M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de votre aperçu assez complet des nombreux thèmes abordés lors du dernier Conseil européen. Je me réjouis de la qualité du dialogue que vous avez souhaité engager avec notre assemblée dès votre prise de fonction. Il est utile et fécond. Vous pouvez compter sur le Sénat pour vous soutenir dans toutes vos initiatives visant à refonder l’Union européenne.
Cela dit, au nom de la commission des affaires étrangères, je formulerai quatre observations. Elles portent sur la défense, la Russie, l’élargissement et la Turquie.
Je ne peux pas ne pas évoquer la défense, au lendemain du salon du Bourget où a été signé l’accord avec l’Allemagne et l’Espagne sur l’avion de combat du futur, et à la veille de l’examen, en commission des affaires étrangères, du traité d’Aix-la-Chapelle.
Je proposerai à mes collègues d’adopter le traité signé avec l’Allemagne, mais j’appellerai à des avancées concrètes sur le volet « export de défense ».
La réaffirmation symbolique de l’amitié franco-allemande est, nous en sommes tous d’accord, une nécessité absolue dans un contexte marqué par le Brexit et la montée des rivalités entre puissances. Le moment est bien choisi pour donner un successeur au traité de l’Élysée de 1963, car l’amitié franco-allemande est non seulement la grande réussite de l’après-guerre, mais surtout, aujourd’hui, le socle de la pérennité de l’Union européenne.
Vous connaissez notre préoccupation sur un volet essentiel du traité : la coopération sur les programmes de défense, clé de l’indépendance stratégique européenne future. Au-delà de la volonté d’avancer manifestée par le texte et les dirigeants des deux côtés du Rhin, de nombreuses incertitudes pèsent sur les projets communs, qu’ils concernent les avions, les drones ou les chars lourds. Je parle évidemment de la politique d’exportation. On ne peut vouloir construire un avion de combat européen ensemble et tout faire pour qu’il soit impossible de l’exporter. C’est une question de cohérence !
M. Bruno Sido. Bravo !
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Les bisbilles du partage industriel ne doivent pas empêcher la défense européenne d’avancer. Le Président de la République et la Chancelière l’ont clairement dit, c’est 50-50, et on pourra exporter librement. Tels sont les principes ! Appliquons-les !
Le Sénat va bien sûr mouiller sa chemise, si je puis me permettre cette expression, sur ce dossier vital, en faisant jouer ses liens privilégiés avec la commission de la défense du Bundestag, acteur clé dans ce dossier. Comptez sur moi pour aborder cette question avec le président Wolfgang Hellmich, que je rencontrerai très bientôt à Bâle, en compagnie de mon collègue de l’Assemblée nationale. Vous le voyez, le Parlement, ça peut servir ! Au salon du Bourget, nous n’avons cessé d’entendre des appels à un meilleur dialogue entre les parlementaires de nos deux pays.
M. Robert del Picchia. Très bien !
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. S’agissant de la Russie, mes observations n’étonneront personne, tant la position de la commission est constante et connue : il faut dialoguer, avec fermeté et détermination. Oui, nous condamnons l’annexion de la Crimée ; oui, nous demandons l’application des accords de Minsk et la libération des marins ukrainiens ; oui, nous demandons aux Russes de modérer leurs alliés iraniens et d’agir sur leur allié syrien pour mettre fin à l’atrocité des bombardements à Idlib.
Cependant, la Russie est un grand partenaire stratégique, au cœur de la résolution des crises au Moyen-Orient, mais aussi en Europe. Il est tout de même invraisemblable de constater qu’on parlait davantage aux Russes du temps de la guerre froide ! À cet égard, je me félicite de la rencontre organisée hier entre les Premiers ministres de France et de Russie. Car il faut ouvrir un nouvel espace de dialogue avec la Russie.
La réintégration de la Russie au sein du Conseil de l’Europe, dont le principe a été adopté hier soir, permettra aux citoyens russes opposants de déposer des recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH. Je remercie les membres de notre assemblée siégeant à Strasbourg d’avoir voté en ce sens.
Bien évidemment, nous attendons des signes de nos amis russes, qui doivent notamment s’engager à exécuter les jugements de la CEDH. Une telle attitude, très positive, serait appréciée.
Pour ce qui concerne l’élargissement, madame la secrétaire d’État, vous avez indiqué la semaine dernière que la question de l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine du Nord ne serait finalement discutée qu’en octobre, dans l’attente d’une position du Bundestag. Mais vous n’avez pas clairement exprimé la position que la France adoptera à ce sujet.
La Commission européenne met en avant les progrès effectués par ces deux pays. Il nous faut bien sûr éviter qu’ils ne basculent sous d’autres influences – ici même, nous recevons leurs représentants quasiment chaque semaine. La mise en scène du rapprochement récent entre la Serbie et la Russie est, en la matière, une vraie piqûre de rappel. Le Président de la République puis le président Larcher se rendront d’ailleurs prochainement en Serbie – c’est une bonne chose.
Mais l’Union européenne ne nous semble pas prête à accueillir de nouveaux membres !
M. Bruno Sido. Non, ça suffit !
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Elle se débat toujours avec le Brexit et avec sa propre refondation. Là est, aujourd’hui, la priorité : refonder l’Europe ! C’est ce que nous pensons ; c’est aussi ce que pense notre opinion publique. J’aimerais, à cet égard, que vous précisiez quelle est la position exacte de la France au sujet de l’ouverture de nouveaux processus d’adhésion.
Un mot, enfin, sur la Turquie.
Voilà l’Union européenne prête à prendre des sanctions à l’égard d’un État qui est un candidat à l’adhésion depuis plus de trente ans. Nous saluons la fermeté du Conseil face aux activités de forage illégales en Méditerranée orientale et en mer Égée, facteur de déstabilisation pour plusieurs États membres de l’Union européenne, notamment la Grèce et Chypre, où j’irai moi-même dans quarante-huit heures.
Mais la Turquie est un partenaire stratégique, membre de l’OTAN. Notre coopération antiterroriste est essentielle. Nous avons besoin de la Turquie dans la gestion des migrations.
Il y a peu de chances de voir les menaces de sanction faire effet – vous l’avez dit vous-même, madame la secrétaire d’État ! Qu’a-t-on à gagner à éloigner chaque jour un peu plus la Turquie de l’Union européenne ? Les dirigeants turcs ne sont pas le peuple turc : on le constate au résultat des élections municipales d’Istanbul. Et les électeurs turcs ne sont peut-être pas aussi naïfs qu’on le pense !
Quelle sera donc la position du Gouvernement ? La priorité n’est-elle pas de recréer des marges d’action et de dialogue avec la Turquie ?
Voilà, madame la secrétaire d’État, quelques éléments issus du travail de la commission des affaires étrangères.
Dans la situation compliquée que vit et que va vivre l’Europe avec le Brexit, nous devons évidemment adopter, sur tous ces sujets, des positions claires. Le Sénat est prêt à vous accompagner ; poursuivons notre dialogue et veillons à ce que les intérêts de la France soient privilégiés dans ce grand continent qui est le nôtre. Je souhaite que vous multipliiez les initiatives permettant de renforcer l’Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Jean-Yves Leconte applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des finances.
M. Philippe Dominati, vice-président de la commission des finances. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la réunion du Conseil européen qui s’est tenue la semaine dernière, la première depuis les élections européennes, était très attendue pour fixer le cap de l’Union européenne jusqu’en 2024.
Or, loin de tenir ses promesses, cette réunion a surtout confirmé l’existence de divergences majeures entre les États membres, le Conseil européen renvoyant d’ailleurs à une date ultérieure la prise des décisions concernant les principaux sujets intéressant la commission des finances.
Premièrement, le Conseil reste prudent, dans ses conclusions, sur l’état d’avancement des négociations relatives au prochain cadre financier pluriannuel.
Il se contente en effet de « saluer » les travaux déjà réalisés, tout en prévoyant un « échange de vues » sur le sujet en octobre prochain. Certes, le temps européen relève du temps long, et le prochain cadre financier pluriannuel déterminera les moyens financiers de l’Union européenne jusqu’en 2027.
Toutefois, ce retard pèsera nécessairement sur les conditions de démarrage des programmes nationaux bénéficiant des fonds européens, alors que ceux de l’actuelle programmation ont déjà pâti de difficultés importantes. Espérons, madame la secrétaire d’État, que la présidence finlandaise trouvera une issue favorable à ces négociations. Elle dispose pour cela d’un délai serré.
Deuxièmement, à défaut de réussir à s’accorder sur la nomination du futur président de la Commission européenne, et, plus globalement, sur la répartition des nominations aux postes clés des institutions européennes, les vingt-sept États membres ont adopté un programme stratégique pour les années à venir.
Ce programme stratégique vise à orienter les travaux des institutions européennes au cours des cinq prochaines années. Il s’articule autour de quatre priorités, dont celle de construire une « base économique solide et dynamique » ; reste à savoir qui l’incarnera.
Ce programme stratégique, sans apporter de propositions concrètes, maintient l’approfondissement de l’union économique et monétaire au rang des priorités de l’Union européenne. Or l’affirmation de cette priorité contraste quelque peu avec les conclusions du sommet de la zone euro qui s’est tenu vendredi en format élargi.
En effet – c’est le troisième point que je souhaite développer –, ledit sommet a confirmé la révision à la baisse des ambitions de réforme pour la zone euro, que l’Eurogroupe avait déjà esquissée la semaine précédente.
Les États membres ont validé l’accord a minima trouvé sur la capacité budgétaire de la zone euro, abandonnant ainsi la fonction de stabilisation de ce budget que préconisait la France depuis deux ans maintenant. Madame la secrétaire d’État, je ne reviendrai pas sur l’ampleur et l’utilité réduites de ce nouvel instrument budgétaire. Le président de la commission des finances, Vincent Éblé, a lui-même, en la matière, exposé ses réserves la semaine dernière.
Les vingt-sept États membres se sont en revanche accordés sur la nécessité de progresser s’agissant du troisième pilier de l’union bancaire, à savoir le système européen de garantie des dépôts. Pour rappel, en décembre 2015, la commission des finances avait déjà adopté une proposition de résolution sur l’approfondissement de l’union économique et monétaire, dans laquelle elle avait souligné l’effort contributif significatif que représentait le système européen de garantie des dépôts pour les établissements bancaires français.
Elle restera attentive à ces évolutions ; il convient néanmoins de noter que les discussions sont bloquées, sur ce sujet, depuis près de trois ans. Il semble donc peu réaliste de croire à un accord à brève échéance.
Enfin, les États membres ont validé l’accord de l’Eurogroupe relatif à la réforme des statuts du mécanisme européen de stabilité, le MES. Ce dernier devrait constituer un filet de sécurité du Fonds de résolution unique d’ici à 2024. La commission des finances a déjà salué les progrès réalisés en ce sens, permettant de renforcer la résilience de notre système bancaire.
Toutefois, je veux attirer votre attention, madame la secrétaire d’État, sur le poids des contributions des banques françaises au Fonds de résolution unique. En 2018, celles-ci ont représenté 2,3 milliards d’euros au total. Or, l’ACPR, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, prévoit qu’elles devraient s’élever à 15,5 milliards d’euros en 2023, soit près de sept fois plus !
La montée en puissance du Fonds de résolution unique doit s’accompagner de règles claires du calcul des contributions, afin de rendre le montant de ces dernières prévisible. Un équilibre doit être trouvé entre la sécurisation du système bancaire européen et les performances de nos établissements financiers. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires européennes.
M. Cyril Pellevat, vice-président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le président de la commission des affaires européennes, M. Jean Bizet, participait ces deux derniers jours à la réunion de la Cosac, la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires, à Bucarest. Il vous prie de bien vouloir excuser son absence, qui n’était pas prévisible, et m’a confié le soin de m’exprimer à sa place, au nom de la commission.
Comme vous aviez pu le constater lors de notre débat de jeudi dernier, madame la secrétaire d’État, notre commission avait de fortes attentes à l’égard de la réunion du Conseil européen qui s’est tenue les 20 et 21 juin. Sans doute certaines de ces attentes sont-elles déçues à l’issue de ce sommet ; en effet, cette réunion n’aura pas permis de faire émerger les noms des futurs dirigeants des institutions européennes. Il est un peu tôt pour savoir si le Conseil européen a définitivement enterré le processus des Spitzenkandidaten, prévu pour consacrer la tête de liste du groupe parlementaire européen sorti le plus puissant des urnes.
Restent ouvertes à ce jour, en tout cas, certaines options que la France pourrait valablement soutenir. Il est encore possible de nommer, comme nous l’espérons, des personnes expérimentées et crédibles aux postes de président de la Commission, de président du Conseil ou de Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.
Sans doute cette réunion du Conseil européen aura-t-elle aussi été décevante sur le sujet du climat. Vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État : l’enjeu climatique sera au cœur du sommet qu’organisent les Nations unies en septembre prochain, afin que les objectifs de l’accord de Paris puissent être atteints.
Le Gouvernement aurait voulu faire de l’Europe un fer de lance dans cette perspective. Mais le Conseil européen a malheureusement échoué à s’accorder sur l’échéance de 2050 pour parvenir à la neutralité carbone.
S’agissant par ailleurs du cadre financier pluriannuel, de l’élargissement ou même du Brexit, les chefs d’État et de gouvernement ont renvoyé ces dossiers au mois d’octobre. Bref, les sujets épineux restent devant nous.
Pourtant, le bilan de cette dernière réunion du Conseil européen est loin d’être maigre.
L’agenda stratégique de l’Union européenne pour les cinq prochaines années a été arrêté. Il s’organise autour de quatre priorités : la protection des citoyens et des libertés, le développement d’une base économique solide pour l’Union européenne, la construction d’une Europe verte, juste et sociale et la promotion des valeurs et des intérêts de l’Europe dans le monde.
Il trace une route claire et ambitieuse pour l’Union, qui nous semble adaptée aux immenses défis auxquels celle-ci est confrontée : transition climatique, pression migratoire, extraterritorialité du droit américain, concurrence de la Chine, atteintes au multilatéralisme, menace terroriste, affirmation des mouvements populistes, enjeux de la numérisation.
Le Conseil européen n’est en outre pas resté muet sur les tensions internationales du moment, alors que la voix de l’Europe est attendue : il a réaffirmé la primauté des accords de Minsk face aux récentes provocations russes en Ukraine ; il n’a pas passé sous silence les forages menés par la Turquie dans la zone économique exclusive de Chypre – il a ainsi chargé la Commission et le Service européen d’action extérieure de lui proposer des mesures de nature à porter un coup d’arrêt à ces incursions inadmissibles dans le territoire d’un État membre de l’Union.
Il a également rappelé l’importance de la politique de voisinage, à l’Est comme au Sud, appelant à se rapprocher des pays de l’autre rive de la Méditerranée, particulièrement le Maroc, mais aussi du continent africain dans son ensemble.
Le sommet de la zone euro en configuration élargie qui a suivi la réunion du Conseil européen offre aussi certains motifs de satisfaction : il a entériné la création d’une capacité budgétaire pour la zone euro. Sa voilure est certes réduite par rapport aux ambitions françaises, mais il constitue un premier embryon décisif d’un dispositif que nous appelions de nos vœux depuis longtemps.
A également été affirmée la nécessité de poursuivre l’approfondissement de la zone euro dans deux directions : la réforme du mécanisme européen de stabilité et l’établissement du fonds européen de garantie des dépôts. Il était important de rappeler ces objectifs pour continuer de consolider la monnaie unique, qui en a besoin.
Au nom de la commission des affaires européennes, je crois donc pouvoir conclure que cette réunion du Conseil européen et le sommet de la zone euro qui l’a suivie, même s’ils laissent pendantes des questions centrales, ont été décisifs, et je me félicite que la voix de la France semble y avoir été en grande partie entendue. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste. – Mme Colette Mélot applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Jean Monnet le soulignait dans ses mémoires : « Rien n’est possible sans les hommes, rien n’est durable sans les institutions. » Aussi, après l’échec des tractations sur les nominations aux grandes institutions européennes lors de la dernière réunion du Conseil européen, il faut espérer que le prochain et imminent sommet exceptionnel produise des résultats.
En effet, à cette heure, le suspense reste entier quant à l’identité de ceux qui occuperont ce que l’on appelle les « top jobs ».
S’agissant en particulier de la prestigieuse Commission européenne, le système des Spitzenkandidaten étant visiblement hors-jeu, et faute de règles très précises dans les traités, seule subsiste la nécessité de parvenir à un consensus le plus large possible entre les membres du Conseil européen, afin que la nouvelle mandature ne s’ouvre pas sur les traces de désaccords.
On sait que la désignation du candidat à la présidence de la Commission résulte, d’une part, d’un équilibre au sein de l’ensemble des nominations, et, d’autre part, des souhaits de certains États membres particulièrement proactifs en raison de leur poids politique.
J’ajouterai, madame la secrétaire d’État, que la compétence et l’expérience sont bien entendu, comme vous l’avez dit, les conditions requises pour accéder aux quatre plus hauts postes de l’Union – ces conditions sont évidemment un gage de crédibilité pour les institutions européennes.
En outre, nos concitoyens, qui se sont davantage mobilisés, le 26 mai dernier, qu’ils ne le font d’ordinaire pour des élections européennes, ne comprendraient pas que leur expression ne soit pas respectée, d’autant plus que le contexte est celui, depuis quelques années, d’un affaiblissement de la démocratie représentative. Aussi, sans méconnaître le résultat du PPE, le parti populaire européen, il me semble que le recentrage politique au centre ne doit pas être ignoré, non plus que le renforcement du pôle des écologistes.
En attendant, qui que soient ceux ou celles qui seront à la tête des grandes institutions, l’Europe est avant tout un projet à porter. Dans cet esprit, on peut déjà se réjouir que le Conseil européen ait adopté l’agenda stratégique pour les cinq prochaines années.
Soucieux de l’approfondissement des politiques communautaires, le RDSE adhère naturellement à la plupart des grandes priorités affichées dans ce cadre.
En effet, dans le monde de plus en plus ouvert qui est celui d’aujourd’hui, comment ne pas souscrire aux grandes lignes que la Commission a rappelées à Sibiu en mai dernier : promouvoir les valeurs européennes, protéger les citoyens et les libertés, développer un tissu économique fort et stable et construire une Europe sociale, juste, verte et neutre ?
Mais tout cela suppose de surmonter les fractures qui ralentissent, quand elles ne la bloquent pas, l’avancée d’un grand nombre de dossiers.
Nous l’avons d’ailleurs hélas constaté, s’agissant de l’objectif d’une Europe durable, avec la question du climat, qui était un des principaux points à l’ordre du jour de la réunion du Conseil européen. En effet, les chefs d’État et de gouvernement ne sont pas parvenus à s’entendre.
En tout cas, la formule retenue dans les conclusions du Conseil européen est un peu légère : « assurer une transition vers une Union européenne climatiquement neutre ». Que devient, dans ces conditions, l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 ? C’est un mauvais signal qui est ainsi envoyé par l’Union européenne, tant dans la perspective du sommet sur le climat prévu en septembre prochain qu’au regard de la mobilisation croissante de la jeunesse européenne sur ce sujet – cet intérêt s’est vraisemblablement manifesté dans les urnes le 26 mai dernier, ne l’oublions pas.
En la matière, les réticences des pays de l’Est, qui voient venir le coût de la politique de décarbonisation de l’économie, doivent être entendues. La question de la solidarité financière est ainsi sur la table, car ce qui se passe à l’Est concerne l’Ouest, donc nous concerne, le dérèglement climatique n’ayant pas de frontières.
Le Conseil européen s’est également penché sur le prochain cadre financier pluriannuel 2021-2027, qui soutiendra notamment l’agenda stratégique. On sait que les négociations sont difficiles, car, là aussi, si les États membres partagent un grand nombre d’objectifs, lorsqu’il s’agit d’entrer dans les détails, chacun avance ses propres priorités.
Nous devons reconnaître que la France a les siennes. En effet, est-il utile de rappeler ici, au Sénat, que notre pays est particulièrement attaché au maintien d’une PAC, ou politique agricole commune, volontaire et dynamique ?
Or, à terme, si les ressources budgétaires n’augmentent pas plus significativement, soit au-delà de 1,08 % du RNB, ou revenu national brut, de l’Union à vingt-sept, il est à craindre que les politiques traditionnelles ne soient la variable d’ajustement de la satisfaction des nouveaux besoins de l’Union européenne. Mais je ne doute pas que le Gouvernement continuera à défendre la PAC et les programmes de cohésion, deux politiques chères au Sénat.
S’agissant toujours de la question financière, je m’interroge aussi sur l’articulation du futur instrument de capacité budgétaire de la zone euro, destiné à conforter la compétitivité, avec le cadre financier pluriannuel. Comment voyez-vous les choses sur ce sujet, madame la secrétaire d’État ?
Quelques mots, enfin, sur l’Europe de la sécurité, et en particulier sur deux volets évoqués lors de la réunion du Conseil européen : la cybersécurité, d’une part, et les sanctions contre la Russie, d’autre part.
Comme vous le savez, mes chers collègues, l’Union européenne envisage de renforcer sa réglementation en matière de cybersécurité, et le Conseil européen, le 18 octobre dernier, avait préconisé des mesures fortes, dont des mesures restrictives, permettant de décourager les cyberattaques. Où en sommes-nous de ces mesures, des moyens dévolus à l’Agence européenne de la cybersécurité et de la mise en œuvre d’un système de certification de cybersécurité à l’échelle de l’Union européenne ?
La sécurité, c’est aussi et bien sûr celle qui doit être assurée à nos frontières et au-delà, via les actions que mène l’Union européenne en matière de relations extérieures.
Je m’arrêterai sur un seul point : la question des sanctions économiques contre la Russie, que le Conseil européen a décidé de reconduire pour six mois. Il me semble que la reconduction est un bon compromis entre l’assouplissement et le durcissement, compte tenu des incidents en mer d’Azov. Le RDSE est pour sa part attaché à une position d’équilibre permettant de ne pas bloquer la situation sur le plan diplomatique. C’est d’ailleurs dans cet esprit que le Conseil de l’Europe a décidé, cette nuit, de rouvrir ses portes à la Russie.
Du côté ukrainien, la présidence Zelensky va-t-elle ouvrir une nouvelle ère et relancer l’application des accords de Minsk, sachant que les relations avec la Russie sont compliquées ?
Le président ukrainien a réservé sa première visite bilatérale, la semaine dernière, à la France. Aussi, madame la secrétaire d’État, auriez-vous peut-être un éclairage à nous apporter sur ses intentions.
Mes chers collègues, tels sont quelques-uns des messages que je souhaitais vous communiquer, au nom du groupe du RDSE, qui est profondément attaché à l’Europe et, par conséquent, toujours attentif aux décisions du Conseil européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mmes Catherine Fournier et Colette Mélot et M. Claude Haut applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux profiter de cette intervention pour regretter que la France cautionne une politique très partisane de l’Europe, qui est à la fois hostile à la Russie et tolère n’importe quoi de la part des États-Unis.
M. Poutine est un homme dix fois moins dangereux que M. Trump pour la paix dans le monde ! M. Poutine gère les dossiers de proximité qui concernent la Russie ; on parle toujours de la Crimée, mais on oublie de rappeler que la population qui y vit est à 80 % russe ! Je soutiens tout à fait, à ce titre, la politique de la Russie en Crimée : il est absolument normal qu’un territoire habité à 80 % par des Russes puisse se prononcer par voie électorale sur son rattachement à la Russie, et que le rattachement ait lieu si ceux qui y vivent en formulent la demande.
Le double langage de l’Union européenne en la matière est d’autant plus flagrant que, dans le cas de la Serbie, on a soutenu le Kosovo au motif que les habitants du Kosovo voulaient se séparer de la Serbie ! On tient à l’encontre de la Russie un langage qui est systématiquement contradictoire.
Je parlais de M. Trump ; mais M. Trump est le seul dirigeant international, ou presque, qui s’assied sur les traités internationaux ; par ses menaces, il finira par nous conduire à la guerre. M. Trump me fait penser à Hitler ! Hitler a commencé, vers 1936, à mettre en cause et à passer outre les traités internationaux ; et, à partir de 1938 et des accords de Munich, il est passé au rapport de forces.
M. Trump se comporte à l’égard de l’Iran comme le président voyou d’un État voyou ! Les États-Unis ont signé des accords avec l’Iran, et M. Trump veut organiser la guerre, tout comme George W. Bush, en son temps, avait menti au monde entier, en pleine connaissance de cause, en prétendant que l’Irak possédait des armes de destruction massive. Les États-Unis sont à l’origine du foutoir inacceptable qu’est devenu le Moyen-Orient : sans la guerre engagée par M. Bush, on n’aurait ni l’État islamique en Irak ni les problèmes que connaît la Syrie.
M. Trump prépare la guerre avec l’Iran ; je redis que ce comportement fait de lui un chef d’État voyou et qu’il me fait penser à Hitler en 1938.