M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, la discussion qui s’ouvre au Sénat à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 sera, comme chaque année, l’occasion de confronter nos visions des orientations que le Gouvernement a prises et qu’il défendra devant vous.
Mme Agnès Buzyn vient de vous présenter ce que ce texte prévoit en matière d’accès aux droits et aux prestations pour nos concitoyens. Je concentrerai donc mon propos sur les équilibres généraux et les articles relatifs aux recettes.
Disons-le d’emblée, la question de la non-compensation de certaines exonérations de cotisations sociales cristallisera certainement les critiques et, sans doute, une part des oppositions qui pourront s’exprimer sur ce texte. J’y reviendrai bien évidemment ; nous aurons ce débat lors de la discussion de l’article 3.
Néanmoins, pour avoir bien suivi les travaux de la commission des affaires sociales du Sénat et échangé avec elle le 15 octobre dernier, je crois aussi pouvoir souligner, en ouverture de cette discussion, que les points d’accord sont souvent plus importants que ceux sur lesquels nous sommes divisés.
Je souhaiterais, pour commencer, mettre l’accent sur ces points de convergence, avant de revenir sur la question de la compensation.
C’est d’abord un objectif, dont je sais qu’il est partagé sur ces bancs : poursuivre la maîtrise des dépenses sociales afin d’en assurer la soutenabilité financière tout en permettant la protection des plus vulnérables. Cet objectif se retrouve dans le solde de la sécurité sociale pour 2020, plus dégradé que prévu, puisque le déficit s’élève à 5,1 milliards d’euros.
Vous savez que deux éléments expliquent ce résultat : d’abord, des hypothèses macroéconomiques moins favorables, qui affectent principalement les recettes ; ensuite, les réponses d’ampleur apportées par le Gouvernement à l’urgence économique et sociale dont la crise de l’automne et de l’hiver derniers a été le révélateur.
Nous assumons – je l’ai dit devant votre commission – le fait que la réponse à cette crise a conduit à dégrader, temporairement, nos comptes sociaux, mais ce déficit ne signifie nullement que nous ayons abandonné nos objectifs de finances publiques, bien au contraire.
Nous poursuivons la politique budgétaire sérieuse et efficace que nous conduisons depuis deux ans pour soutenir la croissance et l’emploi, car cette politique a permis d’obtenir des résultats.
Si l’on considère l’ensemble du champ des administrations publiques, nous sommes parvenus à la fois à maîtriser la dépense publique dans son ensemble – 40 milliards d’euros de dépenses ont été évités depuis 2017, soit autant d’économies tendancielles –, à réduire les déficits de 20 milliards d’euros entre 2019 et 2020, pour atteindre en 2020 le déficit le plus bas depuis 2001, et à baisser les prélèvements obligatoires de 40 milliards d’euros sur l’ensemble du quinquennat, dont 27 milliards d’euros en faveur des ménages, tout en stabilisant notre endettement, ce qui n’était pas arrivé depuis plusieurs années.
La sécurité sociale a pris sa part à cet effort et continuera bien évidemment de le faire : ses dépenses demeurent maîtrisées et des efforts sont demandés à tous pour permettre à la sécurité sociale de revenir à l’équilibre d’ici à 2023. Ces efforts sont notamment demandés aux entreprises : ainsi, en 2020, elles connaîtront un encadrement de la déduction forfaitaire spécifique, qui est un dispositif ancien aux effets mal maîtrisés, puisqu’il amplifie le gain des allégements généraux. Cette déduction sera plafonnée à 130 % des allégements généraux de droit commun, ce qui contribuera au financement de nouvelles mesures en faveur du pouvoir d’achat.
Par ailleurs la dette sociale portée par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) sera apurée d’ici à 2024. En 2019, deux tiers de cette dette auront déjà été apurés, soit 171 milliards d’euros sur un total de 260 milliards.
Dans ce contexte, vous comprendrez que le Gouvernement émette un avis défavorable sur l’ensemble des amendements qui visent à étendre ou à renforcer des niches sociales nouvelles.
Il en sera ainsi de la proposition visant à encourager les employeurs à prendre en charge les abonnements de transports publics de leurs salariés, ou d’autres qui tendent à créer des niches catégorielles. Toutes ces propositions procèdent de préoccupations qui sont légitimes – la question ne porte pas sur cette légitimité –, mais elles partent de l’idée que la baisse des prélèvements serait la seule solution à tous les problèmes. Surtout, elles ont un coût que nous ne pouvons pas assumer à ce stade. Ces mesures ne sont en effet pas financées et sont par ailleurs contradictoires avec la volonté de limiter au maximum les niches fiscales et sociales.
Ce texte comporte également un certain nombre de dispositions importantes sur lesquelles nous devrions nous retrouver.
Nous reconduisons en 2020 la prime exceptionnelle entièrement désocialisée et défiscalisée que le Sénat avait adoptée l’année dernière. En 2019, cette prime a permis de distribuer 2,2 milliards d’euros de pouvoir d’achat à 5 millions de salariés ; son montant moyen s’élève à environ 400 euros. Pour 2020, son versement sera conditionné à la négociation ou à la conclusion d’un accord d’intéressement dans l’entreprise ; les conditions seront assouplies pour les TPE. En effet, nous voulons encourager le partage de la valeur au sein de l’entreprise, entre les travailleurs et les employeurs.
J’ai bien noté, monsieur le rapporteur général, votre vigilance : vous souhaitez que cette prime, qui est une mesure de pouvoir d’achat, demeure exceptionnelle. Ce souci est partagé par le Gouvernement : si cette prime devait perdurer, cela créerait le risque d’une substitution de la prime au salaire, ce qui ne serait pas profitable pour les salariés en fin de compte, mais serait dangereux pour nos comptes sociaux.
C’est pourquoi nous avons inscrit ce dispositif dans la continuité de l’action que nous avons entamée au travers de la loi Pacte pour favoriser, de manière durable, le partage de la valeur dans l’entreprise grâce aux accords d’intéressement.
Le volet « simplification » de ce PLFSS rejoint également les travaux du Sénat et, en particulier, ceux qu’il a menés en faveur des travailleurs indépendants.
Dans le prolongement de nos engagements pris lors de la suppression du régime social des indépendants (RSI) en matière de simplification du recouvrement des cotisations sociales, nous allons, d’ici à 2021, fusionner les déclarations fiscales et sociales des travailleurs indépendants. Ils pourront ainsi effectuer en une seule formalité trois déclarations qu’ils adressent aujourd’hui à des interlocuteurs différents et à des dates distinctes. Cette mesure rejoint une proposition formulée de longue date par le président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) du Sénat, M. Jean-Noël Cardoux, et par M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales.
Nous proposons également de mener à son terme l’unification du recouvrement social autour des Urssaf pour que notre action publique soit plus efficace et que les entreprises n’aient plus qu’un seul interlocuteur pour leurs cotisations. Ce chantier fait écho à celui que nous conduisons dans le champ fiscal et qui sera discuté dans le projet de loi de finances pour 2020.
Un autre point d’accord, me semble-t-il, concernera la simplification de l’accès aux droits, grâce à la contemporanéisation du crédit d’impôt et des aides financières, pour les personnes dépendantes et les personnes handicapées.
Grâce à une expérimentation menée à Paris et dans le Nord, 1,1 million de personnes bénéficieront à terme de cette mesure de simplification et de pouvoir d’achat pour l’accès à des services essentiels.
Il en sera de même pour l’exonération de cotisations sociales de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle dans la fonction publique, rupture créée par la loi du 6 août 2019. Cette exonération permet d’aligner le régime social de la fonction publique sur celui du secteur privé. Le Gouvernement est très attaché à ce que la mobilité soit favorisée au sein la fonction publique, mais aussi entre le secteur public et le secteur privé. Cette mesure de cohérence doit y contribuer.
Tels sont donc les points de convergence sur lesquels nous devrions nous retrouver ; vous pouvez constater qu’ils sont importants. Ils participent, à mon sens, à une large amélioration de notre système de protection sociale.
J’en viens maintenant au débat relatif à la compensation des exonérations de cotisations sociales.
Plusieurs mesures sont concernées, au premier rang desquelles l’exonération des heures supplémentaires que la loi portant mesures d’urgence économiques et sociales a avancé du 1er septembre au 1er janvier 2019.
Nous avions eu un premier débat, l’année dernière, lors de l’examen du PLFSS pour 2019, au sujet du choix de la non-compensation ; ce débat s’était poursuivi lors de l’examen de ces mesures d’urgence. L’article 3 du présent PLFSS prolonge le choix fait par le Gouvernement et adopté par l’Assemblée nationale, choix qui figurait déjà dans le programme de stabilité que nous avons présenté au printemps et qui a déjà fait l’objet de débats parlementaires.
Sur la question de principe, les termes du débat sont connus. Ils peuvent paraître byzantins aux non-initiés.
Du point de vue du contribuable, il n’y a pas, d’un côté, des impôts et des taxes d’État et, de l’autre, des impôts et cotisations : il y a seulement ce que l’État demande à chacun au bénéfice de la collectivité. Il en va de même s’agissant des dépenses : pour les Français, une dépense est une dépense, qu’elle relève du budget de l’État ou de celui de la sécurité sociale.
D’ailleurs, je tiens à préciser d’emblée que, sur les 16,8 milliards d’euros auxquels est estimé le coût des mesures d’urgence économiques et sociales, 14 milliards d’euros sont à la charge du budget de l’État, contre 2,8 milliards d’euros à la charge du budget de la sécurité sociale, ce qui démontre que celle-ci n’est pas mise à contribution pour financer l’intégralité des mesures, comme on peut le lire parfois.
M. Yves Daudigny. Heureusement !
Mme Laurence Rossignol. Le Gouvernement est trop bon !
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Plus largement, nous avons collectivement souhaité que la rénovation des relations financières entre l’État et la sécurité sociale passe par une clarification et une responsabilisation de chaque sphère.
Cette clarification est d’autant plus nécessaire que ce n’est pas la première fois que des mesures décidées par le Gouvernement et par le Parlement et financées par la sécurité sociale ne sont pas compensées.
Je rappelle enfin que toutes les administrations publiques sont engagées dans un effort pour redresser nos comptes, nous désendetter et redonner aux Français les fruits de leur travail. Par conséquent, la sécurité sociale n’est évidemment pas le seul secteur pour lequel l’équilibre compte : nous gardons de cela une vision globale.
L’essentiel me paraît par ailleurs préservé puisque, avec ou sans compensation, ce PLFSS contient des mesures fortes en faveur des Français, mesures que Mme Agnès Buzyn vous a présentées il y a un instant. Je pense notamment au soutien au pouvoir d’achat des retraités, avec la réindexation sur l’inflation des pensions inférieures à 2 000 euros par mois, ce qui concernera 77 % des retraités, à la protection des Français contre les nouveaux risques, avec l’indemnisation du congé de proche aidant et la création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques, ou encore aux engagements déjà pris par Mme la ministre lors de l’examen de ce texte à l’Assemblée nationale concernant l’hôpital et, notamment, à la visibilité pluriannuelle que nous voulons donner aux établissements.
Cette liste de mesures traduit la volonté du Gouvernement de répondre à la demande de justice sociale, de protection des plus vulnérables et de prise en compte des nouveaux risques.
Ce texte s’inscrit dans la continuité de la politique que nous menons pour baisser les impôts et soutenir le pouvoir d’achat des Français. Si nous vous le présentons, c’est parce qu’il nous paraît responsable et cohérent avec nos objectifs de finances publiques et de redressement des comptes sociaux.
N’oublions pas cette réalité : seuls des comptes sociaux maîtrisés dans le cadre d’une soutenabilité financière permettent de préparer l’avenir et de préserver la force de notre modèle social.
Je partage évidemment l’intégralité des propos de Mme la ministre concernant la motion de renvoi à la commission déposée au nom de votre commission des affaires sociales, et je forme à mon tour, dans le respect du Parlement, le souhait que nous puissions, au cours des prochaines heures et des prochains jours, discuter des mesures que nous vous présentons et des propositions d’amélioration que vous nous soumettrez. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – Mme Évelyne Perrot applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’entreprendre une rapide lecture de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, je voudrais exprimer combien, après la lecture des annonces publiées par le Journal du dimanche, les parlementaires que nous sommes sont irrités – c’est peu dire ! –, mais aussi inquiets quant au rôle du Parlement.
Nous sommes irrités, car cet article, dont vous dites qu’il n’est pas une interview, annonce tout de même que vous avez réussi votre négociation – je vous en félicite ! – et que le Président de la République a tranché. Des moyens nouveaux seront accordés à l’hôpital – nous nous en réjouissons ! –, les carrières seront revalorisées – je l’ai lu en toutes lettres, et c’est très bien ! –, et la dette pourrait être reprise par l’État : 30 milliards d’euros, ce n’est pas négligeable. Ce souhait était déjà formulé depuis fort longtemps par notre commission.
Madame la ministre, tout cela est très bien, et je vous félicite encore d’avoir pu en obtenir autant au cours de vos négociations, mais vous n’en révélerez la teneur exacte que le 20 novembre prochain ! Autrement dit, nous allons attendre.
M. Bernard Jomier. On fait tapisserie !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. C’est là que nous sommes inquiets : à quoi sert le Parlement ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, SOCR et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – On s’exclame : « À rien ! » sur des travées du groupe Les Républicains.)
À quoi sert notre débat sur ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, ce débat que nous ouvrons aujourd’hui, si tout se passe en dehors de cette enceinte ? (Mêmes exclamations.)
Nous allons voter sur un texte dont nous savons que, sitôt ce vote, il sera obsolète…
M. Pierre Ouzoulias. Insincère !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Je ne dirais pas « insincère », mais il sera du moins obsolète.
M. René-Paul Savary. C’est une obsolescence programmée !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Nous allons adopter un Ondam, mais nous savons qu’il faudra le revoir ; vous l’avez vous-même laissé entendre en affirmant que vous aviez bien l’intention de déposer un projet de loi relatif à l’hôpital, comprenant des mesures nouvelles.
Alors, ces mesures n’étaient-elles pas prévisibles ? Elles sont pourtant nécessaires : tout le monde en est d’accord ! Il était donc très facile de faire adopter ce nouvel Ondam par notre assemblée.
J’ose encore espérer que, lors de l’examen de l’article 59, qui se tiendra vraisemblablement vendredi ou samedi, en fonction de l’allure de nos débats, vous pourrez nous en dire plus sur les mesures que vous entendez prendre à l’avenir. Ainsi, tout simplement, ce débat et ce vote verraient les droits du Parlement respectés. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)
J’en viens à ce projet de loi de financement de la sécurité sociale tel qu’il nous est présenté. Vous venez de rappeler, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement va proposer au Sénat d’adopter un exercice 2019 en déficit de 5,4 milliards d’euros ; un déficit presque équivalent, de 5 milliards d’euros, nous est présenté pour l’année 2020. La trajectoire présentée en annexe B du PLFSS n’envisage plus qu’un timide retour à l’équilibre à l’horizon de 2023 ; entre-temps, si tout va bien, la sécurité sociale aura accumulé quelque 17 milliards d’euros de nouveau déficit.
Alors, que s’est-il passé depuis l’année dernière ? Tout d’abord, la conjoncture a été moins bonne que prévu ; en particulier, la masse salariale hors primes exceptionnelles n’a progressé que de 3 %. En conséquence, la sécurité sociale a perdu 1,6 milliard d’euros par rapport à la prévision de progression de 3,5 %. Ensuite, certaines dépenses des branches maladie et vieillesse ont un peu dérapé, à hauteur de 1,2 milliard d’euros. La conjugaison de ces deux facteurs explique la moitié environ de la dégradation du solde de l’année 2019.
Quant à l’autre moitié, elle résulte d’un choix du Gouvernement, tiré de la conclusion d’un rapport remis au Parlement à l’été 2018 : ne plus compenser à la sécurité sociale les nouvelles mesures entraînant des pertes de recettes. Désormais, comme vous le dites, c’est « chacun chez soi ». À l’État, d’une part, et à la sécurité sociale, d’autre part, d’assumer le coût de la diminution de leurs recettes.
À l’évidence, notre commission ne peut suivre cette logique, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, elle méconnaît la vraie nature de la sécurité sociale. À l’inverse du budget de l’État, il n’y a pas, à la sécurité sociale, de grand pot commun ; au contraire, des ressources précises sont affectées à des dépenses précises. « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » : ce principe fondateur reste complètement d’actualité.
« À quoi bon ces subtilités, nous dit-on : après tout, l’argent sort de la même poche ! » Certes, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mais quand je paie mon assurance habitation et mon abonnement de téléphone, ces deux paiements sortent aussi de la même poche. Pour autant, dans les deux cas, je sais pour quoi je paie ! De même, les Français savent pour quoi ils paient leurs cotisations, la CSG, la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) – du moins, j’ose l’espérer – : c’est pour pouvoir faire face à la maladie, aux accidents du travail et aux charges de famille, et un jour vivre leur retraite. C’est par nature plus clair que dans le cas de l’État, dont les recettes et les dépenses sont universelles.
En outre, le principe de non-compensation repose sur un postulat qui n’existe plus. MM. Christian Charpy et Julien Dubertret, dans leur rapport, tablaient sur des excédents qui n’existent malheureusement plus. Nous devons donc constater ensemble que, s’il n’y a plus d’excédent, la situation ne justifie plus l’absence de compensation. Comme nous le disions l’année dernière, l’État impécunieux s’est précipité pour « faire les poches » de la sécurité sociale avant qu’elles ne soient pleines !
Pour l’ensemble de ces raisons, de ces principes de bonne gestion des finances publiques, nous défendrons au nom de la commission plusieurs amendements visant à refuser les nouvelles entorses à la loi Veil du 25 juillet 1994 qui figurent dans ce PLFSS.
Toutefois, mes chers collègues, que nous adoptions ou non la recompensation des mesures de la loi portant mesures d’urgence économiques et sociales, soyons conscients qu’il faudra maîtriser l’évolution des dépenses de la sécurité sociale, cette année, bien sûr, mais aussi les années à venir.
En effet, même si l’État compense, les comptes risquent de rester dans le rouge encore très longtemps. Au vu des masses en jeu, cela concernera au premier chef les branches maladie et vieillesse, qui pèsent à elles seules 470 milliards d’euros de dépenses en 2020.
Nous proposerons nos propres solutions, plus structurelles qu’un énième coup de rabot. Elles seront difficiles, sans doute, mais compréhensibles par les Français et de nature à garantir le pouvoir d’achat de tous les retraités et des familles.
Quant à l’hôpital, madame la ministre, à l’évidence, les plans d’économie ne suffisent plus, même s’ils sont nécessaires. La réorganisation tarde à produire ses effets. Il faudra donc bien des mesures nouvelles.
Alors, respect du principe de compensation, vigilance sur les recettes de la sécurité sociale, maîtrise de ses dépenses : la commission des affaires sociales proposera au Sénat une gestion sérieuse et capable de ramener la sécurité sociale au plus vite sur la voie des excédents et de l’apurement total de sa dette.
Au bout du compte, mes chers collègues, la question est de savoir si nous pourrons léguer à nos enfants une sécurité sociale enfin délestée de sa dette. Or si nous laissons les comptes glisser sur la pente que le Gouvernement nous invite à emprunter, quelque 47,5 milliards d’euros de dette, gérés sous forme de découverts, auront été accumulés d’ici à 2023 par les différentes branches. Bref, à l’heure où s’éteindra la Cades, en 2024, la sécurité sociale sera plus endettée que lorsque cette caisse a été créée. Sisyphe sera en quelque sorte revenu au pied de la montagne, au moment même où il pensait avoir achevé son ouvrage. (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Deroche. C’est beau !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Alors, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, convenons que cela n’est tout simplement pas possible. Nous ne pouvons pas nous contenter de balayer la question de la dette de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), comme vous l’avez fait devant notre commission en considérant que les taux d’intérêt ne devraient pas augmenter dans les douze prochains mois.
Il est d’ailleurs fort possible que, à l’approche de l’échéance de 2024, le Conseil constitutionnel nous rappelle à l’ordre. En effet, dans ses décisions de 2010, il a imposé aux pouvoirs publics l’extinction, cette année-là, de la dette sociale, et non de la seule Cades.
M. René-Paul Savary. Absolument !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Au-delà de ces considérations juridiques, il nous faut revenir à l’essentiel et réaffirmer en conclusion quelques vérités simples.
La sécurité sociale n’est pas une sous-branche de l’État : elle constitue une entité autonome. Elle répartit les sommes qu’elle perçoit et ne devrait donc ni connaître de déficit ni, a fortiori, creuser de trou à la charge des générations futures, ce qu’une règle d’or inscrite dans une loi organique devrait rappeler. Mais puisque le trou de la sécurité sociale existe toujours, consacrons toutes les ressources destinées à le reboucher à ce seul usage tant que cela ne sera pas fait !
Voilà, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, l’esprit qui guidera les propositions que, avec mes collègues, nous formulerons au nom de la commission des affaires sociales tout au long de l’examen de ce PLFSS. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Catherine Deroche, rapporteure de la commission des affaires sociales pour l’assurance maladie. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, adoptée à l’été dernier, exprimait une ambition de transformation de notre système de soins que nous avons été nombreux à soutenir, en dépit de divergences ou de certains regrets. La crise que traverse l’hôpital rend cette transformation plus nécessaire, mais aussi plus pressante que jamais.
Nous sommes nombreux à entendre, dans nos territoires, les inquiétudes de nos concitoyens comme les signaux d’épuisement des professionnels du soin, dont nous saluons l’engagement.
Si nous reconnaissons dans ce PLFSS des avancées que nous soutiendrons, il nous laisse cependant un goût d’inachevé au regard des enjeux inédits auxquels fait face notre système de santé.
Vous avez donné, madame la ministre, un certain nombre de gages aux acteurs hospitaliers : au-delà de vos engagements sur le dégel des crédits et la hausse des tarifs, auxquels nous serons attentifs, la voie ouverte par ce texte vers une meilleure visibilité sur les ressources des établissements de santé répond à des attentes fortes.
Cela rejoint certaines des conclusions d’un rapport sur l’Ondam que j’ai présenté avec René-Paul Savary. La pluriannualité est un enjeu majeur pour nourrir une vision plus prospective des besoins en santé. Elle est aussi une réponse concrète à l’incertitude permanente qui obère la capacité des établissements à décider de projets structurants. Le fait que l’investissement soit en berne depuis dix ans affecte les conditions de travail des personnels comme la prise en charge des patients.
Vous en avez pris en partie la mesure, madame la ministre, en annonçant dans les médias un plan de soutien ciblé sur l’investissement courant et l’attractivité des métiers à l’hôpital. C’est un engagement lourd de sens.
Mais, pour faire écho à M. le rapporteur général, quelle est la portée des discussions que nous engageons sur ce PLFSS, dès lors que nous n’avons pas connaissance de l’ensemble des moyens qui seront déployés ?
Permettez-moi de vous rappeler que l’exigence de visibilité que je viens d’évoquer s’applique aussi en direction du Parlement. C’est pour cette raison de principe que la commission, comme je le défendrai, proposera de surseoir à l’adoption de l’Ondam pour 2020.
Sur les dispositions disparates intéressant la branche maladie, que je ne peux évoquer in extenso, nous soutiendrons, moyennant des ajustements, les maillons posés concernant les réformes attendues du financement de la psychiatrie ou des urgences.
Il en est de même des mesures incitatives à l’installation des médecins dans les zones sous-dotées qui reprennent, quoiqu’avec moins d’ambition, un dispositif déjà voté au Sénat. En la matière, c’est l’exigence de souplesse qui guidera mes propositions.
Nos principales divergences porteront sur le volet relatif aux produits de santé.
En réponse aux légitimes préoccupations qu’ont suscitées les propositions du Gouvernement sur la régulation de la distribution de certains dispositifs médicaux, nous apporterons des aménagements. Nous nous montrons particulièrement circonspects quant à la procédure de référencement sélectif des fauteuils roulants ; nous sommes attachés à ce que les garanties des bénéficiaires soient renforcées afin qu’ils ne pâtissent pas de leur remise en bon état d’usage.
La fixation des prix de certains médicaments nous paraît par ailleurs prendre un virage assez peu compatible avec les principes que la commission des affaires sociales a toujours défendus. La mobilisation du mécanisme du tiers payant en cas d’égalité entre princeps et générique n’a pas fait l’objet d’une discussion suffisamment approfondie pour être acceptée en l’état. De façon plus générale, ce PLFSS porte trop manifestement atteinte à la négociation conventionnelle pour la fixation du prix de certains produits de santé.
L’accès précoce aux médicaments connaît par ailleurs des restrictions que nous jugeons préoccupantes.
Les travaux que j’ai menés avec Yves Daudigny et Véronique Guillotin ont montré l’urgence d’adapter nos procédures au nouveau paradigme en matière d’innovation. Je vous proposerai un dispositif expérimental en ce sens, mais c’est vers la stratégie globale du Gouvernement sur ce domaine crucial que nos interrogations vont aussi se porter.
C’est donc sous réserve de ces observations, ainsi que de l’adoption des amendements que je présenterai au nom de la commission, que celle-ci vous demandera d’adopter les dispositions relatives à la branche maladie de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)