les produits festifs n’ont pas été les seuls concernés, puisque le café, qui est un produit du quotidien, a également bénéficié de cette mesure.
Ces dérogations m’inquiètent, car elles ne sont pas encadrées sur le plan juridique. Par ailleurs, sur quels critères allez-vous les prendre ? Jusqu’à présent, à ma connaissance, il fallait une situation de quasi-cessation de paiement, voire de redressement judiciaire. Or l’entreprise n’est pas seule en cause, puisque, derrière, il y a un fournisseur de matière première. Si le producteur doit stocker ses lapins ou tuer les mères pour qu’elles n’aient plus de petits, c’est une catastrophe !
Mais nous souhaitons surtout que les entreprises en amont ne licencient personne. Or la majorité des entreprises dont nous avons eu au téléphone ou auditionné les représentants ne sont pas en difficulté financière. Toutefois, lorsqu’elles perdent un volume important de vente, elles n’ont pas d’autres solutions que de licencier du personnel.
Monsieur le ministre, cette affaire sérieuse et simple peut être réglée aujourd’hui en quelques minutes. C’est la raison pour laquelle je vous demande de changer d’avis. Les informations que vous a apportées l’ensemble de mes collègues doivent vous permettre de mieux appréhender la situation. Plus tard, lorsque les ennuis surviendront, avec des licenciements voire des dépôts de bilan, les entreprises vous demanderont peut-être comment payer votre propre inaction.
Je vous prie donc de bien vouloir remettre en cause votre analyse, en vous appuyant sur les interventions unanimes et de bon sens que vous avez pu entendre dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous prie de faire preuve de concision dans vos propos, dans la mesure où M. le président du Sénat organise à dix-huit heures trente une réception à l’occasion de ses vœux.
La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre. Monsieur le rapporteur, il est un peu exagéré d’imputer les licenciements dans les entreprises agroalimentaires au Gouvernement. Permettez-moi donc d’apporter quelques précisions.
Je n’ai jamais parlé de fixation des prix. Je suis au regret de vous le dire, votre analyse est erronée : la loi Égalim ne détermine pas les prix. Elle se contente, à la demande des organisations syndicales, que j’écoute, car je pense que c’est utile, et à la demande des filières, de fixer des indicateurs de prix. Tel est le but de la négociation. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle c’est tellement difficile à mettre en place. Nous ne sommes pas dans une économie administrée !
Les gouvernements précédents s’étaient posé la question de savoir si on pouvait bloquer des prix. Mais tel n’est pas le choix qui a été fait. L’objectif de la loi Égalim est justement de tendre vers ces indicateurs de prix, fixés par les filières. Il faut que ces dernières jouent leur rôle eu égard à leur poids vis-à-vis des coopératives, des entreprises et de la grande distribution.
Par ailleurs, d’après vous, monsieur le rapporteur, j’écouterai des économistes qui resteraient derrière leur bureau. Mais je n’ai jamais parlé d’économistes ! Simplement, il faut considérer des points pragmatiques clairs. Selon moi, l’attitude du Gouvernement par rapport aux entreprises que vous évoquez est beaucoup plus efficace que la vôtre. Nous, nous agissons, tandis que le texte que vous nous soumettez aujourd’hui devra ensuite être soumis à l’Assemblée nationale et adopté. Or, dès demain, sans attendre un vote conforme, la DGCCRF définira les critères au cas par cas, comme vous le souhaitez, et pourra accorder des dérogations, à la demande d’entreprises. Nous pensons en effet qu’il faut non pas passer par la loi, mais agir efficacement et concrètement tous les jours. D’ici au vote de la loi, des entreprises auront peut-être déjà fermé.
J’ai évoqué la raison pour laquelle nous ne souhaitons pas adopter une nouvelle loi. Tout simplement, nous attendons le mois de septembre, date à laquelle nous disposerons d’un bilan. Nous modifierons alors globalement la loi s’il est nécessaire de le faire.
Pour ma part, je ne cherche pas à vous convaincre ! Ne cherchez donc pas à me convaincre. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur ce texte, qui sera toutefois adopté par le Sénat. Nous verrons ensuite le travail qui sera effectué par l’Assemblée nationale. Néanmoins, j’y insiste, bien avant l’aboutissement que constituerait un vote conforme, des dérogations sont déjà accordées à certaines entreprises qui en ont fait la demande à la DGCCRF.
Certes, les États généraux et la loi Égalim n’ont pas permis d’augmenter le revenu des agriculteurs, des producteurs et des éleveurs. Espérons que les négociations commerciales qui seront en cours pendant encore deux mois y parviendront ! Si tel n’était pas le cas, il faudrait prendre des mesures législatives d’ampleur, afin de faire évoluer la loi, qui n’aurait pas eu les effets escomptés. Dans la mesure où deux ans d’expérimentation avaient été prévus, respectons ce délai, conformément aux observations du comité de suivi des négociations commerciales et de l’ensemble de nos partenaires, y compris la grande distribution, les syndicats et les OPA (organismes professionnels agricoles).
Il n’y a donc pas d’opposition sur le fond ! Votre choix me paraît intéressant. Toutefois, nous ne partageons pas votre façon de procéder, estimant que les choses iront plus vite par le biais de dérogations accordées par la DGCCRF.
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Monsieur le ministre, vous êtes donc d’accord avec nous ! Il peut y avoir des entreprises ou des filières qui rencontrent de vraies difficultés. Vous les connaissez, puisque nous avons partagé les informations que nous avons recueillies.
Pour que les choses soient très claires, je dis aux entreprises qui nous ont contactés ou dans lesquelles nous sommes allés d’envoyer immédiatement un courrier à la DGCCRF et au ministère de l’agriculture pour obtenir une dérogation !
Pour ma part, j’émets des doutes sur la validité juridique de ces dérogations. C’est d’ailleurs bien la raison pour laquelle nous avons rédigé cette proposition de loi. Pour autant, si vous nous dites, monsieur le ministre, qu’il n’existe aucun problème juridique, j’engage toutes ces entreprises à prendre leur plume pour demander des dérogations. Nous serons ravis qu’elles puissent être sauvées dans nos territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi modifiant la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous afin de préserver l’activité des entreprises alimentaires
Article 1er
I. – L’ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires est ratifiée.
II. – L’article 3 de l’ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 précitée est ainsi modifié :
1° Le IV est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les dispositions du III du présent article ne s’appliquent pas aux denrées alimentaires dont la vente présente un caractère saisonnier marqué, figurant sur une liste définie par les autorités compétentes. » ;
2° (Supprimé)
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, sur l’article.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, jamais un texte n’aura autant remué le secteur agroalimentaire français et le Parlement que le projet de loi Égalim, avec pas moins de 8 000 amendements !
L’enjeu était de freiner la guerre des prix, en atténuant, par de nouvelles règles, les pressions tarifaires imposées aux fournisseurs, et de permettre, par ricochet, de mieux rémunérer les agriculteurs.
Le Sénat avait combattu les quatre articles portant habilitation à légiférer par ordonnances, du point de vue tant de la procédure que du contenu.
Force est de le constater, nous avions, si je puis dire, le raisonnement du bon paysan, à savoir le bon sens avec les pieds sur terre.
En effet, nous voilà réunis pour remettre dans la loi ce que nous y avions déjà inscrit en première et unique lecture, mais qui fut retoqué. Il s’agit d’éviter le mécanisme d’habilitation à légiférer par ordonnances, qui a empêché le débat, ce que le monde agricole paye maintenant fort cher.
S’agissant du seuil de revente à perte et de l’encadrement des promotions, ces mesures phares de l’article 15 entrées en vigueur le 12 décembre 2018 n’ont pas donné les effets escomptés, bien au contraire.
L’Assemblée nationale, dans son rapport d’information du 29 mai dernier sur l’application de la loi Égalim, a rappelé un courrier du 12 février 2019 cosigné par les industriels et les agriculteurs, lesquels considéraient que l’absence d’encadrement par l’ordonnance des annonces non chiffrées de promotion, telles les formules « prix-choc » ou « prix bas » et les propositions de cagnottage portant sur l’ensemble d’un rayon limitaient significativement les effets de l’ordonnance.
Et les rapporteurs de rappeler alors : le dispositif « était prévu pour une durée de deux ans : à l’issue de ce délai et après en avoir analysé les effets, il sera toujours temps de l’aménager, de le supprimer ou de le pérenniser. » Mais ce temps-là est trop long, au vu des dysfonctionnements, qui sont apparus très vite, mettant en péril nos PME de l’agroalimentaire et, donc, nos agriculteurs.
Telles sont les raisons pour lesquelles les précisions introduites par l’article 1er de ce texte sont légitimes et bienvenues, alors même que les négociations commerciales s’achèvent à la fin du mois de février. C’est un message fort de la Haute Assemblée.
Je ne voudrais pas que le proverbe russe selon lequel « les disputes des seigneurs se lisent sur le dos des paysans » devienne « les disputes de la grande distribution se lisent sur le dos des paysans ».
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, sur l’article.
M. Daniel Gremillet. Monsieur le ministre, l’expression du Sénat est le fruit d’un travail de suivi, dans le cadre d’auditions et de déplacements sur le terrain. (M. le ministre proteste.) Il n’est pas allé chercher des entreprises !
Les deux filières, celles du foie gras et du lapin, fonctionnent exactement comme le prévoit la loi Égalim. Vous dites que cette loi fixe non pas les prix, mais des indicateurs. Ces deux filières, tous les trimestres, fixent des indicateurs, en accord avec les producteurs et les entreprises, relatifs aux coûts de production.
Si vous ne prenez pas de décision, ces deux filières exemplaires, dans lesquelles on respecte le prix de production qui fait vivre les familles, seront, demain, en grande difficulté.
Monsieur le ministre, vous étiez parmi nous, au Sénat, au moment de la grippe aviaire. Les entreprises du foie gras, qui se sont endettées pour réaliser des travaux, sont aujourd’hui confrontées à des baisses de volume de 25 % à 30 %. Vous êtes en train de les tuer, de supprimer des salariés. Ce n’est pas nous qui voulons faire disparaître des PME dans nos territoires !
Par ailleurs, au cours de la réunion qui s’est encore tenue la semaine dernière, aucune entreprise ne nous a dit qu’elle avait été contactée par la DGCCRF pour trouver une solution !
Ici, on légifère ! Sur quels fondements juridiques accorderez-vous à telle entreprise et pas à telle autre une dérogation ? Vous ouvrez ainsi d’énormes possibilités de contentieux !
Un autre point essentiel est le calendrier. Nous avons examiné ce texte en commission au mois de décembre dernier. Madame la présidente de la commission, chers collègues de la commission des affaires économiques, je tiens vraiment à vous remercier de votre réactivité.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Daniel Gremillet. Monsieur le ministre, bien avant la fin des négociations commerciales pour 2020, si vous voulez, vous pouvez ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Jean-Michel Houllegatte applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, sur l’article.
M. Laurent Duplomb. Monsieur le ministre, je suis effaré par ce que j’entends. Vous êtes en train de nous dire que la loi ne sert à rien et que vous vous apprêtez à traiter le problème par le biais administratif, en l’occurrence des dérogations.
Comme l’ont dit M. Gremillet et Mme la présidente de la commission, le plus simple est de changer la loi, ce qui évite les dérogations. Ainsi, les choses sont juridiquement claires, sans risque de contentieux.
Malheureusement, ce à quoi nous sommes confrontés c’est la réalité de l’action de votre gouvernement sur un grand nombre de sujets.
Concernant l’eau et l’assainissement, vous n’avez pas voulu revenir en arrière, et vous avez reculé pour finalement inventer un nouveau terme, à savoir la subdélégation. Ainsi, personne n’y comprend plus rien, et ne sait plus de qui relève la compétence.
S’agissant des retraites, on recule depuis trois mois, si bien que nous ne savons plus ce que nous voterons !
Finalement, c’est peut-être votre marque de fabrique !
En fait, vous dites aux hommes et aux femmes qui travaillent tous les jours et attendaient beaucoup de la loi Égalim, avant d’être déçus, d’attendre la fin de l’expérimentation et de continuer à mourir, mais en silence. C’est inadmissible ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Jean-Michel Houllegatte applaudit également.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
I. – À titre expérimental et pour une durée de trois ans à compter de la promulgation de la loi n° … du … modifiant la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous afin de préserver l’activité des entreprises alimentaires, les contrats portant sur la vente de produits mentionnés au premier alinéa de l’article L. 441-8 du code de commerce composés à plus de 50 % d’un produit agricole comportent une clause de révision des prix. Les produits finis concernés par l’expérimentation figurent sur une liste établie par décret.
II. – Cette clause, définie par les parties, précise les conditions, les seuils de déclenchement et les modalités de mise en œuvre de la révision des prix. La révision des prix, à la hausse comme à la baisse, est fonction de l’évolution du cours du produit agricole ou alimentaire entrant dans la composition du produit fini à plus de 50 %.
III. – (Supprimé)
IV. – Le fait de ne pas prévoir de clause de révision des prix conforme aux I à III est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale. L’amende est prononcée dans les conditions prévues à l’article L. 470-2 du code de commerce. Le maximum de l’amende encourue est doublé en cas de réitération du manquement dans un délai d’un an à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive.
V. – Trois mois avant le terme de l’expérimentation, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation sur les effets du présent article, notamment au regard de son effet sur les prix de vente des produits, sur la qualité des négociations commerciales entre les acteurs et sur la santé financière des entreprises concernées. – (Adopté.)
Article 3
I. – L’ordonnance n° 2019-362 du 24 avril 2019 relative à la coopération agricole est ratifiée.
II. – Le V de l’article L. 521-3-1 du code rural et de la pêche maritime est abrogé. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 64 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 312 |
Pour l’adoption | 312 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
7
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 15 janvier 2020 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
De seize heures trente à vingt heures trente :
(Ordre du jour réservé au groupe socialiste et républicain)
Proposition de loi visant à réformer le régime des catastrophes naturelles, présentée par Mme Nicole Bonnefoy et plusieurs de ses collègues (texte n° 154, 2019-2020) ;
Proposition de loi visant à rétablir les droits sociaux des travailleurs numériques, présentée par Mmes Monique Lubin, Nadine Grelet-Certenais, MM. Olivier Jacquin, Patrick Kanner, Jacques Bigot et les membres du groupe socialiste et républicain (texte n° 155, 2019-2020).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures cinquante-cinq.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication