COMPTE RENDU INTÉGRAL
Présidence de M. Vincent Delahaye
vice-président
Secrétaires :
Mme Jacky Deromedi,
Mme Patricia Schillinger.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Sites naturels et culturels patrimoniaux
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Indépendants, de la proposition de loi portant diverses mesures tendant à réguler « l’hyper-fréquentation » dans les sites naturels et culturels patrimoniaux, présentée par M. Jérôme Bignon et plusieurs de ses collègues (proposition n° 689 [2018-2019], texte de la commission n° 111, rapport n° 110).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jérôme Bignon, auteur de la proposition de loi et rapporteur.
M. Jérôme Bignon, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, jusqu’à 7 000 touristes par jour sur les sept kilomètres de long et trois kilomètres de large de la petite île de Porquerolles, dans le Var, 800 000 visiteurs par an dans les gorges du Verdon, 16 000 touristes par jour, l’été, sur la dune du Pilat, en Gironde, 49 navires commerciaux faisant des navettes sur la zone de la réserve de Scandola, en Corse, plus de 300 personnes par jour pour l’ascension du mont Blanc, en haute saison ; jusqu’à 30 000 touristes par jour sur le Mont-Saint-Michel au mois d’août ; ces chiffres hyperboliques décrivent une réalité, celle de nombreux sites protégés aujourd’hui partout en France.
On parle « d’hyper-fréquentation » pour les cas extrêmes, mais, sans atteindre forcément ces records, nombre d’espaces naturels sont aujourd’hui victimes d’un phénomène de saturation touristique, qui laisse les élus démunis face aux éventuels dommages qui en découlent pour la protection de l’environnement ou du caractère de ces sites.
En tant qu’auteur de la proposition de loi, c’est à cette difficulté que j’ai tenté, modestement, de trouver une solution, aidé de nombreux juristes et spécialistes de ces questions, qui vivent, sur le terrain, ces difficultés. Nombre de collègues m’ont rejoint, puisque ce texte a été cosigné par des sénateurs issus de toutes les travées de la Haute Assemblée.
Les débats que nous avons eus en commission sont, de ce point de vue, révélateurs ; des marais salants de Loire-Atlantique, évoqués par notre collègue Christophe Priou, au massif du Mont-Blanc, dont nous a parlé Cyril Pellevat, en passant par les falaises d’Étretat, évoquées par Pascal Martin, et par la dune du Pilat, dont a fait état notre collègue Hervé Gillé : tous ces exemples illustrent la difficulté de concilier une politique de tourisme durable avec la protection des sites naturels ou culturels patrimoniaux.
Comme l’ont expliqué tous les acteurs que j’ai entendus, la forte fréquentation de ces sites tend à changer de nature et à se traduire par de nouveaux comportements. Le maire de Saint-Gervais-les-Bains, dans le massif du Mont-Blanc, évoquait ainsi, de manière très parlante, le phénomène de l’« unique venue », selon ses propres termes, à savoir des touristes qui ne reviendront jamais, qui souhaitent simplement prendre une photo – un selfie, comme l’on dit – pour la mettre sur les réseaux sociaux, mais qui, bien souvent, ne respectent pas les sites.
Or ces nouveaux comportements peuvent avoir, sur l’environnement, des conséquences inattendues et importantes : destruction de la faune et de la flore, augmentation des déchets et de leur dispersion, ou encore impact sur la biodiversité et sur la qualité paysagère – le « caractère » – des sites.
L’objectif de la proposition de loi que nous nous apprêtons à examiner est de fournir aux élus un outil supplémentaire permettant de prévenir ces dommages. En effet, les outils qui existent aujourd’hui présentent certaines limites.
Nous avons en France un principe fort, celui de l’accès libre et gratuit aux espaces naturels. Ce n’est pas du tout le cas partout dans le monde ; au contraire, dans la plupart des pays, on paie pour entrer dans un site naturel. Cela dit, des outils de protection existent pour certains sites, en raison de leurs caractéristiques écologiques ou culturelles patrimoniales, mais ces régimes – qu’ils relèvent d’une convention internationale, d’une loi, comme la loi du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite « loi Littoral », ou encore de dispositions réglementaires – n’offrent pas tous le même niveau de protection et n’induisent pas le même niveau de contraintes réglementaires.
À titre d’exemple, dans le cœur des parcs nationaux, le directeur de l’établissement public exerce un certain nombre de compétences attribuées au maire en matière de police. En outre, la charte de chaque parc, validée par un décret en Conseil d’État après consultation de l’ensemble des acteurs du territoire, peut également contribuer à la régulation de la fréquentation. Dans le cas des réserves naturelles nationales, l’acte de classement en réserve peut fermer et réglementer l’accès au site, ou définir un zonage plus restrictif. Il peut également réglementer les activités ou les manifestations sportives. En revanche, pour les sites classés, le classement ne permet pas de contrôler les usages ni les comportements inadaptés.
Au-delà de ces outils juridiques, la plupart des acteurs mettent en avant l’importance des solutions pragmatiques, passant par l’aménagement du territoire dans le cadre de projets de territoire. À Étretat, par exemple, le réseau des grands sites de France a permis de mettre autour de la table tous les acteurs concernés, afin de trouver des solutions permettant de préserver le site du phénomène de l’hyper-fréquentation, par le recul des parkings en dehors de la ville, l’instauration de mobilités douces ou la mise en place d’une déviation. C’est également ainsi que nous avons procédé, récemment, en baie de Somme, à l’occasion du renouvellement du grand site.
Néanmoins, ces différents outils ne sont pas suffisants. Pour reprendre l’exemple du Mont-Blanc, qui est non pas un parc national mais un site classé sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, ce site bénéficie, certes, d’une forte reconnaissance, mais la réglementation que les maires peuvent mettre en œuvre à ce titre est très limitée. La montagne est, aux dires des montagnards, un espace de liberté…
Mes chers collègues, je quitte maintenant ma casquette d’auteur de la proposition de loi pour coiffer celle de rapporteur. C’est un cas assez rare, finalement, et je remercie le président Maurey de l’avoir autorisé.
Sur ma proposition, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a modifié le dispositif prévu par ce texte. En effet, en tant que rapporteur, j’ai eu à cœur de travailler autant que possible avec neutralité et impartialité, d’écouter et d’entendre les critiques formulées par les différents acteurs que j’ai auditionnés. Nous avons procédé à une dizaine d’auditions, très intéressantes, très riches et très pertinentes.
Si toutes les personnes entendues s’accordaient sur le constat et sur la nécessité d’y apporter une solution concrète – c’est en soi important, il n’y a pas eu de désaccord quant à cette nécessité –, la plupart d’entre elles m’ont alerté sur les difficultés que le dispositif initial pouvait soulever, notamment eu égard à son périmètre, qui était très large. J’avais été ambitieux, mais je ne le regrette pas ; j’avais pensé qu’il convenait de procéder à un élargissement, à la protection de l’environnement, des pouvoirs de police administrative générale du maire. C’était probablement, je le répète, trop ambitieux, et il est peut-être encore un peu trop tôt pour cela.
Toutefois, cette solution, qui mériterait d’être approfondie et travaillée, ne serait-ce que parce qu’elle reviendrait, selon moi, à tirer les conséquences des dispositions constitutionnelles de la Charte de l’environnement, était en réalité beaucoup plus large que l’objectif visé par le titre de la proposition de loi. Cet objectif consiste, je vous le rappelle, à permettre aux maires de réglementer l’hyper-fréquentation des zones touristiques, aux fins de préservation de l’environnement.
Au cours des travaux, il m’a également été opportunément rappelé que la modification du pouvoir de police générale du maire conduisait également à lui confier une responsabilité nouvelle, et à l’exposer ainsi à d’éventuelles poursuites s’il ne s’en servait pas. Ce risque paraissait d’autant plus dommageable que le maire ne dispose pas, la plupart du temps, des moyens techniques, juridiques ou humains qui lui permettraient d’exercer effectivement ce nouveau pouvoir de police.
En outre, alors que la plupart des polices spéciales de la nature sont exercées par l’État, une mauvaise interprétation de ces dispositions aurait pu laisser penser que les maires étaient désormais compétents, de manière générale, en matière de protection de l’environnement, et la délimitation précise de cette nouvelle compétence aurait été complexe, car « en creux » par rapport à l’ensemble des polices spéciales déjà attribuées, par le code de l’environnement, à d’autres autorités.
Pour toutes ces raisons, la commission a recentré la proposition de loi sur une extension du pouvoir de police spéciale du maire, qui existe déjà en matière de circulation des véhicules motorisés – c’est l’article L. 2213-4 du code général des collectivités territoriales. Aujourd’hui, pour résumer, le maire ne peut qu’interdire les 4x4 sur certaines routes. La modification que nous allons, je l’espère, adopter, permettra à ce dernier, par un arrêté motivé, de réglementer également la circulation des personnes, par exemple, au sein d’espaces naturels hyper-fréquentés fragiles, dont les milieux seraient menacés.
Cette solution présente l’avantage, d’une part, de ne pas conduire à des incompréhensions sur l’interprétation de ce nouveau pouvoir de police spéciale des maires, et, d’autre part, de limiter le risque de concurrence des polices spéciales. Je précise que cette solution a été travaillée en lien avec la commission des lois, dans la mesure où les pouvoirs du maire relèvent de son champ de compétence. Je tiens d’ailleurs à remercier tout particulièrement le président Bas, que j’ai pu consulter sur le texte ; il partageait la même analyse sur l’utilité d’un tel recentrage.
Je conclurai en insistant sur le fait que ce nouveau pouvoir doit être vu comme un outil supplémentaire mis à la disposition des maires. La commission a prévu qu’un décret détermine les consultations nécessaires auprès des instances de gouvernance des espaces protégés, dans la mesure où les arrêtés ne seront efficaces que s’ils sont pris en lien avec les autres acteurs, dans le cadre d’un projet de territoire visant un aménagement et un tourisme durables.
Voilà, mes chers collègues, en quelques mots, l’ambition de cette proposition, en réalité transpartisane. Elle est attendue par un certain nombre d’élus directement confrontés à ces phénomènes d’hyper-fréquentation. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, cher Hervé Maurey, monsieur le rapporteur, cher Jérôme Bignon, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi examinée aujourd’hui a pour objet de proposer un nouvel outil juridique pour trouver une solution aux différents problèmes que peut poser la sur-fréquentation de certains espaces naturels.
Le développement de l’attrait et de l’intérêt de nos concitoyens pour les espaces naturels préservés et les paysages remarquables est grandissant. Il correspond à une attente, et même un besoin, de la part du public de pouvoir accéder à ces espaces et à ces sites. Nous ne pouvons que nous en féliciter ; cet engouement est aussi la récompense de la mobilisation de tous les acteurs qui travaillent au quotidien pour la politique de préservation des espaces naturels et paysagers.
Quelques chiffres, en complément de ceux que Jérôme Bignon a cités : en 2018, il y a eu, dans les dix parcs nationaux, 8,5 millions de visiteurs, soit une augmentation de 42 % par rapport à 2011. Dans les réserves naturelles, on compte 10 millions de visiteurs chaque année, dont 1,5 million de visiteurs pour la seule réserve nationale des Gorges de l’Ardèche. Enfin, on dénombre, chaque année, 40 millions de visiteurs sur les sites du Conservatoire du littoral et 42 millions dans les territoires figurant sur la liste des grands sites de France, deux territoires connaissant une fréquentation supérieure à 2 millions de visiteurs, Bonifacio, en Corse, et le massif de l’Esterel, dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Dès lors, le développement de la fréquentation de tous ces sites pose évidemment des difficultés d’un genre nouveau, auxquelles les outils permettant aux acteurs locaux d’agir ne sont pas totalement adaptés.
Les problèmes engendrés par une fréquentation trop importante par rapport aux capacités du site peuvent être de natures diverses, au regard des enjeux et de la configuration de chaque lieu. Ils sont souvent liés à la difficulté de canaliser le public dans des espaces ouverts et au cumul des impacts : nuisances liées aux déchets, au bruit, au piétinement, aux dégradations des végétaux ou des équipements, à la difficulté de cohabitation entre les différents modes de loisirs. En outre, l’ensemble de ces impacts peut occasionner, dans certains cas, des problèmes de sécurité.
Je veux citer deux exemples, qui illustrent ces difficultés, en écho à ce que disait M. le rapporteur.
Tout d’abord, Porquerolles, qui fait partie du parc national de Port-Cros et qui dépend, partiellement, de la commune d’Hyères, voit augmenter, chaque année, le nombre de passagers débarquant sur l’île, laquelle est, par définition, un espace limité. La réglementation du parc national ne permet pas au directeur d’agir, car l’île se situe non pas en zone de cœur du parc national, mais en zone d’adhésion.
Le cas du Mont-Blanc, ensuite, sur lequel nous avons été alertés par le maire de Saint-Gervais-les-Bains, permet d’illustrer les difficultés que peut causer la sur-fréquentation d’un site exceptionnel de haute montagne. Il y a en outre une particularité : le Mont-Blanc est protégé uniquement au titre de la réglementation relative aux sites classés, qui ne permet pas de réguler, et encore moins d’interdire, une fréquentation excessive qui dégraderait ce site remarquable.
S’il est possible, pour le maire ou le préfet, d’agir pour des raisons de sécurité, les autres nuisances et dégradations engendrées sur le site sont plus difficiles à encadrer. Pour le Mont-Blanc, une solution, en tout cas provisoire, a néanmoins pu être trouvée avec un arrêté préfectoral, pris le 31 mai dernier, visant à réguler l’accès au sommet sur la voie normale, au travers d’un nouveau dispositif de réservation obligatoire dans les hébergements ; néanmoins, cela ne permet pas de traiter la totalité du problème.
Force est donc de constater que, malgré les outils existants, nous n’avons pas encore de réponse adéquate et que nous manquons de réactivité face aux situations qui se présentent.
Dès lors, nous trouvons intéressante cette proposition de loi, qui vise à offrir la possibilité au maire des communes concernées d’utiliser un nouveau pouvoir de police spéciale, fondé sur les impacts sur l’environnement d’une sur-fréquentation. Le Gouvernement est favorable à l’esprit général de ce texte, qui nécessitera probablement des ajustements au cours de la navette parlementaire, mais qui répond à une vraie urgence environnementale et politique.
À ce titre, il paraît fondé que le maire puisse disposer, sur sa commune, de certaines prérogatives lui permettant d’agir, de façon motivée et proportionnée, pour contribuer à protéger ce patrimoine.
Je souhaite toutefois porter à votre connaissance quelques points auxquels je suis attentive.
Les espaces naturels protégés sont dotés, pour la majorité d’entre eux, d’une instance de gouvernance chargée d’administrer le site et de mettre en œuvre les orientations de gestion ou la réglementation propre à chaque site. Il est important de respecter ces dispositifs de gestion des sites naturels protégés ainsi que leur gouvernance multipartite. Je suis donc attachée à ce que la mobilisation, par le maire, de cette nouvelle compétence puisse se faire en concertation et avec un avis de telles instances, lorsque celles-ci existent.
Le problème de la sur-fréquentation des sites dépasse aussi le seul enjeu de la gestion des espaces naturels protégés, qui a vocation à permettre le bon état de conservation écologique ou de préservation paysagère du site. D’autres outils d’aménagement ou de maîtrise des usages peuvent contribuer à réduire les impacts de la sur-fréquentation.
Enfin, j’appelle votre attention sur le fait qu’une nouvelle compétence entraîne une nouvelle responsabilité ; ainsi, si de nouveaux pouvoirs sont conférés au maire, la responsabilité de celui-ci pourrait être recherchée en cas d’inaction.
Avant que nous ne discutions de façon plus détaillée de cette proposition de loi, laissez-moi vous redire l’importance de cette question et le soutien du Gouvernement à ces démarches d’ajustement de notre droit, pour faire face, ensemble, aux nouvelles problématiques environnementales. (Applaudissements sur toutes les travées, à l’exception de celles du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé.
M. Hervé Gillé. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’hyper-fréquentation des sites naturels, culturels et patrimoniaux est un sujet préoccupant, qui évolue défavorablement. Le tourisme de masse est toujours en augmentation, en raison, souvent, de tropismes éphémères et de lieux considérés comme incontournables et immortalisés au moyen de selfies rapidement oubliés…
Malheureusement, selon les prospectives, ce phénomène ira en s’amplifiant. Il faut donc s’interroger désormais sur les nécessaires régulations à mettre en œuvre pour permettre aux milieux d’être préservés et fonctionnels, et pour faciliter les respirations nécessaires à l’ensemble des parties prenantes.
Faute d’une législation adaptée, les régulations existantes sont difficiles à mettre en œuvre et exposent, dès aujourd’hui, les maires. En effet, il existe de nombreuses polices spéciales de l’environnement – plus d’une vingtaine –, et des réglementations pour protéger certains sites : loi Littoral, loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne, dite « loi Montagne », chartes de parc naturel régional, label « Grand Site », sans compter les pouvoirs des préfets en matière d’environnement.
Toutefois, la législation n’autorise pas un maire à réglementer ou limiter l’accès à certains sites dans la perspective de protéger l’environnement. En effet, l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, qui précise les pouvoirs de police administrative générale du maire, fait reposer l’ordre public général sur trois piliers : la tranquillité, la sécurité et la salubrité publiques.
De ce fait, tout arrêté municipal initialement motivé par la volonté de protéger l’environnement ou le caractère d’un lieu ou d’un site est censuré, au motif qu’il n’entre pas dans ces champs. Les maires se retrouvent donc démunis, dans l’incapacité d’intervenir, ou alors ils s’exposent, d’une manière parfois inconsidérée, en contournant la législation, en prenant des arrêtés pour de fausses raisons. Il existe donc là un hiatus, qui méritait d’être étudié.
Je tiens à souligner, monsieur le rapporteur et auteur de la proposition de loi, votre volonté d’objectivité, d’écoute et de transparence, qui vous a conduit à revisiter en profondeur votre projet.
En effet, dès les premières auditions, votre souhait d’accroître les pouvoirs de police générale du maire, partagé initialement par certains opérateurs territoriaux, a suscité des interrogations relatives aux conditions et au champ d’application de cet élargissement. Vous souhaitiez étendre ces pouvoirs de police à la préservation de l’environnement dans son ensemble, en autorisant le maire à intervenir pour prévenir toute forme d’atteinte à la protection des espèces animales ou végétales et de leurs habitats, et ce dans tous les sites bénéficiant d’un régime de protection en raison de leur dimension esthétique, écologique et culturelle.
L’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) a émis des réserves, et la poursuite de nos auditions nous a confortés dans cette analyse. J’ai pu également en discuter avec les maires de Gavarnie-Gèdre et de Cauterets ainsi qu’avec des élus concernés par la dune du Pilat ; pour la plupart, ils ont indiqué que, au-delà de l’élargissement des pouvoirs de police du maire, il fallait encadrer ceux-ci strictement et surtout créer les conditions pour pouvoir les exercer. Cela reste un sujet sans doute à travailler, dans le cadre de la politique des moyens.
Conscient de ces inquiétudes, vous avez réécrit votre texte en commission, pour le clarifier, en élargissant la portée de l’article L. 2213-4 du code général des collectivités territoriales, qui met en place une police spéciale de la circulation dans les espaces naturels, au profit des maires. Cette disposition permettra de réglementer, et non pas seulement d’interdire, l’accès aux sites concernés, d’encadrer les pratiques touristiques et de supprimer la référence aux véhicules. Cette suppression ouvre ainsi la possibilité de réguler toutes les formes d’accès au site, y compris la circulation des personnes ; c’est une dimension importante.
La voie choisie, validée par l’AMF, est plus pragmatique, plus rationnelle et elle permet de limiter l’exposition des maires lorsqu’ils prennent leurs responsabilités. Il s’agit donc d’une voie raisonnable, qui mérite d’être confortée dans la suite du processus parlementaire. J’ai compris de votre intervention, madame la secrétaire d’État, que cela devrait pouvoir se concrétiser.
Le groupe socialiste et républicain votera en faveur de cette proposition de loi, tout en souhaitant que les futurs décrets d’application précisent les conditions nécessaires de consultation des parties prenantes ; cela permettrait de conforter la prise de décision. Ce sujet intéressant a été abordé par vous-même, monsieur le rapporteur, et par Mme la secrétaire d’État.
En effet, d’une manière plus globale, ce sujet suscite des questions sur la mise en œuvre de la compétence tourisme ; cette compétence doit nécessairement s’inscrire dans un projet de territoire, cela a également été souligné, en organisant les subsidiarités, les processus de concertation et de coopération. Ces coopérations devraient d’ailleurs constituer un préalable à tout processus de contractualisation avec l’État et les collectivités territoriales. Il y a là un sujet : comment coordonner au mieux la mise en œuvre de cette compétence tourisme avec ses corollaires, notamment en matière de sécurité ?
Cette proposition de loi n’est pas forcément, nous le voyons bien, un aboutissement, mais elle ouvre une réflexion pour améliorer la réglementation environnementale et notre capacité à respecter les milieux, en limitant notre impact et en préservant les usages. Elle mérite donc d’être soutenue et accompagnée, pour aboutir. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et LaREM. – Mme Évelyne Perrot et M. le rapporteur applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Éric Gold.
M. Éric Gold. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que certains pays nordiques revendiquent un droit d’accès à la nature, cette proposition de loi vient rappeler trois éléments majeurs pour notre pays et nos concitoyens.
D’une part, la France est le premier pays visité au monde. Avec près de 90 millions de touristes internationaux par an, les défis sont immenses et remettent naturellement nos politiques publiques en question, notamment dans un contexte de hausse exponentielle du tourisme mondial.
D’autre part, les visiteurs et touristes recherchent plus d’authenticité et de connexion avec la nature.
Enfin, de troisième part, nous avons, nous aussi, une tradition d’accès libre et gratuit à la nature, que nous tenons tous à voir perdurer.
Le constat de Jérôme Bignon est sans appel : la saturation d’un certain nombre d’espaces protégés et son impact sur les écosystèmes interpellent les responsables de leur gestion et de leur préservation.
Alors que se déroule, cette semaine, le congrès des maires de France, la proposition de loi que nous examinons pose la question du rôle du maire dans la protection des sites naturels et culturels patrimoniaux, et de ses moyens d’action.
La version initiale du texte prévoyait une nouvelle mission de police générale du maire, dédiée à la protection de l’environnement. J’y avais souscrit, en cosignant la proposition de loi avant même sa publication. J’y voyais un signal fort envoyé à nos élus, tout à fait en capacité de juger des mesures à prendre pour préserver un site d’intérêt sur leur territoire. J’y voyais également, au-delà de la consécration de la notion d’« ordre public écologique », en accord avec la conscience collective qui émerge dans notre société, un message d’espoir pour nos sites patrimoniaux, qui se voyaient octroyer un nouveau défenseur, au plus près du terrain.
Toutefois, j’ai bien compris les risques que cette nouvelle mission faisait peser sur les maires. Si la décentralisation et la différenciation territoriale doivent être accentuées, il serait dommage de voir la responsabilité de la commune engagée en cas de dommages ou d’inaction, surtout dans un domaine aussi complexe que celui de l’environnement. Le groupe du RDSE et moi-même souscrivons donc bien sûr à la rédaction adoptée en commission, qui permet au maire, dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale, de réglementer et d’interdire la circulation des personnes dans certains secteurs.
Nous vous proposerons toutefois deux amendements visant à l’enrichir.
Le premier tend à rappeler qu’un site patrimonial s’étend rarement sur le périmètre d’une seule et unique commune, et que toutes les parties prenantes – collectivités, parc naturel, propriétaires – doivent être consultées dans le cadre d’un véritable projet de territoire.
Le second a pour objet de rappeler que nous attendons depuis plus de trois ans la publication d’un décret, sur lequel j’ai interpellé, plusieurs fois, le Gouvernement, autorisant les agents assermentés des parcs naturels régionaux à rechercher et à constater les infractions en matière de protection du patrimoine naturel. Les gardes nature sont nos alliés en matière de protection de l’environnement ; ils connaissent le territoire comme leur poche et sont au plus près du terrain pour sanctionner les infractions. Nous devons pouvoir nous appuyer sur leur présence et leur expertise au quotidien.
Cette proposition de loi a le mérite de rappeler l’importance de ces sites pour la biodiversité, au-delà de la beauté des paysages et du patrimoine culturel.
Elle rappelle aussi que, malgré l’absence de régime général d’accès aux sites protégés, les collectivités font des efforts considérables pour canaliser les flux, avec des aménagements dédiés, et qu’il est sans doute nécessaire de voir émerger une politique touristique globale et cohérente de gestion des espaces naturels.
L’équation est difficile à résoudre, entre la hausse de la fréquentation et la préservation des sites, elle-même indispensable à la poursuite de cette fréquentation. Plus le site est remarquable, plus il est fréquenté.
À titre d’exemple, le département du Puy-de-Dôme, que je connais particulièrement, a la chance d’avoir fait inscrire, voilà un peu plus d’un an, la chaîne des Puys au patrimoine mondial de l’Unesco. Aujourd’hui, nous travaillons plus que jamais à l’émergence de politiques publiques permettant de faire rayonner ce site exceptionnel, de transmettre la connaissance par ce haut lieu tectonique et de ne pas le garder sous cloche, pour y faire prospérer le pastoralisme tout en le préservant du piétinement, des déchets et du comportement parfois peu civique des quelque 1,5 million de visiteurs qui s’y pressent déjà chaque année.
L’accès à des sites comme Venise, le Machu Picchu ou la baie de Maya en Thaïlande pourrait être durablement restreint, voire interdit, aux visiteurs. Ce n’est pas ce que nous souhaitons pour la France.
Aussi, vous l’aurez compris, le groupe du RDSE votera en faveur de cette proposition de loi recentrée sur sa mission d’origine : réglementer l’hyper-fréquentation des sites touristiques pour les préserver durablement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes SOCR, CRCE, UC et Les Républicains.)