Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. (Mme Marta de Cidrac applaudit.)
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le 3 juillet dernier, plus de 150 sénateurs et sénatrices de tous les groupes publiaient dans un grand quotidien national, sur l’initiative de la délégation aux droits des femmes, une tribune sur les féminicides – un mot terrible qu’une actualité révoltante a, jour après jour, fait entrer dans notre vocabulaire. « Ces femmes tuées ne sont pas des statistiques », écrivions-nous. « Elles ont des visages, des prénoms. Derrière les chiffres, il y a des enfants qui grandiront sans leur mère, des parents qui vieilliront sans leur fille. » Les victimes étaient alors au nombre de 71 depuis le début de l’année ; elles sont désormais plus de 120…
Il faut s’en réjouir, le texte dont nous débattons traduit une véritable prise de conscience d’une réalité effroyable et –hélas ! – quasiment quotidienne, longtemps occultée sous le terme rassurant de « crime passionnel ». Le calendrier de l’examen de cette proposition de loi démontre une volonté partagée d’aller vite.
Cela dit, on peut aussi déplorer que cette volonté politique ait tant tardé à s’exprimer, alors que la sonnette d’alarme était tirée depuis très longtemps par les experts et les acteurs de terrain. Prêter attention plus tôt à ces alertes aurait évité la mort à des centaines de femmes et aurait changé le destin de centaines d’enfants.
On peut aussi s’interroger sur un calendrier qui empêche la prise en compte, par la future loi, des enseignements qui ne manqueront pas d’émerger du Grenelle des violences conjugales, dont la fin est prévue dans trois semaines environ. Ne devrons-nous pas, à la suite du Grenelle, débattre d’un nouveau texte législatif, alors que l’encre de la loi dont nous discutons aujourd’hui sera à peine sèche ?
En dépit de cette réserve, relative à la méthode et non au fond, permettez à la délégation aux droits des femmes de se féliciter, par ma voix, que la proposition de loi traduise des recommandations que nous formulons régulièrement dans nos travaux sur les violences au sein des couples. Je pense notamment à la nécessité de proscrire toute tentative de médiation par le juge aux affaires familiales, dès lors que des violences ont été alléguées – et non commises – par l’un des parents.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes. Quant au bracelet anti-rapprochement, il s’agit certainement d’un outil prometteur pour empêcher le passage à l’acte de l’auteur de violences. Gardons-nous toutefois de le considérer comme une « baguette magique » qui, à elle seule, mettrait fin au fléau des violences conjugales. Il est heureux que la commission des lois souhaite mettre à l’épreuve cet outil, qui sera aux mains du juge civil. Le suivi de cette mesure sera donc essentiel, et les moyens qui seront attribués à sa mise en œuvre devront être à la hauteur des enjeux. En tant que parlementaires, nous devrons exercer notre vigilance lors du contrôle de l’application de la future loi.
En matière de violences, l’outil répressif ne suffit pas, c’est une évidence. La prévention est essentielle, comme la délégation aux droits des femmes ne manque jamais de le souligner. Les meilleures lois, les outils les plus performants ne sauraient être efficaces si le personnel appelé à les appliquer et à les utiliser – policiers, gendarmes, magistrats – n’est pas formé à la psychologie des victimes et à l’emprise qu’exerce l’auteur des violences sur sa famille. En outre, l’effort de formation aux violences, qui est réel et mobilise beaucoup d’énergies – il convient d’en saluer les acteurs –, ne sert à rien eu égard à la mobilité de personnels qui changent d’affectation à peine formés…
M. Roland Courteau. Évidemment !
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes. Par ailleurs, notre délégation appelle régulièrement l’attention sur la question des moyens des associations, véritables bras armés des politiques publiques en matière de lutte contre les violences. Leurs subventions sont désormais calculées au plus juste. Les bracelets électroniques et les téléphones grave danger seront inutiles si les associations ne peuvent plus accueillir, conseiller et orienter les victimes.
La conviction de la délégation est aussi que les politiques publiques de lutte contre les violences doivent être déployées avec la même attention partout, y compris dans les territoires ruraux et dans les outre-mer.
À ces points de vigilance s’ajoute la nécessité de prêter une attention spécifique aux violences subies par les femmes handicapées ; c’est encore un sujet tabou. Veillons à ne pas faire de ces victimes particulièrement vulnérables les oubliées de la dynamique qui s’engage actuellement contre les violences.
M. Roland Courteau. Absolument !
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes. Enfin, les violences intrafamiliales imposent de réfléchir au maintien de l’autorité parentale, car un mari violent ne saurait être un bon père et un enfant témoin est toujours un enfant victime.
N’ayons pas la naïveté ou la suffisance de croire que l’adoption de cette loi nous dédouanera de nos responsabilités à l’égard d’un fléau qui touche tant de familles. C’est à une mobilisation de la société tout entière, dans tous les territoires et dans la durée, que nous appelle le glaçant décompte des féminicides. C’est notre responsabilité d’élus, de parents et de citoyens.
En dépit de ces quelques interrogations et réserves, la délégation salue un texte qui marquera, nous l’espérons, une étape positive pour agir concrètement contre les violences conjugales. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens en préambule à saluer la présence symbolique sur nos travées, tout à l’heure, du président du Sénat. Il a ainsi voulu marquer, je le crois, l’importance de ce texte pour nous tous.
Cette année, 129 femmes sont mortes, tuées par leur conjoint ou leur ex-conjoint ; 129 femmes assassinées, autant de vies anéanties. Ce chiffre est insensé, insupportable ; il cache des douleurs insondables. Pourtant, il ne fait qu’approcher la réalité sans vraiment en rendre compte.
Combien de femmes souffrent à l’heure où je m’exprime devant vous ? Combien sont gravement blessées ? Combien se sont suicidées ? Ce chiffre de 129 femmes tuées signe l’échec de toute une société, notre échec collectif. Devant ce drame quotidien, agir résolument contre les violences et les féminicides est une obligation.
Nous examinons aujourd’hui une proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale qui tend à agir contre ces violences, bien souvent constatées dans le cadre privé du foyer. Son adoption à l’unanimité montre que l’ensemble des députés, quelle que soit leur sensibilité, sont convaincus de la nécessité d’agir pour enrayer ce fléau.
Pourtant, la situation dans laquelle nous nous trouvons cet après-midi ne doit pas manquer de nous interpeller. C’est bien une proposition de loi que nous examinons. Pour un sujet présenté il y a deux ans et demi comme la « grande cause du quinquennat », le recours à ce véhicule législatif a en soi une signification. De par sa nature même, ce texte est dépourvu de toute étude d’impact et d’avis du Conseil d’État ; nous verrons ultérieurement que cela manque.
À cela s’ajoute un calendrier contraint, déjà évoqué, marqué par la clôture prochaine du Grenelle des violences conjugales, au terme duquel des annonces gouvernementales seront faites.
Enfin, nous apprenons le dépôt à venir d’une nouvelle proposition de loi par le groupe majoritaire à l’Assemblée nationale.
Quelle conception du travail parlementaire ! Quelle approximation dans la prise en compte des violences conjugales !
Le Sénat n’a disposé que de deux semaines pour étudier ce texte, qui s’inscrit pourtant, je le répète, dans la grande cause du quinquennat, et il ne pourra y avoir qu’une seule lecture, le choix ayant été fait d’engager la procédure accélérée.
Je le dis donc sans détour : les conditions ne sont pas réunies pour garantir aux Françaises et aux Français une production qualitative de la loi ; je le déplore. Compte tenu des enjeux, puisqu’il s’agit bien d’épargner des vies, nous ne saurions nous en satisfaire.
Je le disais à cette tribune en juillet 2018, à propos du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, la « grande cause du quinquennat » débouche parfois sur de bien petites lois. Je crains que cela ne soit encore le cas aujourd’hui, alors qu’un tel sujet mérite, au contraire, un vaste projet de loi, impliquant les services de police et de gendarmerie, les services sociaux, les collectivités locales, la formation des agents et l’organisation judiciaire, en particulier la répartition des compétences entre le juge aux affaires familiales, le juge des enfants et le juge des libertés et de la détention.
Enfin, un projet de loi à la hauteur des ambitions affichées par le Président de la République lui-même exigerait que des moyens financiers massifs soient déployés afin d’améliorer la prise en charge des victimes, le soutien aux associations, l’hébergement d’urgence des victimes, la formation des personnels… Nous nous tournons souvent vers l’Espagne, modèle de lutte efficace contre les violences conjugales : nous connaissons le budget colossal que ce pays a alloué à cette lutte. Nous sommes loin, ici, de ces exigences, et l’on peut craindre que, une fois encore, des effets d’annonce ne masquent de maigres avancées.
Vous le savez, nous adhérons aux objectifs de ce texte, mais nous savons qu’il ne va pas assez loin et que l’ensemble du sujet n’est pas traité. Les résultats risquent donc d’être, une nouvelle fois, en deçà des enjeux. En effet, il s’agit avant tout de protéger les victimes et de renforcer les moyens mis à cette fin à disposition des associations, des collectivités, de la police et de la justice.
Telle est l’intention de l’auteur du texte, pour ce qui concerne le raccourcissement à six jours du délai de délivrance de l’ordonnance de protection, mais ce nouveau délai pourra-t-il être tenu sans moyens supplémentaires ?
C’est également l’intention qui sous-tend l’extension du recours tant au téléphone grave danger qu’au bracelet anti-rapprochement et l’ouverture de la possibilité d’ordonner le port de celui-ci en phase pré-sentencielle, bien qu’il s’agisse d’une mesure attentatoire aux libertés et que le texte fasse reposer cette décision sur le juge aux affaires familiales.
C’est aussi le sens des mesures d’aide au logement, qui tendent à préserver de la précarité les victimes et, bien souvent, leurs enfants.
Le groupe socialiste et républicain aborde l’examen de cette proposition de loi dans un esprit constructif. Il proposera toutefois des amendements pour en améliorer certains aspects, notamment en ce qui concerne l’ordonnance de protection, le bracelet anti-rapprochement et la situation des enfants, qui mérite d’être mieux appréhendée.
Pour autant, nous sommes lucides ; mettre fin au funèbre décompte des mortes par centaines sous les coups de leur conjoint exige de courageuses décisions budgétaires. Or, jusqu’à présent, le Gouvernement nous a davantage gratifiés de paroles que de décisions budgétaires…
Cela étant, je reste optimiste ; les discussions budgétaires ne sont pas terminées, et nous espérons que le Grenelle des violences conjugales débouchera sur la mobilisation de moyens propres à donner aux acteurs de terrain la capacité de lutter efficacement contre ce fléau. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Costes.
Mme Josiane Costes. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous commençons aujourd’hui l’examen d’une proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille, un objectif qui, bien qu’il soit aujourd’hui consensuel, n’a que rarement fait l’objet d’un texte spécifique, la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants ayant été la première initiative législative en ce sens.
Comment expliquer les réticences institutionnelles à sanctionner des actes connus de tous et décrits parfois crument dans la littérature ? Qui n’a appris, à l’école, le zeugma : « il battait la campagne et sa femme » ? Pour appuyer mon propos, je voudrais vous donner lecture d’un extrait du roman La Bête humaine, d’Émile Zola, publié voilà plus de cent trente ans et vendu à plus de 99 000 exemplaires en 1902 :
« Alors, ce fut abominable. Cet aveu qu’il exigeait si violemment venait de l’atteindre en pleine figure, comme une chose impossible, monstrueuse. […] Il la jeta d’une secousse en travers du lit, il tapa sur elle des deux poings, au hasard. »
Vous vous souvenez peut-être de la suite, mes chers collègues ; elle est effroyable… Cet extrait dit, me semble-t-il, l’horreur que subissaient et que subissent encore de nombreuses femmes sur l’ensemble du territoire français, en milieu urbain ou rural, en métropole ou outre-mer. Il explique aussi l’impuissance culpabilisante des témoins de ces violences, en premier lieu les enfants ; c’est un sujet sur lequel il nous faudra forcément revenir.
Il m’est aujourd’hui impossible de comprendre pourquoi ce passage glaçant n’a pas produit dès sa parution, en 1890, un sentiment de révolte suffisant pour amener à combattre ce que l’on a appelé les « immunités familiales », à savoir la réticence à s’immiscer judiciairement dans la cellule conjugale au motif d’en préserver l’équilibre.
Au contraire, l’immunité familiale s’est parfois renforcée après la publication de La Bête humaine, avec la pénalisation de l’adultère ou de l’avortement et la reconnaissance d’un « devoir conjugal », c’est-à-dire la légalisation du viol entre époux.
Constater que nous sommes désormais tous déterminés à agir, quelle que soit notre appartenance politique, rassure.
Le texte de nos collègues députés couvre presque tous les champs utiles à la sécurisation du quotidien des femmes alléguant des faits de violences conjugales, après la mise à l’abri d’urgence et avant les suites pénales.
Il vise d’abord à renforcer l’uniformité de l’application des dispositifs existants, en limitant les marges d’appréciation des juges, qu’il s’agisse du juge aux affaires familiales, saisi pour la délivrance d’une ordonnance de protection, ou du procureur de la République, intervenant pour celle d’un téléphone grave danger.
Il prévoit ensuite que nous nous dotions de nouveaux moyens techniques, avec le port d’un bracelet anti-rapprochement par les personnes condamnées.
Enfin, il tend à faciliter la mise en œuvre pratique de l’éloignement de la victime et son accès à un logement.
La plupart de ces dispositions nous semblent aller dans le bon sens, de même que les modifications apportées par la commission des lois après les travaux importants réalisés par Mme la rapporteur, que je félicite et remercie. Cependant, malgré sa vigilance, nous ne sommes pas convaincus de la pertinence du développement du recours au bracelet anti-rapprochement dans le cadre de l’ordonnance de protection, surtout à titre expérimental, compte tenu des restrictions budgétaires que connaît le ministère de la justice. En effet, nous nous inquiétons qu’une telle mesure coercitive, prise par un juge civil en amont de toute condamnation, se heurte aux fondements de notre droit pénal. L’ordonnance de protection ne doit pas se substituer au procès pénal. C’est pourtant le chemin que nous prenons, sans doute en raison du manque de réactivité de nos juridictions, lié à leur manque de moyens.
Nous proposons, au contraire, d’élargir les éléments fondant la prise d’une ordonnance de protection, afin que le doute profite toujours aux personnes dénonçant des violences, mais de limiter, dans le même temps, les conséquences coercitives pour les présumés auteurs de violences, qui devraient intervenir après le procès pénal seulement. Une demande d’ordonnance de protection sur deux échoue aujourd’hui faute de preuves suffisantes. À cet égard, nous considérons que les « signaux faibles », du côté des victimes comme des auteurs de violences, devraient être mieux pris en compte. Ils sont connus : chez la victime, l’isolement doit alerter ; chez les auteurs de violences, certains facteurs doivent accroître notre vigilance, comme le souligne un rapport de l’Organisation mondiale de la santé, tels que la consommation excessive d’alcool, des difficultés financières subites, des troubles comportementaux, des discours de légitimation de la violence… Tous ces facteurs altèrent la qualité de la communication au sein de la cellule familiale.
À côté des solutions développées pour les victimes, des dispositifs d’écoute devraient également être mis en place en amont pour les personnes traversant ces difficultés, afin de prévenir tout basculement vers la violence.
La dimension territoriale ne devrait pas être oubliée : c’est parfois un facteur aggravant, quand la ruralité accroît l’isolement. Des solutions innovantes ont d’ailleurs été développées sur le terrain, avec le financement de bus d’aide aux victimes. Du point de vue des capacités d’hébergement, les îles intérieures de la République pourraient utilement servir de refuges accueillants !
Enfin, et surtout, vouloir combattre la violence au sein de la famille sans évoquer celle qui s’exerce sur les enfants, qu’ils soient témoins ou victimes, me paraît un contresens énorme. On le sait, une part importante de ces enfants deviendront malheureusement des auteurs ou des victimes de violences familiales. Un récent rapport, produit par trois inspections générales, a justement formulé des propositions destinées à renforcer la lutte contre les morts violentes d’enfants. Nous proposerons des amendements qui s’en inspirent.
Il faut briser le cercle vicieux de la violence familiale en s’attaquant à toutes ses dimensions. Il serait dommage de ne pas se saisir de l’occasion que constitue la discussion de cette proposition de loi au seul motif que la procédure accélérée a été enclenchée.
Mme Françoise Laborde. En effet !
Mme Josiane Costes. En conclusion, l’intolérance à l’égard des violences doit infuser à tous les niveaux de la société française, et la libération de la parole doit aboutir à des décisions de justice conformes aux grands principes de notre État de droit.
Malgré ces quelques réserves, nous estimons que ce texte va dans le bon sens. Nous le voterons, en espérant qu’il est la première pierre d’un projet plus important. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Cartron.
Mme Françoise Cartron. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le chiffre est terrible : cette année, 129 féminicides ont eu lieu en France ; 129 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint !
Autant de drames, avec des conséquences inimaginables pour les enfants et les familles.
Autant de catastrophes, qui appellent des réponses concrètes et renforcées, des réponses qui s’appliquent vite – le plus tôt possible, afin d’éviter le pire –, des réponses qui prennent en compte les situations sociales et territoriales diverses des victimes, des réponses qui éloignent, qui protègent et qui donnent le temps de la reconstruction, des réponses efficaces au quotidien, qui enrayent la spirale infernale de la violence aveugle.
Ces dernières années, des décisions ont été prises. Elles étaient bienvenues. Il faut maintenant, collectivement, aller plus loin.
Depuis 2017, le Gouvernement a pris des initiatives politiques en la matière. Je pense à la mise en place du numéro d’appel 3919, Violences Femmes Information. Nous devons toutes et tous faire connaître au maximum ce numéro national de référence, mis en place afin d’écouter, d’informer et d’orienter des victimes vers des dispositifs d’accompagnement et de prise en charge.
En conclusion du Grenelle ouvert en septembre dernier, les groupes de travail constitués dans ce cadre ont présenté soixante-cinq propositions destinées à lutter contre les violences faites aux femmes.
Des mesures d’urgence ont d’ores et déjà été annoncées. Certaines relèvent de la compétence réglementaire, comme l’ouverture de 1 000 nouvelles places d’hébergement, l’audit des commissariats et des gendarmeries pour évaluer les conditions d’accueil ou encore l’ouverture de la possibilité de déposer plainte dans les hôpitaux.
Ma collègue la députée girondine Bérangère Couillard, qui a copiloté les « grenelles locaux », évoquait hier, dans Sud-Ouest, l’exemple de la cellule d’accueil d’urgences des victimes d’agression (Cauva) mise en place au sein du CHU de Bordeaux. Elle a par ailleurs remis ses conclusions hier.
À l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, le 25 novembre prochain, seront annoncées, au regard de ces importants travaux de consultation, de nouvelles mesures et de nouvelles actions.
La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui s’inscrit pleinement dans ce cadre. Elle tend à agir contre les violences au sein de la famille. Nous nous réjouissons de l’adoption quasiment unanime de ce texte en première lecture à l’Assemblée nationale. Nous le voterons évidemment aujourd’hui, l’ensemble des membres de notre groupe soutenant pleinement les dispositifs qui y figurent.
Quels sont ces dispositifs ?
La proposition de loi vise à réduire les délais de délivrance des ordonnances de protection et à rendre ainsi ces dernières plus efficaces.
Elle prévoit d’élargir le port du bracelet anti-rapprochement de l’auteur de violences dans le cadre du couple. Ce système permettra de géolocaliser et de maintenir à distance les conjoints ou ex-conjoints violents par le déclenchement d’un signal, selon un périmètre d’éloignement fixé par un juge. Permettre la pose du bracelet dès la délivrance de l’ordonnance de protection, dans un cadre préventif, constitue, il est vrai, une évolution significative.
Le texte permettra de renforcer l’hébergement d’urgence, en faisant du maintien de la victime dans le logement familial et de l’éloignement de l’auteur des violences la règle.
Il renforcera l’outil que constitue le téléphone grave danger, appareil portable doté d’une touche dédiée, permettant à la victime de joindre, en cas de grave danger, le service de téléassistance, accessible 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Ce dispositif bénéficiera d’un budget supplémentaire ; c’est indispensable pour que les TGD puissent être attribués de façon plus massive. De même, la généralisation du bracelet anti-rapprochement devra être soutenue par un financement en hausse au titre de 2020.
Au cours des débats, outre des amendements d’ordre rédactionnel, les membres de notre groupe proposeront d’ouvrir deux pistes de réflexion : d’une part, sur l’opportunité de prévoir une suspension de plein droit de l’autorité parentale lorsque l’un des deux parents est décédé des suites d’un homicide volontaire et que les faits mettent en cause l’autre parent, cela dès la phase d’enquête ou d’instruction ; d’autre part, sur la possibilité d’une intervention du juge des libertés et de la détention afin que la mesure électronique mobile anti-rapprochement puisse être prononcée à titre pré-sentenciel, dans le cadre d’un contrôle judiciaire.
Pour conclure, je veux souligner la qualité des travaux réalisés par notre délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes et sa présidente, Annick Billon. Elle nous a permis de participer à de nombreuses auditions très éclairantes, en particulier en matière de lutte contre toutes les formes de violences. En parler, en débattre est plus que jamais nécessaire. Améliorer le cadre législatif est indispensable, car des réponses concrètes sont attendues aujourd’hui par toutes les femmes en souffrance. Ne les oublions pas ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme Annick Billon. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, aujourd’hui, nous ne parlerons ni de « drames familiaux » ni de « crimes passionnels ». Nous n’emploierons aucun de ces termes minimisant la réalité d’une situation insoutenable, celle de ces femmes battues à qui, un jour, leur conjoint ôte la vie. Nous ne tolérerons plus que l’espace politique ignore cette violence systémique, nourrie par un patriarcat ancestral qui laisse penser à de nombreux hommes qu’ils ont droit de vie et de mort sur leur compagne, conjointe ou ex-conjointe.
Nous parlons ici d’un véritable problème de société, d’une pandémie. Depuis le début de l’année 2019, 129 femmes sont mortes des mains de leur conjoint ou ex-conjoint, soit plus d’un féminicide tous les trois jours ! Depuis le jour où un élu régional s’en est pris au voile d’une mère musulmane accompagnatrice de sortie scolaire et la polémique qui s’est ensuivie, statistiquement, plus de huit femmes ont eu le temps de mourir sous les coups de leurs agresseurs.
M. Max Brisson. Quel est le rapport ?
M. Loïc Hervé. Vous mélangez tout !
Mme Pascale Gruny. Quel dommage…
Mme Esther Benbassa. Ce chiffre souligne l’inanité de nos débats sur le voile devant la gravité de la situation concrète des femmes battues. (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.) Il y a urgence à agir !
Ces violences s’exercent dans tous les milieux sociaux, à tous les âges et sur l’ensemble du territoire, et elles ne semblent pas décroître.
Les féminicides ne sont pourtant pas une fatalité. En Espagne, en 2005 et en 2009, deux lois majeures contre les violences faites aux femmes ont été adoptées. Les résultats sont tangibles, puisque le nombre de meurtres de femmes par leur conjoint est passé de 71 en 2003 à 44 en 2019.
Il y a lieu de saluer le travail de notre collègue député Aurélien Pradié et le dépôt par ses soins de la présente proposition de loi. Celle-ci dégage en effet de véritables solutions de fond pour combattre les féminicides, quand le Gouvernement paraît se contenter de faire de la communication sans effets concrets. On attend les conclusions du fameux Grenelle…
Nos politiques publiques ne sont tout simplement pas à la hauteur, tant sur le plan budgétaire qu’en termes d’arsenal juridique.
Nous n’avons consacré cette année que 79 millions d’euros à la lutte contre les violences faites aux femmes, alors même que celle-ci devait être l’une des grandes causes du mandat du président Macron. Vous conviendrez, mes chers collègues, qu’il s’agit là d’une dépense résiduelle au regard du budget total de l’État. À titre de comparaison, rappelons que nos voisins espagnols, eux, mettent en œuvre des stratégies de long terme, au travers de plans quinquennaux dotés de quelque 1 milliard d’euros.
Selon le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, 500 millions d’euros par an seraient nécessaires pour protéger les femmes qui portent plainte, et 1,1 milliard d’euros pour protéger toutes les femmes en danger. Il est à espérer que l’exécutif aura ces chiffres en tête lorsque la dernière main sera mise au projet de loi de finances pour 2020…
Notre arsenal juridique se révèle lui aussi insuffisant face aux dangers que tant de femmes courent au quotidien au sein même de leur foyer.
Plusieurs mesures contenues dans cette proposition de loi vont dans le bon sens.
Je pense à la réforme de l’ordonnance de protection. Actuellement, la durée moyenne de délivrance est de 42 jours. Ramener légalement le délai à 144 heures sera un gage de protection renforcée pour les victimes. En outre, le fait que ce dispositif puisse désormais être sollicité par tout moyen, sans dépôt de plainte préalable, devrait faciliter sa mise en œuvre.
L’aide personnalisée au logement pour les personnes cibles de violences conjugales ou l’extension du déploiement du téléphone grave danger sont aussi de véritables progrès.
Ajoutons que, si la répression des violences conjugales est évidemment un devoir, elle restera insuffisante si elle n’est pas accompagnée par la formation des personnels accueillant les victimes de ces violences et par l’éducation de nos enfants, dès le plus jeune âge, à l’égalité entre garçons et filles, entre hommes et femmes, pour en finir, s’il est possible, avec le fléau de la domination masculine.
Dans un esprit constructif, les membres de notre groupe déposeront quelques amendements, afin non pas de dénaturer la proposition de loi, mais d’en accroître l’efficacité.
Nous voterons en faveur de l’adoption de ce texte, parce que la lutte contre les féminicides devrait être l’une de nos priorités. Nous le devons à Monica, Yaroslava, Taïna, Moumna, Leïla, Gulçin, Nadine et aux dizaines d’autres femmes mortes sous les coups de leur conjoint. Que nul ne les oublie ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)