compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Yves Daudigny,
Mme Patricia Schillinger.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
J’appelle chacun de vous à être attentif au respect de son temps de parole – j’espère que ce n’est pas une incantation rituelle – et au respect des uns et des autres.
intervention turque en syrie
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Claude Requier. Depuis une semaine, les regards du monde sont une nouvelle fois tournés, hélas ! vers la Syrie depuis que l’armée turque a lancé son offensive contre les forces kurdes des YPG. Officiellement, Ankara souhaite établir le long de sa frontière une zone de sécurité en installant au moins 1 million de réfugiés et en construisant, en un temps record, villes et infrastructures. Mais, dans les faits, ce sont à nouveau des milliers de civils qui sont pris dans l’étau d’une guerre civile qui déchire, depuis 2011, ce pays martyr, avec des conséquences humanitaires terribles : on parle de près de 160 000 déplacés, d’exactions, de règlements de compte nourris par des haines longuement mûries.
L’offensive turque, qui suit le retrait des troupes américaines, s’inscrit dans ce que l’ancien ambassadeur de France en Syrie, Michel Duclos, appelle « la géopolitique des nouveaux autoritaires ». Ou quand la volonté de puissance intérieure et extérieure des dirigeants turcs, russes ou iraniens a fait de la Syrie le terrain de jeu mortifère de leurs ambitions.
Ne nous y trompons pas : ce qui se passe met gravement en cause la stabilité régionale et internationale, avec en toile de fond le retour en force de Bachar al-Assad, le spectre de la résurgence de Daech, que les forces kurdes ont combattu, mais qui, comme l’hydre, n’a jamais totalement disparu, la pantomime pathétique d’une OTAN déchirée, le spectacle désolant d’une Europe militairement impuissante – et nous reconnaissons l’engagement du Président de la République en faveur d’une armée européenne.
Oui, la France entretient des liens d’amitié profonds et anciens avec le peuple turc ! Mais le chantage de ses dirigeants est insupportable. Il appelle de notre part la plus grande fermeté.
Monsieur le Premier ministre, que va faire la France pour faire cesser l’offensive turque et le drame humanitaire qui s’annonce ? Comment agira-t-elle pour empêcher la fuite des djihadistes français aujourd’hui détenus ? Quelles sont nos marges de manœuvre pour tenter de stabiliser cette région ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes LaREM, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Requier, vous avez rappelé les faits. Je veux les confirmer dans une certaine mesure.
Le 9 octobre dernier, comme nous le savons tous, la Turquie a décidé, de manière unilatérale – je le dis clairement –, de lancer une offensive en Syrie contre les forces démocratiques syriennes. Cette offensive est d’une ampleur considérable tant par les moyens qu’elle mobilise, avec le soutien massif de supplétifs syriens de l’armée nationale syrienne, que par le périmètre et la profondeur de l’offensive terrestre. Les frappes aériennes se sont étendues à l’ensemble de la frontière, notamment à l’extrême nord-est, très au-delà de la zone d’incursion terrestre réalisée.
Le 13 octobre, les États-Unis ont décidé, là encore de manière unilatérale, de retirer leur dispositif militaire du nord-est syrien.
Ces deux décisions unilatérales emportent des conséquences très lourdes pour nos partenaires kurdes, qui se sont battus à nos côtés contre Daech, hommes et femmes réunis, et à qui je veux rendre une nouvelle fois hommage en notre nom à tous. (Applaudissements.)
Conséquences très lourdes aussi pour notre sécurité : après cinq années de lutte, le risque d’une résurgence des effectifs et des forces de Daech est quasiment avéré. L’idée que l’État islamique puisse reprendre pied de façon organisée, que ce soit au nord-est syrien ou, le cas échéant, à travers la déstabilisation de la région, au nord-ouest irakien fait peser un risque sécuritaire sur l’ensemble de la région et sur l’ensemble de nos pays pour les raisons que nous n’ignorons pas.
Conséquences très lourdes encore sur le plan humanitaire : 700 000 civils se trouvent aujourd’hui dans cette zone, des familles entières ont pris la route pour fuir les combats. Depuis le début de l’offensive, on dénombre 150 000 déplacés et, bien évidemment, de premières victimes civiles.
Conséquences très lourdes, enfin, sur la recherche d’une solution pérenne dans la région : l’offensive militaire et les menaces de la Turquie de réinstaller, de force, les réfugiés syriens en Turquie, dans la zone des trente kilomètres qui longe la frontière entre la Syrie et la Turquie, ne vont pas faciliter l’avènement d’une solution politique dans la région.
Monsieur le président Requier, vous posez la question de la réaction de la France. Nous avons pris un très grand nombre d’initiatives.
D’abord, la France a, de la façon la plus claire et la plus ferme, condamné cette opération militaire. Nous l’avons dit à l’ambassadeur de Turquie en France, par l’intermédiaire du Quai d’Orsay. Le Président de la République a eu l’occasion de s’entretenir avec le Président Erdogan : il lui a dit clairement quelle était la position de la France et lui a signifié notre condamnation de cette opération militaire.
Nous avons ensuite cherché à mobiliser dans les enceintes internationales, et partout où le multilatéralisme a du sens, l’ensemble de nos partenaires : c’est vrai du Conseil de sécurité de l’ONU, qui s’est réuni en urgence ; c’est vrai de l’Europe, qui s’est exprimée d’une seule voix ; c’est vrai aussi de la coalition. N’oublions pas que la décision unilatérale des États-Unis, au regard de leur importance au sein de la coalition, empêche les autres pays membres de continuer de peser sur le terrain.
Face à l’impact de cette opération militaire sur la sécurité européenne, nous avons décidé, avec d’autres pays, de suspendre nos exportations d’armes vers la Turquie. C’est une décision commune de l’Allemagne, des Pays-Bas, de la Norvège, de la Finlande et du Royaume-Uni. Le Canada a pris la même décision.
Nous souhaitons, avec nos partenaires de l’Union européenne, continuer de prendre toutes les initiatives possibles en vue de conduire la Turquie à mettre un terme à cette opération. Toutefois, compte tenu des décisions turques et de l’unilatéralisme dont ce pays a fait preuve, ne nous voilons pas la face : demander, condamner, inciter, nous le ferons ; obtenir, ce sera beaucoup plus difficile – ce le sera d’autant plus en raison de la décision unilatérale des États-Unis.
Sans jeter l’opprobre sur qui que ce soit, monsieur le président Requier, les conséquences de cette décision unilatérale seront très lourdes : pour les États-Unis, sans doute ; pour la région, c’est certain ; et probablement même pour la façon dont nous nous envisageons les relations avec nos partenaires sur des théâtres d’opérations compliqués. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE et Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Simon Sutour applaudit également.)
offensive turque contre les kurdes en syrie
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pierre Laurent. L’offensive de la Turquie contre les forces kurdes et démocratiques syriennes soulève l’indignation. Cette agression est un crime contre la paix, contre les combattants kurdes qui se sont battus contre Daech et contre l’expérience d’un Rojava démocratique. Elle offre une opportunité inespérée à Daech de reconstruire ses forces.
Nous avions alerté à de nombreuses reprises sur les risques de voir la Turquie franchir le pas, sur les ambiguïtés de la coalition et sur le rôle trouble joué par la Turquie en son sein. Aujourd’hui, les masques tombent. La Turquie fait la guerre aux Kurdes, et à personne d’autre, au mépris de la sécurité du monde. Et cette guerre a été autorisée par le Président des États-Unis !
La France doit parler d’une voix claire, forte, indépendante, qui ne s’étouffe pas aussitôt dans les coulisses du renoncement. La France doit agir.
Premièrement, au-delà de l’embargo annoncé sur les armes, à quelles sanctions économiques, financières et politiques fortes la France est-elle prête ? La Turquie est un important partenaire commercial, nous avons donc les moyens d’agir.
Deuxièmement, la France continue-t-elle d’agir pour aboutir à la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne ? Et comment ?
Troisièmement, que répond la France à l’appel lancé par quinze organisations humanitaires ? Quelle est notre stratégie pour obtenir un cessez-le-feu qui protège le travail humanitaire, qui garantisse son accès en tout lieu, qui protège les populations civiles par l’interdiction de l’utilisation des armes explosives en zones peuplées, qui permette de rapatrier les enfants français détenus dans les camps de prisonniers ?
Enfin, puisque les États-Unis et la Turquie sont au cœur de cette affaire et qu’ils sont membres de l’OTAN, n’est-il pas temps de convoquer un débat parlementaire d’urgence interrogeant le rôle de l’OTAN, notre rôle dans cette alliance et notre place au sein de son commandement intégré ? Le Gouvernement est-il prêt à convoquer d’urgence ce débat parlementaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. La semaine dernière, la Haute Assemblée appelait déjà l’attention du Gouvernement sur ce qui se préparait. J’avais alors eu l’occasion de répondre à Christine Prunaud.
Depuis lors, non seulement la pression militaire n’a pas faibli, mais elle s’est considérablement accrue. L’émotion n’a pas faibli non plus : elle s’est aussi considérablement accrue, avec la mobilisation de toutes et de tous et les initiatives prises par un certain nombre d’entre vous – je pense notamment à votre proposition de résolution.
Comme le Premier ministre vient de le souligner, la France s’est mobilisée fortement, dans toutes les enceintes. Elle a demandé urgemment, la semaine dernière, la réunion du Conseil de sécurité, lequel reste saisi de cette question et se réunit très régulièrement sur la situation en Syrie.
La France est intervenue activement au sein du Conseil des ministres des affaires étrangères, lundi dernier. C’est parce qu’une voix forte s’y est exprimée, celle de Jean-Yves Le Drian, qu’une condamnation unanime, je crois, a été prononcée ; condamnation que le prochain Conseil européen, nous l’espérons, viendra consacrer.
Vous évoquez les outils économiques, monsieur le sénateur Pierre Laurent. Sachez qu’une commission mixte économique avec la Turquie devait se réunir début décembre. Nous avons fait savoir que sa tenue était impossible dans le contexte actuel.
Soyez sûr que la France a condamné cette intervention dans les termes les plus fermes. Le Président de la République l’a d’ailleurs dit au Président Erdogan.
La France continuera à être mobilisée pour obtenir la cessation de l’offensive turque contre les Kurdes le plus rapidement possible. Ce sujet nous engage chaque heure, chaque jour, chaque semaine, tant que cette situation perdurera. (M. François Patriat applaudit.)
situation des kurdes (I)
M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Rémi Féraud. Ma question porte également sur l’agression militaire de la Turquie dans le nord-est syrien.
L’ensemble des groupes de cette assemblée demande au gouvernement de réagir plus fortement, plus fermement, plus rapidement. Il y va de la fidélité à nos alliés kurdes, bien évidemment, et à nos valeurs, mais aussi de notre propre sécurité, comme le Premier ministre l’a lui-même souligné.
Chacun sait le rôle exceptionnel des combattants kurdes, aux côtés de la coalition internationale, dans l’éradication du califat de Daech. Chacun sait que, les attaquer aujourd’hui, c’est permettre la résurgence du terrorisme islamiste jusque sur notre sol.
Le Président de la République a appelé la société française à faire bloc contre le terrorisme. Or cette lutte est globale : faire bloc en France sera illusoire si nous laissons les djihadistes reprendre pied dans le nord-est syrien.
Vous venez de nous dire, monsieur le secrétaire d’État, que la France agit. C’est vrai ! Mais nous vous disons qu’elle agit trop tard et insuffisamment pour être efficace. Cessons d’intérioriser un sentiment d’impuissance et d’isolement largement exagéré. L’invasion par la Turquie du canton d’Afrin, livré ensuite aux milices djihadistes et où les Kurdes ont été victimes d’un véritable nettoyage ethnique, était un avertissement auquel nous n’avons pas su réagir.
La France va-t-elle enfin se mobiliser à la hauteur des sacrifices réalisés pour nous par les combattants kurdes ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur des travées du groupe CRCE. – MM. Bruno Retailleau et Michel Savin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Oui, vous avez raison, monsieur le sénateur Rémi Féraud, le rôle joué par les combattants des forces démocratiques syriennes, les FDS, qui sont notamment composées de Kurdes, a été déterminant dans la défaite territoriale de Daech, avec l’appui de la coalition internationale et de la France. Le courage de ces femmes et de ces hommes appelle notre reconnaissance.
Cette reconnaissance doit naturellement continuer de s’exprimer dans les faits. Il n’y a pas de dosage dans la façon dont nous cherchons à mobiliser tout le monde. Notre engagement est total pour mobiliser la communauté internationale dans toutes les enceintes.
Dès que l’armée turque a franchi cette frontière, nous avons appelé à une réunion du Conseil de sécurité. Nous n’avons pas ménagé notre peine. Les décisions unilatérales évoquées par le Premier ministre sont graves, très graves. Leurs auteurs portent naturellement une responsabilité devant l’histoire.
Monsieur le sénateur, je vous sais très impliqué sur la question kurde, à l’image de la Haute Assemblée et de sa commission des affaires étrangères, qui, ce matin, a auditionné l’ambassadeur de Turquie. Je veux saluer la proposition de résolution qui appelle à un engagement résolu de la France en faveur de toute initiative. Sachez que nous rejoignons complètement cet appel et qu’il en est question en ce moment même, lors du conseil des ministres franco-allemand, à Toulouse. Les prochaines heures, les prochains jours seront également très importants au sein du Conseil européen.
La situation humanitaire étant ce qu’elle est, nous nous préparons d’ores et déjà à une réponse avec notre centre de crise et de soutien. Un afflux de réfugiés risque de se produire au Kurdistan irakien. Une demande d’aide internationale a été formulée pour pouvoir gérer cette situation. Nous devrons être également présents au rendez-vous pour ces frères d’armes dans la lutte contre le terrorisme que sont les Kurdes. (MM. François Patriat et Richard Yung applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud, pour la réplique.
M. Rémi Féraud. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État.
Nous appelons les autorités françaises à s’engager davantage et à sortir de la posture défensive dans laquelle nous nous sommes nous-mêmes placés. Rappelons-nous la phrase de Charb : « Contre le cynisme et la mort, aujourd’hui, il y a le peuple kurde. » Il est de notre devoir et de notre intérêt d’être à ses côtés ; nous serons à vos côtés pour prendre des initiatives beaucoup plus fortes dans les jours qui viennent. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
brexit
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. Franck Menonville. Malgré l’annonce de l’imminence d’un possible accord la nuit dernière entre l’Union européenne et le Royaume-Uni concernant le Brexit, la pression qui pèse sur le Conseil européen de demain reste importante.
Dans ce contexte particulièrement mouvementé et incertain, pouvez-vous nous dire, monsieur le secrétaire d’État, où en sont les négociations sur un accord de sortie du Royaume-Uni ? Que pouvons-nous attendre des prochains jours ?
En effet, pour l’heure – faut-il le rappeler ? –, le Royaume-Uni fait encore partie de l’Union européenne, et les interrogations quant aux relations futures ne cessent de grandir. Ce fut notamment le cas lorsque, le 3 juin dernier, le Président américain, Donald Trump, tweetait : « Un grand accord commercial est possible une fois que le Royaume-Uni se sera débarrassé de ses chaînes. » Il a été très clair quant à ses intentions de créer une future relation privilégiée avec le Royaume-Uni. Un accord bilatéral, dans le cadre du Cloud Act américain, a d’ailleurs été conclu le 3 octobre dernier, non sans remous.
La Commission européenne, saisie de cette question, doit se pencher sur la conformité de tels accords avec le droit communautaire. Beaucoup d’incertitudes demeurent encore, et elles sont plus fortes encore pour nos entreprises.
Nous entendons les craintes et les inquiétudes de nos concitoyens et de nos PME dans nos territoires. Quelles mesures concrètes comptez-vous mettre en place pour préparer l’après-Brexit, à la fois en termes économiques, mais aussi politiques ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. La France et l’Union européenne se préparent au Brexit depuis plusieurs mois. Vous le savez, monsieur le sénateur Franck Menonville, des textes ont été adoptés par les assemblées, des ordonnances ont été prises pour nous permettre de faire face au mieux à la situation, qu’il y ait ou non un accord. Les préparatifs ont continué à se faire de façon intensive sous la houlette du Premier ministre, qui réunit très régulièrement tous les ministères concernés.
S’agissant des entreprises, dont vous évoquez les inquiétudes, nous avons conduit une action très proactive à leur égard, y compris en appelant individuellement chacune des entreprises exportatrices françaises vers le Royaume-Uni, pour préparer toutes les procédures en cas de non-accord.
Verrons-nous, au cours des heures et jours prochains, un éventuel accord aboutir ? Michel Barnier a estimé la semaine dernière que des garanties suffisantes existaient pour une reprise pleine et entière des négociations, mais l’heure tourne ! Aujourd’hui, nos préoccupations concernant les positions britanniques sur l’Irlande et l’Irlande du Nord n’ont pas tout à fait disparu, il faut le dire. Je pense notamment à l’intégrité du marché unique de l’union douanière ou au maintien des conditions d’une concurrence loyale.
L’Union européenne se montre clairement ouverte à la négociation. Elle est constructive dans les discussions. Mais encore faut-il que le Premier ministre britannique donne l’impulsion politique nécessaire. Son cabinet doit se réunir dans les prochaines heures, nous dit-on. Quelle que soit l’évolution, nous sommes prêts à faire face à tous les scénarios, y compris à celui d’un retrait sans accord. Nous avons adopté des cadres juridiques très complets, la sensibilisation a été conduite, et nous avons organisé une coordination très active avec tous les pays voisins.
Au-delà du 31 octobre prochain, tout restera à faire pour bâtir une relation future. L’histoire est là, la géographie est là : le Royaume-Uni reste un pays européen, au sens large du terme, et nous devrons bâtir une relation qui reste proche, compte tenu de ces liens. (Applaudissements sur des travées des groupes LaREM, RDSE et Les Indépendants.)
situation des kurdes (II)
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Cambon. Comme les intervenants précédents l’ont souligné, le Levant est de nouveau en feu. L’offensive massive que la Turquie a lancée au nord-est de la Syrie anéantit d’un seul coup tous les efforts menés par la coalition, dont la France est le deuxième contributeur. C’est évidemment un signe très positif pour Daech, qui n’en attendait pas tant.
Le bilan est accablant : déjà près de 1 000 morts à l’heure où nous parlons, 160 000 civils jetés sur les routes, le retour de Daech et le risque, peut-être pire encore, d’évasion de djihadistes, qui viendront faire payer très cher à l’Europe son engagement.
Enfin, les Kurdes, nos alliés, nos amis, qui se sont battus avec tant d’héroïsme pour notre propre sécurité, ce peuple sans patrie, trahi une fois de plus, sont contraints d’appeler au secours leurs ennemis d’hier.
Les Américains ont cru défendre leurs intérêts, mais quelle confiance accordera-t-on demain à leur parole ?
Monsieur le Premier ministre, mes questions sont simples : comment l’OTAN peut-elle rester sans réagir ? Nous étions un certain nombre dimanche dernier à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN. À nos questions, fortes – nous avons fait entendre la voix de la France –, le secrétaire général Stoltenberg n’a jamais daigné répondre.
Par ailleurs, que comptez-vous faire face aux milliers de djihadistes qui menacent notre sécurité ? Le départ de M. le ministre des affaires étrangères pour l’Irak a été annoncé. Qu’espère-t-il obtenir là-bas ? Surtout, que comptez-vous faire, ici, en France, pour assurer la sécurité des Français ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – M. Simon Sutour applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je n’ai rien à retrancher ou à ajouter au constat que vous venez de dresser, monsieur le président Cambon, s’agissant du caractère unilatéral des décisions qui ont été prises par la Turquie et les États-Unis, s’agissant des conséquences très lourdes sur le plan de la sécurité – je les ai évoquées, mais je me retrouve entièrement dans ce que vous avez vous-même formulé – de la résurgence probable de Daech liée à la déstabilisation, s’agissant de l’impossibilité, ou de la très grande difficulté, à trouver une solution politique dès lors que cette intervention se déroule.
Vous soulevez deux questions distinctes, bien qu’elles soient un peu liées.
La première est relative à l’OTAN. La Turquie, la France, les États-Unis, ainsi qu’un grand nombre – pas tous – de partenaires de la coalition internationale en sont membres.
Vous avez évoqué les questions posées par un certain nombre de parlementaires français à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN et l’absence de réponse à laquelle ils ont été confrontés, qui me semble traduire un très grand trouble, pour dire les choses de façon posée. Regardons ce trouble en face.
Si le principe d’une alliance est de permettre à des partenaires de travailler ensemble, les décisions unilatérales ou celles qui s’entrechoquent les unes avec les autres ne me paraissent pas relever d’un bon fonctionnement. Regardons la situation en face et travaillons sérieusement avec nos partenaires. Quiconque prétendrait que l’OTAN fonctionne comme elle a toujours fonctionné – « circulez, il n’y a rien à voir », pardon de le dire trivialement – se tromperait.
Votre seconde question est relative à la sécurité en France, qui se traduit de deux façons. Tout d’abord, il y a la reconstitution d’un espace géographique maîtrisé par Daech, lequel serait propice à l’organisation d’actions à l’extérieur de ce territoire. Nous n’en sommes pas là, même si le risque n’est pas nul. En effet, les détenus sont toujours détenus et les prisons sont situées assez loin, voire très loin, de la zone où ont lieu les combats. Les camps où sont parqués, si j’ose dire, un certain nombre de gens qui s’étaient échappés après les derniers combats, notamment à Baghouz, dans le sud de la région, subsistent encore.
Nous devons évidemment avoir en tête que la résurgence de Daech est possible. Nous devons discuter avec nos partenaires de la région, qui ont les mêmes intérêts que nous, pour éviter la reconstitution de Daech. La discussion s’avérera compliquée, car la situation est profondément déstabilisée.
Qui peut dire, compte tenu de la décision américaine, que nous pourrons compter, demain, sur nos alliés kurdes ?
Quant à la question des retours vers le territoire national, monsieur le président Cambon, l’ensemble du dispositif est prêt. Nous sommes bien évidemment prêts à judiciariser tous ceux qui, s’étant rendus sur zone, se sont rendus complices des actions criminelles qui ont été conduites sur place.
Autrement dit, une grande vigilance s’impose sur le territoire métropolitain, dans l’hypothèse où certains voudraient revenir. Pour autant, nous le savons, un certain nombre de personnes, si elles devaient échapper au contrôle de nos alliés kurdes, ne chercheraient pas forcément à revenir, mais iraient se battre.
Par ailleurs, nous devons travailler avec les pays voisins, notamment avec l’Irak. Vous l’avez dit, monsieur le président Cambon, M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères se rendra dès ce soir en Irak, pour discuter avec son homologue irakien des mesures à mettre en place et, éventuellement, d’un accompagnement en matière de coopération judiciaire. En effet, un certain nombre de ceux qui sont détenus en Syrie par les Kurdes ayant commis des crimes en Irak, ils pourraient, le cas échéant, être judiciarisés sur place. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
décision du conseil constitutionnel sur la gratuité dans l’enseignement supérieur public (I)
M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Laurent Lafon. Vendredi dernier, le Conseil constitutionnel a jugé que les droits d’inscription appliqués à l’université seraient contraires aux prescriptions du préambule de la Constitution de 1946, aux termes duquel « l’organisation de l’enseignement public gratuit à tous les degrés est un devoir de l’État ». Seuls des tarifs modiques seraient autorisés.
Le jugement répond à une question prioritaire de constitutionnalité sur la possibilité donnée aux universités d’augmenter significativement les droits d’inscription pour les étudiants étrangers, dans le cadre du plan Bienvenue en France, plan pour l’application duquel la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat avait demandé un moratoire. Cependant, la portée de cette décision dépasse la simple question des tarifs appliqués aux étudiants étrangers et s’applique aux droits d’inscription de l’ensemble des étudiants, français et étrangers, dans l’ensemble des établissements publics, universités ou écoles.
Ce jugement, que le Conseil constitutionnel qualifie lui-même d’inédit, crée des incertitudes juridiques, tant il est difficile à ce jour d’en mesurer toutes les conséquences. Il pose un certain nombre de questions qui pourraient avoir un impact sérieux sur le financement de nos établissements.
Le principe d’autonomie financière n’est-il pas atteint par cette décision, qui remet en cause la possibilité pour les établissements de fixer eux-mêmes leurs droits d’inscription ?
La gratuité est-elle réellement un moyen efficace pour garantir l’égal accès aux études supérieures ? Penser que, parce que c’est gratuit, c’est accessible à tous n’est-il pas un leurre ?
Est-il pertinent de financer entièrement par l’argent public, et donc par l’impôt, la formation des étudiants étrangers, qui repartent, pour un grand nombre d’entre eux, dans leurs pays d’origine, une fois leurs études terminées ?
Enfin, monsieur le ministre, pouvez-vous partager avec nous la lecture que fait le Gouvernement de ce jugement ? Quel en sera l’impact sur le financement des établissements de l’enseignement supérieur ? Quelles conséquences entraîne-t-il sur la hausse des frais universitaires pour les étudiants étrangers, décidée dans le cadre du plan Bienvenue en France ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)