Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Vous l’avez dit, monsieur le sénateur Hervé, le versement transport représente un montant important, puisque les entreprises, avec près de 4 milliards d’euros de versement transport, financent 44 % des recettes des transports collectifs.
Le schéma de gouvernance prévu par le projet de loi d’orientation des mobilités (LOM) est le fruit de longues discussions avec toutes les parties prenantes, parmi lesquelles le Medef, qui a vivement écarté toute perspective de hausse de ce versement transport, compte tenu de son poids actuel dans le financement des transports.
Pour autant, afin de répondre aux demandes légitimes des 25 % de citoyens, des 75 % de territoires dépourvus de réseau géré par une autorité organisatrice de transports, donc de solutions de mobilité organisées, la future LOM encourage les communautés de communes, qui représentent environ 20 millions d’habitants à l’échelle nationale, à exercer la compétence d’organisation de la mobilité.
Le versement transport est sanctuarisé et devient le versement mobilité pour les collectivités qui mettront en place des services de transport collectif réguliers, afin de préserver l’acceptabilité de cet impôt assis sur la masse salariale par les acteurs économiques – vous l’avez rappelé, c’est un sujet délicat.
Le Sénat avait proposé un versement transport réduit à 0,3 % pour les communautés de communes qui n’organisaient pas de services de transport collectif réguliers, ainsi qu’une affectation d’une part de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) pour celles dont le rendement était inexistant.
Alors que le versement transport est un impôt complexe pour les entreprises, cette solution conduisait à doubler le nombre d’entreprises soumises à cette imposition, ce qui les contraignait à assumer de nouvelles obligations déclaratives pour des montants très faibles.
C’est pourquoi le Gouvernement n’a pas souhaité retenir cette solution et a préféré recourir à la réforme de la fiscalité locale, en substituant, comme vous le savez, de la TVA dynamique à de la taxe d’habitation moins dynamique, afin que les collectivités confrontées à un problème d’acceptabilité ou de rendement du versement transport puissent, malgré tout, disposer de ressources pour organiser des solutions de mobilité sur leur territoire.
Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé, pour la réplique.
M. Loïc Hervé. Vous ne serez pas surprise, madame la secrétaire d’État, de ce que je vais vous dire… J’avais bien précisé que j’attendais autre chose que cette réponse. Mais vous ne me répondez pas plus que vous n’avez répondu à mon collègue du groupe socialiste et républicain !
Vous prétendez inciter les collectivités, surtout les communautés de communes ou d’agglomération, à exercer la compétence mobilité. Mais vous savez qu’il faut nécessairement des ressources et des recettes – c’est un « nécessairement » sonnant et trébuchant ! Que l’on soit confronté à une allergie fiscale sur le territoire ou à des difficultés de mise en œuvre – le conseil communautaire n’ose pas mettre le point à l’ordre du jour, ou alors, comme dans mon cas, la décision politique locale est négative – et l’on n’est plus en mesure de développer cette politique publique, pourtant vitale pour nos concitoyens.
C’est pourquoi je vous incite à travailler le sujet. Il est pour nous essentiel !
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Vous avez fait référence, madame la secrétaire d’État, à un rapport du GART publié au début du mois d’octobre. Consacré à la gratuité dans les transports en commun, ce rapport s’est appuyé sur les conclusions d’un colloque organisé en juin dernier à Nice, intitulé « Gratuité des transports publics : entre idéal et réalité ? » Il vient utilement compléter le rapport de la mission d’information.
Le constat est assez unanime : supprimer purement et simplement le paiement des transports par les usagers est une mesure relevant du leurre, voire de la démagogie dans les territoires tendus.
En effet, un service gratuit est forcément payé par quelqu’un, et la priorité pour l’usager, c’est avant tout la qualité de service. Il ne faut donc pas sacrifier la qualité à la gratuité !
De plus, la gratuité totale ne serait pas nécessairement au bénéfice des plus modestes, qui, bien souvent, on l’a dit, bénéficient déjà d’offres gratuites, tout comme les jeunes ou les seniors disposent de tarifs préférentiels.
À cela s’ajouterait un effet d’aubaine pour les vacanciers et les touristes dans les territoires à forte attractivité touristique, comme le mien, où le réseau serait alors financé par les seuls contribuables locaux.
L’offre payante est donc un levier de financement garantissant à l’autorité organisatrice de transports des moyens en matière d’entretien, des capacités d’investissements, mais également la faculté de proposer une pluralité d’offres, parfois proches de la gratuité. Dans la métropole Nice Côte d’Azur, l’instauration du ticket à un euro a permis d’introduire équité et solidarité territoriale, ce ticket s’appliquant à l’ensemble des 49 communes de la métropole, des zones de montagne jusqu’au bord de mer.
Je ne vais pas vous poser de nouveau la question de la baisse du taux de TVA, madame la secrétaire d’État, puisque vous avez répondu à Mme Éliane Assassi sur le sujet.
Je formulerai ma question différemment : le Gouvernement serait-il prêt à considérer les transports en commun comme des services de première nécessité, à l’image des pratiques ayant cours dans de nombreux pays – Allemagne, Royaume-Uni, Suède, ou encore Norvège ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Le colloque du GART à Nice, colloque auquel vous avez fait référence, madame la sénatrice Estrosi Sassone, a effectivement contribué à la réflexion et au débat.
Comme nous l’observions précédemment, la décision de mettre en place ou non la gratuité des transports publics relève avant tout du libre choix des collectivités locales. Ce n’est pas une décision de l’État. Les autorités organisatrices de transports restent libres de leur politique tarifaire, de l’appréciation de leurs marges de manœuvre financières et fiscales, comme en témoigne le choix de la métropole Nice Côte d’Azur que vous avez mentionné.
J’ai cité tout à l’heure plusieurs options : la tarification solidaire, qui permet de différencier les tarifs en fonction du revenu ou des statuts et qui apparaît comme une alternative pour répondre à la problématique de mobilité des populations les plus fragiles ; un accompagnement à la mobilité, avec la compétence mobilité solidaire et l’appui des départements et des régions par bassin de mobilité ; le développement d’une offre de qualité, considéré par la Fédération nationale des associations d’usagers des transports comme le critère essentiel.
S’agissant du fait de considérer les transports comme un service essentiel, je crains de devoir réitérer la réponse que j’ai donnée à Mme Éliane Assassi. Le manque à gagner serait de 800 millions d’euros pour le budget de l’État, qui n’est pas encore instruit à ce stade.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte.
M. Jean-Michel Houllegatte. Ce rapport d’information sur la gratuité des transports à l’avantage de replacer la problématique dans sa globalité. Je pense notamment aux liaisons domicile-travail et aux incidences liées à l’étalement urbain.
En 1968, déjà, Henri Lefebvre, cité dans le rapport, notamment à la page 93, indiquait dans son livre Le Droit à la ville : « les milieux populaires souffrent d’une double peine, car, pour eux, la distance travail-domicile ne cesse de croître et parce que la pauvreté se traduit par l’usage des modes de transport plus lents, moins directs, inconfortables ».
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) vient de publier un avis sur le rapport entre travail, emploi et mobilités, dans lequel il est souligné que, plus que jamais, l’offre de logements est trop éloignée des lieux de travail.
Ainsi, on peut lire en page 69 : « L’étalement urbain est un facteur important de l’allongement des déplacements domicile-travail. La périurbanisation a tendance à s’accentuer avec le renchérissement généralisé du coût du logement en accession à la propriété ou pour le parc locatif et social. En effet, les écarts du coût du foncier, entre le centre des grands pôles urbains et leur périphérie, incitent les actifs et actives à rechercher des logements moins chers et plus grands plus loin des zones d’activité. »
Les politiques d’urbanisme des années 1960 ont montré leurs limites. La pression foncière dans les centres des métropoles, concentrant des activités tertiaires, rend l’immobilier résidentiel inaccessible.
Dès lors, madame la secrétaire d’État, y a-t-il une volonté gouvernementale de mettre en place des outils de régulation, notamment via la taxation des plus-values immobilières, pour financer, certes la diversification sociale du logement, mais aussi les besoins liés aux infrastructures et, de manière générale, les besoins en mobilité ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Je vous rejoins totalement, monsieur le sénateur Houllegatte, quand vous posez la question globale de l’aménagement du territoire et de l’étalement urbain.
Cette question est centrale dans les débats qui nous animent, à la fois au regard de la mobilité, compte tenu de l’allongement des temps de transport, et en matière de vivre ensemble, puisque les personnes se retrouvent éloignées des centres de travail comme des lieux de convivialité. En outre, elle évoque des défis écologiques redoutables, l’étalement urbain étant l’une des causes de l’artificialisation des sols et, donc, de la perte de biodiversité.
Vous m’interrogez sur l’articulation des politiques d’aménagement et des politiques de mobilité, l’amélioration des infrastructures de transport et des services encourageant l’étalement urbain, lequel nous invite à conduire des réflexions pour diminuer ces besoins en mobilité.
La mission dont nous discutons les conclusions aujourd’hui propose de poursuivre et d’élargir la réflexion sur les modes de financement de la mobilité, notamment en matière de captation des plus-values foncières. Du point de vue du Gouvernement, un travail pourrait être engagé en ce sens.
Je rappelle que plusieurs mesures prévoyant l’instauration d’une taxation des plus-values immobilières liées aux infrastructures de transport ont été adoptées par le Parlement au cours des dernières années. Aucune n’a été mise en œuvre.
S’agissant de l’Île-de-France, la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris avait ainsi prévu l’instauration d’une taxe sur le produit de la valorisation des terrains nus et des immeubles bâtis résultant des projets d’infrastructures du réseau de transports du Grand Paris, mais cette disposition a finalement été abrogée par la quatrième loi de finances rectificative pour 2010.
Une taxe sur le produit de la valorisation des terrains nus et des immeubles bâtis résultant de la réalisation d’infrastructures de transports collectifs en site propre avait également été instituée par la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite Grenelle 2, mais cette taxe, qui ne concernait pas l’Île-de-France, n’a elle non plus jamais été appliquée. Elle a été abrogée par la loi de finances initiale pour 2015.
Si les outils existent en droit, l’absence de mise en œuvre conduit à s’interroger sur la complexité opérationnelle d’un tel dispositif. Les réflexions portent davantage sur des dispositifs fiscaux plus simples, avec une assiette territoriale élargie, financés par des ressources fiscales de type taxe sur les bureaux.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte, pour la réplique.
M. Jean-Michel Houllegatte. Il y a urgence à remettre l’ouvrage sur le métier, madame la secrétaire d’État. Cela concerne notre capacité, à la fois, à repenser nos politiques urbaines et à revoir la taxation des plus-values. À l’heure actuelle, la pression foncière crée un mouvement centrifuge d’éviction. Dans son livre L’Archipel français, Jérôme Fourquet évoque un phénomène de gentrification des centres-villes. Celui-ci crée un risque social et sociétal très important.
Mme la présidente. La parole est à M. René Danesi.
M. René Danesi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les comparaisons internationales montrent qu’en France la part des recettes tarifaires dans les ressources des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) est significativement inférieure à celle des réseaux de transports collectifs étrangers. En effet, en France, les employeurs sont les premiers financeurs des transports publics. À l’exception culturelle française bien connue, la France ajoute discrètement l’exception du financement des transports publics.
L’apport financier des entreprises passe par deux canaux principaux : premièrement, la participation des employeurs aux frais de transport de leurs salariés, entre le domicile et le lieu de travail, pour un coût annuel de l’ordre de 900 millions d’euros pour les entreprises ; deuxièmement, le versement transport, prochainement dénommé « versement mobilité », qui est un impôt. Instauré en 1971 pour la seule région parisienne, ce versement a été progressivement étendu, de sorte que plus de 250 autorités organisatrices de la mobilité lèvent actuellement cet impôt sur les entreprises comptant plus de dix salariés.
Nous constatons, au cours des quinze dernières années, une baisse généralisée de la part des usagers dans le financement des transports publics et une hausse importante du versement transport. Celui-ci représente en moyenne 47 % des ressources des AOM. Dès 2017, 67 % des AOM de plus de 300 000 habitants ont atteint le plafond. Le nombre de municipalités ou de conseils d’agglomération qui offrent le transport gratuit n’a jamais été aussi élevé. Selon le groupement des autorités responsables des transports, elles sont au nombre de 29. Sous le couvert de la transition énergétique, une vingtaine de programmes électoraux proposent la gratuité totale, et plusieurs équipes sortantes y pensent à plus ou moins haute voix.
Ma question, madame la secrétaire d’État, est donc la suivante : ne pensez-vous pas que l’extension de la gratuité totale risque d’amener les employeurs à contester la légitimité même d’un impôt de plus en plus éloigné de sa raison d’être initiale ? Un vieux dicton nous apprend que la cruche finit par se casser à force d’aller à l’eau ; or le versement mobilité restera indispensable pour cofinancer les investissements nécessaires à la modernisation et à l’expansion continue des transports publics.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Danesi, le versement transport, effectivement, est aujourd’hui une ressource importante du financement des transports collectifs. Comme je l’ai dit plus tôt, il représente environ 44 % du coût total. C’est la raison pour laquelle nous ne souhaitons pas l’augmenter, mais simplement le stabiliser.
Qu’on le veuille ou non, une gratuité entraînerait forcément un transfert de charges vers les contribuables, alors que les autorités organisatrices ont à mener des politiques de renouvellement et d’extension du réseau. Ces politiques ont un coût. Ce qui n’est pas financé par l’usager le sera par le contribuable local ou par les employeurs – le cas du versement transport a été cité.
La gratuité induit une fréquentation supplémentaire des transports publics sur l’ensemble de la journée, y compris aux périodes de pointe, aggravant la saturation du réseau. La gratuité appelle donc des investissements et des dépenses de fonctionnement supplémentaires, les moyens de production, matériels et humains étant en effet dimensionnés pour absorber les heures de pointe.
Ainsi, pour les plus grands réseaux, la gratuité pourrait doublement renchérir le recours à l’impôt, notamment au versement transport : par un effet prix, entraînant une baisse de ressources, d’une part, et par un effet volume, entraînant une hausse des moyens de production nécessaires, d’autre part.
Comme vous le soulignez, pour la très grande majorité des réseaux de transports publics en zone dense, les besoins de mobilité sont tels que la gratuité apparaît plutôt pénalisante ; elle risquerait de remettre en cause l’équilibre subtil qui a été trouvé entre les financements de l’usager et du contribuable et de mettre en péril toute l’accessibilité du versement transport.
Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz.
M. Gilbert-Luc Devinaz. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, notre rapport a eu une vertu, celle de sortir ce débat d’une approche un peu binaire. Nous avons montré que la gratuité des transports collectifs n’est pas une idée bonne ou mauvaise en soi : tout dépend dans quel but elle est mise en œuvre. Elle doit s’inscrire dans une stratégie locale de développement qui prend en compte les particularités du territoire et de ses habitants.
Pour ma part, je préfère la notion d’accès libre aux transports. Elle illustre mieux le fait que l’accès aux transports a un coût et qu’ouvrir cet accès à tous ou non relève d’un choix de la collectivité. Cette expression permet de mieux réfléchir à des outils alternatifs : la tarification solidaire, plus ambitieuse, implique non pas la gratuité totale, mais donne la gratuité à ceux qui en ont besoin.
Toutes ces mesures participent néanmoins d’une révolution sociale des mobilités, une révolution dont les effets positifs se feront sentir, à terme, pour l’ensemble des habitants : réduction de la pollution de l’air, amélioration de la fluidité du trafic, etc. Ces retombées positives vont bénéficier à tous : non seulement aux collectivités et aux AOM, mais aussi à l’État, via une baisse des dépenses de santé.
Pour renforcer ces externalités positives, notre rapport a mis en évidence l’éventualité de ressources alternatives à la fiscalité locale : une vignette pour les SUV, par exemple, ou l’affectation d’une part de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) au fonctionnement des transports en commun.
Madame la secrétaire d’État, quelle est la position du Gouvernement à l’égard de l’affectation d’une part de la fiscalité de l’État au financement des politiques de mobilité vertueuses ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Devinaz, vous avez raison, ce débat est l’occasion de sortir d’une discussion binaire. Je me réfère donc à la première recommandation du rapport : « Dépassionner le débat qui souffre trop souvent de positions de principe et d’idées préconçues. » Pour revenir au fond, la décision de mettre en place la gratuité relève bien du libre choix des collectivités territoriales – et donc des autorités organisatrices de la mobilité.
Des alternatives existent pour sortir de ce débat binaire. Premièrement, la tarification solidaire, que nous avons déjà évoquée dans ce débat, permet de répondre à la problématique de mobilité des populations les plus fragiles. Deuxièmement, nous pouvons accompagner la mobilité, au-delà de l’aspect tarifaire, avec la compétence mobilité solidaire des AOM, soutenues par la région et le département. Troisièmement, nous devons continuer à travailler sur le développement d’une offre de mobilité.
En ce qui concerne la TICPE, celle-ci est plutôt orientée vers les investissements. Elle ne me paraît donc pas une solution à ce stade.
Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz, pour la réplique.
M. Gilbert-Luc Devinaz. J’entends bien que la TICPE est orientée vers les investissements. En l’occurrence, il s’agit d’un investissement ! Si cette logique prévalait, et si nous avions une vision plus globale des dépenses de l’État, on pourrait constater que les aides aux collectivités pour développer des mobilités plus vertueuses permettent des économies dans le domaine de la santé !
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Lherbier.
Mme Brigitte Lherbier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’heure des bouleversements climatiques, plus personne ne peut faire aujourd’hui l’impasse sur la question de l’environnement.
Dans son rapport de 2018, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat préconisait d’atteindre une réduction de plus de 40 % des consommations d’énergie dans les transports, tout d’abord en réduisant notre usage de la voiture. Il ne s’agit pas de simples ajustements, comme le fait de prendre moins souvent sa voiture. Il s’agit de changer radicalement nos modes de vie en ville.
L’État et les collectivités territoriales ont une responsabilité dans le domaine des transports et de la mobilité. Les politiques doivent ainsi proposer à nos concitoyens les moyens de changer leur mode de vie, afin que la voiture ne soit pas le mode de transport prépondérant.
Peu d’expériences sur la gratuité des transports collectifs sont menées à l’échelle nationale. Cependant, l’une d’entre elles retient toute mon attention, celle de l’agglomération de Dunkerque, qui compte plus de 200 000 habitants. Après avoir été expérimentée le week-end pendant trois ans, la gratuité a fini par s’étendre à la semaine. Les premières conclusions sur l’expérience dunkerquoise semblent particulièrement positives.
Dans le débat des élections municipales, les maires de la métropole lilloise ont fait savoir qu’ils étaient favorables à la mise en place d’une gratuite partielle, tournée vers certains publics, notamment les jeunes, et même les très jeunes – ce à quoi je suis très favorable –, et lors des pics de pollution.
La gratuité totale n’est pas possible partout. Cependant, afin de lutter contre le changement climatique, l’État et les collectivités territoriales devront mettre en place des politiques plus incitatives.
Madame la secrétaire d’État, quels moyens le Gouvernement entend-il mettre en œuvre pour inciter nos concitoyens à utiliser davantage les services publics de transport collectif ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice Lherbier, l’un des avantages de cette mission d’information et de ce débat est de pouvoir s’appuyer sur des expériences concrètes et réelles, qui nous permettent d’éviter les positions de principe, au-delà des préjugés. Il est manifeste qu’il revient à chaque autorité organisatrice de trouver le bon équilibre entre les différentes sources de financement, ses capacités d’investissement, le versement transport et ce qu’elle veut demander à ses administrés.
Si la métropole lilloise souhaite se diriger vers une gratuité partielle, une gratuite solidaire qui autorise une tarification qui ne pèse que peu ou pas du tout sur les jeunes, les plus fragiles ou les étudiants, ce choix relève de sa responsabilité, au sein d’une offre globale de transport consolidée.
Pour accompagner les autorités organisatrices, l’État ou le Gouvernement doivent faire passer le message suivant : il y va de la responsabilité des collectivités, dans le respect du principe de la libre administration territoriale, auquel cette chambre est particulièrement attachée. Ensuite, la LOM présente différents outils : la tarification solidaire, une idée qui est maintenant un impératif qui s’imposera aux autorités organisatrices, et surtout la lutte contre les zones blanches.
La première injustice est effectivement de résider dans un territoire couvert par une autorité organisatrice ou non. Notre objectif est de faire en sorte que, à moyen terme, tous les Français habitent des territoires couverts par des autorités organisatrices, qui trouveront le point d’équilibre. L’État soutiendra les autorités par la contractualisation, y compris par l’intermédiaire des appels à projets France mobilités, qui peuvent permettre d’innover. Cependant, les autorités ont la responsabilité de faire des choix.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Grosperrin.
M. Jacques Grosperrin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, ce rapport sur la gratuité des transports collectifs parle essentiellement des transports en commun à l’échelle des aires urbaines. L’avant-propos précise en effet que la question des personnes vivant en zones périurbaines ou en milieu rural est une problématique plus vaste ; elle mérite un traitement à part entière, car aborder ce sujet par le prisme de la gratuité serait trop réducteur.
Néanmoins, les zones périurbaines et rurales qui entourent nos agglomérations et métropoles sont parfois couvertes par des réseaux de transport émanant de la ville-centre. Le service rendu est alors fortement déséquilibré. Pour illustrer concrètement mon propos, je vous parlerai des transports de la ville de Besançon et de sa métropole. Je le dis d’emblée, une gratuité totale à laquelle accéderaient exclusivement les habitants de la ville-centre, et donc ceux qui disposent de services et d’emplois à proximité immédiate, me semble particulièrement inéquitable. Les arbitrages budgétaires réalisés pour permettre cette gratuité empêcheraient, par exemple, le développement d’une meilleure offre par un réseau élargi ou un cadencement plus soutenu.
En revanche, j’adhère à l’idée de la gratuité partielle. Les jeunes sont une cible privilégiée à bien des égards. Je crois à la portée éducative que pourrait revêtir ce genre de pratique, en les incitant, dès le plus jeune âge, à se déplacer différemment de leurs aînés et à adopter d’autres réflexes, plus vertueux d’un point de vue écologique.
Ensuite, si le choix d’une gratuité partielle en direction des jeunes me semble pertinent, c’est aussi parce que la mobilité leur est purement et simplement imposée pendant leur scolarité !
Concernant l’exemple de Besançon et de ses communes périphériques, Grand Besançon Métropole est l’autorité organisatrice de la mobilité sur son territoire. La région Bourgogne-Franche-Comté, pour sa part, organise les transports scolaires, à l’exception des zones couvertes par un réseau urbain et périurbain. La conséquence est la gratuité totale du transport scolaire pour tous les élèves du ressort de la région, du cours préparatoire à la classe de terminale. En revanche, les élèves de la communauté urbaine doivent s’acquitter d’un abonnement mensuel important.
Le déséquilibre, une fois encore, se fait sentir. L’absence d’une mesure nationale sur ce sujet pose le problème de l’harmonisation, qui n’est pas automatique. Je ne sais s’il s’agit d’une bonne solution ; mais, si la gratuité peut être une solution pour un cas donné ou un territoire en particulier, elle ne le sera pas forcément pour un autre.
Madame la secrétaire d’État, comment le Gouvernement peut-il favoriser, tout en respectant l’autonomie des exécutifs locaux, une plus grande équité pour répondre à l’enjeu central que seront les mobilités de demain ?