Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour la réplique.
M. Rachid Temal. Monsieur le secrétaire d’État, vous nous dites que, finalement, il n’y a pas de difficultés, tout en admettant que neuf listes en ont connu pour accéder à un financement… Nous savons tous ici combien il est difficile d’obtenir un prêt bancaire pour financer une campagne ; on le voit notamment à l’approche des élections municipales.
Il faut donc agir ! Monsieur le secrétaire d’État, votre réponse m’inquiète d’autant plus qu’elle renvoie à d’autres sources de financement, les banques n’ayant aucune obligation. Je considère pour ma part qu’il revient à l’État de mettre en place la banque publique de la démocratie – c’était d’ailleurs le sens de l’article 30 de la loi du 15 septembre 2017 –, de sorte que chaque Français puisse être candidat à une élection. Sans cela, c’est encore une fois l’argent qui décide de qui peut ou non être candidat dans notre démocratie ; c’est très grave.
application du règlement de défense incendie et secours en seine-maritime
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, auteure de la question n° 994, transmise à M. le ministre de l’intérieur.
Mme Céline Brulin. Conformément à l’arrêté du 15 décembre 2015 fixant le référentiel national de défense extérieure contre l’incendie, un règlement départemental a été approuvé par la préfecture de Seine-Maritime en octobre 2017.
Ce règlement engage la responsabilité des maires au travers de nouvelles obligations particulièrement strictes relatives aux réserves incendie. En effet, désormais, les habitations doivent se situer à moins de 200 mètres d’une borne incendie, ou de 400 mètres dans le cas d’habitations isolées.
Dans bien des communes, ces distances sont souvent impossibles à respecter. Un maire du département dont je suis élue m’a par exemple informée que la mise en conformité avec ces normes représenterait dix fois son budget annuel d’investissement, y compris en optant pour des bâches extérieures, pourtant moins coûteuses.
Le référentiel national ne tient pas compte des spécificités locales, ce qui complexifie encore la situation. Il interdit par exemple le recours aux dispositifs mobiles des sapeurs-pompiers, qui serait pourtant particulièrement adapté pour les habitations isolées.
Encore une fois, les élus locaux ont l’impression que les décisions prises sont déconnectées de la réalité des territoires ; c’est pourquoi ils avaient unanimement rejeté, en 2017, une première proposition de règlement départemental. L’application stricte des distances retenues rend la situation intenable en Seine-Maritime. Pour beaucoup de maires, cela implique de cesser d’accorder des permis de construire et même, souvent, de se retrouver hors la loi.
Monsieur le secrétaire d’État, l’État ne peut pas renvoyer la responsabilité aux autorités départementales et aux services départementaux d’incendie et de secours (SDIS). Comptez-vous apporter une réponse à cette question, qui constitue l’une des principales préoccupations des maires du département de Seine-Maritime ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice, l’efficacité des opérations de lutte contre les incendies dépend notamment de l’adéquation entre les besoins en eau et les ressources disponibles.
La défense extérieure contre l’incendie (DECI), placée sous l’autorité du maire ou du président de l’établissement public de coopération intercommunale chargé d’un pouvoir de police administrative spéciale, a pour objet d’assurer, en fonction des besoins résultant des risques à couvrir, l’alimentation en eau des moyens des services d’incendie et de secours, par l’intermédiaire de points d’eau identifiés à cette fin. Il s’agit d’un appui indispensable pour permettre aux sapeurs-pompiers d’intervenir rapidement, efficacement et dans des conditions optimales de sécurité.
La réforme de la DECI, conduite en 2015, a instauré une approche novatrice : la DECI ne répond plus à une norme nationale, mais relève d’un règlement départemental élaboré par le préfet. Elle répond à un double objectif : un renforcement de la concertation avec les collectivités territoriales et une plus grande souplesse dans la définition et l’application des mesures, adaptées à la réalité et à la diversité des risques incendie propres à chaque territoire.
La distance maximale séparant les points d’eau et les risques à couvrir est déterminée au regard des enjeux en matière de protection et des techniques opérationnelles des sapeurs-pompiers. La fixation de ces distances est déterminée par l’analyse du risque d’incendie et elle conditionne les délais de mise en œuvre des dispositifs d’extinction.
J’ai parfaitement conscience que cette réglementation, nécessaire pour garantir une lutte efficace et rapide contre les incendies, peut parfois être contraignante dans certaines communes, notamment rurales. Ce règlement peut évoluer par le biais de nouveaux échanges avec les partenaires et selon les procédures applicables.
J’ajoute que la DECI ne doit pas altérer la qualité sanitaire de l’eau distribuée ni conduire à des dépenses excessives, au regard, notamment, du dimensionnement des canalisations. Si le réseau d’eau potable ne permet pas d’obtenir le débit nécessaire à la DECI, d’autres ressources sont utilisables : points d’eau naturels, réseaux d’irrigation agricole, citernes fixes, cuves ou encore réservoirs réalimentés par l’eau de pluie.
La DECI repose sur un équilibre entre les impératifs de la sécurité des populations, sa constante amélioration et un coût financier supportable, notamment pour les communes rurales, le tout étant apprécié à l’échelon local.
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, pour la réplique.
Mme Céline Brulin. Je retiens de vos propos, monsieur le secrétaire d’État, que ce règlement peut encore évoluer.
Vous avez parlé de souplesse ; c’est précisément ce dont nous manquons en Seine-Maritime, où l’application du référentiel est extrêmement stricte et rigoureuse. Je vous remercie donc de bien vouloir intervenir pour qu’une souplesse soit concrètement apportée. On constate aujourd’hui des situations totalement aberrantes, ubuesques, qui, c’est le moins que l’on puisse dire, ne renforcent pas le crédit de la parole de l’État ni les liens de confiance entre celui-ci et les élus locaux.
Je conclurai en exprimant un sentiment de « deux poids, deux mesures ». En effet, sans entrer dans les détails, l’incendie de Lubrizol a tout de même fait apparaître des manquements à la réserve incendie sur certains sites industriels. On ne peut pas être plus exigeant à l’égard de communes disposant de peu de moyens qu’on ne l’est à l’égard d’industriels dont les possibilités sont autrement plus importantes.
état civil et usage du tilde
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet, auteur de la question n° 998, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Michel Canevet. Je suis heureux, monsieur le secrétaire d’État, que vous soyez au banc du Gouvernement aujourd’hui pour me répondre, car vous êtes particulièrement concerné par les questions de patronymie.
En Bretagne, une affaire fait grand bruit. Un couple a décidé de prénommer son enfant Fañch, avec un tilde sur le « n », et, depuis lors, les procédures judiciaires s’enchaînent, sur l’initiative du procureur de la République. Si le tribunal de grande instance de Quimper a donné raison à ce dernier, tel n’a pas été le cas de la cour d’appel de Rennes et de la Cour de cassation.
Mon vœu le plus cher est que la circulaire de la Chancellerie du 23 juillet 2014 établissant les signes diacritiques utilisables dans la patronymie française puisse être modifiée. En effet, si le décret dit « Robespierre » du 2 thermidor de l’an II préconise l’utilisation du français pour la rédaction des actes de l’état civil, on peut aussi se référer à l’ordonnance royale de Villers-Cotterêts de 1539, dont le texte même comprend un grand nombre de tildes. C’est dire que ce signe appartient bien à la langue française !
Je souhaite donc savoir si le Gouvernement est enfin décidé à modifier la circulaire précitée pour admettre l’usage du tilde dans la langue française.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, vous avez souhaité appeler l’attention de la garde des sceaux, que je représente ici, sur la reconnaissance du tilde dans les actes de l’état civil et sur la date prévisible de l’ajout de ce signe à la liste des signes diacritiques admis en langue française au travers de la circulaire du 23 juillet 2014.
Tout d’abord, il faut souligner que la promotion des langues régionales est assurée de diverses manières et, ainsi que le rappelle notamment le contrat d’action publique pour la Bretagne, elle passe principalement par le biais de l’enseignement et de la culture.
La circulaire du 23 juillet 2014 de la Chancellerie que vous évoquez dresse la liste des voyelles et consonne accompagnées d’un signe diacritique souscrit – placé au-dessous de la lettre, telle la cédille – ou suscrit – placé au-dessus de la lettre, tels l’accent et le tréma – connues de la langue française. Cette liste, ne comprenant pas le tilde, a été validée en 2014 par l’Académie française, qui a confirmé sa position en novembre 2018.
Le 17 octobre 2019, dans l’affaire Fañch, la Cour de cassation a déclaré irrecevable le pourvoi en cassation formé par le procureur général près la cour d’appel de Rennes, au motif que les parents de l’enfant n’avaient été appelés qu’en leur qualité personnelle, et non en leur qualité d’administrateurs légaux de l’enfant. Ainsi, la Cour de cassation ne s’est pas prononcée sur le fond de l’affaire ni sur la possibilité d’employer le tilde dans les actes de l’état civil, en l’occurrence sur la lettre « n ».
Néanmoins, nous souhaitons indiquer que, pour ce qui concerne l’état civil, les services de l’État étudient la faisabilité d’une intégration de signes diacritiques pour permettre la prise en compte de l’orthographe de certains prénoms issus de langues régionales au regard, d’une part, des enjeux normatifs et informatiques, et, d’autre part, de la charge de travail des officiers de l’état civil.
Enfin, dans la continuité des actions de promotion des langues régionales de France, les textes en vigueur, confortés par la jurisprudence, autorisent les officiers de l’état civil à délivrer, sur la demande des intéressés, des livrets de famille et des copies intégrales et extraits d’actes de l’état civil bilingues ou traduits dans une langue régionale.
M. Jean-Pierre Sueur. Mais qu’en pensez-vous personnellement, monsieur le secrétaire d’État ?
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet, pour la réplique.
M. Michel Canevet. Monsieur le secrétaire d’État, c’est une toute petite ouverture que vous faites, mais je regrette l’entêtement du Gouvernement en cette matière. Le procureur près la cour d’appel de Rennes a précisément indiqué ce matin qu’il faudrait que le législateur s’empare du sujet. Je remercie à cet égard ceux de mes collègues, dont Jean-Pierre Sueur, Françoise Gatel, Agnès Canayer et Jean-Luc Fichet, qui ont soutenu mon amendement à la proposition de loi qui sera examinée jeudi prochain. J’espère que nous parviendrons enfin, par la loi, à faire que le tilde puisse figurer dans le prénom de certains petits Bretons. Ce ne serait que logique.
multiplication d’actions violentes de militants « végans »
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, auteur de la question n° 573, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Guillaume Chevrollier. Les violences exercées à l’encontre des professionnels du secteur agricole, qu’il s’agisse d’actions d’intimidation, d’intrusions dans des lieux de production ou d’agressions physiques, notamment par des activistes « végans » anti-viande et anti-élevage, sont de plus en plus fréquentes. Ces violences sont inacceptables. Entre 2017 et 2018, plus d’une centaine d’actions illégales ont eu lieu partout en France.
Bien évidemment, je respecte les idées de ces militants, mais eux doivent respecter nos agriculteurs, dont les activités sont, elles, légales. Dans leur immense majorité, nos agriculteurs veillent au bien-être animal.
Compte tenu du poids économique du secteur agroalimentaire et de l’implication des hommes et des femmes qui remplissent avec cœur la mission vitale de nourrir la population, nous avons la responsabilité de défendre nos agriculteurs et nos modèles agricoles. Une prise de conscience et une mobilisation collectives des professionnels et des élus sont indispensables pour dénoncer ces agissements.
Dans mon département, la Mayenne, un observatoire de l’agri-bashing a été mis en place. Il rassemble les services de l’État, les syndicats agricoles et la chambre d’agriculture en vue de lutter contre les intrusions dans les exploitations. Les filières agricoles et agroalimentaires attendent des réponses très concrètes de la part de l’État : une évolution de la loi doit permettre de prononcer des sanctions fermes contre les malfaiteurs qui, par leurs intrusions dans les exploitations, bafouent la propriété privée.
Monsieur le secrétaire d’État, comment mieux protéger, de façon concrète, les agriculteurs en cas d’intrusion et comment lutter, en outre, contre la diffusion numérique de fausses informations sur l’agriculture ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, je vous confirme que la garde des sceaux, que je vous prie d’excuser, le ministre de l’intérieur et moi-même suivons avec la plus grande attention cette question, qui concerne tout notre territoire. Le Gouvernement est pleinement engagé dans la lutte contre les actions violentes que subissent certains professionnels de la filière agroalimentaire.
À ce titre, la direction des affaires criminelles et des grâces a diffusé, le 22 février 2019, une dépêche sur le phénomène des actions violentes de mouvements animalistes radicaux, afin de mobiliser les parquets et de leur rappeler les qualifications pénales pouvant être retenues dans ces situations.
Ces agissements font ainsi l’objet de la plus grande attention de la part des procureurs, qui diligentent systématiquement des enquêtes pénales minutieuses, aux fins d’établir le contexte de la commission des faits, d’en identifier les auteurs et de présenter ces derniers à une juridiction. Ils sont épaulés, à cette fin, par les services d’enquête judiciaire, plus particulièrement ceux de la gendarmerie nationale, qui a récemment créé une cellule nationale spécifique, appelée « Demeter », chargée de centraliser les informations disponibles sur ce type d’affaires et de réaliser des rapprochements en vue de faciliter l’identification des auteurs de ces agissements.
Certains faits similaires à ceux que vous évoquez, qui ont pu avoir lieu ailleurs sur notre territoire national, ont d’ailleurs déjà conduit à des condamnations. Par exemple, en décembre 2018, six personnes ont été condamnées par le tribunal correctionnel de Roanne du chef de violation de domicile alors qu’elles avaient pénétré sur un site d’abattage sans autorisation ; en juin 2019, le tribunal correctionnel de Paris a condamné deux individus à trois mois et six mois d’emprisonnement pour des dégradations commises dans une boucherie parisienne et des violences sur les personnes d’un boucher et de fromagers.
Ces réponses judiciaires attestent de la prise en compte par les parquets du trouble à l’ordre public inacceptable ou de l’entrave à l’exercice professionnel qu’occasionnent de tels agissements, nécessitant, lorsque les éléments de preuve recueillis le permettent, une réponse pénale ferme et adaptée.
Le ministère de la justice estime que le cadre juridique actuel permet, dans la plupart des cas, de répondre efficacement aux actions violentes subies par les professionnels de la filière animale.
Toutefois, la garde des sceaux a rencontré, il y a quelques jours, les représentants de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Sensible à leurs inquiétudes, elle a chargé les services de son ministère d’engager une réflexion sur une éventuelle adaptation législative de la rédaction du délit de violation de domicile pour lever toute ambiguïté sur le fait que ce délit trouve bien à s’appliquer, y compris en cas d’intrusion dans les locaux professionnels d’une exploitation agricole.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour la réplique.
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le secrétaire d’État, j’entends votre réponse et vous en remercie.
Effectivement, des précisions concernant la notion de violation de domicile sont attendues. Je rappelle que nos agriculteurs, qui sont déjà fragilisés sur le plan économique et dont les revenus ne sont pas à la hauteur de la charge de travail, attendent vraiment un soutien des pouvoirs publics. Ils veulent pouvoir exercer leur métier, être respectés par la société et être préservés des actions de minorités excessivement violentes et parfois radicalisées. Il est important que l’État soit au rendez-vous pour apaiser certaines tensions dans nos territoires, notamment ruraux.
déclassification des documents liés à l’assassinat de deux journalistes
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la question n° 1003, adressée à Mme la ministre des armées.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite appeler votre attention sur l’assassinat le 2 novembre 2013 dans la région du Kidal, au Mali, de deux journalistes de Radio France Internationale, Ghislaine Dupont et Claude Verlon.
Ces deux journalistes ont été enlevés par quatre hommes armés, avant d’être abattus, quelques kilomètres plus loin. Selon les enquêteurs, le véhicule des ravisseurs serait tombé en panne et ces quatre hommes auraient éliminé les deux otages avant de prendre la fuite.
Plusieurs zones d’ombre demeurent dans cette affaire tragique.
Premièrement, il a été découvert que le chef du commando était connu des services de renseignement, qu’il avait été auditionné par la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) quelques mois avant le rapt et l’assassinat des journalistes et qu’une seconde entrevue était prévue, ce qui pourrait laisser penser qu’il aurait été recruté comme informateur par les services de la DGSE. Qu’en est-il, monsieur le secrétaire d’État ?
Deuxièmement, différentes enquêtes effectuées par les journalistes mettent en avant un lien possible, et même probable, entre cet assassinat et l’affaire Arlit, désignant l’enlèvement d’employés d’Areva en 2010 au Niger. Selon ces enquêtes, leur libération aurait été négociée en échange d’une rançon de 30 millions d’euros et l’enlèvement des deux journalistes aurait été commis par des membres d’un bataillon considérant avoir été floués dans la répartition de cette rançon. Qu’en est-il ?
Troisièmement, il existe deux versions contradictoires sur un fait essentiel : les autorités françaises ont formellement assuré que les militaires étaient arrivés sur place après le drame et qu’ils n’avaient jamais eu de contact avec les ravisseurs ; un rapport des Nations unies affirme strictement le contraire. Quelle est la vérité ?
Enfin, je veux vous interroger sur une enquête menée par des journalistes, qui montre que les gendarmes chargés de l’établissement du procès-verbal sur place ont indiqué être intervenus sur une scène de crime largement souillée et modifiée, alors que le détachement de Serval avait reçu l’ordre de ne toucher à rien. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Jean-Pierre Sueur, vous évoquez dans votre question l’assassinat, le 2 novembre 2013 à Kidal, des journalistes de RFI Ghislaine Dupont et Claude Verlon.
Ces faits d’enlèvement et d’assassinat font l’objet d’une information judiciaire, dans le cadre de laquelle le ministère des armées a apporté et continue d’apporter son plein concours. Les forces françaises ont toujours appuyé l’action judiciaire, que ce soit sur place, à Kidal, au lendemain des faits, ou à Paris.
Je rappelle que c’est avec le concours de l’armée française, dans un contexte sécuritaire tendu, que les gendarmes de la prévôté ont été projetés sur les lieux, pour effectuer les premières constatations et fournir à la justice le maximum d’éléments de preuve. Les enquêteurs français de la direction centrale du renseignement intérieur de l’époque et de la sous-direction antiterroriste de la direction centrale de la police judiciaire ont également pu intervenir très rapidement. Cet appui logistique assuré dès le départ s’est poursuivi à mesure des besoins exprimés par les magistrats.
En effet, le ministère des armées a été requis à plusieurs reprises, en 2015 et en 2016, par les magistrats chargés de l’enquête. Toutes les demandes de déclassification successives formulées par la justice ont donné lieu à la fourniture de documents du ministère des armées, en parfaite conformité avec les avis de la Commission du secret de la défense nationale, qui est une autorité administrative indépendante.
Si des documents ou extraits de documents n’ont pas été déclassifiés, c’est uniquement, comme le prévoit la loi, pour préserver les capacités et méthodes des services, mais aussi assurer la continuité des opérations ou la protection des personnels. Conscient de la douleur des proches des journalistes assassinés, le ministère des armées a, autant que le lui permet l’impératif de protection du secret de la défense nationale et de l’instruction, répondu directement aux interrogations de ces derniers.
Je vous le redis, monsieur le sénateur, le ministère des armées continue à appuyer les investigations judiciaires en cours et répond avec une extrême diligence aux sollicitations des magistrats. En revanche, cet appui n’a pas vocation à être exposé publiquement, car il est couvert par le secret de l’enquête et de l’instruction. Je pense que vous le comprendrez.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le secrétaire d’État, j’entends ce que vous dites. Vous concevrez toutefois notre déception de n’avoir reçu aucune réponse précise aux quatre questions précises que je vous ai posées et que se posent les journalistes de Radio France Internationale. Ces questions demeurent.
oubliés de la nation
Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, auteur de la question n° 1053, adressée à Mme la ministre des armées.
M. Yannick Vaugrenard. Ma question concerne ceux que nous pourrions appeler les « oubliés de la Nation ».
Selon le code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre, la mention « mort pour le service de la Nation » peut être attribuée à une personne décédée « du fait de l’accomplissement de ses fonctions dans des circonstances exceptionnelles ». Cependant, l’appréciation des « circonstances exceptionnelles » est laissée au ministre en fonction.
Or, avant 2017, les attributions de la mention « mort pour le service de la Nation » ont confirmé la reconnaissance des militaires décédés « accidentellement » lors d’exercices opérationnels. Mais depuis cette date, les décisions de la ministre vont à l’encontre de l’esprit initial du décret du 28 décembre 2016. En effet, les demandes de mention « mort pour le service de la Nation » pour des militaires qui décèdent accidentellement lors d’exercices opérationnels ou en missions intérieures sont désormais systématiquement rejetées.
Ces décisions, outre l’incompréhension qu’elles suscitent, instaurent une injustice à l’égard des militaires qui décèdent à l’entraînement. Les enfants de ces derniers ne sont pas reconnus comme « pupilles de la Nation », leur conjoint ne perçoit que 50 % de la pension de réversion et leur nom ne sera pas gravé sur le monument aux morts de leur commune.
L’un de mes collègues députés a déposé, le 22 mai dernier, une proposition de loi visant à octroyer le statut de « mort pour le service de la Nation » aux militaires décédés en exercice, ce qui permettrait d’assainir la situation actuelle et de la rendre plus juste.
Monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais connaître votre position sur cette proposition de loi et, plus globalement, que vous clarifiiez les conditions d’attribution de la mention « mort pour le service de la Nation » afin de supprimer l’arbitraire et d’intégrer les militaires décédés accidentellement lors d’exercices opérationnels ou en missions intérieures. Cela permettrait d’assurer notre soutien fraternel aux familles de ceux qui s’engagent pour défendre notre pays.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question, qui permet au Gouvernement de préciser les conditions d’attribution de la mention « mort pour le service de la Nation ».
Cette mention a été créée en 2012, au lendemain des attentats commis par Mohammed Merah contre la communauté juive et contre l’armée. Elle vise à honorer la mémoire des militaires et des agents publics tués en raison de leurs fonctions ou de leur qualité par l’action volontaire d’un tiers.
Vous avez évoqué le décret de 2016, qui est venu inclure le décès « dans des circonstances exceptionnelles », appréciées comme des situations présentant un caractère de gravité particulière ou anormale et imprévisibles.
Les mesures symboliques prises par la République n’ont de valeur que si elles sont précisément ordonnées. Le décret de 2016 a créé des incertitudes, et le ministère des armées réfléchit à la façon dont il peut y mettre fin pour éviter toute confusion et tout sentiment d’injustice.
Cependant, il n’est pas souhaitable, pour la mémoire et la reconnaissance des militaires tués au combat ou celle des agents publics victimes d’actes de terrorisme, d’étendre de façon indéfinie l’attribution des marques de reconnaissance. Les armées sont légitimement attachées à ces distinctions et à leur sens.
Toutes les morts sont tragiques. Le ministère des armées s’attache à apporter un soutien sans faille aux familles endeuillées. Les ayants cause peuvent ainsi se voir attribuer une allocation du fonds de prévoyance. Les enfants mineurs peuvent également bénéficier d’un régime de protection particulier. Une aide à l’éducation et/ou une allocation d’entretien peuvent ainsi leur être attribuées, pour un an renouvelable, via l’intervention de l’action sociale des armées.
Soyez assuré que le ministère des armées – et, à travers lui, le Gouvernement – apporte un soutien fraternel aux familles de tous les militaires décédés, que ce soit en combat ou en accident de service. Toutefois, il n’envisage pas d’étendre à ce dernier cas l’attribution de la mention « mort pour le service de la Nation ».