COMPTE RENDU INTÉGRAL
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Agnès Canayer,
Mme Annie Guillemot.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Au nom du bureau, j’appelle chacun de vous à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu’il s’agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.
attaque survenue à la préfecture de police de paris
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. François Patriat. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
« Sept minutes. Sept minutes ont suffi pour plonger la préfecture de police dans l’un des drames les plus douloureux de son histoire et la France dans l’incompréhension et la stupeur. » Les mots du Président de la République ont été forts. Ils ont été justes.
Au nom des sénateurs du groupe La République En Marche et de tous mes collègues, je souhaite me joindre à la solidarité unanimement exprimée à l’égard des familles, des victimes et de l’ensemble des forces de l’ordre.
Le 3 octobre dernier, la France a été frappée au cœur du symbole de l’ordre républicain. L’heure est à la peine et à la douleur. Nul doute que l’enquête judiciaire permettra de faire toute la lumière sur les circonstances de cet acte et sur les motivations de son auteur.
Mes chers collègues, nous devons faire bloc. C’est la raison pour laquelle je souhaiterais saluer le travail des services de renseignement, qui, quotidiennement, déjouent nombre d’attentats, et ce aux quatre coins de l’hexagone – 59 attentats ont été déjoués depuis 2013.
Monsieur le Premier ministre, vous avez rappelé combien l’État entend lutter avec force et détermination contre les dysfonctionnements éventuels dans l’ensemble de nos institutions. Sachons traquer la radicalisation partout, au cœur des services de l’État, dans nos écoles, nos transports ou nos hôpitaux. Pour ce faire, nous devons trouver les moyens de lutter efficacement contre ce fléau.
Monsieur le Premier ministre, vous avez saisi l’inspection des services du renseignement d’une double mission : l’une centrée sur les faits qui se sont déroulés à la Préfecture de police de Paris et sur les éventuels signalements, l’autre sur l’ensemble des services de renseignement spécialement impliqués dans la lutte contre le terrorisme.
Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous évoquer les pistes sur lesquelles vous travaillez pour prévenir les dérives et les dysfonctionnements potentiels, dans ce domaine ô combien difficile ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président Patriat, « faire bloc », ce sont les mots utilisés hier, dans la cour de la préfecture de police de Paris, par le Président de la République, pour exprimer la réaction de la Nation face à cet attentat commis en plein cœur de l’un des symboles de l’ordre républicain en France.
Faire bloc, d’abord, avec ceux qui restent : les familles des quatre agents tués brutalement jeudi dernier – époux, conjoints, enfants, parents… –, leurs amis, leurs collègues et tous ceux qui ont assisté à l’attentat ou qui, n’ayant pas été présents, doivent continuer à vivre avec cette brutalité et cette absence.
Faire bloc, c’est aussi faire en sorte que, au-delà de l’État lui-même, la Nation dans son ensemble soit unanimement soudée par le désir de gagner ce long et difficile combat engagé par notre pays, notre société, notre État, notre République, contre l’islamisme radical,…
Mme Anne-Marie Bertrand. Il serait temps !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … contre ce terrorisme qui, au nom du dévoiement d’une religion, entend remettre en cause ce que nous sommes et ce à quoi nous aspirons.
C’est la raison pour laquelle j’ai indiqué hier à l’Assemblée nationale – je le répète aujourd’hui devant le Sénat – que le Gouvernement ne se placerait jamais dans la position de dire que tel ou tel, à telle époque ou dans tel service, n’aurait pas été à la hauteur des enjeux.
Je veux le dire très simplement et très sincèrement : à partir de 2015, les gouvernements qui se sont succédé ont fait de leur mieux pour parer aux urgences les plus pressées et éviter dans la mesure du possible la commission de nouveaux attentats.
Même si on peut les critiquer politiquement, ce qui est bien légitime dans une démocratie, il faut affirmer clairement que, face à ces horreurs et à ces actes, ces gouvernements ont pris des décisions qui allaient toutes dans le bon sens – nous devons assumer cela et en être fiers collectivement. Je veux le dire très simplement, mais très sincèrement.
De la même façon, faire bloc ne signifie pas aller chercher telle ou telle responsabilité dans un bureau ou un autre.
Je ne veux pas procéder à l’enquête judiciaire – j’en suis incapable techniquement et juridiquement –, mais je sais que lorsque des signaux faibles, comme on dit, sont émis, c’est-à-dire des signaux qui ne se traduisent pas nécessairement par des signalements, il est difficile de les traiter. C’est vrai partout, que ce soit dans un service de renseignement, une collectivité territoriale, une administration ou une association.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous connaissez tous cette difficulté de traiter ces signaux faibles et de prendre une décision lorsqu’ils surviennent.
Je ne veux donc pas pointer du doigt la responsabilité de ceux qui, s’étant posé des questions, auraient le cas échéant omis de transmettre cette information.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous devons faire bloc avec les services de renseignement et les forces de l’ordre, qui remportent semaine après semaine des victoires face au terrorisme. Leurs victoires sont toujours discrètes, et parfois nous n’en parlons même pas, mais elles sont réelles, tandis que leurs échecs sont toujours spectaculaires et dramatiques.
Le Parlement a la responsabilité de poser des questions et le Gouvernement celle d’y répondre, mais nous pouvons collectivement être d’accord pour dire que faire bloc, c’est soutenir les forces de l’ordre et les services de renseignement, pas uniquement quand les choses se passent bien, mais aussi quand elles sont plus difficiles.
Faire bloc signifie également que nous devons prendre des mesures pour que, en cas de signaux faibles, une telle absence de signalement ne se reproduise pas.
C’est la raison pour laquelle j’ai saisi l’inspection des services de renseignement, pour déterminer exactement, parallèlement à l’enquête judiciaire, comment dans ce cas la chaîne « identification d’éventuels signaux faibles, signalements et actions » a pu être mise en œuvre au sein de la préfecture de police.
Parallèlement, j’ai demandé une revue générale des services de renseignement du premier cercle et d’une partie du deuxième, de façon que, en collaboration avec l’encadrement intermédiaire et au plus près de tous ceux qui travaillent dans ces services, nous soyons certains d’être en état d’identifier absolument tous les éventuels signaux faibles émis et qui ne se traduiraient pas par un signalement. Nous ne devons pas nous retrouver de nouveau dans la situation qui est peut-être à l’origine du drame que nous connaissons aujourd’hui.
Le Président de la République a eu hier, à la préfecture de police, des mots forts et justes. Il revient au Gouvernement et à l’ensemble de ceux qui contribuent à la sécurité de la Nation de les mettre en œuvre. C’est notre responsabilité ! (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, UC, RDSE et Les Indépendants. – MM. Édouard Courtial et Jean-François Husson applaudissent également.)
malaise des agriculteurs
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Henri Cabanel. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Non-partage de la valeur, aléas climatiques et sanitaires, lourdeurs administratives, CETA et, maintenant, zone de non-traitement. Hier, les agriculteurs ont crié leur détresse. Cessons de tirer sur l’ambulance ! Un agriculteur se suicide tous les jours. Cela ne suffit-il pas ? Que veut cette société qui se clive dangereusement ? Faire disparaitre notre agriculture ? S’alimenter avec des produits importés qui ne respectent pas nos propres exigences sanitaires ?
Pourquoi accuser inlassablement nos agriculteurs ? Je rappelle qu’ils n’utilisent que des produits homologués par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, seule légitime pour les autorisations de mise sur le marché.
Il n’y aura pas de transition écologique sans nos paysans. Ils l’ont compris et veulent y jouer un rôle fondamental et répondre à l’attente sociétale. Pourquoi ne parle-t-on pas de tous les efforts entrepris depuis des années pour s’inscrire dans une agriculture durable ? Pourquoi ne cibler que le mauvais, sans jamais parler du bon ?
Le bon, c’est par exemple VitiREV, un projet lancé en Gironde dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt national « Territoires d’innovation – Grande Ambition », que m’a décrit ma collègue Nathalie Delattre. Ce sont aussi, partout en France, les projets d’agriculture raisonnée ou de haute valeur environnementale.
Il faut agir collectivement, selon une véritable stratégie coconstruite avec la filière, les consommateurs, les distributeurs et les industriels, en traçant une ligne unifiée et partagée.
Monsieur le ministre, personne ne peut nier votre soutien aux agriculteurs : votre combat contre l’agri-bashing est constant. Mais quelle est la cohérence quand l’État encourage une transition agroécologique et que, en même temps, il vide les chambres d’agriculture de leur contenu et de leur proximité dans une simple logique budgétaire ? Ce projet ambitieux ne réussira pas sans les chambres d’agriculture !
Monsieur le ministre, comment comptez-vous faire aboutir un véritable partage des valeurs, objectif essentiel de la loi dite « Égalim », pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire ?
Comment comptez-vous faire appliquer les dispositions de cette loi qui concernent l’étiquetage, mais qui posent le problème plus global de la concurrence déloyale face à des denrées importées, traitées avec des produits interdits en France et consommées par des consommateurs qui les refusent ? (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, Les Indépendants, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur Cabanel, vous avez eu raison de poser un constat, celui de la coupure qui existe aujourd’hui entre une partie de la population et nos agriculteurs.
En ce qui me concerne, je veux lancer un cri d’alarme à nos concitoyens : aimez vos agriculteurs ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Et il y a des raisons pour cela : par exemple, pour la troisième année consécutive, l’agriculture française a été désignée comme la plus durable au monde. Ainsi, l’alimentation fournie par nos agriculteurs est la plus sûre, la plus saine et la plus durable d’Europe.
Monsieur Cabanel, vous avez raison, ce dénigrement, cet agri-bashing, est totalement insupportable, et nous devons le combattre le plus vigoureusement possible.
Il est absolument inadmissible que des gens – ils sont parfois à visage découvert ! – entrent dans des exploitations, y ouvrent des portes, voire mettent le feu à des bâtiments – je me suis récemment rendu dans l’Orne pour constater de telles exactions. Ce n’est pas acceptable, et la justice doit faire son travail et condamner de tels actes.
Je voudrais saluer les agriculteurs et leurs syndicats, qui étaient hier dans la rue pour crier leur colère face à ce dénigrement et cet agri-bashing. Ces manifestations se sont déroulées dans un grand calme, et je veux en féliciter les organisateurs. J’aurai naturellement d’autres rendez-vous avec eux.
Comme l’indiquait hier le Premier ministre à l’Assemblée nationale, la lutte conte ce dénigrement est un combat constant du Gouvernement.
Nous devons aussi réussir à faire en sorte que la loi Égalim produise ses effets, pour que les revenus des agriculteurs augmentent.
Je n’ai plus beaucoup de temps, mais j’aurai d’autres occasions pour évoquer les différents aspects de votre question, monsieur Cabanel.
Pour conclure, je vous dirai simplement : aimons notre agriculture ! En effet, si notre alimentation ne provient pas de nos agriculteurs, elle viendra d’ailleurs et elle sera moins bonne ! (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE et Les Indépendants.)
situation des kurdes dans le nord-est syrien
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Christine Prunaud. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Après avoir donné à la Turquie son accord pour pénétrer dans le nord-est de la Syrie, afin d’y créer une zone dite « de sécurité », le Président des États-Unis semble rétropédaler. Pour autant, aujourd’hui, des chars et des véhicules blindés se dirigent vers la frontière ; une offensive est imminente.
Pour les Kurdes, cette zone de sécurité équivaut à une zone de péril et de mort certaine. États-Unis ou pas, de toute façon, Erdogan se moque totalement du droit international et s’allie sans vergogne avec des mouvements islamistes contre les Kurdes. Pourquoi se priverait-il ? À chaque nouvelle offensive, aucune sanction réelle de la communauté internationale !
L’abandon programmé des Kurdes syriens ne constitue pas seulement une faute morale ; c’est aussi une faute stratégique. Rappelons-nous bien que, si l’État islamique n’existe plus aujourd’hui, c’est en grande partie grâce aux combattants et combattantes kurdes – je pense notamment à ces femmes formidables.
Faut-il désespérer de l’influence de notre gouvernement dans ce conflit ? Le groupe CRCE attend une protection immédiate de nos amis kurdes par l’ONU, seul symbole d’une future démocratie laïque au Moyen-Orient. Et il faut des sanctions financières lourdes, voire un blocus et une mise au ban de la Turquie.
Ne rien faire, c’est le déshonneur pour la France, monsieur le ministre ! C’est aussi abandonner la lutte contre le terrorisme islamiste, voire l’encourager indirectement. En France, nous avons malheureusement des exemples de sa présence.
Monsieur le ministre, le retour de la paix dans cette région exige maintenant des décisions fortes du gouvernement français et de la communauté internationale. Il est grand temps !
J’espère que vous allez me donner des réponses concrètes, qui montreront que la France agit effectivement dans ce conflit. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – MM. Michel Amiel, André Gattolin et Simon Sutour applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Madame la sénatrice, je souhaite tout d’abord excuser l’absence de Jean-Yves Le Drian, qui se trouve aujourd’hui à Lyon pour la conférence de reconstitution des ressources financières du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.
Je crois que nous partageons tous très largement un immense respect pour les combattants et les combattantes – vous l’avez souligné – des forces démocratiques syriennes, qui sont notamment composées de Kurdes. Cette organisation a joué un rôle clé dans la défaite territoriale de Daech, avec le soutien de la coalition internationale.
Le courage de ces hommes, de ces femmes des forces démocratiques syriennes, les FDS, les sacrifices qu’ils ont consentis appellent notre reconnaissance. Le Président de la République a pu la leur témoigner à plusieurs reprises, au nom de la Nation, en les recevant au Palais de l’Élysée. Très récemment encore, hier plus précisément, M. Emmanuel Macron a reçu le porte-parole des FDS, Jihane Ahmed, et lui a fait part de sa préoccupation s’agissant de l’opération turque.
Il est très préoccupé, car le combat contre Daech, qui se poursuit aux côtés des FDS, reste notre priorité en Syrie. Il est donc important de préserver ces forces, dans le contexte que vous avez rappelé. Mieux, il convient de leur témoigner tout notre respect. C’est ce que nous disons aux Américains, aux Turcs, avec clarté, avec franchise. Selon nous, seul le dialogue politique permettra, dans la durée, de garantir une place, dans la Syrie de demain, non seulement aux Kurdes, mais aussi aux autres minorités, notamment les chrétiens.
Le courage et les sacrifices des Kurdes nous ont obligés hier, ils nous obligent aujourd’hui et ils nous obligeront demain. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et UC. – Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudit également.)
situation des trésoreries et proximité des services publics
M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé, pour le groupe socialiste et républicain.
C’est sa première question d’actualité, et c’est aussi son anniversaire. (Sourires et applaudissements.)
M. Hervé Gillé. Merci, monsieur le président.
Monsieur le ministre, voilà quelques jours, plus de 20 000 policiers manifestaient pour exprimer leur malaise.
La crise dans la fonction publique hospitalière est telle que Mme la ministre des solidarités et de la santé reconnaît elle-même que le pacte de refondation des urgences sera insuffisant pour calmer les esprits. Médecins, infirmiers, pompiers sont tous exposés, en première ligne, à la précarité, aux violences de la société.
Les drames récents dans l’éducation nationale illustrent également ce désespoir lié à l’absence de reconnaissance en l’occurrence des personnels enseignants.
Dans ce contexte de défiance, la réforme territoriale de la direction des finances publiques, menée au pas de charge, vise en réalité à supprimer plus de 2 000 postes dès l’année prochaine, et 15 000 à terme.
Monsieur le ministre, personne n’est dupe : derrière l’annonce de cette réforme se dissimule un nouveau transfert de charges vers les collectivités territoriales. Or, vous le savez pertinemment, les dotations financières de l’État pour le fonctionnement des maisons France services seront largement insuffisantes.
Les seuls interlocuteurs de nos concitoyens seront des animateurs généralistes dont ne nous savons rien aujourd’hui de leur formation ou de leurs compétences. Avec cette privatisation déguisée du service public, vous n’offrez aucune garantie, et notamment celle de la confidentialité, surtout quand ces tâches sont confiées à des buralistes, de moins en moins nombreux dans un monde rural une nouvelle fois discriminé.
Comment ne pas évoquer un risque d’aggravation de la fracture sociale si vous ignorez la fracture numérique – 20 % de la population en décrochage numérique, comme le rappelle le Défenseur des droits –, alors que c’est une des clés de vos économies ? Rien n’est prévu pour la prise en charge de cette population, qui reviendra dans les accueils des mairies, lesquels assument, sans moyens affectés, le rôle d’écrivain public et numérique.
Monsieur le ministre, quels sont vos objectifs de réduction d’effectifs et de maintien des services publics de proximité ? Quelles garanties nous apportez-vous ? Comment repensez-vous le rôle des communes et des EPCI, qui devront pallier les difficultés d’accessibilité numérique ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’action et des comptes publics.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le sénateur Gillé, je vous souhaite la bienvenue, avant de répondre à votre question, concernant votre département de la Gironde en particulier, et la réforme des finances publiques en général.
La direction générale des finances publiques est née de la fusion de la comptabilité publique et du service des impôts. Ce qui se passe aujourd’hui, dans la continuité de ce qui s’est produit les années précédentes, quels que soient les gouvernements, à savoir la fermeture de 200 trésoreries par an, n’est pas acceptable. Nous avons dû nous adapter, par un supplice chinois territorial – je le sais pour être moi-même élu local –, à un manque de vision sur l’organisation d’une partie de nos réseaux. La suppression des effectifs n’est pas pour grand-chose, monsieur le sénateur, dans les perspectives de refonte des trésoreries.
Des transformations de ce réseau, que chacun de nos concitoyens a pu constater, sont nées de la transformation de Bercy, avec l’impôt à la source, souhaité notamment par votre groupe politique, voilà quelques mois encore, la déclaration tacite du revenu à partir de l’année prochaine et la suppression de la taxe d’habitation. Je rappelle que 4 000 agents des finances publiques s’occupent de la taxe d’habitation et de son contentieux, qui est le premier en volume à arriver dans les bannettes des agents des services publics. Quand nous aurons supprimé cette taxe, un certain nombre d’agents devront, à l’évidence, faire autre chose ou en tout cas agir différemment.
Nous sommes bien loin, monsieur le sénateur, de la question du numérique. Les maisons France services pourvoiront en partie, mais pas totalement, à ce que nous faisons mal jusqu’à présent. Ainsi, je regardais votre département, où au moins quatre trésoreries rurales dans votre sphère d’influence – pardon de le dire ainsi ! – sont ouvertes deux après-midi seulement par semaine, jusqu’à seize heures trente. Les Français souhaitant s’y rendre doivent donc prendre une demi-journée de congés, ce qui, à mon sens, ne correspond pas au bon service public que nous devons leur assurer. Nous devons adapter ce service public.
J’ai pris l’engagement qu’il n’y aurait aucune fermeture de trésorerie en 2020. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes Les Républicains, SOCR et CRCE.) Je sais que vous êtes surpris, mesdames, messieurs les sénateurs, car cela n’est pas arrivé depuis vingt et un ans. (Nouvelles exclamations. – MM. Martin Lévrier et François Patriat applaudissent.)
J’y insiste, en 2020, il n’y aura aucune fermeture de trésorerie, et nous signerons avec les présidents de conseil départemental qui accepteront les nouvelles cartes. Une quinzaine d’entre eux m’ont déjà donné leur accord ; pour les autres départements, y compris la Gironde, nous continuons de discuter. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé, pour la réplique. Je vous accorde trois secondes supplémentaires, mon cher collègue, comme cadeau d’anniversaire. (Rires.)
M. Hervé Gillé. Merci, monsieur le président.
Monsieur le ministre, je crains simplement que ces mesures ne continuent à creuser la fracture territoriale, à renforcer l’insécurité financière et juridique des citoyens et des élus locaux, surtout ceux qui sont éloignés des centres de décision. C’est en total contresens avec les attentes actuelles ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Éric Bocquet applaudit également.)
qualification politique des candidatures
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. Dany Wattebled. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.
Monsieur le ministre, les 15 et 22 mars prochains, les Français vont vivre un moment de démocratie très important en renouvelant, sur tout le territoire, les conseils municipaux de chacune de nos villes, de nos communes, de chacun de nos villages.
Cette période électorale approchant, de nombreux maires indépendants, sans étiquette et non-inscrits, m’ont interrogé au sujet de la nuance politique qui leur sera attribuée par l’administration.
En effet, c’est le ministère de l’intérieur qui procède à l’attribution de nuances politiques dans un cadre strictement défini juridiquement, et qui est censé présenter toutes les garanties nécessaires en matière de respect de la vie privée et de libertés publiques.
La délibération de la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, du 19 décembre 2013, après l’ancien décret du 30 août 2001 portant création au ministère de l’intérieur d’un fichier des élus et des candidats aux élections au suffrage universel, a confirmé tout l’intérêt de l’attribution de ces nuances.
Lors du dépôt de candidature, le candidat déclare s’il se présente avec une étiquette politique ; il peut aussi se déclarer « sans étiquette » ou « indépendant ». Ce sont alors les préfets – loin de moi l’idée de remettre en cause leur don de discernement – qui attribuent la nuance sur les critères suivants : connaissance historique des candidats ; programme du candidat ; investiture ou soutien reçu. Pour les communes de 1 000 habitants et plus, c’est avant le scrutin ; pour les communes de moins de 1 000 habitants, c’est après l’élection du maire.
Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, si vous souhaitez intégrer dans la grille des nuances politiques les classifications « sans étiquette », « indépendant » ou « non-inscrit », en dehors du « divers droite » et du « divers gauche » que nous connaissons ? Si oui, à quelle date cette grille sera-t-elle communiquée, et le sera-t-elle dans le mémento, qui, à six mois de l’échéance, n’est toujours pas disponible, ce qui n’est pas de nature à sécuriser les élus et les candidats ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur. (Ah ! sur les travées des groupes Les Républicains et RDSE.)
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Wattebled, je veux vous rassurer sur le mémento. Comme l’usage le veut, les services du ministère de l’intérieur sont en train de l’affiner pour qu’il soit parfait et qu’il puisse être mis à disposition dans le délai de six mois avant l’élection. Dans les semaines, dans les jours qui viennent, il sera communiqué.
Vous m’interrogez plus précisément sur cette question d’attribution politique. C’est une fonction ancienne qui remonte à la IIIe République. Depuis cette époque, l’État a voulu assurer un suivi non pas de l’identification de tel ou tel maire, mais des mouvements politiques que notre pays connaissait. Ainsi, nous pouvons disposer d’un système d’information concernant les élections qui nous permet d’identifier les appartenances politiques. Pourtant, vous l’avez dit, cela n’est pas forcément simple, parce que beaucoup de citoyens s’engagent en politique, les politiques étant avant tout des citoyens. Vouloir leur coller une étiquette n’est pas toujours un exercice facile.
La CNIL, préalablement au décret de 2014 qui a organisé ce dispositif, a prévu expressément qu’il puisse être demandé au candidat qui dépose la liste dans une préfecture ou une sous-préfecture, selon l’élection, de préciser dans quelle catégorie politique il entend être inscrit. Il existe aussi la possibilité pour le préfet, si le candidat ne souhaite pas se déclarer, de rechercher un certain nombre d’éléments, que vous avez cités, permettant d’attribuer une étiquette politique.
Nous savons tous, en particulier vous, sénateurs, que ce système n’est pas forcément adapté pour les plus petites communes. Je sais que vous aurez l’occasion, dans les jours prochains, de travailler sur le texte portant sur les relations avec les collectivités locales. Si vous souhaitez aborder ce sujet pendant ces débats, je suivrai avec attention vos discussions, mon cabinet restant à votre disposition. Par exemple, nous pourrions parfaitement envisager de fixer un seuil, 3 500 ou 9 000 habitants, en deçà duquel l’appartenance politique aux grands courants que nous connaissons n’est pas indispensable. Je suis, sur ce sujet, totalement à votre écoute. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)