M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la présente proposition de loi vise à moderniser la régulation du marché des ventes aux enchères publiques opérée par le Conseil des ventes volontaires, rebaptisé Conseil des maisons de vente.
L’existence de cet établissement est une particularité française, si bien que sa suppression est souvent évoquée, au profit de la création d’une direction dédiée à ce secteur au sein du ministère de la culture.
L’auteure du texte, Catherine Morin-Desailly, ainsi que la rapporteure, Jacky Deromedi, dont je salue le travail, ont fait le choix de préserver le Conseil des ventes volontaires tout en proposant une réforme de fond tendant à moderniser l’établissement. Il s’agit, pour l’essentiel, de renforcer son efficacité et la transparence de son fonctionnement tout en agrandissant son périmètre d’action.
La commission des lois a souhaité recentrer ses missions sur la régulation du secteur, en supprimant la fonction de représentation des opérateurs de ventes volontaires auprès des pouvoirs publics, rôle dont l’on proposait de doter le Conseil et qui, aujourd’hui, est assumé par les syndicats.
Nous saluons également l’adoption d’un amendement visant à autoriser l’établissement à effectuer des contrôles sur place dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Selon les estimations du Fonds monétaire international, le FMI, le marché noir des œuvres d’art représenterait en 2019 un volume de 6 milliards d’euros, soit 10 % du marché de l’art. Ces pratiques sont renforcées par l’opacité du marché et par l’anonymat des acheteurs, qui, dès le mois de janvier prochain, devrait être levé pour les transactions supérieures à 10 000 euros, en application de la cinquième directive européenne anti-blanchiment. La création d’un organe disciplinaire distinct du Conseil contribuera également à renforcer l’efficacité de la régulation du marché de l’art, en limitant les conflits d’intérêts.
Nous sommes convaincus que cette proposition de loi va dans le bon sens, mais nous mesurons également ses limites. Nous devons poursuivre nos efforts pour relancer le secteur, qui accuse un très fort déclin depuis cinquante ans.
Jusque dans les années soixante, la France était au cœur du marché de l’art mondial. Aujourd’hui, les rapports de force économiques et normatifs ont changé, l’attractivité de la place de Paris décline : cette dernière arrive loin derrière New York, Londres et Hong Kong.
Cette partition récente témoigne du fort vent de compétitivité qui souffle sur un marché des ventes aux enchères désormais mondialisé, volatil et fortement polarisé par des acteurs puissants, tels que les maisons de vente Christie’s et Sotheby’s.
Comment expliquer un tel décrochage, alors même que la France bénéficie d’événements à dimension internationale comme la Foire internationale d’art contemporain, la FIAC, et d’un réseau de spécialistes de grande qualité ?
Les objectifs de préservation du patrimoine ont longtemps éclipsé les politiques de soutien au marché de l’art. La réforme du marché des ventes aux enchères, engagée sous l’impulsion de la Commission européenne à partir des années 1980, a mis fin au blocage des commissaires-priseurs, opposés à toute forme d’évolution. Les nombreux rapports publiés ces dernières années témoignent à la fois de l’importance du secteur des ventes aux enchères et des difficultés rencontrées par le législateur pour le faire évoluer.
La loi du 10 juillet 2000 a opéré une première réforme, libéralisant le marché français en mettant fin au monopole des commissaires-priseurs pour les ventes volontaires, et créant en même temps le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. À l’origine, cette instance était essentiellement chargée de délivrer des agréments aux opérateurs et de sanctionner les manquements à leurs obligations.
L’effort de libéralisation des ventes volontaires aux enchères publiques s’est poursuivi avec la réforme de 2011, autorisant notamment les commissaires-priseurs à effectuer des ventes de gré à gré.
Malgré ces réformes, l’organisation du marché est restée archaïque, et les divergences législatives et réglementaires entraînent des distorsions de concurrence entre les différentes places de vente. Paris est en concurrence directe avec Londres, au marché plus libéral et partant plus attractif pour les œuvres. Or il est difficile de se départir de règles qui limitent tant bien que mal la fraude et les opérations de blanchiment. Il est également difficile, à ce stade, de prévoir les conséquences, certaines, qu’aura le Brexit sur l’attractivité déjà faible de la place de Paris vis-à-vis de celle de Londres sur le marché des enchères.
Aussi, les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires apportent tout leur soutien à cette réforme. Nous invitons le Gouvernement à poursuivre les efforts pour permettre à la place de Paris, non pas de retrouver son rayonnement d’antan – ce serait illusoire –, mais de s’affirmer face au leadership du Royaume-Uni. Nous avons un maillage de galeries exceptionnel, des experts de très bon niveau, un savoir-faire reconnu et un réseau d’artistes contemporains qui ne demandent qu’à être valorisés ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien.
Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, autrefois, et jusque dans les années soixante-dix, Paris était la première place au monde pour les ventes aux enchères. La France est aujourd’hui en quatrième position, avec 5,6 % de parts de marché. Les États-Unis en détiennent 43 %, le Royaume-Uni 20 % et la Chine 19 %. En croissance exponentielle sur la scène internationale, ce marché exige non seulement une surveillance, mais aussi une fluidité accrue.
Ce constat n’est pas nouveau et, déjà, la loi du 20 juillet 2011, texte d’ailleurs adopté sur l’initiative du Sénat, avait assoupli la réglementation applicable. Depuis, l’explosion de l’art numérique, des nouvelles technologies et de la demande asiatique a accru les exigences de rapidité et d’adaptation à ce marché très spécifique des biens meubles.
Les professionnels sont unanimes : le Conseil des ventes volontaires est aujourd’hui une structure trop lourde et trop rigide.
La réforme défendue par Mme Catherine Morin-Desailly, auteure de la proposition de loi, et Mme Jacky Deromedi, rapporteur, va dans ce sens : accroître la clarté, la simplification et la professionnalisation tout en préservant une vraie régulation du marché.
Le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques devient ainsi le Conseil des maisons de vente. Sa composition assure une meilleure représentation des professionnels.
Jusqu’à présent, le Conseil est composé de onze membres nommés par le Gouvernement, qui, dans leur majorité, n’appartiennent pas à la profession : un membre du Conseil d’État, deux conseillers de la Cour de cassation, un membre de la Cour des comptes, trois professionnels en exercice ou retraités, trois personnalités qualifiées et un expert.
Demain, le collège comprendra six professionnels élus par leurs pairs, un représentant du ministère de la justice, un représentant du ministère de la culture et trois personnalités qualifiées nommées par la garde des sceaux, ministre de la justice, après avis des ministres chargés de la culture et du commerce.
Ainsi, les représentants de la profession deviendraient majoritaires au sein du collège. La fonction disciplinaire du Conseil appartiendrait désormais à une commission des différends et des sanctions distincte du collège. En instituant un organe disciplinaire indépendant, l’on dotera ce conseil des moyens adéquats pour lutter contre le blanchiment de capitaux et les trafics illicites.
La proposition de loi prévoit également que l’on puisse prononcer une sanction pécuniaire à l’égard d’un opérateur ; or les sanctions disciplinaires applicables jusqu’à ce jour sont l’avertissement, le blâme et l’interdiction d’exercer. Un tel choix va dans le sens de sanctions plus efficaces et individualisées.
Mes chers collègues, l’existence d’une autorité de régulation propre au secteur des ventes aux enchères est une spécificité française. Réformer cette instance en profondeur, sans la supprimer, apparaît aujourd’hui indispensable, d’une part, pour protéger efficacement les vendeurs et les acquéreurs, d’autre part, pour préserver l’image très positive dont bénéficient les maisons de vente françaises à l’étranger.
Un système de régulation plus rigoureux constitue un avantage certain sur un marché mondial très compétitif. C’est pourquoi je vous invite, comme les membres de mon groupe vont le faire, à soutenir cette proposition de loi ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est un vrai raz-de-marée ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, à l’instar de grands écrivains que je ne citerai pas, mais que certains ici reconnaîtront, nous cultivons le mode de la répétition. Les quatre discours qui ont précédé le prouvent, et je suis sûr que nous ne serons pas déçus par les trois qui suivront : tout le monde dit à peu près la même chose, ce qui est plutôt réconfortant ! (Sourires.)
Ce que l’on appelle « débat » prend même, ainsi, une dimension tout à fait rassurante ; il devient presque litanique. Vous voyez à quel écrivain je pense, mes chers collègues ! (Nouveaux sourires. – M. le président de la commission des lois rit.) Je ne manquerai donc pas de le dire, comme chacune et chacun de ceux qui m’ont précédé : alors qu’elle dominait le monde de l’art jusqu’à la fin des années cinquante, la France figure désormais à la quatrième position, loin derrière la Chine – 32 % –, les États-Unis – 36 % – et le Royaume-Uni – 13 % –, avec 6 % du marché mondial.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Constat de nouveau désolant !
M. Jean-Pierre Sueur. J’ajouterai que le volume total des ventes aux enchères réalisées en France a progressé, malgré quelques soubresauts, passant de 1,747 milliard d’euros en 2003 à 3 milliards d’euros en 2018. Mais cela n’a pas suffi à rattraper le retard pris à l’échelon mondial.
Madame Morin-Desailly – comme les autres orateurs, je veux vous rendre hommage, ainsi qu’à Mme Deromedi –, vous avez bien travaillé. Le texte que nous étudions comporte des modifications utiles. Celles-ci nous paraissent vraiment bienvenues ; elles ne suffiront sans doute pas à rétablir les équilibres et à rendre à notre pays la place que nous souhaiterions le voir retrouver, mais elles y contribueront. Je tiens donc à saluer votre initiative.
Comme chacun l’a dit, le Conseil des ventes volontaires deviendra le Conseil des maisons de vente.
Il aura pour mission de représenter la profession et de l’accompagner dans l’exercice de son activité de ventes volontaires aux enchères, de se positionner comme intermédiaire de confiance et comme relais d’information entre la profession, les pouvoirs publics et le grand public, et d’organiser et d’animer la formation des actuels et futurs professionnels des ventes volontaires.
Il est heureux que l’on ait revu la composition du collège du Conseil des maisons de vente, puisque le nombre de professionnels va y être multiplié par deux, ce qui assurera un plus grand ancrage dans la profession. Vous avez raison, madame la ministre : il n’aurait pas été souhaitable qu’y siègent ès qualités des représentants du ministère de la justice ou du ministère de la culture. D’ailleurs, la commission des lois en a bien eu conscience, qui est revenue en arrière en substituant à ces derniers des « personnalités qualifiées », ce qui est tout à fait juste et évite une confusion des pouvoirs qui eût été fâcheuse.
Cela étant dit, je veux saluer le travail de la commission, madame la rapporteure. Outre la modification dont je viens de parler, j’évoquerai le maintien de l’obligation faite au Conseil des maisons de vente de désigner un commissaire aux comptes et de se soumettre au contrôle de la Cour des comptes : c’est une bonne mesure.
Je mentionnerai, de même, l’exclusion expresse de toute aide, financière ou autre, qui, émanant du Conseil, pourrait aboutir à du favoritisme. Je citerai, enfin, le renforcement des prérogatives de cette instance dans le domaine de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme : un pouvoir de contrôle sur place lui est confié – c’est très bien.
Mon groupe voudrait apporter sa contribution, via deux amendements dont les dispositions sont inspirées du rapport désormais célèbre – comme mes prédécesseurs, j’y fais référence – de Mme Henriette Chaubon et de Me Édouard de Lamaze, qui reçoit dans cette enceinte, monsieur le président de la commission des lois, une publicité inespérée. Dans cet excellent rapport, il est proposé que les maisons de vente voient leurs compétences élargies aux inventaires successoraux facultatifs, c’est-à-dire aux inventaires fiscaux. Nous vous suggérons, mes chers collègues, de retenir cette proposition.
Nous présenterons un autre amendement, dont l’objet est terminologique : il nous est apparu qu’il était mieux de désigner les choses telles qu’elles sont, en parlant de « commissaire-priseur ». Les termes « commissaire-priseur judiciaire » sont appelés à disparaître à l’horizon 2023 ; parlons donc des « commissaires-priseurs » et des « maisons de vente ».
Je trouve mieux d’appeler les personnes visées par leur nom plutôt que d’écrire partout « opérateurs » ; « opérateur » est l’un de ces mots-valises qui pullulent aujourd’hui. Mais comme notre proposition n’a pas eu l’heur de vous plaire, madame la rapporteure, nous avons rectifié notre amendement au profit du terme « personnes ». Cela se discute, mais c’est un pas dans votre direction !
Je conclurai, comme je l’ai fait ce matin en commission, en rappelant cette phrase d’Albert Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, Les Républicains, UC et Les Indépendants.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Magnifique !
M. le président. Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, il est minuit passé de quelques minutes. Je vous propose de prolonger la séance, afin de poursuivre et d’achever l’examen de ce texte.
Il n’y a pas d’observation ?…
Il en est ainsi décidé.
La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, il est rare que les parlementaires s’emparent des questions du marché de l’art, de la régulation et, incidemment, de l’avenir de celui-ci. Il est vrai que, pour les nombreux esthètes siégeant parmi nous, la notion même de marché de l’art est taboue. Pour les détracteurs d’une telle vision, fidèles à la conception de Kant en vertu de laquelle le beau est l’objet d’une satisfaction désintéressée et libre, les œuvres ne sont pas des biens de consommation comme les autres.
M. Jean-Pierre Sueur. Bravo ! Vive Kant !
Mme Françoise Laborde. Pour autant, il existe, évidemment un vaste marché des objets d’art. Dans les foires, les galeries, les salles de vente, mais aussi, désormais, sur internet, l’acquisition d’œuvres d’art donne lieu à la rencontre d’une offre et d’une demande et à la formation d’un prix.
Ce marché est d’ailleurs considérable. Comme le soulignait Stéphane Travert dans un intéressant rapport d’information publié en 2016, l’apport dans le PIB français du secteur économique de la culture, englobant le marché de l’art, est devenu très important. Stéphane Travert estimait ainsi que le secteur des arts visuels représentait à lui seul 21,4 milliards d’euros et 313 000 emplois.
Du côté des artistes, cette réalité produit d’ailleurs des réactions ambivalentes.
On pense à la provocation de Banksy programmant la destruction d’une de ses œuvres en pleine vente, ou, à l’inverse, à Jeff Koons assumant la présentation de l’œuvre comme un objet commercial.
Mais, peut-être plus que sur les autres marchés, du fait de comportements ostentatoires, de l’importante subjectivité qui préside à la perception du beau, ou encore du rapport de l’artiste à ses mécènes, la formation des prix sur le marché de l’art reste un phénomène mystérieux On s’étonne autant d’apprendre que certains artistes exposés dans nos musées nationaux ont connu des existences misérables que de constater la cote élevée d’artistes du mouvement global kitsch, ou encore de la tendance des « objets merveilleux », très en vogue chez les millionnaires de la planète.
Ce phénomène complexe de formation du prix est encore plus frappant dans l’art contemporain. Comme l’écrivait l’historienne et sociologue de l’art Raymonde Moulin, disparue cet été, l’art contemporain « dépendait essentiellement du marché parce qu’il n’était pas compris ni acheté par les institutions ».
Le marché français a longtemps fait la pluie et le beau temps en matière de valorisations artistiques internationales, s’appuyant sur des maisons de vente réputées, sur des salons d’avant-garde et sur un important tissu de mécènes et de galeries.
Mais l’âge d’or de la place de Paris est derrière nous, avec le recul des transactions opérées sur le sol français. Ainsi la France, qui fut la première place de vente, est-elle progressivement passée quatrième à partir des années 1960 – le marché français représente 5 % des parts du marché mondial aujourd’hui –, derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et la Chine, qui représentent 83 % du marché.
L’archaïsme des institutions historiques du marché de l’art français est une des causes de ce recul. La « modernisation » du statut de commissaire-priseur est intervenue très tardivement, en 2000 puis en 2004, avec la création du Conseil des ventes volontaires et l’amorce d’une régulation de ce segment du marché de l’art.
Notre première réaction est donc de regretter que la proposition de loi que nous examinons ne recouvre pas un champ plus vaste, pour offrir des solutions plus variées à l’appui de l’objectif de ses auteurs.
Nous entendons qu’il existait, depuis la loi Macron de 2015, des points à régler, afin de permettre à la nouvelle profession de commissaire de justice de consolider sa mise en orbite d’ici à 2022 – il fallait notamment créer les conditions les plus propices au rapprochement entre commissaires-priseurs judiciaires et huissiers de justice, sans oublier les notaires, qui effectuent ponctuellement des ventes volontaires.
Nous avons d’ailleurs quelques propositions à faire s’agissant de la nouvelle composition du Conseil des maisons de vente et de la commission des sanctions, afin d’en renforcer l’indépendance et l’intégrité.
Nous aurons l’occasion de l’expliquer dans le détail, mais il nous paraît ainsi pertinent que la composition du Conseil prenne en compte des acteurs qui, sans être partie prenante dans les ventes volontaires, puissent apporter leur expertise propre du monde de l’art en tant que représentants d’écoles ou galeristes.
De la même manière, en prenant acte des constats du rapport Travert, nous souhaiterions que les professionnels des ventes volontaires représentant leurs collègues au sein du Conseil ne soient pas tous issus du petit monde parisien.
Par ailleurs – le groupe du RDSE fait preuve sur ce point d’une vigilance constante, à la suite des travaux de Jacques Mézard –, nous sommes très attachés à ce que l’activité de régulation exercée par la commission des sanctions ne soit pas réservée aux anciens membres des plus hautes juridictions françaises, mais puisse être ouverte à des profils plus divers, recrutés sur la base du mérite dans toutes les juridictions du territoire.
Je redis enfin notre déception que ce texte ne puisse pas servir de véhicule législatif pour discuter d’autres sujets effectivement susceptibles de restaurer la place de l’influence artistique française dans le monde.
Nous savons que nos concurrents disposent de leviers d’influence plus importants pour soutenir les travaux de leurs artistes auprès des acquéreurs du monde entier, dont l’origine s’est considérablement diversifiée. Mon groupe considère, pour sa part, que la simple adaptation du régime des ventes aux enchères publiques ne suffira pas à rattraper le retard accumulé. La spécialisation de nos maisons de vente sur des segments de marché moins porteurs que l’art contemporain, tels que le mobilier, ou leur faible proactivité à l’international en sont des causes majeures.
Sans doute faudrait-il réfléchir aux moyens de développer un meilleur soutien de nos institutions aux artistes contemporains français. Mais là n’est pas le cœur du sujet que nous avons à traiter en cette heure tardive.
En tout état de cause, le groupe du RDSE ne s’opposera pas aux modernisations que les auteurs de ce texte entendent réaliser. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le secteur des enchères est aujourd’hui fortement encadré et la présence d’une autorité de régulation constitue, à ce titre, une singularité française.
Bien sûr, cette singularité ne manque pas de susciter des interrogations.
La proposition de loi de Catherine Morin-Desailly s’inscrit dans la continuité de la mission installée par Mme la garde des sceaux sur l’avenir de la profession d’opérateur de ventes volontaires.
Quarante et une propositions avaient été formulées dans ce cadre pour encourager le développement d’un état d’esprit plus entrepreneurial, mais aussi pour ouvrir davantage l’activité de ventes volontaires.
Cette proposition de loi s’inscrit dans cet objectif de réformer en profondeur le système français de régulation des ventes volontaires de meubles aux enchères, en modifiant notamment la dénomination, la composition, les missions et le fonctionnement du Conseil des ventes volontaires.
Naturellement, j’y souscris pleinement ; je salue en particulier les apports de la commission des lois pour préciser et compléter les dispositions proposées et, par-là, poursuivre l’effort de mise à jour de notre législation et accompagner la transformation des maisons de vente françaises, dans un contexte de concurrence internationale de plus en plus féroce.
Je pense notamment à l’article 2, qui prévoit de rendre aux personnes qui tiennent le marteau le titre de « commissaire-priseur » à compter du 1er juillet 2022, date de la création de la profession de commissaire de justice par regroupement des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires.
Je pense aussi à l’extension du régime légal des ventes de meubles aux enchères aux meubles incorporels.
Ces différentes mesures contribueront à réformer le système français de régulation des ventes aux enchères.
Ce texte représente, en ce sens, une amélioration, que nous saluons et que nous évaluons favorablement.
Il n’empêche que cette amélioration doit être resituée dans un contexte qui est celui d’un bouleversement total du marché de l’art, lequel a abouti – cela a été dit – au contournement du marché français.
Les rapports annuels relatifs au marché de l’art mondial nous confirment, année après année, que les records d’adjudications sont sans cesse battus.
Quand on sait qu’un plus grand nombre de musées ont été construits entre 2000 et 2019 que durant l’ensemble des XIXe et XXe siècles réunis, on comprend que c’est l’industrie muséale qui est le moteur de ce marché, expliquant largement sa croissance spectaculaire et son bouleversement.
Les artistes chinois représentent plus du quart de ce marché, au détriment des artistes européens et français.
Toutes les maisons de vente dans le monde sont aujourd’hui présentes sur internet – elles n’étaient, songez-y, que 3 % dans ce cas en 2005. C’est une réalité que l’on ne peut ignorer !
Cela fait certes bien longtemps que la France a dégringolé dans le classement mondial des ventes aux enchères. Elle détenait 50 % du marché de l’art dans les années 1950, contre 5 % environ aujourd’hui – et je ne parle pas de son rang anecdotique sur le marché de l’art contemporain. Ce sont désormais les maisons chinoises, américaines et anglaises qui dominent le marché. Drouot est en état de léthargie et observe impuissante Sotheby’s et Christie’s se développer.
Ce constat permet de prendre la mesure de la place réduite et malheureusement modeste de la France, et de s’interroger sur le rôle quelque peu ornemental de l’État, en tout cas du ministère de la culture.
On ne peut s’empêcher de penser à l’appréciation que portait l’historien de l’art et conservateur du patrimoine Jean Clair sur la situation de l’art en France il y a vingt ans : « Jamais [l’art] n’aura joui de pareille considération. Officialités, institutions, maisons de la culture, musées, livres, revues, biennales, rétrospectives, expositions géantes, foires, ventes aux enchères alimentent son souvenir, entretiennent son regret, exaltent ses sursauts, enregistrent les traces les plus minces de son agonie. »
Il ajoutait : « Peu d’époques comme la nôtre auront connu pareil divorce entre la pauvreté des œuvres qu’elle produit et l’inflation des commentaires que la moindre d’entre elles suscite. »
Je ne suis pas sûr que cette situation ait véritablement changé. Quoi qu’il en soit, cette appréciation nous permet de prendre la mesure des défis que la France, patrie de l’art, doit relever concernant la place de ses artistes, et donc la sienne, sur le marché de l’art mondial. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, Les Indépendants et SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
Mme Laure Darcos. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le Sénat examine ce jour la proposition de loi déposée par Catherine Morin-Desailly.
Ce texte refonde le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, dont la composition et les missions sont aujourd’hui inadaptées à la réalité du marché de l’art.
De l’avis de tous, cette réforme est indispensable pour que la place française retrouve une dynamique qu’elle a perdue au fil du temps, au point de faire de la France un acteur minoritaire du marché de l’art mondial.
Pour ma part, j’insisterai tout particulièrement sur la nécessité de veiller au bon fonctionnement de ce marché, fortement exposé aux risques de blanchiment ou de trafics illicites.
Mme Catherine Morin-Desailly. Tout à fait !
Mme Laure Darcos. Pour lutter contre ces dérives, le Conseil des ventes volontaires n’a jusqu’à présent joué aucun rôle, et pour cause : il ne dispose pas de compétence en matière de détection des dysfonctionnements du marché de l’art, et c’est à Tracfin, l’organisme de traitement du renseignement et d’action contre les circuits financiers clandestins, et à l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels qu’il revient de mettre au jour les dérives potentielles en matière de négoce.
Il est devenu d’autant plus urgent de se doter d’instruments de régulation que la place de Paris a été secouée – vous vous en souvenez certainement, mes chers collègues – par des affaires retentissantes.
Qui n’a pas gardé en mémoire la triste affaire Aristophil, dans laquelle pas moins de 18 000 personnes, petits épargnants ou investisseurs fortunés, ont perdu près de 800 millions d’euros ?
Les investisseurs étaient invités à acquérir des produits d’épargne constitués de parts indivises de pièces autographes, lettres et manuscrits, avec la promesse d’un rendement annuel de l’ordre de 8 %.
Ce rendement était indexé sur la hausse du marché de ces biens en France, elle-même artificiellement alimentée par l’intense activité d’achat de la société Aristophil.
La bulle spéculative, comme cela était prévisible, a éclaté, des actions judiciaires ont été engagées et l’entreprise a été liquidée le 4 août 2015, laissant derrière elle des investisseurs floués et le monde culturel en plein émoi.
Le marché de l’art a été, malgré lui, pris dans une tourmente qui a sérieusement entaché sa réputation.
La dispersion de près de 130 000 pièces est en cours. Leur mise sur le marché nécessite de conjuguer deux impératifs contradictoires : réaliser les collections dans des délais suffisamment courts pour que les épargnants puissent récupérer une partie de leur investissement, mais aussi suffisamment longs pour éviter à ce marché, celui, étroit, du manuscrit, de s’effondrer.
Si les premières adjudications ont, hélas, fait ressortir une perte de valeur importante, ces ventes sont toutefois l’occasion pour les institutions culturelles de faire entrer dans leurs collections des pièces majeures pour le patrimoine national, pièces que la société Aristophil les avait parfois empêchées d’acquérir à des prix raisonnables.
Certaines de ces pièces relèvent de la catégorie des archives publiques, inaliénables et imprescriptibles ; d’autres présentent un intérêt patrimonial exceptionnel et justifient une interdiction de sortie du territoire par classement comme trésor national – c’est le cas de manuscrits d’André Breton et du marquis de Sade retirés des ventes en 2017.
Quelques pièces possédant un intérêt patrimonial avéré, mais non exceptionnel, ont rejoint les collections de plusieurs institutions culturelles.
Enfin, une part importante des biens constituant les collections d’Aristophil ne présentent pas de réel intérêt patrimonial et une entrée dans les collections nationales n’est pas pertinente.
Deux questions majeures d’ordre public doivent, de mon point de vue, être traitées rapidement pour éviter qu’une telle affaire ne se reproduise.
Il y va, en premier lieu, de la surveillance des produits d’épargne. En effet, le contrat de placement était rédigé de telle manière que l’Autorité des marchés financiers s’était déclarée incompétente, à son corps défendant ; c’est la DGCCRF, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, qui a dû instruire au titre de la tromperie au consommateur.
Se pose, en second lieu, une question de surveillance prudentielle du marché de l’art et, plus spécialement, de la profession d’expert.
En la matière, et même si nous devons nous réjouir de la qualité du dispositif français encadrant l’expertise, des progrès peuvent encore être réalisés, concernant notamment le titre d’expert, qui est insuffisamment protégé. L’accès à la profession, le statut général encadrant son exercice, la responsabilité et la nature des obligations des experts devront faire l’objet d’une réflexion approfondie à court terme.
La nouvelle structure créée par la présente proposition de loi pourrait en être le cadre.
Il y va de la stabilité et de la qualité du marché de l’art à l’heure où celui-ci draine des sommes d’argent considérables et attire de plus en plus d’investisseurs. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants.)