M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Laissez-moi tout d’abord vous dire, madame Claudine Lepage, que, tout comme vous, le Gouvernement est attaché à la liberté d’informer et à la protection du secret des sources. Mais nous devons également protéger les agents qui concourent à la sécurité de notre pays.
Concernant les affaires évoquées, je vous rappelle que, en tant que garde des sceaux, il ne m’appartient ni de commenter ni de m’exprimer sur une affaire en cours, et je m’y astreins. C’est la raison pour laquelle je n’entrerai pas dans les détails.
Je veux en tout cas affirmer qu’il s’agit bien ici d’une procédure judiciaire.
Pour ce qui est de la convocation de Mme Ariane Chemin, journaliste au Monde, celle-ci est intervenue dans le cadre d’une enquête préliminaire qui est placée, vous le savez, sous le contrôle du procureur de la République de Paris. Cette procédure a été ouverte à la suite du dépôt de plainte d’un membre des forces spéciales dont l’identité avait été révélée par ce journal.
S’agissant de la convocation par la DGSI d’un journaliste du média Disclose, que vous avez évoquée, elle intervient, là encore, dans le cadre d’une procédure judiciaire menée sous l’autorité d’un magistrat. Cette enquête préliminaire a été confiée à la DGSI par le procureur de la République de Paris, du chef de compromission du secret de la défense nationale. (M. Pierre-Yves Collombat s’esclaffe.)
Juridiquement, ces éléments sont potentiellement constitutifs d’une infraction pénale. Je rappelle que, dans le cadre d’une audition libre comme d’une garde à vue, les personnes convoquées disposent de droits, et en premier lieu de celui d’être assisté d’un avocat pendant leur audition.
Je rappelle également qu’une telle convocation ne préjuge en rien l’éventualité de poursuites qui pourraient être diligentées à l’encontre de ces journalistes.
Enfin, il appartiendra au seul procureur de la République de juger des suites à donner.
Cette convocation, madame la sénatrice, ne doit en aucun cas être lue comme une tentative d’intimidation ou de menace.
M. Pierre-Yves Collombat. Non, bien sûr ! (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je vous redis ici qu’elle est intervenue dans un cadre juridique précis, respectueux de l’État de droit, et que, tout comme vous et l’ensemble des sénateurs, le Gouvernement est particulièrement attaché à la liberté de la presse. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
relations entre les communes forestières et l’office national des forêts
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Philippe Adnot. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Monsieur le ministre, le Gouvernement a souhaité changer l’organisation des relations qui prévalaient jusqu’à ce jour entre les communes forestières et l’Office national des forêts, l’ONF. Cette mesure provoque un certain malaise, puisqu’il est proposé, de manière unilatérale, que désormais les communes ne reçoivent plus directement le paiement des bois dans leur budget, mais que celui-ci passe par l’ONF.
Monsieur le ministre, ce changement n’a l’agrément ni des communes forestières ni de leurs fédérations. Plusieurs milliers de délibérations ont d’ailleurs été prises pour protester contre cette méthode, contre ce fait accompli. Les communes craignent que la procédure ne soit plus lourde sur les plans administratif et financier, et qu’elles ne soient ensuite confrontées à des problèmes de trésorerie.
À la suite de mes échanges avec les élus des communes forestières de mon département, je vous ai écrit sur ce sujet en novembre dernier. Je n’ai pas eu de réponse. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Il semblerait que vous ayez fait depuis lors une ouverture au cours d’une émission de France 3 Nouvelle Aquitaine. Pouvez-vous m’en préciser l’ampleur ? Surtout, allez-vous renoncer à appliquer unilatéralement cette mesure au 1er juillet prochain ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le président Adnot, vous le savez, je prends soin de vos courriers comme de la prunelle de mes yeux ! (Exclamations amusées.)
Si je ne vous ai pas répondu, c’est parce que je ne pouvais pas le faire dans les termes que vous attendiez. Mais vous auriez pu préciser, en posant votre question, que nos collaborateurs avaient échangé sur ce sujet…
Vous le savez, les choses avancent. En effet, le Premier ministre avait demandé, dans sa lettre plafond de l’année dernière, que les procédures pour la vente de bois soient modifiées et que ce soit désormais l’ONF, afin de traiter le problème sur un plan plus large et plus général, qui perçoive le paiement des bois, et non plus directement les communes forestières.
Nous avons constaté – vous, moi et d’autres encore – que les communes forestières étaient très fortement opposées à ce changement. Plusieurs réunions ont eu lieu, et j’ai moi-même rencontré leurs élus à Paris et dans les départements. Mais rien n’y a fait !
Le Premier ministre, qui suit ce dossier quasiment au jour le jour (M. le Premier ministre sourit.), va procéder à un arbitrage dans les jours ou les semaines qui viennent. J’espère que celui-ci ira dans le sens souhaité par les communes forestières.
Quoi qu’il en soit, sachez qu’il ne s’agit en aucun cas d’un prélèvement financier en faveur de l’ONF et au détriment des communes forestières. Ce n’est pas du tout cela ! Je le dis très clairement, car telle n’est pas la réalité.
Il est vrai, en revanche, que l’ONF rencontre des difficultés. Le Gouvernement s’en est soucié, et nous avons nommé un autre directeur. Un audit réalisé par l’ensemble des inspections générales nous sera rendu cette semaine, et nous prendrons les décisions qui s’imposent en fonction de ses conclusions.
Soyez assuré que le lien n’est pas rompu entre le Gouvernement et les communes forestières, et que le Premier ministre rendra son arbitrage très prochainement. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot, pour la réplique.
M. Philippe Adnot. Monsieur le ministre, j’ai bien entendu votre réponse, mais je ne sais toujours pas quoi dire aux communes forestières !
M. Philippe Adnot. Or vous avez prévu d’appliquer la mesure au 1er juillet prochain ! Vous auriez pu commencer par dire : « Nous n’appliquerons pas cette mesure à cette date. »
Les communes ne peuvent être la variable d’ajustement des problèmes financiers de l’ONF ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Adnot. Vous avez dit qu’il n’y aurait pas de prélèvement ; j’entends cette affirmation. Mais, si cette réforme devait se faire, je souhaite qu’il n’y ait jamais aucun prélèvement en pourcentage sur les sommes qui transiteraient par l’ONF. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
La prochaine séance de questions d’actualités aura lieu le jeudi 6 juin prochain, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures cinquante, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
6
Avenir de l’enseignement professionnel
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur l’avenir de l’enseignement professionnel.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande du débat dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Stéphane Piednoir, pour le groupe auteur de la demande. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, mis en place au milieu des années quatre-vingt, le bac professionnel souffre depuis l’origine d’un déficit d’identification, puisqu’il a été créé autant pour répondre à une nécessaire professionnalisation en France que pour atteindre le très contestable objectif des 80 % d’une classe d’âge au niveau du bac.
L’article L. 335-1 du code de l’éducation nationale dispose que l’enseignement technologique et professionnel « contribue à l’élévation générale des connaissances et des niveaux de qualification » et qu’il « doit permettre à ceux qui le suivent l’entrée dans la vie professionnelle à tous les niveaux de qualification et leur faciliter l’accès à des formations ultérieures ».
Force est de constater que la réforme conduite actuellement par votre ministère laisse perplexes bon nombre de professeurs de lycée quant à la réalisation de ces objectifs.
À la suite de plusieurs interpellations de ces professeurs, syndiqués ou non, et au regard de la faible visibilité de cette réforme dans le débat public et dans les médias, le groupe Les Républicains a souhaité que l’ensemble des sénateurs puisse vous entendre, monsieur le ministre, répondre aux multiples questions qui émanent du terrain.
Je me félicite évidemment de la tenue de ce débat, mais je conviens que la tâche n’est pas facile, puisqu’il nous faut interpeller sans caricaturer, définir sans enfermer et finalement dire sans stigmatiser.
Tout d’abord, il est essentiel de rappeler qu’un lycéen sur trois est inscrit dans la voie professionnelle. C’est considérable, et la réussite de ces jeunes est un enjeu national. Mais comment concilier dans une même formation un objectif d’insertion professionnelle immédiate avec un objectif de facilitation de la poursuite d’études ? Claude Lelièvre, historien de l’éducation, reconnaît même que « personne, depuis Chevènement, n’a été capable de dire ce que devait être l’enseignement professionnel ».
Les bacheliers professionnels devraient, théoriquement, être en mesure d’intégrer le monde du travail ou de poursuivre leurs études dans des formations comme les diplômes universitaires de technologie, les DUT, ou les brevets de technicien supérieur, les BTS. Or, les chiffres le montrent, ce n’est pas le cas dans la pratique.
Dans la filière gestion-administration, par exemple, qui est la plus importante de la voie professionnelle, seuls 34 % des jeunes diplômés sont en emploi sept mois après l’obtention de leur baccalauréat.
Quant à la poursuite d’études, le BTS reste la voie « royale » pour ces bacheliers. Mais, là encore, le taux de réussite n’est pas satisfaisant : les bacheliers professionnels accusent un écart de 20 points sur les bacheliers technologiques et de plus de 30 points sur les bacheliers généraux.
Une réorganisation de la voie professionnelle, dans le cadre de la réforme plus globale du baccalauréat, est donc, sur le papier, une bonne idée. Les acteurs du lycée pro y étaient d’ailleurs favorables.
Sur le papier, justement, la réforme que vous avez engagée peut paraître séduisante sur plusieurs points. J’en ai noté deux : tout d’abord, la création des campus d’excellence a pour ambition de conférer une meilleure visibilité, même si elle risque de renforcer les disparités et de créer une mise en concurrence entre les établissements ; ensuite, l’accent mis sur les formations de pointe aux métiers d’avenir contribue à une nécessaire modernisation des filières. Cependant, si on laisse de côté les formules de communication bien huilées, le détail des mesures est plus nuancé.
Instaurer la classe de seconde par famille de métiers tend à reculer le choix de l’orientation à la fin de la seconde et non de la troisième. Chacun sait, et ce n’est pas propre à cette génération, que ce choix est difficile pour des jeunes de 14 ans ou 15 ans et pour leur famille.
Ces jeunes sont confrontés le plus souvent à un échec scolaire qui les enferme en réalité dans un choix par défaut. Mais cette mesure comporte un risque de « dé-spécialisation » des jeunes et, en toute logique, devrait conduire à un allongement du temps de formation professionnelle. Il n’en est rien dans la réforme proposée, qui, au contraire, réduit le nombre d’heures d’enseignement.
Nous en venons à la mesure qui inquiète le plus le corps enseignant et sur laquelle la représentation nationale a été le plus alertée : la perte de quatre heures par semaine d’enseignement général.
Sans caricature ni stigmatisation, partons d’abord d’un constat : les jeunes lycéens professionnels sont issus de milieux les plus fragilisés socialement, financièrement et culturellement. S’ils se destinent à une formation très professionnalisante, ils ont le plus grand besoin d’un enseignement dans des matières comme le français, l’histoire-géographie ou l’éducation civique et morale.
Mme Catherine Troendlé. Absolument !
M. Stéphane Piednoir. Pourtant, ces trois matières combinées ne feront bientôt plus l’objet que de deux heures de cours par semaine, ce qui est évidemment très insuffisant pour former des citoyens éclairés, conformément à l’objectif que vous vous êtes fixé, monsieur le ministre.
Mme Catherine Troendlé. Exactement !
M. François Bonhomme. C’est certain !
M. Stéphane Piednoir. Même si la réforme permet la co-intervention des professeurs, qui est d’ailleurs déjà mise en place dans les faits dans beaucoup de lycées, le français qui sera enseigné en atelier, par exemple, ne sera qu’un français dit « utilitaire ». Or les enseignants exerçant en lycées professionnels ne peuvent être assimilés à des formateurs en recrutement.
Cette réduction horaire pénalisera l’ensemble des élèves, quel que soit leur choix à l’issue du baccalauréat.
S’ils visent une insertion professionnelle, des jeunes qui ne maîtrisent pas correctement notre langue, que ce soit à l’écrit ou à l’oral, auront plus de difficultés à entrer sur le marché du travail.
S’ils s’inscrivent dans une poursuite d’études, ils souffriront encore davantage de lacunes en français ou en mathématiques, déjà largement constatées dans des filières comme les DUT ou les BTS.
Enfin, que l’on ne me parle surtout pas de l’élargissement du dispositif d’accompagnement personnalisé, véritable « tarte à la crème » des réformes de l’éducation nationale depuis vingt ans, qui ne repose sur aucun programme, dont l’application varie d’un professeur à l’autre, et dont on attend de constater l’inutilité pour pouvoir supprimer ultérieurement de nouvelles heures ! Le fort absentéisme révèle d’ailleurs à lui seul tout l’intérêt que les élèves lui portent…
Un autre pan de la réforme prévoit la mixité des publics et des parcours, avec la généralisation de l’apprentissage.
Nous l’avons assez répété sur ces travées, l’apprentissage est pour nous une composante essentielle de la formation des jeunes, et tout ce qui permet de l’encourager est une bonne chose.
Toutefois, il nous faut être vigilants quant à sa réalisation concrète. Comment, en effet, concilier les absences prolongées de certains avec le continuum des cours des autres ? De plus, en dehors de toute stigmatisation, nous savons que les jeunes inscrits dans la voie professionnelle n’ont pas toujours tous les codes : trouver un contrat d’apprentissage peut parfois se révéler pour eux un vrai casse-tête.
Par ailleurs, l’intégration programmée en troisième professionnelle des élèves provenant d’unités localisées pour l’inclusion scolaire, d’ULIS, de sections d’enseignement général et professionnel adapté, de Segpa, ou d’instituts médico-éducatifs, d’IME, ne manque pas d’interroger également. Quelle formation est prévue pour les enseignants, afin de les adapter à ces publics ?
Monsieur le ministre, pour présenter votre réforme, vous parlez de la voie professionnelle comme d’une « nouvelle voie vers l’excellence ». Force est de constater que bon nombre d’acteurs de l’enseignement professionnel doutent des capacités de vos mesures à répondre à cet objectif.
À mon sens, contrairement à l’ambition affichée au départ, cette réforme ne conduira pas à ne plus considérer cette filière comme une voie « de garage », dans laquelle on envoie les collégiens qui rencontrent le plus de difficultés.
Elle ne permet pas de combattre le sentiment, constaté chez la majorité des jeunes qui arrivent en seconde professionnelle, de dévalorisation, de démotivation, voire de pessimisme quant à leur avenir. Enfin, elle ne fait nullement écho à l’abattement des professeurs, tellement désabusés qu’ils renoncent à engager un mouvement de protestation et font massivement des demandes de mutation.
Bien sûr, les textes réglementaires ont presque tous été pris, et les lycées sont d’ores et déjà en train de s’organiser, parfois dans l’urgence, pour les mettre en œuvre dès la rentrée prochaine.
Notre débat n’a donc pas pour ambition de modifier votre trajectoire, mais il a le mérite d’engager une réflexion qui devra porter sur le long terme. Il sera aussi l’occasion d’apporter des réponses au désarroi exprimé par les professionnels de l’éducation, par les familles et par les élèves eux-mêmes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Grosperrin. Très bien !
Mme Catherine Deroche. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de ce débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains. Il est en effet important de pouvoir discuter de l’enseignement professionnel devant la représentation nationale.
Je vous suis donc très reconnaissant de ce moment, qui m’offre l’occasion de répondre à certaines de vos questions, monsieur Piednoir, et plus généralement d’exposer la logique de cette réforme.
Oui, un grand enjeu éducatif et social nous attend avec la réforme de l’enseignement professionnel. J’en prends toute la mesure, puisque j’affirme régulièrement qu’il s’agit de ma deuxième grande priorité en tant que ministre de l’éducation nationale, la première étant l’école primaire. Je la place même devant les enjeux immenses de l’actuelle réforme du baccalauréat général et technologique, ainsi que de la transformation du lycée général et technologique qui en résulte, réforme dans laquelle nous sommes engagés aujourd’hui.
En la tenant pour une priorité essentielle, je veux signifier que l’enseignement professionnel n’est pas marginal dans notre système et n’est pas la dernière de nos préoccupations. Il est au contraire au cœur de notre volonté de progrès, non seulement en raison de l’enjeu social que vous avez rappelé, mais aussi parce qu’il y va de l’avenir de notre pays.
Il s’agit non pas seulement d’améliorer grandement le parcours d’élèves socialement défavorisés et constituant une partie des décrocheurs scolaires de notre pays, mais aussi de préparer aux métiers du futur ceux qui suivent ce parcours.
C’est sous ce second angle que je voudrais aborder la question de l’enseignement professionnel, car une sorte d’inversion d’image pourrait en résulter.
Vous avez affirmé, monsieur le sénateur, que vous étiez relativement pessimiste quant à notre capacité de changer cette image. Je le regrette, car de tels propos font partie de l’image que nous donnons de l’enseignement professionnel.
Or cette espèce de fatalisme et de pessimisme qui caractérise en permanence les commentaires sur l’enseignement professionnel fait beaucoup de tort à ce dernier. J’ai été à la fois très intéressé par certaines de vos interpellations, mais aussi quelque peu étonné des axes que vous formez avec d’autres formes de contestation, qui, traditionnellement, n’ont pas toujours permis de faire progresser l’enseignement professionnel.
Or les réformes que nous proposons offrent la possibilité d’effectuer un renversement.
Tout d’abord, et je vous remercie de l’avoir souligné, nous mettons en avant une logique de campus et de réseaux. C’est un premier axe de réflexion qui résulte des travaux du rapport Calvez-Marcon, qui a permis d’engager cette réforme.
Je le rappelle, cette réforme a été préparée non seulement par une députée, mais aussi par un chef cuisinier, lui-même issu de la filière professionnelle et de l’apprentissage. Nous avons beaucoup gagné à ce travail préparatoire, qui a permis la consultation de nombreux professeurs de l’enseignement professionnel et de professionnels de différents secteurs.
Le premier axe de cette réforme valorise donc la notion de campus, autrement dit la notion d’excellence. J’ai parlé de « Harvard du pro » pendant la préparation de la réforme. Je persiste et signe : cette formule trouvera une incarnation au cours des prochaines semaines lorsque nous présenterons les premiers projets de campus conçus avec des régions.
Nous partirons de lycées professionnels existants ou parfois de projet ex nihilo, avec pour ambition de montrer qu’il peut y avoir des lieux qui font envie, avec des internats, des équipements sportifs, et une articulation d’institutions différentes, qu’il s’agisse du lycée professionnel lui-même, mais aussi du CFA, des incubateurs d’entreprises, des laboratoires, des établissements d’enseignement supérieur, etc.
Bref des lieux où les élèves auront envie d’aller dès la fin de la troisième, non parce qu’ils ont un mauvais bulletin scolaire, mais parce qu’ils ont envie d’apprendre autrement et de se diriger vers des métiers d’avenir.
Le fonctionnement en campus va de pair avec le fonctionnement en réseau. Tout lycée professionnel de France, dans le futur, se trouvera désormais à la fois dans un réseau géographique et dans un réseau thématique.
Le réseau géographique repose sur l’idée de pouvoir offrir des formations variées dans un certain périmètre. Nous voulons en finir avec la logique du « lycée mobylette », autrement dit du lycée où l’on va parce qu’il est le plus proche de son domicile. Notre ambition est d’offrir un panel de possibilités à chaque élève de France voulant s’inscrire en lycée professionnel. C’est le sens du fonctionnement en réseaux géographiques.
Nous voulons aussi des réseaux thématiques : tous les lycées d’un même thème doivent être articulés avec des branches professionnelles et avec des domaines de recherche afin d’aller vers une plus grande modernité et une meilleure adaptation en temps réel.
Il a été question de l’automobile, secteur qui se développe considérablement d’un point de vue technique. Il importe, à mon sens, que tous les lycées professionnels de l’automobile soient reliés en réseau, pour qu’ils puissent bénéficier des acquis de la recherche, des avancées de l’industrie et de toutes les possibilités d’emplois offertes aux jeunes. Cette notion de réseau est donc essentielle.
Le deuxième axe de la réforme, c’est le lien avec les grandes thématiques d’avenir. J’en signalerai deux.
Il s’agit, tout d’abord, de la révolution écologique. Des établissements la prendront pleinement en compte, car elle est pourvoyeuse de métiers d’avenir. Je pense évidemment aux métiers qui ont trait à l’énergie et aux bâtiments, qui sont déjà en tension, puisqu’il existe des besoins en termes de recrutement.
Or il n’y a pas assez d’élèves formés. Ces métiers du bâtiment et de l’énergie, notamment, pourront trouver une nouvelle attractivité grâce aux nouvelles caractéristiques de l’industrie et de la construction ; d’où nos efforts en matière d’information et d’orientation pour attirer les jeunes vers ces métiers.
Il s’agit, ensuite, de la révolution numérique, qui caractérise bien sûr notre époque. Tous les campus professionnels doivent être numériques, et certains d’entre eux doivent être dédiés aux métiers numériques.
J’ai précisé qu’un élève de troisième doit pouvoir s’orienter par envie dans un lycée professionnel et non parce que son bulletin scolaire est faible. Il est évident que ce sera le cas demain si nous instaurons des campus numériques.
C’est cela aussi qui doit nous conduire à développer des parcours post-bac ambitieux pour les bacheliers professionnels. Ceux-ci pourront travailler après le bac, ce qui reste le désir de près de la moitié des élèves, mais ils pourront aussi poursuivre leurs études, comme dans cet internat d’excellence de Montceau-les-Mines, où l’un des étudiants en prépa bac pro est même allé jusqu’à Polytechnique. L’objectif n’est certes pas que tout le monde en fasse autant, mais c’est la preuve que l’enseignement professionnel ouvre la voie à toutes sortes de destins !
Nous sommes dans une logique de formation tout au long de la vie. Et c’est cette logique qui a un impact en amont sur ce qu’est le lycée professionnel.
Notre ambition, je vous l’accorde, monsieur le sénateur, est très forte, puisqu’il s’agit de changer à la fois le fond et l’image de l’enseignement professionnel pour le rendre attractif, voire pour le placer à la pointe de l’enseignement scolaire.
Notre troisième axe est la pédagogie. C’est elle qui doit montrer le chemin. Je souhaite que cette réforme puisse amener le reste de l’enseignement scolaire à considérer, d’ici à quelques années, certaines évolutions de l’enseignement professionnel comme intéressantes.
Je pense à l’esprit d’équipe. Je pense aussi à l’instauration d’une pédagogie d’équipe et de projets, qui sont des compétences fondamentales dans la vie professionnelle et qui pourront avoir un impact sur des modalités pédagogiques en dehors de l’enseignement professionnel. Je pense enfin à la mixité des publics, que vous avez critiquée à l’instant. Il me semble au contraire qu’il s’agit d’un grand atout, en ce qu’elle permet l’émulation et une approche très concrète.
Vous avez évoqué la co-intervention, thème éminemment pédagogique, et je vous en remercie, même s’il me semble que votre critique aurait pu être mieux fondée.
Comme vous l’avez souligné, la co-intervention existe déjà, et elle a fait la preuve de son intérêt pédagogique. En effet, le nombre d’heures que suit un élève n’est certainement pas un indicateur de bon fonctionnement d’un système. Si tel était le cas, le lycéen professionnel français serait aujourd’hui le meilleur lycéen du monde, car il bénéficie de 34 heures à 35 heures de cours hebdomadaires. Or il décroche, il ne suit pas, il assiste à des cours d’enseignement général dans des classes de 35 élèves.
Soit on fait semblant d’ignorer ces réalités et on formule des critiques assez faciles. Soit on les prend à bras-le-corps, en s’appuyant sur les pratiques pédagogiques qui fonctionnent.
C’est ce que j’ai fait, non pas en tirant cette solution de mon chapeau, mais à la suite d’un travail d’intelligence collective accompli notamment dans le cadre du rapport Calvez-Marcon. Cette co-intervention, qui enthousiasme beaucoup d’enseignants généraux des lycées professionnels, contrairement à ce que l’on prétend parfois, permettra de travailler en plus petits groupes et de façon inductive.
Après le tragique incendie de Notre-Dame-de-Paris, j’ai souvent cité l’exemple du cours de tailleur de pierre et du cours d’histoire des cathédrales. C’est ce type de démarche inductive, concrète, réalisée en petits groupes, qui permettra aux élèves de l’enseignement professionnel d’acquérir les compétences générales dont ils ont besoin et de bénéficier d’un enseignement qui fait sens.
Je n’aime pas le procès qui nous est fait selon lequel nous voudrions brader l’enseignement général des lycéens professionnels. C’est tout le contraire. Nous voulons simplement ne pas nous payer de mots, ni d’heures.
Pour autant, nous ne réalisons aucune économie avec cette réforme. Nous pourrions en faire, car il ne s’agit pas d’un gros mot, mais ce n’est pas le cas, puisqu’il y aura deux professeurs pour un groupe. L’objectif au cœur de cette réforme est donc non pas un objectif de gestion, mais est un objectif pédagogique fondamental. Bien des choses superficielles ont été dites sur ce sujet ; c’est pourquoi je tenais à les corriger.