M. Philippe Dominati. Mes chers collègues, vous le savez : dans quelques jours, des élections auront lieu en Grande-Bretagne. Or, du côté de l’opposition, le leader travailliste a affolé les milieux économiques ce matin en proposant de porter de 19 % à 25 % le taux d’impôt sur les sociétés…
Dans le même temps, nous constatons sur ce sujet un renoncement de la part du gouvernement français. Et pour ma part moi, je voudrais aider le Président de la République à tenir ses engagements… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Oh oui, il faut l’aider !
M. Philippe Dominati. Madame la secrétaire d’État, alors que M. Macron a fixé un cap pour la durée du quinquennat, l’on renonce aujourd’hui à baisser le taux d’impôt sur les sociétés à 28 %. Dites-moi qui, au Gouvernement, veut à tout prix se situer bien plus à gauche que Jeremy Corbyn ? Je n’ose pas imaginer que ce soit vous. Est-ce Bruno Le Maire ? Est-ce le chef du Gouvernement ? (Mme la secrétaire d’État sourit.)
Il y a quelques jours, je vous ai interrogée quant au choix de la ville d’Amsterdam, que l’État, en tant qu’actionnaire, a fait pour une entreprise. À ce sujet, on a pu observer que, dans la plupart des pays européens, le taux de l’impôt sur les sociétés était – évidemment ! – bien plus bas qu’en France.
Lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait fixé comme objectif la baisse de l’impôt sur les sociétés. Il y va de l’attractivité et de la compétitivité de notre pays. C’est pourquoi j’ai à cœur que son engagement soit tenu, au moins pour cette année.
Les Pays-Bas ont un autre atout majeur : la stabilité fiscale, qui est nécessaire à la compétitivité des grandes entreprises. Or, en France, la stabilité fiscale n’existe pas : en l’espace de trois mois, le Gouvernement a changé deux fois d’avis, tout d’abord au sujet du taux de l’impôt sur les sociétés, ensuite sur la nécessité de se rapprocher, en la matière, de la moyenne européenne.
Étant donné ce que M. le rapporteur général et vous-même venez de dire, je ne doute pas que vous approuverez cet amendement ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Et des deux mains !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Mes chers collègues, nous ne pouvons qu’approuver l’analyse de Philippe Dominati.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. D’ailleurs, souvenez-vous ce que j’avais annoncé lors de la création de la taxe GAFA. Le Gouvernement nous assurait que cette exception serait la dernière et qu’il allait continuer à baisser l’impôt sur les sociétés.
Bruno Le Maire nous l’a certifié dans cet hémicycle même. Mais, dans les faits, le Gouvernement avait déjà renoncé à cette baisse supplémentaire pour les plus grandes entreprises.
M. Jérôme Bascher. Exact !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. La trajectoire des finances publiques le trahissait dès cette époque. Il n’était donc pas nécessaire d’être devin pour prédire ce qui se passe aujourd’hui. Malgré les dénégations, on savait très bien ce qui allait se produire.
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Dans un esprit d’ouverture au monde, plusieurs pays d’Europe du Nord, comme la Suède, le Danemark et leurs voisins, sont, à l’instar du Royaume-Uni, engagés dans la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés. Mais, en France, ce débat prend une tournure un peu particulière cette année.
A-t-on voulu détourner l’attention générale en allumant un contre-feu ? On annonce tout à coup un grand débat sur les impôts de production, qu’il serait urgent de baisser. Bizarrement, cette petite musique met en cause les collectivités territoriales…
M. Philippe Dallier. Joli tour de passe-passe !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. On met en cause la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), sans doute pour faire oublier la promesse d’un taux de 25 % pour l’impôt sur les sociétés. Les méchantes collectivités seraient les vraies responsables !
Visiblement, le Gouvernement est assez gêné. Hier encore, M. Le Maire prétendait que l’objectif tenait toujours, pour 2025.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Certes, madame la secrétaire d’État, mais mon lapsus révèle peut-être la vérité ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jérôme Bascher. Ce sera 22 % en 2025 !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Pour atteindre un taux de 25 % en 2022, la marche va devenir extrêmement haute, si bien que les annonces ministérielles sont de plus en plus incantatoires.
Il est vrai que Bercy trouve des formules fabuleuses. L’an dernier, en adressant mon questionnaire au ministère des finances, je demandais si l’on atteindrait l’objectif fixé, et Bercy m’a répondu : « L’ancre de 25 % est toujours là » ! Désormais, l’ancre est en train de se décrocher : on s’éloigne de ce taux.
Toutefois, en votant cet amendement, nous dégraderions le solde de 2,2 milliards d’euros. Dès lors, le Sénat serait tenu pour responsable du non-respect d’un engagement que la majorité présidentielle a pris et réaffirmé ici même.
Voilà pourquoi j’émets un avis de sagesse assez réservé.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Je rappelle l’engagement du Gouvernement, à savoir un taux de 25 % en 2022.
M. Jérôme Bascher. La pente est vertigineuse !
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. S’il fallait faire la liste des promesses non tenues…
M. Philippe Dallier. Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Il n’y a aucune ambiguïté. D’ailleurs, la trajectoire est parfaitement conforme à notre objectif.
Monsieur le rapporteur général, vous mentionnez les impôts de production. Il est toujours tentant d’agiter les soupçons… Aussi, je tiens à évoquer un impôt de production entièrement destiné aux recettes de l’État : la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S).
Le Conseil d’analyse économique l’a lui-même indiqué, il s’agit de l’impôt qui pose le plus de problèmes économiques : il porte sur le chiffre d’affaires et se diffuse au cours de la chaîne de valeur. Bref, il est parfaitement possible d’agir sur les impôts de production sans impliquer les collectivités territoriales.
Cela étant, les collectivités elles-mêmes demandent à obtenir de plus grandes marges de manœuvre fiscales au titre des impôts de production : nous ne leur avons rien soufflé, elles le disent elles-mêmes, et à leur place je réagirais ainsi. Elles se demandent comment accroître leur compétitivité, a fortiori pour les installations et les extensions de site : on peut également le comprendre.
Aujourd’hui, tous ces sujets sont sur la table dans le cadre du pacte productif. Un sénateur et un député sont associés au groupe de travail qui examine plus particulièrement cette question, auxquels s’ajoute un représentant de l’Association des régions de France (ARF) : cette réflexion est menée de manière parfaitement transparente, et elle avance.
Quant au lissage de trajectoire,…
M. Jérôme Bascher. « Lissage de trajectoire »…
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. … il est, en quelque sorte, le pendant de la baisse de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP), laquelle bénéficie à des centaines de milliers d’entreprises.
Il ne vous aura pas échappé que la plupart des TPE et certaines PME sont assujetties à l’impôt sur le revenu, non des sociétés, mais des personnes physiques !
Oui, nous baissons la fiscalité des entreprises : nous la baissons au travers de l’impôt sur les sociétés, nous la baissons à travers l’IRPP et nous souhaiterions la baisser à travers les impôts de production. Notre action est parfaitement cohérente ; et, pour le taux d’impôt sur les sociétés, l’objectif de 25 %, fixé par le Président de la République pour 2022, n’est nullement remis en cause. Nous n’y avons pas dérogé.
Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable sur cet amendement, qui tend à creuser le déficit de plus de 2 milliards d’euros tout en privant les TPE d’une baisse d’impôt.
M. Julien Bargeton. Voilà qui est très clair !
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt les arguments en faveur d’une baisse de l’impôt sur les sociétés. Mais, à l’instar de nos concitoyennes et de nos concitoyens, je souhaiterais aussi savoir où en est notre investissement dans l’appareil productif.
M. Pascal Savoldelli. D’accord ! Madame la secrétaire d’État, j’ai examiné les premiers travaux du comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital. Pour l’instant, rien n’est très clair quant aux objectifs atteints…
M. Pascal Savoldelli. Je ne mets pas en doute le chiffre que vous avancez ; mais il est bon que des observateurs indépendants analysent l’effet des différentes réformes de la fiscalité du capital, notamment pour ce qui concerne l’investissement dans l’appareil productif français. Sur ce point, nous devons pouvoir, nous aussi, nous faire une opinion.
Pendant des années, j’ai présidé une agence de développement économique.
M. Jean Bizet. Et ça a marché ? (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Savoldelli. Vous l’imaginez bien, cette instance n’était composée que de patrons.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Oh là là ! (Mêmes mouvements.)
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le rapporteur général, ce que je vais dire n’a rien de sacré ; mais il faut tenir compte de la grande diversité des expériences dont nous disposons dans cet hémicycle.
M. Yvon Collin. C’est vrai !
M. Pascal Savoldelli. À mon sens, pour les TPE, les deux grands enjeux sont l’obtention des marchés et le contrôle de la sous-traitance, notamment quand celle-ci intervient en quatrième, cinquième ou sixième rang. Dans le département dont je suis l’élu, les patrons sont les mêmes qu’ailleurs – il n’y a ni frontière ni microclimat ! Or ce sont les deux sujets dont ils m’ont parlé.
Non seulement le carnet de commandes doit être rempli, mais, pour ce qui concerne la sous-traitance, il faut surveiller les rapports de force entre les TPE et les grands groupes : régulièrement, les petits patrons courent à leur perte, parce qu’ils sont asphyxiés par les grands groupes !
Personne, dans cette assemblée, n’a la propriété ou la paternité politique de ce sujet. Il faut observer le paysage des entreprises tel qu’il est, dans sa diversité.
À cet égard, madame la secrétaire d’État, la question posée il y a quelques instants par mon collègue et ami Éric Bocquet ne relevait pas seulement du narratif.
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour explication de vote.
M. Jean Bizet. J’ai bien entendu l’avis quelque peu contraint émis par M. le rapporteur général, mais je voterai cet amendement. En effet, j’estime qu’il faut envoyer des messages aux entreprises, d’autant que, en matière de lisibilité et de durabilité, la France n’est pas le pays le plus vertueux qui soit.
Madame la secrétaire d’État, en parlant de « lissage de trajectoire », vous avez eu le mérite d’inventer une terminologie… Néanmoins, un tel « lissage » peut durer un certain temps ! Or, comme l’a dit Philippe Dominati, il faut voir comment opèrent nos amis britanniques.
Nul ne peut prédire le verdict des urnes le 12 décembre prochain. En cette période préélectorale, conservateurs et travaillistes se livrent à une surenchère d’annonces. Mais, ce que je retiens, ce sont les conclusions du séminaire de Chequers, qui s’est tenu en juillet 2018 : les Britanniques gardent pour pente tendancielle le dumping fiscal.
M. Éric Bocquet. C’est clair !
M. Jean Bizet. M. le rapporteur général l’a rappelé : demain, l’écart de taux d’impôt sur les sociétés deviendra tel entre la France et la Grande-Bretagne qu’il sera impossible de le combler.
À ce titre, nous vous interpellons régulièrement, question d’actualité au Gouvernement après question d’actualité au Gouvernement… Certes, pour l’accueil d’entreprises venant, notamment, de Grande-Bretagne, la France a connu quelques succès. Mais elle pourrait en compter beaucoup plus, si, précisément, l’on garantissait la lisibilité et la durabilité de son système fiscal, tout en réduisant le taux d’impôt sur les sociétés.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. Plus on s’approche de l’objectif, plus on s’en éloigne ! Tel est le véritable paradoxe de cette trajectoire, qui – c’est le moins que l’on puisse dire – est assez originale… Au fil des années, on nous annonce une pente de plus en plus vertigineuse : l’impôt sur les sociétés va baisser, ce sera du jamais vu. Précisément, on ne l’a jamais vu, car nos finances publiques ne le permettent pas !
À cet égard, je rejoins M. le rapporteur général. D’un point de vue économique, nous sommes évidemment favorables à cet amendement ; mais, du point de vue du déficit budgétaire, nous ne pouvons pas l’approuver, parce que le Gouvernement a reculé !
Madame la secrétaire d’État, ne parlez pas de la programmation pluriannuelle des finances publiques : aujourd’hui, l’État ne la respecte plus du tout – le Haut Conseil des finances publiques l’a d’ailleurs souligné.
Vous battez votre propre trajectoire en brèche. En conséquence, le Premier ministre a annoncé, pour le printemps prochain, un nouveau texte de loi, qui, lui aussi, aura vocation à ne pas être respecté : les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent… Vous l’avez dit vous-même : cet engagement, le Gouvernement l’a pris et continuera à le prendre : on est vraiment du côté de l’ancien monde ! Ce n’est pas sérieux.
Albéric de Montgolfier l’a rappelé : au printemps dernier, en examinant la taxe GAFA, nous avons fait un effort pour accompagner votre démarche ; et vous avez, une nouvelle fois, reporté cette trajectoire. On comprend pourquoi, désormais, les grandes entreprises refusent catégoriquement de venir en France !
Je le devine, vous allez encore nous ressortir quelques exemples… J’ai bien entendu la réponse que vous avez apportée à la question d’actualité de Philippe Dominati ; tout en citant Ernst & Young, vous avez présenté l’instabilité fiscale comme le premier handicap de notre pays.
M. Jérôme Bascher. Eh bien, ce nouveau report est la preuve de l’instabilité fiscale qu’entretient le Gouvernement. C’est un signal désagréable.
Néanmoins, je ne pourrai pas voter ces dispositions, car elles dégraderaient par trop le solde budgétaire de la France !
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Je le disais, et ce débat le prouve bien : la procédure budgétaire est devenue ingérable pour le Parlement.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Bien sûr ! Et en plus, on est mal assis ! (Sourires.)
M. Roger Karoutchi. Philippe Dominati et Bruno Retailleau, qui est lui aussi cosignataire de cet amendement, ont parfaitement raison sur le fond : la trajectoire suivie n’est pas satisfaisante, en tout cas pour la droite.
Madame la secrétaire d’État, vous parlez de « lissage », mais, en fait, c’est une rupture brutale qu’il faudrait assumer. Or vous ne l’accomplirez pas : il n’y a aucune raison que, dans un an, l’État ait beaucoup plus d’argent dans ses caisses. On abandonnera donc l’objectif fixé.
Pour notre part, nous sommes pour la baisse de l’impôt sur les sociétés ; nous ne pouvons donc pas être d’accord avec la politique du Gouvernement.
En même temps, vous avez cette chance inouïe : par esprit de responsabilité, le rapporteur général de la commission des finances refuse l’idée de laisser exploser le déficit budgétaire du pays. Ainsi, alors même qu’il est pour l’abaissement de l’impôt, il s’oppose à l’amendement tendant à réduire son taux. En résumé, le Gouvernement ne respecte pas ses engagements, et c’est le Sénat qui assume le fait de ne pas creuser le déficit !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Tout à fait !
M. Roger Karoutchi. Franchement, la procédure budgétaire devient un peu dingo. En définitive, soit on a la main, soit on ne l’a pas : dans le premier cas, on décide, dans le second, on regarde ; et, en ce moment, on regarde.
Éventuellement, la droite sénatoriale pourrait se faire plaisir en votant cet amendement. Pour ma part, ce serait un bonheur, d’autant qu’il est défendu par mon ami Philippe Dominati. (Sourires.) Mais dix secondes vous suffiraient pour liquider ces dispositions à l’Assemblée nationale, où votre majorité ne débattrait même pas.
De toute évidence, il faut réviser la procédure budgétaire. (M. Éric Bocquet opine.) On ne peut pas voir constamment s’opposer un Sénat raisonnable et un Gouvernement déraisonnable, qui ne respecte pas ses propres engagements.
À présent que le débat a eu lieu, peut-être Philippe Dominati va-t-il retirer son amendement ; dans le fond, on sait très bien que notre proposition n’aboutira pas, puisque, à l’Assemblée nationale, le Gouvernement fera ce qu’il voudra.
M. Jean Bizet. Il faut envoyer des messages !
M. Roger Karoutchi. Franchement, cette procédure budgétaire est aberrante. Je n’en félicite pas moins M. le rapporteur général de la raison dont il fait preuve.
M. Vincent Delahaye. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. À l’instar de Roger Karoutchi, je suis gêné par cette procédure.
En la matière, le Gouvernement a pris et réaffirmé un engagement. Désormais, il déploie une sémantique extraordinaire : je pense toujours à cette « ancre de 25 % »… Manifestement, des lauréats de grands prix littéraires se creusent les méninges pour trouver de belles formules… Mais, en définitive, l’on a renoncé à cette baisse pluriannuelle. Il faut dire les choses comme elles sont.
Devant la commission des finances, Bruno Le Maire a expliqué tout ce qui ne va pas dans le monde : risques pétroliers, tensions en Iran, menaces pesant sur le commerce mondial, Brexit, etc. Il n’a cité aucun facteur d’amélioration de la conjoncture.
Je consultais à l’instant la presse : tous les journaux annoncent un ralentissement de la croissance mondiale. Rien ne laisse supposer que, d’ici à 2022 – c’est demain ! –, nous serons dans l’euphorie économique ; que, grâce à une hausse spectaculaire des recettes fiscales ou grâce à une réduction de notre déficit, nous pourrons atteindre les 25 %.
Les dispositions de cet amendement ont le mérite de placer le Gouvernement face à ses responsabilités, qu’il devrait assumer de lui-même ! Mais si nous votons cette mesure, le ministre de l’action et des comptes publics se présentera devant les Français avec sa calculatrice, en disant : « Voyez ! Le Sénat est irresponsable, il a dégradé le solde budgétaire de 2,2 milliards d’euros. »
Bien sûr, si le Gouvernement défalquait ce montant du solde, je voterais cet amendement.
M. Jérôme Bascher. Il faut lever le gage ! (Sourires.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il revient au Gouvernement de respecter ses propres engagements.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Parmi les propos que je viens d’entendre, certains sont d’assez mauvaise foi… Je reprends donc la parole.
Tout d’abord, pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 250 millions d’euros, la trajectoire n’a pas été modifiée. C’est un fait.
Ensuite, l’engagement du Gouvernement, c’est un taux de 25 % en 2022.
M. Philippe Dominati. Franchement !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. La trajectoire, c’est la manière d’atteindre ce but : bien sûr, elle doit être réaliste, mais le choix opéré me semble remplir particulièrement cette condition.
Par ailleurs, rappelons tout de même que ce gouvernement est le premier à baisser l’impôt sur les sociétés.
M. Didier Rambaud. Eh oui !
M. Julien Bargeton. Tout à fait !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Dans une vie antérieure, j’ai fait des études de fiscalité : le taux d’impôt sur les sociétés s’élevait alors à 33,3 %. Loin de baisser à cette époque, il a atteint 34 % du fait d’une petite surcontribution.
Ce gouvernement, lui, baisse l’impôt sur les sociétés : c’est visible, y compris pour les grandes entreprises. Voyons ce qui se passe, ne nous trompons pas de combat.
L’IRPP baisse aussi. Au total, 90 % des Français, beaucoup de TPE et quelques PME bénéficient de cet effort.
Depuis deux ans, ce gouvernement met en œuvre une baisse massive de la fiscalité.
M. Jean Bizet. Massive… C’est à voir !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Voilà la réalité ! Pour notre part, nous assumons la modification de la trajectoire. Ce choix ne remet pas en cause l’engagement du Gouvernement.
Monsieur le rapporteur général, vous évoquez les risques pesant sur la conjoncture. Nous devons parler vrai : il y va de la maturité des débats au sein de cette assemblée.
Effectivement, des tensions commerciales se font jour en Chine et au Japon. Effectivement, la croissance ralentit aux États-Unis, en Chine et pas plus loin que chez notre partenaire allemand. Ce sont là des éléments factuels : sans les poser sur la table, on ne peut pas accomplir le travail sérieux qu’évoquait M. Bascher. D’ailleurs, nos débats viennent de le démontrer parfaitement.
Monsieur Dominati, en répondant à votre question d’actualité au Gouvernement, je me suis laissé bêtement piéger : il existe bien, à Bercy, une équipe se penchant sur l’attractivité de notre pays. C’est précisément grâce à elle que tant de projets ont pu aboutir : vous le savez bien. D’ailleurs, vous connaissez les dossiers que l’on perd et ceux que l’on gagne.
Aujourd’hui, nous avons davantage de projets d’investissements industriels que l’Allemagne !
M. Jérôme Bascher. Nous avons moins d’industries, mais nous avons plus de projets…
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Nous avons davantage de projets de recherche et de développement que le Royaume-Uni : nous sommes systématiquement en compétition avec d’autres sites et, dans bon nombre de cas, nous sortons gagnants.
Ce n’est pas le fait du hasard : c’est le fruit d’une politique volontariste et c’est l’œuvre d’équipes tout à fait déterminées. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° I-544, présenté par MM. Raynal, Kanner, Éblé, Botrel et Carcenac, Mme Espagnac, MM. Féraud, P. Joly, Lalande et Lurel, Mme Taillé-Polian, M. Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, M. M. Bourquin, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Daudigny, Devinaz, Fichet et Gillé, Mmes Grelet-Certenais et Harribey, M. Jacquin, Mme Jasmin, M. Jomier, Mme G. Jourda, MM. Kerrouche et Leconte, Mme Lepage, M. Marie, Mmes Meunier et Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, MM. Sueur et Temal, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 1
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Au premier alinéa du b du I de l’article 219 du code général des impôts, le montant : « 7 630 000 euros » est remplacé par le montant : « 50 000 000 euros » et le montant : « 38 120 euros » est remplacé par le montant : « 100 000 euros ».
II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Patrick Kanner.
M. Patrick Kanner. Nous venons de rejeter un amendement à 2 milliards d’euros ; à présent, je propose un amendement à 200 millions d’euros.
M. Claude Raynal. C’est raisonnable ! (Sourires.)
M. Patrick Kanner. Cette mesure est tout de même beaucoup plus raisonnable, en effet. En outre, elle pourrait être utile à nos PME.
Sans remettre en cause la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés – je ne reviendrai pas sur les questions de terminologie précédemment évoquées –, cet amendement vise à relever de 7,6 millions d’euros à 50 millions d’euros le seuil du chiffre d’affaires permettant à une entreprise de bénéficier d’un taux d’impôt sur les sociétés de 15 %, conformément aux dispositions de la loi de finances initiale pour 2017.
Mes chers collègues, vous le constatez, il s’agit là d’un bel amendement ! Je le répète, le coût de cette mesure a été évalué à 200 millions d’euros en année pleine.
À titre de comparaison, le doublement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, décidé en 2017, a porté la dépense y afférente de 20 à 40 milliards d’euros via la baisse des charges : c’est un point qui mérite notre attention.
De plus, le ministre Bruno Le Maire a estimé que les seuils favorisaient, selon le Conseil des prélèvements obligatoires, des stratégies d’évitement et d’optimisation. C’est probablement exact s’agissant d’une création de nouveaux seuils, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, puisqu’il s’agit d’une modification des seuils existants.
Enfin, le rapporteur général a estimé que les effets de cette mesure ne seraient pas assez importants. Si telle était la position du Gouvernement, le groupe socialiste accepterait sans difficulté un sous-amendement de sa part visant à muscler ce dispositif.
La réalité, c’est que la politique fiscale du Gouvernement en matière d’imposition sur les sociétés est favorable non pas à nos PME, mais plutôt aux grands groupes, et ce n’est pas le taux faiblement différencié actuellement appliqué, sous la contrainte des « gilets jaunes », ainsi que l’a rappelé notre collègue Thierry Carcenac, qui modifie cet état de fait.
Cet amendement vise donc à favoriser, à hauteur de 200 millions d’euros, la situation de trésorerie des PME de notre pays. En effet, nous savons que c’est là que se crée l’emploi. Je vous invite donc à le soutenir, mes chers collègues.