M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Sécurités » et du compte d’affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ».
Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.
Immigration, asile et intégration
M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » (et articles 76 nonies et 76 decies).
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’article 24 de la Constitution dispose que le Parlement vote la loi, contrôle l’action du Gouvernement et évalue les politiques publiques. En matière d’immigration, d’asile et d’intégration, il ne faut pas y compter : le Parlement doit voter à l’aveuglette, en se fondant sur des chiffres éparpillés dans de multiples missions, souvent artificiellement minorés ou majorés.
Plutôt que de parler d’informations sans valeur, je voudrais donc profiter de ces quelques minutes pour quitter les chiffres et les détails techniques, et revenir aux principes.
Le président Macron s’inquiétait récemment, dans Valeurs actuelles, de « l’échec de notre modèle » d’intégration. Pourtant, jamais les entrées légales sur notre territoire n’ont été aussi nombreuses, jamais le nombre des expulsions n’a été aussi bas,…
M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial. … et jamais on n’a envoyé un tel message de laxisme, en relaxant la plupart des passeurs d’immigrés clandestins, tout en condamnant à de la prison ferme les jeunes militants de Génération identitaire pour une fermeture symbolique des frontières françaises.
M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial. Nous arrivons ici aux limites du « en même temps » cher au chef de l’État.
À force de ne pas vouloir choisir, nous nous sommes enfoncés dans une impasse, et les risques de partition évoqués par François Hollande ou les risques de face-à-face violent envisagés par Gérard Collomb deviennent chaque jour plus vraisemblables.
La première chose à faire, c’est évidemment de revenir à l’honnêteté et à la clarté.
L’honnêteté, tout d’abord : il n’est pas admissible que la représentation nationale débatte dans un flou si peu artistique.
Comme les années précédentes, les chiffres dont nous disposons pour cette mission sont notoirement biaisés. En l’absence de données consolidées, la réalité nous échappe, et l’État est impuissant, comme nous le sommes dans notre mission de contrôle.
Un seul exemple de cette réalité, glané dans le rapport de nos collègues députés Kokouendo et Cornut-Gentille : j’y ai découvert que la population de clandestins en Seine Saint-Denis variait, selon les estimations, de 150 000 à 400 000 personnes !
C’est au nom d’une conception angélique des droits de l’homme que nous nous interdisons toute connaissance précise des réalités démographiques et, a fortiori, des coûts sociaux, économiques, culturels et politiques de l’immigration. Ce qui est certain, en tout cas, c’est que l’ensemble de ces coûts représente, comme dirait notre Président, un « pognon de dingue ».
La clarté, ensuite. Nous avons besoin d’une politique migratoire claire et compréhensible par tous, Français comme étrangers. Comment comprendre que, en quelques mois, nous soyons passés du pacte de Marrakech et de son droit illimité pour tous à émigrer à un discours de fermeté, sans jamais remettre en cause ledit pacte ?
Au-delà de la clarté et de l’honnêteté, deux vertus manquent cruellement pour que ce budget ait la moindre chance de répondre aux légitimes attentes de nos compatriotes : la cohérence et le courage.
Je commencerai par la cohérence : qui d’entre vous, mes chers collègues, pourra m’expliquer comment nous allons atteindre l’objectif que s’est assigné le chef de l’État – tous les déboutés du droit d’asile, je dis bien 100 % d’entre eux, sont censés être reconduits à la frontière –, alors que notre mission voit les dépenses liées à ces reconduites à la frontière diminuer ?
Cette diminution intervient, de surcroît, au moment même où la France devient le premier pays d’Europe pour les demandes d’asile, tant notre système est généreux avec l’argent de ces contribuables à qui nous demandons « en même temps » de se serrer la ceinture et d’accepter sans rien dire la préférence étrangère.
Je fais partie, mes chers collègues, de ceux qui pensent, comme des hommes politiques aussi différents que Valéry Giscard d’Estaing, Georges Marchais ou Jacques Chirac, qu’il faut non seulement arrêter l’immigration illégale, bien sûr, mais aussi réduire drastiquement les plus de 400 000 entrées légales.
Cependant, le plus impardonnable pour des responsables politiques, c’est le manque de courage. Il n’y a, en réalité, pas de politique migratoire en France, pas de volonté réelle de contrôler nos frontières ni d’intégrer les étrangers ou les Français récemment naturalisés sur notre sol.
Allons-nous donc poursuivre notre absence de politique migratoire, refusant de regarder en face le tragique de l’histoire et oubliant délibérément ce qu’il en a coûté à nos aïeux de nous léguer un grand pays, libre et rayonnant sur le monde ? Ou bien allons-nous nous montrer enfin dignes de ces aïeux et dire calmement, mais fermement, aux nouveaux venus à quelles conditions ils peuvent entrer chez nous, à quelles conditions ils peuvent devenir Français et expulser sans faiblir tous ceux qui refusent de se plier à nos lois et à nos mœurs ?
Puisque j’évoque devant vous nos aïeux, je voudrais finir en parlant du temps long, celui de l’histoire. Je vous le demande, mes chers collègues, dans quelle situation notre pays se trouvera-t-il dans dix, vingt ou cinquante ans si nous renonçons à affronter cette grave question migratoire qui se présente à nous ? Pensez-vous que ce sera toujours la France, de Louis XIV, de Napoléon ou de Charles de Gaulle ? La réponse, hélas, est dans la question !
Comme patriote français, comme parlementaire, j’ai honte de vous présenter aujourd’hui, mes chers collègues, un rapport sur une mission aussi manifestement mensongère. En attendant, je vous invite naturellement à rejeter le budget de la mission dite, par antiphrase, « Immigration, asile et intégration ». (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Pierre Sueur. C’est très nuancé !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ferai quelques observations dans ce délai très court.
L’avis de la commission des lois sur les crédits de cette mission est défavorable, mais cela s’explique. Nous constatons objectivement que les crédits ont augmenté de plus de 9 %. Nous en prenons acte.
La question était de savoir ce qui justifiait une telle augmentation. Elle sert en réalité principalement à apporter un soutien à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) et à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Ce dernier a besoin de renforts – plus de 205 emplois –, tout comme la CNDA. Cette dernière doit en effet tenir ce fichu délai de deux mois pour l’instruction des dossiers… Cela sera-t-il possible ? Nous verrons bien, mais n’y croyons pas.
En tout état de cause, nous nous interrogeons sur deux sujets.
Premièrement, en ce qui concerne l’allocation pour demandeur d’asile (ADA), on ne comprend pas que le budget prévu pour 2020 soit de 444 millions d’euros, alors que la consommation pour l’année 2019 est à plus de 509 millions d’euros. Par quel hasard aurions-nous moins besoin d’attribuer l’ADA en 2020 qu’en 2019 ? Vous pariez sur le fait qu’il n’y aura pas de demandeurs d’asile supplémentaires en 2020. C’était déjà le calcul du Gouvernement l’année dernière. Or nous avons enregistré une hausse de 12 %, soit plus de 134 000 demandes. Il y a donc là une véritable incohérence.
Deuxièmement, en ce qui concerne la lutte contre l’immigration irrégulière, vous faites le pari – nous voudrions être d’accord avec vous – qu’il faut augmenter les retours vers les pays d’origine, notamment en passant à 50 % et à 60 % des personnes placées en centre de rétention administrative. Toutefois, alors que le nombre des obligations de quitter le territoire français (OQTF) prononcées est en forte progression, le budget consacré à cette action est en baisse : où est la cohérence ?
M. François Bonhomme. On la cherche !
M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis. C’est notamment en raison de ces deux incohérences que la commission des lois n’a pu qu’émettre un avis défavorable sur les crédits de cette mission.
Il me reste treize secondes pour informer la Haute Assemblée que, au-delà de l’avis donné, purement financier, nous avons réalisé un travail sur la fraude documentaire, sujet extrêmement intéressant. Ayant désormais dépassé mon temps de parole, je vous invite, mes chers collègues, à lire le rapport que nous avons publié ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le contexte de contrainte budgétaire, auquel nous sommes désormais malheureusement habitués, n’a pas empêché le Gouvernement d’augmenter, pour la troisième année consécutive, les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ». Ils s’établiront donc cette année à 1,8 milliard d’euros, en croissance de près de 130 millions d’euros, soit une augmentation de 8 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2019.
Ces moyens supplémentaires permettront d’atteindre les objectifs fixés par le Président de la République et le Premier ministre. Ils s’inscrivent dans le cadre des débats sur l’immigration qui se sont tenus le 7 octobre dernier à l’Assemblée nationale, puis le 9 octobre au Sénat ; soit un an après la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, dite « loi asile et immigration », laquelle est aujourd’hui pleinement entrée en application.
Parallèlement, des mesures ont été annoncées par le Gouvernement le 6 novembre dernier dans le cadre du comité interministériel sur l’immigration et l’intégration.
Pour tenir compte de l’accroissement des demandes d’asile, ce budget, qui vise la réduction des délais d’instruction à six mois des demandes d’asile de ressortissants de pays sûrs, prévoit une augmentation significative des effectifs de l’Ofpra et de la Cour nationale du droit d’asile.
Il vise à renforcer également les capacités d’hébergement des demandeurs d’asile, car la constitution de campements insalubres de personnes migrantes dans le nord-est de Paris, que vous vous êtes engagé, monsieur le ministre, à évacuer d’ici à 2020, traduit aujourd’hui les dysfonctionnements de notre système d’hébergement et d’asile.
Concernant la lutte contre l’immigration clandestine, s’il est vrai que les crédits qui y sont consacrés diminuent, cette baisse est à nuancer : nous le savons bien, ces crédits ne recouvrent pas la totalité des dépenses de l’État engagées dans ce domaine, lesquelles figurent également dans d’autres programmes.
Enfin, permettre l’intégration des personnes que nous avons choisi d’accueillir dans notre pays est primordial. Cette hausse de 30 millions d’euros par rapport à l’année dernière permettra d’augmenter sensiblement le nombre d’heures d’enseignement de français et d’instruction civique, ainsi que les moyens dévolus à l’insertion professionnelle. Nous le savons tous, la maîtrise de la langue et l’emploi sont les fondements d’une intégration réussie.
Je ne puis m’exprimer sur ce budget sans évoquer la situation dans mon département, qui, comme vous le savez, est fortement frappé par l’immigration illégale. La politique menée actuellement par le Gouvernement commence à produire des résultats encourageants, après des années d’incurie durant lesquelles les Mahorais étaient désespérés de constater que l’État avait pratiquement baissé les bras dans la lutte contre l’immigration clandestine.
Le plan civilo-militaire de lutte contre l’immigration clandestine, dit « Shikandra », du nom d’un poisson qui mord quand on s’approche de son nid (Sourires.), traduit l’engagement pris par le Président de la République le 1er février 2019, lors du grand débat national à l’Élysée en présence des élus ultramarins.
Lancée en août dernier par la ministre des outre-mer et par le ministre de l’intérieur, cette opération visait à atteindre les 25 000 reconduites à la frontière avant la fin de l’année 2019. Au 1er octobre, 22 000 reconduites avaient d’ores et déjà été réalisées.
Conscient que cette immigration massive traduit un profond déséquilibre économique, le Gouvernement s’est également engagé à soutenir l’Union des Comores sur les questions de santé, d’éducation et d’agriculture en échange d’un réel effort dans la lutte contre les filières d’immigration et de traite d’êtres humains.
Aussi, la première réunion du comité franco-comorien de haut niveau chargé d’assurer le suivi de la mise en œuvre du document-cadre s’est tenue les 20 et 21 novembre dernier à Moroni.
Récemment, dans un entretien du 13 novembre sur une chaîne de télévision française, le Président de l’Union des Comores a rejeté l’affirmation du Président de la République qui, en déplacement à Mayotte, rappelait que l’île était française.
À cette même occasion, le Président comorien a déploré l’expulsion des immigrants illégaux depuis Mayotte vers les Comores. Il ne peut s’agir, à mon sens, que d’une posture, car le président Azali Assoumani sait bien que les termes de cet accord ne valent que si les engagements sont réciproques.
Je dirai enfin quelques mots sur la situation migratoire de la Guyane, qui est également préoccupante. Elle a fait l’objet d’une récente mission de la commission des lois. Des expérimentations intéressantes sont en train d’être menées sur place, notamment sur le traitement de l’asile et sur la réorganisation de nos forces de sécurité. La commission des lois remettra un rapport en janvier prochain. Je vous invite d’ores et déjà, monsieur le ministre, à y être attentif.
Pour finir, ce budget nous semble allier fermeté et humanité. C’est la raison pour laquelle le groupe La République En Marche approuvera les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants et RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, peu avant son élection à la présidence de la République, le candidat Macron louait la politique migratoire de Mme Merkel, qui avait « sauvé la dignité de l’Europe ».
Par la suite, les accents humanistes utilisés sur la question de l’asile ont été remplacés par des gages à peine voilés aux populistes.
M. François Bonhomme. Cela commence bien !
Mme Esther Benbassa. La première étape de cette évolution a bien évidemment été la loi « asile et immigration ». Depuis lors, les discours ambigus ont été multipliés et on parle désormais de quotas migratoires. La mission « Asile, immigration et intégration », telle qu’elle nous est présentée aujourd’hui, n’est d’ailleurs pas de nature à nous rassurer.
En 2018, quelque 2 260 migrants sont morts noyés en Méditerranée. L’horreur que doit susciter ce chiffre devrait nous inciter à adopter des orientations financières diamétralement opposées aux PLF votés ces dernières années.
Pourtant, le budget qui nous est soumis est particulièrement déséquilibré, tant la part belle y est faite au financement de la lutte contre l’immigration irrégulière, au détriment de l’intégration et de l’accès à la nationalité française.
Le Gouvernement fait tout pour décourager les exilés de venir en France alors que ceux-ci fuient la guerre, la famine, les instabilités politiques et parfois même les dérèglements climatiques.
Monsieur le ministre, une fois de plus – c’est le cas depuis 2015 –, vous minorez le nombre de migrants qui vont arriver sur notre territoire. De ce fait, les crédits de cette mission sont parfaitement sous-budgétisés.
Vous revendiquez une politique migratoire dissuasive et inhumaine : ainsi, alors que près de 2 000 exilés sont sans logement dans la capitale, vous ne souhaitez pas créer de nouvelles places d’accueil en 2020. Dans le même temps, vous investissez 41,2 millions d’euros dans la création de centres de rétention administrative neufs, tout en refusant d’augmenter les budgets des prises en charge et d’accompagnement social des personnes retenues.
Voilà qui en dit long sur votre volonté d’expulser et d’enfermer, plutôt que d’accueillir et d’intégrer. Finalement, la seule donnée positive de ce PLF est l’augmentation du budget de l’Ofpra, à hauteur de 20 millions d’euros. C’est une disposition qui avait par ailleurs été demandée l’an passé par le groupe CRCE. M. Nunez nous avait alors opposé un refus catégorique.
Ce budget est donc bien insuffisant ! Et il ne vient certainement pas rompre avec le désengagement de l’État, qui oblige les associations à compenser l’inaction des pouvoirs publics.
Mme Esther Benbassa. Ainsi, je vous le demande, monsieur le ministre : à quand une politique migratoire digne, capable de répondre à cette crise de l’accueil ?
À quand des places supplémentaires ouvertes aux primo-arrivants dans les centres d’accueil de demandeurs d’asile (CADA), afin de contrer la création de nouveaux camps de fortune dans nos rues ?
À quand une aide juridique effective pour tous ces requérants, qui sont pris au dépourvu devant la complexité des procédures de l’Ofpra ?
À quand une revalorisation de l’ADA et un meilleur accompagnement des migrants vers l’emploi ?
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, nous ne cautionnons pas votre politique inique. En cohérence avec ses convictions, le groupe CRCE ne saurait voter ces crédits. Nous ne voulons ni de quotas de migrants économiques, ni de l’enfermement d’enfants dans les camps, ni de la répression des migrants aux frontières, ni de votre budget insincère !
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « entre 2014 et 2019, les crédits affectés aux mesures d’éloignement des étrangers en situation irrégulière ont ainsi connu une progression limitée à 37,5 %, alors que la demande d’asile a quasiment doublé – +92,5 % ». Ce sont les dernières lignes du rapport sur la mission dont nous examinons les crédits. Je crois qu’il faut être vigilant et peut-être un peu plus nuancé.
On pourrait croire que les crédits affectés aux mesures d’éloignement et le nombre de demandes d’asile sont liés alors qu’il s’agit pourtant de deux choses assez différentes. De ce fait, sur le sujet, la confusion quant aux notions de réfugiés, d’immigrés et d’étrangers est assez répandue.
Il faut que nous prenions garde à ne pas entretenir cette confusion – ce n’est pas si simple – et à ne pas faire le jeu des populistes. Pas de confusion, mais pas d’angélisme pour autant : telle est la position du groupe Les Indépendants.
Le sujet de l’immigration est une préoccupation majeure pour nos concitoyens, comme il l’est pour les Européens dans leur ensemble. Nous avons déjà eu l’occasion de rappeler que les réformes se sont succédé sur le sujet sans parvenir à apporter de solutions durables.
Les migrations sont des phénomènes internationaux qui dépassent les seules sphères nationales. Il nous semble donc que c’est à l’Europe de se charger de la gestion des flux migratoires. Nous regrettons qu’elle n’ait pour le moment ni le mandat de remplir cette mission ni les moyens de le faire.
L’espace Schengen est une chance pour tous les Européens. La liberté de circulation des individus, des marchandises et des capitaux a contribué à faire de notre continent un continent de paix et de prospérité. Cette liberté, qui fait notre force, ne doit pas se transformer en faiblesse.
Il faut pour cela que l’Union se dote des moyens pour assurer le contrôle de ses frontières. L’augmentation du nombre d’agents Frontex y participe, mais elle est trop lente.
Nous appelons aussi de nos vœux un changement de mentalités. L’Europe ne doit plus sous-traiter le contrôle de ses frontières. Nous avons vu que le refus d’assumer cette mission rend l’Europe vulnérable au chantage. Le comportement du président Erdogan en la matière est inacceptable. Nous ne pouvons tolérer d’être les otages de la Turquie, comme de tout autre pays.
Le contrôle des frontières est une action qui nécessite parfois l’emploi de mesures coercitives. Quand certains seraient tentés de détourner le regard, il nous faut nous rappeler qu’il est nécessaire d’exercer cette mission et l’assumer. Il y va de notre souveraineté et de notre indépendance.
La France doit prendre sa part, et nous saluons l’augmentation de plus de 7 % des crédits de la mission. Nous avons intérêt, tout comme les étrangers qui arrivent sur notre territoire, à ce que l’État consacre les moyens nécessaires au contrôle de l’immigration, pour que celui-ci se fasse dans les meilleures conditions.
Les demandes d’asile, comme les deux rapporteurs l’ont rappelé, augmentent. Elles doivent être traitées dans les meilleurs délais, pour que les demandeurs qui ont vocation à en bénéficier puissent rester sous notre protection et que les autres quittent rapidement le territoire national. L’augmentation de 25 % des effectifs de l’Ofpra nous semble ainsi aller dans le bon sens. Nous regrettons en revanche la stagnation des crédits alloués à la lutte contre l’immigration irrégulière. Il nous semble en effet que c’est une priorité.
Depuis trop longtemps maintenant, le taux d’exécution des obligations de quitter le territoire est inférieur à 25 %. Ce n’est pas acceptable. Quel message envoie-t-on en acceptant la violation de la très grande majorité des OQTF ? « Faire des lois et ne pas les exécuter, c’est autoriser ce que l’on veut interdire », disait Richelieu.
M. François Bonhomme. Cela n’a pas changé !
M. Emmanuel Capus. En conclusion, nous ne souhaitons pas que la France se replie sur elle-même. Nous la voulons tournée vers le monde et vers l’échange. Mais nous souhaitons que cette ouverture soit encadrée par le strict respect de la loi. Il nous semble que c’est ainsi que nous pourrons faire face aux défis de l’immigration et de l’intégration : donnons-nous les moyens d’appliquer les lois.
C’est la raison pour laquelle, compte tenu des réserves que j’ai formulées, mais aussi de l’augmentation des crédits, le groupe Les Indépendants votera ces crédits. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à mon sens, le sujet du droit d’asile et de l’immigration n’est pas un sujet franco- français. C’est au contraire clairement une question de nature européenne. Je le dis sans vouloir faire une pirouette par rapport à M. le ministre : le volet budgétaire sur cette question est selon moi secondaire. Le cœur du débat concerne la manière dont, de façon concertée, les Européens sont et seront en mesure de faire face aux enjeux.
Mon groupe souhaite être une force de proposition pour combattre le sentiment d’impuissance de l’État, qui est grave pour nos concitoyens, en matière de droit d’asile et de migration. Il s’agit de sujets qui touchent à l’essentiel, c’est-à-dire à la souveraineté et par conséquent à l’État.
Cela signifie pour nous que, sur le terrain du droit d’asile, lorsque nous disons oui, c’est oui, et lorsque nous disons non, c’est non ! Nous avons apprécié la volonté du Premier ministre il y a quelques semaines d’ouvrir un débat devant la représentation parlementaire sur ces questions.
À ce titre, mon groupe a formulé des propositions que je rappellerai très rapidement. Ce sont elles qui me conduisent à souligner, comme je l’ai précisé il y a un instant, que si l’approche budgétaire est nécessaire – c’est bien l’objet de nos discussions en loi de finances –, elle n’est pas primordiale, le premier élément, à notre sens, concernant la construction d’un droit européen de l’asile a minima convergent et si possible harmonisé.
Nous sommes très favorables, ce qui sera complexe à mener à vingt-huit, à une modalité dite de « coopération renforcée », qui nécessite a minima neuf pays. Nous sommes également très favorables à la renégociation de l’espace Schengen et à l’interopérabilité des systèmes d’information au sein des problèmes budgétaires.
J’insiste sur ces questions numériques : rien n’est réglé en cette matière, entre le système d’information Schengen (SIS), le système d’information sur les visas (VIS), le système entrée-sortie (EES), le système Eurodac, le système européen d’autorisation et d’information concernant les voyages (Etias) ou le système européen d’information sur les casiers judiciaires (Ecris). En d’autres termes, si l’on veut vraiment avancer sur ce sujet, le meilleur service que l’on puisse rendre à notre pays ou à l’Europe est d’avoir une interface de recherche unique.
Nous souhaitons également une simplification du droit de l’éloignement. Selon nous, c’est ce qui manquait de façon caricaturale à la loi « asile et immigration », présentée par votre prédécesseur, monsieur le ministre. Nous saluons à cet égard l’initiative du Premier ministre de faire appel au Conseil d’État, qui dispose d’une expertise évidente en matière de droit de la nationalité sur cette question des étrangers.
J’ouvre une parenthèse, qui a aussi une signification budgétaire, sur l’augmentation des requêtes devant les juridictions administratives depuis trois ans – +38 000 requêtes –, dont 35 000 relèvent du droit des étrangers. Voilà très clairement pourquoi nos capacités de traitement du contentieux administratif sont actuellement saturées !
Il y a, bien sûr, la question de la coopération avec les pays d’origine, toutes les questions politiques de droit des visas, sans parler de la question des quotas sur laquelle nous avons tous noté les évolutions récentes du Gouvernement au regard des vingt mesures qui ont été annoncées.
Pour terminer avec les questions budgétaires, puisque je n’oublie pas que nous examinons un projet de loi de finances, l’augmentation importante – +7,88 % – des moyens sur le programme 303, « Immigration et l’asile », paraît aller dans le bon sens. C’est une augmentation qui n’avait pas été constatée dans le passé sur les modalités d’intégration – François-Noël Buffet est souvent intervenu sur cette thématique.
Tout cela est intéressant en matière de nationalité. Il en est de même en ce qui concerne le plan d’investissement sur les compétences, l’intégration par le travail ainsi que l’élévation de compétence sur la pratique du français.
J’aurais mauvaise grâce d’oublier l’augmentation des moyens accordés à l’Ofpra. Ils sont considérables : +200 postes ! Je ne sais pas, mes chers collègues, si vous connaissez beaucoup d’agences ou d’autorités administratives indépendantes qui bénéficient d’un tel renforcement.
Je terminerai en évoquant la question qui a quelque peu irrité un certain nombre de mes prédécesseurs, à savoir la réduction des crédits en matière de lutte contre l’immigration irrégulière. Le débat, ici, concerne le taux d’exécution des éloignements. J’espère avoir une réponse de votre part, monsieur le ministre, sur cette question : les motifs de non-exécution des mesures l’éloignement sont-ils relatifs à des problèmes de visa et de non-coopération ou sont-ils également liés à des problèmes financiers ?
S’il existait des problèmes financiers, mon appréciation serait quelque peu différente à l’égard d’un budget qui, par ailleurs, me paraît aller très clairement dans le bon sens. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)