M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. La loi de 1901, comme celle de 1905, est une espèce de totem auquel on ne peut pas toucher. J’ai vu avec intérêt, et un peu d’inquiétude aussi, que la ministre de la justice voulait toucher à la loi de 1881. Il y a donc des textes qui peuvent bouger…
La loi de 1901 véhicule le meilleur et le pire. Le meilleur, ce sont toutes ces associations qui animent nos territoires. Cependant, ce dispositif est aussi utilisé pour d’autres objectifs, qui sont beaucoup moins louables. À l’ère de la différenciation, il va falloir retravailler ce texte.
C’est toujours extrêmement compliqué de parler de la loi de 1901. Cela soulève légitimement beaucoup de débats. Or, monsieur le secrétaire d’État, nous avons besoin de plus de transparence. Il va falloir écouter les services du renseignement financier et les associations, y compris cultuelles. Celles qui sont visées ne sont pas celles qui sont opposées à des changements, contrairement à ce que l’on pourrait croire. François Gatel l’a vu lorsqu’il s’est agi de contrôler des écoles hors contrat. Aussi, je vais regarder d’un œil intéressé la mission proposée par le président Bas, qui ne manifeste jamais beaucoup d’entrain pour remettre sur le tapis ce genre de sujet qui touche les cultes, notamment, comme le dit si bien le président Larcher, les cultes les plus installés.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Conconne, pour explication de vote.
Mme Catherine Conconne. Nous avons eu un beau débat, légitime, vivifiant, contredisant la légende selon laquelle les parlementaires seraient des élus offshore, très détachés des réalités et de la proximité. Ce débat fera du bien à notre image, car il montre l’attention que nous portons au secteur associatif.
Je vis dans un pays où la solidarité de l’État est arrivée tardivement, très tardivement. Récemment encore, l’État s’est efforcé de combler un certain nombre de manques avec la loi Égalité réelle outre-mer. Aussi, les associations ont très tôt pris la place laissée vacante. À la Martinique, où j’habite, on dénombre plus de 8 000 associations, pour à peine 360 000 habitants. Je vous laisse imaginer la densité de ce secteur vivifiant, vivifié, vivant, qui a besoin de l’attention des élus.
Nous avons cherché, au travers de cette loi, à faciliter leur quotidien, qui est très difficile. J’ai été moi-même membre, puis présidente d’association, et je peux en témoigner. Il y a les dossiers à monter, les Cerfa à surveiller sur internet, la paperasse à remplir, tout cela pour toucher parfois l’argent en année n+1. Cela n’est pas évident.
Comme pour mon président Patrick Kanner, le maintien de la suppression de l’article 1er me laisse un goût amer. Son rétablissement aurait été un geste extraordinaire.
Le non-rétablissement de l’article 1er nous conduira à nous abstenir. En tout cas, le Sénat s’honore, à mon sens, d’avoir eu ce débat, car la République ne saurait se passer du monde associatif, qui joue un rôle essentiel pour la mise en œuvre des politiques publiques et la réponse aux besoins de nos populations.
Merci donc pour ce débat, qui laissera une belle empreinte. Certes, il y a eu des échanges un peu vifs, mais ainsi va la vie politique !
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote.
M. Alain Fouché. Un certain nombre d’avancées sont en effet intervenues au cours du débat, mais il est incompréhensible que les articles 1er, 1er bis et 4 bis, qui sont au cœur du dispositif d’une proposition de loi « visant à améliorer la trésorerie des associations » et qui ont été adoptés à l’unanimité à l’Assemblée nationale, n’aient pas été rétablis. Par conséquent, le groupe Les Indépendants s’abstiendra.
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour explication de vote.
M. Thani Mohamed Soilihi. Cette proposition de loi comporte des avancées certaines. Néanmoins, le maintien de la suppression des articles 1er, 1er bis et 4 bis, dont nous avons espéré jusqu’au bout le rétablissement en séance publique, amène le groupe La République En Marche à s’abstenir.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État. Je voudrais remercier Mme la rapporteur de son travail, même si nos positions divergent sur la plupart des articles, ainsi que toutes celles et tous ceux qui ont participé à l’élaboration de ce texte.
Les débats ont été plus longs que prévu : j’y vois un bon signe, cela montre que, par-delà nos différences, nous avons tous à cœur de travailler à améliorer le quotidien de nos associations.
Pour ma part, je considère que le texte, tel qu’il ressort des travaux du Sénat, ne permettra pas de réaliser ne serait-ce qu’un petit pas en avant, les dispositions phares n’ayant pas été rétablies. Je souhaite que nous puissions y revenir dans la suite de la navette, qui devra également prendre en compte les apports intéressants du Sénat.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Hélène Conway-Mouret.)
PRÉSIDENCE DE Mme Hélène Conway-Mouret
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
7
Création du Centre national de la musique
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la création du Centre national de la musique (proposition n° 482, texte de la commission n° 612, rapport n° 611).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Franck Riester, ministre de la culture. Madame la présidente, madame la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, c’est un immense plaisir pour moi d’être avec vous aujourd’hui pour l’examen de cette proposition de loi relative à la création du Centre national de la musique.
Vous le savez, c’est un projet qui me tient à cœur depuis maintenant longtemps. Dès 2011, j’avais participé aux premières réflexions sur le sujet, aux côtés de Didier Selles, d’Alain Chamfort, de Daniel Colling et de Marc Thonon. Malheureusement, nos préconisations n’avaient pas été suivies à l’époque et les choix politiques du début du précédent quinquennat avaient conduit à mettre ce projet en sommeil. Mais aujourd’hui, nous y voilà ! Aujourd’hui, ce projet est enfin en passe d’aboutir !
L’adoption de cette proposition de loi permettra au Centre national de la musique de voir le jour, dès le 1er janvier prochain. C’est une échéance ambitieuse, mais nous la tiendrons, en nous appuyant sur les travaux conduits par Roch-Olivier Maistre, d’abord, dont le rapport intitulé « Rassembler la musique, pour un centre national » a été largement salué par les professionnels du secteur musical, et par les députés Émilie Cariou et Pascal Bois, qui, au terme d’une large concertation avec tous les acteurs, ont remis au mois de janvier leur rapport de préfiguration au Premier ministre, lequel a clairement affirmé son souhait de voir ce centre créé au 1er janvier 2020. Ces travaux, qui convergent très largement, ont confirmé la nécessité de créer une « maison commune » pour la musique.
La musique, c’est d’ailleurs la première pratique culturelle des Français. Elle est l’art démocratique par excellence, un art qui permet, davantage encore que les autres, de faire tomber les barrières culturelles et sociales, parce que la musique a ceci d’universel qu’elle parle à chacun d’entre nous, parce qu’il n’y a besoin d’aucun prérequis pour être ému par une mélodie, parce qu’il n’y a pas besoin de connaître l’histoire de la musique classique pour vibrer au son du violon de Renaud Capuçon, parce qu’il n’y a pas besoin de comprendre les paroles d’Aya Nakamura pour pouvoir les chanter.
La musique, c’est aussi un puissant levier de liberté, une clé pour l’émancipation, y compris dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville ou les zones rurales isolées. De NTM hier jusqu’à PNL aujourd’hui, combien d’artistes sont issus de ces quartiers dont on leur disait qu’ils ne pourraient jamais sortir ? De Madeon à Kungs, combien de DJ ont été révélés au grand jour en postant, depuis leur chambre, des remix sur SoundCloud ou YouTube ? Ils nous apportent la preuve, comme tant et tant d’autres artistes, que les professionnels de la musique de demain, ce sont les passionnés d’aujourd’hui.
À ce propos, je veux rappeler l’importance des pratiques musicales amateurs. Monsieur le rapporteur, cher Jean-Raymond Hugonet, je sais que vous y êtes, comme moi, très attaché. Si le Centre national de la musique a comme vocation principale de soutenir les professionnels du secteur, il sera également au service de tous les passionnés de musique, au travers notamment de ses missions d’information.
La musique, c’est, enfin, l’une des principales industries culturelles du pays, par son dynamisme économique et son rayonnement international, rayonnement dont témoigne la présence en nombre des artistes français sur les scènes des festivals de l’été du monde entier.
Mais la musique est aussi un écosystème complexe, parfois même fragile. Cela ne vous a pas échappé, en l’espace de quelques années, cette industrie s’est profondément transformée, par l’essor du numérique, par la révolution des modes d’écoute, par la crise du disque qu’elle a subi de plein fouet, par le piratage de masse. De fait, entre 2002 et 2015, la musique enregistrée a perdu 60 % de son chiffre d’affaires.
Aujourd’hui, l’industrie semble avoir surmonté la crise qu’elle a eu à traverser. Depuis 2016, elle renoue avec la croissance, principalement grâce à l’essor de la diffusion en flux – le ministre chargé de la francophonie ne saurait utiliser, surtout dans cet hémicycle, un autre terme, mais vous voyez bien de quoi il s’agit ! (Sourires.)
Toutefois, il convient de rester très prudents, le secteur demeurant fragile à plusieurs égards.
La diffusion en flux peut être porteuse de menaces pour la diversité musicale, avec un risque de concentration des écoutes sur quelques artistes et genres musicaux les plus populaires, renforcé par les algorithmes de recommandation des plateformes. Plus largement, la position dominante de quelques grandes plateformes peut fragiliser l’écosystème musical dans son ensemble.
L’essor de ces nouveaux modes de diffusion efface les frontières et accroît la concurrence internationale. C’est une formidable opportunité pour la diffusion des artistes français à l’étranger, mais c’est aussi, potentiellement, une menace pour la place de la création musicale française et francophone dans notre pays.
Le spectacle vivant musical a connu un dynamisme remarquable au cours des dernières années, malgré les attentats infâmes qu’il a eu à subir, de Paris à Manchester. Là encore, la musique a fait la preuve de son pouvoir de rassemblement et de communion.
Cependant, c’est un secteur qui est, lui aussi, exposé à un risque de concentration excessive. Il a connu l’an dernier un ralentissement de son activité, dont tout le monde espère qu’il soit purement conjoncturel.
Par ailleurs, la distinction entre spectacle vivant et musique enregistrée apparaît de moins en moins opérante.
Les acteurs conçoivent désormais leur développement artistique et économique de manière de plus en plus intégrée, selon des stratégies dites, de façon imagée, « à 360° », qui mettent le créateur, qu’il soit auteur ou artiste-interprète, au centre du projet.
Ces bouleversements profonds ont fait voler en éclat les vieux clivages. Il est temps d’en tirer les conséquences. Il est temps de rationaliser, d’adapter et de renforcer nos outils de soutien, d’accompagnement et d’observation de la filière musicale. Il est temps de les rassembler au sein d’une maison commune : c’est tout l’objet de la création du Centre national de la musique.
Le Centre national de la musique devra être au service de l’ensemble de la filière musicale et de toutes les esthétiques. Les soutiens économiques qu’il mettra en œuvre seront conçus de manière à promouvoir la diversité culturelle et à favoriser l’innovation. Il placera les dimensions territoriales et internationales au cœur de son action. Il viendra compléter et amplifier l’action que mènent, au quotidien, dans le domaine musical, les directions régionales des affaires culturelles de mon ministère, en lien étroit avec les collectivités territoriales. Il aura, en outre, une mission essentielle d’observation, de veille et de prospective. Les études qui seront conduites à ce titre permettront à la fois d’évaluer l’efficacité des dispositifs de soutien – je pense, notamment, aux crédits d’impôt, dont le Parlement a souhaité, lors de la discussion budgétaire, qu’ils soient mieux suivis – et d’éclairer les enjeux de partage de la valeur, d’accompagnement de la transition numérique et de promotion de la diversité musicale face aux phénomènes de concentration. Ces études pourront ainsi nourrir les réflexions sur l’amélioration de nos mécanismes de régulation, qui resteront du ressort de l’administration centrale.
Afin de préparer les conditions de la mise en place du Centre national de la musique, j’ai installé, à la fin du mois de mars, un comité opérationnel. J’en ai confié la présidence à l’inspectrice générale des affaires culturelles Catherine Ruggeri. Par sa longue expérience dans le domaine culturel et musical, par sa connaissance de l’administration et par sa capacité à prendre en compte les positions de tous les acteurs, elle m’a semblé être la personne la plus à même de conduire cette mission délicate. Le comité qu’elle préside, qui se réunit toutes les semaines depuis maintenant plus d’un mois, est composé des directeurs des structures appelées à être fédérées au sein du Centre national de la musique et de représentants des services compétents du ministère de la culture, bien évidemment.
En s’appuyant sur la présente proposition de loi, ce comité a pour mission de mener tous les chantiers juridiques, budgétaires, administratifs, immobiliers, informatiques et sociaux devant aboutir à la création du Centre national de la musique au début de l’année 2020.
J’insiste particulièrement sur la dimension humaine du projet. Je tiens à ce qu’une attention particulière soit portée aux salariés des différents organismes appelés à intégrer le CNM, ainsi qu’aux conditions de leur transfert.
Les travaux du comité avancent à un bon rythme, ce dont je me réjouis. Je suis notamment heureux de pouvoir annoncer le lancement par mes services, en lien avec le comité opérationnel et les organismes de gestion collective, de deux études économiques, consacrées l’une aux artistes, l’autre aux entreprises de la musique.
Ces études constitueront un premier jalon de la fonction d’observation du secteur dévolue au CNM. Elles lui permettront également d’asseoir ses futurs régimes d’aides sur une base robuste de connaissance du marché et de ses acteurs, condition sine qua non de leur efficacité. Leurs résultats devraient être connus avant la fin de l’année.
J’ai souhaité également, toujours dans une logique de concertation et d’adhésion, que les acteurs et les professionnels du secteur soient pleinement associés à ces réflexions.
C’est ainsi qu’un comité élargi, intégrant l’ensemble des représentants de la filière, a été créé pour échanger régulièrement avec Catherine Ruggeri et le comité opérationnel. Il s’est réuni pour la deuxième fois en juin. Je sais que les échanges ont été extrêmement riches et positifs, notamment sur la « petite loi » issue des travaux de l’Assemblée nationale. Il se réunira pour la troisième fois le 26 juillet, ce qui devrait fournir l’occasion d’évoquer le projet de décret statutaire du Centre national de la musique, qui viendra préciser les conditions d’application de la présente loi.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous l’ai dit et je le répète, ce projet me tient tout particulièrement à cœur, et ce depuis longtemps ! Vous pouvez compter sur moi pour mettre toute mon énergie et toute ma volonté au service de sa concrétisation. Je suis à vos côtés pour défendre la diversité de la création musicale, qui nous est si chère.
Ce projet représente un nouvel élan pour la filière musicale. Cette proposition de loi, ce sont des garanties nouvelles pour ses acteurs. C’est un texte cohérent et équilibré, et je souhaite sincèrement remercier toutes celles et tous ceux avec lesquels mon ministère et moi-même avons pu mener un travail fertile : les membres de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, bien sûr, sa présidente, Catherine Morin-Desailly, et son rapporteur, Jean-Raymond Hugonet, ainsi que le président de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, Bruno Studer, et le rapporteur de la proposition de loi à l’Assemblée nationale, Pascal Bois.
J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt vos débats. Je tiens à saluer, en particulier, plusieurs évolutions adoptées en commission, que le Gouvernement soutient pleinement. Vous avez continué, à juste titre, à élargir le champ des missions dévolues au Centre national de la musique et à les enrichir.
Je pense à la pleine inclusion des variétés, y compris l’humour et le cabaret, non seulement dans le domaine du spectacle vivant, mais aussi dans celui de l’enregistrement phonographique. C’est une clarification très utile.
Je suis aussi très favorable aux enrichissements que vous avez apportés aux missions du Centre national de la musique concernant la protection de l’environnement et le développement durable. C’est essentiel pour notre avenir et celui des générations futures, et ce sont des préoccupations qui doivent désormais irriguer et orienter toutes nos politiques publiques.
Le renforcement des compétences du CNM en matière de collecte et de diffusion d’informations économiques et statistiques apparaît, quant à lui, pleinement cohérent avec sa dimension centrale d’observation du secteur.
Enfin, la possibilité expresse qu’auront les collectivités territoriales de conclure des contrats et de nouer des partenariats avec le Centre national de la musique va dans le sens du renforcement de sa dimension territoriale. C’est le souhait du Gouvernement, et je sais que vous y êtes très attachés. De fait, la dynamique insufflée par l’État, les régions et le CNV, le Centre national de la chanson, des variétés et du jazz, au moyen des contrats de filière, a vocation à se poursuivre et même à être amplifiée avec le Centre national de la musique.
L’examen du texte aujourd’hui en séance publique devrait fournir l’occasion d’en améliorer encore la rédaction.
Je pense en particulier, cher Jean-Raymond Hugonet, à l’amendement que vous avez déposé pour préciser les contours de la notion de création, sans doute trop floue et surtout liée à l’univers du spectacle vivant. Son remplacement par celles d’écriture, de composition et d’interprétation permet de renvoyer aux catégories juridiques, bien établies et chères aux organismes de gestion collective, d’auteurs, de compositeurs et d’interprètes. Le Gouvernement est donc pleinement favorable à l’adoption de cet amendement.
Naturellement – vos débats en commission s’en sont fait l’écho –, le texte dont nous discutons aujourd’hui n’a pas vocation à fixer dans le détail l’ensemble des règles de fonctionnement du futur CNM.
J’ai perçu, en particulier, l’intérêt bien légitime que vous portez aux questions de gouvernance et de financement. Je suis conscient que ces deux sujets sont absolument essentiels. On ne construira pas le CNM sans un effort financier à la mesure des enjeux, allant au-delà des ressources actuelles du CNV, et sans une gouvernance permettant de concilier efficacité, agilité et association des parties prenantes au projet.
Mais il y a un temps pour tout : le financement du CNM sera précisé lors de la présentation du projet de loi de finances pour 2020 et sa gouvernance sera définie dans le décret statutaire en cours de préparation.
En ce qui concerne le financement, j’ai entendu les craintes de certains acteurs de la filière quant à la continuité avec le système actuel.
Il n’est pas souhaitable de rigidifier le fonctionnement par une politique de fléchage, mais il est évident que les contributeurs actuels du CNV ne doivent pas voir le soutien qui leur est aujourd’hui accordé diminuer.
En ce qui concerne plus spécifiquement les réserves du CNV, il est essentiel qu’elles soient employées dans le cadre du périmètre actuel de l’établissement public.
Quant à la gouvernance du CNM, qui sera un établissement public, elle devra être resserrée et assurer, conformément aux préconisations de la mission parlementaire, une place majoritaire à l’État au sein du conseil d’administration. L’association des représentants du secteur sera notamment garantie par la présence d’un comité professionnel. La représentation des territoires sera, quant à elle, pleinement assurée, que ce soit au conseil d’administration ou au conseil professionnel. L’amendement adopté en commission élargissant la composition du conseil professionnel aux représentants d’organisations publiques, et non plus seulement privées, va, à ce titre, dans le bon sens.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, l’union : voilà ce qui doit présider au projet de Centre national de la musique !
Elle a prévalu à l’Assemblée nationale, puisque la proposition de loi y a été adoptée à la quasi-unanimité. C’est le signe d’un soutien large, qui dépasse les clivages politiques. Je m’en réjouis sincèrement. Je ne doute pas que le même esprit d’union prévaudra dans cet hémicycle. C’est en confirmant aujourd’hui cette dynamique vertueuse que vous parviendrez, je l’espère, à un accord en commission mixte paritaire par la suite : un accord qui ouvrira la voie à une promulgation rapide de cette belle et importante loi pour le secteur musical et, plus largement, pour la culture dans notre pays ; un accord qui ouvrira la voie à la mise en œuvre résolue de ce beau projet. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous y voilà enfin ! En ce 9 juillet 2019, nous allons répéter, interpréter et finir d’arranger, je l’espère, la partition portant création du Centre national de la musique. Aujourd’hui, c’est l’ensemble du monde musical français qui a les oreilles tournées vers la Haute Assemblée.
Que l’on me permette, en préambule, une référence musicale à l’interprétation par Frank Sinatra de My Way, adaptation américaine de la si célèbre chanson française Comme d’habitude, de Claude François, Gilles Thibaut et Jacques Revaux. Il me semble en effet, monsieur le ministre, que le titre de la version américaine vous sied bien davantage que celui de la version française, surtout quand il est question du Centre national de la musique, car c’est largement vous qui avez tracé la route menant à la création de cet établissement, que nous examinons aujourd’hui – une route que vous avez continué à suivre avec détermination depuis 2011 et le rapport initial que vous avez établi avec Didier Selles, Alain Chamfort, Marc Thonon et Daniel Colling.
Malheureusement, en 2012, alors que l’ensemble des acteurs étaient prêts à s’engager, le projet avait été abandonné, faute de moyens ; la filière en garde un fort ressentiment.
Dans ce contexte, la relance du projet du Centre national de la musique au printemps de 2017 par Françoise Nyssen, alors ministre de la culture, que je veux saluer ici, a fait renaître beaucoup d’espoirs.
Les conclusions du rapport de Roch-Olivier Maistre, qui confirmaient l’intérêt de créer un établissement public chargé d’observer, d’appuyer le développement international et de soutenir le secteur dans une optique de diversité culturelle, ont été unanimement saluées par les acteurs de la filière musicale.
La mission de préfiguration du CNM, confiée aux députés Pascal Bois et Émilie Cariou, a débouché sur le dépôt, le 27 mars dernier, d’une proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale le 6 mai.
Monsieur le ministre, vous avez donc été l’homme à l’origine de ce projet, mais vous serez bientôt aussi l’homme à sa conclusion, qui doit constituer, nous le pensons tous ici, un nouveau départ pour le monde de la musique en France.
Pourquoi est-il si important de donner corps à ce projet ?
Nous avons le sentiment – et nous l’avons beaucoup entendu dire lors des auditions que nous avons réalisées – que si la création de cet établissement n’aboutit pas avec cette proposition de loi, il ne verra jamais le jour. En d’autres termes, c’est maintenant ou jamais !
C’est la raison pour laquelle il me paraît essentiel de ne pas trahir la confiance que votre personnalité a permis de rétablir. En effet, les deux défis auxquels la filière musicale, dans son ensemble, est confrontée, rendent nécessaire la création d’un établissement pour mieux y répondre et favorisent en même temps le regroupement de cette filière.
Le premier défi est celui de la révolution numérique. Parmi les industries culturelles, la musique est le premier secteur à avoir été frappé par la crise due à l’arrivée d’innovations numériques révolutionnant la consommation de produits culturels. Un secteur autrefois florissant a ainsi été très brutalement confronté à une perte massive et rapide de revenus.
L’édition phonographique est cependant parvenue à renouveler son modèle économique et ses modes de production pour renouer avec la croissance, comme le relève notre collègue Françoise Laborde dans son rapport pour avis sur le dernier projet de loi de finances, qui a souligné que, depuis 2013, le chiffre d’affaires du streaming avait été multiplié par près de trois et le nombre d’écoutes par cinq.
Cette crise contraste avec la situation, comparativement bien meilleure, du spectacle vivant, qui représente maintenant presque le double du poids de la musique enregistrée. Les concerts sont en quelque sorte devenus un nouvel eldorado pour l’industrie musicale, même si cela ne va pas sans un certain nombre de difficultés, liées à une concentration croissante des acteurs et au poids du financement de la sécurité. Je vous renvoie aux nombreuses communications faites à ce sujet, ces deux dernières années, par notre collègue Sylvie Robert, rapporteur pour avis des crédits du programme « Création ».
Le second défi tient au caractère toujours très éclaté du secteur. Le secteur de la musique apparaît en effet, depuis des années, traversé par des lignes de fracture multiples et profondes, entre musique enregistrée et spectacle vivant, secteur subventionné et secteur privé, musique « savante » et musiques populaires, pratique professionnelle et pratique amateur…
Les différents acteurs n’ont, jusqu’à présent, pas su construire une culture commune et présenter un front uni pour défendre des intérêts communs et valoriser le secteur.
Devant ce constat, la proposition de loi prévoit la création, au 1er janvier prochain, d’un établissement public à caractère industriel et commercial, un ÉPIC, placé sous la tutelle du ministère de la culture et dénommé « Centre national de la musique ».
La commission de la culture a adopté, il y a deux semaines, plusieurs modifications au texte que l’Assemblée nationale nous avait transmis pour clarifier et conforter les missions du futur établissement et mieux reconnaître la place des collectivités territoriales dans la définition et la mise en œuvre de la politique de la musique.
Pouvons-nous pour autant dire que le travail est achevé avec le texte de cette proposition de loi ? Comme le disait Miles Davis, « la véritable musique est le silence et toutes les notes ne font qu’encadrer ce silence ».
Or, monsieur le ministre, il y a dans ce texte deux silences et, comme souvent avec les silences, ils concentrent toute l’attention.
Un premier silence concerne la gouvernance du nouvel établissement.
La composition du conseil d’administration d’un ÉPIC relève du pouvoir réglementaire. Le Parlement n’a donc pas véritablement la main sur les modalités de sa gouvernance.
Or nous avons précisément constaté que ces questions de gouvernance font partie de celles qui agitent particulièrement la filière musicale, pour ne pas dire qu’elles la divisent !
Il ne faudrait pas que le projet achoppe sur ces questions, au motif que les solutions retenues, comme aurait pu le dire le regretté Michel Berger, dressent les acteurs « les uns contre les autres », alors que l’objectif est au contraire de faire en sorte qu’ils travaillent les uns avec les autres !
Il me paraît essentiel que les différents acteurs de la filière musicale n’aient pas le sentiment d’y perdre en se rassemblant au sein de cette nouvelle maison commune, faute de quoi le risque serait que certaines des associations de droit privé refusent in fine de rejoindre le CNM, ce qui ferait perdre beaucoup de son intérêt au projet.