Mme la présidente. Il va falloir conclure, monsieur le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. La famille professionnelle, en classe de seconde, est emblématique de notre ambition : nous voulons que les élèves ne soient pas prédéterminés trop tôt, mais qu’ils puissent, en fonction d’une famille de métiers, choisir leur orientation sciemment, au fil d’un parcours réfléchi.
Nous voulons remettre la notion de chef-d’œuvre au cœur du lycée professionnel, pour renouer avec une image d’excellence professionnelle et permettre à l’élève d’être fier de ce qu’il fait ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel vient considérablement modifier le financement des centres de formation d’apprentis, les CFA.
À la suite des premiers retours des coûts contrats en apprentissage, les coûts pour certaines formations seront inférieurs aux coûts régionaux. Par exemple, en Vendée, pour un CAP de maçon, le coût contrat présenté par France compétences est de 5 500 euros, contre 5 910 euros actuellement pour le coût régional.
Si ces différences étaient confirmées sur tous les établissements ayant un cycle de formation CAP, brevet professionnel ou bac pro, cela représenterait un manque à gagner de plus de 100 000 euros.
Par ailleurs, dans les coûts, la question du financement des investissements reste en suspens. Avant la réforme de 2018, les investissements pouvaient être financés par la région, car l’apprentissage était de la compétence de cette dernière. À l’heure actuelle, nous ignorons si c’est avec le coût contrat que les établissements CFA devront financer les investissements et s’ils auront, notamment, la capacité de poursuivre ces investissements pour adapter les plateaux techniques.
Aujourd’hui, les textes annoncent des financements complémentaires aux coûts contrats pour accompagner l’hébergement, la restauration et l’aide au premier équipement, ainsi que pour aider à la mobilité internationale. Mais, à ce jour, le flou demeure et les établissements professionnels sont contraints de préparer leurs budgets prévisionnels sans disposer de toutes ces informations.
Enfin, la suppression du dispositif d’initiation aux métiers par alternance, ou DIMA, sans proposition d’une formation en remplacement, pénalise les jeunes qui, depuis des années, s’inscrivaient dans ce dispositif. Que deviendront ces jeunes, sachant que, a priori, les classes de « troisième prépa métiers » ont été ouvertes, mais pas dans les CFA ?
Au vu de ces éléments, pouvez-vous, monsieur le ministre, nous éclairer sur la façon dont seront déterminés les coûts, sur les modalités d’attribution des financements complémentaires et, enfin, sur le devenir des jeunes, qui ne peuvent plus bénéficier du DIMA au sein des CFA ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Je vous remercie, madame la sénatrice, d’avoir rappelé la dynamique autour de l’apprentissage, à la suite des propos de M. le sénateur Piednoir.
Il est en effet important de rappeler que la réforme pour la liberté de choisir son avenir professionnel a ouvert une nouvelle phase de l’apprentissage, une nouvelle étape, à laquelle l’enseignement professionnel contribue. Cette nouvelle phase nous permet déjà d’avoir plus d’apprentis, en cette année 2018-2019, que l’année précédente.
L’orientation des élèves a également évolué. J’ai dit à chaque principal de collège de France que son établissement ne serait plus évalué en fonction du nombre d’élèves qui partent en voie générale, en voie technologique, en voie professionnelle ou en apprentissage, et cela a eu un impact.
Comme vous l’avez rappelé, la responsabilité de définir le montant du coût du contrat d’apprentissage appartient désormais aux branches professionnelles. Il s’agit d’un coût national : chaque diplôme ou titre aura un coût précis, qui s’appliquera uniformément sur l’ensemble du territoire.
Jusqu’alors, les coûts de l’apprentissage, que l’on appelait « coûts préfectoraux », étaient déterminés au niveau régional, et ils pouvaient être très hétérogènes pour une même formation, ce qui était parfois surprenant. C’est pourquoi il me paraît difficile d’affirmer que, pour tel ou tel diplôme – CAP, brevet professionnel ou autre –, préparé sur l’ensemble du territoire national, le coût proposé par France compétences sur la base des coûts branches professionnelles est inférieur aux coûts régionaux.
S’agissant des coûts annexes de la formation, ceux qui ne sont pas partie prenante du coût contrat sont pris en charge par les opérateurs de compétences, ou OPCO, de façon complémentaire. Il s’agit, notamment, de l’hébergement par nuitée et de la restauration par repas, pour un montant maximal déterminé par arrêté du ministre chargé de la formation professionnelle, ou encore du premier équipement pédagogique nécessaire à l’exécution de la formation, selon les besoins définis par domaine d’activité, identiques pour l’ensemble des centres de formation d’apprentis concernés, avec un plafond de 500 euros.
Les frais de mobilité à l’étranger sont également prévus et sont à la charge de l’OPCO. Il s’agit, d’une part, d’un forfait obligatoire déterminé par ce dernier,…
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. … et, d’autre part, d’un complément en fonction de la politique de chaque opérateur.
Mme la présidente. Pardonnez-moi de vous avoir interrompu, monsieur le ministre, mais si nous voulons respecter les délais qui nous sont impartis, nous devons tous nous astreindre à respecter la règle.
La parole est à M. Franck Menonville. (M. Alain Marc applaudit.)
M. Franck Menonville. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, connaissez-vous celles et ceux que l’on appelle les « nouveaux artisans » ? Ils sont boulangers, coiffeurs, restaurateurs ou encore agriculteurs et ils ont décidé de se reconvertir volontairement pour répondre, enfin, à leur volonté d’exercer un métier manuel. Ils abandonnent parfois des carrières prestigieuses pour retourner sur les bancs de l’école et apprendre un nouveau métier, celui dont ils rêvaient vraiment.
Ces jeunes en quête de sens et de concret forcent l’admiration. Ils dénoncent aussi, en creux, le mal profond qui ronge l’enseignement professionnel. Parce qu’il n’a pas été suffisamment encouragé et valorisé par les pouvoirs publics, celui-ci est trop souvent perçu comme une voie de garage. Des décennies de politiques malheureuses ont ainsi organisé un immense gâchis, en remplissant des filières d’élèves condamnés à des parcours scolaires et professionnels de second rang. En effet, l’enseignement professionnel est encore trop souvent la dernière option envisagée.
Pourtant, l’enseignement professionnel semble la pièce manquante du puzzle, dans un pays où plus d’un jeune sur cinq est encore au chômage. À l’heure où nous cherchons à diffuser plus largement l’envie d’entreprendre, cette voie pourrait bien constituer l’un des leviers pour redynamiser notre économie et réconcilier notre société avec elle-même.
Monsieur le ministre, comment comptez-vous lutter contre le blocage culturel qui plombe cette filière ? Comment valoriser efficacement la voie professionnelle auprès des jeunes et des familles ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur, votre question est fondamentale. Il est toujours difficile de changer une image, mais je pense que nous avons des atouts pour le faire, à commencer par le solide optimisme qui accompagne cette réforme – j’invite chacun à adopter la même attitude.
Il y a aussi les éléments d’évolution de notre société que vous avez mentionnés. Aujourd’hui, de plus en plus de personnes titulaires d’un master passent un CAP pâtisserie, et certains fondent ensuite de magnifiques entreprises – je pense en particulier au cofondateur d’une célèbre marque de biscuits. De tels cas sont de plus en plus nombreux. Ils tirent vers le haut l’image de l’enseignement professionnel, la valorisation du travail manuel étant une conséquence des évolutions de la société.
Enfin, les grandes évolutions de notre économie vont renforcer le prestige de l’enseignement professionnel. Je pense notamment à la semaine de l’industrie, que nous avons organisée voilà quelques semaines et qui a permis de montrer que l’industrie du XXIe siècle n’a plus rien à voir avec celle du XIXe siècle, ni même avec celle du XXe siècle. La dimension numérique est forte, et les carrières peuvent être très belles, avec un grand volontarisme des jeunes filles.
Nous devons utiliser ce nouveau contexte pour changer l’image de l’enseignement professionnel.
De plus, l’éducation nationale, en tant qu’institution, doit être cohérente avec ce message de prestige de l’enseignement professionnel. C’est le sens du message que j’ai adressé aux principaux de collèges sur la fin de la hiérarchie dans l’orientation.
Enfin, nous devons valoriser le travail manuel dès la petite enfance. On le fait spontanément à l’école maternelle, mais on cesse ensuite. Ici même, lors de la discussion du projet de loi pour une école de la confiance, j’ai accepté un amendement sur le travail manuel, parce que je souhaite qu’il soit présent tout au long du parcours.
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Monsieur le ministre, les lycées d’enseignement général, technologique et professionnel ainsi que les CFA partagent la même ambition, quelle que soit l’orientation choisie par les élèves : leur réussite.
Toutefois, les réformes du bac professionnel et de l’apprentissage risquent de remettre en question cet objectif.
D’une part, comme l’a rappelé Stéphane Piednoir, la diminution du nombre d’heures d’enseignement général et technique – 40 % en CAP, 20 % en lycée professionnel – met en péril la possibilité pour les élèves d’accéder aux filières supérieures de BTS, faute d’une formation suffisante au regard des exigences.
Ce constat est unanimement partagé par les professeurs, qui signalent également que les nouvelles heures d’enseignement en co-intervention réduisent les mathématiques, le français et les enseignements techniques. Or, si la formation venait à se dégrader, les offres d’embauches présentées seraient, de fait, moins exigeantes et les salaires plus bas.
D’autre part, la réforme de la nouvelle répartition de la taxe d’apprentissage va engendrer des inégalités, alors que cette taxe a pour objet de favoriser l’égal accès à l’apprentissage sur le territoire. La perte de redevance pour la tranche « hors quota » est une inquiétude légitime des enseignants, car ce solde, réduit de 23 % à 13 %, est destiné aux formations professionnalisantes en lycées professionnels.
Monsieur le ministre, comment compenser cette perte de moyens tout en garantissant la qualité et l’attractivité de ces filières, qui ont besoin d’équipements ? Par ailleurs, comment comptez-vous former de futurs professionnels accomplis, passionnés et motivés, alors que le volume horaire d’enseignement ne cesse de baisser ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Je veux insister sur cet enjeu de la co-intervention. Encore une fois, si la situation actuelle était parfaite, nous n’aurions pas les résultats que nous avons en matière de décrochage et de chômage.
Il faut donc bien agir sur autre chose que des leviers purement quantitatifs. Sinon, il faudrait passer de 35 heures à 40 heures de cours par semaine, et même à 50 heures si cela ne va pas encore… Sortons de « l’absurdie » qui consiste à avoir une vision purement quantitative de ce qui doit être donné aux élèves.
En effet, la réalité, c’est l’absentéisme des élèves, qui décrochent parce qu’ils ne se passionnent pas pour certains types d’enseignement. Les professeurs sont malheureux de cette situation, les conditions générales ne permettant pas l’attractivité de l’enseignement professionnel.
La co-intervention, pour laquelle nous ne partons pas de zéro, est évidemment une piste très intéressante. Et il est faux de dire que les professeurs sont unanimement contre, fort heureusement. L’un des deux grands syndicats représentatifs de l’enseignement professionnel a été très intéressé par certains aspects de cette réforme, et les professeurs d’enseignement général de lycées professionnels en voient très bien l’intérêt. On est donc loin de la contestation que vous avez décrite.
Quant aux moyens en matière d’apprentissage, vous devriez tout d’abord souligner que nous sommes en train de pousser l’apprentissage en lycée professionnel. J’encourage les lycées professionnels à se mettre à la pointe de ce nouveau dynamisme de l’apprentissage, avec la création systématique d’unités de formation par l’apprentissage dans chaque lycée de France, en partenariat avec les régions.
Le mode de calcul de la redevance « hors quota » a changé, mais pas son montant, qui restera de 90 millions d’euros. Ce qui peut changer, en revanche, c’est le dynamisme mis en œuvre, pour aller chercher plus de moyens grâce à la modernisation de chaque lycée professionnel.
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour la réplique.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Sur le second point, monsieur le ministre, de nombreux enseignants demeurent inquiets, nous le voyons dans les territoires.
Aujourd’hui, les projets comme les séjours professionnels, les visites d’entreprises ou les visites de sites européens sont financés sur la redevance « hors quota ». Demain, ces projets pourraient être purement et simplement annulés. Ce serait très préjudiciable pour les élèves, qui ont aussi besoin de ces découvertes pratiques.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Cartron.
Mme Françoise Cartron. Monsieur le ministre, quarante-huit heures après un rendez-vous électoral européen majeur, je souhaitais aborder aujourd’hui la possible montée en puissance du programme Erasmus+ à destination des apprentis et des lycéens professionnels.
Le 23 mai dernier, vous avez dévoilé, dans un quotidien national, un nouveau système d’équivalence, afin de conduire plus de la moitié des futurs professeurs, notamment dans l’enseignement professionnel, à faire un stage ou un séjour dans un autre pays d’Europe. De même, les élèves de CAP ou de bac pro pourront obtenir des points en plus s’ils effectuent une mobilité. L’objectif est d’encourager les mobilités européennes et de les valoriser afin de les rendre plus accessibles à des jeunes, en particulier ceux qui sont issus de milieux modestes.
Vous appelez à un « Bologne de l’enseignement professionnel », avec des équivalences par-delà les frontières, qui contribuerait à créer un espace européen de l’enseignement supérieur.
Nous le savons, cet espace ne sera viable que s’il ne laisse aucun territoire de côté. Monsieur le ministre, quels sont les objectifs en la matière, en nombre de bourses, en dispositifs d’accompagnement ? Combien d’élèves de l’enseignement professionnel pourraient être concernés ? Quelle action est-elle possible au niveau européen ?
Je pense également à la possibilité d’un parrainage ou marrainage de la part des étudiants étrangers en mobilité en France et de la part des étudiants français revenus de leur mobilité. En effet, derrière la possibilité matérielle d’une mobilité, il y a aussi le désir de celle-ci, qu’il est possible de susciter en faisant tomber certaines barrières symboliques auprès des élèves les plus éloignés, en les sensibilisant et en les informant.
Il s’agirait d’une sorte de réserve citoyenne européenne, qui ne laisserait de côté ni les enfants de la banlieue ni ceux de la France rurale.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, c’est effectivement un enjeu à la fois d’actualité et tout à fait structurel.
Cet objectif de tripler les bourses Erasmus dans les cinq prochaines années figurait dans le programme de la liste Renaissance, et nous allons évidemment pousser ces idées, sur la base des succès déjà existants.
Erasmus est un programme dont tout le monde se félicite, qui a d’ores et déjà un impact sur les élèves en lycée professionnel et les apprentis. Ils étaient 18 500 à en bénéficier l’an dernier, huit sur dix se déclarant satisfaits d’une expérience qui leur a permis d’améliorer leurs compétences techniques, linguistiques et personnelles, mais aussi d’avoir davantage confiance en eux.
Pour le programme Erasmus+ 2021-2027, nous voulons que ce budget soit au moins multiplié par deux, pour atteindre 30 milliards d’euros, ce qui devrait nous permettre de multiplier par trois le nombre de bourses.
Nous voulons que cette nouvelle réalité bénéficie encore davantage à la formation des professeurs, aux apprentis et aux lycéens professionnels. Nous voulons que la fameuse tradition du tour de France des compagnons devienne un tour d’Europe des compagnons et des lycées professionnels, ce qui contribuera aussi à l’évolution du prestige de ces formations.
Nous pouvons donc doubler le nombre de mobilités d’ici à trois ans, pour atteindre 40 000 lycéens et apprentis concernés et 20 000 jeunes passant l’épreuve de mobilité, laquelle est également très appréciée.
Erasmus peut aussi être une façon d’européaniser les lycées professionnels. Nous voulons aboutir à plus de jumelages entre les campus professionnels de France et d’autres pays européens. Nous avons d’ores et déjà des discussions avec les Länder allemands sur ce point, mais nous souhaitons le faire aussi avec d’autres pays européens. (M. Martin Lévrier applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, par une décision du 18 janvier dernier, le Défenseur des droits demandait au Gouvernement de « mener une analyse approfondie concernant la situation de l’affectation des bacheliers technologiques et professionnels dans l’enseignement supérieur et de prendre les mesures nécessaires pour favoriser davantage leur accès dans les formations de leur choix » – je remercie M. Toubon de m’avoir ainsi aidé à rédiger cette intervention ! (Sourires.)
Le Gouvernement n’a pas répondu formellement au Défenseur des droits, me semble-t-il. Monsieur le ministre, au nom de la représentation nationale, je souhaite savoir si vous avez progressé pour remédier à ces discriminations et donner les mêmes droits aux lycéens de l’enseignement professionnel dans la procédure Parcoursup ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur, c’est un sujet extrêmement important, et je suis heureux de pouvoir vous répondre très positivement. Je le suis d’autant plus que, tout au long de l’année dernière, nous avons entendu craintes, inquiétudes et angoisses ; elles sont d’ailleurs assez constantes sur ces sujets et finissent par être en partie autoréalisatrices, même si elles sont en partie compréhensibles.
Pour preuve, malgré des chiffres très positifs, nous avons ancré par des discours d’angoisse l’idée que les bacheliers professionnels seraient discriminés. C’est tout le contraire, mais, à force d’entendre qu’ils vont l’être, ils pensent que c’est le cas. C’est pourquoi j’insiste toujours sur le fait que nos discours font aussi partie de la solution.
J’étais en Seine-Saint-Denis en décembre dernier ; j’ai parlé avec des proviseurs qui constataient objectivement que leurs bacheliers professionnels avaient été davantage admis dans l’enseignement supérieur, notamment en BTS. Néanmoins, les lycéens pensaient que c’était l’inverse et, évidemment, ils bridaient leurs ambitions.
Nous devrions tenir des discours fondés sur les chiffres pour créer ce cercle vertueux de l’ambition et de la désinhibition.
Quels sont ces chiffres ? Lors de la dernière rentrée, quelque 68 757 bacheliers professionnels ont reçu des propositions d’admission en BTS, contre 53 729 lors de la précédente rentrée. Pour moi, c’est un chiffre clé, un chiffre social par excellence. Ils sont donc 15 028 de plus, ou 28 %, à avoir reçu une proposition d’admission par rapport au système admission post-bac ou APB.
Nous voulons conforter ces progrès, car, nous le savons, c’est surtout en BTS que les bacheliers professionnels réussissent dans l’enseignement supérieur. C’est la raison pour laquelle, en tant que ministre de l’éducation nationale, j’ai mené une politique volontariste en la matière, en demandant aux proviseurs de réserver plus de places à ces bacheliers professionnels. On en voit les résultats au travers des statistiques.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour la réplique.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le ministre, les faits sont ceux du Défenseur des droits, et non les miens : après une enquête et une analyse, il a montré que, dans la procédure Parcoursup, le nombre de réponses favorables pour les lycéens issus des filières professionnelles était nettement moindre. Et les premiers chiffres disponibles montrent que, malheureusement, pour l’épisode 2 de Parcoursup, c’est exactement la même chose. Les discriminations sont là !
J’entends vos chiffres, monsieur le ministre, mais il faudrait aussi les mettre en relation avec l’augmentation importante du nombre de bacheliers.
J’espère vivement que votre collègue Mme Vidal nous transmettra les chiffres pour cette année – à cette heure, nous n’avons toujours pas de bilan complet de la première année de Parcoursup pour les lycéens de l’enseignement professionnel. Nous les examinerons, et je reviendrai peut-être vers vous, monsieur le ministre, ainsi que vers M. Toubon, pour faire valoir les droits des lycéens professionnels, qui ont, selon moi, malheureusement souffert de discriminations dans Parcoursup.
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.
Mme Maryvonne Blondin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en dépit de l’excellence des formations, force est de constater que le taux d’échec demeure important dans l’enseignement professionnel.
Malgré vos propos très positifs, auxquels on ne peut que souscrire, les mesures contenues dans la réforme présentée il y a tout juste un an ne semblent pas répondre aux enjeux et traduisent plutôt une logique gestionnaire. Si j’en crois l’une de vos déclarations, monsieur le ministre, « le lycée professionnel est celui qui coûte le plus cher, a le plus d’heures de cours et n’est pas synonyme de réussite ».
Est-ce dans la continuité de ce raisonnement que vous réduisez le volume d’heures d’enseignement global à 30 heures par semaine, notamment celui des matières générales ? Le contenu des programmes lui-même a été pour le moins resserré ! Ces aspects risquent fort de minorer la qualité du bac pro et, par là même, l’insertion professionnelle des bacheliers.
En classe de seconde, vous avez annoncé la création des « familles de métiers ». Leur mise en œuvre effective apparaît toutefois difficile dans certains territoires. Comment cette mesure sera-t-elle appliquée dans les académies qui ne disposent pas de tous les bacs d’une même famille de métiers ?
Cette première année, très généraliste, aura également pour conséquence de déprofessionnaliser les bacheliers professionnels, ramenant le bac pro à deux années de préparation réelle seulement, alors que les entreprises expriment avec force leur besoin de main-d’œuvre spécialisée. Le Conseil supérieur de l’emploi, le CSE, partageait cette analyse dans son avis de décembre dernier.
Monsieur le ministre, il apparaît que votre réforme ne déploie pas des moyens à la hauteur des enjeux de l’enseignement professionnel, qui contribue pourtant à la réussite et à l’image d’excellence de la France !
Quelles dispositions entendez-vous prendre pour améliorer l’insertion dans le monde du travail de jeunes issus de la voie professionnelle ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, la question que vous posez est importante. J’y ai répondu s’agissant des critères de gestion et, encore une fois, je le redis : notre but n’a pas été de faire des économies.
Nos projets de campus, qui sont bien entendu de la responsabilité des régions, bénéficieront d’un appui financier du programme d’investissements d’avenir. J’ai en effet choisi de mettre en priorité les moyens sur les campus professionnels, et c’est bien là le signe de notre volonté d’investir dans l’enseignement professionnel. Nous voulons non pas faire des économies, mais dépenser utilement pour les élèves.
S’agissant des familles de métiers, il faudrait que chacun fasse le tri de ses arguments. J’entends très souvent que les élèves des filières professionnelles seraient placés trop tôt dans une forme de tuyau dépourvu de réflexivité et de réversibilité, et que cela pourrait expliquer le décrochage de jeunes qui, à 16 ans, ne savent pas encore précisément quel métier ils veulent exercer.
Ce raisonnement par familles de métiers comprend d’ailleurs une certaine symétrie avec ce que nous faisons pour le bac général et technologique, où nous fixons des horizons de grands domaines, et non de métiers précis.
Pour la rentrée de 2019, nous commençons par trois familles : métiers de la construction durable, du bâtiment et des travaux publics, métiers de la relation client et métiers de la gestion administrative, du transport et de la logistique.
C’est l’occasion aussi de moderniser l’approche, en mettant l’accent sur les compétences. J’ai rappelé que nous voulions organiser une forme de « Bologne des lycées professionnels », en raisonnant par briques de compétences pour l’ensemble des diplômes que nous délivrons, avec des équivalences européennes.
En définissant des familles de métiers, l’on raisonnera par grandes compétences et l’on permettra à l’élève d’avoir, dès le départ, des éléments de spécialité forts, mais modulables, pour qu’il puisse ensuite faire des choix au fil de son parcours.
Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Costes.
Mme Josiane Costes. Monsieur le ministre, la réforme de l’enseignement professionnel que veut engager le Gouvernement pour la rentrée de 2019 va conduire à une baisse importante du nombre d’heures d’enseignement général dans le cursus des élèves choisissant cette voie. En effet, le français, l’histoire-géographie et l’éducation morale et civique perdent un volume total de 113 heures sur trois ans.
Or cet enseignement général est indispensable à la formation de ces jeunes élèves, au parcours parfois chaotique et pour qui le lycée professionnel est souvent la seule chance d’avoir un emploi ou de poursuivre des études supérieures.