M. le président. L’amendement n° II-21, présenté par M. Meurant, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial. Cet amendement concerne Mayotte, dont la situation traduit ce qui se passe en France de manière générale : comme il y a de plus en plus d’arrivées, l’intégration des arrivants est de plus en plus difficile.
L’État demande encore un délai pour l’entrée en vigueur du contrat d’intégration républicaine (CIR) à Mayotte. Cela aboutirait à priver 6 000 personnes des cours d’apprentissage du français. Il me semble malvenu de ne pas faire bénéficier ces personnes des moyens d’intégrer la République.
Ce dernier article rattaché à la mission est un bel exemple de ce que nous subissons en France, sur l’ensemble du territoire.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christophe Castaner, ministre. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
S’il demande un report de l’entrée en vigueur du CIR, ce n’est pas par opposition à ce dispositif, qui est bon et que nous défendons, c’est parce que nous ne sommes pas en capacité de le mettre en œuvre de façon satisfaisante, avec l’ensemble des acteurs mobilisables sur l’île de Mayotte.
C’est vrai, nous avons fait le choix de priorités différentes, cela a été rappelé par le vice-président Thani Mohamed Soilihi ; nous avons opté pour l’efficacité dans la lutte contre l’immigration irrégulière. Ainsi, pour la première fois, cette année, nous aurons reconduit la quasi-totalité des personnes qui débarquent dans le cadre d’une immigration irrégulière, en rendant le système aussi efficace que possible. Nous nous étions fixé un objectif de 25 000 reconduites – nous le dépasserons d’ici au 31 décembre –, pour inverser le phénomène insupportable que nous subissons aujourd’hui, en raison de notre incapacité à accueillir et à intégrer dans le département de Mayotte.
Nous avons donc la volonté de reprendre en main ce flux irrégulier et, au moment où je vous parle, ce flux est maîtrisé.
Cela étant, nous devons mobiliser tous nos moyens là-dessus, car, c’est vrai, nous avons choisi cette priorité. Nous n’avons donc pas la capacité technique de bien mettre en œuvre le CIR dans ce département ; c’est la raison pour laquelle le Gouvernement propose la prorogation de son report pour deux ans, mais, je le répète, ce n’est pas en raison d’une opposition de fond.
M. le président. La parole est à Thani Mohamed Soilihi, pour explication de vote.
M. Thani Mohamed Soilihi. Je comprends l’esprit qui anime M. le rapporteur spécial et la commission des finances : dans la mesure où il s’agit d’un département français, toutes les dispositions devraient y être appliquées. Or la situation migratoire de ce département n’est pas normale : il y vient de plus en plus de personnes et cela fait vingt ans que cela dure.
Pour la première fois, nous assistons à un changement, à une amélioration : la lutte contre l’immigration clandestine porte de plus en plus ses fruits, et je ne dis pas cela parce que le ministre est présent. Bien sûr, nous sommes encore loin du compte tellement la situation a dégénéré pendant des années.
En 1986, Jacques Chirac affirmait : « Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. » Je souscris donc complètement aux propos du ministre, qui veut s’attaquer frontalement et efficacement à la lutte contre l’immigration clandestine – je le répète, cette politique devient fructueuse –, avant d’en traiter les conséquences.
Je rappelle que ce n’est pas le seul dispositif de droit commun à ne pas être applicable dans ce département ; l’AME n’est pas applicable, ne l’a jamais été, et les minima sociaux, par exemple, ne le sont pas plus.
Je demande à la Haute Assemblée de se méfier des fausses bonnes idées a priori que l’on serait tenté de suivre, tant que l’on n’en mesure pas les conséquences. Pour ma part, je n’en suis pas capable. C’est pourquoi je ne voterai pas cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Nous parlons là de personnes se trouvant en situation régulière sur le sol de Mayotte.
Je comprends que des priorités soient fixées pour les services de l’État et l’OFII. Toutefois, lorsque l’on parle de ce département, il faut commencer par rappeler qu’une personne se trouvant en situation régulière à Mayotte ne peut pas se rendre dans l’Hexagone. Avec cet article, non seulement elle ne pourra pas le faire, mais elle ne bénéficiera pas non plus du contrat d’intégration républicaine.
Face aux difficultés que vient de rappeler notre collègue, il me semble justement que la première chose permettant de marquer l’appartenance de Mayotte à la République serait de faire en sorte que les personnes qui y vivent aient les mêmes droits, en particulier le droit de circulation.
Qu’une personne en situation régulière, à Mayotte, ne puisse bénéficier ni de ce contrat ni du droit de venir dans l’Hexagone me semble trop dérogatoire du droit commun. Nous ne pourrons donc pas voter cette disposition. Je le répète, la première chose à faire pour accompagner ce département serait de considérer que les personnes qui s’y trouvent en situation régulière ont le droit de circuler sur l’ensemble du territoire national.
M. le président. En conséquence, l’article 76 decies est supprimé.
Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
Administration générale et territoriale de l’État
M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l’État » (et articles 73 B et 73 C).
La parole est à M. Jérôme Bascher, au nom de la commission des finances.
M. Jérôme Bascher, en remplacement de M. Jacques Genest, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, soyons francs : à périmètre constant, le budget de la mission « Administration générale et territoriale de l’État » augmente de 50 millions d’euros pour financer les élections. Ce n’est donc pas une hausse exceptionnelle !
Voilà ce qu’il faut retenir de ce budget, qui, en vérité, procède à une fusion avec des crédits précédemment rattachés au Premier ministre.
Le ministère de l’intérieur va être chargé de gérer les mutualisations des fonctions support des services déconcentrés de l’État. Il a tiré son épingle du jeu dans un processus de réorganisation des services déconcentrés inauguré par son refus de délaisser ses emplois et ses moyens au profit du Premier ministre. On peut donc dire que « la force a fait l’union » !
Jacques Genest, que je remplace aujourd’hui, s’étonne avec moi que les crédits de fonctionnement et d’investissement n’aient pas encore suivi les emplois. Nous relevons que certaines administrations essentielles restent à l’écart des réorganisations en cours. C’est notamment le cas des agences, qui, comme nous le regrettons souvent dans cette assemblée, sont trop nombreuses, mais aussi des ministères financiers ou du ministère de l’éducation nationale.
En attendant, le projet de budget pour 2020 prolonge la désertification territoriale, ce que nous regrettons. Après les 4 000 suppressions d’emplois du plan Préfectures nouvelle génération (PPNG) – lors de la réunion du Parlement en Congrès, à Versailles, Emmanuel Macron a déclaré que trop d’emplois avaient été supprimés dans les préfectures et les services déconcentrés : pourtant, ce mouvement continue –, les guichets des préfectures sont dorénavant fermés aux usagers. Les seuls restant ouverts sont bien souvent, hélas ! ceux qui sont destinés à l’accueil des étrangers, ce qui ne manque pas de désespérer dans certains territoires, faisant le lit de certains partis que nous ne soutenons pas.
Certes, le nombre de sous-préfectures demeure inchangé, mais elles sont réduites à peau de chagrin. En 2017, dans 58 sous-préfectures, on comptait moins de 10 emplois. En 2019, elles sont 82 dans cette situation ! On se demande parfois s’il est bon de maintenir ces sous-préfectures croupion.
Nous avons les annonces, mais nous n’avons pas les financements. Cela se terminera par de nouvelles coupes dans le réseau préfectoral et, bien évidemment, par la sollicitation des collectivités territoriales, qui seront mises à contribution. Nous avons parlé de la gendarmerie : combien de collectivités aident aujourd’hui leurs policiers et leurs gendarmes ? Les maisons France Services seront aussi financées par les collectivités locales ! L’État demande aux intercommunalités de financer des emplois sans aucune aide à la clé, tout en reprochant aux collectivités leur mauvaise gestion et en les menaçant de les mettre sous contrat ! Il y a là un paradoxe regrettable, que je suis obligé de dénoncer.
Je ne retrouve pas non plus les priorités affichées par le ministère sur le contrôle de légalité, par exemple, qui connaît une baisse de 8 % des emplois, soit 174 équivalents temps plein (ETP), qui lui sont affectés – peut-être est-ce un problème de contrôle de gestion ou de correction de chiffres précédemment erronés. On ne les retrouve pas davantage pour ce qui concerne l’amélioration des performances des missions de sécurité aux populations.
La modernisation de la délivrance des titres sécurisés est un sujet important à nos yeux. Elle n’est pas, en soi, condamnable, mais les délais demeurent élevés et la réforme a par trop éloigné les citoyens des collectivités. (M. François Bonhomme approuve.) Ce n’est donc pas un succès complet. Nous plaidons vivement pour un mouvement de balancier de l’État vers les collectivités, notamment les plus petites, et pour une approche de proximité.
Par exemple, aujourd’hui, l’État ne traite plus que 5 % des demandes de certificats d’immatriculation, il s’est délesté de la mission. Le reste revient aux opérateurs privés, qui demandent environ 30 euros à leurs clients. Le calcul est simple : avec 11 millions d’euros de cartes grises délivrées par an, ce sont plus de 300 millions d’euros que les Français doivent payer en plus ! Par conséquent, monsieur le ministre, nous vous demandons de veiller à ce que le projet de nouvelle carte d’identité électronique, que l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) doit conduire, respecte parfaitement les principes de droit, mais représente aussi un budget raisonnable pour nos concitoyens.
J’en viens aux crédits du programme 216. L’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) y bénéficie de 30 équivalents temps plein travaillé (ETPT) et les moyens des cabinets des ministres y sont renforcés. Monsieur le ministre, nous demandons plus d’État dans les territoires, pas à Paris !
Pour terminer,…
M. le président. Oui !
M. Jérôme Bascher, au nom de la commission des finances. … la commission des finances est sensible aux perspectives ouvertes par les restructurations des états-majors régionaux, mais déterminée à obvier à toute nouvelle paupérisation de l’État de proximité.
C’est la raison pour laquelle elle n’a pas émis un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission : elle s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée. (M. Antoine Lefèvre applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on m’a alloué un temps de parole de trois minutes… C’est trop ! (Sourires.)
Je me limiterai donc à l’évocation du programme 354, le plus important de la mission. Ce programme résulte de la fusion de l’ancien programme 307, « Administration territoriale », qui rassemblait les moyens des préfectures, des sous-préfectures et des représentations de l’État dans les territoires d’outre-mer, et du programme 333, « Moyens mutualisés des administrations déconcentrées », qui regroupait les crédits des divers ministères supportant notamment les directions départementales interministérielles, les délégations régionales placées sous l’autorité des préfets de région et les secrétariats généraux pour les affaires régionales.
Grâce à ce jeu de bonneteau budgétaire, qui frise, en cette occasion, la perfection, les moyens consacrés à l’administration territoriale apparaîtront en forte hausse à un lecteur un peu rapide, avec 2 460 millions d’euros d’autorisations d’engagement, soit une augmentation de 6,4 %, 2 328 millions d’euros de crédits de paiement, soit une hausse de 6 %, et une augmentation de 4 % des effectifs en ETPT.
Ces augmentations en trompe-l’œil sont l’effet du transfert de moyens existants, jusque-là comptabilisés hors du périmètre du ministère de l’intérieur, au titre des missions interministérielles. Ce petit jeu annuel de brouillage des « périmètres » des missions et des programmes, pour le dire dans le patois des bureaux, ne permet plus au parlementaire ordinaire de suivre les redistributions de crédits. Je rappelle que l’objectif de la LOLF, à en croire l’exposé de ses motifs, était d’« accroître la lisibilité et la sincérité de la loi de finances ».
M. Roger Karoutchi. C’est pas beau, ça ?
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur pour avis. C’est Didier Migaud qui le dit !
Me risquant à analyser l’évolution des effectifs, j’ai constaté que ces derniers, au lieu d’augmenter de 4 %, diminuaient substantiellement. En effet, malgré un transfert apparent de 1 803 ETPT, l’augmentation annoncée pour l’année 2020 ne sera que de 1 096 ETPT. À périmètre constant, les moyens globalement dévolus à l’administration territoriale de l’État baissent donc de 707 ETPT.
En même temps que des moyens nouveaux sont venus renforcer la fonction publique territoriale, d’autres lui ont été retirés : nous atteignons bien des sommets dans l’art du bonneteau budgétaire ! Loin de marquer une rupture, le projet de loi de finances pour 2020 poursuit la politique constante de dissolution de l’administration territoriale de l’État.
Dans ces conditions, vous comprendrez que la commission des lois ait émis un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission, ce à quoi je l’ai vivement encouragée.
M. Roger Karoutchi. Allons bon !
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l’État » enregistrent une hausse importante – environ 40 % –, avec 4 milliards d’euros de crédits de paiement pour 2020. Cette augmentation est cependant en trompe-l’œil – M. le rapporteur pour avis m’a devancé dans l’utilisation de ce terme.
Comme l’a dit Jérôme Bascher, cela est notamment dû au changement de périmètre de la mission. Le programme 333, « Moyens mutualisés des administrations déconcentrées », fusionne avec le programme 307, « Administration territoriale », ce qui élargit la mission dans son ensemble et augmente ses crédits.
Si l’on ne prend pas en compte ces évolutions, l’augmentation du budget de la mission par rapport à 2019 n’est finalement que de 50 millions d’euros. Cette hausse tend principalement à répondre à l’organisation des élections de l’année 2020, particulièrement des élections municipales, qui auront lieu au mois de mars prochain.
Sur le nouveau programme 354, « Administration territoriale de l’État », né de la fusion que je viens d’évoquer, je tiens à aborder plusieurs points qui me paraissent essentiels. Ce programme est fondamental pour les liens entre l’État, les collectivités et les citoyens.
Tout d’abord, je tiens à saluer l’intéressante mutualisation des moyens opérée sur plusieurs programmes. Elle doit se traduire par une amélioration de la qualité des services. J’en profite pour répéter que des services de proximité dont l’accessibilité est facilitée et la qualité renforcée sont un gain inestimable pour nos territoires et nos citoyens.
Ensuite, monsieur le ministre, l’an dernier, je vous ai alerté sur le plan Préfectures nouvelle génération, en vous demandant d’être vigilant quant aux effets de cette réforme d’ampleur. Alors que cette réforme se poursuit, la phase de réduction d’emplois prévue pour les missions non prioritaires est achevée ; elle a été très importante. L’étape de redéploiement des emplois en direction des missions prioritaires n’est, elle, pas terminée. Les ajustements sont en cours. Je souhaite que ces évolutions soient guidées par un souci d’amélioration de la qualité des services.
Je répète que l’institution préfectorale est indispensable à notre pays et aux services rendus à nos concitoyens. La baisse de ses effectifs ne doit pas entraver son action ni accentuer le sentiment d’éloignement de certains territoires très ruraux. L’année dernière, j’ai souligné le rôle du préfet de Maine-et-Loire et son action particulière dans le cadre d’une prise d’otages.
Le PPNG a également permis de remodeler la délivrance des titres tels que les passeports, les cartes nationales d’identité ou encore les permis de conduire. Ce réaménagement a été fortement orienté sur la dématérialisation. Sur ce point, l’entrée du numérique dans les procédures est une bonne nouvelle. Cependant, elle n’est pas tout le temps efficace ; surtout, certains territoires ruraux s’en trouvent défavorisés. Nous devons donc faire attention à ne pas accentuer les fractures entre nos territoires.
Enfin, je souhaite porter la lumière sur un dernier point de ce programme, qui me semble particulièrement important : la baisse du budget du contrôle de légalité et, surtout, du conseil aux collectivités territoriales. Cette activité est pourtant nécessaire pour nos territoires, surtout pour les communes dont les ressources financières sont tellement faibles qu’elles ne leur permettent pas de faire face à certaines difficultés d’ordre juridique.
Concernant les autres programmes, le budget du programme 232, « Vie politique, cultuelle et associative », prévoit une enveloppe de 132 millions d’euros réservée aux élections municipales. Les montants alloués au soutien aux formations politiques restent les mêmes, ce qui est récurrent.
Quant au programme 216, « Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur », il bénéficie de l’augmentation importante des crédits alloués à la mission, notamment en raison de la création de nouvelles directions et agence.
Un budget cohérent et raisonnable est positif à la fois pour l’État et pour les collectivités territoriales, surtout lorsque son périmètre s’élargit. La place centrale du corps préfectoral doit être accompagnée de moyens suffisants afin de permettre une déconcentration efficace. À cet égard, monsieur le ministre, on peut difficilement aller plus loin dans la diminution des moyens des préfets sur le terrain.
Nous allons être saisis de cette question prochainement. Il est d’autant plus important de réaffirmer que l’État doit rester un partenaire important des collectivités territoriales et, ainsi, de tous les Français.
Tout en restant vigilants, les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront les crédits alloués à la mission « Administration générale et territoriale de l’État ». (M. Julien Bargeton applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’instar de mes collègues, notamment des territoires ruraux, je ne peux évidemment que déplorer la baisse des effectifs des réseaux préfectoraux et le transfert vers les communes et les intercommunalités d’un certain nombre de services publics.
Comme M. le rapporteur pour avis, je suis réservée sur les maisons de services au public (MSAP) et encore plus sur les maisons France Services annoncées par le Gouvernement. Au reste, cette annonce n’a rien d’extraordinaire, puisque c’est la suite d’un processus déjà engagé.
Cependant, monsieur le ministre, je veux, une fois de plus, appeler votre attention sur la réalité des territoires ruraux et des territoires fragiles. L’illettrisme numérique n’est pas qu’une jolie expression : c’est une réalité. Les publics fragiles, notamment les personnes âgées, sont victimes d’une double peine résultant de la dématérialisation rapide et systématique de nombreuses procédures et des formalités administratives ainsi que de l’absence de mobilité d’un certain nombre de territoires. Vous ne pouvez donc, comme nombre d’entre nous, qu’être inquiet de la situation.
Je centrerai maintenant mon propos sur la fraude documentaire.
Ce budget englobe les crédits relatifs à la délivrance des titres sécurisés. M. le rapporteur spécial consacre de longs développements à la sécurisation de la chaîne de délivrance de ces titres, ainsi qu’à la lutte contre la fraude documentaire.
Je tiens à vous faire part des observations qui m’ont été faites, par exemple par la police aux frontières, dans le cadre de la mission qui m’a été confiée par le Premier ministre sur la fraude sociale, notamment sur le système de communication électronique des données de l’état civil (Comedec).
Lors de son audition, le 26 juin dernier, Jean Michel Brevet, chef de la division de l’expertise en fraude documentaire, relevait les failles de ce système : « Un autre problème particulièrement répandu en France est aussi la détention frauduleuse d’un document authentique sur la base de faux justificatifs. C’est un point faible à la fois pour les titres de séjour et à la fois pour les documents français. Pour les titres de séjour, on n’a jamais voulu imposer de modèle type d’acte sécurisé. Le code civil prévoit les mentions obligatoires mais pas le format. »
Monsieur le ministre, je profite de mon intervention pour vous proposer d’établir un formulaire Cerfa pour les actes d’état civil. En effet, si les contenus sont identiques d’une mairie à l’autre, il n’en va pas de même des formats des documents. Il serait donc bon de disposer de titres sécurisés.
Qui se connecte à Comedec ? Les 600 communes qui ont une ou plusieurs maternités sur leur territoire et les notaires. Les caisses de sécurité sociale commencent à le faire, mais pas de façon régulière. Nous avons des progrès à faire en la matière, ainsi que sur la sécurisation des justificatifs de domicile.
L’utilisation du cachet électronique visible, qui est un excellent moyen de lutter contre la fraude documentaire, se multiplie, notamment pour un certain nombre de factures, mais aussi, dans certains ministères, comme au ministère de l’économie et des finances, pour les bulletins de salaire. Il faut suivre cette voie.
J’évoquerai également le problème de la fraude documentaire des personnes qui viennent en France.
Dans un certain nombre de pays africains, des initiatives ont récemment été prises pour construire des systèmes d’état civil. Ainsi, le Parlement du Burkina Faso a conclu avec le groupe d’amitié du Sénat une feuille de route pour élaborer un tel système. Au Tchad, qui compte 14,9 millions d’habitants et 450 000 naissances par an, l’Unicef évalue le nombre des enfants enregistrés à un sur dix, ce qui est extrêmement peu ! Le Niger, dont la population atteint 21,4 millions d’habitants, s’est doté, le 29 avril dernier, d’une loi portant régime de l’état civil et d’un document de la politique nationale de l’état civil.
Un état civil qui n’est pas fiable pose évidemment des problèmes récurrents : les noms peuvent être tronqués ou falsifiés.
Monsieur le ministre, il faudrait engager avec les pays concernés, notamment ceux d’Afrique de l’Ouest, une politique ambitieuse de lutte contre la fraude documentaire. C’est un véritable sujet, qui n’est pas sans lien avec notre propre sécurité. L’Unicef et l’Union africaine s’en préoccupent.
Cela, le groupe Union Centriste votera ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Harribey.
Mme Laurence Harribey. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au travers de la mission « Administration générale et territoriale de l’État », le ministère de l’intérieur met en œuvre trois de ses responsabilités fondamentales : garantir l’exercice des droits des citoyens, assurer la présence et la continuité de l’État sur le territoire, mettre en œuvre à l’échelon local les politiques publiques nationales. De fait, cette mission interroge les moyens que se donne l’État pour répondre à un double enjeu : celui de la démocratie et celui de la proximité.
S’agissant des moyens, la mission change d’échelle, avec une augmentation a priori de ses crédits de 50 %, mais, pour reprendre l’expression précédemment utilisée à cette tribune, il s’agit d’une présentation en trompe-l’œil, puisque la hausse résulte du transfert d’un programme qui était précédemment sous la responsabilité du Premier ministre. Comme l’a souligné M. le rapporteur pour avis, la lisibilité, qui est pourtant une exigence constitutionnelle, n’en est pas facilitée.
Au-delà de cette vision faussée par le réaménagement du périmètre de la mission, ce qui nous interroge, c’est la partie de la mission qui concerne directement les territoires. Nous estimons qu’elle confirme l’érosion des moyens consacrés à l’administration territoriale de l’État.
L’administration territoriale de l’État est désormais concernée par le cadre du programme de réformes « Action publique 2022 », qui vise à dessiner une nouvelle organisation déconcentrée. S’il est prévu un mouvement de balancier vers les départements, des efforts budgétaires importants sont demandés aux administrations déconcentrées. Certes, l’État doit se recentrer et en finir avec un réflexe « touche-à-tout », dont il n’a plus les moyens – nous sommes tous d’accord sur ce point –, mais il ne peut pour autant se désengager complètement des territoires au prétexte d’une dématérialisation, qui accroît le sentiment d’éloignement de l’administration à l’égard de nos citoyens.
Nous considérons que la dématérialisation des procédures est indispensable. Toutefois, le baromètre du numérique indique qu’un Français sur trois n’a pas eu recours à l’e-administration en 2017. Pour sa part, France Stratégie évalue à 14 millions le nombre de Français éloignés du numérique.
C’est bien parce qu’il est nécessaire de prendre en compte la fracture numérique et « l’illectronisme », au regard du principe républicain d’égalité devant le service public, que la stratégie nationale pour un numérique inclusif a été actée en 2018. Il serait d’ailleurs opportun que nous disposions d’une évaluation de cette démarche.
Dans le même ordre d’idées, avec les maisons France Services, une nouvelle labellisation, s’appuyant principalement sur les maisons de services au public (MSAP), est créée, notamment dans la perspective d’un service public 100 % dématérialisé. Très sincèrement, nous ne pouvons pas croire que ces nouvelles maisons, qui ne le sont pas vraiment, puisque les premières qui ont été labellisées sont en fait des structures déjà financées en partie par les départements et les collectivités territoriales, servent de prétexte au délestage de l’État, notamment de la direction générale des finances publiques (DGFiP), sur les collectivités locales, alors qu’est affirmé un « nouveau modèle d’accueil de proximité de l’État ». Là encore, l’avenir nous dira ce qu’il en est.
La mission aborde également la question du rapport entre l’État et les collectivités locales. Il ressort que des efforts budgétaires sont demandés, notamment sur le contrôle de légalité et le conseil aux collectivités. Malgré le resserrement des actes à transmettre au contrôle de légalité, quelles seront les conséquences de l’extension du rescrit administratif aux collectivités prévue dans le projet de loi Engagement et proximité ?
De même, l’affectation de 30 équivalents temps plein à la future Agence nationale de la cohésion des territoires nous laisse quelque peu songeurs.
La question que nous posions l’année dernière reste d’actualité : quelle est la doctrine territoriale de l’État ? Il ne nous reste plus qu’à espérer que le projet de loi dit 3D – décentralisation, différenciation, déconcentration – nous apportera les éclaircissements nécessaires. À nos yeux, la présence dans les territoires est fondamentale.
Je ne saurais conclure mon propos sans évoquer l’amendement que le groupe socialiste et républicain a déposé. Cette mission budgétaire a notamment pour objet de mettre en œuvre la responsabilité que constitue la garantie de l’exercice des droits des citoyens. Pour ce qui nous concerne, nous pensons qu’il est essentiel de faire connaître ces derniers. À cet égard, il serait légitime que des moyens soient déployés pour faire connaître le référendum d’initiative partagée, notamment celui sur la privatisation d’Aéroports de Paris, et les droits constitutionnels qui s’y rattachent.
En outre, à la suite de notre saisine de la Commission nationale du débat public (CNDP), il nous semble nécessaire de prévoir les crédits que requiert l’organisation d’un débat public autour de ce référendum. Nous estimons que celui-ci coûterait un peu moins que le grand débat. Dès lors, je suis convaincue que le Gouvernement ne saura nous trouver trop dispendieux ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)