M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean Louis Masson. En 1938, tout le monde cirait les chaussures d’Hitler ; actuellement, l’Europe cire les chaussures de M. Trump en acceptant notamment qu’il exploite les pouvoirs que lui donne le dollar pour empêcher d’autres pays de commercer avec l’Iran ! C’est un scandale, madame la secrétaire d’État ! La France n’est pas à la hauteur !
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. le président de la commission des affaires étrangères et M. Robert del Picchia applaudissent également.)
M. Olivier Cadic. Assumant la redoutable tâche de passer après les « trumpettes » de M. Masson, je commencerai, monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, par dire que je suis personnellement très heureux de retrouver Robert del Picchia, après ces quelques mois. Il nous a beaucoup manqué. En tant que sénateur représentant les Français établis hors de France, comme toi, je veux souligner que tu n’as jamais cessé, pendant ces six mois, de communiquer avec ces derniers et de faire des propositions. Tu démontres que le travail à distance ça peut fonctionner ! Mes chers collègues, je vous prie d’applaudir Robert del Picchia. (Applaudissements.)
M. Robert del Picchia. Merci !
M. Olivier Cadic. Le 18 juin dernier, le conseil des affaires générales, à la réunion duquel vous participiez, madame la secrétaire d’État, a « pris bonne note de la recommandation de la Commission d’ouvrir des négociations d’adhésion avec la République de Macédoine du Nord et l’Albanie, compte tenu de son évaluation positive des progrès accomplis ».
Ces conclusions ont été reprises par le Conseil européen, dont la réunion qui s’est tenue le lendemain fait l’objet du présent débat.
Je me réjouis vivement de ces déclarations, même si je regrette que nous devions encore attendre le Bundestag pour que le Conseil puisse se prononcer véritablement sur le fond.
L’élargissement rapide de l’Union vers les Balkans occidentaux est en effet une évidence historique et culturelle.
Lors des conférences que j’ai données en septembre 2018 en Albanie, à Tirana et à Korça, et en Macédoine du Nord, à Skopje, j’ai posé la question : quelle différence y a-t-il entre un Albanais ou un Macédonien du Nord et un Français ou un Allemand ? Aucune : ils sont tous européens !
Permettre à ces deux pays de nous rejoindre est une nécessité stratégique, tant pour l’Union européenne que pour lesdits pays. Ils ne rêvent que d’Europe. (M. Jean-Marc Boyer applaudit.) Leur fermer la porte serait les inviter à construire leur avenir avec des pays qui combattent notre projet et nos valeurs, comme la Russie, n’en déplaise à M. Masson, la Chine ou la Turquie.
J’ajoute que c’est leur jeunesse qui est actuellement la première affectée par la situation. Elle s’en va pour, souvent, ne pas revenir, privant ces pays de leurs forces vives. Elle y est même parfois incitée – ainsi les médecins albanais sont-ils systématiquement encouragés à apprendre l’allemand pour exercer chez notre voisin.
Comment ne pas comprendre ces jeunes et l’élite de ces pays ?
J’ai eu l’honneur de recevoir, ici, au Sénat, la semaine dernière, le docteur Alfred Moisiu, ancien président de la République d’Albanie, accompagné de Son Excellence M. Dritan Tola, ambassadeur d’Albanie en France.
L’ancien président a formulé le souhait que nos deux pays tissent des liens plus étroits et que la France accorde davantage d’importance à la région des Balkans. Il craint que notre absence n’offre un espace à d’autres pays.
Je lui ai fait part de ma crainte que la jeunesse de son pays ne quitte l’Albanie, au cas où celle-ci ne rejoindrait pas à court terme l’Union européenne. Beaucoup de responsables politiques des Balkans occidentaux partagent cette préoccupation. L’ancien président m’a rappelé que l’adhésion à l’Union européenne est au cœur des aspirations du peuple albanais et, plus particulièrement, de la jeune génération.
Ce parcours d’adhésion est jalonné de nombreux défis.
L’Albanie consent déjà à beaucoup d’efforts pour y parvenir, à l’image de la lutte contre la corruption, objet d’une réforme de son système judiciaire. J’ai salué ce volontarisme et assuré l’ancien président de mon total soutien à la démarche d’adhésion à l’Union européenne de son pays.
Je veux également évoquer et saluer les efforts du peuple de Macédoine du Nord, qui a accepté de modifier le nom de son pays, par référendum, pour pouvoir accéder à l’Union européenne.
Il est temps désormais pour l’Union d’adopter une position claire envers ces pays et envers ces peuples. Madame la secrétaire d’État, la France va-t-elle accepter d’ouvrir des négociations d’adhésion qui, en plus de répondre à des aspirations locales puissantes, s’inscrivent dans les priorités stratégiques de notre continent ? (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste. – MM. Robert del Picchia et Jean-Yves Leconte applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous le savions, ce sommet européen était principalement dédié à la distribution des hauts postes institutionnels ; pourtant, malgré de longues discussions, aucun consensus n’a pu être dégagé entre les États membres.
Cela n’est pas vraiment une surprise, tant les négociations sur ce sujet sont délicates et l’équilibre difficile à trouver.
Nous l’avions souligné lors de notre débat préalable : cette réunion du Conseil européen devait être un moment fort de la démocratie européenne, l’occasion d’affirmer le rôle politique de l’Union européenne. Partie remise, donc, au sommet de crise du 30 juin, deux jours seulement avant la session inaugurale du Parlement européen – troisième sommet depuis les élections européennes, déjà, sur ce sujet.
Devant cet échec des tentatives de compromis, il semble bien que le système du Spitzenkandidat, si critiqué par certains, soit définitivement mort. Les favoris pour la présidence de la Commission ont été écartés, faute d’une majorité parmi les dirigeants de l’Union européenne.
Le fait que les chefs d’État et de gouvernement ne se soient pas mis d’accord peut être considéré comme un échec. Cela peut aussi être interprété comme le signe d’une volonté politique de trouver les personnalités adéquates pour diriger l’Union européenne, des femmes et des hommes politiques forts qui feront consensus et qui mettront en œuvre les priorités définies, répondant aux attentes des citoyens.
Il faut des personnalités qui ont déjà exercé des fonctions à responsabilité au plus haut niveau. Je ne peux, à ce titre, que soutenir le Président de la République face à la chancelière allemande, qui veut imposer M. Weber.
À la tête de la Commission européenne, il faudrait une personnalité forte qui fasse l’unanimité et qui soit connue du grand public. Et pourquoi pas une femme ?
Il faudra aussi que le président ou la présidente de la Commission européenne s’entoure d’une équipe solide, compétente et approuvée dans son ensemble par le Parlement européen pour mettre en œuvre les nombreuses priorités européennes.
En ce sens, l’agenda stratégique qui a été adopté pour les cinq prochaines années par le Conseil européen guidera la prochaine Commission européenne. C’est écrit noir sur blanc : il faudra protéger davantage les citoyens, développer le tissu économique, construire une Europe sociale, juste et verte, et renforcer les intérêts européens à l’échelon mondial. Autant de dossiers qui mériteront une attention particulière des institutions européennes !
Le climat en fait partie. Et même si les Vingt-Huit n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur la date de 2050 pour la neutralité carbone européenne, les progrès réalisés par la France pour convaincre de nombreux États membres peuvent être soulignés.
Il est aussi important de comprendre les raisons du refus de certains États pour adopter une stratégie ambitieuse qui sera acceptée par tous.
La Finlande, qui tiendra bientôt les rênes de la présidence tournante de l’Union européenne, a récemment annoncé qu’elle visait des émissions nettes zéro d’ici à 2035 et voulait devenir un pays à bilan carbone négatif d’ici à 2050. C’est encourageant.
Madame la secrétaire d’État, le message porté par l’Europe au sommet des Nations unies en septembre prochain devra être fort et audible pour que les signataires de l’accord de Paris renforcent leur ambition en matière de climat.
L’approfondissement de l’Union économique et monétaire sera également essentiel dans les années à venir. Les premières pierres posées lors du sommet de la zone euro sont autant de signes encourageants, même si tout n’est pas encore réglé.
La question du financement est, certes, compliquée, mais essentielle si l’Union européenne veut avancer concrètement sur cet instrument budgétaire pour la compétitivité et la convergence.
C’est en tout cas un pas important qui est franchi pour le budget de la zone euro. Cela devrait permettre d’encourager les réformes structurelles pour accroître la compétitivité des dix-neuf États membres ayant adopté la monnaie unique. Il faudra poursuivre ces travaux pour définir clairement l’architecture du futur budget de la zone euro.
Madame la secrétaire d’État, le sommet du 30 juin sera fondamental pour l’avenir de l’Union européenne. Je suis certaine que la France se montrera à la hauteur des enjeux. Gageons que les chefs d’État et de gouvernement réussiront à se mettre d’accord au-delà de leurs intérêts nationaux pour préserver et renforcer notre Europe. (M. Claude Haut applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Claude Haut.
M. Claude Haut. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues – je salue particulièrement notre collègue Robert del Picchia, qui nous fait le plaisir d’être revenu auprès de nous aujourd’hui –, ce Conseil européen de juin, le premier depuis les élections européennes de mai, était un moment décisif, à plusieurs égards.
Parmi toutes les questions qui ont été abordées, j’évoquerai seulement trois points.
Premièrement, à l’occasion du sommet de la zone euro qui était accolé à cette rencontre, les chefs d’États et de gouvernement ont formellement adopté l’accord sur la création d’un budget de la zone euro conclu le 14 juin par les ministres des finances de la zone euro. Cet accord, dont notre groupe se félicite, est une bonne nouvelle. Il marque un pas de plus vers le renforcement des investissements et de la convergence entre les dix-neuf économies de la zone euro, pour leur permettre de mieux résister aux chocs économiques.
En effet, l’accord vise trois mesures majeures.
D’abord, pour la première fois, un budget opérationnel sera mis en place, afin d’encourager des réformes favorisant la convergence entre économies. Ensuite, le renforcement du Mécanisme européen de stabilité le transformera en un véritable pare-feu d’intervention rapide et efficace en cas de crise. Enfin, la création d’un filet de sécurité en cas de crise est une nouvelle forme de protection des économies des épargnants français, comme de ceux de toute la zone euro. C’est un engagement du Président de la République, énoncé dans son discours de la Sorbonne. Comme il l’a évoqué à la sortie du Conseil européen, nous allons « dans la bonne direction », mais il faudra « aller beaucoup plus loin sur ces ambitions, […] au bout de la fonction de stabilisation, […] acter évidemment la réforme du mécanisme européen, mais […] bâtir un véritable budget avec gouvernance propre et financement suffisant. » Madame la secrétaire d’État, quelle sera désormais la suite à donner à cet accord ?
Deuxièmement, le sommet a permis des échanges sur un nouvel agenda stratégique pour les cinq années à venir. Comme vous venez de le rappeler, cet agenda a été adopté à l’unanimité. Il s’inscrit dans la continuité des résultats du sommet de Sibiu du 9 mai et est destiné à orienter les travaux des institutions, au lendemain d’élections européennes déterminantes, alors que le renouvellement des institutions est encore en cours.
Les citoyens européens, qui se sont exprimés dans les vingt-huit pays de l’Union européenne, ont notamment voulu attirer l’attention de leurs dirigeants sur la transformation de nos économies et ses conséquences sur leur vie, sur la protection de leurs libertés et des frontières extérieures, ainsi que sur l’urgence climatique.
Nous nous réjouissons que cet agenda stratégique ait su prendre en compte à la fois ces attentes fortes et les défis qui s’imposent désormais à l’Europe, en traçant quatre axes prioritaires : la protection des citoyens et des libertés ; une Europe économiquement solide et dynamique, en passant notamment par une approche plus intégrée autour de la politique industrielle, de la transformation numérique et d’une fiscalité juste et efficace ; une Europe neutre pour le climat, équitable et sociale ; enfin, la défense des intérêts et des valeurs européennes sur la scène internationale et l’affirmation de l’Europe comme un rempart face aux défis mondiaux. Notre groupe restera bien évidemment vigilant quant à la mise en œuvre de cet agenda durant les cinq années à venir. Madame la secrétaire d’État, sur ces quatre axes, des dossiers prioritaires vont-ils émerger ?
Troisièmement, l’un des enseignements cardinaux de ces dernières élections est l’affirmation saine et massive de la préoccupation environnementale. Celle-ci ne s’est pas seulement exprimée en nombre de sièges. Elle s’est aussi durablement installée au cœur du débat pour chacune des formations politiques en jeu. Et elle continuera de s’exprimer ainsi, à la manière d’une force bienveillante… et pas souvent tranquille ! Les revendications pleines d’espoir de notre jeunesse en attestent.
Notre groupe se réjouit que le Conseil européen ait su faire écho à une telle préoccupation en inscrivant ce sujet brûlant à son ordre du jour et en adoptant des conclusions spécifiques.
Ces conclusions invitent le Conseil et la Commission à faire avancer leurs travaux sur les mesures incitatives et sur le cadre qui permettra d’assurer une transition vers une Union européenne neutre pour le climat, conformément à l’accord de Paris.
De même, comme je viens de le souligner, la construction d’une Europe neutre pour le climat, verte et équitable figure bien dans l’agenda stratégique.
La France a réussi à franchir une étape supplémentaire, en rassemblant désormais vingt-quatre pays européens autour de l’objectif d’une économie décarbonée pour 2050, pour appliquer pleinement l’accord de Paris.
Certains préféreront peut-être voir le verre à moitié vide ; je préfère le voir à moitié plein. Et permettez-moi de vous citer un proverbe chinois : « Ne craignez pas d’être lent,… » – en Europe, il faut parfois être un peu lent – « … craignez seulement d’être à l’arrêt ».
L’espoir nous est d’autant plus permis que, rappelons-le, au sommet de Sibiu, seuls huit pays, et non vingt-quatre comme aujourd’hui, étaient convaincus par l’objectif d’une économie décarbonée d’ici à 2050.
Madame la secrétaire d’État, comment réussir à convaincre nos partenaires que sont la Pologne, la République tchèque, la Hongrie et l’Estonie du bien-fondé d’un tel objectif politique pour nos générations futures ? Surtout quand, nous le savons, les énergies fossiles sont au fondement de leurs systèmes économiques ? Pourriez-vous d’ores et déjà nous informer sur la manière dont la présidence finlandaise compte se saisir de ce dossier ?
L’urgence climatique est de mise, et la paralysie politique n’est plus permise. Ce serait la pire des stratégies que d’agir isolément sur ce phénomène global, dans l’attente d’être vertueusement imité.
Nous devons donc mettre les bouchées doubles dans les efforts diplomatiques que nous déployons aujourd’hui à tous les niveaux, et demain au G20 d’Osaka des 28 et 29 juin, puis le 23 septembre lors du sommet onusien sur le climat. Il est de notre devoir de combattre la résignation en tout temps et en tout lieu, car le réchauffement climatique, nous nous en rendons bien compte, c’est le déplacement des populations, c’est la guerre de l’eau, c’est aussi l’effondrement de la biodiversité, du monde animal et végétal tel que nous l’avons toujours connu.
Madame la secrétaire d’État, quel bilan dressez-vous des efforts diplomatiques multipliés de la France quant au respect et à la mise en œuvre de l’accord de Paris ?
Au Sénat, c’est avec cette conscience que nous prendrons bientôt notre part lors de l’examen du projet de loi relatif à l’énergie et au climat. Nous tenterons de répondre au mieux aux attentes qui se sont exprimées – je pense au poids de l’écologie – lors de ce récent vote.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, mon intervention tranchera peut-être un peu avec l’ambiance « mi-chèvre mi-chou » et bien peu lucide des premières prises de parole.
Je pense que nous pouvons malheureusement dresser un constat d’échec à propos de cette première réunion. C’est un échec non seulement pour les gouvernements des plus grands pays de l’Union, mais aussi pour l’avenir des peuples d’Europe, qui attendent des changements importants.
Alors que les inquiétants résultats des élections européennes appellent des remises en cause profondes, alors que les revendications sociales, écologiques et démocratiques infusent à travers le continent, tout démarre comme si rien n’allait changer. L’échec du sommet est une alarme de plus sur la crise très profonde de l’actuelle construction de l’Union européenne. Au-delà de la personnalité des candidats aux nominations, au-delà des circonstances, le modèle institutionnel et économique de l’Union européenne est à bout de souffle.
Les extrêmes droites de tous poils, dont plus personne ne parle, semble-t-il, exploitent ces impasses répétées pour pousser leurs pions vers une Europe de plus en plus brutale, guerrière, rejetant les solidarités sociales et humaines. Et les chefs d’État conservateurs, néo-libéraux ou sociaux libéraux, incapables de renouveler en profondeur les logiques de l’Union européenne, bloqués dans des institutions et des traités qu’ils ont eux-mêmes façonnés, se révèlent de plus en plus inaptes à résoudre les contradictions et à avancer vers des solutions novatrices.
Il y a bien les grandes envolées présidentielles à l’Acropole, à la Sorbonne, devant l’Organisation internationale du travail ou encore au sommet des Deux Rives, mais les réalités sont têtues. Et la réalité, c’est une Europe qui s’enfonce dans la crise, sans projet novateur et sans écoute des demandes citoyennes.
Sur les discussions institutionnelles, les mots de Visconti résonnent encore malheureusement : « Il faut que tout change pour que rien ne change. » Le Président de la République se présente comme le pourfendeur des habituelles tractations entre socialistes et conservateurs européens, mais les acteurs restent les mêmes ; seuls les rôles changent. Et pour quel résultat prévisible ? Un nouveau compromis, associant peut-être cette fois un peu plus de libéraux et de verts, mais fondé sur la continuité des mêmes objectifs. Aucun changement de cap sérieux en faveur du progrès social, de la protection de la planète ou d’une nouvelle industrialisation intégrant ces réorientations !
Les arrangements de couloirs reprennent de plus belle sans contrôle des objectifs, loin du regard des citoyens et des parlementaires nationaux. Et, même dans ces conditions, vous n’arrivez pas à déboucher sur un consensus !
La même logique prévaut pour les discussions relatives au cadre financier pluriannuel. Avec le même résultat : un ajournement des décisions. Quels compromis se nouent en arrière-plan des nominations négociées ? Nous voulons de la transparence, une autre méthode et un réel changement de cap.
Pourquoi, par exemple, ne pas simplement fonder les priorités budgétaires sur des demandes qui continuent d’être largement exprimées par la grande majorité des citoyens des États membres ? Dans un récent eurobaromètre, la Commission souligne elle-même que la préoccupation première des Européens est celle du développement économique et social, loin devant le développement de la défense européenne. Pourquoi dès lors s’évertuer à faire du fonds européen de défense de 13 milliards d’euros la priorité absolue, sur l’autel de laquelle beaucoup de renoncements à d’ambitieuses politiques sociales semblent se tramer ?
Nous attendons également des engagements clairs sur deux postes de dépenses qui risquent de payer le prix fort des marchandages politiques en cours.
Tout d’abord, concernant la politique agricole commune, la PAC, ô combien importante pour nos agriculteurs, une baisse des montants serait inacceptable, surtout quand on prétend engager le continent dans la transition de nos modèles de production, qui sera impossible sans des revenus redevenus rémunérateurs ! Une réforme de ces aides est possible et même souhaitable. Il faut limiter les aides versées aux plus grands propriétaires terriens et à l’agriculture la plus productiviste, au profit de modèles de qualité sociale, alimentaire et écologique nouveaux. Mais la mise en cause du montant des crédits de paiements est un véritable danger.
La politique de cohésion et, notamment, les divers fonds de solidarité doivent également être sanctuarisés, voire développés vers de nouveaux objectifs de réduction des inégalités. Or, à l’heure actuelle, la politique de cohésion est menacée par le projet de cadre financier pluriannuel.
Oui, le minimum – je dis bien « le minimum » – serait de protéger les rares dépenses de redistribution qui existent dans l’Union européenne. Je pense, entre autres, au fonds d’aide aux plus démunis, qui avait déjà été plusieurs fois menacé et qui a été préservé, notamment grâce à la détermination des élus du groupe de la Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique, ou GUE/NGL, au Parlement européen.
Le programme stratégique pour la période 2019-2024 nous alarme, tant il est en décalage avec les grandes urgences de changements nécessaires.
Le premier paragraphe est relatif à la protection des citoyens et des libertés ? Très bien ! Mais quelle est la première idée mise en avant dans ce cadre ? Le renvoi des réfugiés dans les pays d’origine ! Est-ce cela la vision que nous promettons au monde et aux peuples d’Europe à l’aube du XXIe siècle ? Et les axes directifs réitèrent tous ceux qui ont clairement échoué.
Le Conseil européen appelle à développer notre base économique ? Parfait, il serait temps ! Il mentionne même la politique industrielle. C’est une nouveauté. Mais quel est le principe directeur choisi ? L’investissement public dans des projets utiles ? Des coopérations scientifiques ? Le développement d’une base productive écologique ? Absolument pas ! Il s’agit seulement de renvoyer tous ces objectifs à l’achèvement du marché unique dans toutes ses dimensions. Et pendant ce temps, nous voyons ce qui se produit pour Alstom, General Electric, la 5G… L’effacement industriel de l’Europe continue !
Madame la secrétaire d’État, vous l’aurez compris, mon intervention est celle d’un sénateur inquiet pour l’avenir de son continent et des peuples qui le composent. L’installation d’une nouvelle législature est souvent un moment décisif pour engager le changement. Au vu de la colère qui gronde, c’est peut-être même l’une des dernières fenêtres de tir pour cela. Malheureusement, je n’ai pas l’impression que nous nous engagions dans cette voie ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant de commencer mon intervention, et même si, comme d’autres, je partage l’invitation du président de la commission des affaires étrangères à regarder l’avenir non pas face à face, mais côte à côte avec la Russie, il ne me paraît pas convenable d’entendre dans cet hémicycle une ode à l’invasion, à l’annexion, à la violation du droit international et des droits humains des citoyens ukrainiens de Crimée !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Yves Leconte. « L’Europe ne se fera pas d’un coup ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait. » Tout le monde connaît ces mots prononcés par Robert Schuman le 9 mai 1950.
Je crois que le Brexit montre les limites d’une telle méthode. Car, même si nous constatons que nous avons intérêt à ne pas nous séparer, même si nous sommes si interdépendants que nous aurions tous du mal à le faire, nous allons probablement le faire ! Si les liens d’interdépendance et les solidarités qui ont été créés ne s’accompagnent pas d’un supplément d’âme qui donne la volonté et la joie d’être ensemble, le danger de la séparation et de la déconstruction arrive petit à petit. Ce que nous vivons avec le Brexit est aussi un enjeu majeur pour l’ensemble de la construction européenne à l’avenir.
Pourtant, au regard de ce que nous attendions et de ce que les commentateurs annonçaient, le résultat des élections européennes a déjoué les pronostics les plus pessimistes.
D’abord, la participation a été plus importante et plus marquante que prévu. Cela montre l’importance que les citoyens accordent à la construction européenne.
Ensuite, une opinion publique européenne émerge. Elle a deux composantes. L’une est très favorable à l’Union européenne, écologique ; c’est un vecteur d’espoir. L’autre est nationaliste et xénophobe ; si elle nous inquiète, elle montre que des débats et des peurs que nous avons sur le continent traversent les frontières et se retrouvent dans l’ensemble de nos pays.
Enfin, le PSE et le PPE n’auront plus de majorité ensemble. C’est aussi un moyen pour que le Parlement européen soit un peu moins dominé par les accords conclus au sein du Conseil européen. Ce sont de bonnes nouvelles. Cela invite à travailler à la démocratisation de l’Europe, qui est la condition de sa future stabilité.
Face au Conseil, qui représente la somme des intérêts nationaux, le Parlement européen a la lourde tâche de représenter l’intérêt général de l’Union européenne et des citoyens. Il faut garder cette idée en tête au moment des choix des différentes personnalités.
Je ferai trois remarques à propos du Conseil des 20 et 21 juin dernier. D’abord, on a assisté à un débat sur les personnes et les postes plutôt que sur les idées. Ensuite, l’Allemagne et la France ont plus mis en scène leurs désaccords qu’essayé de travailler ensemble à servir l’intérêt général.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Jean-Yves Leconte. Enfin, en refusant l’idée que le Parlement européen puisse, par une majorité, choisir le président de la Commission européenne, la France est revenue sur l’acquis démocratique mis en œuvre en 2014, qui avait permis à une majorité du Parlement européen de choisir le président de la Commission européenne.
En Europe comme en France, le Président de la République refuse de reconnaître le rôle et la responsabilité des partis politiques dans la vie démocratique. À Paris comme à Bruxelles, cette attitude représente un risque. Le processus de nomination passe pourtant quand même par une majorité au Parlement européen. Quelle que soit la décision du Conseil, il faudra qu’elle réunisse une majorité au Parlement européen. Quelle que soit la manière dont chaque État décidera de ses commissaires, ce n’est pas ce qui permettra de constituer une Commission. Une Commission, ce n’est pas chaque État qui envoie un commissaire ; c’est le président de la Commission et les États qui passent un accord.
Madame la secrétaire d’État, nous souhaiterions avoir votre engagement que la Commission sera solidairement et politiquement responsable, et non composée de représentants des États. Il est absolument indispensable d’avancer dans cette voie. Je le rappelle, tous les commissaires devront être auditionnés individuellement et confirmés par le Parlement européen.
Je parlais de débat sur les personnes plutôt que sur le projet. En réalité, il y a un petit projet : le programme stratégique adopté par le Conseil. Mais regardons-le plus en détail.
L’ambition écologique est très en deçà de ce que les citoyens européens ont exprimé lors des élections, et il n’y a pas grand-chose sur les moyens pour atteindre l’ambition d’exemplarité climatique et la neutralité carbone.
On ne trouve rien sur la manière dont cette exemplarité sera utile pour faire évoluer l’ensemble de nos partenaires commerciaux. Nous sommes la première puissance commerciale du monde. Nous avons une responsabilité particulière pour que l’ensemble du commerce prenne la voie d’une neutralité en carbone, sans repli sur soi, mais, au contraire, en profitant de notre place dans le commerce mondial pour faire la norme et le rendre plus vertueux. Il faut y travailler avec nos partenaires commerciaux.
Rien non plus sur la défense du droit d’asile, qui est le fruit de notre histoire et des promesses de nos anciens : ne jamais revoir les horreurs que nous avons vécues sur le continent. C’est le sens d’un engagement pour une Europe humaniste, combattant pour la liberté. Dans ce projet stratégique, il n’y a rien ! Pourtant, nous le savons, la question du droit d’asile est au cœur des négociations entre les États européens aujourd’hui.
Il y a une inquiétude sur l’idée que l’Union se fait de son rôle à ses propres frontières. Nous ne pourrons jamais progresser dans l’approfondissement politique de l’Union européenne si nous laissons des parties entières de nous-mêmes au-delà de nos frontières. Je pense en particulier à la Macédoine, qui a fait, avec la Grèce, de gros efforts ces derniers mois ; ils devraient être salués. Pourtant, le conseil des ministres des affaires étrangères n’a pas mis à l’ordre du jour du Conseil européen l’ouverture des négociations avec la Macédoine.
Au lieu d’un budget de la zone euro, on se contente d’une petite ligne de crédit dans un projet de cadre financier pluriannuel, qui n’a pas avancé au cours des négociations.
Rien sur l’enjeu du vieillissement de la population, qui pèsera sur notre croissance, mais aussi sur notre capacité d’innovation et sur notre capacité de remettre en cause nos habitudes face aux exigences climatiques.
Rien sur l’amélioration des ressources propres de l’Union européenne, alors que le prochain cadre financier pluriannuel est difficile à mettre en place. En effet, chaque cadre financier pluriannuel fait justement de plus en plus appel aux ressources des États plutôt qu’aux ressources propres. Il conviendrait de modifier une telle évolution.
Rien sur la manière dont l’Europe, première puissance commerciale du monde, pourrait envisager de faire face à l’extraterritorialité des lois américaines, qui viole notre souveraineté, le droit international et qui menace aujourd’hui aussi la paix.
Rien de bien concret sur l’évolution de la politique de concurrence qu’il convient de mettre en place pour répondre aux problèmes que nous avons constatés lors du projet de fusion Alstom-Siemens, alors que la Commission n’a fait que dire le droit.
Madame la secrétaire d’État, les élections européennes ont souligné que les Européens étaient, plus qu’on ne le pense, attachés à l’Europe, convaincus qu’elle est la dimension adéquate pour faire face aux défis de demain. Je pense en particulier au défi climatique, mais aussi au défi de la gestion de la donnée, avec lequel on n’en a pas fini, sous prétexte que l’on a mis en place le règlement général sur la protection des données, ou RGPD ; c’est une condition absolument essentielle de notre liberté pour demain.
L’Europe, c’est la chance pour les Européens de ne pas se chamailler, de ne pas être des spectateurs de l’évolution du monde, mais d’être ensemble un acteur. Nous avons aujourd’hui la force, notamment commerciale, de pouvoir faire la norme et de peser sur l’ensemble du monde. Les États membres, au lieu de continuer à défendre les intérêts nationaux, devraient être à la hauteur de ce que les citoyens européens ont dit lors de ces élections, en participant plus qu’on ne l’attendait et en montrant l’émergence d’une opinion publique européenne. Il convient aujourd’hui de répondre à cette attente.
Les États membres doivent être à la hauteur de ce que les citoyens européens ont exprimé lors des dernières élections européennes. Ce n’est pas le sentiment que nous avons eu lors du Conseil du 20 et du 21 juin dernier.