Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
MM. Daniel Dubois, Dominique de Legge, Mme Patricia Schillinger.
2. Pour une école de la confiance. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Explications de vote sur l’ensemble
Ouverture du scrutin public solennel
Suspension et reprise de la séance
Proclamation du résultat du scrutin public solennel
Adoption, par scrutin public n° 118, du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse
Suspension et reprise de la séance
3. Questions d’actualité au Gouvernement
M. Pierre Ouzoulias ; Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ; M. Pierre Ouzoulias.
indemnisation des victimes de produits phytosanitaires
Mme Nicole Bonnefoy ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Nicole Bonnefoy.
haine véhiculée par les réseaux sociaux
M. Claude Malhuret ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique.
M. Bernard Fournier ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé.
Mme Catherine Morin-Desailly ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique ; Mme Catherine Morin-Desailly.
M. Julien Bargeton ; M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères ; M. Julien Bargeton.
Mme Nathalie Delattre ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Jacques Grosperrin ; Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ; M. Jacques Grosperrin.
Mme Noëlle Rauscent ; M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. François Bonhomme ; M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur ; M. François Bonhomme.
Mme Gisèle Jourda ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances.
protection des données de santé
Mme Sonia de la Provôté ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Sonia de la Provôté.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé
4. Mises au point au sujet de votes
5. Création d’une taxe sur les services numériques. – Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur de la commission des finances
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 43 de M. Christophe-André Frassa. – Non soutenu.
Amendement n° 64 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 61 rectifié bis de M. Cyril Pellevat. – Non soutenu.
Amendements identiques nos 44 de M. Christophe-André Frassa et 60 rectifié de M. Cyril Pellevat. – Non soutenus.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
6. Modification de l’ordre du jour
7. Création d’une taxe sur les services numériques. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Amendement n° 37 rectifié de M. Jean-François Rapin. – Retrait.
Amendement n° 27 de M. Pascal Savoldelli. – Rejet.
Amendement n° 29 de M. Pascal Savoldelli. – Rejet.
Amendement n° 2 rectifié de M. Bernard Delcros. – Rejet.
Amendement n° 53 rectifié de M. Yvon Collin. – Rejet.
Amendement n° 11 de Mme Sophie Taillé-Polian. – Rejet.
Amendement n° 12 de M. Victorin Lurel. – Rejet.
Amendement n° 13 de M. Thierry Carcenac. – Rejet.
Amendement n° 35 rectifié quater de M. Arnaud Bazin. – Rejet.
Amendement n° 28 de M. Pascal Savoldelli. – Rejet.
Amendement n° 34 rectifié ter de M. Arnaud Bazin. – Adoption.
Amendement n° 14 de Mme Sophie Taillé-Polian. – Retrait.
Amendement n° 33 rectifié quater de M. Arnaud Bazin. – Rejet.
Amendements identiques nos 38 de M. Christophe-André Frassa et 54 rectifié bis de M. Claude Kern. – Non soutenus.
Amendement n° 41 de M. Christophe-André Frassa. – Non soutenu.
Amendement n° 23 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 7 rectifié bis de Mme Claudine Lepage. – Rejet.
Amendement n° 51 rectifié de M. Julien Bargeton. – Rejet.
Amendement n° 15 de M. Victorin Lurel. – Rejet.
Amendement n° 8 rectifié bis de Mme Claudine Lepage. – Rejet.
Amendement n° 62 rectifié de M. Jean-Marc Gabouty. – Rejet.
Amendement n° 49 de M. Olivier Jacquin. – Retrait.
Amendement n° 50 de M. Olivier Jacquin. – Retrait.
Amendement n° 48 rectifié ter de M. Rémy Pointereau. – Retrait.
Amendement n° 16 de M. Thierry Carcenac. – Retrait.
Amendement n° 24 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 63 rectifié de M. Jean-Marc Gabouty. – Rejet.
Amendement n° 30 de M. Pascal Savoldelli. – Adoption.
Amendement n° 66 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 4 rectifié de M. Vincent Delahaye. – Non soutenu.
Amendements identiques nos 42 de M. Christophe-André Frassa et 58 rectifié bis de M. Claude Kern. – Non soutenus.
Adoption de l’article modifié.
Article additionnel après l’article 1er
Amendement n° 17 de Mme Sophie Taillé-Polian. – Rejet.
Amendement n° 21 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l’article 1er bis
Amendement n° 31 de M. Pascal Savoldelli. – Rejet.
Amendement n° 3 rectifié ter de M. Vincent Delahaye. – Rejet par scrutin public n° 120.
Amendement n° 32 de M. Pascal Savoldelli. – Rejet.
Adoption, par scrutin public n° 121, de l’article.
Article additionnel après l’article 2
Amendement n° 18 de M. Victorin Lurel. – Rejet.
Amendement n° 9 rectifié ter de Mme Claudine Lepage. – Rejet.
Amendement n° 67 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Adoption, par scrutin public n° 122, du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Daniel Dubois,
M. Dominique de Legge,
Mme Patricia Schillinger.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du vendredi 17 mai 2019 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Pour une école de la confiance
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une école de la confiance (projet n° 323, texte de la commission n° 474, rapport n° 473).
Explications de vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de passer au scrutin, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits par les groupes pour expliquer leur vote.
Je rappelle que chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d’un orateur par groupe, l’orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.
La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’école en France ne se porte pas très bien, ce n’est pas un scoop : près de 100 000 élèves sortent chaque année du système éducatif sans formation ni diplôme ; le chômage des jeunes s’élève à 20 % ; notre pays occupe une place médiocre dans les classements internationaux et, malgré les réformes successives, cette place continue de se dégrader. Les dépenses pour l’éducation étant plus élevées que la moyenne des pays comparables, c’est non la question d’un manque de moyens qui se pose, mais plutôt celle de leur utilisation.
Nous battons tous les records de reproduction des inégalités sociales et territoriales en matière éducative. Ainsi, 48 % des décrocheurs sont des enfants d’ouvriers, faute de bouclier de sécurité. Nous savons aussi que la grande majorité des élèves des filières professionnelles sont issus d’un milieu défavorisé.
L’éducation nationale continue d’affecter et de rémunérer les enseignants en fonction plus de l’ancienneté que des besoins. Les directeurs d’école primaire ne disposent pas du statut et parfois des moyens nécessaires à leur mission.
L’accroissement des charges administratives et les fréquents conflits entre enseignants et familles entravent les inspecteurs dans leur tâche et les empêchent de mener à bien leur mission pédagogique.
Nous pourrions tous poursuivre cette liste encore longtemps, mais à quoi bon ? Je le répète et c’est de notoriété publique : notre école ne se porte pas très bien.
C’est d’autant plus préoccupant que, dans de nombreux territoires en difficulté, les enseignants font aujourd’hui partie des rares relais entre les citoyens et leurs institutions.
À notre époque en proie au doute, à la défiance, au repli identitaire, où l’intelligence et la connaissance cèdent trop souvent le pas au délire et à l’ignorance, où la violence n’est jamais loin, à l’école, dans la rue ou sur les réseaux antisociaux – ce n’est pas un lapsus –, restaurer un lien de confiance au sein de nos écoles est un objectif majeur, que notre groupe ne peut que soutenir.
Bien sûr, personne ne peut croire que, pour atteindre cet objectif, un seul projet de loi puisse proposer le remède miracle ! Au moins celui-ci a-t-il permis, au gré des discussions à l’Assemblée nationale, puis au Sénat, que de nombreuses questions soient soulevées : transmission des valeurs de la République à l’école, inégalités sociales et territoriales, évaluation de l’école, maillage territorial, mixité, laïcité, santé, inclusion ou encore lutte contre le harcèlement. Si notre système éducatif concentre autant de problématiques différentes, c’est qu’il touche à ce que la République a de plus précieux : son avenir.
C’est aussi la raison pour laquelle ce projet de loi a soulevé un certain nombre d’inquiétudes. Je voudrais saluer d’abord l’excellent travail de notre rapporteur, Max Brisson, qui a permis d’en dissiper plusieurs, ensuite votre attitude ouverte, monsieur le ministre, qui a permis un débat courtois et dépassionné, enfin l’implication de l’ensemble de nos collègues, qui ont siégé nuit et jour pour améliorer le texte et défendre leurs idées.
Sans surprise, le Sénat a approuvé l’abaissement à 3 ans de l’âge de l’instruction obligatoire, tout en offrant davantage de souplesse à son application. Nous espérons que cette mesure, associée à l’obligation de formation de 16 à 18 ans, sera un réel levier d’action contre le décrochage scolaire et le chômage des jeunes.
Des mesures importantes ont été adoptées en matière d’engagement de la communauté éducative, du renforcement de l’école inclusive, de l’innovation pédagogique, de la formation des enseignants, de l’évaluation, de la gestion des ressources humaines.
D’autres mesures importantes visent à renforcer la transmission et le respect des valeurs de la République en milieu scolaire. Pour prévenir les dérives, le Sénat a également adopté une disposition du Gouvernement visant à renforcer les sanctions contre les écoles privées hors contrat dont les activités ou le fonctionnement risqueraient de troubler l’ordre public. L’école est de plus en plus souvent victime des dérives communautaristes. Nous devons apporter une réponse claire et ferme à toute tentative d’endoctrinement. Il n’y a pas de place en France pour les écoles pratiquant l’éducation à la haine dans le plus grand mépris des valeurs de la République.
Après un débat de haute tenue, bien éloigné des polémiques qui l’ont précédé, la Haute Assemblée a supprimé la possibilité de fusionner écoles et collèges au sein d’un établissement public local. Cette mesure suscitait de l’inquiétude parmi les élus locaux, en particulier les maires ruraux, et la communauté éducative concernée. Nous avons fait le constat qu’une telle réforme de l’organisation de l’école ne pouvait se faire par voie d’amendement, sans étude d’impact et sans concertation préalable avec l’ensemble des acteurs concernés. Nous ne pouvons qu’espérer que les débats qui se sont tenus sur ce sujet, notamment sur l’initiative de notre collègue Jacques Grosperrin, ne resteront pas lettre morte.
Je citerai, pour conclure, Hannah Arendt : « C’est […] avec l’éducation que nous décidons si nous aimons assez nos enfants pour ne pas les rejeter de notre monde, ni les abandonner à eux-mêmes, ni leur enlever leur chance d’entreprendre quelque chose de neuf, quelque chose que nous n’avions pas prévu, mais les préparer à la tâche de renouveler un monde commun. »
Le projet de loi que nous avons examiné n’est pas la panacée à tous les maux qui touchent, dès l’aurore, notre société. Nous n’avons par exemple abordé ni la question de la modernisation des méthodes pédagogiques, ni la valorisation du métier d’enseignant, ni la crise d’autorité qui touche autant l’école que l’État. Il me semble pourtant que ce texte va dans le bon sens et que la contribution du Sénat l’a substantiellement enrichi.
Notre groupe votera donc ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Grosperrin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que retiendra-t-on de ce projet de loi, censé, selon les termes du Gouvernement, porter une « politique éducative ambitieuse » ?
L’affirmation de divers principes, des mesures juxtaposées ou ajoutées en cours de lecture forment un ensemble qui ne traitera malheureusement pas les travers de notre système éducatif, dénoncé régulièrement par les études comme inégalitaire et peu performant.
Lors des débats, monsieur le ministre, vous avez dit qu’aux deux extrémités de notre système le projet de loi apportait « deux acquis fondamentaux » : l’obligation d’instruction abaissée à 3 ans et la formation obligatoire de 16 à 18 ans. Cependant, ces deux mesures ont surtout valeur de symbole, tout comme l’intitulé de ce projet de loi « pour une école de la confiance ».
Je ne ferai pas preuve d’originalité en rappelant que la quasi-totalité des enfants sont déjà scolarisés à l’âge de 3 ans. À l’autre extrémité du système, assurer que les jeunes de 16 à 18 ans devront être en formation et tenter d’identifier ceux qui ne le sont pas ne règle malheureusement pas le problème de la déscolarisation.
L’école dès 3 ans, la formation obligatoire de 16 à 18 ans, la transformation des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les Espé, en instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation, les Inspé, l’exemplarité des enseignants sont autant d’actes de communication censés séduire les Français. Pourtant, au lieu de rassembler, ce projet de loi a failli désunir. Ces derniers mois, loin de la confiance souhaitée, il a soulevé l’inquiétude, voire l’opposition de la communauté éducative, des parents et des élus locaux.
Le Sénat s’est donc employé à retrouver l’apaisement. Contrainte par la procédure accélérée, notre assemblée a accompli un travail considérable : 141 amendements ont été adoptés en commission, 60 autres en séance.
Je tiens tout particulièrement à féliciter notre collègue rapporteur, Max Brisson, pour son investissement, la qualité de ses travaux et la pédagogie dont il a su faire preuve. (Bravo ! sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
Le Sénat est intervenu tout d’abord pour combler les lacunes du texte.
Je pense notamment à la mise en œuvre de la scolarisation à 3 ans : les besoins de compensation des communes n’avaient pas été entièrement pris en compte, la situation des jardins d’enfants non plus. La fatigue de l’enfant devait être prise en considération au moyen d’assouplissements. La mesure phare du projet de loi nécessitait finalement divers ajustements.
Je pense également au chapitre entier introduit par l’Assemblée nationale sur l’école inclusive, qui appelait de nombreuses précisions.
Le Sénat est également venu apporter des garde-fous à certaines dispositions controversées.
Ainsi, concernant la création d’un conseil d’évaluation de l’école, qui remplace l’actuel Cnesco, le Conseil national d’évaluation du système scolaire, nous avons pu apaiser les craintes d’une éventuelle mainmise du ministère, en apportant des garanties d’indépendance à ce nouvel organisme.
Sur le plan des symboles, le Sénat a tenu à réaffirmer l’autorité des enseignants et des directeurs et le respect qui leur est dû, à un moment où les agressions, verbales et physiques, n’ont jamais été aussi nombreuses. Le choix des symboles, dans un texte sur l’école, est important et nous tenions à ce que chacun se sente soutenu.
Nous avons également maintenu la présence de symboles républicains dans les classes, comme l’avaient souhaité les députés, et nous avons réaffirmé l’importance du principe de laïcité.
Notre rapporteur a introduit des sujets importants qui ne figuraient pas dans le projet de loi, mais sur lesquels nous appelions à légiférer de longue date : le statut du directeur d’école ou la formation continue des enseignants, qui sont des éléments clés pour améliorer la qualité de l’enseignement en France.
Enfin, le Sénat a entendu la demande des élus locaux, de la communauté éducative et des parents en supprimant l’article 6 quater, qui a fait grand bruit en étant introduit sans concertation préalable à l’Assemblée nationale.
Les fameux établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux, regroupant écoles et collèges, sont apparus en cours de procédure sans qu’il y ait eu ni débat préalable, ni étude d’impact, ni avis du Conseil d’État. Or la concertation et l’analyse sont des préalables indispensables pour introduire des mesures nouvelles.
La polémique qui a eu lieu et qui n’est pas de votre fait, monsieur le ministre, est regrettable. Sur certains territoires, l’idée répond à un réel besoin, comme le montrent les témoignages d’élus expérimentant actuellement ces regroupements.
Le dispositif proposé était perfectible, ce que j’ai pu démontrer, ainsi que plusieurs de mes collègues, en proposant une réécriture donnant toute l’initiative aux élus, associant la communauté éducative et en les assurant par la loi du maintien des écoles dans chaque village ainsi que des fonctions de directeur.
Cependant, il nous a semblé que la priorité était de sortir du cercle de défiance que l’article avait suscité. Une telle mesure ne pouvait se décréter sans dialogue de fond, alors que de fortes inquiétudes s’étaient exprimées. Vous avez vous-même conclu en séance, monsieur le ministre – je vous en remercie –, à la nécessité d’ouvrir maintenant une concertation sur le sujet. Nous espérons que tel sera le cas et que les députés se joindront à nous sur ce point.
Nous appelons également de nos vœux un accord en commission mixte paritaire concernant les nombreux ajouts, précisions et modifications que nous avons introduits.
La rédaction issue du Sénat est équilibrée, aboutie et repose sur le dialogue. Je conclurai mon propos par un extrait du discours d’investiture au Sénat du président Jules Ferry, le 27 février 1893 – rappelons qu’il a disparu prématurément et n’a occupé les fonctions de président du Sénat que vingt et un jours : « La vie parlementaire serait odieuse si l’on n’y apprenait pas à se respecter et à s’estimer les uns et les autres. N’est-ce pas précisément l’état d’esprit de cette grande Assemblée, ce qui donne à vos débats tant de noblesse, ce qui assure ici aux relations personnelles tant de charme et de dignité ? »
Nos débats, je l’espère, auront été à la hauteur de l’attente des Français. Nous voterons en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Antoine Karam, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. Antoine Karam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette séance conclut une semaine intense de discussions, qui aura permis à chaque groupe de défendre ses propositions sur l’école, de confronter ses points de vue, d’argumenter – parfois avec passion, mais toujours dans un climat digne et serein qui fait honneur à la Haute Assemblée.
La bonne tenue de ce débat a été rendue possible par votre souci permanent, monsieur le ministre, d’expliquer et de clarifier chacun de vos choix. En effet, c’est toujours dans l’écoute et le dialogue que vous avez discuté avec les sénateurs et ceux-ci ont, je pense, apprécié la qualité et la franchise de vos réponses.
Soulignons également le travail important du rapporteur, Max Brisson, qui a contribué à la qualité de nos discussions. Je tiens tout particulièrement à le remercier, ainsi que la présidente et les membres de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, de l’attention constante dont ils ont fait montre pour les enjeux propres aux territoires ultramarins.
Nous l’avons dit, ce projet de loi n’a pas vocation à répondre seul aux défis de l’école : d’abord parce que tout ne relève pas de la loi en cette matière si spécifique qu’est l’éducation nationale, ensuite parce que ce texte s’inscrit dans une politique plus ambitieuse en faveur de l’élévation du niveau général des élèves et d’une plus grande justice sociale.
Ce projet de loi, parfois jugé hétéroclite et secondaire, aura permis des débats nourris sur des enjeux fondamentaux, loin d’être symboliques. École inclusive, décrochage scolaire, mixité sociale, langues régionales, statut des directeurs d’école ou encore formation des enseignants : personne ne me contredira si je dis ici que nos échanges ont été denses et souvent teintés de la passion des anciens maires et des enseignants qui composent cette maison.
Au cours de la discussion, le projet de loi a donné lieu à de nombreux points d’accord ainsi qu’à certaines clarifications attendues. J’espère, monsieur le ministre, que le Gouvernement en tiendra compte pour la suite du débat, dans le respect du bicamérisme.
Je pense d’abord à l’abaissement à 3 ans de l’âge de l’instruction obligatoire, votée à l’unanimité par notre Assemblée. Loin d’être accessoire, cette mesure consolide le cadre de l’école républicaine. J’ai rappelé l’immense défi que cela provoquerait dans certains territoires, notamment à Mayotte et en Guyane. Le Sénat y a été très sensible et a adopté une expérimentation consistant à faciliter les constructions scolaires.
Dans le même esprit, je pense aussi aux mesures profondément sociales que constituent l’obligation de formation de 16 à 18 ans, le renforcement de l’école inclusive ou encore le prérecrutement.
Je pense également à l’article 1er, qui, loin d’être un instrument pour museler les enseignants, rappelle ce qui fonde la relation entre le maître et l’élève.
Je pense enfin aux établissements publics d’enseignement des savoirs fondamentaux pour lesquels, avec votre assentiment, monsieur le ministre, le Sénat a adopté, sans s’opposer radicalement au principe, une position de sagesse afin de privilégier un dialogue concerté avec l’ensemble de parties prenantes.
Des divergences demeurent nécessairement dans pareil exercice et nous regrettons de ne pas avoir convaincu notre assemblée sur d’autres points.
C’est le cas de l’accompagnement financier prévu en faveur des communes lié à l’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire à 3 ans. Le Sénat a adopté un mécanisme de régulation au profit des communes ayant déjà fait le choix de participer à la prise en charge des dépenses relatives aux classes maternelles privées. S’il nous semble indispensable que l’État s’engage sur les nouvelles dépenses, il ne saurait compenser dans une forme de rétroactivité celles qui étaient déjà engagées par le passé au titre de la libre administration des collectivités territoriales.
Le constat est identique concernant la dérogation accordée aux jardins d’enfants. Il est assez surprenant d’observer qu’avant l’examen au Sénat le Gouvernement a été injustement accusé de sonner le glas de l’école maternelle au profit des jardins d’enfants pour se voir finalement reprocher l’exact opposé dans cet hémicycle.
M. David Assouline. Ce n’est pas vrai !
M. Antoine Karam. À l’arrivée, le Sénat a choisi de pérenniser la dérogation accordée à ces structures. Nous respectons ce choix, comme nous respectons le travail qui a été réalisé. Toutefois, l’esprit de cette loi étant de renforcer l’école maternelle comme socle de l’école républicaine, nous restons convaincus qu’il eût été préférable de limiter cette dérogation dans le temps pour accompagner les jardins d’enfants vers une évolution.
Nous regrettons enfin de ne pas avoir convaincu le Sénat sur le statut des directeurs d’école. En souhaitant envoyer un signal, certes positif dans l’élaboration d’un véritable statut, la majorité sénatoriale risque d’entraver le dialogue social en créant de la défiance parmi le corps enseignant. En effet, la question du lien hiérarchique, notamment de l’évaluation, est loin de faire l’unanimité parmi les directeurs eux-mêmes. À cet égard, notre groupe réitère son souhait de voir le statut du directeur d’école faire l’objet d’une concertation avec les syndicats.
Cela étant, notre vote sera déterminé par des choix nettement plus regrettables, auxquels nous ne saurions souscrire.
Je pense d’abord à l’interdiction du voile pour les sorties scolaires, qui, en pratique, mettra les enseignants et les directeurs d’école dans des situations difficiles, voire inextricables.
Je pense surtout à ce que je considère comme un retour en arrière assez incompréhensible, à savoir la suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme. Appliquée de 2010 à 2013, cette mesure a déjà démontré son caractère particulièrement injuste et inefficace.
Là encore, dans un texte appelant à la confiance entre la communauté éducative, les parents et les élèves, ces mesures jettent l’anathème sur une partie des familles, au risque de creuser plus encore les inégalités.
En définitive, le Sénat a largement adopté les principales dispositions de ce projet de loi, parce que celles-ci vont dans le bon sens. Cependant, malgré d’évidentes clarifications, nous devons nous prononcer sur un texte qui comporte également des mesures qui contreviennent, selon nous, à son ambition sociale.
C’est ce qui conduit le groupe La République En Marche à s’abstenir,…
M. Loïc Hervé. C’est dommage !
M. Antoine Karam. … même s’il garde l’espoir qu’un compromis sera trouvé en commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Céline Brulin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà plusieurs semaines que nous débattons, ici, au Sénat, du devenir de notre système éducatif, alors que dans le pays résonnent inquiétudes et colère. C’est une très bonne chose que les parents d’élèves, les élus locaux, évidemment les enseignants, et, finalement, toute la société se soient ainsi mêlés du débat.
L’école concentre toutes les exigences d’égalité, de justice sociale et même d’ascenseur social, qui continuent de mobiliser le peuple français malgré les offensives libérales nous sommant d’abandonner cette promesse républicaine.
Cette mobilisation n’est pas étrangère à l’abandon des « établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux » regroupant écoles et collèges. Nous nous en félicitons, mais nous resterons vigilants face à toutes les tentatives de prendre appui sur d’éventuels intérêts pédagogiques pour accélérer la désertification scolaire dans nos territoires, car la proximité et l’égalité d’accès sont pour nous des principes fondateurs de notre système éducatif.
Là s’arrêtent malheureusement nos motifs de satisfaction.
Beaucoup d’entre vous, mes chers collègues, aviez pris l’engagement que nos débats soient à la hauteur de l’enjeu, l’école de la République méritant mieux que des postures. Cet objectif a parfois été manqué, et de beaucoup : considérer, par exemple, que la suspension des allocations familiales réglera l’absentéisme, c’est être bien loin de la responsabilité qui est la nôtre ! Cette mesure, et chacun le sait ici car elle a été expérimentée, est aussi injuste que contre-productive.
Mme Éliane Assassi. Très bien !
Mme Sophie Primas. Ce n’est pas vrai !
Mme Céline Brulin. Il est regrettable, et pour tout dire assez honteux, que de tels errements idéologiques aient eu leur place dans notre assemblée. Qui peut vraiment croire qu’appauvrir les familles, tout particulièrement celles qui rencontrent des difficultés sociales et éducatives, serait la solution aux problèmes de l’école ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Éliane Assassi. Bravo !
Mme Céline Brulin. Ce n’est malheureusement pas la seule mesure, introduite par votre majorité sénatoriale, que nous ayons à regretter.
Je pense à l’annualisation du temps de service des enseignants ou à leur formation continue « en priorité en dehors des obligations de service d’enseignement ». Dans le droit-fil de votre choix, en décembre dernier, de porter de un à trois le nombre de jours de carence dans la fonction publique en cas de maladie.
J’ai encore en mémoire ces enseignants victimes de violences, auditionnés en commission, qui avaient clairement mis en accusation cette décision, la jugeant précisément violente. « Vous avez décidé de nous retirer 250 euros de salaire parce que, enseignant à plusieurs dizaines d’élèves chaque semaine, il y a peu de chances que nous échappions à l’épidémie de gastro-entérite cet hiver », nous avaient-ils dit en substance.
Là encore, qui peut croire que nous répondrons ainsi à la crise de recrutement que nous connaissons dans l’enseignement ?
Au-delà, c’est le cœur du texte qui demeure le principal problème : notre système scolaire à deux vitesses ne répond aucunement au véritable enjeu, qui est d’en finir avec la reproduction des inégalités ; au contraire, il risque de les aggraver. Après avoir réalisé la massification de l’enseignement, c’est à sa démocratisation que la France devrait s’attaquer. Voilà qui serait de nature à restaurer la confiance.
Les établissements publics locaux d’enseignement international, qui n’ont d’ailleurs de public que le nom puisqu’ils pourront être financés par des dons privés, continuent par exemple, malgré les correctifs cosmétiques qui leur ont été apportés, d’entériner une logique profondément inégalitaire.
Le remplacement du Cnesco par un conseil d’évaluation de l’école, qui généralisera la mise en concurrence des établissements, par l’évaluation, vise les mêmes objectifs.
Nos craintes concernant le recours aux assistants d’éducation, notamment pour les remplacements de courtes durées, dans les zones les plus déficitaires, souvent les quartiers populaires ou les zones rurales, ne sont pas non plus dissipées.
Si nous avons unanimement soutenu la scolarisation des enfants dès l’âge de 3 ans, nous regrettons que l’élargissement des compensations financières décidé par notre assemblée ne soit pas allé jusqu’à couvrir toutes les communes, notamment celles qui financent déjà sur leurs fonds propres les dépenses liées aux maternelles publiques. Du coup, cette mesure symbolique, en particulier en métropole, n’est pas le véritable progrès social qu’elle devrait être. Le grand gagnant sera l’enseignement privé.
Le sort réservé à l’école inclusive tourne encore plus explicitement le dos aux valeurs de l’école publique. La mise en place des pôles inclusifs d’accompagnement localisés, les PIAL, signe un renversement de logique dans l’accompagnement des enfants en situation de handicap. Dans un contexte de restrictions budgétaires, les besoins de l’institution scolaire sont rendus prioritaires par rapport à ceux des enfants.
Nous n’avons malheureusement pas pu approfondir la question de la situation des accompagnants de ces enfants, la plupart de nos amendements ayant malheureusement été déclarés irrecevables. Tout concourt pourtant à concevoir un nouveau métier de l’éducation, dans le cadre de la fonction publique, car il n’est pas acceptable que les AESH, les accompagnants des élèves en situation de handicap, qui font un travail indispensable, continuent de vivre avec des salaires si faibles, sans formation, sans statut, ni reconnaissance.
On le voit dans les académies qui mettent déjà en place la mutualisation, les AESH n’atteignent quasiment jamais un temps complet. La mutualisation sert de justificatif au fait qu’il « y aura moins de besoins ».
J’évoquerai maintenant l’article 1er du texte, qui demeure toujours aussi dangereux pour l’exercice de la citoyenneté des professeurs. Fonctionnaires, bien évidemment soumis à des devoirs, ceux-ci n’en sont pas moins des citoyens, qui ont d’ailleurs pour mission de former d’autres citoyens, de futurs citoyens. Les procédures disciplinaires qui se multiplient actuellement ne sont évidemment pas faites pour nous rassurer sur ce point non plus.
Nous resterons vigilants pour empêcher que des dispositions rejetées ou supprimées soient réintroduites par voie réglementaire, comme il est bien trop souvent possible de le faire en matière d’éducation.
Notre groupe votera contre ce texte, qui suscite toujours, avec raison, la défiance parmi les parents d’élèves, les enseignants, les élus locaux et tous ceux qui sont attachés à l’idéal de l’école républicaine. Nous avons la conviction que leur mobilisation n’est pas dernière nous, au contraire. Vous pouvez compter sur nous, monsieur le ministre, pour aller chercher, un à un, les postes qui permettront de concrétiser la promesse présidentielle de réduire à 24 le nombre d’élèves par classe, de la grande section au CE1. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Ma chère collègue, vous m’avez fait l’aveu que c’était aujourd’hui une première pour vous dans cet exercice : je vous souhaite bonne chance ! (Applaudissements sur de nombreuses travées.)
Mme Marie-Pierre Monier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quel marathon législatif avons-nous vécu la semaine dernière ! Les débats ont été riches, intenses, parfois passionnés, mais l’objet et les enjeux de ce texte de loi le valaient bien. Ils ont démontré, une fois de plus, l’importance du bicamérisme : l’apport du Sénat est crucial pour alimenter le travail parlementaire, l’enrichir et permettre une forme de maturation nécessaire à l’ouvrage législatif, dans le respect de toutes les sensibilités.
Je tiens à saluer mes collègues chefs de file Maryvonne Blondin, Claudine Lepage et Maurice Antiste, qui ont porté notre parole avec compétence et conviction pour l’école républicaine.
Monsieur le ministre, nous n’avons pas la même vision de l’école de la République. Au fil de l’examen de ce texte, si vous avez semblé être à l’écoute, vous ne nous avez pas entendus sur plusieurs points, et nous le regrettons.
Sur de nombreuses mesures, le temps d’étude préalable a été trop réduit. La concertation a manqué. Le projet de loi est examiné en procédure accélérée afin de pouvoir être appliqué à la rentrée par voie de décrets et d’ordonnances. Cet empressement n’est pas compatible avec le temps long nécessaire à toute réforme de l’éducation.
Je veux toutefois souligner un réel point positif : l’abandon des établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux. Ces EPLESF risquaient d’entraîner des bouleversements profonds dans la structure du système scolaire et auraient eu lourdes conséquences pour les élèves, leurs familles, les personnels et les territoires, notamment ruraux. Cette suppression est une victoire pour tous les acteurs de la communauté éducative et les élus, qui s’étaient fortement mobilisés contre ces établissements.
Je me réjouis que nos collègues sénatrices et sénateurs soient intervenus pour sauvegarder nos écoles et, avec elles, nos territoires. Sur cette question, le Sénat a été à la hauteur de l’enjeu. Espérons que la commission mixte paritaire fera preuve de la même sagesse et qu’elle maintiendra cette suppression.
Nous sommes aussi satisfaits que le Gouvernement, conformément à l’engagement pris le 8 février à Rennes, ait apporté son soutien à l’article 6 ter A, qui traduit les conclusions de la conférence territoriale de l’action publique de Bretagne s’agissant des langues régionales.
Sur l’article 4, nous nous réjouissons que la commission ait ouvert la compensation à toutes les communes, même s’il est dommage que les amendements que nous avons portés, lesquels visaient à apporter davantage de garanties sur leurs dépenses nouvelles, aient été rejetés.
Au-delà de ces quelques points, l’esprit général du texte n’a pas changé. Nos inquiétudes concernant l’article 8, sur l’annualisation des heures et l’orientation des élèves, n’ont pas été entendues. Les expérimentations peuvent parfois permettre de belles avancées, mais elles ne doivent pas se faire au détriment des élèves.
L’article 6 ter confie une autorité hiérarchique aux directeurs d’école. Nous l’avons dit, ce n’est pas en divisant l’équipe éducative que l’on renforcera sa cohésion ou l’autorité de ses membres.
Aux demandes de revalorisation salariale et d’élévation du niveau de qualification des enseignants, vous opposez des suppressions de postes et la création, via l’article 14, d’un statut incertain pour des étudiants non encore diplômés et sans formation pédagogique. Nous espérons qu’il ne s’agit pas là de compenser la pénurie d’enseignants dans certains territoires ou certaines matières ni de créer une sous-catégorie de professionnels.
Ce projet de loi aurait dû améliorer les conditions de travail des personnels, mais ce n’est, hélas ! pas le cas. La majorité sénatoriale a aggravé encore leur situation en allant plus loin que le Gouvernement. Elle a ainsi prévu l’obligation de formation continue « en priorité en dehors des obligations de service d’enseignement » et rejeté les garde-fous que nous avions proposés.
Je ne peux passer à côté de l’article 1er, dont la rédaction continue de faire planer la suspicion sur l’ensemble des membres de la communauté éducative. Comme beaucoup ici, je ne doute pas de l’exemplarité de nos professeurs. C’est pourquoi il n’est selon moi pas utile de rappeler dans le texte leur devoir en la matière, la loi de 1983 étant par ailleurs toujours en vigueur.
Nous ne comprenons pas non plus l’obstination à vouloir supprimer le Cnesco, car cette instance fonctionne bien. En mettant en avant les travaux de la recherche scientifique sur les politiques éducatives, elle permet de sortir de débats souvent stériles. Les quelques modifications apportées, pour augmenter la part des parlementaires dans la composition de votre nouveau conseil, monsieur le ministre, ne changent pas grand-chose sur le fond.
Finalement, l’examen de ce texte au Sénat a surtout mis en évidence, si certains doutaient encore de son existence, le clivage gauche-droite. Le texte qui ressort de nos travaux s’éloigne davantage de nos valeurs d’égalité et de justice sociale et de ce que nous pouvions attendre d’un texte sur l’école républicaine face aux enjeux du XXIe siècle. Les vieux serpents de mer de la droite ont ponctué les débats, comme l’interdiction des signes religieux ostentatoires pour les accompagnateurs ou accompagnatrices lors des sorties scolaires, ou encore la suppression des allocations familiales pour les parents d’élèves absentéistes. Cette mesure, que nous avions supprimée en 2013, pénalisera particulièrement les femmes élevant seules leurs enfants.
Mme Sophie Primas. Ce n’est pas vrai !
Mme Marie-Pierre Monier. Nous espérons que la commission mixte paritaire supprimera cette mesure inefficace et rétrograde.
Pourtant, ce texte aurait pu sortir du Sénat avec une vision plus progressiste et plus sociale. Nous avons tout fait pour, en déposant de nombreux amendements. Certains, retoqués au titre des articles 40 et 45 de la Constitution, portaient sur l’université. À ce sujet, je souhaite évoquer les récents dysfonctionnements de Parcoursup, qui nous alertent sur les failles de cette plateforme et qui plongent des milliers de lycéens dans l’angoisse et l’incertitude.
Pour en revenir à nos amendements, très peu ont été adoptés en séance : un visait à faire de la mixité sociale un caractère contraignant pour toute modification de la carte scolaire, un autre tendait à assurer aux enfants des départements et régions d’outre-mer un enseignement de l’histoire de leur territoire. La majorité sénatoriale a choisi de rejeter la quasi-totalité de nos amendements.
Vous avez ainsi choisi de rejeter la suppression des PIAL, qui constituent un simple outil de gestion comptable et de mutualisation des AESH, et non un dispositif permettant de cibler les besoins des enfants et d’accroître la qualité de leur accompagnement.
Vous avez également choisi de rejeter la sensibilisation des élèves aux violences faites aux femmes et la lutte contre les violences sexistes, dans le primaire et le secondaire.
Vous avez de même choisi de rejeter nos amendements visant à décharger les missions locales de nouvelles obligations, alors que leur situation financière reste délicate.
Vous avez enfin choisi de rejeter notre amendement tendant à demander au Gouvernement de faire part de ses intentions en matière de politique de santé scolaire.
Au final, malgré l’abaissement à 3 ans de l’âge de l’instruction obligatoire, la création du rectorat de Mayotte et la belle victoire que constitue la disparition des EPLESF, ce projet de loi n’est pas plus acceptable en sortant du Sénat que lorsqu’il y est arrivé.
En conclusion, ce sont deux droites qui se rejoignent autour d’une même vision de l’éducation, plus libérale. Pour le groupe socialiste, ce texte comprend bien trop de mesures déstructurant le cadre national de l’éducation. Nous voterons contre ce texte, car nous sommes de celles et ceux qui croient en une école émancipatrice, en une école où l’on devient d’abord un citoyen ou une citoyenne accompli, soucieux de l’intérêt collectif pour se préparer à un emploi, en une école qui permette de se construire, peu importe d’où l’on vient : une école de la République ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les membres du groupe du RDSE vous ont fait part de leurs inquiétudes dès le début de l’examen du projet de loi pour une école de la confiance. Le manque de concertation, dénoncé par la communauté éducative, a été doublé d’une forme de précipitation, le tout aboutissant à un texte aux dispositions trop diverses. Ce projet de loi aurait gagné en force, et je l’ai déjà dit, à rester centré sur son objectif de départ : rendre obligatoire la scolarisation des enfants dès l’âge de 3 ans.
Je vous l’accorde, notre système éducatif a besoin de confiance, celle des Français envers les enseignants, celle du monde éducatif en sa propre capacité à relever les défis, et enfin celle des collectivités territoriales.
Or les sénateurs du groupe du RDSE sont inquiets concernant l’égal accès des élèves à l’instruction sur l’ensemble du territoire. Ce doute n’a malheureusement pas été levé avec la suppression en séance de la disposition prévue par l’amendement de notre collègue Jean-Yves Roux adopté en commission sur l’obligation d’accueil dès l’âge de l’instruction obligatoire dans une école au plus près de son domicile.
Le vote d’un amendement à l’article 1er, visant à inscrire dans la loi le rôle de l’école dans la transmission des valeurs républicaines de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité, était nécessaire, bien qu’insuffisant face aux défis auxquels elle est confrontée sur le terrain social, territorial, mais aussi technologique.
Construire l’école de la confiance, c’est d’abord s’appuyer sur des enseignants compétents et fiers de leur métier, comme Max Brisson et moi l’avions souligné en 2018 dans notre rapport d’information sur le métier d’enseignant, dans lequel nous appelions à rénover le cadre statutaire pour renouer avec l’attractivité.
Les apports du Sénat à ce texte s’agissant des ressources humaines de l’éducation nationale sont indéniables. Je salue l’adoption de la formation continuée et de la formation continue pour tous les professeurs du premier comme du second degré, mesures permettant de rendre le métier d’enseignant plus adapté et qu’il faudra pouvoir conserver en commission mixte paritaire.
La sensibilisation des futurs professeurs aux enjeux de l’environnement et du respect de la biodiversité, apport auquel le groupe du RDSE a contribué, était urgente afin qu’ils intègrent à leur tour ces sujets, encore trop rarement dispensés, dans leurs enseignements.
Si j’approuve l’évolution de la maquette de formation des Inspé – eh oui ! – vers l’usage des outils et ressources numériques en classe, je regrette que mon amendement visant à donner la priorité à l’utilisation de logiciels libres dans le service public de l’enseignement n’ait pas pu être discuté, alors que le lien m’apparaît pourtant limpide avec le texte en discussion.
Nous avons entendu, monsieur le ministre, vos engagements sur la réforme du prérecrutement des futurs enseignants, qui va dans le bon sens en assurant leur formation sur le terrain. Nous serons attentifs à ce que ce dispositif ne soit pas dévoyé. Le statut d’assistant d’éducation, ouvert aux étudiants de L2, ne saurait être un moyen de remplacer des titulaires.
Permettez-moi d’évoquer d’autres points de la discussion qui nous ont semblé significatifs et sur lesquels nous serons vigilants.
Nous sommes opposés aux établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux proposés à l’article 6 quater. La suppression de cet article avait été adoptée unanimement en commission, l’amendement de notre collègue Grosperrin nous ayant permis d’engager une discussion de fond dans l’hémicycle, avant son retrait. J’espère, monsieur le ministre, que vous veillerez à ce que cet article ne revienne pas.
Concernant l’école inclusive, je me félicite de ce que le Sénat ait inscrit la formation continue des AESH dans le texte, reconnaissant ainsi leur rôle à part entière dans l’équipe éducative et le besoin de renforcement de leur professionnalisation. Toutefois, j’estime que le texte n’est pas encore satisfaisant sur les PIAL. Ces pôles peuvent être utiles, à la condition que leur création résulte d’une concertation organisée entre l’éducation nationale, le champ médico-social et les collectivités territoriales, afin de s’insérer dans un espace géographique pertinent et en nombre adapté dans le département. Il faut laisser plus de place à la concertation entre les acteurs.
Notre groupe approuve l’obligation de formation professionnelle de 16 à 18 ans, à condition de s’appuyer sur le réseau du service public de l’orientation tout au long de la vie. Tel est le sens de l’un de nos amendements qui a été adopté.
Concernant le statut des directeurs d’école, le résultat est en deçà de nos espérances, car une simple participation aux évaluations ne suffira pas à rendre la fonction plus attractive ou plus légitime au sein de l’établissement.
Quant aux établissements privés hors contrat, des dispositions bienvenues ont été adoptées pour compléter la loi Gatel. Il s’agit de l’obligation de déclarer le changement de projet d’établissement ou d’objet d’enseignement et la création d’une nouvelle sanction, en cas d’atteinte à l’ordre public ou de non-respect des mises en demeure.
Je regrette la création du conseil d’évaluation de l’école, en lieu et place du Cnesco, qui permettait une évaluation indépendante, avec un volet recherche scientifique très important. L’un aurait pu être complémentaire de l’autre.
Il est fort dommage ce projet de loi n’ait pas été l’occasion d’aborder la question de la visite médicale du personnel enseignant. Nous nous mobiliserons de nouveau sur cette problématique lors de l’examen du projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé.
En ce qui concerne la santé des élèves, le dispositif prévu est encore un peu décevant. Mais nous avons pu faire voter le maintien de l’autonomie des infirmiers scolaires. Nous approuvons par ailleurs l’autorisation donnée au médecin scolaire de prescrire certains actes et produits de santé.
Nous sommes fortement opposés au contrat de responsabilisation transposant les dispositions Ciotti sur la suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme de l’élève, car nous considérons que c’est une double peine qui fragilise les plus vulnérables et renforce le rejet de l’école.
Mme Éliane Assassi. Très bien !
Mme Françoise Laborde. Nous avons débattu de l’interdiction du port de signes, ou tenues, par lesquels se manifeste ostensiblement une appartenance religieuse, étendue aux sorties scolaires et aux personnes concourant au service public de l’éducation. Une majorité de notre groupe a voté en faveur de cette mesure, qui ne survivra peut-être pas en commission mixte paritaire.
Mme Éliane Assassi. On l’espère !
Mme Françoise Laborde. En conclusion, je tiens à souligner les apports majeurs du Sénat sur le métier d’enseignant, qui manquaient cruellement à ce texte pour renouer avec la confiance en l’école.
Malgré tout, nombre de mes collègues du groupe du RDSE jugent le texte déséquilibré, les enjeux liés à l’école dans les territoires étant pris en compte de manière bien trop parcellaire. L’école est parfois le dernier service public. Nos élus attendent une politique de l’école dans les territoires qui, au vu de ce texte, reste encore à inventer. Telles sont les raisons pour lesquelles une large part de notre groupe s’abstiendra.
Monsieur le ministre, je voterai aujourd’hui ce texte, qui constitue une étape d’un travail constructif, mais mon vote ne sera définitif et solennel que lors de l’adoption du texte issu des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Laurent Lafon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme de l’examen du projet de loi pour une école de la confiance, après un long travail préparatoire et près d’une semaine de discussions, parfois passionnées, dans cet hémicycle. Le vote de ce texte marque l’aboutissement d’un important travail, en commission comme sur le terrain, dans un climat qui n’a pas toujours été des plus sereins, en tout cas à l’extérieur de la Haute Assemblée.
À l’issue de ces quatre jours de séance, nous sommes convaincus que ce texte a évolué grâce aux apports du Sénat. Il était grand temps de dépassionner le débat en prenant en compte, dans nos propositions, le point de vue des acteurs locaux, des élus, des personnels de l’éducation et des parents. C’est en procédant de la sorte que le changement est possible en matière éducative, mais cela nécessite du temps, de l’expérimentation et l’association étroite des différents acteurs.
Monsieur le ministre, je tiens à saluer l’écoute dont vous avez fait preuve pendant nos débats et la qualité de nos échanges tout au long de nos travaux. Si nous n’avons pas toujours été d’accord sur tout, nous espérons néanmoins que vous saurez reconnaître les apports du Sénat à ce texte important. Je souhaite également remercier de nouveau le rapporteur, Max Brisson, et la présidente de la commission, Catherine Morin-Desailly, pour leur implication dans la conduite de nos débats.
C’est le vif attachement que nous portons, toutes et tous, à l’école de la République qui a conduit nos réflexions et, nous l’espérons, permis d’améliorer ce projet de loi de manière constructive et approfondie. Sans bien entendu mettre de côté nos problématiques locales ni les sujets qui nous tiennent personnellement à cœur, nous pouvons dire que nous avons ici travaillé en ayant à l’esprit l’intérêt des générations futures. Faire que chaque enfant, quelle que soit sa situation, puisse trouver sa place à l’école : voilà ce qui a guidé nos travaux.
Il a pu être reproché au projet de loi tel que nous l’avons reçu de l’Assemblée nationale de manquer d’un certain souffle, de ne pas contenir de dispositions véritablement à même d’apporter des réponses aux enjeux auxquels fait face notre système scolaire, ou encore d’être finalement un texte un peu fourre-tout. C’est heureux que le groupe que je représente ait pu vous convaincre d’enrichir le texte qui nous était soumis sur plusieurs points importants.
À titre d’exemples, pour n’en donner que quelques-uns, l’éducation au développement durable et à la protection de l’environnement a notamment été consacrée dans notre droit, sur l’initiative de notre collègue le président Hervé Maurey. De même, l’autonomie des infirmiers scolaires a été défendue grâce à notre collègue Jocelyne Guidez. Grâce à la présidente Catherine Morin-Desailly, la formation des professeurs sera structurée par la maîtrise des outils et des ressources numériques.
Je tiens également à citer nos avancées en faveur d’une meilleure implication des territoires et des élus locaux, avec une prise en compte réelle de la dimension territoriale des inégalités dans la répartition des moyens du service public de l’éducation ou encore avec une meilleure association des communes dans l’élaboration des conventions de formation continue des professionnels intervenant auprès des enfants de moins de 6 ans.
D’autres dispositions, que nous avons soutenues, doivent également être mises en lumière. Je pense aux compromis trouvés sur l’annualisation du temps de travail, sur les jardins d’enfants ou sur les visites médicales, à la lutte contre le prosélytisme, à la lutte contre l’absentéisme par la possibilité de retenues sur les allocations familiales versées aux parents d’élèves de moins de 16 ans, à l’ensemble des mesures en faveur de l’école inclusive, aux contractualisations rendues possibles avec les établissements privés sous contrat afin d’encourager la mixité sociale, ou encore aux solutions pour répondre aux problèmes de recrutement, notamment dans les zones d’éducation prioritaire, avec l’ouverture des postes à profil.
Vous aurez constaté, monsieur le ministre, notre profond attachement à ce que, à l’avenir, davantage d’initiatives soient laissées aux acteurs locaux, aux élus, aux personnels de l’éducation, aux parents, pour trouver les solutions et les moyens de répondre aux besoins des territoires en matière d’éducation.
Mon groupe et moi-même souhaitons vivement que ces améliorations sensibles sauront convaincre nos collègues de l’Assemblée nationale lors de la commission mixte paritaire.
Je reviendrai un instant sur la disposition qui a été, de loin, la plus débattue, au sein de notre assemblée comme au dehors : l’instauration des établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux, énoncée à l’article 6 quater, supprimée à l’unanimité de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Si les discussions ont été aussi animées que les semaines de mobilisation le laissaient prévoir, nous avons, il me semble, réussi à sortir par le haut de cette situation.
Nous comptons désormais sur votre sagesse, monsieur le ministre, pour que l’école du socle fasse l’objet d’un véritable travail approfondi, dans un climat apaisé et à même de satisfaire les différentes parties prenantes de notre système scolaire, toujours dans l’intérêt des élèves. Le groupe Union Centriste prendra toute sa part à ce travail, comme aux réflexions plus larges sur l’avenir de notre école.
La restitution prochaine des travaux de la mission d’information sur les nouveaux territoires de l’éducation sera ainsi l’occasion d’enrichir le débat de nouvelles propositions, comme les résultats de la mission Mathiot-Azéma, que nous analyserons avec attention, bien entendu.
Pour conclure, épargnons-nous ici les descriptions apocalyptiques sur la situation de notre système scolaire, les « condoléances aux futurs illettrés », les rapports savants sur l’échec scolaire, ou encore la dénonciation des « usines à cancres ». Non pas que la critique soit toujours inutile, mais ce qui aura compté tout au long de nos travaux, c’est moins le diagnostic que les remèdes.
Le groupe Union Centriste votera ce texte ainsi amendé par notre assemblée. Mes collègues et moi-même resterons bien sûr attentifs à sa mise en œuvre ; nous veillerons à toujours défendre notre école républicaine, celle qui sait intégrer, celle qui fait du mérite – et non de l’argent ou des relations – le véritable facteur de la promotion sociale.
Jules Ferry s’était fait un serment : l’éducation du peuple. Cette ambition a inspiré l’école du brassage social et de la promotion individuelle. Cet idéal reste d’actualité, même si les moyens de l’atteindre ont changé. L’école doit avoir plus que jamais l’ambition de donner à chacun sa chance. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Ouverture du scrutin public solennel
M. le président. Mes chers collègues, il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi pour une école de la confiance.
Ce scrutin, qui sera ouvert dans quelques instants, aura lieu en salle des conférences.
Je remercie nos collègues Daniel Dubois, Dominique de Legge et Patricia Schillinger, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.
Je rappelle qu’une seule délégation de vote est admise par sénateur.
Je déclare le scrutin ouvert pour une durée maximale de trente minutes et vais suspendre la séance jusqu’à seize heures trente, heure à laquelle je proclamerai le résultat.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures trente.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 118 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 308 |
Pour l’adoption | 213 |
Contre | 95 |
Le Sénat a adopté, dans le texte de la commission, modifié, le projet de loi pour une école de la confiance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche.)
Je remercie Mme la présidente de la commission, M. le rapporteur ainsi que les trois secrétaires du Sénat qui ont tenu les bureaux de vote.
La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je commencerai par deux mots trop peu utilisés dans notre société : hommage et gratitude.
Je veux tout d’abord rendre hommage au Sénat et souligner à quel point les travaux de la semaine dernière étaient riches et dignes. Je me suis d’ailleurs souvent pris à souhaiter que nos concitoyens puissent nombreux voir, écouter ou lire ce type de débats, afin de comprendre tout l’intérêt de la démocratie parlementaire. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)
J’ai toujours été un fervent partisan de la chambre haute et du bicamérisme. (Exclamations approbatrices et applaudissements nourris sur les mêmes travées.)
Je ne dis pas cela pour vous faire plaisir, mesdames, messieurs les sénateurs. Si je pensais le contraire, je vous dirais le contraire. Mais cette conviction profonde m’anime depuis toujours. N’oubliez pas que j’ai été professeur de droit constitutionnel.
Il m’est même arrivé de défendre cette idée sur certains ronds-points, parfois en compagnie de certains d’entre vous, et je la défendrai plus vigoureusement encore après la semaine que je viens de vivre ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. André Reichardt. Encore !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Hommage, d’une part ; gratitude, d’autre part. Je pense que nous devons tous avoir de la gratitude envers notre pays. Parce que nous sommes une République, nous pouvons avoir ces débats, qui souvent nous opposent, mais qui sont indispensables pour faire vivre la démocratie.
In fine, l’école nécessite un minimum d’unité de la part de la société et de la classe politique. Cet idéal d’unité n’est que très imparfaitement atteint aujourd’hui, mais il important de savoir se rassembler sur certains sujets, et le Sénat a su le faire en votant à l’unanimité la disposition la plus importante de cette loi, prévue à l’article 2, c’est-à-dire l’instruction obligatoire à 3 ans.
Je compte donc dire clairement en dehors de cet hémicycle que les débats, dans cet hémicycle, ont permis d’enrichir le projet de loi, même si je conserve un certain nombre de réserves à l’égard du texte qui vient d’être adopté.
Je les exposerai en temps et en heure. À titre de conclusion provisoire, je voudrais surtout rappeler le caractère profondément social de cette loi.
L’instruction obligatoire à 3 ans va permettre de conduire sur le chemin de l’école maternelle 25 000 enfants qui ne sont pas scolarisés aujourd’hui. Pour ces enfants issus des milieux les plus défavorisés, c’est évidemment une grande loi sociale.
Je le rappelle, lorsque Jules Ferry, dans les années 1880, a fait voter les lois sur l’école, 93 % des enfants étaient déjà scolarisés.
M. Gérard Longuet. Absolument !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Pourtant, nous considérons aujourd’hui cette loi comme absolument fondamentale, d’abord pour les 7 % d’enfants qui n’étaient pas scolarisés, bien sûr, mais aussi, et surtout, pour le cadre qu’elle a fixé pour toujours. Nous nous situons dans cette lignée et nous devons être fidèles à cet état d’esprit qui consiste à fixer un cadre politique, moral et républicain à l’école.
C’est ce que nous avons fait, c’est ce que vous avez fait en votant à l’unanimité en faveur de cet article 2.
C’est aussi une loi sociale par d’autres mesures, qui ont malheureusement été insuffisamment mises en valeur et, parfois, caricaturées.
Je pense aux dispositions pour l’école inclusive. Sans entrer dans les détails, elles impulsent une véritable transformation de notre système scolaire et je donne rendez-vous à ceux qui affirment le contraire dans quelques mois et quelques années, lorsque les progrès seront visibles. Dès la rentrée prochaine, il y aura plus d’AESH, recrutés plus en amont et mieux considérés. Les élèves seront ainsi mieux accompagnés, selon un parcours personnalisé.
Je pourrais citer encore la formation obligatoire de 16 à 18 ans ou la visite médicale à 3 ans du fait de l’instruction obligatoire.
C’est donc une loi profondément sociale et j’ai été quelque peu attristé, dans les débats qui ont agité la société au cours des dernières semaines, que cette dimension ait été totalement occultée, parfois même pour dire l’exact contraire de ce qui figurait dans ce texte.
À cet égard, les débats au Sénat ont permis des clarifications et des évolutions. La suite du processus législatif permettra d’améliorer encore le projet de loi et de revenir aussi, soyons clairs, sur certains points votés par la Haute Assemblée avec lesquels je suis en désaccord. Mais je suis certain que la dialectique existant entre les deux assemblées va nous permettre d’avancer.
Cette loi n’est pas seulement sociale, elle est aussi profondément républicaine et laïque.
Elle s’inscrit dans la tradition républicaine, et plusieurs de ses mesures auront un impact sur la laïcité, notamment celles qui sont relatives à l’instruction obligatoire, qui assureront un meilleur contrôle de l’instruction en famille. Quant aux compléments apportés à la loi Gatel, ils permettront de mieux contrôler les ouvertures d’écoles hors contrat, et de pouvoir les fermer si besoin.
Je rappellerai en conclusion un épisode qui me paraît illustrer à la fois la qualité des débats au Sénat et la variété de nos approches.
Grâce au sénateur Ouzoulias, la question du bien et du mal s’est posée dans l’hémicycle. Il souhaitait supprimer le mot « morale » de l’expression « instruction morale et civique », une proposition avec laquelle je suis en désaccord. Tout un chacun peut désormais se référer au débat des sénateurs sur la notion du bien et du mal ! (Sourires.) Oui, je pense que l’on peut distinguer le bien et le mal. Et il est sans doute arrivé à vos familles politiques de penser la même chose. Respecter autrui, aider autrui, c’est bien ; voler autrui, exercer des violences envers lui, c’est mal. Cette distinction peut s’apprendre, tout comme les sciences servent à distinguer le vrai du faux, et l’éducation artistique et culturelle le beau du laid. Certes, il est presque impossible d’atteindre l’absolu en ces matières, mais l’école doit essayer de faire tendre les enfants vers cet idéal.
C’est précisément ce qui a uni la classe politique et la société française autour de son école dans son histoire républicaine, et c’est encore ce qui devrait l’unir aujourd’hui.
Les objectifs républicains de la loi peuvent faire débat, mais n’oublions jamais le cadre fixé par Jean Zay : les querelles des hommes doivent s’arrêter aux portes de l’école. Nous n’avons pas eu de querelles, nous avons eu des débats, mais il faut désormais que l’école soit unie et que la société le soit également derrière elle. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. Merci, monsieur le ministre, de nous aider à faire « l’autopsie du mal », pour reprendre une formule célèbre de Descreux. (Sourires.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à seize heures quarante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
3
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Monsieur le Premier ministre m’a prié de bien vouloir excuser son absence.
Mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.
J’invite chacun à respecter ses collègues et son temps de parole.
mise en œuvre de parcoursup
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pierre Ouzoulias. Plusieurs milliers de candidats qui avaient reçu une réponse favorable de Parcoursup le soir se sont réveillés avec un avis négatif le matin…
Madame la ministre, vous expliquez ce dysfonctionnement, qui toucherait 7 % des candidats, par un problème informatique.
Pourtant, dans un premier temps, vos services ont incité et autorisé par écrit les établissements à pratiquer un taux de surréservation. Celui-ci pouvait aller jusqu’à 50 %, puis vous les avez même autorisés à dépasser ce taux.
Dès lors, pourquoi cette panique ? Surtout, pourquoi faire porter aux établissements la responsabilité d’un revirement qui est la conséquence de décisions politiques que vous n’assumez pas ?
M. David Assouline. Exactement !
M. Pierre Ouzoulias. En janvier, le Défenseur des droits vous avait demandé de rendre publics les critères de sélection des établissements et de réformer Parcoursup pour mettre fin aux discriminations subies par les lycéens des filières technologiques et professionnelles.
Nous attendons toujours vos réponses à ces questions essentielles, madame la ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Sophie Joissains et M. Loïc Hervé applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur Ouzoulias. Elle va me permettre d’apporter des précisions utiles.
Je n’ai jamais parlé d’un problème informatique, j’ai simplement indiqué que 2 % des formations s’étaient trompées en saisissant manuellement le nombre de candidats sur la liste d’appel. C’est donc une erreur humaine, factuelle. Elle est extrêmement regrettable, évidemment, et j’ai demandé à l’inspection générale de déterminer les raisons précises de ces erreurs, afin qu’elles ne puissent pas se reproduire.
Vous faites en outre référence à un sujet totalement différent, monsieur le sénateur. L’été dernier, plusieurs d’entre vous, sur ces travées comme à l’Assemblée nationale, relevaient la crainte de certains établissements, notamment des classes préparatoires, de ne pas remplir leur formation à cause de Parcoursup. C’est pourquoi, avec leur accord, nous avons proposé à ces établissements d’avoir un taux d’appel légèrement supérieur.
Mais le problème que vous évoquez concerne une formation qui a appelé 600 candidats alors qu’elle disposait de 30 places seulement. Il est donc d’une tout autre nature.
Le service qui permet de surveiller le fonctionnement de la plateforme a immédiatement relevé ces anomalies et les établissements eux-mêmes ont appelé le ministère pour signaler les erreurs et obtenir une aide pour les corriger.
Ma responsabilité était de faire en sorte que ces erreurs n’impactent pas l’ensemble des 900 000 candidats. La procédure a pu suivre son cours normalement, avec quelques heures de retard, ce qui permet aujourd’hui à 72 % des lycéens d’avoir d’ores et déjà une proposition d’affectation pour la prochaine rentrée universitaire. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour la réplique.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, je doute sincèrement que les candidats et les parents soient rassurés par la clarté de vos explications.
M. Michel Savin. Très bien !
M. Pierre Ouzoulias. En ce qui nous concerne, nous continuerons à dénoncer la violence de ce dispositif (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.), qui, l’an passé, a éloigné de l’enseignement supérieur plus de 180 000 lycéens. Nous continuerons de défendre un enseignement supérieur accessible à tous les bacheliers, sans discrimination.
Le bug de Parcoursup n’est pas informatique ; il est social ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Sophie Joissains et M. Alain Houpert applaudissent également.)
indemnisation des victimes de produits phytosanitaires
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le ministre de l’agriculture, le 11 avril dernier, la justice reconnaissait Monsanto responsable du dommage causé à l’agriculteur Paul François, victime du Lasso, un puissant herbicide. Voilà quelques jours, aux États-Unis, Monsanto était de nouveau condamné à indemniser les victimes du Roundup.
Depuis près de deux ans, le groupe socialiste du Sénat demande avec insistance la création d’un fonds d’indemnisation pour les victimes des produits phytosanitaires et, depuis près de deux ans, le Gouvernement refuse cette création.
En effet, le 1er février 2018, nous votions ici même, à l’unanimité, la création de ce fonds d’indemnisation. Monsieur le ministre, vous siégiez alors sur nos travées et vous l’aviez également approuvée.
Nous formulions de nouveau cette demande dans le projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dit Égalim, mais votre prédécesseur la rejeta.
En décembre dernier, ce fut à votre tour, en tant que ministre, de la rejeter, cette fois dans la loi de finances pour 2019. Nous sommes en mai 2019 et, dix-huit mois après l’adoption de la proposition de loi sénatoriale, rien n’a avancé. Même votre promesse de remise d’un rapport au 30 avril 2019 n’a pas été honorée.
Vous connaissez pourtant l’inutilité d’un tel rapport, monsieur le ministre, celui-ci étant nécessairement redondant avec les travaux menés par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’Inserm, en 2013, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’Anses, en 2016 et trois inspections générales en 2018. À cela, il faut ajouter le récent rapport de l’ONU sur l’état de la biodiversité ou encore le scandale Monsanto et la découverte de pratiques de lobbying insupportables.
Monsieur le ministre, pour toutes ces raisons, il est temps de sortir du déni politique et industriel, en faisant en sorte que les grandes firmes prennent et assument toutes leurs responsabilités. C’est comme cela aussi que nous changerons durablement les pratiques.
Parce que les malades attendent, souffrent et sont livrés à eux-mêmes, pouvez-vous nous dire précisément quand ce fonds d’indemnisation verra le jour ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Nicole Bonnefoy, je voudrais commencer par saluer le travail des parlementaires engagés sur ce sujet, députés comme sénateurs.
Plusieurs mesures, vous le savez, ont déjà permis de réduire l’utilisation des produits phytosanitaires. Avec François de Rugy, Frédérique Vidal et Didier Guillaume, j’ai installé officiellement le 10 avril dernier le comité d’orientation stratégique et de suivi du plan national de réduction des produits phytosanitaires.
S’agissant de la création du fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques, il convient d’être justes et attentifs à la souffrance des victimes. Il convient aussi d’être responsables en mettant en place un dispositif d’indemnisation cohérent avec les connaissances scientifiques actuelles – nous attendons en effet les rapports – et les voies d’indemnisation préexistantes, en particulier dans le cadre des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Lors de l’examen de la proposition de loi à l’Assemblée nationale en janvier dernier, j’ai proposé que la discussion reprenne lors des débats sur les lois de finances ou lors de la poursuite de l’examen de la proposition de loi. J’ai pris l’engagement qu’y figurent des articles tendant à créer ce fonds, sur la base des discussions ayant eu lieu lors de l’examen de votre proposition de loi.
En attendant, un rapport sur le financement et les modalités de création d’un fonds d’indemnisation doit vous être rendu d’ici à la fin du mois de juin. J’ai souhaité que ce délai de quelques mois soit mis à profit pour travailler avec le ministère de l’agriculture sur le financement du fonds. J’invite tous les parlementaires à rester mobilisés ; nous aurons l’occasion de débattre de nouveau de ce sujet cette année.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, pour la réplique.
Mme Nicole Bonnefoy. Je vous remercie, madame la ministre, de rappeler le travail important qui a déjà été réalisé sur cette question, en particulier au Sénat. Nous attendons avec impatience le rapport qui sera remis à la fin du mois de juin.
Vous évoquez le futur projet de loi de financement de la sécurité sociale pour la création du fonds. Nous serons particulièrement vigilants sur sa création, mais aussi sur son périmètre et ses modalités de mise en œuvre. Nous regrettons cependant d’avoir perdu deux ans ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
haine véhiculée par les réseaux sociaux
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Claude Malhuret. Monsieur le secrétaire d’État, voilà quelques mois, un rappeur en mal de notoriété a commis un clip intitulé : « Pendez les blancs ». Quelques phrases de ce chef-d’œuvre : « Je rentre dans des crèches, je tue des bébés blancs. Attrapez-les vite et pendez leurs parents. Écartelez-les pour passer le temps… »
Sur plainte du ministre de l’intérieur, ce grand artiste a été condamné… à une amende avec sursis ! (Marques d’indignation sur les travées du groupe Les Républicains.)
Dans ces conditions, pourquoi se priver ? Nick Conrad, c’est son nom, a donc récidivé ces jours-ci avec un nouvel opus d’aussi haut niveau : « Je baise la France jusqu’à l’agonie. Je brûle la France. J’vais poser une bombe sous son Panthéon. » À la fin du clip, il étrangle en gros plan une femme blanche.
Le ministre de l’intérieur a porté plainte immédiatement. Il a eu raison. Mais avec la loi actuelle, l’auteur sera condamné dans deux ans à une peine légère. Entre-temps, le clip aura été vu quelques millions de fois. Le racisme n’est qu’une des plaies béantes des réseaux dits « sociaux », et le racisme anti-blanc n’est pas plus tolérable qu’un autre. Les autres plaies s’appellent sexisme, intimidation, usurpation d’identité, harcèlement, injures et menaces de mort.
Les Gafa font le service minimum pour conserver leur business juteux. Mais Mark Zuckerberg a dû convenir lui-même qu’il n’avait pas les moyens de réguler efficacement ses plateformes et n’a rien trouvé de mieux que d’appeler les gouvernements à légiférer.
Il est urgent de le prendre au mot. Les Allemands n’ont pas hésité à faire une loi ordonnant le retrait de contenus haineux sous vingt-quatre heures. Qu’attendons-nous pour les imiter ?
Une proposition de loi est en préparation à l’Assemblée nationale, nous dit-on. Je voudrais être sûr, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement ne l’accueillera pas d’une main tremblante. Il ne s’agit pas de liberté d’opinion ni de censure, mais de lutte contre des délits graves, le plus souvent commis anonymement.
Il me semble même que le sujet est tellement grave qu’il justifierait un débat national et une unité européenne aujourd’hui balbutiante. La haine ou le racisme n’ont pas leur place chez nous. Nous ne sommes pas au Far West et, même dans la jungle, il y a une loi. Il est urgent de faire respecter les nôtres ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du numérique.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le président Malhuret, je vous remercie de m’interroger sur un sujet qui, je le crois, appelle une obligation de résultat de la part de l’État.
Vous avez cité un cas particulier, mais, plus largement, on peut tous les jours impunément injurier, menacer et même aller plus loin sur internet. Cela appelle une mobilisation générale, vous avez raison.
C’est ce qu’ont commencé à faire la semaine dernière le Président de la République et la Première ministre néo-zélandaise, en mettant autour de la table tous les réseaux sociaux pour prendre les premières mesures d’urgence. C’est ce que fait également la députée Laetitia Avia en déposant la proposition de loi destinée à réguler les messages de haine, de racisme, d’antisémitisme et d’homophobie sur internet. Le Gouvernement a beaucoup travaillé avec elle, monsieur le député (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), et nous accueillons ses propositions avec beaucoup de bienveillance.
Plus globalement, je crois, monsieur le député… (Sifflets et protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Décidément ! Je prie la Haute Assemblée d’accepter mes excuses.
Je crois, monsieur le sénateur, que le sujet est profondément européen. Pour imposer notre loi et nos valeurs aux réseaux sociaux, 400 millions d’Européens et un marché ne seront pas de trop pour protéger nos citoyens.
C’est ce que nous avons déjà fait sur la vie privée, avec le règlement général sur la protection des données. C’est aussi ce que nous avons fait sur le terrorisme, puisque, dorénavant, les plateformes doivent retirer en moins d’une heure les contenus à caractère terroriste.
Néanmoins, vous avez raison, nous devons aller encore plus loin en allant chercher ces contenus absolument inacceptables, qu’ils soient haineux, à caractère terroriste ou pédopornographique. Pour ce faire, nous devons coordonner nos actions avec celles de nos partenaires européens, car, sur ce sujet, il n’y aura pas de protection efficace des Français et des Européens sans union.
Donner de la force à cette protection, monsieur le sénateur, c’est aussi l’enjeu des choix politiques du week-end prochain. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
affaire lambert
M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bernard Fournier. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je voudrais évoquer avec vous la situation de Vincent Lambert et le débat, comme l’émoi, qu’elle suscite dans le pays.
Je voudrais le faire sans céder à la tentation qui, dans cette affaire, peut tous nous guetter, quelles que soient nos convictions intimes, celle des postures établies d’avance, des certitudes toutes faites. Devant une telle situation, ayons l’humanité de compatir et l’humilité de reconnaître.
Compatir, parce qu’au-delà des positions des uns ou des autres il y a un drame ; il y a le silence d’un homme ; il y a la douleur déchirante d’une famille déchirée, exposée sur la place publique ; il y a aussi la détresse d’une épouse et l’espérance d’une mère.
Reconnaître, car reconnaissons que ni le droit ni la médecine ne nous offrent des réponses indiscutables. L’institution médicale est divisée. Quant à l’institution judiciaire, l’arrêt rendu hier soir par la cour d’appel de Paris démontre que, sur le plan du droit également, des interrogations demeurent.
Alors, qui croire ? Que croire ? Il n’y a pas, mes chers collègues, de certitudes. Qui sait ici, dans cet hémicycle, ce que veut Vincent Lambert ? Qui pourrait affirmer savoir ce que les médecins eux-mêmes ne savent pas ? Ayons la force d’esprit et de cœur d’admettre que nous ne savons pas.
Peut-être devrions-nous nous interroger avec humilité sur deux questions fondamentales que je vous pose, madame la ministre ?
D’abord, jusqu’où pouvons-nous considérer qu’une vie ne vaut plus la peine d’être vécue ?
Par ailleurs, l’incertitude, le doute et les décisions parfois contradictoires dans cette terrible affaire font craindre à beaucoup de Français le risque d’une dérive préjudiciable aux plus fragiles, une sorte d’insécurité éthique. Ne faut-il pas, madame la ministre, tirer dès à présent les enseignements de ce drame ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Bernard Fournier, je crois pouvoir le dire, comme beaucoup de Français, nous sommes nombreux ici à être bouleversés par cette situation, par ce drame familial, qui touche à l’intime de chacun d’entre nous.
Vous le savez, l’État français a toujours été soucieux de s’assurer que l’application de la procédure d’arrêt de traitement en cas d’obstination déraisonnable respectait le cadre de la loi Claeys-Leonetti, votée en 2016.
Hier soir, la cour d’appel de Paris a accepté la requête des parents de Vincent Lambert et a ordonné la reprise des traitements, afin de respecter les recommandations du Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU. L’équipe médicale en charge de Vincent Lambert appliquera ces mesures provisoires. Je n’en dirai pas davantage sur ce cas particulier.
Aujourd’hui, encore plus que jamais, nous devons respecter l’intimité et la douleur de la famille et des proches de Vincent Lambert.
La seule leçon que nous pouvons retenir de cette situation, c’est que chacun remplisse ses directives anticipées. Chaque personne majeure peut, depuis la loi Claeys-Leonetti de 2016, rédiger par avance une déclaration pour préciser ses volontés en fin de vie. Chacun peut inscrire son refus ou sa volonté de poursuivre, de limiter ou d’arrêter les traitements ou les actes médicaux. Les consignes données dans les directives anticipées permettent aux équipes médicales de prendre en charge les patients en respectant leur propre volonté. On peut les remplir sur internet ; elles sont également accessibles dans le dossier médical partagé. J’engage chaque Français, aujourd’hui, à les renseigner. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
géants du numérique
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Président de la République a rencontré Mark Zuckerberg et a annoncé des mesures sur la régulation des réseaux sociaux.
Celles-ci font suite à une mission effectuée auprès de Facebook. Le rapport publié ce mois-ci a été salué par l’entreprise comme « un modèle pour la régulation des contenus en Europe ».
Ces mesures prônent une simple corégulation de ces plateformes. Surprenant, très surprenant, au moment où des voix s’élèvent des deux côtés de l’Atlantique pour dire l’impossibilité d’une autorégulation ou d’une corégulation de cette société. C’est le cas de la sénatrice Elizabeth Warren ou encore de Chris Hughes, un des cofondateurs de Facebook, qui va lui-même jusqu’à réclamer son démantèlement.
Ce rapport évite soigneusement d’aborder la question du modèle économique de cette société.
C’est à moitié étonnant, puisqu’il a, pour partie, été élaboré par un certain Benoît Loutrel, ancien directeur de l’Arcep, un temps parti vendre ses services à Google, et qui est depuis revenu au cœur de l’appareil d’État.
C’est en revanche très regrettable, si l’on considère les graves dérives éthiques, économiques et politiques dont s’est rendu coupable Facebook avec l’affaire Cambridge Analytica, affaire à laquelle a été lié un certain Steve Bannon. Il est illusoire de penser que la société peut remettre elle-même en cause son propre modèle basé sur toujours plus de données collectées, et donc toujours plus de gains.
Mes questions sont simples.
Compte tenu des enjeux pour la souveraineté de la France, quelles mesures comptez-vous prendre pour mettre un terme à ces pratiques régulières de pantouflage, puis de rétropantouflage de notre haute administration, notamment avec les Gafam ?
N’est-il pas temps de sortir de la complaisance pour prendre des mesures de régulation réellement contraignantes sur le cœur même de l’activité de ces sociétés, comme annoncent vouloir le faire, d’ailleurs, nos voisins allemands, depuis toujours beaucoup plus lucides et exigeants que nous sur le sujet ? (Applaudissements sur les travées du groupe de l’Union Centriste, du groupe communiste, républicain citoyen et écologiste, ainsi que du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du numérique.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs (Exclamations amusées sur plusieurs travées.), madame la présidente Morin-Desailly, l’émergence d’acteurs de la taille de Google, de Facebook ou encore d’Amazon met la puissance publique face à des enjeux absolument inédits.
Inédits, car la taille des acteurs est inédite : Facebook, c’est 2,3 milliards d’utilisateurs ! Inédits, car le numérique ne connaît pas, par nature, de frontières. Inédits, car la complexité technologique des outils de ces acteurs est sans cesse croissante.
Pour autant, et vous l’avez rappelé, les questions posées par ces acteurs sont très concrètes et ont impact sur nos concitoyens dans leur quotidien.
Je suis persuadé d’une chose, madame la présidente, c’est que l’émergence de ces acteurs impose une obligation de résultat aux démocraties pour une raison simple : si les seuls États qui savent efficacement réguler les grands acteurs de l’internet – réseaux sociaux et plateformes – sont les pouvoirs autoritaires, alors, nos citoyens se tourneront vers des solutions autoritaires. Encore faut-il que nos solutions soient utiles.
C’est pourquoi nous sommes allés auditer au cœur du réseau social Facebook pour voir ce qu’il faisait. Sachez que nous n’avons jamais abandonné nos prérogatives d’État. Le réseau social devra appliquer ce qui figure dans la proposition de loi de la députée Laetitia Avia en mettant à niveau son système de régulation interne. Je le répète, nous n’abandonnons aucune des prérogatives de l’État.
Nous devons donc en appeler à la responsabilité individuelle. Il n’est pas possible aujourd’hui que l’on puisse impunément insulter, injurier sur internet, sans que la justice vienne vous demander des comptes. Cela nécessite de poser des règles claires, et l’État le fera, comme nous l’avons déjà fait en défendant les idéaux français et européens, notamment sur la directive sur le droit d’auteur que vous défendez également.
Nous continuerons, madame la députée… (Exclamations amusées.) Nous continuerons, madame la présidente, à mener ce combat en gardant en tête toutes les prérogatives de l’État.
M. le président. La parole est à Mme la sénatrice Catherine Morin-Desailly, pour la réplique. (Sourires.)
Mme Catherine Morin-Desailly. Vous ne m’avez absolument pas convaincue, monsieur le secrétaire d’État. Vous êtes dans le statu quo industriel, alors que les meilleurs experts du numérique, les ingénieurs de la Silicon Valley, sont en train de nous alerter, notamment via la célèbre gazette Wired ou encore l’influent site d’actualité économique Business Insider.
En tout état de cause, fallait-il absolument dérouler le tapis rouge à Mark Zuckerberg, qui s’est, je le rappelle, parjuré devant le Congrès américain – c’est le New York Times qui l’a révélé –, et que le parlement britannique n’hésite pas à qualifier de gangster, à la suite du rapport de mon homologue Damian Collins ? Nous ne le pensons pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, ainsi que des travées du groupe Les Républicains.)
situation en autriche
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour le groupe La République En Marche. (Allô ! sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Julien Bargeton. Ma question s’adresse à M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
En Autriche, le vice-chancelier a dû démissionner à la suite d’une collusion avec un État étranger qui tente régulièrement de déstabiliser nos démocraties, notamment via internet, ce qui n’est pas sans lien avec la question précédente.
Il est reproché au vice-chancelier autrichien non seulement de s’être aventuré à des promesses, mais aussi de mettre en péril la confidentialité des informations dont ses services ont pu avoir connaissance. D’ores et déjà, l’Autriche est écartée de certaines réunions et de certaines informations, qui sont communiquées, notamment, par le gouvernement allemand.
Cette affaire est donc profonde et grave. Elle touche à la souveraineté et à l’indépendance de l’Europe. Les nationalistes se font les ennemis de l’intérêt national, qu’ils liquident au profit de leurs intérêts personnels et au profit de puissances étrangères.
Ma question est double, monsieur le secrétaire d’État.
À court terme, quelle est la position de notre pays face à la crise de la coalition autrichienne, notamment au regard du fonctionnement des institutions européennes, en particulier le Conseil ?
Par ailleurs, l’influence d’États étrangers dans le déroulement régulier d’élections, et plus largement dans la vie politique, pose question. Le Parlement sera-t-il informé d’éventuelles attaques contre le bon déroulement des élections européennes, comme d’autres élections à venir ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. Roger Karoutchi. Vous vous mettez à couvert, parce que vous avez peur de perdre !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Julien Bargeton, les citoyens européens sont libres et souverains, et ils entendent bien le rester. Les États européens sont libres et souverains, et ils entendent bien le rester. Cela paraît une évidence, ici dans cet hémicycle, mais les événements de ce week-end, effectivement, sont préoccupants.
Préoccupants, parce que l’on voit les ingérences se dessiner. Le Gouvernement, agissant soit dans le cadre national, soit au niveau des instances européennes, a souhaité se prémunir et protéger cette démocratie européenne que nous chérissons.
Un certain nombre de mesures ont été prises : dispositions législatives visant à prohiber le financement par des établissements bancaires en dehors de l’Union européenne ; mise en place d’un réseau d’alerte européen pour s’informer des attaques détectées. Il est temps d’aller plus loin au niveau de l’Union. Le Président de la République a ainsi souhaité la création d’une véritable agence de protection de la démocratie européenne pour parer les attaques de toute nature. Nous le devons à ces hommes et ces femmes, qui, voilà trente ans – je pense notamment à Lech Walesa, à Vaclav Havel –, sont venus, avec une petite bougie, à bout de totalitarismes, faisant tomber ce mur de 165 kilomètres avec un mirador tous les cent mètres. Ils ont permis la réunification du continent européen, des peuples européens, alors, n’en déplaise à Marine Le Pen, une Europe européenne ne fait pas de génuflexions devant M. Bannon ; une Europe européenne ne se compromet pas, comme ses alliés autrichiens au Parlement européen ; une Europe européenne est unie, démocratique et libre ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour la réplique.
M. Julien Bargeton. Cette affaire illustre l’écart entre la vigueur des discours et le froid cynisme des actes. Au-delà se pose une question de sécurité. Ne soyons pas naïfs ; ne baissons pas la garde, ni pour nos nations ni pour l’Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
tuberculose bovine
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le ministre, mes chers collègues, jusqu’à quand la France sera-t-elle « indemne » de tuberculose bovine ?
Avec 115 cas environ par an, notre pays était considéré jusque-là comme relativement stable, mais le nombre de cas augmente. La Nouvelle-Aquitaine est la région de France la plus touchée par ce phénomène. Après la Charente et la Dordogne, le département de la Gironde découvre quelques cas.
Fabienne est maire de son village, mais elle est aussi éleveuse dans le Libournais. Elle est à la tête d’une petite exploitation et elle vit dans l’angoisse. Elle a dû faire face à l’abattage d’une vache. Une vache, me direz-vous, ce n’est rien, mais pour Fabienne, c’est tout !
D’autant que sa vache a été sacrifiée pour rien, parce qu’en fait elle n’était pas tuberculeuse. Elle était une « fausse positive ». Eh oui, la technique de nos tests date d’une cinquantaine d’années, et elle n’est pas totalement fiable.
Monsieur le ministre, il nous faut investir très vite la question de l’actualisation des moyens de dépistage de la tuberculose bovine et de leur fiabilité.
D’autant plus que le gibier est porteur de la maladie, et ce n’est pas forcément celui auquel nous pourrions penser de prime abord. Il s’agit d’animaux familiers et classés non nuisibles, comme le blaireau. L’Anses recommande d’ailleurs d’effectuer des prélèvements sur un échantillonnage représentatif de cet animal autour des zones d’abattage. Nous attendons avec impatience les décisions sur le terrain en la matière.
J’en profite pour féliciter la fédération de chasse de la Gironde (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.), la direction départementale de la sécurité publique et les élus locaux, qui ont réagi dès les premiers cas en mettant en place des systèmes de collecte des déchets de la venaison pour limiter le phénomène.
Monsieur le ministre, alors que la filière est confrontée à une baisse de 12 % de la consommation de viande sur ces dix dernières années et qu’elle doit faire face aux dérives sans précédent de l’intolérance animaliste, quels moyens allez-vous affecter à la recherche ? Comptez-vous assouplir la réglementation pour endiguer la tuberculose bovine ?
M. le président. Il faut conclure !
Mme Nathalie Delattre. L’enjeu est économique, sanitaire, culturel aussi, mais il est surtout humain, pour Fabienne et pour tous ses collègues, pour nos éleveurs français. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénatrices et sénateurs, madame la sénatrice Delattre, je veux réaffirmer devant le Sénat cet après-midi que la France est toujours indemne de tuberculose bovine. Elle l’est depuis 2001, et il n’y a aucune raison qu’elle ne le reste pas. En tout cas, tous les services travaillent entre eux – services publics et services privés, ainsi que fédérations de chasse, comme vous venez de le rappeler –, et ce travail est efficace.
Toutefois, vous l’avez dit, le nombre de foyers a augmenté. Devant ce constat, et afin de renforcer le pilotage de la lutte contre la tuberculose bovine, un plan national a été mis en place en 2017 par mon prédécesseur. Ce plan continue à se déployer, avec l’ensemble des acteurs, aux niveaux national et local.
En 2018, ce sont 123 foyers – 123 de trop ! – qui ont été mis en évidence sur le territoire national, soit une augmentation de près de 30 % par rapport à l’année précédente, et 80 % des foyers sont en Nouvelle-Aquitaine. C’est la raison pour laquelle vous m’interrogez, je suppose, d’autant que 6 foyers ont été détectés dans votre département de la Gironde en 2018 et 2019.
Le constat de cette augmentation résulte notamment d’une meilleure surveillance des zones et d’une amélioration de la qualité des dépistages. Aujourd’hui, les tests qui sont faits permettent d’avoir des dépistages plus nombreux et des retours plus fins. Néanmoins, Fabienne, votre amie, dont une vache a été abattue, n’en a que faire. Elle veut juste savoir quand tout cela va s’arrêter.
Si les tests sont plus performants, il reste ce que l’on appelle des « faux positifs ». C’est le cas, vous le disiez, de la vache de votre amie éleveuse. Je sais combien une telle situation est dramatique pour les éleveurs.
La mise en évidence de ces nouveaux foyers nous concerne. Vous avez évoqué les gibiers, notamment les blaireaux. Les services du ministère restent attentifs et font tout pour que la France reste indemne. Nous avons d’ores et déjà mobilisé 20 millions d’euros pour l’indemnisation des agriculteurs concernés par ces foyers. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
parcoursup
M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Grosperrin. Je souhaiterais à mon tour interpeller Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Madame la ministre, en fin de semaine dernière, près de 50 000 lycéens ont fait les frais d’un bug de Parcoursup. À la mise en place de ce nouveau dispositif, nombreuses étaient les personnes à s’émouvoir de l’impact psychologique de l’attente des réponses et de la vérification des classements. Mais qui aurait pu prévoir un tel ascenseur émotionnel pour ces jeunes gens à un mois du début des épreuves du baccalauréat ? Comment en est-on arrivé là, moins de deux ans après le fiasco d’Admission post-bac, APB ?
Les témoignages de lycéens déçus et de familles inquiètes affluent. En filigrane se dessine de nouveau la grande interrogation à propos des algorithmes et du manque de transparence de la plateforme.
M. David Assouline. Tout à fait !
M. Jacques Grosperrin. Vous nous expliquez que 400 formations auraient fait des erreurs humaines, mais comment est-ce possible ? N’y a-t-il pas eu des instructions des services, ou, à tout le moins, les directives données n’ont-elles pas péché par manque de clarté ? Dans les deux cas, madame la ministre, il y va de votre responsabilité.
Nous sommes nombreux à nous demander si les formations n’ont pas été sciemment encouragées à gonfler excessivement leur taux de surréservation pour raccourcir les délais d’attente pour les candidats et accélérer la fameuse convergence.
Le sujet est grave. La représentation nationale souhaite que vous vous adressiez aux 900 000 candidats inscrits sur Parcoursup et à leurs familles, qui attendent des réponses claires et précises.
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur Jacques Grosperrin, vous avez raison de rappeler que les erreurs commises par les formations sont inacceptables. Elles ont suscité beaucoup de faux espoirs chez de nombreux candidats.
Au-delà de ce constat, il faut savoir que, pour les 2 % de formations qui ont commis ces erreurs, le service central gérant Parcoursup, qui a vu apparaître ces erreurs, comme les responsables de ces formations ont réagi immédiatement de façon à ce que l’ensemble des 900 000 candidats puissent, avec quelques heures de retard, obtenir des propositions dans un cadre corrigé pendant la nuit. Un accompagnement humain a également été mis en place par les rectorats, les responsables de formation, les professeurs principaux et les proviseurs des lycées qui accueillent ces jeunes. Je voudrais les saluer aujourd’hui.
Comme j’ai eu l’occasion de l’expliquer auparavant, ce à quoi vous faites référence n’a rien à voir avec les erreurs qui se sont produites. Il est normal que, lorsqu’une formation a 30 places, elle puisse appeler une quarantaine de candidats, car, nous le savons, tous ces candidats ne se présenteront pas à la rentrée, ces places étant alors perdues pour les autres candidats. C’est ce que l’on appelle un taux d’appel supérieur de 30 % à la norme.
Les erreurs constatées par le service chargé de Parcoursup étaient d’une tout autre ampleur. Il s’est agi de BTS à 12 places qui ont appelé plus de 300 candidats ou de classes préparatoires à 30 places qui ont appelé plus de 600 candidats, à cause d’une interversion du chiffre d’appel et du chiffre de la liste d’attente. C’est ce que j’ai demandé à l’inspection générale de vérifier, de sorte que nous puissions mettre en place des contrôles pour éviter que ces erreurs humaines ne se reproduisent.
Mme Laurence Cohen. Il faut plus de transparence !
M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour la réplique.
M. Jacques Grosperrin. Que 50 000 candidats sur quelque 900 000 inscrits aient été affectés par le bug, c’est trop ; que 400 formations se soient trompées, contre aucune l’année passée, cela nous interpelle. Est-ce que les procédures n’étaient pas assez claires ? Les responsables étaient-ils mal accompagnés ? S’il y a eu erreur, j’entends bien votre empathie et vos excuses, mais je crois qu’il aurait été bien que les lycéens les entendent aussi.
Enfin, madame la ministre, tous nos collègues doivent savoir que les boursiers ont actuellement une réponse positive, alors que des lycéens très brillants au sein des mêmes classes n’ont toujours aucun résultat, ce qui suscite des interrogations. Au moment où nous venons de voter l’école de la confiance que votre collègue Jean-Michel Blanquer appelle de ses vœux, nous devons retrouver de la transparence dans Parcoursup. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
tourisme
M. le président. La parole est à Mme Noëlle Rauscent, pour le groupe La République En Marche. (Allô ! sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Noëlle Rauscent. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez annoncé plusieurs mesures concernant le tourisme, et notamment un assouplissement des mesures de détaxe pour les touristes étrangers hors Union européenne. Nous ne pouvons que saluer cette initiative, qui devrait soutenir notre balance des paiements et la consommation.
En effet, la France demeure la première destination touristique au monde en nombre de touristes, mais pas en recettes, où nous sommes derrière l’Espagne, un concurrent direct. Tout l’enjeu est ici de rétrécir l’avantage concurrentiel de nos voisins sur les conditions de détaxe. Aussi l’optimisation du mécanisme de la détaxe va-t-elle permettre une augmentation des sommes dépensées par les touristes. En 2018, près de 56,2 milliards d’euros ont été dépensés en France par les touristes étrangers.
Monsieur le secrétaire d’État, quels sont les objectifs pour les prochaines années en matière de dépenses des touristes étrangers en France ?
Par ailleurs, plus de 100 000 emplois ne sont pas pourvus dans le secteur touristique, et notamment dans l’hôtellerie-restauration.
Vous avez annoncé plusieurs mesures, telles que la création d’un comité de filière pour le tourisme, la mise en place d’une plateforme numérique, ou l’instauration d’un contrat liant une douzaine de branches relevant du secteur du tourisme. Pouvez-vous nous préciser le calendrier de ces mesures et les objectifs du Gouvernement en matière d’emploi ?
Comme vous l’avez précisé à plusieurs reprises, les problèmes de recrutement du secteur touristique sont essentiellement dus aux conditions de travail et de rémunération des emplois offerts. Des avancées significatives sont-elles attendues concernant l’attractivité de ces emplois ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Madame Noëlle Rauscent, je sais que vous vous employez pour faire rayonner le territoire du Vézelien et de l’Yonne (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.), ce qui participe de l’attractivité de la France.
Le comité interministériel du tourisme, réuni sous l’autorité du Premier ministre vendredi dernier, a pris un certain nombre de mesures afin d’atteindre des objectifs ambitieux, notamment le chiffre de 100 millions de touristes internationaux à l’échéance de 2020 et, vous y avez insisté, le montant de 60 milliards d’euros de recettes apportées par ces touristes internationaux à cette même date. À cette fin, des mesures très concrètes ont été prises, pour favoriser l’achat. Il faut avoir en tête que les touristes dépensent seulement 20 % de leur budget en achats en France, contrairement à Londres, où le taux est de 40 %. D’où la mesure visant à étendre la durée sur laquelle la détaxe peut se faire ; d’où la mesure visant à augmenter le plafond en numéraire remboursé à ces touristes pour qu’ils le dépensent avant de quitter le sol national.
Cette ambition touristique se décline également en matière de ressources humaines. Vous avez raison, nous ne pouvons pas nous résoudre à voir 100 000 emplois non pourvus dans ce secteur de l’hôtellerie et de la restauration. Les professionnels du tourisme se sont emparés du sujet avec énergie, dans le sillage de la mission menée par la députée Frédérique Lardet. Ils se sont engagés à employer les outils mis à disposition par la loi Pacte, comme l’intéressement, la participation, l’épargne salariale. Ils prévoient de mettre en lien l’offre et la demande sur une plateforme numérique.
Nous avons une dernière piste avec la mise en valeur de notre patrimoine, grâce au lancement d’une chaîne de paradors soutenue par la Banque des territoires. C’est en partenariat avec les territoires que nous obtiendrons des résultats et que nous créerons des richesses dans l’ensemble de nos départements et de nos communes. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
clip du rappeur nick conrad
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.
Monsieur le ministre, en mars dernier, le rappeur Nick Conrad était condamné pour provocation au crime à cause de son clip intitulé « Pendez les blancs ». Manifestement, ni la honte d’une condamnation pénale ni la peine prononcée ne l’auront amené à réfléchir.
En effet, le rappeur, homme libre, comme il aime à se présenter lui-même, vient de réitérer son propos dans son nouveau clip aux paroles sans ambiguïté : « Je baise la France ; je brûle la France jusqu’à l’agonie ». Tel est le refrain lancinant de ce qu’il présente comme une œuvre de l’esprit.
Au-delà des propos tenus, les images laissent peu de place à l’interprétation. Dans ce clip, à large diffusion, on voit l’auteur, après sa déambulation en berline, clamer sa haine de la France, et procéder avec méthode à la strangulation d’une jeune femme à terre, le tout suivi d’un ralenti complaisant laissant apparaître son rictus de satisfaction devant son crime.
Amené à s’expliquer sur ces propos et ces images, l’auteur invoque tour à tour la faute des médias et de la mentalité française, qui, selon lui, refuserait « d’ouvrir le sujet épineux de l’esclavagisme de la France ».
Monsieur le secrétaire d’État, on ne saurait en pareil cas s’abriter derrière la liberté de création ou la liberté d’expression pour tout justifier. Les limites ont, me semble-t-il, été largement été outrepassées. Vous avez indiqué dimanche avoir procédé à un signalement sur la plateforme Pharos et saisi le procureur de la République. C’est bien. Nous vous soutenons, mais nous ne pouvons pas nous contenter de nous défausser sur la justice. Nous attendons une réponse politique ferme, une affirmation claire de nos principes.
Au-delà de la condamnation de principe, comment comptez-vous faire pour que ce type de propos n’ait plus droit de cité dans notre pays ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Bonhomme, vous rappelez le contenu du vidéoclip de ce rappeur, Nick Conrad, qui tient, une nouvelle fois, des propos particulièrement injurieux, haineux et s’en prend directement à la France. Si je dis « une nouvelle fois », c’est parce que, vous avez raison de le souligner, il avait déjà appelé à « pendre des blancs » dans un précédent clip.
Le Gouvernement partage bien évidemment votre émotion et votre indignation devant ces propos injurieux qui sont inacceptables et qui ne doivent effectivement pas être acceptés.
Comme vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, Nick Conrad doit comprendre que de tels propos ne peuvent s’abriter derrière la liberté d’expression ou derrière une quelconque liberté artistique.
L’insulte et la haine ne sont pas de l’art. L’insulte et la haine ne vont pas dans le sens du « vivre ensemble » auquel nous appelons tous dans notre démocratie française. Mais surtout, l’insulte et la haine tombent sous le coup de la loi pénale. C’est en ce sens que Christophe Castaner a, dès dimanche, dans le cadre de l’article 40 du code de procédure pénale, saisi le procureur de la République de Paris, qui a immédiatement ouvert une enquête préliminaire au titre d’une infraction extrêmement grave, l’apologie de crime d’atteinte volontaire à la vie aggravée. Les enquêteurs de la brigade de répression de la délinquance contre les personnes de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris sont à l’œuvre. Des auditions auront lieu très prochainement, mais là, je ne peux en dire plus, car elles se déroulent bien évidemment sous l’autorité du parquet.
Dans le même temps, Christophe Castaner a souhaité saisir la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements, dite Pharos, qui travaille à obtenir le retrait de ce contenu manifestement illicite.
Cette affaire doit nous inciter à persévérer et à poursuivre dans la voie qui est la nôtre : l’adoption d’un texte de loi. Une proposition de loi sera bientôt présentée à l’Assemblée nationale. Ce sujet, il nous faut aussi le porter auprès du Parlement européen et des institutions de l’Union pour obtenir, à l’instar de ce qui se pratique déjà pour les contenus terroristes, le retrait, dans les plus brefs délais, des contenus haineux. La nécessité s’en est malheureusement fait sentir une nouvelle fois avec ce clip de Nick Conrad. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour la réplique.
M. François Bonhomme. Monsieur le secrétaire d’État, j’observe quand même que la diffusion du clip persiste, malgré le signalement sur Pharos.
De plus, j’aurais voulu une condamnation générale. En effet, j’ai observé le silence gêné et assourdissant de Mme Schiappa, qui est en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Elle est pourtant toujours prompte à fanfaronner et à théâtraliser ses sorties, toujours prompte… (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Il faut conclure !
M. François Bonhomme. … à manier Twitter, notamment le hashtag #NeRienLaisserPasser. Cela aurait surtout donné beaucoup plus de force à vos propos ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
pouvoir d’achat
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Gisèle Jourda. J’associe ma collègue Sophie Taillé-Polian à ma question, qui s’adresse à M. le ministre de l’économie et des finances.
Monsieur le ministre, à la fin de novembre 2018, vous vous étiez engagé à ce que le prix réglementé de l’électricité n’augmente pas pendant l’hiver. Vous reportiez alors l’application des recommandations de la Commission de régulation de l’énergie, la CRE, à savoir l’augmentation des tarifs.
En juin prochain, vous allez valider les nouveaux tarifs, soit une augmentation considérable de 5,9 %, majorée de 1 % supplémentaire en août. Cela signifie une augmentation de 85 euros par an pour un ménage qui se chauffe à l’électricité, une hausse que la récente augmentation du chèque énergie, d’un montant de 50 euros, ne permettra pas de compenser.
Ces hausses de tarif sont très largement contestées. Elles le sont directement par le Médiateur national de l’énergie et par les associations de défense des consommateurs, qui alertent sur la baisse du pouvoir d’achat subséquente. Elles le sont indirectement par l’Autorité de la concurrence, qui s’est élevée contre les changements de méthode et d’analyse de marché adoptés par la Commission de régulation de l’énergie et responsables de cette forte hausse des tarifs.
Ces augmentations sont le fruit d’un mécanisme imposé pour favoriser la concurrence, au détriment, bien sûr, des consommateurs. Or la précarité énergétique est une triste réalité. Elle touche 3,3 millions de ménages en France, soit 6,7 millions de personnes qui restreignent leur utilisation de chauffage, ont froid dans leur logement, vivent dans une seule pièce l’hiver et s’endettent pour payer leurs factures.
En réponse à la crise des « gilets jaunes », vous promettiez aux ménages français un gain de pouvoir d’achat.
Ma question est simple : allez-vous vraiment, en pleine conscience des répercussions sur le pouvoir d’achat des Français, appliquer la hausse préconisée ?
Par ailleurs, vous avez parlé de modifier le mode de calcul des tarifs de l’électricité sans rien préciser de vos intentions. Pouvez-vous nous en dire plus ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Madame la sénatrice, la proposition de tarif appliquée et retenue par le ministre d’État est issue d’une décision de la Commission de régulation de l’énergie dont nous ne faisons que suivre les recommandations. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Il n’empêche, je le rappelle, que la France garde aujourd’hui, grâce à son mix énergétique, l’un des tarifs des plus bas de l’électricité pour les particuliers.
Vous nous parlez aussi du pouvoir d’achat en réponse à la crise des « gilets jaunes ». Le pouvoir d’achat, c’est le travail. La philosophie de ce gouvernement et de cette majorité, c’est de passer par le travail et par l’emploi pour redonner du pouvoir d’achat aux Français. Et vous devriez vous réjouir que, pour la première fois depuis dix ans, le niveau de chômage commence enfin à baisser tandis que le taux d’emploi atteint son niveau le plus élevé toujours depuis dix ans. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains, sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous devriez vous réjouir que nous ayons pris toutes les décisions nécessaires pour que le travail paie en France. (Protestations sur les mêmes travées.) Nous avons supprimé les cotisations pour l’assurance maladie et l’assurance chômage. Nous avons augmenté la prime d’activité. Nous avons supprimé la taxe à 20 % sur l’intéressement pour faire en sorte d’associer tous ceux qui travaillent aux résultats des entreprises. Le Président de la République vient également d’annoncer une baisse de 5 milliards d’euros de l’impôt sur le revenu pour tous ceux qui travaillent.
Vous le voyez, au-delà du sujet de l’énergie, la question clé pour nos compatriotes, pour tous ceux qui vont travailler, qui ont un emploi, qui sont salariés, c’est de pouvoir vivre dignement de leur travail. Eh bien, c’est l’honneur de cette majorité que de permettre à tous ceux qui travaillent de vivre dignement de leur emploi ! C’est notre philosophie, c’est notre politique et ce sont nos résultats ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
protection des données de santé
M. le président. La parole est à Mme Sonia de la Provôté, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Sonia de la Provôté. Ma question s’adresse à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Alors que le Sénat s’apprête à discuter du projet de loi Santé, je souhaite vous interroger sur les pratiques du site Doctolib et des plateformes en ligne de rendez-vous médicaux. Cette situation amène quatre sujets dangereux pour notre vision régalienne et protectrice de la santé.
Primo, la plateforme permet la prise rapide de rendez-vous de consultation à toute heure du jour ou de la nuit. Cela plaît, mais est-ce souhaitable ? En effet, une réponse immédiate à un besoin de santé oublie la prévention, la prise en compte des habitudes de vie, l’histoire du patient, l’éducation thérapeutique.
Deuzio, pour y parvenir, elle contractualise avec des cabinets et des médecins. Si le médecin traitant de la personne n’a pas passé de contrat avec Doctolib, le site indique que ce rendez-vous est impossible. Qu’à cela ne tienne, il propose une liste d’autres médecins à proximité, disponibles, et qui, eux, sont adhérents au site ! Cette pratique est totalement contradictoire avec les notions de médecin référent et de parcours de soins.
Tertio, la plateforme contractualise avec des cliniques, établissements de santé, hôpitaux publics, dont les établissements de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, l’AP-HP. Quand un patient se rend sur le site de l’AP-HP, par exemple, pour prendre rendez-vous, il doit créer un compte Doctolib. Ainsi, les patients de l’AP-HP doivent s’inscrire sur un site privé, alors que l’hôpital public, faut-il le rappeler, est financé par l’argent public ? Il y a là, me semble-t-il, un problème éthique grave.
Enfin, cette alliance entre cliniques, hôpitaux, professionnels de santé et Doctolib crée un risque majeur pour la protection des données de santé.
En effet, la plateforme collecte les données personnelles des patients, le nom de leur médecin, le motif de consultation ou d’examen complémentaire, mais aussi les comptes rendus des téléconsultations.
En France, ces données sont très encadrées par le règlement général européen sur la protection des données, le RGPD. Si un jour la start-up, devenue licorne, venait à passer sous giron américain, par exemple, il y aurait conflit avec le Cloud Act, beaucoup plus laxiste.
Madame la ministre, il y a urgence ! Avant qu’il ne soit trop tard, quelles mesures comptez-vous prendre pour sécuriser les patients et les pratiques médicales face à cette évolution et au risque d’ubérisation de la santé ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Sonia de la Provôté, j’entends bien sûr votre inquiétude sur l’utilisation des données de santé.
Vous prenez l’exemple de la plateforme de rendez-vous en ligne. En France, vous le savez, les données de santé sont très encadrées grâce au règlement général européen sur la protection des données, le RGPD.
Les données de santé sont encore davantage encadrées, puisque chaque société qui en récolte est chargée de les chiffrer et de les stocker chez un hébergeur agréé. Les données personnelles de santé des utilisateurs sont ainsi validées par des prestataires ayant reçu un agrément certifié « hébergeur de données de santé » et leur exploitation est très surveillée.
Les plateformes auxquelles vous faites référence respectent l’ensemble des dispositions législatives et réglementaires françaises et européennes relatives à la protection des données personnelles.
Madame la sénatrice, je suis également très attachée à la protection des données. Je voudrais prendre pour exemple ce que nous avons fait dans le projet de loi Santé que vous serez amenés à examiner dans une semaine. L’article 11 de ce texte, qui est dédié au Health Data Hub, vise justement à parvenir à un équilibre entre les usages innovants et efficaces des données de santé, en vue d’améliorer nos connaissances et la protection de la vie privée.
Cet équilibre a d’ailleurs été salué par le Conseil d’État. Il a considéré que le projet de loi ne méconnaît aucune exigence de valeur constitutionnelle ou conventionnelle, dès lors que le système national des données de santé apporte des garanties suffisantes pour l’utilisation des données auxquelles il donne accès.
Comme vous aurez tout le loisir de le vérifier lors des discussions parlementaires, nous serons extrêmement vigilants à ce qu’aucun Français ne soit inquiété quant à l’utilisation de ses données de santé. C’est ce que nous devons à nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme Sonia de la Provôté, pour la réplique.
Mme Sonia de la Provôté. Madame la ministre, je vous ai bien entendue ! À l’heure du dossier médical partagé, on répète aux patients qu’ils sont propriétaires de leurs données. Nous devons être très attentifs à ce sujet, car il s’agit de richesses extrêmement convoitées. Il faut aussi espérer que ces plateformes et ces entreprises innovantes restent françaises ou européennes. En effet, si elles passent sous le contrôle de pays bien plus laxistes que le nôtre, je ne donne pas cher de l’avenir de nos données de santé ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mardi 28 mai, à seize heures quarante-cinq.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures cinquante, sous la présidence de Mme Catherine Troendlé.)
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Mises au point au sujet de votes
Mme la présidente. La parole est à M. François Grosdidier, pour une mise au point au sujet d’un vote.
M. François Grosdidier. Madame la présidente, je tenais à rectifier mon vote tel qu’il est paru sur l’amendement n° 100 rectifié quater, après l’article 1er bis G du projet de loi pour une école de la confiance. Je vote contre et non pour cet amendement, que je trouve contre-productif dans la lutte contre le communautarisme.
La surenchère affaiblit parfois les justes combats. On finit par confondre l’islam et l’islamisme, le voile avec la burqa, la tyrannie subie par certaines femmes avec la liberté dont disposent d’autres femmes, les agents du service public avec les maires bénévoles – sans aucune arrière-pensée… Et on finira par confondre Mme Ibn Ziaten avec des salafistes et lui empêcher l’accès aux établissements… (Protestations.)
Mme la présidente. Cher collègue, je vous ai donné la parole pour une mise au point au sujet d’un vote !
M. François Grosdidier. J’ai toujours été opposé à cette proposition !
Mme la présidente. Cher collègue, une mise au point n’est pas une explication de vote !
Acte vous est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
La parole est à Mme Colette Mélot, pour une mise au point au sujet d’un vote.
Mme Colette Mélot. Madame la présidente, ma mise au point porte sur scrutin n° 113 relatif à l’article 9 du projet de loi pour une école de la confiance. Il a été indiqué que mon collègue Franck Menonville et moi-même, pour le groupe Les Indépendants, n’avions pas pris part au vote. Or nous souhaitions voter pour cet article.
Mme la présidente. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
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Création d’une taxe sur les services numériques
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant création d’une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés (projet n° 452, texte de la commission n° 497, rapport n° 496).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons aujourd’hui en séance publique le projet de loi sur la taxation des géants du numérique et sur la modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 250 millions d’euros.
Pour avoir suivi attentivement vos débats en commission, j’ai vu émerger deux grandes inquiétudes auxquelles je voudrais répondre, car je n’aime pas voir des sénateurs inquiets !
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Première inquiétude, nous aurions abandonné notre politique de l’offre. Je tiens à vous rassurer : tant que je serai ministre de l’économie et des finances,…
M. Bruno Sido. Pour combien de temps ?
M. Bruno Le Maire, ministre. … nous maintiendrons une politique de l’offre. C’est le choix qui a été fait par le Président de la République, et c’est l’engagement qu’il a pris au cours de sa campagne présidentielle.
Cet engagement sera tenu non par obstination, mais tout simplement parce qu’il donne des résultats. La seule manière de consolider notre économie et la compétitivité de nos entreprises tout en garantissant prospérité et emploi à nos compatriotes, c’est de maintenir une politique de l’offre, de redresser la compétitivité des entreprises françaises, d’améliorer la qualité des produits qu’elles fabriquent, de soutenir l’innovation, l’investissement, la recherche et de permettre à notre économie d’être l’une des plus performantes au XXIe siècle.
De ce point de vue, je veux vous confirmer que nous atteindrons bien le taux de 25 % pour l’impôt sur les sociétés applicable à toutes les entreprises d’ici à 2022. Soucieux de transparence, je rappelle qu’un débat a eu lieu. On nous conseillait, pour réaliser de promptes économies, de reporter au-delà de 2022 cette baisse du taux de l’impôt sur les sociétés à 25 % pour certaines entreprises.
La décision a été prise par le Président de la République : le taux de l’impôt sur les sociétés sera de 25 % pour toutes les entreprises françaises, sans exception, en 2022. C’est l’un des enjeux majeurs de compétitivité pour notre économie et c’est l’une des conditions du rétablissement de notre attractivité.
Si nous entrons enfin pour la première fois dans le top 5 des nations les plus attractives de la planète, c’est précisément parce que nous avons une politique fiscale attractive et que nous tenons nos engagements : un impôt sur les sociétés à 25 % en 2022 pour toutes les entreprises, même les plus grandes d’entre elles.
Certains nous ont reproché, en décalant la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés, de viser un rendement afin de nous aider à financer des mesures. On ne peut pas nous reprocher à la fois de ne pas dévoiler nos batteries sur le financement des mesures et d’en préciser les modalités quand nous le faisons.
Je rappelle que le décalage de la trajectoire de l’impôt sur les sociétés rapportera 1,7 milliard d’euros en 2019 et participera au financement d’un certain nombre de mesures annoncées.
Je tiens à le redire avec fermeté, nous maintenons cette politique de l’offre. Regardez les choix qui ont été confirmés par le Président de la République lors de sa conférence de presse : nous maintenons la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, en allégement de charges et nous faisons l’intégralité de la bascule du CICE en allégement de charges en 2019. Cela demande du courage !
Beaucoup nous incitaient à ne faire qu’une seule partie de la bascule du CICE en allégement de charges, ce qui nous aurait permis de récupérer quelques milliards d’euros d’économies. Si nous n’avons pas fait ce choix, c’est précisément pour avoir un coût du travail compétitif par rapport à nos grands concurrents européens. C’est bien l’intégralité du CICE qui sera transformée en allégement de charges, ce qui évitera les décalages de trésorerie pour les entreprises et nous permettra d’avoir un coût du travail aussi compétitif que celui de nos voisins allemands.
Le choix de la suppression de l’impôt sur la fortune, l’ISF, a été maintenu et Dieu sait qu’il a pu être contesté ! La création d’un prélèvement forfaitaire unique pour les revenus du capital à 30 % a été maintenue. Tous les éléments fondamentaux de la politique de l’offre – l’impôt sur les sociétés au taux de 25 % pour toutes les entreprises, l’allégement de la fiscalité sur le capital, la transformation du CICE en allégement de charges – ont donc été maintenus par le Président de la République, confirmant le cap d’une politique de l’offre pour la nation française.
Je le dis avec d’autant plus de fermeté que ces choix produisent des résultats : nous sommes désormais une des nations les plus attractives en matière d’investissements étrangers, lesquels, je le rappelle, créent des emplois directs pour nos compatriotes : 34 000 emplois en découlent. Ce résultat positif est nécessaire à notre économie, comme vous le voyez vous-même sur vos territoires.
Je me suis ainsi rendu récemment à Arras, dans une usine du glacier Häagen-Dazs, qui y a investi près de 200 millions d’euros. Ce sont des emplois directs, des emplois qualifiés, dont nous avons besoin !
Notre taux de chômage est au plus bas depuis 2009 ; nous ouvrons plus d’usines que nous n’en fermons ; pour la première fois depuis dix ans, nous créons de nouveau des emplois industriels. Nous tenons le bon bout et les résultats commencent à se faire sentir, il serait incohérent de changer de politique. Nous poursuivons donc cette politique de l’offre à laquelle je suis attaché.
M. Richard Yung. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Votre seconde inquiétude concernait la taxation même des géants du numérique, qui est au cœur de nos discussions aujourd’hui. Vous avez mentionné plusieurs éléments de préoccupation auxquels je voudrais répondre.
Le premier était que cette taxe ne soit pas temporaire, mais permanente ; vous considérez qu’il vaudrait mieux en limiter la durée à trois ans. Je ne partage pas ce constat ni cette stratégie.
Revenons sur l’histoire de cette mesure, qui découle d’une proposition faite par la France en juin 2017 dans le cadre européen, à partir d’un constat simple que je ne cesserai de marteler, pour m’opposer aux contre-vérités que j’entends parfois à l’extérieur de cet hémicycle : les géants du numérique, qu’ils soient américains, européens ou chinois, paient quatorze points d’impôt en moins que nos grandes entreprises, nos PME, nos TPE ou nos commerces.
M. Bruno Sido. Ce n’est pas normal !
M. Bruno Le Maire, ministre. C’est inacceptable et je ne m’y résignerai jamais.
Il est indispensable de rétablir de la justice fiscale et de faire en sorte que ceux qui utilisent les données de nos compatriotes et de nos entreprises contribuent à l’impôt au même niveau que les entreprises françaises. Il n’y a aucune raison qu’ils paient quatorze points d’impôt sur les sociétés de moins !
M. Bruno Sido. C’est exact !
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous avons donc fait cette proposition, avec, ensuite, nos amis et partenaires allemands.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Voyons, c’est une fable !
M. Bruno Le Maire, ministre. En septembre 2017, nous avons été rejoints par d’autres États : l’Italie, le Royaume-Uni et l’Espagne. Nous étions donc cinq à proposer cette taxation des géants du numérique, un nombre insuffisant pour mobiliser la Commission européenne et obtenir le dépôt d’une directive.
Au Conseil européen informel de Tallinn, en octobre 2017, nous avons réussi à rassembler sur notre position dix-neuf États européens pour affirmer qu’il fallait taxer les géants du numérique parce que nous ne pouvions pas nous satisfaire de cette situation d’injustice fiscale, ce qui a conduit la Commission européenne à déposer, en janvier 2018, une proposition de taxation des géants du numérique.
Celle-ci reposait sur le chiffre d’affaires, parce qu’il est trop compliqué de distinguer comment les bénéfices sont réalisés à partir des données. Cette solution n’est pas idéale, mais elle est robuste.
Dans les mois qui ont suivi, nous avons essayé d’entraîner l’intégralité de nos partenaires européens, puisque les décisions fiscales se prennent à l’unanimité, mais nous avons échoué à convaincre le Danemark, la Suède, la Finlande et l’Irlande de rejoindre le mouvement. J’avais pourtant accepté, par souci de consensus et de compromis, de limiter la portée de cette taxe en ne la faisant plus peser que sur un seul aspect du numérique et pas sur les trois, comme la Commission européenne l’avait initialement envisagé.
Voyant que nous n’arrivions pas à un accord au niveau européen, faute de consensus, j’ai proposé au Président de la République et au Premier ministre que, comme l’Autriche, le Royaume-Uni, l’Italie ou l’Espagne, nous prenions une disposition nationale, qui vous est soumise aujourd’hui.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. J’ai toujours été très clair sur ce point : le jour où une solution internationale existera, nous abandonnerons cette taxation nationale. Dans nos discussions à l’échelle internationale, avec nos partenaires américains ou dans le cadre de l’OCDE, la France sera plus forte en faisant valoir ce levier d’une taxation nationale. Si nous introduisions une clause d’extinction dans notre propre texte de loi, nous pratiquerions une forme de désarmement unilatéral !
M. Benoît Huré. Absolument !
M. Bruno Le Maire, ministre. Pour un pays attaché, comme l’est la France, à la dissuasion, c’est une solution que je ne recommande pas. (MM. Richard Yung, Yvon Collin, Philippe Bonnecarrère, Roger Karoutchi et Bruno Sido applaudissent.)
Je vous propose donc de maintenir cette taxe nationale, que je prends l’engagement de retirer dès qu’un consensus aura été trouvé à l’OCDE.
Votre deuxième élément d’inquiétude concernait la supposée fragilité juridique de ce dispositif. C’est un argument parfaitement recevable, car toutes les questions fiscales sont complexes. Je veux toutefois vous rassurer quant aux précautions que nous avons prises en ce qui concerne la solidité juridique de cette taxation.
Au niveau national, le Conseil d’État a validé ce projet de loi ; au niveau européen, j’ai décidé de retenir les modalités européennes de taxation du numérique, même si celles-ci sont critiquables, par souci, précisément, de solidité juridique. J’ai ainsi écarté toute autre base fiscale que le chiffre d’affaires. Ce n’est pas idéal, je l’ai dit, mais c’est la solution la plus robuste et la moins contestable juridiquement.
C’est la raison pour laquelle nous nous en sommes tenus à cette méthode, en écartant l’idée d’un barème progressif qui était, certes, séduisante : nous aurions pu ainsi établir un taux à 1 %, un autre à 3 %, un autre, encore, à 5 % en fonction du niveau de chiffre d’affaires des entreprises, par souci de justice et d’équité. Il se trouve que, juridiquement, cette proposition affaiblissait la taxation du numérique, je ne l’ai donc pas retenue.
Nous avons également exclu certains services financiers inclus, à l’origine, dans le champ de la taxe et sur lesquels le Conseil d’État nourrissait des doutes. Il est vrai que proposer des services financiers sur internet ne crée pas nécessairement de la valeur par effet de réseau et donc n’entre pas dans le champ de la taxe.
Pour ces raisons, nous estimons qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter de la solidité juridique de cette mesure ni au niveau national ni au niveau européen. Par ailleurs, nous ne la notifierons pas à la Commission européenne, car cela retarderait de plusieurs mois l’entrée en vigueur de cette taxe et affaiblirait les négociations à l’OCDE, qui vont reprendre dès cette semaine. J’y serai demain pour discuter de ces sujets et j’ai bon espoir que nous parvenions à un accord d’ici à la fin de l’année.
Vous le voyez, tout est question de levier dans la négociation. Faudra-t-il, à un moment donné, préparer un rapport afin d’être plus transparent ? Je suis ouvert à toutes les propositions, pourvu que cela ne ralentisse pas l’entrée en vigueur de la taxe.
Troisième élément d’inquiétude : la taxe nationale serait dangereuse pour la compétitivité de nos entreprises. Je tiens simplement à indiquer que nous avons défini le champ le plus responsable possible et, surtout, que nous avons ciblé les entreprises dont le chiffre d’affaires numérique, et seulement numérique, est supérieur à 750 millions d’euros dans le monde et à 25 millions d’euros en France, c’est-à-dire celles qui sont les plus créatrices de valeur dans ce domaine.
Il ne me semble donc pas souhaitable d’élargir le champ de cette taxe ni de revenir sur ses modalités, calquées, je vous le rappelle, sur la proposition européenne.
Enfin, un débat s’est fait jour sur l’élargissement de cette taxe à la vente directe sur internet. Cette question est très différente, mais je suis prêt à en débattre le moment venu. Ce que nous taxons ici, c’est la valeur provenant de l’effet de réseau créé par l’accumulation de données grâce auquel on sait quel type de cravate ou de costume vous portez, quel type d’hôtel ou de restaurant vous appréciez, de manière à cibler la publicité sur vos habitudes de consommation. De la valeur est ainsi créée, qui n’est pas taxée. Par souci de justice, nous allons le faire.
Le cas des commerçants qui décident de vendre par internet des produits qu’ils réalisent eux-mêmes est très différent. Il peut y en avoir dans vos territoires : ils pratiquent la vente directe en ligne, qui n’est pas de la création de valeur par accumulation de données.
Faut-il taxer cette activité au même niveau que les autres commerces ? Je n’ai pas la réponse, mais je suis prêt à en débattre à un autre moment. Vous voyez bien, toutefois, que c’est un sujet très différent. Cela ouvrirait fortement le champ de la taxation pour beaucoup de commerçants indépendants qui créent des produits, parfois agricoles, et les vendent en ligne, mais qui ne s’en sortiraient pas avec une boutique physique, au risque de remettre en cause l’équilibre économique de beaucoup de petites entreprises en France. Je suis prêt à en discuter, mais ce n’est pas comparable à la taxation des géants du numérique qui nous occupe aujourd’hui.
M. Benoît Huré. Merci de le préciser !
M. Bruno Le Maire, ministre. Tels sont les éléments que je souhaitais vous apporter. Je ne vous cache pas que la majorité, le Gouvernement et le Président de la République ont l’ambition de bâtir, au XXIe siècle, une fiscalité plus juste et plus efficace. Cette taxation du numérique est la première brique de la construction d’une taxation internationale conforme à cet objectif : il n’est pas acceptable que des géants du numérique utilisent les données des Français et ne paient pas au Trésor public français leur juste part d’impôts.
Cette mesure doit toutefois être complétée par d’autres dispositions, sur lesquelles nous allons nous battre également.
Tout d’abord, il faudra définir un taux d’impôt minimal sur les sociétés. De la même manière que je ne peux pas accepter que des géants du numérique paient moins d’impôts qu’une TPE française, je ne peux pas non plus admettre que de grandes multinationales récoltent des données et fassent des profits à partir du consommateur français, pour ensuite délocaliser ces bénéfices dans un paradis fiscal où ils ne paieront pas le montant d’impôt sur les sociétés dont ils devraient s’acquitter. Nous allons donc nous battre dans le cadre du G7 des ministres des finances pour un juste assujettissement minimal à l’impôt sur les sociétés.
Ensuite nous devons tirer les leçons de ce qui s’est passé dans l’Union européenne. C’est décisif. Il n’est pas agréable, après deux ans de négociations, après avoir obtenu l’accord de vingt-trois États sur vingt-sept, d’échouer parce que quatre États sont en mesure, seuls, de s’opposer à la décision des autres en raison de règles institutionnelles obsolètes. En matière fiscale, l’unanimité est une impasse et les impasses, il faut en sortir ! Je propose donc que nous passions à la majorité qualifiée pour les décisions fiscales. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Je me réjouis de vous retrouver pour ce débat auquel je vous remercie de participer aussi nombreux. La question de la fiscalité des géants du numérique est essentielle et je souhaite que nous puissions trouver un accord sur le projet de loi proposé par le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le ministre, je vous ai bien entendu, mais pour mettre fin à la règle de l’unanimité, il faut l’unanimité ! C’est le serpent qui se mord la queue !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il faut donc sortir du traité !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Je ne partage pas tout à fait votre enthousiasme, car à la dernière réunion, les Allemands nous ont répondu Nein ! quand on leur a parlé de cette taxe. Vous êtes germaniste, monsieur le ministre, vous n’aurez donc pas besoin de traduction ! (Sourires.)
À la lecture du compte rendu des travaux de la commission des finances, vous avez perçu certaines inquiétudes, qui sont, à mes yeux, parfaitement légitimes.
Sur les deux aspects que nous allons aborder dans ce débat, nous sommes à contre-courant. Tous les pays européens baissent l’impôt sur les sociétés, alors que la France fait le choix de différer cette baisse, au moins pour les grands groupes, même si vous indiquez que l’objectif reste bien 2022. Quant à la taxe sur le numérique, je nuancerai vos propos : hormis la Hongrie, aucun pays d’Europe n’a, à ma connaissance, institué une telle taxe. En Europe du Sud, l’Espagne a différé son application et l’Italie ne l’a pas mise en œuvre ; au Royaume-Uni, elle est à l’état de projet. Nous serons donc les premiers et nous essuierons les plâtres.
M. Richard Yung. Et alors ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Vous comprendrez que, sur ce sujet, on puisse exprimer certaines inquiétudes.
Revenons sur les deux objectifs qui président à ces deux aspects. Le premier est un objectif de rendement, ne nous leurrons pas. Il s’agit de disposer des moyens nécessaires pour financer les mesures d’urgence qui ont été votées ici sur proposition du Gouvernement en réponse à la fameuse crise que le pays a connu en fin d’année. Le second, que nous partageons, est un objectif d’équité fiscale envers les géants du numérique, les Gafa. Nous nous rejoignons tous sur ce point.
Nous ne contestons pas ces objectifs et nous pouvons même les partager.
Quant aux deux mesures que nous examinons, la création d’une taxe sur les services numériques et la modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés, elles étaient annoncées depuis la fin de l’année 2018 et ne sont donc pas des surprises. Elles ne constituent pas, pour autant, des réponses satisfaisantes.
Tout d’abord, l’adoption de 10,8 milliards d’euros de dépenses supplémentaires votées dans l’urgence, de manière un peu contrainte, bouleverse l’équilibre budgétaire. Nous nous souvenons tous des conditions désastreuses dans lesquelles ces mesures ont été adoptées en loi de finances. Le Gouvernement avait alors annoncé qu’il mettrait les grandes entreprises à contribution dès 2019. L’objectif était clair : il s’agissait de reprendre d’une main ce que l’on avait donné de l’autre, de récupérer ainsi une partie du gain de trésorerie dont les entreprises ont bénéficié grâce à la bascule du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi en baisse de charges. C’est l’objet de l’article 2, qui doit rapporter 1,7 milliard d’euros, comme vous venez de nous le confirmer, sur les 2,1 milliards de recettes attendues dans le présent projet de loi.
De nouvelles recettes sont prévues, donc, alors que vous avez été silencieux sur les dépenses. Certes, 1,5 milliard d’économies sont annoncées sur le budget de l’État en 2019, mais personne ne sait aujourd’hui d’où elles proviendraient.
Cette nouvelle trajectoire signifie incontestablement qu’il y aura une contribution exceptionnelle, sous forme de fiscalité supplémentaire par rapport à ce qui était annoncé, pour les 765 grandes entreprises concernées.
Or nous avons un désaccord : vous nous dites que l’objectif reste 2022, mais, à mon sens, cette modification envoie un très mauvais signal en matière de stabilité fiscale aux investisseurs internationaux, puisqu’il s’agit de revenir sur un engagement.
Notre inquiétude naît, monsieur le ministre, de ce que vos récentes déclarations laissent entrevoir, au-delà de cette mesure exceptionnelle portant sur la seule année 2019, une prolongation du dispositif. Nous craignons que vous nous fassiez le même coup dans le projet de loi de finances pour 2020, ainsi que la lecture attentive du programme de stabilité pour les années 2019 à 2022 le laisse penser.
En effet, les fonds manquent d’ores et déjà et vous nous annoncerez sans doute lors de l’examen du prochain projet de loi de finances que vous reportez de nouveau cette baisse de l’impôt sur les sociétés, au moins pour les grandes entreprises. Vous affirmiez pourtant encore à l’instant que l’objectif reste d’atteindre un taux de 25 % en 2022.
Nous serons très vigilants sur ce point ; au-delà de cette année un peu exceptionnelle, une nouvelle modification de la trajectoire de baisse serait évidemment inacceptable.
Une question se pose pourtant : dès lors que l’on diffère la baisse, comment parvenir au niveau voulu en 2022 ? En effet, en cas de nouveau report en 2020, la marche serait encore plus haute, puisque le maintien d’un objectif de taux à 25 % à partir de 2022 induirait une perte de recettes de 6 milliards d’euros en deux ans pour l’État. Cela me semble difficilement soutenable, compte tenu des autres baisses que vous avez annoncées, en particulier en matière d’impôt sur le revenu. Cet engagement n’est pourtant pas un cadeau, mais une nécessité pour notre économie : il y va de notre compétitivité au niveau international.
J’en viens maintenant au premier point, qui est au cœur de notre débat : la création de cette taxe à la française sur les services numériques. Vous l’avez rappelé, il est apparu clairement, en décembre dernier, que la solution temporaire proposée par la Commission ne pouvait être acceptée – je ne reviens pas sur le problème de la règle de l’unanimité ; le Gouvernement a donc proposé de transcrire cette proposition européenne dans notre droit national. Tous les orateurs le diront sans doute, nous ne pouvons que partager cet objectif. Personne ne conteste, en effet, que nombre de sociétés ne paient pas un juste impôt en France et qu’il convient d’y remédier.
Toutefois, la taxe qui nous est proposée est loin d’être parfaite et pose des difficultés juridiques et pratiques. Il est ainsi proposé d’introduire une taxe de 3 % sur le chiffre d’affaires des grandes entreprises, une solution de court terme qui avait été proposée par la Commission européenne. Visant une trentaine de groupes, cette taxe concernerait uniquement les services reposant sur le travail gratuit fourni par les utilisateurs.
Cependant, depuis la lettre que vous avez signée à l’été 2017 pour appeler de vos vœux une solution européenne, le contexte a singulièrement changé au niveau international. Pascal Saint-Amans le disait la semaine dernière, les négociations à l’OCDE progressent à grands pas et nous sommes relativement proches d’une solution, grâce, notamment, à l’évolution de la position américaine. Des avancées importantes auraient d’ores et déjà été actées et laisseraient entrevoir un accord, sans doute d’ici à la fin de 2021.
En matière fiscale, la France a parfois fait beaucoup de mousse, mais dans la réalité, la position américaine, comme dans le cas de la réglementation Fatca – pour Foreign Account Tax Compliance Act –, ou les avancées obtenues au sein des instances internationales, telles que l’OCDE ou les G7, jouent un rôle beaucoup plus important que les évolutions unilatérales.
C’est pourquoi la commission a souscrit à l’objectif de répondre rapidement à l’inadaptation des règles actuelles du système fiscal international au regard de la numérisation des échanges dont peuvent bénéficier les entreprises du numérique.
Je rappelle, à cet égard, que l’écart de taxation chiffré par la commission entre les multinationales traditionnelles et celles du numérique est de quatorze points. À mon sens, seule une solution internationale, au niveau de l’OCDE, serait efficace. Une telle solution peut maintenant être envisagée à court terme – 2021, c’est demain. C’est pourquoi la commission a expressément inscrit dans le projet de loi le caractère temporaire de la taxe nationale proposée, cantonnant son application à trois exercices, de 2019 à 2021.
Vous indiquez, monsieur le ministre, qu’en agissant ainsi, nous serions battus en rase campagne ; mais l’OCDE nous dit au contraire que, pour aider aux négociations internationales, il faut fixer un terme à notre dispositif. Après trois ans, nous basculerons dans le dispositif de l’OCDE qui prendra sans doute le relais. Si nous ne parvenions pas à nous accorder et qu’une solution n’était pas trouvée en 2021, nous prolongerions la taxe nationale. Ce qu’une loi fait, une autre peut le défaire !
M. Bruno Sido. C’est tout de même fort compliqué !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. La commission a ainsi souhaité sécuriser un dispositif imparfait, qui constitue une solution de repli.
Cette taxe ne présente pas que des avantages, elle a aussi de nombreux inconvénients, vous l’avez vous-même reconnu. Sur le plan économique, un dispositif qui taxe le chiffre d’affaires est perfectible, car il pèse sur la trésorerie des entreprises, y compris celles qui perdent de l’argent.
Sa répercussion sur les utilisateurs ne doit pas non plus être négligée : ne nous faisons pas d’illusion, quelqu’un paiera à la fin, et ce sera l’utilisateur ! Une grande entreprise – Booking – nous a même indiqué qu’elle allait créer une taxe « Le Maire » qui apparaîtra sur chaque réservation d’hôtel en Espagne, en Italie ou en France. Monsieur le ministre, au moins votre taxe bénéficiera-t-elle de cette notoriété !
En outre, cette taxe a également pour conséquences de s’ajouter à l’impôt sur les sociétés et emporte donc un effet collatéral de double imposition. Nous vous proposerons une solution, sans doute imparfaite : la déduction de la contribution sociale de solidarité des sociétés, la C3S.
Un autre inconvénient majeur est que le dispositif sera très complexe à mettre en œuvre. Vous avez fait le choix d’une procédure entièrement déclarative. Je vais le dire de manière plus brutale : les entreprises paieront ce qu’elles voudront parce que l’administration fiscale est incapable d’établir de manière certaine leur chiffre d’affaires en France – messieurs les conseillers, ne me regardez pas comme cela, c’est la vérité ! Avec le président de la commission, nous avons rencontré les services fiscaux.
Comment, dès lors, s’assurer qu’une entreprise déclare les bons montants ? L’évaluation des recettes – 400 ou 500 millions d’euros – est donc très incertaine.
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le rapporteur.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. J’en termine, madame la présidente, mais cela vaut la peine ! Nous avons été échaudés dans le passé par des initiatives, comme la taxe de 3 % ou la tranche d’imposition à 75 % sur les revenus, qui nous ont laissé un souvenir amer, alors même que les prédécesseurs des conseillers ici présents nous avaient expliqué que nous ne prenions aucun risque. Je souhaite donc que l’on sécurise ce dispositif en le notifiant à la Commission européenne afin de nous assurer qu’il ne soit pas considéré comme une aide d’État. J’ai déposé un amendement en ce sens.
Mme la présidente. Il faut vraiment conclure, monsieur le rapporteur !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Je vous propose donc de limiter juridiquement cette taxe dans le temps avant que l’OCDE ne trouve une solution définitive. D’autres pays ont fait le choix d’attendre, nous prenons un risque, que cet encadrement permettra de limiter. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Rambaud. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. Didier Rambaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la numérisation de l’économie pose des défis sans précédent aux États dans leur pouvoir de lever l’impôt, remettant ainsi en cause l’un des aspects essentiels de la fiscalité : son caractère national.
Ces défis, le Sénat les connaît. Beaucoup de nos collègues ont travaillé sur ces questions, particulièrement au sein de notre commission des finances. Je salue ici le travail fait dans le passé et le travail d’aujourd’hui. Les amendements qui ont été présentés par le rapporteur en sont une illustration fidèle.
À titre d’exemple, en 2012, le rapport d’information de Philippe Marini sur la fiscalité numérique concluait que les entreprises du numérique étaient, en Europe, assujetties à un taux moyen de 9 % pour l’impôt sur les sociétés, alors que ce taux s’élevait à 23 % pour les entreprises dites traditionnelles du secteur physique.
Cette rupture du principe d’égalité devant les charges publiques, principe qui est au cœur de notre pacte républicain, constitue le point de départ de notre discussion. Chacun doit payer sa juste part de contribution aux charges publiques et chacun, entreprise ou particulier, doit se voir appliquer également la loi fiscale. À défaut, c’est notre modèle social qui est menacé, alors que chaque atteinte aux principes fondateurs de notre République est vécue comme une injustice insupportable par nos concitoyens.
L’économie numérique est l’économie de demain, ne pas s’intéresser à la taxation du numérique et attendre les autres pays serait une véritable capitulation. Il revient aux responsables politiques de répondre à ces injustices et c’est ce que vous avez fait, monsieur le ministre, avec le gouvernement auquel vous appartenez. Vous présentez au Parlement un texte de justice fiscale, mais aussi d’efficacité.
Justice, face au différentiel de quatorze points entre les entreprises numériques et les entreprises traditionnelles dans le paiement de l’impôt ; efficacité, parce qu’il s’agit de flux économiques qui échappent à l’impôt en France, alors que la valeur est créée dans notre pays, grâce aux utilisateurs français.
Les habitudes de recherche des utilisateurs sur un célèbre moteur sont par exemple collectées et permettent d’améliorer la plateforme, donc d’accroître sa valeur. Plus il y a de recherches, plus la plateforme est valorisée et plus elle est monétisable par des annonceurs. Cet effet de réseau se fait sans présence physique et permet d’éviter l’impôt en France et même, en réalité, d’éviter une grande partie de l’impôt qui serait dû dans un schéma classique.
Mes chers collègues, nous dénonçons cette situation depuis plus de dix ans. Il est maintenant temps d’agir et c’est ce que vous faites, monsieur le ministre. Cette taxe de 3 % sur le chiffre d’affaires numérique réalisé en France ne touchera que les plus grandes entreprises du numérique grâce au double seuil cumulatif. Ne seront assujettis que les secteurs créant le plus de valeur : la publicité ciblée en ligne, la vente de données à des fins publicitaires et la mise en relation des internautes par les plateformes.
Cette taxe sur les services numériques n’est pourtant qu’une première étape, d’abord, parce que la réponse à la numérisation de l’économie ne peut être nationale. Son histoire a été rappelée : elle est directement inspirée d’une proposition de directive européenne qui n’avait pu recueillir un accord unanime.
Elle n’est qu’une première étape, ensuite, parce qu’un dispositif qui taxe le chiffre d’affaires des plus grandes entreprises du numérique est imparfait : il ne permet pas de cerner le lieu où s’exerce l’activité, mais seulement celui où se situent ceux qui en bénéficient. En outre, il ne répond pas à la possibilité dont disposent ces entreprises de déplacer leur résultat dans des pays à faible fiscalité ou de délocaliser les bénéfices dans des paradis fiscaux.
Si nous décidons de taxer ces entreprises qui ne paient pas leur juste part d’impôt, c’est parce que les règles de l’impôt ne sont plus adaptées à l’économie.
Ainsi, et en suivant le droit, le 12 juillet 2017 le tribunal administratif de Paris a jugé que Google Irlande ne disposait d’aucun établissement stable en France, parce que Google France ne pouvait engager juridiquement la société et a ainsi annulé le redressement fiscal de plus de 1 milliard d’euros infligé à Google par le fisc français.
Dès lors que le principe de territorialité de l’impôt sur les sociétés françaises exempte les bénéfices réalisés par une société française lorsqu’ils le sont au moyen d’une entreprise exploitée à l’étranger, il est difficile de ne pas accepter la réciproque.
Ces règles nouvelles devront émerger d’un cadre multilatéral. Celui-ci existe : c’est l’OCDE, laquelle, après avoir défini un plan d’action en juillet 2013 contre l’érosion des bases en matière de fiscalité des entreprises, a lancé très récemment un programme de travail pour trouver une solution technique.
Plusieurs modèles s’opposent : l’un fondé sur la « participation de l’utilisateur », un autre sur les « biens incorporels de commercialisation » – solution défendue par les États-Unis – ou encore un dernier qui retient le critère de la « présence économique significative » – soutenu par plusieurs pays.
Ces modèles reposent sur des conceptions opposées de l’économie numérisée et de la manière dont elle doit être fiscalisée. Dans quelle mesure la valeur provient-elle de la participation de l’utilisateur par l’effet de réseau que j’ai évoqué et relativement aux biens de commercialisation ? Les pays membres de l’OCDE devront trancher d’ici deux ans.
En attendant, la France doit appliquer une mesure temporaire de justice entre les entreprises traditionnelles et celles du numérique.
En commission des finances, nous avons complété le texte par des dispositions utiles, comme l’application de la règle de détermination du coefficient de présence numérique pour l’année 2019 à l’assujettissement et non à la seule liquidation.
Notre groupe votera ce projet de loi : attendu par les Français – le grand débat national, notamment, l’a montré –, il apporte une réponse temporaire, mais nécessaire à l’évitement de l’impôt par les grandes entreprises du numérique ! (M. Richard Yung applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les acronymes sont parfois trompeurs. Ainsi, nous devrions discuter de la mise en place d’une taxe visant les Gafa, acronyme désignant les grandes firmes multinationales que sont Google, Amazon, Facebook et Apple. Or si nous discutons bien des Gafa, votre projet de loi, monsieur le ministre, correspond à une autre signification de cet acronyme : grand affichage fiscal annuel du Gouvernement… Car, comme bien souvent, votre gouvernement utilise l’outil fiscal pour faire de la communication plutôt qu’une politique efficace !
Le crime est d’ailleurs avoué, puisque vous l’avez vous-même expliqué il y a quelques instants : vous favorisez les plus aisés, les plus puissants, au détriment de la justice sociale.
De fait, face au chômage, vous perpétuez les cadeaux fiscaux inefficaces, à l’instar du CICE. Face à l’inégalité des taux d’imposition, vous mettez en œuvre l’injuste flat tax sur les revenus financiers… sans oublier la suppression de l’ISF et la baisse de l’impôt sur les sociétés.
Vous avez parlé de fermeté, monsieur le ministre : je vous reconnais cette qualité. Mais de courage il ne saurait être question : c’est affaire de choix politiques et économiques, de choix de société ! Personne, ni vous ni le sénateur que je suis, n’a la vertu du courage dans ce domaine.
Vous parlez de votre politique de l’offre. Cette politique, vous l’avez menée, tranquillement, depuis le début : vous chassiez à droite, parce que vous êtes un homme de droite.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Ce n’est pas honteux !
M. Pascal Savoldelli. Je respecte d’ailleurs votre opinion politique.
Vous nous parlez d’emploi, mais 16 200 postes ont été créés l’année dernière… L’Insee a recensé 32 000 personnes à la limite du chômage aux troisième et quatrième semestres de 2018 : et ça irait mieux, vraiment ?
La proposition de taxation du numérique découle de la même logique : l’affichage plutôt qu’une fiscalisation efficace. De fait, les grandes firmes multinationales sont épargnées, au détriment de leur contribution à la solidarité nationale.
Mes chers collègues, si le principe d’une taxe sur les services et activités numériques est juste et nécessaire, ce projet de loi ne permettra pas, en l’état, d’atteindre les objectifs ambitieux auxquels il doit tendre. Sa conception, en effet, est beaucoup trop restreinte, alors que l’économie numérique s’apparente à une nouvelle révolution industrielle : les modes de production, d’échanges et d’implantation des firmes se transforment. En France, trois entreprises sur cinq sont passées au big data et 5,5 % du produit intérieur brut découlent directement du numérique.
Surtout, le distinguo entre numérique, services et économie productive est désormais largement dépassé dans la réalité des grandes firmes françaises et européennes.
Votre projet, monsieur le ministre, étroitement centré sur les interfaces numériques permettant aux utilisateurs d’entrer en contact entre eux et d’interagir directement, laissera de côté de grandes firmes multinationales très actives dans la sphère numérique, qui échappent déjà largement à l’impôt. À titre d’exemple, Netflix, PayPal ou encore Apple n’entrent pas dans le champ de ce que vous proposez ! Vous vous targuez de modernité, mais, en réalité, vous êtes en retard sur l’évolution des marchés et de l’économie…
Ainsi, au-delà de l’assiette, les seuils retenus sont bien trop élevés pour appréhender effectivement les acteurs du numérique dans leur diversité. Seules une trentaine d’entreprises au plan mondial seraient touchées par la taxe que vous proposez : on est bien loin de ce qui est nécessaire.
Quant au taux de 3 % proposé, il ne permettra pas de réparer l’injustice d’un impôt comparativement bien moins payé par les entreprises du numérique que par celles des secteurs traditionnels. Les rendements attendus devraient osciller entre 400 millions et 500 millions d’euros, alors que l’ISF, avant que vous ne le supprimiez, rapportait 3,2 milliards d’euros !
Pour mémoire, dans son très récent rapport sur le budget de l’État, la Cour des comptes elle-même a regretté le manque de recettes de l’État, estimant que celui-ci était le premier responsable de l’augmentation des déficits.
Les nombreuses exceptions dont est assorti le mécanisme proposé, par exemple pour les services de paiement, sont source d’inquiétudes. Nos collègues du groupe Les Républicains ont déposé des amendements pour en créer davantage encore, au point de réduire complètement le champ de la taxe !
Surtout, les entreprises auront la faculté de déduire le montant de taxe acquitté de l’impôt sur les sociétés. Est-ce là du courage ? Nombreux sont ceux, y compris à droite, qui s’interrogent : pourquoi un tel cadeau, alors qu’il était possible d’inscrire dans la loi l’impossibilité d’une telle déductibilité ? Pourquoi un tel soutien, alors que, en moyenne, les grands groupes du numérique bénéficient d’un écart d’imposition de près de quatorze points par rapport aux entreprises suivant un modèle traditionnel ? Entre les plus gros et la petite entreprise, c’est deux poids, deux mesures…
Le Gouvernement prétend être à la tête d’une offensive européenne pour la mise en place d’une taxe numérique. L’échelle continentale nous paraît en effet la bonne. Pourtant, monsieur le ministre, le projet de loi que vous nous soumettez ne fait aucune mention d’une recherche de coopération renforcée. Alors que des États membres importants comme l’Espagne, l’Autriche et l’Italie ont prévu des dispositifs similaires, on sent un manque de motivation, qui nous amène à nous interroger sur les ambitions réelles du Gouvernement.
À propos d’Europe, monsieur le ministre, votre proposition est en deçà du paquet législatif de 2018 sur la fiscalité du numérique, dans lequel la Commission européenne intégrait, elle, la notion d’établissement stable virtuel.
Chers collègues du groupe Les Républicains, certains d’entre vous semblent vouloir remettre en cause le principe même de la taxe. N’oubliez pas que, en 2016, en 2017, puis en 2018, le Sénat a adopté le principe de l’établissement stable virtuel et d’une taxe sur le numérique. Ne défaites pas aujourd’hui ce que vous avez fait hier !
Au reste, que vous le vouliez ou non, une taxe sur les services numériques est utile, nécessaire, et elle verra le jour. Ne repoussez donc pas inutilement tout projet.
S’agissant enfin de l’article 2, qui reporte temporairement la baisse de l’impôt sur les sociétés, je vous invite, une fois n’est pas coutume, à écouter les recommandations de la Cour des comptes : monsieur le ministre, ne fragilisez pas le budget de l’État en amoindrissant ses recettes !
En définitive, ce projet de loi n’aborde la question de l’économie numérique qu’à la marge : en témoignent un seuil, un taux et une assiette extrêmement réduits. S’il est mieux que rien, il est en l’état insuffisant. C’est pourquoi nous nous abstiendrons !
Mme la présidente. La parole est à M. Rémi Féraud.
M. Rémi Féraud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, quels sont les deux objectifs de ce projet de loi ?
D’abord, c’est un texte d’affichage politique, destiné à répondre à l’émotion grandissante liée aux scandales répétés de l’évasion fiscale et à l’injustice fiscale manifeste qui existe entre, d’une part, les petites et moyennes entreprises et, d’autre part, les multinationales, qui parviennent à éviter largement l’impôt.
À cet égard, la taxe sur les services numériques qui nous est proposée va dans le bon sens, mais reste très insuffisante ; on ne peut manquer de s’interroger, à la suite de la commission elle-même, sur sa portée réelle.
Ensuite, ce projet de loi s’inscrit dans le financement des mesures annoncées en décembre dernier par le Président de la République pour faire face à la colère sociale. Seulement, sur ce point, le compte n’y est pas… De fait, nous sommes loin du montant nécessaire au financement des 10,8 milliards d’euros de mesures annoncées.
Monsieur le ministre, comme M. le rapporteur l’a expliqué, la taxe sur le numérique et la suspension de la baisse de l’impôt sur les sociétés ne rapporteront qu’un peu plus de 2 milliards d’euros : comment comptez-vous financer les 8 milliards d’euros restants, auxquels s’ajoutent les 7 milliards d’euros correspondant aux mesures annoncées le 25 avril dernier ? Si vous envisagez le rétablissement d’un impôt sur la fortune ou la fin de la flat tax, vous nous trouverez à vos côtés !
Le projet de loi prévoit en premier lieu une taxe sur le chiffre d’affaires que réalisent certaines entreprises du numérique à raison du travail gratuit des utilisateurs français. Cette taxe s’inspire de celle proposée par la Commission européenne dans une directive de mars 2018, au cas où la définition d’un établissement stable numérique ne se concrétiserait pas.
Ici même, monsieur le ministre, le 28 mars 2018, vous aviez marqué votre volonté de voir cette directive adoptée au plus tard au début de l’année 2019 par tous les pays européens. Nous ne pouvons que constater l’échec de la France à mettre en œuvre, avec nos partenaires européens, ce projet d’établissement stable numérique permettant de taxer les bénéfices d’une société réalisés dans un pays, même si cette société n’y a pas d’établissement stable.
C’est cet échec, que nous regrettons, à mettre en place une solution d’imposition des bénéfices qui nous conduit cet après-midi à débattre d’une taxe nationale sur le numérique. Et c’est le souhait d’afficher une – très timide – volonté politique après la crise des « gilets jaunes » et en pleine campagne pour les élections européennes qui nous pousse à en débattre maintenant. Personne n’est dupe.
S’agissant des discussions internationales à venir, gardons-nous de crier victoire trop vite. Pour notre part, nous ne pensons pas qu’il faille borner cette taxe dans le temps : nous risquerions d’avoir à y revenir, au cas où les négociations internationales échoueraient.
L’autre partie du projet de loi consiste à freiner la baisse du taux d’imposition pour les grandes entreprises, celles qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions d’euros. Le taux appliqué en 2019 à la fraction des bénéfices excédant 500 000 euros resterait identique à celui de 2018, légèrement supérieur à 33 %.
Nous trouvons juste que les bénéfices de ces grandes entreprises soient imposés davantage, afin de participer aux mesures sociales revendiquées par nos concitoyens.
Nous savons que le taux d’impôt sur les sociétés ne représente qu’une partie de l’équation, mais il en est la partie la plus visible. Nous sommes plus que jamais dans une logique de dumping fiscal en Europe, où le moins-disant fiscal devient l’alpha et l’oméga de l’attractivité. Vous l’avez vous-même confirmé, monsieur le ministre, dans votre propos introductif, en étant presque sur la défensive pour présenter cette suspension de la baisse de l’impôt sur les sociétés.
Disons aussi qu’une entreprise multinationale investit dans un État pour la qualité de la formation de ses citoyens et celle de ses infrastructures, qui supposent des ressources fiscales et une juste répartition de celles-ci. Nous ne partageons pas votre approche sur ce point, monsieur le ministre.
L’enjeu de l’imposition des entreprises du numérique et, plus globalement, des bénéfices des multinationales dans le pays où se réalise la valeur dépasse l’équilibre budgétaire de court terme. Comme les derniers mois nous l’ont rappelé, pas de consentement à l’impôt sans justice fiscale ! Tel est aujourd’hui l’enjeu essentiel pour notre pays et pour l’Europe.
À ce stade de la discussion, nous portons un regard plutôt bienveillant sur le projet de loi, tout limité qu’il soit dans ses ambitions. Nous ne le conserverons que si celles-ci ne sont pas encore réduites par la discussion parlementaire. Nous pensons, nous, qu’il faut aller plus loin ! (Mme Victoire Jasmin applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty. (M. Emmanuel Capus applaudit.)
M. Jean-Marc Gabouty. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mondialisation des échanges associée à la numérisation des économies et à l’émergence de grandes entreprises, surtout américaines, dans le secteur des services numériques représente un véritable défi pour les systèmes fiscaux actuels, dont les fondements remontent à l’après-guerre.
Alors que le prélèvement de l’impôt, en France, repose sur le principe de territorialité, selon lequel la localisation des biens et activités permet de déterminer les contributions obligatoires, les sociétés du numérique peuvent opérer auprès d’utilisateurs situés en France sans être nécessairement implantées dans l’Hexagone ou, plus précisément, sans y avoir d’établissement stable.
Si les problèmes liés à l’optimisation fiscale par le biais d’implantations dans des pays à fiscalité plus avantageuse et par le moyen des prix de transfert intragroupe ne sont pas nouveaux, le défi posé par l’économie numérique est encore plus grand, si l’on en juge par les montants d’impôt assez faibles payés par ces grandes entreprises au regard de la valeur créée.
La définition des activités taxables est particulièrement importante et complexe. Le Gouvernement a choisi d’y inclure le ciblage publicitaire et la mise en relation des utilisateurs, mais non la vente en ligne.
Par ailleurs, plusieurs types de services proposés par les plateformes ne sont pas taxables : la fourniture de contenus de type YouTube ou Dailymotion et les services de communication comme Skype, ou encore les services de paiement. La directive européenne sur les services de paiement, dans sa deuxième version, a été transposée l’an dernier.
D’autres activités, comme le conseil en financement participatif, sont également exclues du champ de la taxe.
L’idée générale reste d’appliquer une taxe aux activités qui se rapportent à une forme de travail gratuit des utilisateurs, créateur de valeur. Diverses tentatives ont été faites avant d’en arriver à une initiative nationale.
Ainsi, des négociations ont été menées au sein de l’OCDE dans le cadre du projet BEPS, engagé sur l’initiative des dirigeants du G20 au sommet de Saint-Pétersbourg, en septembre 2013. Seulement, sur les quinze actions destinées à répondre à l’érosion de la base d’imposition et au transfert de bénéfices, la première, qui concernait la taxation de l’économie numérique, n’a pas été retenue dans l’accord multilatéral ratifié l’an dernier.
Au sein de l’Union européenne, la Commission européenne a proposé un projet de directive qui n’a pas été adopté par le Conseil, en raison du refus de certains États membres d’ouvrir le débat sur la taxation de ces activités, par crainte de contre-mesures de la part des Américains ou des Chinois. Vous avez évoqué, monsieur le ministre, la règle de l’unanimité qui s’applique dans ce domaine.
Finalement, le gouvernement français, comme d’autres gouvernements européens, a décidé de légiférer au niveau national. À ce jour, l’Italie semble avoir le projet le plus abouti, avec une Google Tax censée entrer en vigueur en juin prochain.
Dans le présent projet de loi, l’assiette choisie, une estimation du chiffre d’affaires réalisé en France à partir d’un pourcentage représentatif du chiffre d’affaires mondial, vise à reterritorialiser le chiffre d’affaires. Il ne s’agit pas de la valeur ajoutée, qui aurait été plus satisfaisante, ni du bénéfice, dont la territorialisation est beaucoup plus difficile à appréhender. Cette approche repose sur l’hypothèse qu’il existe une proportionnalité entre le nombre de transactions et les sommes encaissées, dans l’attente de la reconnaissance d’un établissement stable virtuel.
La démarche de la France n’est pas originale en soi. Le débat sur la taxation des Gafa existe depuis plusieurs années, et d’autres pays européens poursuivent des projets similaires, bien qu’une différence se remarque entre les pays du nord de l’Europe, peu enclins à instaurer cette taxe, et les pays latins, plus avancés dans cette voie.
Quoi qu’il en soit, l’objectif est avant tout d’accélérer une mise en œuvre collective de cette taxation, malgré un contexte mondial marqué par des tensions commerciales croissantes entre les États-Unis et la Chine.
En Europe, on espère un redémarrage du projet de directive, peut-être après les élections de dimanche prochain. On ne peut pas reprocher aux Français et à la France, et plus largement aux Européens, de vouloir jouer un rôle précurseur dans la réalisation d’une plus grande équité fiscale, alors qu’on demande par ailleurs plus de rigueur budgétaire.
Plus globalement, les négociations doivent être poursuivies dans le cadre de l’OCDE, ce qui justifie, à mon sens, la modification proposée par le Sénat en ce qui concerne le caractère temporaire de ce dispositif. Celui-ci pourra être renouvelé et amélioré, si, à l’échéance prévue, aucune solution européenne ou internationale n’est mise en œuvre. Les positions du Gouvernement et de la commission me paraissent à cet égard tout à fait conciliables.
S’agissant du second volet du projet de loi, le gel de la trajectoire de réduction de l’impôt sur les sociétés en 2019 pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions d’euros, il m’inspire deux remarques.
D’une part, on peut regretter une certaine instabilité juridique, pour la deuxième fois concernant le même impôt.
D’autre part, on peut comprendre la nécessité de financer les mesures d’urgence accordées en décembre dernier, puis au début du printemps, compte tenu du contexte politique et social exceptionnel.
En tout cas, nous nous félicitons que la réduction de l’impôt sur les sociétés soit maintenue cette année pour les PME et TPE.
La majorité des membres du RDSE voteront l’ensemble de ces dispositions, sauf, bien entendu, si la majorité du Sénat ou une majorité de nos collègues venait à les vider de leur sens ! (MM. Yvon Collin et Emmanuel Capus applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Delcros.
M. Bernard Delcros. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons cet après-midi de la fiscalité des grandes entreprises du numérique et de la modification, partielle et transitoire, de la trajectoire de l’impôt sur les sociétés.
Sur le premier point, nous sommes nombreux à appeler de nos vœux la mise en place d’une fiscalité plus juste sur les services numériques. Monsieur le ministre, vous avez rappelé les chiffres.
Bien sûr, la mise en œuvre pratique d’une telle fiscalité reste complexe, notamment pour établir un cadre juridique parfaitement sécurisé en dehors d’un accord international.
Il est vrai que la réponse devrait être apportée à l’échelle mondiale ; mais nous savons que, aujourd’hui, les conditions ne sont pas réunies pour y parvenir. Plusieurs pays, et non des moindres, ne sont pas, pour l’instant, sur la même position que la France. On en connaît les raisons, liées notamment aux enjeux commerciaux internationaux.
Devons-nous en tirer la conclusion qu’il ne faut rien changer, comme nous l’entendons parfois ? Je ne le crois pas. Ni la complexité de la mise en place, ni les positions contraires d’autres pays, ni même la prise de risque ne doivent nous conduire à renoncer !
En effet, comme l’a rappelé un précédent orateur, la révolution numérique transforme en profondeur notre modèle économique, et notre système fiscal devient chaque jour plus inadapté à cette nouvelle donne.
Par ailleurs, c’est une question d’équité fiscale, un sujet sur lequel nos concitoyens sont mobilisés et réclament, à juste titre, davantage de justice.
Au reste, l’équité fiscale se joue aussi entre les entreprises qui paient déjà leurs impôts en France et celles, les géants du numérique, qui profitent du lucratif marché français sans participer au bon niveau à l’effort collectif.
Il n’est pas tenable, sous le seul prétexte de la complexité ou de l’impossibilité d’un accord européen ou mondial, de continuer à taxer nos entreprises traditionnelles, nos PME, nos artisans et nos commerçants sans traiter le cas des géants du numérique !
Enfin, on ne peut pas, d’un côté, se fixer comme objectif majeur de réduire notre déficit et, de l’autre, se priver de la recette fiscale légitimement due par les géants du numérique.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Il faut aussi faire des économies !
M. Bernard Delcros. En adoptant cette taxe, la France adresserait à l’ensemble de ses voisins un signal fort, donnant par la même occasion une impulsion qui pourrait s’avérer décisive dans l’adaptation du cadre fiscal international au déploiement de l’économie numérique.
Alors, oui, malgré les difficultés, la France doit s’engager sans attendre sur la voie de la taxation des grandes entreprises du numérique. (M. le ministre opine.)
Pour ce faire, monsieur le ministre, vous nous proposez d’instaurer une taxe sur les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions d’euros au titre des services fournis au niveau mondial et à 25 millions d’euros au titre des services fournis en France. Cette taxe représentera 3 % sur les produits bruts tirés des services de ciblage publicitaire, de la transmission de données personnelles et de l’activité des places de marché du commerce en ligne.
Certes, comme plusieurs orateurs l’ont souligné, l’assiette retenue n’est pas la solution idéale. Taxer le chiffre d’affaires, c’est taxer sans distinction l’entreprise en pleine croissance qui n’enregistre pas ou peu de résultats et celle dont les résultats sont élevés. La taxation des bénéfices eût été préférable ; mais, nous le savons, elle nécessiterait la renégociation de conventions fiscales bilatérales.
La commission des finances, dont je salue le travail important, a longuement débattu de cette question. Elle a apporté au texte plusieurs modifications visant à le sécuriser et à limiter à trois années sa première mise en application – nous en reparlerons dans la discussion des articles.
Mes chers collègues, face aux géants du numérique, qui se jouent des règles fiscales traditionnelles, l’occasion nous est donnée de réaffirmer la souveraineté de l’État, garant de l’intérêt général et protecteur de l’équité fiscale.
Vous l’aurez compris, les sénatrices et les sénateurs du groupe Union Centriste se prononceront en faveur de la création de la taxe sur les services numériques, même s’il ne s’agit que d’un premier pas, avec une recette estimée à 400 millions d’euros en 2019, et qu’une solution internationale doit être trouvée.
J’en viens à l’article 2 du projet de loi, qui prévoit de déroger à la trajectoire de baisse du taux de l’impôt sur les sociétés pour les plus grandes entreprises, celles réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions d’euros, et seulement pour la fraction du bénéfice imposable supérieure à 500 000 euros. Il leur serait appliqué, pour la seule année 2019, le taux de 2018, soit 33,33 %.
J’entends l’argument selon lequel, pour donner de la visibilité aux acteurs économiques, on ne devrait pas changer les règles du jeu en cours de route. Évidemment, nous partageons tous cet objectif. Mais nous pouvons aussi considérer que nous avons une exigence de responsabilité au regard de notre déficit public, que nous souhaitons tous diminuer : celle de trouver les moyens de financer les dépenses engagées, que nous avons nous-mêmes adoptées en décembre dernier, pour redonner 10 milliards d’euros de pouvoir d’achat aux Français.
J’estime, pour ma part, que le contexte légitime la mesure proposée, qui devrait rapporter 1,7 milliard d’euros cette année, étant donné qu’elle ne remet pas en cause l’objectif d’abaissement du taux de l’impôt sur les sociétés, qui reste fixé à 25 % à horizon de 2022, et, j’y insiste, qu’elle concernera seulement les entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 250 millions d’euros.
La disposition prévue à l’article 2 constitue ainsi un levier utile, parmi d’autres, pour compenser la dépense substantielle que le Gouvernement et le Parlement ont décidée en faveur du pouvoir d’achat des Français. Au sein du groupe Union Centriste, nous serons nombreux à la voter ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme Nathalie Goulet. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi le projet de loi portant création d’une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés.
Plus précisément, l’article 1er du projet de loi instaure la taxe sur les services numériques ; son article 2 modifie la trajectoire de l’impôt sur les sociétés.
S’agissant de la taxe sur les services numériques, même si nous avons eu en commission des finances des discussions assez poussées, nous faisons tous ce constat simple : les Français ne supportent plus la pression fiscale intolérable qui pèse sur leurs épaules.
M. Jean-François Husson. Ça fait un moment que ça dure !
M. Philippe Dominati. Eh oui !
M. Emmanuel Capus. Cette pression est d’autant plus inacceptable que certaines sociétés – de même que certains particuliers, mais ce n’est pas le sujet de cet après-midi – tentent de contourner l’impôt en pratiquant ce qu’on appelle l’évitement fiscal.
Or, aujourd’hui, ce comportement n’est plus accepté, les Français ne le tolèrent plus. C’est la raison pour laquelle il est indispensable d’agir, de créer une taxe sur les services numériques, en particulier pour les sociétés multinationales qui accumulent des richesses excessives, extrêmes, et qui créent de la richesse, de la valeur, en France, sans payer d’impôt sur notre territoire, ou en en payant extrêmement peu.
Bien sûr, nous préférerions le faire à une échelle internationale ; donc faut-il passer outre ou attendre que, comme certains le préconisent, nos partenaires se décident ? Mais ces derniers le feront-ils un jour ? L’Irlande acceptera-t-elle, un jour, de taxer des sociétés qui font sa richesse aujourd’hui ? Je ne le crois pas. La réponse du groupe Les Indépendants est donc extrêmement simple : nous sommes favorables à l’instauration, dès maintenant, de la taxe sur les services numériques, pour envoyer un signal extrêmement fort à nos partenaires européens, quitte à renégocier demain, pour instituer une taxe européenne ou mondiale sur les services numériques. Selon nous, il est urgent de ne plus attendre…
Nous avons échangé longuement, en commission des finances, sur les inconvénients de cette taxe ; il y en a, cette taxe n’est certes pas parfaite.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Aucune taxe n’est parfaite !
M. Emmanuel Capus. Je partage à cet égard beaucoup des arguments du rapporteur Albéric de Montgolfier.
Bien sûr, ce serait mieux que la taxe ne porte pas sur le chiffre d’affaires ; les inconvénients d’une telle taxation, surtout pour les sociétés en progression, ont été évoqués. Bien sûr, il y a le risque de la double imposition ; certaines entreprises, vertueuses, paient déjà leurs impôts en France et risquent d’être doublement imposées. Surtout – troisième inconvénient majeur, que j’ai déjà évoqué –, il serait nettement préférable que cette taxe soit internationale, européenne.
C’est d’ailleurs pour cela que la commission des finances propose, de façon quasi unanime, que la taxe soit provisoire – cela ne me choque pas –, le temps de faire pression sur nos partenaires, afin que ceux-ci comprennent que la France est sérieuse, qu’elle ne tolérera plus que des sociétés, étrangères ou non, créent de la richesse, de la valeur, en France, sans être taxées.
Ainsi, vous l’aurez compris, le groupe Les Indépendants votera pour l’article 1er.
L’article 2 traite d’un autre sujet. Puisque vous avez lu le compte rendu de la commission des finances, monsieur le ministre, vous savez que notre groupe est extrêmement attaché à la baisse de la dépense publique, à la poursuite de la diminution des effectifs dans la fonction publique, notamment d’État, et au maintien de cet objectif, et à la baisse de la fiscalité, en particulier des sociétés. Nous serons donc très vigilants, car nous sommes favorables à la baisse de cette imposition.
Pour que nos sociétés ne décrochent pas à l’échelon international par rapport à leurs concurrents, qui sont soumis à des taux d’impôt sur les sociétés – vous l’avez rappelé – beaucoup plus faibles, il est vital qu’elles soient assujetties à un impôt plus faible. Aussi, nous sommes rassurés par le fait que le report de la baisse de l’impôt sur les sociétés – vous avez commencé par cet aspect, parce que vous avez compris que c’était l’élément essentiel, monsieur le ministre – n’était que d’une année.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. On prend les paris ?
M. Emmanuel Capus. L’objectif reste, monsieur le ministre, que, en 2022, nous atteignions un taux d’impôt sur les sociétés raisonnable – beaucoup de mes collègues sur ces travées sont très attachés à cet objectif –, qui sera plus faible que celui de certains pays concurrents, mais qui sera raisonnable ; 25 %, vous l’avez dit.
Pour toutes ces raisons, et dans les conditions que vous avez exposées – le décalage dans le temps et l’engagement de maintenir la baisse de l’impôt sur les sociétés à l’avenir –, le groupe Les Indépendants votera également pour l’article 2 tel que vous le proposez.
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le ministre, le 6 mars dernier, à l’occasion de la conférence de presse de présentation du présent projet de loi, vous faisiez preuve d’une grande ambition : « nous voulons, avec cette taxation des géants du numérique, inventer la fiscalité du XXIe siècle » ; vous venez de rappeler cette volonté.
Cela dit, plus prosaïquement, ce projet de loi vise surtout à dégager des économies pour financer, en partie, les mesures de pouvoir d’achat adoptées en décembre dernier, au plus fort du mouvement des « gilets jaunes ». Vous l’admettiez vous-même le 6 mars : cette taxe « est une question d’efficacité pour nos finances publiques ». Les mesures de pouvoir d’achat adoptées au travers de deux textes représentent respectivement 3,7 milliards et 7,3 milliards d’euros, soit 11 milliards d’euros de nouvelles dépenses.
Le présent projet de loi améliorera, au mieux, les recettes de l’État de 2,2 milliards d’euros en 2019 : de 1,7 milliard d’euros au titre du report de la baisse d’impôt sur les sociétés pour les grandes entreprises et de 500 millions d’euros pour la taxe sur les géants du numérique, selon l’estimation très optimiste du Gouvernement. Nous sommes loin de l’équilibre… Nous avons pris bonne note de la volonté du Gouvernement de réaliser 1,5 milliard d’euros d’économies sur le budget de l’État ; peut-être M. le ministre pourra-t-il nous apporter quelques informations à ce sujet, encore trop peu précisé et documenté.
Les nouvelles mesures annoncées fin avril, à l’issue du grand débat national, vont doubler le montant de la facture, qui sera en réalité essentiellement financée par le déficit public, donc par la dette, les recettes nouvelles discutées ce soir n’ayant qu’un caractère temporaire.
Aujourd’hui, seules les entreprises, notamment les champions français, sont mises à contribution pour payer la baisse de la fiscalité pesant sur les ménages. Cela passe tout d’abord par le report de la baisse de leur fiscalité : quel crédit sera donné, dans la suite du quinquennat, à la parole du Gouvernement ? Cela passe ensuite par une nouvelle taxe, qui affectera non pas uniquement les géants américains, mais aussi des entreprises françaises, et qui ne résoudra aucun des problèmes soulevés par l’e-commerce.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. C’est vrai !
Mme Christine Lavarde. Enfin, cela passera par une future hausse de leur imposition, avec la suppression annoncée de certaines niches fiscales.
Quant à la taxation des Gafa, il s’agit d’un serpent de mer. À l’instar de l’Union européenne ou de l’OCDE, le Sénat réfléchit depuis plusieurs années à la manière de mieux appréhender la capacité contributive des géants du numérique, face au développement rapide de ce secteur de l’économie. Les débats sont toujours très animés.
Les règles internationales en vigueur permettent aux entreprises de rapatrier leurs impôts dans leur pays de production, alors qu’elles ne sont pas ou sont très peu taxées sur leurs lieux de consommation. C’est notamment pour cela qu’une société comme Google, pourtant très internationalisée, paierait, selon les données disponibles, 80 % de ses impôts aux États-Unis.
Par ailleurs, ces sociétés profitent également des disparités des systèmes fiscaux européens pour faire de l’optimisation fiscale en transférant, de manière artificielle mais légale, l’essentiel de leur activité et de leurs bénéfices dans des pays où la fiscalité est plus accueillante, comme en Irlande ou au Luxembourg. Ces transferts sont facilités par le caractère immatériel des prestations commercialisées.
La règle de l’unanimité qui prévaut en matière fiscale au sein de l’Union européenne, cela a été rappelé, n’a pas permis d’aboutir à un accord européen. Le projet de directive de mars 2018, qui prévoyait une taxe sur les services numériques à l’échelle européenne, a été rejeté par plusieurs États membres, notamment l’Irlande et les pays scandinaves. L’accord a été renvoyé à 2021. L’OCDE souhaite, pour sa part, trouver un accord international en 2020.
À ces blocages politiques s’ajoute la difficulté d’établir un diagnostic réel de la fiscalité s’appliquant aujourd’hui aux Gafa. Selon le diagnostic établi par la Commission européenne, les géants du numérique paieraient en moyenne 14 points d’impôts de moins sur leurs bénéfices que les PME européennes : le taux effectif moyen d’imposition des entreprises multinationales du secteur numérique serait en effet de 9,5 %, à comparer au taux moyen de 23,2 % pour les entreprises multinationales traditionnelles. Ce constat est contesté par l’Institut économique Molinari : selon cet organisme, les Gafa seraient en réalité imposés en moyenne à hauteur de 24 %, soit autant que les entreprises européennes.
Les chiffres avancés par Bruxelles se fondent sur une étude du cabinet d’audit PwC et du laboratoire allemand de recherche en fiscalité ZEW. Cette étude a consisté à établir des simulations de la fiscalité des entreprises, sur le fondement des législations en vigueur : les auteurs ont ainsi calculé que les entreprises numériques qui font beaucoup de recherche et développement, ou R&D, bénéficient d’une fiscalité très clémente de 12 % en France et de 9 % en Europe, contre 22 % aux États-Unis.
Néanmoins, selon l’Institut économique Molinari, ces avantages fiscaux concernent avant tout les entreprises pharmaceutiques et les biotechs, et visent à aider ces entreprises à financer davantage de recherche, et non les Gafa, qui réalisent l’essentiel de leur R&D en dehors de l’Europe. Les résultats de cet Institut montrent que les Gafa se sont acquittés de 24 % d’imposition sur leurs bénéfices mondiaux durant les cinq et dix dernières années. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)
Cet Institut semble toutefois relativement isolé lorsqu’il écrit que le « niveau de fiscalité [des Gafa], loin d’être anormalement bas, est légèrement supérieur à la fiscalité moyenne constatée dans l’OCDE ».
Monsieur le ministre, pouvez-vous toutefois nous préciser sur quels fondements s’appuie votre appréciation du niveau réel d’imposition des Gafa en France, au regard de la diversité des études portées à la connaissance du Parlement ?
Par ailleurs, s’il peut être vrai que certaines entreprises étrangères font peu de bénéfices en France, ou n’en font pas, et, par conséquent, paient peu d’impôt sur les sociétés en France, elles s’acquittent pour autant de cette obligation ailleurs, conformément aux conventions fiscales négociées par la France.
Mme Christine Lavarde. Notre pays profite aussi, en toute réciprocité, de ces conventions bilatérales, via le versement de montants d’impôt sur les sociétés très importants acquittés par des groupes français ayant une activité en dehors du territoire français.
Mme Christine Lavarde. Mettre en place une taxation spécifique contrebalançant les accords fiscaux que la France a signés pourrait donc être contre-productif, en provoquant des mesures de rétorsion de nos partenaires commerciaux, notamment des États-Unis. Les réactions américaines ont été très vives après l’annonce de la mise en place de cette taxe sur les services numériques par le gouvernement français, tant dans les milieux économiques que politiques, au Congrès notamment. C’est la raison pour laquelle l’Allemagne n’a pas souhaité mettre en place une taxe nationale similaire.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Elle s’en moque, elle vend ses voitures !
Mme Christine Lavarde. L’Italie n’applique pas la taxe qu’elle a votée. Seule une solution négociée à l’échelon de l’OCDE permettrait de sortir de cette situation.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. C’est vrai.
Mme Christine Lavarde. De surcroît, cette initiative française n’est pas sans poser de problèmes à nos propres entreprises. Faute d’avoir pu obtenir un accord à l’échelon européen, le Gouvernement propose une taxe nationale pour que les Gafa s’acquittent d’un impôt en France. Serait ainsi mise en place une fiscalité temporaire, en attendant une évolution des règles internationales de taxation, à l’échelon de l’OCDE, faute d’accord en Union européenne.
L’assiette de cette taxe va toucher également des entreprises françaises du numérique en pleine croissance, alors même que la France manque encore d’entreprises de taille intermédiaire dans le secteur numérique.
Enfin, une taxe portant sur le chiffre d’affaires plutôt que sur les bénéfices frappera beaucoup plus fortement les entreprises qui ont des charges importantes, comme des locaux ou de nombreux salariés. À ce sujet, je ne peux manquer d’évoquer le risque juridique très sérieux, identifié par notre rapporteur, Albéric de Montgolfier, dont je tiens à souligner la qualité du travail sur un sujet qu’il connaît bien.
Mme Christine Lavarde. Le seuil d’imposition fondé sur le chiffre d’affaires avantagera les entreprises situées au-dessous de ce seuil et pourrait entraîner une qualification d’aide d’État par la Cour de justice de l’Union européenne.
Mme Christine Lavarde. Si la taxe était « retoquée » d’ici quelques années, la France devrait alors rembourser le montant des recettes perçues aux entreprises assujetties à la taxe, comme ce fut le cas il n’y a pas si longtemps.
M. Jean-François Husson. C’est vrai !
Mme Christine Lavarde. Le Gouvernement devrait sécuriser le dispositif en procédant à une notification auprès de la Commission européenne, comme l’y invite notre commission des finances.
Au-delà du risque juridique, cette taxe mal préparée souffre également de difficultés techniques : la taxe sera calculée sur une base déclarative, qui, de manière pratique, sera quasiment impossible à vérifier pour l’administration fiscale. Aujourd’hui, les entreprises concernées ne sont pas encore dotées des outils informatiques permettant la consolidation de leur assiette taxable.
Enfin, le rendement budgétaire de cette mesure pourrait être très inférieur aux recettes attendues. Selon l’Association des services internet communautaires, l’ASIC, entendue par la commission des finances du Sénat, le chiffre d’affaires français des places de marché serait de 1 milliard d’euros en France, celui de la publicité en ligne de 5 milliards d’euros et il n’y aurait pas de vente de données en France. Une taxe de 3 % rapporterait donc seulement 180 millions d’euros, et non 500 millions d’euros en moyenne, comme l’annonce le Gouvernement.
Pour autant, malgré toutes ces réserves, le groupe Les Républicains soutiendra le principe de cette taxe,…
MM. Richard Yung et Emmanuel Capus. Très bien !
Mme Christine Lavarde. … dans le seul espoir qu’elle permette d’accélérer les négociations au sein de l’OCDE.
Monsieur le ministre, il est temps d’inventer cette « fiscalité du XXIe siècle », une fiscalité qui n’ait pas seulement un objectif de rendement, aussi faible soit-il, mais également un objectif d’égalité. Les commerçants de nos centres-villes déplorent trop souvent l’inégalité entre leur régime fiscal et celui des géants du numérique ; ce projet de loi ne règle aucun des problèmes soulevés par le e-commerce.
Le présent projet de loi contient une seconde mesure qui aura, elle aussi, un impact sur nos entreprises : son article 2 annule la baisse, prévue en 2019, de 33,3 % à 31 %, du taux de l’impôt sur les sociétés, pour l’ensemble des entreprises réalisant un chiffre d’affaires de plus de 250 millions d’euros. L’engagement présidentiel d’Emmanuel Macron était une baisse de l’impôt sur les sociétés de 33,3 % à 25 % en 2022, en passant par 31 % en 2019, conformément à la trajectoire définie dans la loi de finances pour 2018. En 2020, il était prévu que l’impôt sur les sociétés diminuerait à 28 %, mais, encore une fois, cela pourrait ne pas concerner toutes les entreprises.
Monsieur le ministre, lors de la discussion du présent projet de loi à l’Assemblée nationale, vous avez déclaré : « Je ne saurais prendre l’engagement que nous reprendrons, pour les seules entreprises réalisant plus de 250 millions d’euros de chiffre d’affaires, exactement la même trajectoire dans le PLF pour 2020 que dans le PLF pour 2018. » La mesure temporaire pour 2019 pourrait donc être reconduite dans le prochain projet de loi de finances.
Confirmez-vous donc, monsieur le ministre, les propos tenus à l’Assemblée nationale, alors même que vous venez de nous affirmer à l’instant que, tant que vous serez ministre, la politique de l’offre ne serait pas remise en cause et que le taux de 25 % serait applicable à toutes les entreprises en 2022 ?
Mme Christine Lavarde. Donc qu’en est-il de l’année 2020 ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Qui ne dit mot consent !
Mme Christine Lavarde. Les entreprises ont besoin de visibilité, et nous ne pouvons changer chaque année la trajectoire annoncée. Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains est opposé à cet article.
Les mesures de baisse de la fiscalité pesant sur les ménages ne doivent pas être compensées par des hausses de la fiscalité des entreprises. Notre niveau de fiscalité est le plus élevé du monde.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Après le Danemark !
Mme Christine Lavarde. Nous devons globalement le faire diminuer. C’est à l’État de prendre ses responsabilités ; il ne faut plus attendre pour mettre en œuvre de réelles économies, ce sont les seules mesures viables à long terme. Augmenter les impôts relève uniquement d’une vision de court terme ; les Français attendent un autre scénario que celui qui s’est déjà joué sous le quinquennat précédent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Carcenac.
M. Thierry Carcenac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous réunit est court ; il comporte deux articles : l’un concerne la création d’une taxe sur les services numériques, l’autre modifie la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés.
Monsieur le ministre, vous les justifiez comme étant des mesures de rendement, de justice fiscale et de réponse aux décisions prises en décembre 2018 en faveur du pouvoir d’achat des ménages pour répondre à l’urgence sociale. Le rendement de l’une des mesures est estimé à 400 millions d’euros, celui de l’autre à 1,7 milliard d’euros. Vous eussiez pu rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune ; le rendement en eût été supérieur, avec 3,7 milliards d’euros…
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Ça, c’est sûr…
M. Thierry Carcenac. Je ne reviens pas sur les propos de Rémi Féraud, que je partage.
Au travers de l’article 2, vous rompez pour un an l’engagement pris par les différents gouvernements de baisse de l’impôt sur les sociétés. Pourquoi pas ? Le groupe socialiste et républicain déterminera sa position selon le maintien ou non de cette mesure par la majorité sénatoriale.
Avec l’article 1er, il s’agit d’un sujet beaucoup plus large, celui de la taxation des profits liés à la numérisation de l’économie, dans laquelle le monde est engagé. À la question « La France s’apprête à taxer les Gafa. Est-ce une bonne idée ? », Jean-Baptiste Rudelle, PDG de Criteo, répondait dans un entretien au journal Les Échos : « C’est la mauvaise réponse à deux bonnes questions. La première est une question générale qui concerne la taxation des multinationales. Sur un plan moral, il est normal que toutes les entreprises paient des impôts. […] C’est un devoir, mais la réponse passe par une approche globale sur laquelle travaille l’OCDE. La seconde question est plus spécifiquement liée au monde du numérique. Les Gafa utilisent leur position dominante pour verrouiller une grosse partie de l’écosystème digital. Cela pose un vrai problème de souveraineté. »
La fiscalité est devenue un sujet de préoccupation et les États n’ont pas su réagir rapidement à la mondialisation de l’économie et à la dérégulation financière ; ils sont plus rapides pour soutenir les banques, comme lors de la crise financière de 2007 et 2008…
Nos systèmes fiscaux nationaux sont fondés sur une économie industrielle de production. Or l’introduction de l’internet et la numérisation de l’économie ont bouleversé un système fondé sur des conventions internationales, dont le modèle est issu de la crise de 1929. Ce modèle prévoit qu’une entreprise étrangère n’est taxable sur un territoire que lorsqu’elle y a un établissement stable, une présence physique. L’article 209 du code général des impôts correspond à ce principe : sont assujettis à l’impôt sur les sociétés les bénéfices tirés de l’exploitation d’une entreprise en France. Les décisions de justice récemment rendues à propos de Google démontrent, s’il en était besoin, les lacunes des conventions internationales et de notre droit fiscal.
Votre proposition est une avancée, monsieur le ministre, même si nous regrettons cette politique des très petits pas. Nous ne pouvons que vous encourager dans la voie ouverte, même si le Sénat avait déjà adopté, lors du débat sur la loi de finances pour 2019, un article destiné à avancer sur la voie de la taxation. Par ailleurs, en mai 2018, nous avions également soutenu la proposition de résolution européenne sur la directive du Conseil de l’Union concernant le projet d’assiette commune consolidée d’impôt sur les sociétés, ou Accis.
Nous déplorons la lenteur des décisions à l’échelon européen, puisque l’OCDE entendait assurer dès 2012, dans son projet BEPS, que les bénéfices soient imposés là où ils sont dégagés. La cinquième des quinze actions proposées prévoyait de « lutter […] contre les pratiques fiscales dommageables », donc contre l’optimisation fiscale agressive, et il était également question d’empêcher l’utilisation abusive des conventions fiscales.
Nous ne pouvons que vous encourager à persévérer dans le soutien aux démarches de l’OCDE et à appuyer le travail remarquable de M. Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE.
La France présidera le prochain G7. Le Président de la République se préoccupe lui-même de l’organisation de ce sommet en se rendant sur place, à Biarritz. Nous souhaitons qu’il s’active aussi fermement sur cette question. Vous nous avez un tout petit peu rassurés à cet égard, monsieur le ministre.
Sur le projet Accis, mis sur la table en mars 2018, l’Union européenne se heurte à la règle de l’unanimité des États membres en matière fiscale. Dans le cadre du débat actuel sur l’Europe, la bataille relative à la majorité qualifiée fait rage ; adopter une telle règle est une nécessité. En effet, la reconnaissance d’un établissement stable virtuel, au travers de la notion de présence numérique significative, nous paraît déterminante, et notre soutien vous est acquis en la matière. Il convient de donner une impulsion.
Israël, en 2016, et l’Inde – troisième écosystème mondial, avec 250 licornes et 7 400 start-up –, en 2018, ont introduit de tels dispositifs dans leur législation en dépit des lenteurs liées à la renégociation des conventions fiscales internationales. C’est un signal encourageant.
Nous le constatons, les positions des États évoluent en fonction de leurs intérêts propres. La réforme de la fiscalité américaine de décembre 2017, destinée à attirer les actifs incorporels et les bénéfices sur son sol en les rapatriant des paradis fiscaux et à sécuriser l’assiette imposable, en est l’expression.
Nous ne pouvons que soutenir votre démarche ; c’est une avancée que nous approuvons. Néanmoins, le groupe socialiste et républicain attendra, pour se déterminer définitivement, même si son a priori est favorable, l’issue des débats et les inflexions que pourrait apporter la majorité sénatoriale au texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi portant création d’une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés
Article 1er
I. – Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° Le chapitre II du titre II de la première partie du livre Ier est ainsi rétabli :
« CHAPITRE II
« Taxe sur certains services fournis par les grandes entreprises du secteur numérique
« Art. 299. – I. – Il est institué, pour les années 2019 à 2021, une taxe due à raison des sommes encaissées par les entreprises du secteur numérique définies au III, en contrepartie de la fourniture en France, au cours d’une année civile, des services définis au II.
« II. – Les services taxables sont :
« 1° La mise à disposition, par voie de communications électroniques, d’une interface numérique qui permet aux utilisateurs d’entrer en contact avec d’autres utilisateurs et d’interagir avec eux, notamment en vue de la livraison de biens ou de la fourniture de services directement entre ces utilisateurs. Toutefois, la mise à disposition d’une interface numérique n’est pas un service taxable :
« a) Lorsque la personne qui réalise cette mise à disposition utilise l’interface numérique à titre principal pour fournir aux utilisateurs :
« – des contenus numériques ;
« – des services de communications ;
« – des services de paiement, au sens de l’article L. 314-1 du code monétaire et financier ;
« b) Lorsque l’interface numérique est utilisée pour gérer les systèmes et services suivants :
« – les systèmes de règlements interbancaires ou de règlement et de livraison d’instruments financiers, au sens de l’article L. 330-1 du même code ;
« – les plates-formes de négociation définies à l’article L. 420-1 dudit code ou les systèmes de négociation des internalisateurs systématiques définis à l’article L. 533-32 du même code ;
« – les activités de conseil en investissements participatifs, au sens de l’article L. 547-1 du même code, et, s’ils facilitent l’octroi de prêts, les services d’intermédiation en financement participatif, au sens de l’article L. 548-1 du même code ;
« – les autres systèmes de mise en relation, mentionnés dans un arrêté du ministre chargé de l’économie, dont l’activité est soumise à autorisation et l’exécution des prestations soumise à la surveillance d’une autorité de régulation en vue d’assurer la sécurité, la qualité et la transparence de transactions portant sur des instruments financiers, des produits d’épargne ou d’autres actifs financiers ;
« c) Lorsque cette mise à disposition n’est pas un service qui relève du 2° du présent II et que l’interface numérique a pour objet de permettre l’achat ou la vente de prestations visant à placer des messages publicitaires dans les conditions prévues au même 2° ;
« 2° Les services commercialisés auprès des annonceurs, ou de leurs mandataires, visant à placer sur une interface numérique des messages publicitaires ciblés en fonction de données relatives à l’utilisateur qui la consulte et collectées ou générées à l’occasion de la consultation de telles interfaces. Ces services peuvent notamment comprendre les services d’achat, de stockage et de diffusion de messages publicitaires, de contrôle publicitaire et de mesures de performance ainsi que les services de gestion et de transmission de données relatives aux utilisateurs.
« Sont exclus des services taxables les services mentionnés aux 1° et 2° du présent II fournis entre entreprises appartenant à un même groupe, au sens du dernier alinéa du III.
« III. – Les entreprises mentionnées au I sont celles, quel que soit leur lieu d’établissement, pour lesquelles le montant des sommes encaissées en contrepartie des services taxables lors de l’année civile précédant celle mentionnée au même I excède les deux seuils suivants :
« 1° 750 millions d’euros au titre des services fournis au niveau mondial ;
« 2° 25 millions d’euros au titre des services fournis en France, au sens de l’article 299 bis.
« Pour les entreprises, quelle que soit leur forme, qui sont liées, directement ou indirectement, au sens du II de l’article L. 233-16 du code de commerce, le respect des seuils mentionnés aux 1° et 2° du présent III s’apprécie au niveau du groupe qu’elles constituent.
« Art. 299 bis. – I. – Pour l’application du présent chapitre :
« 1° La France s’entend du territoire national, à l’exception des collectivités régies par l’article 74 de la Constitution, de la Nouvelle-Calédonie, des Terres australes et antarctiques françaises et de l’île de Clipperton ;
« 2° L’utilisateur d’une interface numérique est localisé en France s’il la consulte au moyen d’un terminal situé en France ;
« 3° Les encaissements versés en contrepartie de la fourniture d’un service taxable défini au 1° du II de l’article 299 s’entendent de l’ensemble des sommes versées par les utilisateurs de cette interface, à l’exception de celles versées en contrepartie de biens ou de services dont l’achat n’est pas indispensable à l’utilisation de l’interface et n’en permet pas une utilisation dans de meilleures conditions ;
« 4° Les encaissements versés en contrepartie de la fourniture d’un service taxable défini au 2° du même II s’entendent de l’ensemble des sommes versées par les annonceurs, ou leurs mandataires, en contrepartie de la réalisation effective du placement des messages publicitaires ou permettant de réaliser un tel placement dans de meilleures conditions.
« II. – Les services taxables mentionnés au 1° du II de l’article 299 sont fournis en France au cours d’une année civile si :
« 1° Lorsque l’interface numérique permet la réalisation, entre utilisateurs de l’interface, de livraisons de biens ou de prestations de services, une telle opération est conclue au cours de cette année par un utilisateur localisé en France ;
« 2° Lorsque l’interface numérique ne permet pas la réalisation de livraisons de biens ou de prestations de services, un de ses utilisateurs dispose au cours de cette année d’un compte ayant été ouvert depuis la France et lui permettant d’accéder à tout ou partie des services disponibles sur cette interface.
« III. – Les services taxables mentionnés au 2° du II de l’article 299 sont fournis en France au cours d’une année civile si :
« 1° Pour les services autres que ceux mentionnés au 2° du présent III, un message publicitaire est placé au cours de cette année sur une interface numérique consultée par un utilisateur localisé en France ;
« 2° Pour les ventes de données qui ont été générées ou collectées à l’occasion de la consultation d’interfaces numériques par des utilisateurs, des données vendues au cours de cette année sont issues de la consultation d’une de ces interfaces par un utilisateur localisé en France.
« IV. – Lorsqu’un service taxable mentionné au II de l’article 299 est fourni en France au cours d’une année civile au sens des II ou III du présent article, le montant des encaissements versés en contrepartie de cette fourniture est défini comme le produit de la totalité des encaissements versés au cours de cette année en contrepartie de ce service par le pourcentage représentatif de la part de ces services rattachée à la France évalué lors de cette même année. Ce pourcentage est égal :
« 1° Pour les services mentionnés au 1° du II, à la proportion des opérations de livraisons de biens ou de fournitures de services pour lesquelles l’un des utilisateurs de l’interface numérique est localisé en France ;
« 2° Pour les services mentionnés au 2° du même II, à la proportion des utilisateurs qui disposent d’un compte ayant été ouvert depuis la France et permettant d’accéder à tout ou partie des services disponibles à partir de l’interface et qui ont utilisé cette interface durant l’année civile concernée ;
« 3° Pour les services mentionnés au 1° du III, à la proportion des messages publicitaires placés sur une interface numérique consultée par un utilisateur localisé en France ;
« 4° Pour les services mentionnés au 2° du même III, à la proportion des utilisateurs pour lesquels tout ou partie des données vendues ont été générées ou collectées à l’occasion de la consultation, lorsqu’ils étaient localisés en France, d’une interface numérique.
« V. – Les modalités permettant d’apprécier la consultation d’une interface numérique au moyen d’un terminal situé en France sont fixées par un décret en Conseil d’État.
« Art. 299 ter. – Le fait générateur de la taxe prévue à l’article 299 est constitué par l’achèvement de l’année civile au cours de laquelle l’entreprise définie au III du même article 299 a encaissé des sommes en contrepartie de la fourniture en France de services taxables. Toutefois, en cas de cessation d’activité du redevable, le fait générateur de la taxe intervient lors de cette cessation.
« Le redevable de la taxe est la personne qui encaisse les sommes. La taxe devient exigible lors de l’intervention du fait générateur.
« Art. 299 quater. – I. – La taxe prévue à l’article 299 est assise sur le montant, hors taxe sur la valeur ajoutée, tel que défini au IV de l’article 299 bis, des sommes encaissées par le redevable, lors de l’année au cours de laquelle la taxe devient exigible, en contrepartie d’un service taxable fourni en France.
« Toutefois, ne sont pas prises en compte les sommes versées en contrepartie de la mise à disposition d’une interface numérique qui facilite la vente de produits soumis à accises, au sens du 1 de l’article 1er de la directive 2008/118/CE du Conseil du 16 décembre 2008 relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE, lorsqu’elles présentent un lien direct et indissociable avec le volume ou la valeur de ces ventes.
« II. – Le montant de la taxe est calculé en appliquant à l’assiette définie au I un taux de 3 %.
« Art. 299 quinquies. – Pour l’application du présent chapitre, les sommes encaissées dans une monnaie autre que l’euro sont converties en appliquant le dernier taux de change publié au Journal officiel de l’Union européenne, connu au premier jour du mois au cours duquel les sommes sont encaissées.
« Art. 300. – I. – La taxe prévue à l’article 299 est déclarée et liquidée par le redevable selon les modalités suivantes :
« 1° Pour les redevables de la taxe sur la valeur ajoutée soumis au régime réel normal d’imposition mentionné au 2 de l’article 287, sur l’annexe à la déclaration mentionnée au 1 du même article 287 déposée au titre du mois de mars ou du premier trimestre de l’année qui suit celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible ;
« 2° Pour les redevables de la taxe sur la valeur ajoutée soumis au régime réel simplifié d’imposition prévu à l’article 302 septies A, sur la déclaration annuelle mentionnée au 3 de l’article 287 déposée au titre de l’exercice au cours duquel la taxe est devenue exigible ;
« 3° Dans tous les autres cas, sur l’annexe à la déclaration prévue au 1 du même article 287, déposée auprès du service de recouvrement dont relève le siège ou le principal établissement du redevable, au plus tard le 25 avril de l’année qui suit celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible.
« II. – La taxe est acquittée dans les conditions prévues à l’article 1693 quater, sauf par les redevables soumis au régime réel simplifié d’imposition prévu à l’article 302 septies A, pour lesquels elle est acquittée dans les conditions prévues à l’article 1692. Sans préjudice des dispositions prévues aux articles L. 16 C et L. 70 A du livre des procédures fiscales, elle est recouvrée et contrôlée selon les mêmes procédures et sous les mêmes sanctions, garanties, sûretés et privilèges que les taxes sur le chiffre d’affaires. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à ces mêmes taxes.
« III. – Tant que le droit de reprise de l’administration est susceptible de s’exercer, conformément à l’article L. 177 A du livre des procédures fiscales, les redevables conservent, à l’appui de leur comptabilité, l’information des sommes encaissées mensuellement en contrepartie de chacun des services taxables fournis, en distinguant celles se rapportant à un service fourni en France, au sens des II et III de l’article 299 bis du présent code et, le cas échéant, celles exclues de l’assiette en application du second alinéa du I de l’article 299 quater, ainsi que les éléments quantitatifs mensuels utilisés pour calculer les proportions prévues au IV de l’article 299 bis. L’information sur les sommes encaissées mensuellement précise, le cas échéant, le montant encaissé dans une monnaie autre que l’euro et le montant converti en euro selon les modalités prévues à l’article 299 quinquies, en faisant apparaître le taux de change retenu en application du même article 299 quinquies.
« Ces informations sont tenues à la disposition de l’administration et lui sont communiquées à première demande.
« IV. – Lorsque le redevable n’est pas établi dans un État membre de l’Union européenne ou dans tout autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ainsi qu’une convention d’assistance mutuelle en matière de recouvrement de l’impôt, il fait accréditer auprès du service des impôts compétent un représentant assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée établi en France, qui s’engage, le cas échéant, à remplir les formalités au nom et pour le compte du représenté et à acquitter la taxe à sa place. » ;
2° Le II quater de la section II du chapitre Ier du livre II est ainsi rétabli :
« II quater : Régime spécial de la taxe sur certains services fournis par les grandes entreprises du secteur numérique
« Art. 1693 quater. – I. – Les redevables de la taxe prévue à l’article 299 autres que ceux soumis au régime réel simplifié d’imposition prévu à l’article 302 septies A acquittent cette taxe au moyen de deux acomptes versés lors de l’année au cours de laquelle elle devient exigible et au moins égaux à la moitié du montant dû au titre de l’année précédente.
« Le premier acompte est versé lors de la déclaration de la taxe devenue exigible l’année précédente.
« Le second acompte est versé :
« 1° Pour les redevables de la taxe sur la valeur ajoutée soumis au régime réel normal d’imposition mentionné au 2 de l’article 287, lors du dépôt de l’annexe à la déclaration mentionnée au 1 du même article 287 déposée au titre du mois de septembre ou du troisième trimestre de l’année ;
« 2° Dans les autres cas, au plus tard le 25 octobre, lors du dépôt de l’annexe à la déclaration prévue au même 1 déposée auprès du service de recouvrement dont relève le siège ou le principal établissement du redevable.
« II. – Les redevables qui estiment que le paiement d’un acompte conduirait à excéder le montant de la taxe définitivement dû peuvent surseoir au paiement de ce dernier ou minorer son montant.
« Lorsqu’un redevable fait usage de la faculté prévue au premier alinéa du présent II et que le montant de la taxe finalement dû est supérieur de plus de 20 % au montant des acomptes versés, l’intérêt de retard prévu à l’article 1727 et la majoration prévue à l’article 1731 sont applicables.
« L’intérêt de retard et la majoration mentionnés au deuxième alinéa du présent II sont appliqués à la différence positive entre, d’une part, la somme du montant de chacun des deux acomptes qui auraient été versés en l’absence de modulation à la baisse et, d’autre part, la somme du montant de chacun des deux acomptes effectivement versés.
« III. – Le montant de taxe dû est régularisé lorsqu’elle est déclarée. Le cas échéant, les montants à restituer aux redevables sont imputés sur l’acompte acquitté lors de cette déclaration puis, si nécessaire, sur celui acquitté postérieurement la même année ou, en cas d’absence ou d’insuffisance des acomptes, remboursés.
« Art. 1693 quater A. – En cas de cessation d’activité du redevable, le montant de la taxe prévue à l’article 299 qui est dû au titre de l’année de cessation d’activité est établi immédiatement. Elle est déclarée, acquittée et, le cas échéant, régularisée selon les modalités prévues pour la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable ou, à défaut, dans les soixante jours suivant la cessation d’activité.
« Art. 1693 quater B. – I. – Un redevable de la taxe prévue à l’article 299 qui n’est pas soumis au régime réel simplifié d’imposition prévu à l’article 302 septies A peut choisir de déclarer et d’acquitter la taxe pour l’ensemble des redevables du groupe, au sens du dernier alinéa du IV de l’article 299, auquel il appartient. Dans ce cas, l’article 1693 ter ne s’applique pas à cette taxe.
« Cette option est exercée avec l’accord de l’ensemble des redevables du groupe concerné.
« II. – Le redevable recourant à l’option prévue au I du présent article formule sa demande auprès du service des impôts dont il dépend. Cette option prend effet pour les paiements et remboursements intervenant à compter de la déclaration déposée l’année suivant la réception de la demande par ce service.
« III. – L’option est exercée pour au moins trois années.
« Le redevable renonçant à l’option formule sa demande de renonciation auprès du service des impôts dont il dépend. Cette renonciation prend effet pour les paiements et remboursements intervenant à compter de la déclaration de l’année déposée l’année suivant la réception de la demande par ce service.
« L’option s’applique pour la taxe due par tout nouveau membre du groupe concerné. En cas de désaccord de ce dernier, il est renoncé à l’option dans les conditions prévues au deuxième alinéa du présent III.
« IV. – La déclaration déposée par le redevable recourant à l’option mentionne les montants dus par chaque membre du groupe.
« V. – Le redevable recourant à l’option prévue au I obtient les remboursements de la taxe due par les redevables membres du groupe consolidé, le cas échéant, par imputation des montants dus par les autres membres et acquitte les droits et les intérêts de retard et pénalités prévus au chapitre II du présent livre en conséquence des infractions commises par les redevables membres du groupe.
« VI. – Chaque redevable membre du groupe est tenu solidairement avec le redevable recourant à l’option prévue au I au paiement de la taxe et, le cas échéant, des intérêts de retard et pénalités correspondants que le redevable recourant à l’option prévue au même I est chargé d’acquitter, à hauteur des droits, intérêts et pénalités dont le redevable membre du groupe serait redevable si l’option mentionnée audit I n’avait pas été exercée. » ;
3° À l’article 302 decies, après les mots : « des articles », est insérée la référence : « 299, » ;
4° (Supprimé)
II. – Le titre II de la première partie du livre des procédures fiscales est ainsi modifié :
1° Le I ter de la section II du chapitre Ier est ainsi rétabli :
« I ter : Taxe sur certains services fournis par les grandes entreprises du secteur numérique
« Art. L. 16 C. – L’administration fiscale peut demander au redevable de la taxe prévue à l’article 299 du code général des impôts des justifications sur tous les éléments servant de base au calcul de cette taxe sans que cette demande constitue le début d’une vérification de comptabilité ou d’un examen de comptabilité.
« Cette demande indique expressément au redevable les points sur lesquels elle porte et lui fixe un délai de réponse, qui ne peut être inférieur à deux mois.
« Lorsque le redevable n’a pas répondu ou a répondu de façon insuffisante à la demande de justifications dans le délai prévu par celle-ci, l’administration fiscale lui adresse une mise en demeure de produire ou de compléter sa réponse dans un délai de trente jours, en précisant, le cas échéant, les compléments de réponse souhaités. Cette mise en demeure mentionne la procédure de taxation d’office prévue à l’article L. 70 A du présent livre. » ;
1° bis Après le troisième alinéa de l’article L. 48, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour le redevable membre d’un groupe mentionné à l’article 1693 quater B du code général des impôts, l’information prévue au premier alinéa du présent article porte, en ce qui concerne la taxe prévue à l’article 299 du code général des impôts et les pénalités correspondantes, sur les montants dont ce redevable serait redevable en l’absence d’appartenance au groupe. » ;
1° ter (nouveau) Au dernier alinéa du même article L. 48, après les mots « l’article L. 247 », sont insérés les mots : « du présent livre » ;
2° Le B du I de la section V du même chapitre Ier est complété par un article L. 70 A ainsi rédigé :
« Art. L. 70 A. – Lorsque, dans les trente jours de la réception de la mise en demeure mentionnée au dernier alinéa de l’article L. 16 C, le redevable s’est abstenu de répondre, n’a pas complété sa réponse ou l’a complétée de manière insuffisante, l’administration fiscale peut procéder à la taxation d’office du redevable au titre de la taxe prévue à l’article 299 du code général des impôts. » ;
3° L’article L. 177 A est ainsi rétabli :
« Art. L. 177 A. – Par dérogation au premier alinéa de l’article L. 176, pour la taxe sur certains services fournis par les grandes entreprises du secteur numérique prévue à l’article 299 du code général des impôts, le droit de reprise de l’administration s’exerce jusqu’à la fin de la sixième année suivant celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible conformément aux dispositions de l’article 299 ter du même code.
« Par dérogation au deuxième alinéa de l’article L. 176 du présent livre, pour la taxe prévue à l’article 299 du code général des impôts, le droit de reprise de l’administration s’exerce jusqu’à la fin de la dixième année suivant celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible conformément à l’article 299 ter du même code. »
II bis. – Après le douzième alinéa de l’article L. 137-33 du code de la sécurité sociale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les redevables de la taxe prévue à l’article 299 du code général des impôts peuvent déduire de la contribution, dans la limite de son montant, la taxe qu’ils ont acquittée au titre de l’année pour laquelle la contribution est due. »
III. – La taxe prévue à l’article 299 du code général des impôts due au titre de l’année 2019 donne lieu au paiement d’un acompte unique, acquitté dans les conditions que l’article 1693 quater du même code prévoit pour le second acompte.
Il est égal au montant de la taxe qui aurait été liquidée sur la base des sommes encaissées en 2018 en contrepartie du ou des services taxables fournis en France. Le pourcentage représentatif de la part des services rattachés à la France défini au IV de l’article 299 bis dudit code est évalué lors de la période comprise entre le lendemain de la publication de la présente loi et le 30 septembre 2019.
Pour l’assujettissement et la liquidation de la taxe prévue à l’article 299 du code général des impôts due au titre de l’année 2019, le pourcentage représentatif de la part des services rattachés à la France défini au IV de l’article 299 bis du même code est évalué lors de la période comprise entre le lendemain de la publication de la présente loi et le 31 décembre 2019.
IV. – L’option prévue à l’article 1693 quater B du code général des impôts peut, pour la taxe prévue à l’article 299 du même code due au titre de l’année 2019, être exercée jusqu’au 30 septembre 2019 et prend effet à partir du premier paiement à compter de cette date.
V. – Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 30 septembre de chaque année, un rapport sur les négociations conduites au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques pour identifier et mettre en œuvre une solution internationale coordonnée destinée à renforcer l’adéquation des règles fiscales internationales aux évolutions économiques et technologiques modernes. Ce rapport précise notamment, pour chaque proposition figurant dans le document de consultation publique de février 2019 ou toute autre proposition postérieure, la position de la France, de l’Union européenne et de chaque juridiction fiscale participant à ces travaux et la motivation de chacune de ces positions, l’état d’avancement des négociations, les perspectives d’aboutissement et l’impact budgétaire, fiscal, administratif et économique pour la France et les entreprises françaises. Il rend compte aussi, le cas échéant, des progrès des travaux menés sur ces questions dans le cadre de l’Union européenne ou tout autre cadre international pertinent.
Il fait également état de l’incidence de ces négociations sur la taxe sur les services numériques prévue à l’article 299 du code général des impôts et indique, le cas échéant, la date à laquelle un nouveau dispositif mettant en œuvre la solution internationale coordonnée pourrait se substituer à cette taxe.
Il peut faire l’objet de débats dans les conditions prévues par les règlements des assemblées parlementaires.
VI. – La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale de la déductibilité de la taxe sur les services numériques sur la contribution sociale de solidarité des sociétés est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize, sur l’article.
M. Patrick Chaize. Je souhaite intervenir à ce stade de la discussion pour évoquer deux amendements que j’avais déposés sur le présent texte et qui n’ont pas pu être retenus, car ils ont été considérés comme aggravant une charge publique au sens de l’article 40 de la Constitution.
Pourtant, mon premier amendement avait pour objet le versement d’une part des résultats de la taxe perçue au titre de l’article 299 nouveau du code général des impôts au Fonds d’aménagement numérique des territoires, le FANT. Ce Fonds, institué par l’article 24 de la loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, n’est, dix ans plus tard, toujours pas alimenté. Le produit de la taxe imaginée résulte de l’activité économique numérique réalisée en France et, par conséquent, de l’accès généralisé aux outils de communication électronique en très haut débit sur notre territoire, objet même de l’existence du FANT via la contribution au financement des travaux de réalisation des infrastructures et réseaux de communications électroniques.
Comme indiqué dans le code général des impôts, la réalisation des services taxables est liée à l’accès des utilisateurs aux interfaces numériques, par voie de communications électroniques ; cela implique l’installation de la fibre optique jusqu’au domicile pour tous. L’abondement du FANT, créé pour la bonne réalisation des réseaux de télécommunications envisagés par les schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique, aurait ainsi permis de prolonger le financement du plan France très haut débit au-delà de l’objectif 2022, afin de tendre vers 100 % de fibre optique jusqu’au domicile, ou FTTH. Cela aurait en outre envoyé un signal fort aux collectivités territoriales chargées de réaliser le déploiement de cette technologie sur la partie publique du réseau, en y intégrant les investissements ultérieurs nécessaires et les actions d’inclusion numérique.
Sous réserve d’un nouveau dispositif européen en vue d’une harmonisation fiscale substituable à cette taxe, le FANT aurait ainsi pu être abondé postérieurement à 2022, pour la bonne réalisation des schémas directeurs des usages et services en jeu, après la couverture numérique des territoires spécifiée à l’article 33 de la loi du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne.
Le second amendement que j’avais déposé avait pour objet d’établir les modalités de calcul de la part du produit de la taxe destinée à l’abondement du FANT. Au-delà du prolongement du plan France très haut débit, il est nécessaire d’appréhender le coût particulier d’exploitation dans la durée. Le fibrage de l’ensemble des foyers français, y compris ceux qui sont les plus coûteux à raccorder, bénéficiera à tous, et principalement aux entreprises ciblées par le présent projet de loi.
Ainsi, par analogie avec le Fonds d’amortissement des charges d’électrification, le FACÉ, créé dès 1936 et dont l’objet est le versement de subventions aux collectivités, il serait judicieux et opportun que la taxe versée par les entreprises proposant leurs services numériques grâce à ces réseaux de télécommunication soit en partie affectée à l’extension et à la pérennité de ces derniers, afin de tendre vers une péréquation motrice d’une société numérique.
Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue.
M. Patrick Chaize. Je tenais, au travers de cette invention, à vous sensibiliser, monsieur le ministre, à ces dispositions et à la réouverture du guichet du plan France très haut débit, indispensable à la réussite du plan que vous soutenez.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, sur l’article.
M. Richard Yung. Cela fait deux ans, monsieur le ministre, que vous bataillez sur cette question, et vous avez plutôt bien progressé, puisque vous en êtes à vingt-quatre pays en faveur de ce dispositif.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Pourquoi ne le mettent-ils pas en place, s’ils y sont favorables ?
M. Richard Yung. Malheureusement, c’est insuffisant et, en raison de la règle de l’unanimité, nous ne pouvons pas le faire passer au niveau européen.
Le texte qui nous est soumis est une bonne réponse, je crois, à la demande de justice fiscale. Il n’est pas acceptable que les entreprises multinationales du secteur numérique soient en moyenne taxées à 9,5 %, alors que les autres, vous l’avez dit, le sont à 23 %. J’ai quelques chiffres : Apple a réalisé, en 2017, un chiffre d’affaires en France de 4 milliards d’euros, mais son chiffre d’affaires déclaré s’est élevé à 700 millions d’euros, Netflix n’a déclaré aucun bénéfice, et Google contrôle 90 % du marché de la publicité sur internet. On le voit bien, au travers de toutes les techniques que vous connaissez, dont le fameux sandwich irlandais,…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Le double Irish sandwich !
M. Richard Yung. … ou hollandais, tous les bénéfices s’évadent d’abord vers les Pays-Bas, puis vers l’Irlande, et enfin disparaissent aux Bahamas.
Le dispositif prévu à l’article 1er s’inspire très largement de celui de la Commission européenne. Il n’est pas parfait, et nous avons à l’esprit qu’il a un caractère provisoire, l’objectif étant d’aboutir très rapidement à une solution multilatérale ; toutefois, à titre personnel, j’ai des doutes ou des réserves quant au fait que les États-Unis, dans le cadre de l’OCDE, soient absolument débordants de joie pour adopter une législation qui vise principalement leurs propres entreprises.
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Quel scepticisme, monsieur Yung…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ils ne feront rien !
M. Richard Yung. Le Gouvernement a retenu comme assiette le chiffre d’affaires et non les bénéfices ; je pense que c’est un choix judicieux, car cela évite la neutralisation du dispositif par les conventions fiscales.
Certains de nos collègues veulent étendre le champ d’application de la taxe au-delà du seul secteur des services, quand d’autres proposent, à l’inverse, de le restreindre. Pour ma part, je pense que le dispositif actuel est équilibré.
Le taux retenu est raisonnable ; il est calqué sur celui qui figure dans la directive européenne. Je ne suis pas favorable aux différents amendements ayant pour objet de le porter à 3,5 %, à 4 %, voire à 4,5 %.
Mme la présidente. Veuillez conclure, cher collègue.
M. Richard Yung. D’autres ont largement débordé, madame la présidente !
Mme la présidente. Largement, non, certainement pas !
M. Richard Yung. Enfin, nul ne peut se prévaloir de la turpitude d’autrui… (Sourires.)
Mme la présidente. Absolument.
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Ni de la sienne !
M. Richard Yung. Je conclus, madame la présidente.
Certains craignaient que la taxe sur les services numériques ne constitue une aide d’État ; c’est au contraire la possibilité d’imputer le montant de la taxe sur la contribution sociale de solidarité des sociétés, la C3S, qui risquerait de conférer à cette taxe le caractère d’une aide d’État.
Mme la présidente. J’ai fait preuve de beaucoup de générosité à votre égard, cher collègue…
M. Richard Yung. Je vous en remercie, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l’article.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. À plusieurs reprises, nous avons débattu à l’occasion de la loi de finances de la question de la taxation des Gafa et, à plusieurs reprises, le Sénat a voté des amendements tendant à prévoir la taxation de ces fameuses grandes entreprises du numérique, notamment sur la base du chiffre d’affaires, en s’appuyant sur les travaux de la Commission européenne.
Encore lors de l’examen de la dernière loi de finances, M. de Montgolfier nous avait opposé les mêmes arguments : nous ne pouvons pas être les seuls à le faire en Europe ; nous ne pouvons pas le faire sans l’OCDE ; donc, attendons !
Je me réjouis de constater que le Gouvernement, qui, à l’époque, semblait penser la même chose, est aujourd’hui convaincu de la thèse que nous avions défendue et votée en séance budgétaire, à savoir que la France doit prendre une initiative, même si elle est plus ou moins isolée – nous savons que des travaux sont en cours en Italie et en Grande-Bretagne sur ces sujets –, pour instaurer un rapport de force et répondre à l’aspiration exprimée par nos concitoyens.
Aujourd’hui, je pense qu’il faut veiller à ne pas faire « comme si ». Tous ceux qui nous expliquent que nous parviendrons à un accord européen nous trompent.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Européen ? Non !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. On sait pertinemment, non seulement que certains pays comme le Luxembourg ne bougeront pas et feront jouer le principe d’unanimité, mais aussi, monsieur le ministre, que vous avez obtenu avec l’Allemagne un accord a minima par rapport à la directive initiale, dont le champ était plus large et les recettes plus vastes, M. Trump ayant fait pression sur Mme Merkel en menaçant l’Allemagne, si elle acceptait une taxation des Gafa, de pénaliser les exportations de voitures allemandes.
Donc, ne faisons pas « comme si » ! Et ce d’autant que les traités existants imposent l’harmonisation. Bien sûr, nous pouvons sortir des traités – je plaide pour cette sortie –, mais la situation n’est pas celle-là !
Il en va de même pour l’OCDE. J’espère, bien sûr, que la raison va l’emporter, qu’un accord à l’OCDE pourra être trouvé, et je ne conteste pas votre détermination à défendre cette position, monsieur le ministre. Mais, comme l’a suggéré M. Yung, je serais vraiment très surprise que le Président Trump se mette en situation…
Mme la présidente. Il faut conclure, chère collègue !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. … de voir une taxation adéquate adoptée au sein de l’OCDE.
Je présenterai donc, avec le groupe CRCE, plusieurs amendements. Il s’agit…
Mme la présidente. Il faut vraiment conclure, madame Lienemann !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. … de taxer selon la directive européenne et de ne pas reculer sur ce point.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dominati, sur l’article.
M. Philippe Dominati. Monsieur le ministre, vous avez rappelé, avec un certain brio, l’histoire de cette taxe. Vous en avez été le promoteur. J’entends par là que vous avez essayé de convaincre nos partenaires européens, au nom d’une certaine équité fiscale, de faire en sorte que des entreprises ne s’acquittant pas de l’impôt puissent néanmoins contribuer, comme les autres, à l’effort national. Pour autant, une fois le contexte et le cheminement précisés, on s’aperçoit que la France est seule, au bout du compte.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Comme nous l’étions pour la taxe de 3 % sur les dividendes !
M. Philippe Dominati. Le rapporteur l’a bien souligné, nous sommes le seul pays à créer une telle taxe, espérant ainsi faire bouger les autres.
Cette solitude, dans le contexte que nous connaissons, me préoccupe. Non seulement nous sommes seuls, mais il existe en plus une fragilité juridique, qui pourrait contraindre de prochains gouvernements à rembourser les entreprises ayant payé cette taxe, avec des conséquences sur les finances publiques et, donc, sur la charge supportée par nos concitoyens.
Mais là n’est pas le problème le plus essentiel. Le problème, mes chers collègues, est de savoir si cette taxe pèsera sur les services numériques – ce qui ne posera de problème à personne – ou sur les Français et les entreprises françaises utilisant les services numériques. Je crains effectivement que les entreprises françaises puissent être pénalisées par rapport à leurs concurrentes européennes, car les Gafa auront augmenté de 3 % ou 5 % les tarifs proposés, sur le territoire national, à ces entreprises françaises. Les PME seront plus particulièrement touchées.
Sur ces sujets, monsieur le ministre, vous ne nous donnez aucune assurance, aucune réponse : circulez, il n’y a rien à voir ! En réalité, ce sont les Français qui, une fois de plus, vont payer la taxe.
Enfin, le rapporteur l’a expliqué en commission, cette taxe concerne, pour seulement 20 %, les Gafa. Ainsi, 80 % des recettes seront tirées d’autres entreprises. Autrement dit, on donne un titre, mais le titre ne correspond pas à l’objectif.
J’ai donc, pour ma part, de très nombreuses réserves, y compris sur l’article 1er, compte tenu de l’isolement de la France, de l’existence d’un risque juridique et du fait que, en réalité, les Français ou les entreprises françaises vont payer.
On évoque l’attractivité fiscale de notre pays, et on crée une taxe nouvelle ! La France se distingue par sa créativité fiscale – c’est notre particularité –, mais, là, monsieur le ministre, je ne vous suis pas !
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, sur l’article.
M. Fabien Gay. Je voudrais vous féliciter, monsieur le ministre, sans ironie aucune. Vous êtes effectivement en train de casser une rhétorique qu’on entend depuis vingt ans dans la bouche des différents ministres qui se succèdent – ce n’est pas propre à votre gouvernement. Chaque fois que nous posons un problème, on nous explique que nous avons raison, mais qu’il est impossible de faire quoi que ce soit. En effet, nous dit-on, la bonne échelle pour résoudre ce problème est celle de l’Union européenne, et, même si nous menons ce combat avec ardeur, vous n’êtes pas sans savoir qu’il faut l’unanimité… Encore une fois, on pourrait taxer les revenus financiers, mais cela dégraderait notre compétitivité : la bonne échelle, c’est l’Union européenne…
J’ai eu ce même débat, voilà peu, avec le ministre de la transition écologique et solidaire sur la taxation du kérosène. Ce dernier a reconnu que l’idée était bonne, mais qu’une telle mesure conduirait les avions à aller se ravitailler dans d’autres pays et que, par conséquent, la bonne échelle, c’est l’Union européenne.
Et voilà, monsieur le ministre, qu’après avoir mené une bataille de deux ans, comme vous l’avez rappelé dans vos propos introductifs, vous prenez le taureau par les cornes – pardonnez-moi l’expression – et décidez, en l’absence d’accord, d’instaurer une taxe à l’échelle nationale ! Je vous en félicite et vous en remercie ! Il y aura désormais une jurisprudence Bruno Le Maire. Quand un ministre ou une ministre viendra nous expliquer qu’on ne peut rien faire au motif que la bonne échelle est celle de l’Union européenne, nous lui rappellerons – je serai le premier à le dire – que c’est faisable.
Cela étant, sans revenir sur tous les arguments développés par mon collègue Pascal Savoldelli, nous avons matière à débat, monsieur le ministre, puisque de nombreux éléments nous laissent insatisfaits : l’assiette, le seuil, etc. En particulier, nous regrettons que ce ne soit pas les activités qui soient taxées, ce qui crée des disparités y compris au sein même des Gafa. Ainsi, le modèle d’Amazon n’est pas exactement celui de Google : s’agissant des publicités, par exemple, la seconde entreprise sera très ponctionnée, la première beaucoup moins.
Enfin, je profiterai des trente secondes de temps de parole qu’il me reste pour relayer les propos d’un responsable de Google – j’ai effectivement eu l’occasion, avec une délégation du parti communiste, de me rendre dans cette entreprise. À mon grand étonnement, celui-ci nous a expliqué, à la fin de la visite, qu’il était content de recevoir des parlementaires, car il avait un problème à nous soumettre : comme la question des aides publiques fait débat dans la société et que Google pratique déjà l’optimisation fiscale, peut-être n’était-il pas nécessaire que l’entreprise bénéficie du CIR ou du CICE… Ce responsable trouvait cela un peu indécent !
Dès lors – nous avons déjà débattu de la question du conditionnement des aides publiques, notamment du CICE, et vous n’avez jamais voulu me répondre sur ce sujet –, accepteriez-vous que des grandes entreprises comme les Gafa, puisqu’elles le souhaitent, puissent rendre les aides publiques qu’elles ont perçues. C’est une proposition dont nous pourrions discuter et, monsieur le rapporteur, nous pourrions même envisager un amendement en ce sens à l’occasion de l’examen du prochain budget de la France. J’y insiste, cette question, qui est une véritable question, a été soulevée, non pas par nous, mais par les représentants de Google en France.
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bascher, sur l’article.
M. Jérôme Bascher. Nous sommes face à un dilemme cornélien.
Dilemme, parce que, comme le dirait notre Président de la République – le vôtre, surtout –,…
M. Richard Yung. Ce n’est pas le vôtre ?
M. Jérôme Bascher. … l’économie du numérique est nécessaire, mais, en même temps, on ne peut pas continuer à taxer sans arrêt toutes les entreprises – je pense à l’article 2 que nous examinerons ultérieurement.
Dilemme, parce que nous sommes tous persuadés que les Gafa doivent être taxés, mais, en même temps, votre taxe affectera, en premier lieu, des petites entreprises.
Dilemme, parce que nous instaurons cette taxe au seul niveau français – et, contrairement à mon collègue Fabien Gay, je pense que c’est une erreur –, mais le niveau adéquat, c’est l’Union européenne, voire, au-delà, l’OCDE.
Dilemme, parce que rester sans rien faire ne serait pas acceptable par l’opinion publique, mais, en même temps, nous allons taper une fois encore sur des petites entreprises françaises.
Mes chers collègues, la cote est mal taillée – cela va tous nous mettre dans l’embarras –, et la mesure n’est que symbolique, à l’image des sommes attendues.
Cela me rappelle la question du niveau de l’impôt sur les sociétés – une question que vous connaissez bien, monsieur le ministre. Aux plus grandes entreprises, on n’impose pas le taux normal d’impôt sur les sociétés ; on leur demande de dire combien elles veulent payer. On a un peu l’impression d’un mécanisme similaire ici, d’où ce dilemme auquel nous faisons face. Nous aurons beaucoup de difficultés à voter cet article ; si nous le votons, ce sera pour le symbole, non pour le résultat.
Mme la présidente. Je suis saisie de dix amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 43 n’est pas soutenu.
Les trois amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 10 est présenté par M. Carcenac, Mme Taillé-Polian, MM. Lurel, Kanner, Raynal, Éblé et Botrel, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas, P. Joly et Lalande, Mme Artigalas, MM. Bérit-Débat et Jacquin, Mmes G. Jourda et Lepage, MM. Mazuir, Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 22 est présenté par le Gouvernement.
L’amendement n° 26 est présenté par MM. Savoldelli et Bocquet, Mme Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 5
Supprimer les mots :
, pour les années 2019 à 2021,
La parole est à M. Thierry Carcenac, pour présenter l’amendement n° 10.
M. Thierry Carcenac. Cet amendement a pour objet de supprimer le bornage dans le temps de l’application de la taxe sur les services numériques instituée par le présent projet de loi.
En l’absence de certitudes sur le plan international, il convient, par prudence, de renvoyer l’extinction de la taxe à un moment ultérieur. Il semble effectivement très ambitieux de considérer que les discussions conduites au niveau de l’OCDE aboutiront d’ici à la fin de l’année 2021. Aussi, mentionner dans l’article une date d’extinction crée une situation ambiguë et contre-productive sur les plans fiscal et législatif. C’est en ce sens que la suppression de cette disposition nous apparaît nécessaire.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre, pour présenter l’amendement n° 22.
M. Bruno Le Maire, ministre. Je rejoins l’argumentaire tout juste développé et profite de cette présentation pour répondre à certaines remarques constructives – je vous remercie d’ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, pour le caractère très constructif de notre débat.
Nous faisons le choix d’une taxe nationale, afin de nous donner toute la crédibilité nécessaire à l’OCDE pour obtenir une solution internationale.
Vous me permettrez d’être un peu moins confiant que certains dans cet hémicycle sur notre capacité à obtenir un résultat à l’OCDE. Comme qui dirait, chat échaudé craint l’eau froide… En outre, j’ai pu constater que, en matière fiscale, il peut couler beaucoup d’eau sous les ponts avant de parvenir à un consensus. Par conséquent, nous devons mettre toutes les chances de notre côté, et, pour cela, avoir le courage d’adopter une taxe au niveau national. Je rejoins d’ailleurs les propos de M. Gay sur le fait que, par moments, la France doit accepter d’être devant, de proposer son propre système.
La France est un grand pays, une grande nation. Elle peut montrer la voie sur certains sujets, plutôt que d’attendre systématiquement d’avoir le soutien des autres, surtout quand, comme ici, elle a déjà obtenu le soutien de vingt-trois nations et que le blocage est dû à seulement quatre États en Europe.
Il est d’autres sujets fiscaux sur lesquels d’autres nations ont accepté d’être pionnières et ont obtenu des résultats. Quand la Grande-Bretagne – une grande place financière pourtant – décide d’instaurer une taxation sur les transactions financières, parce que, justement, elle est une grande place financière et que cela lui rapporte beaucoup, elle est seule à le faire. C’est le paradoxe, d’ailleurs : la taxe est mise en place, pour la première fois, par la City de Londres, qui, en plus, agit seule !
Aujourd’hui, nous sommes une dizaine de pays à vouloir suivre son exemple. La France a créé sa propre taxe, et, quelques années plus tard – je reconnais que cela prend beaucoup de temps –, nous parvenons à un accord sur le sujet, avec une taxe sur les transactions financières qui constituera, en outre, un des moyens de financement du budget de la zone euro. L’aboutissement d’un tel dossier représente plusieurs années de travail, mais, à l’origine, il y a une nation – la Grande-Bretagne – que nous avons suivie et, à la fin, un accord.
Dans le cas des États-Unis, je citerai la taxation minimale à l’impôt sur les sociétés, le fameux Gilti.
Mise en place par l’administration de Donald Trump, cette taxation vise à éviter l’évasion fiscale. À ce jour, aucun autre État n’a déployé un dispositif identique. Pour autant, si vous en discutez avec le secrétaire du Trésor américain, il vous expliquera que le principe est très simple : ne souhaitant subir aucune évasion fiscale, les Américains se permettent d’avoir une taxation minimale à l’impôt sur les sociétés. Celle-ci, d’ailleurs, nous servira de base, dans le cadre du G7, pour instaurer une même taxe et, ainsi, éviter l’évasion fiscale de grandes entreprises multinationales, qui engrangent des bénéfices en France et paient leurs impôts à l’étranger, évidemment dans des paradis fiscaux. Face à ce phénomène, inacceptable, vous voyez bien que la voie a été ouverte par un État.
À mes yeux, c’est tout à l’honneur de la France que d’ouvrir la voie sur la taxation du numérique et d’avoir le courage, effectivement, d’être seule à appliquer cette taxe. Je le reconnais bien volontiers : si d’autres pays, comme l’Espagne, l’Italie, la Grande-Bretagne, ont mis le projet à l’étude, nous sommes pour le moment seuls à être passés à l’acte, peut-être bientôt rejoints par l’Autriche.
Quoi qu’il en soit, la France sera le premier État, en Europe, à taxer les géants du numérique. Il faut, non pas en avoir peur, mais en être fier, et je suis convaincu que d’autres nations nous suivront.
En revanche, si nous instaurons ce dispositif, tout en disant aux intéressés « ne vous inquiétez pas, la taxe sera retirée dans deux ou trois ans », nous perdons en « beauté » et en « efficacité ». Or les deux sont importants en politique : la beauté du geste, comme son efficacité ! Si vous voulez les concilier, il me paraît indispensable de ne pas borner dans le temps cette taxation sur les services numériques.
L’engagement est clair et simple : le jour où un accord sera obtenu à l’OCDE, nous retirerons notre taxe nationale, mais nous la conserverons tant qu’il n’y en aura pas.
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour présenter l’amendement n° 26.
M. Fabien Gay. J’ai une interrogation et je veux faire une remarque.
Je reviens tout d’abord sur une question formulée par mon collègue Pascal Savoldelli : combien va rapporter cette taxe ? La réponse n’est pas anodine ! Nous entendons parler d’une fourchette de 350 millions à 500 millions d’euros ; M. le rapporteur mentionne un montant de 1,2 milliard d’euros dans son propos.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Non !
M. Fabien Gay. De 1 milliard d’euros ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Non ! Vous confondez avec autre chose !
M. Fabien Gay. Si ce n’est pas le cas, je retire mon propos. Toujours est-il que M. le ministre, lui, parle de sommes comprises entre 350 millions et 500 millions d’euros. Nous sommes très loin de l’écart de 14 points avec l’imposition de nos TPE et de nos PME.
Par ailleurs, nous sommes d’accord pour ne pas fixer de bornes dans le temps. L’instauration de cette taxe nationale vise à créer un rapport de force au niveau européen et à entraîner les autres pays dans la même direction que la nôtre. Mais, si avant même de voter cette taxe, nous prévenons qu’elle s’appliquera pour deux ans seulement, nous ne permettons pas que ce rapport de force se développe au sein de l’Union européenne.
Je partage la position de M. le ministre : deux ans ne seront pas suffisants pour régler la difficulté. J’ai pu me rendre au Danemark voilà plusieurs mois, avec une délégation aux entreprises, et nos interlocuteurs nous avaient fait part de leur totale opposition à voir une taxe sur les Gafa être déployée au niveau de l’Union européenne. Il faudra donc de très nombreuses discussions pour aboutir à une harmonisation fiscale.
La bonne échelle est effectivement celle de l’Union européenne. Mais, si nous voulons construire ce rapport de force, il faut bannir toute durée dans le temps, mettre en place la taxation, en tirer un rendement – je vous repose donc la question, monsieur le ministre : quel rendement attendez-vous ? – et poursuivre la discussion avec nos partenaires européens.
Borner dans le temps la taxation reviendrait à dénaturer, dès le début, le projet de loi. Ce serait mettre une aiguille dans une meule de foin ; nous n’aurions aucun poids dans le rapport de force.
Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 6 rectifié est présenté par Mmes Lavarde, Garriaud-Maylam et Vullien, MM. Longeot, Kennel, Grosdidier et Bascher, Mmes Gruny, L. Darcos, Morhet-Richaud et N. Goulet, M. Piednoir, Mme Estrosi Sassone, M. de Nicolaÿ, Mmes Imbert, M. Mercier et A.M. Bertrand, MM. D. Laurent, Lefèvre, Danesi, Laménie, Savary et Segouin et Mme de Cidrac.
L’amendement n° 20 rectifié est présenté par M. Cadic, Mme Billon, MM. Moga et Guerriau et Mme Guidez.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 5
Remplacer l’année :
2019
par l’année :
2020
La parole est à Mme Christine Lavarde, pour présenter l’amendement n° 6 rectifié.
Mme Christine Lavarde. Dans le cadre de la discussion générale, j’ai évoqué le fait que les entreprises étaient insuffisamment préparées pour être en mesure de consolider le chiffre d’affaires taxable à la date d’entrée en vigueur de la loi. Cet amendement vise donc à repousser cette date au 1er janvier 2020, de manière à leur laisser le temps de développer les outils nécessaires.
Je vais citer un exemple.
Aujourd’hui, les plateformes effectuent un suivi de l’usage de leurs services, mais, selon les modèles économiques, ce tracking ne vise pas toujours le consommateur et, donc, la valeur créée en France. Ainsi, s’agissant des régies publicitaires, c’est l’usage de la plateforme par les annonceurs qui est pris en compte dans le tracking des transactions financières.
L’application de la taxe sur les services numériques nécessitera donc, pour les acteurs du numérique, de mettre en place de nouveaux outils, propres à identifier la consultation en France et à y assigner une part de la valeur créée. Par exemple, pour une publicité consultée dans toute l’Europe, il faudra, non seulement effectuer le suivi des visionnages en France, mais aussi y assigner une quote-part de ce qui a été payé par l’annonceur.
Tout cela imposera donc une refonte lourde des systèmes d’information, qui ne peut pas débuter avant le vote de la loi, puisque la CNIL interdit la collecte de données sans motif légal.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic, pour présenter l’amendement n° 20 rectifié.
M. Olivier Cadic. Après la « French Tech », voici donc la « French taxe » !
Le présent amendement vise, à défaut de rejeter purement et simplement une nouvelle taxe que nous introduisons seuls dans notre coin, à reporter d’un an son entrée en vigueur.
J’avoue être un peu stupéfait par cette nouvelle illustration du génie fiscal français. Plusieurs éléments d’explication nous sont donnés.
Cette taxe, improprement baptisée « taxe Gafa », est une absurdité sur les plans juridique et économique. Les recettes, estimées à 400 millions d’euros, soit moins d’un demi-millième du total des prélèvements obligatoires, sont fictives, puisque la France pourrait être contrainte de les rembourser dans quelques années, faute de s’être conformée au droit européen de la concurrence – il y a des précédents. L’assiette retenue, à savoir le chiffre d’affaires, favorisera paradoxalement les gros au détriment des petits et, par conséquent, renforcera la position des géants américains et chinois à l’égard des start-up françaises et européennes, qui ne pourront accroître la dimension de leurs affaires. Et c’est sans parler des incidences et répercussions fiscales qui viendront grever le pouvoir d’achat des consommateurs français, que l’État s’ingénie, dans le même temps, à stimuler à grand renfort de dépenses publiques !
Pourtant, malgré ces griefs et par excès de zèle « taxateur », nous nous apprêtons à adopter cette mesure. Je vous propose donc, mes chers collègues, d’accepter au minimum que l’on puisse reporter son entrée en vigueur, afin de laisser à l’administration fiscale et, plus encore, aux entreprises concernées, comme l’a très bien dit ma collègue Lavarde, un temps suffisant d’adaptation, la rétroactivité de la taxe au 1er janvier 2019 n’étant pas la moindre de ses conséquences fâcheuses.
Mme la présidente. L’amendement n° 64, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 57
Après la référence :
302 septies A
insérer les mots :
ou admis à déposer leurs déclarations par trimestre civil conformément au troisième alinéa du 2 de l’article 287
II. – Alinéa 60
Supprimer les mots :
ou du troisième trimestre de l’année
III. – Alinéa 67
Après la référence :
302 septies A
insérer les mots :
ni admis à déposer ses déclarations par trimestre civil conformément au troisième alinéa du 2 de l’article 287
IV. – Alinéa 94
1° Au début
Insérer les mots :
Par dérogation aux dispositions du I de l’article 1693 quater du code général des impôts,
2° Remplacer les mots :
code général des impôts
par les mots :
même code
3° Remplacer les mots :
que l’article 1693 quater du même code prévoit pour le second acompte
par le mot :
suivantes :
V. – Après l’alinéa 94
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
1° Pour les redevables de la taxe sur la valeur ajoutée soumis au régime réel normal d’imposition mentionné au 2 de l’article 287 du même code, lors du dépôt de l’annexe à la déclaration mentionnée au 1 du même article 287 déposée au titre du mois d’octobre ;
2° Dans les autres cas, au plus tard le 25 novembre, lors du dépôt de l’annexe à la déclaration prévue au même 1 déposée auprès du service de recouvrement dont relève le siège ou le principal établissement du redevable.
VI. – Alinéa 95
1° Première phrase
Remplacer le mot :
Il
par les mots :
Cet acompte
2° Seconde phrase
Remplacer le mot :
septembre
par le mot :
octobre
VII. – Alinéa 97
Remplacer le mot :
septembre
par le mot :
octobre
La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Je vous présente un amendement de compromis. À défaut de reporter l’entrée en vigueur de cette taxation – nous estimons, pour notre part, que les grandes entreprises du numérique ont les moyens d’organiser la collecte des données nécessaires dans les temps impartis –, nous proposons de leur laisser plus de temps pour déterminer les éléments permettant la déclaration et la liquidation de l’acompte. Pour celui-ci, l’échéance d’octobre 2019 serait repoussée au mois de décembre 2019. Nous leur laisserions donc trois mois supplémentaires.
Par souci de cohérence, nous modifierions également la date limite pour formuler l’option sur le régime de groupe, prévue dans tous les régimes fiscaux. Cette date serait reportée du mois de septembre au 30 octobre 2019.
Pour résumer, nous ne reportons pas l’entrée en vigueur de la taxe, mais nous laissons un délai supplémentaire aux entreprises pour liquider l’acompte et formuler l’option sur le régime de groupe. Cette solution de compromis permet de tenir compte des contraintes pesant sur ces dernières, sans pour autant repousser l’instauration de la taxe.
Pour répondre à la question posée par M. Gay, j’indique que nous partons sur un rendement initial de 400 millions d’euros, qui dépassera 600 millions d’euros d’ici à 2021, d’où un rendement moyen estimé à 500 millions d’euros, soit 2 milliards d’euros sur quatre ans. Nous parlons d’une somme évidemment élevée, sachant que le rendement de cette taxe devrait très probablement croître fortement au fil des ans, ainsi que le revenu qui en sera tiré.
Mme la présidente. L’amendement no 61 rectifié bis ainsi que les amendements identiques nos 44 et 60 rectifié ne sont pas soutenus.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Que l’on ne se méprenne pas : la commission soutient cette taxe. Preuve en est, son avis sera favorable sur l’amendement n° 64, tout juste défendu par M. le ministre, qui propose un certain nombre de mesures techniques, plutôt que le report de la taxe. Néanmoins, ce dispositif n’est pas sans poser un certain nombre de difficultés juridiques.
M. le ministre l’a reconnu très volontiers : nous serons le premier pays à instaurer cette taxe. Elle a été envisagée par l’Espagne, l’Italie, l’Angleterre, autant de pays qui ne l’ont pas mise en place. Il faut donc être extrêmement prudent en la matière. À ce titre, je vous rappelle que nous avons aussi été le premier pays à mettre en place la taxe de 3 % sur les dividendes, et on a bien vu ce que cela nous a coûté ! Nous avons été le premier pays à mettre en place une taxe à 75 % sur les revenus salariaux, et on a bien vu ce que le Conseil constitutionnel en a pensé !
Vraiment, la prudence s’impose. Une taxe qui, miraculeusement, toucherait environ trente sociétés, en épargnant pratiquement toutes les sociétés françaises, me conduit forcément à me poser certaines questions, en particulier sur les réactions au plan européen. C’est la raison pour laquelle un amendement présenté ultérieurement tendra à notifier cette taxe auprès de la Commission européenne pour vérifier si ce n’est pas une aide d’État. Il s’agit bien, en procédant de la sorte, non pas de reconnaître de fait que cette taxe en est une, mais de sécuriser le dispositif sur le plan juridique. La pire situation serait effectivement celle dans laquelle nous devrions avoir à procéder à des remboursements. Je peux citer des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne considérant que la taxe pourrait être discriminatoire dans la mesure où, en pratique, elle ne s’appliquerait à quasiment aucune société française.
Mon souhait n’est pas de contrecarrer la taxe ; j’entends la sécuriser afin de ne pas nous retrouver à devoir rembourser les sociétés, comme cela nous est arrivé pour la taxe de 3 % sur les dividendes. À l’époque, tout le monde nous a expliqué que cette taxe était merveilleuse ; quelque temps plus tard, on est venu nous dire que cela ne fonctionnait pas et qu’il fallait rembourser les sommes perçues ! Cela explique que je propose un certain nombre de sécurités juridiques.
Pourquoi la commission a-t-elle souhaité limiter cette taxe dans le temps, en ciblant les années 2019, 2020 et 2021 ? Nous avons acquis la conviction que cette mesure était nécessaire en préparant l’examen de ce projet de loi, notamment au travers de l’audition des représentants de l’OCDE.
Pour le coup, dans ce cadre, les négociations progressent. L’Europe – les représentants du groupe CRCE y ont fait allusion – n’est plus le niveau auquel il faut travailler : les discussions ont échoué, et des oppositions ont été très clairement exprimées par certains pays, comme le Danemark ou la Suède. En revanche, on a pu constater que, dans le domaine fiscal – je pense, par exemple, à la question du secret fiscal –, c’est chaque fois au niveau de l’OCDE que les dossiers progressent. Or, le meilleur moyen de faire progresser le présent dossier, c’est sans doute de se donner un délai court et d’indiquer clairement que nous souhaitons aboutir avant 2021. Si, d’ici là, nous échouons, nous pourrons remettre cette taxe en discussion au Parlement, qui pourra toujours la prolonger ou en améliorer le dispositif.
Fixer une échéance ne signifie pas que la taxe disparaîtra en 2021. Cela obligera le Gouvernement à revenir devant le Parlement pour justifier de son extension éventuelle et nous préciser le degré d’avancement des discussions au sein de l’OCDE. Cette solution nous apparaît comme étant la meilleure, et, après discussion avec l’OCDE, c’est sans doute le meilleur moyen de mettre la pression sur nos partenaires.
En conséquence, au motif qu’ils vont à l’encontre de cette position de la commission, nous demandons le retrait de tous les amendements, à l’exception, comme je l’indiquais, de l’amendement n° 64 du Gouvernement. Cet amendement technique permet, effectivement, d’améliorer les conditions d’entrée en vigueur de la taxe.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Le Gouvernement est défavorable aux amendements visant à reporter l’entrée en vigueur de la taxe et à instaurer une limite de son application dans le temps.
Pour nous, il ne fait pas de doute que cette taxe ne constitue pas une aide d’État, au titre de l’article 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, car elle ne fausse pas la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. Ce qui distingue les entreprises taxées de celles qui ne le sont pas, pour faire simple, c’est qu’elles disposent d’effets de réseaux importants, liés à l’accumulation de centaines de milliers ou de millions de données, dont ne peuvent pas se prévaloir les autres entreprises.
Puisque, dans la détermination du champ de cette taxe, nous n’établissons aucune différenciation entre entreprises étrangères et entreprises nationales, lesquelles seront aussi concernées, il n’y a pas davantage de discrimination.
Pour ces deux raisons, le Gouvernement estime que cette taxe ne constitue aucunement une aide d’État, approche que le Conseil d’État a d’ailleurs validée.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je voudrais insister sur l’intérêt de ne pas borner le mécanisme fiscal qu’il nous est proposé d’adopter.
J’ai le souvenir d’un débat similaire au cours duquel M. Karoutchi, longtemps représentant permanent de la France auprès de l’OCDE, nous expliquait que, dans le cadre des négociations menées au sein de cette organisation, le fait, pour tel ou tel pays, d’avoir déjà mis en œuvre des dispositions constituait un atout avant que ne soient rendus les arbitrages finaux, fruits d’un rapport de force.
Si, dès le début, nous donnons le sentiment de défendre avec faiblesse notre position, nous donnerons à penser que nous menons la négociation sans certitude. Au sein de l’OCDE, je l’ai dit, celle-ci ne sera pas facile, et quand nous aurons face à nous les Américains, en n’étant que faiblement soutenus par les Européens, je crains même qu’elle n’aboutisse pas. En revanche, si nous établissons un rapport de force positif en créant cette taxe, je reste convaincue que cette décision de la France aura des effets rebonds, si je puis dire, dans d’autres pays, parce que ceux d’entre eux qui approuvaient la position française pourront s’appuyer sur notre décision pour agir.
Par ailleurs, en matière de taxation, on trouve toujours toutes sortes d’alibis : le bon niveau est le niveau non pas français, mais européen ; ou bien alors il faut engager une négociation au sein de l’OCDE. En réalité, c’est que cette impuissance du politique donne un pouvoir de plus en plus fort à ces multinationales. Même si je ne suis pas d’accord avec le niveau de taxation envisagé – je pense qu’on peut aller plus loin, notamment en nous adossant à la directive, mais nous en discuterons –, comme le ministre, je considère qu’il ne s’agit pas d’une aide d’État.
Encore une fois, puisque nous nous adossons à un projet de directive européenne, c’est bien la preuve que cette taxation ne peut pas être assimilée à une aide d’État ! Et la Cour de justice de l’Union européenne ne pourra pas qualifier comme tel un dispositif émanant de la Commission européenne que la France appliquerait de façon unilatérale !
Monsieur de Montgolfier, demander à la Commission d’arbitrer en lieu et place de la France, ce serait un peu diluer notre capacité politique.
Mme la présidente. Il faut conclure, madame Lienemann !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Les Français ne comprendraient pas qu’on demande l’autorisation de l’Europe pour mettre en œuvre cette initiative nationale, alors qu’elle s’adosse à une décision prise au niveau européen.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 10, 22 et 26.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 119 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 327 |
Pour l’adoption | 133 |
Contre | 194 |
Le Sénat n’a pas adopté.
La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 6 rectifié et 20 rectifié.
M. Olivier Cadic. Le zèle qu’on emploie à mettre en place cette taxe avec effet rétroactif déstabilisera une nouvelle fois nos entrepreneurs. De nouveau, notre pays sera taxé d’instable sur le plan fiscal.
Je suis allé récemment à La Réunion, où l’on m’a fait part des effets dévastateurs pour les commerçants de l’île d’une plateforme chinoise qui, une fois commandés, y expédie des biens vendus à des prix réduits. Déjà, qu’on applique le droit et les taxes en vigueur ! De toute façon, ces plateformes pourront continuer leur commerce en toute tranquillité.
Le Président de la République voulait que la France devienne une start-up nation ; en fait, vous êtes en train d’en faire une star tax nation ! Et nous verrons avec quelle efficacité…
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 6 rectifié et 20 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Thani Mohamed Soilihi.)
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
6
Modification de l’ordre du jour
M. le président. Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande que l’examen des deux conventions internationales examinées en procédure simplifiée, initialement inscrites à l’ordre du jour du jeudi 23 mai, soit avancé au mercredi 22 mai après-midi.
Par ailleurs, le Sénat ne siégerait jeudi 23 mai qu’à titre éventuel pour la suite de l’examen du projet de loi relatif à la modernisation de la distribution de la presse.
Acte est donné de cette demande.
7
Création d’une taxe sur les services numériques
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant création d’une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés.
Article 1er (suite)
M. le président. Je suis saisi de dix amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 37 rectifié, présenté par M. Rapin, Mme Lavarde, M. Husson, Mme Garriaud-Maylam, M. Lefèvre, Mmes L. Darcos et Gruny, M. Savary, Mme Billon, MM. de Nicolaÿ, Bazin et del Picchia, Mme Morhet-Richaud, MM. Moga, Luche, Courtial, P. Dominati, Mouiller, Reichardt, Savin et Canevet, Mme Berthet, MM. Vogel, Brisson, Laménie et Chevrollier, Mmes M. Mercier et Lamure, M. Genest, Mme Duranton, M. Bouchet, Mme de Cidrac, MM. Duplomb et J.M. Boyer et Mmes Canayer et Férat, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 5
Après les mots :
de la fourniture
insérer les mots :
ou de la livraison
et après les mots :
des services
insérer les mots :
ou biens
II. – Alinéa 6
Après les mots :
Les services
insérer les mots :
et livraisons de biens
III. - Après l’alinéa 19
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« … La livraison de biens, au moyen d’une interface numérique, à un utilisateur.
IV. - Après l’alinéa 22
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« … S’agissant des entreprises mentionnées au 3° du II, 50 % des sommes encaissées au titre de la livraison de biens, au sens de l’article 256, en France, pour l’année au cours de laquelle la taxe devient exigible.
V. - Alinéa 23
Remplacer les références :
1° et 2°
par les références :
1° à 3°
VI. - Après l’alinéa 34
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« …. – La livraison de biens taxables mentionnée au 3° du II de l’article 299 est réalisée en France lorsque l’interface numérique permet la réalisation, entre un professionnel et un utilisateur, d’une livraison de biens si l’utilisateur qui conclut l’opération au moyen de l’interface numérique est localisé en France.
La parole est à M. Jean-François Rapin.
M. Jean-François Rapin. Cet amendement traduit la volonté affichée des sénateurs qui l’ont cosigné de rétablir une certaine équité fiscale entre les grandes entreprises du secteur numérique et celles du commerce physique, notamment au titre de la contribution à l’aménagement du territoire.
En effet, on le sait, les commerces physiques sont les principaux contributeurs à l’aménagement du territoire au travers de la fiscalité variée à laquelle ils peuvent être soumis. Le présent amendement tend à ce que leur assujettissement à la taxe des pure players soit soumis à la condition de réalisation d’au moins 50 % de leur chiffre d’affaires au titre de ladite livraison de biens. Ce seuil vise à intégrer ces dernières dans le champ de l’application de la taxe tout en exonérant les acteurs présents dans le commerce physique et qui contribuent, par leur activité imposable, à l’aménagement du territoire. C’est là une simple mesure d’équité que nous proposons.
M. le président. L’amendement n° 27, présenté par MM. Savoldelli et Bocquet, Mme Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Remplacer le mot :
services
par les mots :
activités activées par des plateformes telles que les réseaux internet, mobiles et de capteurs, y compris le commerce électronique,
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Par cet amendement, nous voulons donner une définition plus large de l’activité économique numérique, par exemple à partir de celle qu’a adoptée l’Insee.
Prendre comme assiette les seuls services taxables n’est pas adapté au fonctionnement des firmes du secteur du numérique, dont les activités sont souvent transsectorielles. Dans ce cadre, se référer à la notion d’activité des plateformes telles que les réseaux internet, mobiles et de capteurs, y compris le commerce électronique, nous paraît mieux répondre aux enjeux qui sous-tendent la discussion de ce texte.
M. le président. L’amendement n° 29, présenté par MM. Savoldelli et Bocquet, Mme Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéas 20 à 23
Remplacer ces alinéas par six alinéas ainsi rédigés :
« III. – Aux fins de la taxe sur les services numériques, un établissement stable est réputé exister dès lors qu’il existe une présence numérique significative par l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité.
« Une présence numérique significative est réputée exister sur le territoire national au cours d’une période d’imposition si l’activité exercée par son intermédiaire est activée par des plateformes telles que les réseaux internet, mobiles et de capteurs, y compris le commerce électronique et qu’une ou plusieurs des conditions suivantes sont remplies en ce qui concerne la fourniture de ces services par l’entité exerçant cette activité, considérée conjointement avec la fourniture de tels services par l’intermédiaire d’une interface numérique par chacune des entreprises associées de cette entité au niveau consolidé :
« a) La part du total des produits tirés au cours de cette période d’imposition et résultant de la fourniture de ces services numériques à des utilisateurs situés sur le territoire national au cours de cette période d’imposition est supérieure à 7 000 000 d’euros ;
« b) Le nombre d’utilisateurs de l’un ou de plusieurs de ces services numériques qui sont situés sur le territoire national membre au cours de cette période imposable est supérieur à 100 000 ;
« c) Le nombre de contrats commerciaux pour la fourniture de tels services numériques qui sont conclus au cours de cette période d’imposition par des utilisateurs sur le territoire national est supérieur à 3 000.
« En ce qui concerne l’utilisation des services numériques, un utilisateur est réputé être situé sur le territoire national au cours d’une période d’imposition si l’utilisateur utilise un appareil sur le territoire national au cours de cette période d’imposition pour accéder à l’interface numérique par l’intermédiaire de laquelle les services numériques sont fournis. Ces derniers sont définis comme services fournis sur l’internet ou sur un réseau électronique et dont la nature rend la prestation largement automatisée, accompagnée d’une intervention humaine minimale, et impossible à assurer en l’absence de technologie de l’information.
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Il s’agit là d’un amendement de principe fiscal, et nous souhaiterions que vous vous y intéressiez sérieusement. De principe, car nous voulons répondre à une difficulté que beaucoup ont pointée ici : l’inefficacité de notre système fiscal, qui, au regard du sujet qui nous occupe ce soir, est uniquement fondé sur l’établissement. Pour les géants du numérique, de telles fondations sont inopérantes.
Reconnaître un établissement stable virtuel, basé sur une présence numérique considérée comme significative, est possible. Nous proposons des seuils clairs : une fourniture de services numériques à des utilisateurs supérieure à 7 000 000 euros ; un nombre d’utilisateurs supérieur à 100 000 ; un nombre de contrats commerciaux supérieur à 3 000. Pour reprendre le titre d’un ouvrage désormais célèbre, c’est à une révolution fiscale que nous vous appelons, à un changement de paradigme nécessaire.
Cet amendement soulève certes une question de principe, mais il se veut aussi pragmatique : des États à la culture numérique importante ont intégré à leur système fiscal la notion d’établissement stable virtuel. Je citerai deux exemples, que vous devez connaître, monsieur le ministre : l’Inde et Israël.
La Commission européenne elle-même utilise dans son paquet sur la fiscalité numérique de novembre 2018 la notion de présence significative.
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par M. Delcros, Mme Vermeillet, MM. Bonnecarrère et Mizzon, Mme Loisier, M. Henno, Mme Guidez, MM. Delahaye, Longeot, Canevet et Janssens, Mme Joissains, MM. Vanlerenberghe et Moga et Mmes Doineau, Billon, C. Fournier, Sollogoub, Saint-Pé et Férat, est ainsi libellé :
Alinéa 20
1° Après le mot :
montant
insérer le mot :
moyen
2° Remplacer les mots :
de l’année civile
par les mots :
des trois dernières années civiles
La parole est à M. Bernard Delcros.
M. Bernard Delcros. Nous avons tous souligné dans la discussion générale la difficulté qu’il y a à taxer le chiffre d’affaires et non pas les bénéfices, même si chacun a reconnu que, à ce jour, c’était la seule solution. Aussi, afin de réduire tout risque d’effet de seuil dans l’application de la taxe sur les services numériques pour les start-up en croissance, mais qui enregistrent de faibles résultats, cet amendement vise à modifier le calcul de l’assiette taxable en prenant en compte non plus le chiffre d’affaires de la seule année précédente, mais le chiffre d’affaires moyen réalisé les trois dernières années consécutives.
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 5 est présenté par M. Adnot.
L’amendement n° 52 rectifié est présenté par MM. Collin, Gabouty, Requier, Roux, Arnell, Artano, A. Bertrand et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Castelli et Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mme N. Delattre, M. Gold, Mmes Guillotin, Jouve et Laborde et M. Vall.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 20
Remplacer les mots :
de l’année civile
par les mots :
des trois dernières années civiles
L’amendement n° 5 n’est pas soutenu.
La parole est à M. Yvon Collin, pour présenter l’amendement n° 52 rectifié.
M. Yvon Collin. L’article 1er définit comme redevables de la taxe sur les services numériques les entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 750 millions d’euros au niveau mondial et 25 millions d’euros en France. Cette taxe devrait s’appliquer dès 2019, donc sur le chiffre d’affaires réalisé en 2018. Cela ne tient pas compte – et cet amendement est du même esprit que les précédents – d’une caractéristique importante du secteur, à savoir la présence de sociétés jeunes est en forte croissance. Par ailleurs, comme la taxe est assise sur le chiffre d’affaires, elle s’appliquerait donc aussi aux sociétés réalisant peu ou pas de bénéfices, ce qui représente à l’évidence un risque pour leur pérennité.
Le double critère de 750 millions et de 25 millions d’euros crée un effet de seuil potentiellement dommageable aux start-up en particulier. C’est pourquoi nous proposons d’atténuer cet effet en considérant comme redevables de la TSN les sociétés dont le chiffre d’affaires aurait dépassé ces seuils au minimum au cours des trois années consécutives, ce qui permettrait à la fois de préserver leur croissance et de leur donner le temps d’accéder à une certaine profitabilité.
Bien sûr, cette modification ne bénéficierait pas aux gros acteurs, qui dépassent déjà de longue date ces seuils. C’est la même logique qui prévaut dans la loi Pacte, en vertu de laquelle le franchissement des seuils sociaux sera pris en compte après cinq années consécutives.
M. le président. L’amendement n° 53 rectifié, présenté par MM. Collin, Gabouty, Requier, Roux, Arnell, Artano, A. Bertrand et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Castelli et Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mme N. Delattre, M. Gold, Mmes Guillotin, Jouve et Laborde et M. Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 20
Remplacer les mots :
de l’année civile
par les mots :
des deux dernières années civiles
La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Cet amendement, un peu plus restrictif, tend à prendre en compte les deux années civiles. Si l’idée de limiter l’effet de seuil est la même, le Gouvernement pourrait être néanmoins plus enclin à accepter cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 11, présenté par Mme Taillé-Polian, MM. Lurel, Carcenac, Kanner, Raynal, Éblé et Botrel, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas, P. Joly et Lalande, Mme Artigalas, MM. Bérit-Débat et Jacquin, Mme G. Jourda, MM. Mazuir, Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 20
Remplacer les mots :
les deux
par les mots :
l’un des deux
La parole est à M. Rémi Féraud.
M. Rémi Féraud. Notre amendement vise à donner plus de substance à une taxe dont nous approuvons le principe, mais qui reste extrêmement limitée, ne serait-ce que par son taux de 3 % sur les recettes générées par les services numériques offerts aux utilisateurs localisés en France. Aussi, nous proposons de supprimer la double condition de seuil prévue – chiffre d’affaires mondial et chiffre d’affaires réalisé en France – par une seule condition de seuil pour rendre la taxe applicable.
Il s’agit aussi de limiter les effets que ce double seuil entraîne au détriment de l’équité entre les différentes entreprises concernées.
M. le président. L’amendement n° 12, présenté par MM. Lurel et Carcenac, Mme Taillé-Polian, MM. Kanner, Raynal, Éblé et Botrel, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas, P. Joly et Lalande, Mme Artigalas, MM. Bérit-Débat et Jacquin, Mmes G. Jourda et Lepage, MM. Mazuir, Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 21
Remplacer le nombre :
750
par le nombre :
500
La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. Le présent amendement vise à abaisser d’un tiers le seuil international déclenchant la redevabilité de la taxe. En effet, 750 millions d’euros, cela apparaît comme un montant assez élevé, qui limite son rendement.
L’étude du cabinet Taj indique que seules vingt-sept entreprises atteindraient le double seuil, le Gouvernement indiquant lui une trentaine d’entreprises.
Concrètement, cela générera une différence de traitement forte entre les acteurs du secteur.
M. le président. L’amendement n° 13, présenté par M. Carcenac, Mme Taillé-Polian, MM. Lurel, Kanner, Raynal, Éblé et Botrel, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas, P. Joly et Lalande, Mme Artigalas, MM. Bérit-Débat et Jacquin, Mmes G. Jourda et Lepage, MM. Mazuir, Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 22
Remplacer le nombre :
25
par le nombre :
15
La parole est à M. Thierry Carcenac.
M. Thierry Carcenac. L’objet du présent amendement est d’abaisser le seuil national déclenchant la redevabilité de la taxe sur les services numériques à 15 millions d’euros. Ce montant serait-il plus illégitime, pour reprendre le terme de l’une de vos réponses devant l’Assemblée nationale, monsieur le ministre ? En effet, 25 millions d’euros, cela apparaît être un montant assez élevé, qui limite le rendement de la taxe, comme nous l’avons indiqué en présentant le précédent amendement du groupe socialiste et républicain.
Cela crée une différence de traitement forte entre les acteurs du secteur, qui ne nous apparaît pas opportune et qui pourrait même se révéler contre-productive.
Le présent amendement vise donc à abaisser d’environ 40 % le seuil national en question.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur de la commission des finances. Comme le ministre l’a rappelé, ce projet de loi est directement issu d’un projet européen.
En mai 2018, le Sénat avait adopté une résolution européenne – approuvée par tous, me semble-t-il – relative à cette taxe sur les services numériques. De fait, ces différents amendements visent soit à en modifier le contour, soit à modifier les seuils de redevabilité.
La commission a préféré, par cohérence, s’en tenir au projet européen, quand bien même celui-ci n’a pas abouti, à savoir 750 millions d’euros de chiffre d’affaires mondial et un champ limité à la valeur créée par les utilisateurs français – le seuil de 25 millions d’euros, cumulatif, diffère quant à lui du projet européen.
La question de l’équité entre le commerce physique et le commerce en ligne n’est pas réglée par ce texte de loi, et c’est là un vrai sujet – pour le coup, je suis d’accord avec le Gouvernement. C’est un problème extrêmement complexe, qui dépasse les seuls impôts nationaux et peut concerner tout aussi bien des impôts locaux, comme la Tascom. Cette dernière frappe aujourd’hui les commerces physiques, mais non les entrepôts, y compris ceux du e-commerce, ni même le e-commerce.
Ce sujet est d’autant plus complexe que le modèle n’est pas unique : certaines enseignes pratiquent aussi bien la vente directe sur place que la vente en ligne ou des modèles mixtes, à savoir vente en ligne et retrait en magasin. Dans ce dernier cas, par exemple, il devient très difficile de définir les périmètres.
Cette question mériterait une approche beaucoup plus globale. Frapper également la vente en ligne, comme le suggèrent les auteurs des premiers amendements, pourrait emporter des conséquences extrêmement importantes pour des enseignes que nous connaissons bien et dont certaines ont su prendre le virage du numérique, ou sont en train de le prendre. Toutes les grandes enseignes réfléchissent à la façon d’assurer à la fois une présence physique sur l’ensemble du territoire et une présence numérique forte.
Pour ces raisons, la commission est défavorable à l’amendement n° 37 rectifié, qui vise à élargir l’assiette de la taxe aux services de vente en ligne. Encore une fois, il s’agit d’un sujet important, mais hors du champ de cette taxe, dont nous devons nous efforcer de garder la cohérence.
La commission est également défavorable à l’amendement n° 27, qui nous semble déjà satisfait : les communications électroniques entrent bien dans le champ de la taxe. Il ne s’agit pas uniquement des communications effectuées via une tablette ou un ordinateur, mais aussi par téléphone.
De même, la commission est défavorable à l’amendement n° 29, qui vise à introduire un critère d’établissement stable. Si nous essayons d’instaurer une taxe sur le chiffre d’affaires, ce qui n’est pas forcément le plus satisfaisant, c’est justement parce que nous ne parvenons pas à déterminer ce que serait un établissement stable. Introduire de nouveau cette notion nous semblerait contre-productif.
L’amendement n° 2 rectifié vise à modifier le seuil du chiffre d’affaires en retenant une moyenne sur trois ans. Ce dispositif nous semble incompatible avec celui que nous avons adopté voilà quelques instants, qui limite la taxe pour trois ans : par définition, on ne peut connaître de manière rétroactive le chiffre d’affaires. La taxe serait donc inopérante, raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable.
La commission est également défavorable à l’amendement n° 52 rectifié, quasiment identique au précédent.
L’amendement n° 53 rectifié reprend le même dispositif, mais sur deux ans. Pour les mêmes raisons, la commission y est défavorable.
L’amendement n° 11 tend à supprimer le caractère cumulatif des deux seuils de 750 millions d’euros et de 25 millions d’euros, ce qui reviendrait à frapper énormément d’entreprises. S’arrêter à 25 millions d’euros de chiffres d’affaires d’activités numériques provoquerait en effet des dégâts considérables.
Il me semble que l’on peut s’accorder sur l’appréciation du Gouvernement : un seuil de 750 millions d’euros ne concerne que des entreprises ayant déjà une taille internationale, et pas forcément françaises. Passer d’un dispositif cumulatif à un dispositif alternatif entraînerait un changement d’assiette considérable. Nous sortirions alors de la logique de la taxe telle qu’envisagée dans le projet européen. L’avis est donc défavorable.
L’amendement n° 12 vise à abaisser le seuil de 750 millions à 500 millions d’euros. Je ne vois pas en quoi cela serait plus pertinent, et ce d’autant plus que le seuil de 750 millions d’euros avait été assez largement approuvé. La commission est donc défavorable à cet amendement.
Enfin, la commission est défavorable à l’amendement n° 13, qui tend à abaisser le seuil du chiffre d’affaires national de 25 millions à 15 millions d’euros.
Toutes les opinions se sont exprimées au travers de ces différents amendements : certains trouvent que la taxe est trop large, d’autres qu’elle ne l’est pas assez… Le choix de la commission est d’en rester à l’équilibre trouvé dans le projet européen, aujourd’hui repris par le Gouvernement. Le sujet est extraordinairement complexe et assez incertain sur le plan juridique. La France fait office de précurseur en la matière.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Le Gouvernement partage l’avis de la commission.
Je souhaiterais rappeler que nous avons travaillé pendant près de deux ans sur les contours de cette taxe avec les services juridiques et fiscaux de la Commission européenne.
Nous avons trouvé un équilibre autour d’un chiffre d’affaires mondial de 750 millions d’euros et d’un chiffre d’affaires national de 25 millions d’euros.
Nous avons trouvé un équilibre autour de la base fiscale, à savoir le chiffre d’affaires.
Nous avons écarté la notion d’établissement stable numérique, laquelle est bien documentée juridiquement, mais moins fiscalement.
Au final, nous sommes arrivés à une proposition dont nous voulons aujourd’hui rester le plus proche possible, ne serait-ce que parce qu’il sera utile, dans les étapes ultérieures, de pouvoir nous référer au texte de la Commission européenne plutôt qu’à une taxe qui nous serait propre et qui reposerait sur des éléments trop différents de ceux que pourraient retenir les autres États membres ou ceux de l’OCDE. C’est la raison pour laquelle tous les amendements visant soit à modifier les seuils, soit à retenir une autre base taxable que le chiffre d’affaires ne nous paraissent pas opportuns. Je rejoins donc exactement l’argumentaire du rapporteur et invite les auteurs de ces amendements à les retirer ; à défaut, je me verrai contraint d’émettre un avis défavorable.
L’autre sujet qui a été soulevé, et dont Albéric de Montgolfier a très bien expliqué les enjeux, concerne la taxation des commerces en ligne. Je voudrais vous inviter à laisser de côté cette question, qui n’est absolument pas comparable avec la taxation du numérique et dont les incidences économiques peuvent être absolument majeures.
Quelle différence y a-t-il, par exemple, entre un agent immobilier exerçant à Melun, à Biarritz ou à Évreux, qui met des biens immobiliers en ligne, et le site Booking.com, qui croise des millions de données pour mettre en relation des utilisateurs ? Booking réalise des bénéfices grâce à cette mise en relation et à ces millions de données agrégées sans être taxé au même niveau que d’autres PME ou que cet agent immobilier de Melun, de Biarritz ou d’Évreux. Nous rétablissons donc une justice au travers de la mise en place de cette taxation du numérique. Mais si vous taxez l’agent immobilier qui a mis des biens en ligne, vous allez le pénaliser alors même qu’il paye déjà l’impôt sur les sociétés, les impôts locaux et l’intégralité des impôts nationaux auxquels il est assujetti. Vous allez donc créer une injustice.
Je pense également, par exemple, à un fabricant de chaussettes en coton, près de Lille, que j’ai rencontré récemment. Comme son seuil de rentabilité est très faible, il n’a pas de boutique et vend toute sa production en ligne. En revanche, il effectue les livraisons lui-même. Il va donc payer tous ses impôts – impôt sur les sociétés ou impôt sur le revenu, s’il s’agit de revenus propres – et la TICPE sur le gazole qu’il consomme pour effectuer ses livraisons. Et vous allez lui faire payer une taxe supplémentaire, parce qu’il commercialise ses chaussettes sur internet, alors même qu’il ne profite absolument pas de l’effet de masse lié aux millions de données en ligne !
Je suis prêt à ouvrir ce débat, mais je sais que le marchand de chaussettes, dont le commerce est en partie physique et qui s’acquitte déjà d’autres impôts, vous dira que cette taxe est injuste. Il s’agit d’un vrai débat, dont il faut évaluer toutes les conséquences.
Comme toujours en matière fiscale, il faut prendre son temps. C’est un sujet compliqué qui peut entraîner des effets de bord, des incidences qu’on ne maîtrise pas. Une fois ce travail effectué, nous trancherons alors sur l’opportunité de taxer ou non le commerce en ligne.
Pour le moment, je vous demande de laisser de côté cette question, qui n’est en rien comparable avec celle de la taxation du numérique qui nous occupe ce soir.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, pour explication de vote.
M. Jean-François Rapin. J’entends bien les arguments du rapporteur et du ministre. Toutefois, je reprendrai ceux que j’ai déjà exposés en commission des finances sur la ligne de partage entre commerce physique et commerce numérique.
Nous ne disposons pas de chiffres exacts sur cette question : vous nous aviez dit que certaines enseignes réalisaient près de 50 % de leur activité en ligne, ce qui ne semble pas correspondre à la réalité, eu égard aux contacts que j’ai pu avoir avec certains membres de la commission.
Mon amendement vise simplement à rétablir une certaine forme d’équité. M. le ministre nous dit que le moment de tenir ce débat n’est pas encore venu. Mais quand pourrons-nous l’avoir ? Le commerce de proximité pâtit de la concurrence du numérique. Certaines villes, petites et moyennes, et certains villages en souffrent terriblement. C’est la raison pour laquelle je souhaite réorganiser la contribution physique à l’aménagement du territoire et compenser en partie la disparition de certaines aides, notamment le Fisac. Quand pourra-t-on débattre de cette question ? C’est plus qu’urgent.
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour explication de vote.
M. Julien Bargeton. J’ai été convaincu par les explications du rapporteur et du ministre, qui souhaitent ne pas trop toucher à cette taxe pour mieux convaincre nos partenaires européens de l’appliquer, ce que nous souhaitons tous. Il est donc important de ne pas la fragiliser en termes juridiques ou techniques et de ne pas modifier l’assiette, c’est-à-dire la base taxable, les contours des activités et les seuils retenus.
Ces trois derniers sujets étant écartés, il en reste un dont nous pouvons discuter, et c’est tout l’objet de l’amendement de M. Collin, celui des années à prendre en compte. J’ai déposé un amendement qui va dans le même sens et dont j’ignore encore le sort qui lui sera réservé.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Défavorable ! (Sourires.)
M. Julien Bargeton. Il s’agit d’éviter de pénaliser des licornes françaises prenant leur envol et qui risqueraient d’être bloquées de manière encore précoce, alors qu’elles cherchent à s’associer à un grand groupe, par exemple.
Je voterai donc l’amendement n° 53 rectifié. Il me semble que deux ans sont un bon compromis.
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. Je peux en partie comprendre les arguments de M. le ministre concernant l’amendement n° 12, mais je ne les approuve pas tout à fait.
Le Gouvernement refuse l’abaissement du seuil à 500 millions d’euros au seul motif qu’il faut rester, dans le cadre des négociations engagées, le plus proche possible de ce qui est déjà sur la table. Encore une fois, je peux l’entendre, mais l’avis du Conseil d’État diffère. Selon lui, la différenciation de traitement entre grandes et petites entreprises se justifie par le modèle économique spécifique des entreprises numériques, à rendement croissant et à coûts décroissants. Or les entreprises françaises vont pouvoir – j’espère avoir bien lu – déduire cette taxe de leur bénéfice imposable.
Par ailleurs, l’abaissement du seuil permet d’assurer une plus grande équité fiscale entre entreprises. Nous pourrons ensuite nous rapprocher de ce que l’Europe et peut-être aussi l’OCDE feront demain.
M. le président. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.
M. Arnaud Bazin. Que M. le ministre ne quitte pas cet hémicycle avec trop d’inquiétudes pour son fabricant de chaussettes en coton : même si nous instituions la taxe sur le commerce électronique des biens physiques, il est peu probable que son chiffre d’affaires atteigne 750 millions d’euros à l’international,…
M. Arnaud Bazin. … ni même 25 millions d’euros au plan national.
Si l’on devait travailler un jour sur cette question, ce que je souhaite, nous établirions des seuils permettant d’épargner les petits producteurs divers et variés que vous avez évoqués.
L’intérêt de cet amendement que j’ai cosigné est d’ouvrir le débat. Vous nous avez dit, monsieur le ministre, que vous acceptiez de le tenir. Afin de quitter cet hémicycle à notre tour tout à fait rassurés, pourriez-vous nous donner quelques précisions quant au calendrier ?
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. La proposition initiale de la Commission européenne reposait sur une base large : publicité, intermédiation des plateformes de services, notamment celles des voyagistes, valorisation des médias fournis par les utilisateurs, valorisation des données individuelles. La France a soutenu cette proposition de taxe, dont la recette attendue était de 3 milliards à 5 milliards d’euros la première année et de 8 milliards d’euros en rythme de croisière, dont 1 milliard d’euros pour la France – soit un montant nettement supérieur à ce qui est prévu aujourd’hui.
Une telle taxe n’est donc pas susceptible d’être considérée comme antinomique avec les règles européennes. La base en a été réduite pour parvenir à un compromis avec l’Allemagne, et donc à un accord avec les Vingt-Trois, des pressions américaines étant à l’origine de certains points de blocage, comme je l’ai déjà souligné à plusieurs reprises.
À partir du moment où la France prend l’initiative de mettre en place un système pérenne et crédible, pourquoi ne pourrait-elle s’adosser à la proposition initiale ? Comme tout le monde l’a souligné, ce n’est pas demain la veille qu’on parviendra à un accord européen ! Autant instaurer une taxe raisonnable, équilibrée et conforme aux règles européennes sur le commerce de proximité, lequel commence à souffrir sérieusement de la concurrence du commerce en ligne, et qui ne menacerait pas, comme l’ont souligné plusieurs de nos collègues, les petites opérations de vente en ligne.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Il me semble que le Sénat avait adopté, en 2016, en 2017 et en 2018, la notion d’établissement stable virtuel et le principe d’une taxe nationale sur le numérique…
Les propos de M. Bazin sur le fabricant de chaussettes évoqué par M. le ministre sont très justes. Mais pourquoi M. le ministre a-t-il aussi évoqué Booking.com ? Il s’agit d’un appel du pied, sachant que les sénateurs du groupe Les Républicains ont déposé des amendements concernant des sites de réservation. Mais il s’agit aussi d’un aveu : le ministre pense que le seul compromis possible à l’échelle européenne et internationale porte sur la publicité et sur l’utilisation des données.
Il faut parler franco, monsieur le ministre, il faut être clair. Les rapports de force à l’échelle internationale font que seule une taxe sur la publicité et l’utilisation des données est envisageable, quelle que soit l’attitude de la France. C’est de cela que nous devons débattre, de manière sincère et responsable.
Nous voterons contre les amendements visant à abaisser les seuils de 750 millions à 500 millions d’euros et pour les amendements nos 11, 12 et 13. Nous voulons en effet que les choses avancent sans tenir de double langage par rapport à ce que nous avions adopté en 2016, en 2017, en 2018 et en 2019. Nous restons cohérents, même si nous comprenons que plusieurs de nos collègues ne partagent pas notre opinion.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Je voudrais revenir un instant sur la question tout à fait essentielle évoquée par Jean-François Rapin.
La commission des finances, dont plusieurs membres qui y siègent depuis un certain temps peuvent en témoigner ici, a été la première à soulever la question de la fiscalité numérique sous l’angle de l’équité de traitement entre commerce physique et commerce électronique.
M. Jean-François Husson. C’est vrai !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Nous nous penchons sur cette question depuis des années. Ce souci d’équité a systématiquement guidé nos propositions concernant, par exemple, l’économie solidaire, les VTC ou les locations d’appartements venant directement concurrencer l’hôtellerie traditionnelle.
Sur ce dernier point, nous avons voulu faire en sorte que les revenus dégagés par la location de son appartement soient bien déclarés à l’administration fiscale. De même, nous avons souhaité instaurer une forme d’équité fiscale entre les chauffeurs de VTC et les chauffeurs de taxi. L’idée étant toujours d’éviter l’apparition d’un no man’s land, d’une zone qui ne soit pas couverte par le champ fiscal et venant concurrencer directement des commerces ou services traditionnels qui, eux, sont taxés.
Ces propositions, parfois malgré l’opposition des gouvernements successifs, ont été inscrites dans la loi. Je pense notamment à la transmission automatique des revenus via les plateformes et à la responsabilité solidaire de ces dernières en matière de paiement de la TVA. Il s’agit, là encore, d’une forme d’équité : il n’y a pas de raison pour que le commerce physique s’acquitte de la TVA et que ce qui passe à travers les importations et les avoirs à valeur négligeable y échappe.
Nous avons moins avancé sur la question de l’équité de traitement entre commerce physique et commerce électronique. Il s’agit d’une question très compliquée, les modèles se superposant les uns aux autres : un magasin peut en effet recevoir des commandes par les deux voies, physique et électronique.
Nous devons regarder cette question, y compris sous l’angle de la fiscalité locale, et notamment de la Tascom. Plusieurs d’entre vous étaient intervenus lors de l’examen de la proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs. Il s’agit d’un vrai sujet.
Enfin, je vais me permettre de répondre à la place du Gouvernement sur la question du calendrier : le bon moment pour en débattre sera l’examen du projet de loi de finances pour 2020. Nous vous ferons alors, monsieur le ministre, mes chers collègues, des propositions pour assurer cette équité de traitement entre commerce physique et commerce en ligne. Il s’agit d’un sujet majeur, sur le plan de la fiscalité nationale comme sur celui de la fiscalité locale.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Je voudrais profiter de ce débat pour répondre à certaines questions et lever certaines ambiguïtés.
La taxe porte sur trois catégories de services taxables, qui reprennent exactement le champ de la première version de la directive. Par souci de compromis, notamment avec l’Allemagne, nous sommes ensuite parvenus à une proposition plus restreinte.
Ces trois catégories concernent l’intermédiation entre internautes avec les plateformes, la fourniture de prestations de ciblage publicitaire, ce qui vous permet de recevoir toutes les secondes sur vos iPhone un certain nombre de messages publicitaires, et la vente à des tiers des données des internautes, laquelle n’est pas aujourd’hui taxée à la juste mesure et permet justement de réaliser ce ciblage publicitaire
La première version de la directive, à la fin de l’année 2018, comportait l’intégralité de cette base taxable. Olaf Scholz, mon homologue allemand et vice-chancelier, et moi-même nous sommes ensuite revus et avons trouvé un accord pour restreindre cette base à la seule question des données publicitaires. À mon sens, le champ initial est le seul qui soit raisonnable et efficace.
M. Pascal Savoldelli. Voilà la vérité !
M. Bruno Le Maire, ministre. Comme l’a souligné M. Rapin voilà quelques instants, le sujet du commerce en ligne est très important. Je crains seulement qu’en taxant le commerce en ligne nous n’arrivions pas à épargner les plus petits commerces. Je vous invite donc à la plus grande prudence. Plusieurs d’entre vous ont d’ailleurs souligné la complexité du sujet.
En ce qui concerne le calendrier, je vous rappelle que l’article 1er bis, introduit par amendement à l’Assemblée nationale, prévoit que le Gouvernement remette au Parlement, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport dressant un état des lieux de la fiscalité pesant sur les entreprises du secteur du commerce précisant les différences de prélèvement entre les entreprises du commerce physique et les entreprises du commerce en ligne, notamment transnationales. Ce rapport est en cours de rédaction. Il sera remis à la rentrée, c’est-à-dire avant l’examen du projet de loi de finances pour 2020, ce qui permettra d’ouvrir alors le débat de la fiscalité du commerce en ligne sur des bases précises.
M. le président. Je vais mettre aux voix l’amendement n° 37 rectifié.
M. Jean-François Rapin. Je le retire !
M. le président. L’amendement n° 37 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 27.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote sur l’amendement n° 29.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je pense que nous n’avons pas eu un débat suffisamment approfondi sur la question des établissements stables.
Nous venons tous de reconnaître que la taxation du chiffre d’affaires n’était pas satisfaisante et qu’elle ne garantissait pas l’égalité de traitement avec d’autres entreprises en France.
La seule façon d’aller vers cette égalité est de considérer un certain nombre d’établissements numériques travaillant en France, selon des critères pouvant différer en fonction des analyses, comme établissements virtuels stables.
Chaque fois que nous en avons discuté dans cet hémicycle, notamment lors de l’examen des lois de finances, on ne nous a pas dit qu’il s’agissait d’une aberration, et ce d’autant moins que cette notion va être débattue au sein de l’OCDE et qu’il s’agissait de l’un des deux piliers de l’action prévue par la Commission européenne, aux côtés de la taxation sur le chiffre d’affaires.
Cette notion est vitale pour mettre en place, à terme, un dispositif égalitaire, moins contestable et moins « détournable » en termes de fiscalité.
Nous avons voté cet amendement à deux reprises. À chaque fois, le Gouvernement et parfois même notre rapporteur nous ont opposé qu’un tel dispositif ne serait pas efficace avant longtemps, car il faudrait renégocier toutes les conventions fiscales. Mais plus on tarde, moins il sera facile de rouvrir le débat sur les établissements virtuels stables.
Cette notion n’est pas contradictoire avec la proposition dont nous discutons. Il s’agit d’une première étape. Si nous n’engageons pas le débat sur la définition de l’établissement virtuel stable, qui existe déjà en Inde et en Israël et dont il est question dans les instances de l’OCDE, nous allons passer à côté d’une question majeure. Si la France veut donner l’exemple, avec cohérence et stabilité, elle doit engager ce débat.
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les trois premiers sont identiques.
L’amendement n° 19 rectifié est présenté par M. Cadic, Mme Billon, MM. Kern et Guerriau et Mme Guidez.
L’amendement n° 40 est présenté par M. Frassa.
L’amendement n° 45 rectifié est présenté par MM. Bizet, Brisson, Cambon, Charon, Danesi et del Picchia, Mmes Duranton et Garriaud-Maylam, M. Grand, Mme Gruny, MM. Kennel et Laménie, Mme Lassarade, M. Lefèvre, Mme M. Mercier, M. Milon, Mme Morhet-Richaud, M. Poniatowski, Mme Ramond et MM. Savary et Vaspart.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
I. – Alinéa 7, première phrase
Supprimer le mot :
, notamment
et les mots :
de la livraison de biens ou
II. – Alinéas 30, 31 et 36
Supprimer les mots :
de livraisons de biens ou
La parole est à M. Olivier Cadic, pour présenter l’amendement n° 19 rectifié.
M. Olivier Cadic. Cet amendement vise à exclure du champ des services taxables les services de mise à disposition, par voie de communications électroniques, des interfaces numériques permettant aux utilisateurs d’entrer en contact avec d’autres utilisateurs et d’interagir en vue de la livraison de biens directement entre eux.
Contrairement à la fourniture de services numériques, la vente de biens présente un degré élevé de substituabilité. L’utilisateur peut indifféremment obtenir le même bien auprès d’un utilisateur de l’interface numérique, d’un commerçant en ligne ou encore d’un commerce physique. En d’autres termes, en ciblant spécifiquement le service de mise à disposition d’une interface numérique permettant la livraison de biens entre utilisateurs, la taxe sur les services numériques, dans sa mouture actuelle, aboutit à pénaliser les circuits courts de distribution par rapport aux circuits longs, dans lesquels vient s’interposer une grande enseigne entre le petit fournisseur et le consommateur final.
Je le répète, le calibrage de la taxe et les nombreux effets d’incidence et de répercussion, souvent méconnus lorsque l’on crée une taxe, risquent finalement de renforcer les positions établies des quatre Gafa américains et d’envoyer au tapis les acteurs français et européens, soit l’exact inverse de l’objectif affiché. Cet amendement a donc pour objet d’atténuer au mieux les conséquences dommageables de cette taxe pour nos entreprises.
M. le président. L’amendement n° 40 n’est pas soutenu.
La parole est à M. Max Brisson, pour présenter l’amendement n° 45 rectifié.
M. Max Brisson. Il est défendu.
M. le président. L’amendement n° 35 rectifié quater, présenté par M. Bazin, Mme Eustache-Brinio, M. Bascher, Mmes L. Darcos et Morhet-Richaud et MM. Paccaud, Charon, Brisson, Mandelli, Houpert et Karoutchi, est ainsi libellé :
Alinéa 7, première phrase
Supprimer les mots :
, notamment
La parole est à M. Arnaud Bazin.
M. Arnaud Bazin. Cet amendement reprend en partie l’objet de l’amendement précédent.
Il s’agit de faire en sorte que la taxe se concentre sur les revenus issus de la monétisation des données privées des utilisateurs français et sur la désintermédiarisation destructrice de valeur, permise par certaines de ces plateformes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Des raisons à la fois juridiques et politiques conduisent la commission à émettre un avis défavorable sur ces amendements.
Sur le plan juridique, exclure les services d’intermédiation ou les restreindre peut fragiliser le dispositif, éventuellement poser des problèmes d’égalité devant l’impôt. Ainsi, pourquoi exclure certains services et pas d’autres ? Il faut tout de même une cohérence d’assiette. C’est d’ailleurs ce que regarde le Conseil constitutionnel pour apprécier le principe d’égalité devant l’impôt, même si cela ne signifie pas que tout le monde doit payer les mêmes impôts. Au sein d’une catégorie, toute exclusion doit faire l’objet d’une justification particulière. Or aucune raison juridique ne permet d’exclure tel ou tel service à l’intérieur de cette catégorie.
Restreindre la taxe de manière importante en excluant les services d’intermédiation provoquerait des pertes de recettes importantes sur une taxe déjà fragile. En outre, ce serait non conforme à la proposition européenne – nous venons d’avoir ce débat.
Sur le plan politique, ce serait totalement contraire à la position que le Sénat a exprimée à deux reprises : d’une part, lors de l’examen de la proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, adoptée à l’unanimité, qui prévoit de taxer les services d’intermédiation ; d’autre part, lors de la discussion de la proposition de résolution sur le projet européen de taxe sur les services numériques, puisque les services d’intermédiation font partie de l’assiette de la taxe.
Soyons donc cohérents avec les positions qu’a exprimées le Sénat. En outre, la taxe serait fragilisée si son assiette n’était pas cohérente.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Je ne reviens pas sur les arguments du rapporteur. Exclure les services d’intermédiation reviendrait à diminuer le revenu de la taxe, ce qui poserait un problème en soi.
Si les livraisons de biens étaient concernées, cela toucherait une part importante des revenus d’Amazon, ce qui serait un peu baroque au regard des objectifs de la taxe.
Certes, l’effet sur les prix est un élément d’inquiétude.
D’une part, la concurrence continue d’exister : d’autres plateformes – certaines plateformes françaises marchent très bien – continueront à proposer ces services de place de marché et tireront les prix vers le bas.
D’autre part, les commissions d’intermédiation ne représentant qu’environ 10 % du prix, si je ne me trompe pas, l’effet risque donc d’être limité.
Par conséquent, le Gouvernement émet également un avis défavorable sur ces amendements.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 19 rectifié et 45 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 35 rectifié quater.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 28, présenté par MM. Savoldelli et Bocquet, Mme Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéas 8 à 11
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Pourquoi exclure les fournisseurs de contenus numériques, de services de communication, de services de paiement du champ de la taxe ? La question se pose en ces termes, et il faut y répondre. Nous ne comprenons pas les raisons pour lesquelles ils devraient être dispensés de la taxe. Cela a été souligné, y compris par le ministre de l’économie et des finances et par le rapporteur. Netflix ? Pas concerné ! PayPal ? Pas concerné ! Inutile de dresser une liste exhaustive, ces exemples suffisent.
Une autre question se pose autour du fait que les firmes soient assujetties à d’autres contributions. Ce débat a eu lieu tout à l’heure. Pourquoi une taxation unique des firmes devrait-elle prévaloir ? Si les firmes entrent dans les critères de la taxe sur le numérique, c’est-à-dire de la fiscalité numérique que nous décidons, rien ne justifie qu’elles passent à travers les mailles du filet : elles doivent être assujetties comme les autres. Il s’agit d’être cohérent avec le développement d’un secteur économique tel qu’il est.
C’est la raison pour laquelle nous proposons de retirer ces exceptions.
Une fois achevé l’examen de ce texte, on en écrira le récit, comme on le fait chaque fois : au départ, on borne ; ensuite, on pose des exceptions. On a fait un geste, mais pas pour baisser les seuils. Que restera-t-il à la fin de la grande ambition, du grand courage, de la grande fermeté ? Tout cela ne fera pas événement !
M. le président. L’amendement n° 34 rectifié ter, présenté par M. Bazin, Mme Eustache-Brinio, M. Bascher, Mmes L. Darcos et Morhet-Richaud et MM. Paccaud, Charon, Brisson, Pointereau, Houpert et Karoutchi, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Compléter cet alinéa par les mots :
, ou dont le mode de rémunération repose sur l’abonnement payé par les utilisateurs
La parole est à M. Arnaud Bazin.
M. Arnaud Bazin. Il s’agit de prévoir une exclusion supplémentaire, celle des services dont le mode de rémunération repose sur l’abonnement payé par les utilisateurs, afin de se recentrer sur le ciblage publicitaire, la vente de données et l’intermédiation. En effet, ce mode de règlement d’abonnement donne lieu à paiement de TVA et à impôt sur les sociétés. Par conséquent, il ne paraît pas légitime de taxer en outre le chiffre d’affaires.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Je ne veux pas faire le travail du Gouvernement, mais je vais le faire un peu tout de même ! (Sourires.)
Nous avons déjà expliqué que ce dispositif était conforme au projet européen. L’idée qui prévaut, c’est en quelque sorte de taxer le travail gratuit qui est apporté par l’utilisateur – lorsqu’il y a une mise en relation, un service de rencontres. En revanche, vendre un contenu, qu’il s’agisse de musique ou de films, comme le fait Netflix, est considéré comme la vente d’un bien ou d’un service. Il n’y a donc pas d’intermédiation, et la plus-value apportée est tout à fait différente : il n’y a pas de travail gratuit, par exemple d’exploitation des données lorsque l’on fait une recherche sur Google.
C’est une question de cohérence d’assiette. La commission a souhaité en rester à l’assiette telle qu’elle avait été négociée avec nos partenaires européens. C’est la raison pour laquelle elle émet un avis défavorable sur l’amendement n° 28.
La précision que tend à apporter l’amendement n° 34 rectifié ter est utile, mais cette démarche nous semble satisfaite par le texte existant, qui considère que le mode de rémunération est neutre pour l’assujettissement à la taxe. Si le Gouvernement le confirme, la commission demandera le retrait de cet amendement ; dans le cas contraire, on peut toujours le voter…
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Je reviens à la question de Netflix. Le sujet n’est pas de taxer indifféremment les grandes entreprises de l’internet, c’est d’aller chercher des acteurs qui posent des problèmes systémiques, car ils utilisent un nouveau modèle dit immersif, qui fait qu’ils connaissent tout de vous, réutilisent vos données et les monétisent. Pour cela, il s’agit de chercher, à travers un certain nombre de critères certes perfectibles, mais issus d’une négociation européenne, un certain type de modèle d’affaires fondé sur la réutilisation des données.
C’est la raison pour laquelle nous avons choisi trois critères : la vente de services d’intermédiation, la vente de données, la capacité à cibler la publicité. C’est pour cela que Netflix n’est pas concerné. Cette plateforme paie par ailleurs une taxe sur la création – taxe dite YouTube – ; elle n’est donc pas exemptée de cette obligation.
On cherche à attraper ces nouveaux types d’acteurs qui posent des problèmes, qui poussent certains à appeler à leur démantèlement, qui ont construit un modèle immersif.
Pour cette raison de fond et pour la nécessité de rester en cohérence avec la proposition européenne, le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’amendement n° 28.
J’avoue ne pas avoir totalement compris le sujet du débat autour de l’amendement n° 34 rectifié ter. Le Gouvernement a cherché un mode de taxation qui soit neutre au mode de rémunération, soit sur abonnement ou sur commission. C’est la raison pour laquelle il émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.
M. Arnaud Bazin. À défaut d’avoir été totalement convaincu par vos explications, monsieur le secrétaire d’État, et comme M. le rapporteur n’a pas fermé la porte à un vote qui serait au pire superfétatoire, mais qui garantirait en tout cas que les sociétés qui payent de l’impôt sur les sociétés et de la TVA parce qu’elles reçoivent des abonnements puissent être exemptées de cette taxe, il vaut mieux que je maintienne l’amendement et que nous le votions, mes chers collègues.
M. le président. Quel est maintenant l’avis de la commission sur l’amendement n° 34 rectifié ter ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Sagesse.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 1 rectifié bis est présenté par MM. Delahaye et Henno, Mme Férat et MM. Longeot, Cadic, Détraigne et Capo-Canellas.
L’amendement n° 36 rectifié est présenté par Mme Estrosi Sassone, MM. Husson, Daubresse, Chaize, Paccaud et de Nicolaÿ, Mme Troendlé, M. Milon, Mmes Morhet-Richaud, A.M. Bertrand et Gruny, MM. Mouiller, Bascher, Lefèvre, Calvet et Savary, Mme L. Darcos, MM. Vogel et Brisson, Mme Puissat, MM. Laménie et Bazin, Mme M. Mercier, MM. Genest et Darnaud, Mmes Duranton, Canayer et Lamure, M. Kennel, Mme Lassarade et MM. Vaspart, Mandelli, Bonhomme, Karoutchi, Poniatowski, B. Fournier et Segouin.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 16
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« – les systèmes informatisés de réservation au sens du Règlement (CE) n° 80/2009 du Parlement européen et du Conseil du 14 janvier 2009 instaurant un code de conduite pour l’utilisation de systèmes informatisés de réservation et abrogeant le règlement (CEE) n° 2299/89 du Conseil ;
La parole est à M. Vincent Delahaye, pour présenter l’amendement n° 1 rectifié bis.
M. Vincent Delahaye. Cet amendement a pour objet de préciser le champ des services exclus de la taxe et clarifier la situation pour les systèmes informatisés de réservation. En effet, les systèmes informatisés de réservation ne sont pas des interfaces mettant en contact les utilisateurs entre eux ; il s’agit d’un service proposant à ceux-ci un contenu numérique.
La taxe sur certains services numériques n’a vocation qu’à appréhender les services dans lesquels ce sont les utilisateurs qui jouent un rôle déterminant dans la création de valeur. Or tel n’est pas le cas des systèmes informatisés de réservation, utilisés notamment dans le domaine des transporteurs aériens. Il s’agit donc de les exclure de la future taxe sur les services numériques.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour présenter l’amendement n° 36 rectifié.
Mme Dominique Estrosi Sassone. La taxe sur les services numériques vise également à toucher les entreprises exerçant une activité économique sur un territoire où elles ne disposent d’aucune présence physique. Or certaines entreprises spécialisées dans les systèmes informatisés de réservation disposent d’un établissement stable en France et payent normalement leurs impôts. Aussi risqueraient-elles de se voir frapper par cette nouvelle taxe, ce qui aurait un impact non négligeable tant sur les capacités de recrutement du groupe que sur le secteur du voyage.
Je précise en outre qu’il existe déjà un règlement européen qui encadre strictement l’utilisation des données SIR des voyagistes, empêchant de créer de la valeur à partir des données des utilisateurs. Les données SIR ne sont pas monnayées comme les informations recensées sur les réseaux sociaux par exemple, qui enregistrent les données pour les revendre ensuite.
Au regard de ces éléments, les SIR doivent être exemptés du champ de la taxe.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Avec ces amendements identiques, nos collègues abordent un type d’activité particulier.
Si une partie est monnayée, il existe un service offert aux compagnies aériennes et aux professionnels du tourisme sur lequel l’information n’est pas monnayée. Il s’agit donc d’un système tout à fait différent : la valeur, c’est l’internaute qui la crée par ses recherches.
Le Gouvernement devra préciser, notamment par instruction fiscale, le champ de la taxe pour éviter de taxer des activités qui, dans l’esprit, ne relèvent pas de cette activité d’intermédiation gratuite taxable. Peut-on aller jusqu’à l’exclusion ? Il s’agit là d’un sujet technique.
À l’Assemblée nationale, le ministre a déclaré que les services de Bercy travaillaient – ils travaillent toujours ! – avec des entreprises, notamment avec la société Amadeus pour ne pas la citer, à déterminer, pour les entreprises ayant une activité mixte, c’est-à-dire un peu spécifique, la part de services qui n’entre pas dans le champ de la taxe. Cela justifie, à mon sens, que le Gouvernement nous éclaire s’il en a la possibilité.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Un travail est en effet en cours avec les entreprises concernées, car il nous apparaît qu’il n’y a pas de base légale pour les exclure totalement : si une partie des services qu’ils peuvent offrir est concernée, une autre ne l’est pas.
Nous travaillons étroitement avec les services fiscaux de manière à pouvoir leur donner une idée de l’assiette qui sera concernée et, dans des cas particuliers bien précis, leur donner plus de certitudes, par le biais d’un rescrit.
Il n’y a pas de base légale permettant d’exclure les services d’information et de réservation du champ de la taxe. Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces amendements identiques.
M. le président. Quel est maintenant l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Navette !
M. le président. Voilà un avis que je ne connais pas ! (Sourires.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Sagesse ! On verra au cours de la navette.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Monsieur le secrétaire d’État, j’avoue avoir du mal à suivre ces débats.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Moi aussi ! (Sourires.)
M. Fabien Gay. Le Gouvernement manifestait une ambition forte, que l’on partageait, même si l’on n’était pas tout à fait d’accord avec le mécanisme.
On a commencé par émettre une restriction pour les entreprises dégageant un chiffre d’affaires entre 350 millions et 500 millions d’euros, et nous sommes en train de voter toute une série d’amendements qui exonèrent tel ou tel secteur. Allons plus vite et ne votons pas ce texte, car je ne sais pas ce qu’il en restera à l’arrivée !
Le débat sur la question des plateformes de réservation en ligne fait surgir de nombreux autres débats sur la question du numérique, qui, je ne cesse de le rappeler, est un enjeu d’avenir. Nous devons aller au bout de ce débat, comme de celui sur la société ubérisée.
Aujourd’hui, de grandes plateformes de réservation d’hôtels, alors qu’elles n’ont aucun lit, sont en réalité le premier hôtelier national, voire européen, car une très grande majorité de la population passe par ces plateformes pour réserver une chambre. Cela pose beaucoup de questions, notamment aux commerçants et aux commerçantes et aux hôteliers et aux hôtelières, qui disent se retrouver dépossédés de leur chiffre d’affaires : ils sont obligés de traiter avec ces grandes plateformes, de céder 50 %, parfois 75 %, du prix de la nuitée et se retrouvent parfois empêchés de fixer le prix de la chambre. En outre, les banques elles-mêmes affirment que c’est non pas leur propre chiffre d’affaires, mais celui de la plateforme, et ils ne trouvent plus d’argent pour autofinancer leur propre commerce.
L’examen de ces amendements identiques ouvre un certain nombre de questions que le législateur que nous sommes doit se poser.
Pour notre part, nous ne voterons pas ces amendements identiques. Si on le fait et si on vote d’autres amendements analogues jusqu’au bout de la nuit, on finira par voter un texte qui sera une coquille vide.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 rectifié bis et 36 rectifié.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 14, présenté par Mme Taillé-Polian, MM. Lurel, Carcenac, Kanner, Raynal, Éblé et Botrel, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas, P. Joly et Lalande, Mme Artigalas, MM. Bérit-Débat et Jacquin, Mme G. Jourda, MM. Mazuir, Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 26
Compléter cet alinéa par les mots :
ou, dans des conditions fixées par décret, s’il consulte la version française d’une interface numérique, notamment identifiée par l’adresse de domaine « .fr »
La parole est à M. Rémi Féraud.
M. Rémi Féraud. Il s’agit de mieux appréhender l’ensemble de la part française des services numériques, donc l’assiette de la taxe.
Sur le plan technique, la référence à un terminal situé en France ne semble pas un critère suffisamment complet. C’est pourquoi cet amendement vise à ajouter un second indicateur dans des conditions qui pourraient être fixées par décret, à savoir la domiciliation de l’interface numérique utilisée lorsqu’elle est identifiée par une adresse de domaine référencée en « .fr ». L’objet est donc de compléter l’assiette de la taxe et non de la restreindre davantage.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Cet amendement est étrange.
Je suis d’accord avec le début du raisonnement : l’enjeu, c’est la localisation. Où est l’internaute ? Aux termes du projet de loi, c’est par l’adresse IP ou par tout autre moyen qu’on le sait. Or l’adresse IP, ce n’est pas suffisant. J’ai appris en discutant avec la CNIL pour préparer ce projet de loi, que certains téléphones d’une grande marque avaient tous la même adresse IP. Par ailleurs, certaines entreprises ont des serveurs dont l’adresse IP est étrangère. Ainsi, si l’on consulte un site depuis le poste informatique d’une entreprise, il se peut que l’adresse IP se trouve au Luxembourg, en Angleterre ou ailleurs, parce que le serveur est localisé là-bas.
Par conséquent, à l’avenir, l’adresse IP ne sera pas forcément un moyen fiable et précis de localisation, alors que c’est la base même de la taxation. C’est la raison pour laquelle la commission a introduit un amendement tendant à préciser par décret ces conditions techniques un peu complexes permettant de localiser l’internaute.
Peut-on pour autant considérer qu’une adresse « .fr » suffise ? Voilà qui n’a pas de sens ! Le nombre de sites en « .fr » est assez réduit, me semble-t-il : de nombreux sites commerciaux français ont une adresse « .com ». Enfin, les utilisateurs étrangers peuvent se rendre sur des sites « .fr ».
Par conséquent, l’adresse du site ne permet pas de conclure que l’utilisateur ou l’une des parties est en France. Il vaut donc mieux s’en tenir à l’adresse IP, la compléter par d’autres moyens techniques permettant de localiser de manière fiable l’internaute, plutôt que de voter cet amendement, qui est sans portée pratique à mon sens.
Ce n’est pas parce qu’un site a une adresse « .fr » qu’il est en France ou qu’il n’est pas en France parce qu’il a une adresse « .com ». On ne peut en tirer aucune conclusion sur la localisation de l’internaute, qui est à la base de la taxation.
Pour toutes ces raisons, la commission demande le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Féraud, l’amendement n° 14 est-il maintenu ?
M. Rémi Féraud. Non, je le retire, monsieur le président.
Je remercie le rapporteur de sa réponse, qui montre bien la difficulté d’application des dispositions que nous sommes en train d’adopter.
M. le président. L’amendement n° 14 est retiré.
Je suis saisi de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 33 rectifié quater, présenté par M. Bazin, Mme Eustache-Brinio, M. Bascher, Mmes L. Darcos et Morhet-Richaud et MM. Paccaud, Charon, Brisson, Mandelli, Houpert et Karoutchi, est ainsi libellé :
Alinéa 27
Supprimer les mots :
et n’en permet pas une utilisation dans de meilleures conditions
La parole est à M. Arnaud Bazin.
M. Arnaud Bazin. Il est de plus en plus fréquent qu’une multitude de services soient offerts sur une même plateforme, certains d’entre eux entrant dans le champ des services taxables – intermédiation – et d’autres non – communication et contenu éditorial. La taxe sur les services numériques créée par ce projet de loi s’appliquera pour les plateformes proposant une multitude de services uniquement à la part de leur chiffre d’affaires résultant des sommes encaissées au titre de la fourniture des services taxables.
Cet amendement vise donc à préciser le mode de calcul du montant de la taxe pour les entreprises proposant sur leur plateforme plusieurs types de services. Ainsi, tout abonnement payé dans le but de pouvoir accéder à un service de communication entre utilisateurs, sans que ses communications soient publiques, ne doit pas entrer dans le champ des activités taxables.
M. le président. Les trois amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 39 est présenté par M. Frassa.
L’amendement n° 46 rectifié est présenté par MM. Bizet, Brisson, Cambon, Charon, Danesi et del Picchia, Mmes Duranton et Garriaud-Maylam, M. Grand, Mme Gruny, MM. Kennel, Laménie et Lefèvre, Mme M. Mercier, M. Milon, Mme Morhet-Richaud, M. Poniatowski, Mme Ramond et MM. Savary et Vaspart.
L’amendement n° 55 rectifié bis est présenté par MM. Kern, Longeot et Cigolotti.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
I. – Alinéa 27
Remplacer les mots :
n’en permet pas une utilisation dans de
par les mots :
n’a pas pour unique objet de permettre à l’utilisateur de bénéficier de l’interface dans les
II. – Alinéa 28
Remplacer les mots :
permettant de réaliser un tel placement dans de
par les mots :
d’un service dont l’unique objet est de réaliser un tel placement dans les
L’amendement n° 39 n’est pas soutenu.
La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud, pour présenter l’amendement n° 46 rectifié.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Il est défendu.
M. le président. L’amendement n° 55 rectifié bis n’est pas soutenu.
Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 25 rectifié bis est présenté par M. P. Dominati, Mme Boulay-Espéronnier, MM. Darnaud, Houpert et Laménie, Mme Lavarde, MM. de Nicolaÿ, Panunzi et del Picchia, Mme Puissat et MM. Savary et Vogel.
L’amendement n° 59 rectifié bis est présenté par M. Capus, Mme Mélot et MM. Lagourgue et Guerriau.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. – Alinéa 27
Remplacer les mots :
n’en permet pas une utilisation dans de
par les mots :
ne constitue pas uniquement le moyen de bénéficier de l’interface dans les
II. – Alinéa 28
Remplacer les mots :
de réaliser un tel placement dans de
par les mots :
uniquement de réaliser un tel placement dans les
La parole est à Mme Christine Lavarde, pour présenter l’amendement n° 25 rectifié bis.
Mme Christine Lavarde. Il est défendu.
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour présenter l’amendement n° 59 rectifié bis.
M. Emmanuel Capus. Il s’agit d’un amendement de clarification. Il vise à préciser la nature des sommes qui sont incluses dans l’assiette de la taxe.
Je ne reviens pas sur les définitions extrêmement juridiques des prestations accessoires et des prestations principales. Cet amendement a pour objet de définir précisément ce qui est inclus et ce qui ne l’est pas, notamment les prestations accessoires, par exemple les services logistiques. En effet, certaines entreprises, tout en fournissant une interface numérique, assurent également des services de logistique pour la livraison des biens. Ces services sont implantés sur notre territoire, fournissent des salariés, des implantations physiques, des constructions de hangars, de bâtiments. Il convient de ne pas les inclure dans la taxe et, après les débats assez nourris à l’Assemblée nationale, d’apporter une nouvelle clarification pour lever tout doute.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Sur les prestations connexes, l’Assemblée nationale a souhaité apporter des précisions qui nous semblent utiles, car la question est complexe : ces prestations entrent-elles ou non dans l’assiette de la taxe ?
L’adoption de l’amendement n° 33 rectifié quater introduirait une incertitude pour les redevables.
Sur les amendements identiques nos 25 rectifié bis et 59 rectifié bis, la commission s’en remet à la sagesse du Sénat, même si la disposition qu’ils tendent à insérer est plus restrictive et entraînerait peut-être une perte d’assiette. Elle demande par conséquent le retrait des autres amendements à leur profit.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 33 rectifié quater, notre objectif étant de taxer l’ensemble des services connexes apportant une plus-value aux services déjà taxés, si je puis m’exprimer ainsi.
Le risque est de rendre possible un contournement et d’entraîner une baisse des recettes en permettant aux opérateurs de transférer l’intégralité de la valeur tirée des internautes dans le prix des services connexes. Il serait possible, par un système de noria, de passer de l’un à l’autre.
La mesure remet en cause le souhait du Gouvernement d’assurer une approche des offres multiservices qui soit pour la TSN cohérente avec l’approche retenue pour la TVA. Si elle était adoptée, cette mesure déboucherait sur un cadre juridique complexe et peu lisible. Elle n’est pas nécessaire, car la rédaction actuelle permet déjà d’exclure les services connexes, tels que les services de logistique, qui sont commercialisés séparément.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 33 rectifié quater.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 25 rectifié bis et 59 rectifié bis.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° 47 rectifié bis est présenté par MM. Bizet, Brisson, Cambon, Charon, Danesi et del Picchia, Mmes Duranton et Garriaud-Maylam, M. Grand, Mme Gruny, MM. Kennel et Laménie, Mme Lassarade, M. Lefèvre, Mme M. Mercier, M. Milon, Mme Morhet-Richaud, M. Poniatowski, Mme Ramond et MM. Savary et Vaspart.
L’amendement n° 65 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéas 33 et 38
Remplacer les mots :
consultée par un utilisateur
par les mots :
en fonction de données relatives à un utilisateur qui consulte cette interface en étant
La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud, pour présenter l’amendement n° 47 rectifié bis.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Cet amendement, qui correspond précisément à l’interprétation du texte telle qu’elle résulte de l’étude d’impact et du rapport de Joël Giraud à l’Assemblée nationale, vise à clarifier l’article 1er pour s’assurer que le numérateur de la proportion est calculé en fonction des seuls messages publicitaires affichés sur l’interface numérique lors de sa consultation par un utilisateur localisé en France, et non en fonction de l’ensemble des messages publicitaires placés sur cette interface dès lors que cette dernière a été consultée par un utilisateur localisé en France.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État, pour présenter l’amendement n° 65.
M. Cédric O, secrétaire d’État. Cet amendement a le même objet : il vise à clarifier la règle de territorialisation des services de publicité. Il tend à préciser que seuls sont pris en compte pour le calcul du coefficient de présence numérique les messages publicitaires ciblant des utilisateurs localisés en France au moment de la consultation de l’interface numérique.
M. le président. Les amendements identiques nos 38 et 54 rectifié bis ne sont pas soutenus.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Favorable.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 47 rectifié bis et 65.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 41 n’est pas soutenu.
L’amendement n° 23, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 40
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État. Les termes de la loi sont clairs. Il n’est donc pas nécessaire selon nous de renvoyer à un décret en Conseil d’État, comme le propose la commission.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Ce décret n’est pas nécessaire, il est indispensable !
Notre collègue socialiste vient de nous expliquer que les critères de localisation n’étaient pas simples. Ainsi, l’adresse IP n’est pas forcément le moyen le plus sûr de localiser un utilisateur. C’est ennuyeux, car la taxe dont nous discutons repose précisément sur le pourcentage d’utilisateurs situés en France. Il est donc important de les localiser.
Pour en revenir aux adresses IP, il faut savoir que, aujourd’hui, certaines d’entre elles sont communes à l’ensemble de la flotte de téléphones d’un opérateur. C’est la raison pour laquelle il est écrit dans la loi « ou tout autre moyen ». Avouez qu’il s’agit là d’une définition un peu vaste, qui nécessite a minima des précisions de nature réglementaire.
La commission a considéré que, pour localiser précisément l’internaute, puisque c’est la base de la taxation, un décret en Conseil d’État était indispensable. La commission est évidemment très opposée à l’amendement du Gouvernement, qui vise à supprimer cette excellente initiative.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État. Monsieur le rapporteur, il s’agit d’une question d’adaptation. Nous faisons face à une économie et à des acteurs qui innovent et s’adaptent extrêmement vite, plus vite que la loi ou le décret. Les termes « tout autre moyen » signifient qu’il peut être recouru à une instruction fiscale, ce qui nous permettra de nous adapter plus rapidement et d’attraper ce qu’on veut attraper au fil des modifications effectuées par les acteurs.
M. le président. L’amendement n° 7 rectifié bis, présenté par Mme Lepage, M. Duran, Mme G. Jourda, M. P. Joly, Mmes Guillemot et Conway-Mouret, M. Antiste, Mme Blondin et MM. Manable, Jacquin et Daudigny, est ainsi libellé :
Alinéa 44
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Patrice Joly.
M. Patrice Joly. Cet amendement vise à inclure dans l’assiette de la taxe sur les services numériques les sommes versées en contrepartie de la mise à disposition d’une interface numérique qui facilite la vente de produits soumis à accises. Si tel n’était pas le cas, le produit de la vente de tabac, d’alcool et/ou de produits énergétiques par le biais d’une plateforme numérique ne serait pas soumis à cette taxe.
Selon le Gouvernement, leur inclusion « serait susceptible d’être contraire au droit européen ». Selon nous, cette disposition du projet de loi est contraire à l’esprit qui a animé le législateur jusqu’ici. Il est donc proposé de réintroduire dans l’assiette de la taxe tous ces produits dont la vente doit être taxée, dès lors qu’elle est effectuée par le biais d’une plateforme.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. L’auteur de l’amendement a lui-même donné l’avis de la commission : cette proposition est contraire au droit européen, plus précisément à la directive européenne du 16 décembre 2008, qui encadre strictement le régime des accises, notamment pour les produits alcooliques.
La commission a donc émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 51 rectifié, présenté par MM. Bargeton, Yung et Adnot, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 44
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le montant des sommes encaissées en contrepartie des services taxables dépasse le seuil fixé au 2° du III de l’article 299 et est inférieur à 50 millions d’euros, les sommes encaissées les trois premières années suivant celle au cours de laquelle la taxe devient exigible sont diminuées d’un abattement. Le taux de l’abattement est fixé à 100 % la première année, 60 % la deuxième année, 30 % la troisième année.
II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Pour des raisons de sécurité juridique, cela a été dit, cette taxe ne contient qu’un taux, fixé à 3 % du chiffre d’affaires numérique. Comme c’est le cas pour beaucoup de dispositifs fiscaux, joue donc un effet de seuil : soit une entreprise est taxée, soit elle ne l’est pas, et ce quelle que soit sa taille. L’entrée dans l’impôt est une véritable question pour les entreprises.
Le code général des impôts retient plusieurs mécanismes permettant de lisser les effets de seuil de l’impôt. Pour la taxe Gafa, plusieurs dispositifs ont été proposés. À cet égard, j’ai voté l’amendement de M. Collin tendant à prévoir un calcul du chiffre d’affaires sur deux ans, mais il n’a pas été adopté. L’objet du présent amendement est de proposer un lissage différent, à savoir un abattement pour les entreprises dont le chiffre d’affaires numérique est supérieur à 25 millions d’euros, mais inférieur à 50 millions d’euros, le montant de 50 millions d’euros étant celui qui est retenu pour désigner traditionnellement les PME.
Cet amendement est conforme à l’objectif de ce texte, qui est de ne viser que les plus grandes entreprises du numérique. Il faut s’assurer que les jeunes pousses françaises, parfois appelées les licornes, ne seront pas empêchées de grossir par cette taxe ou qu’elles ne perdront pas leur attractivité. On le sait, le développement des start-up françaises passe parfois par l’adossement à d’autres entreprises. C’est le cas, par exemple, de l’entreprise Zen Ly, située dans le quartier de la Bastille à Paris.
Quand on examine les levées de fonds, on constate que les entreprises parviennent en quelques jours à lever des dizaines de millions d’euros. En 2018, les start-up françaises ont ainsi levé 3,62 milliards d’euros. De même, leurs chiffres d’affaires peuvent exploser très rapidement.
Notre amendement permettrait d’atténuer l’effet de seuil et d’envoyer un signal positif aux start-up françaises.
Au moment où le salon VivaTech connaissait un grand succès, et où étaient organisés en même temps le sommet Tech for Good et le G7 numérique, nous devons profiter de l’essor de notre économie. Je rappelle d’ailleurs, à la suite de M. le secrétaire d’État, que la France vient d’entrer pour la première fois dans le top 5 des pays qui attirent les investissements internationaux.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Cet amendement a été excellemment défendu. L’idée de lisser les effets de seuil afin de favoriser les PME en croissance, qui pourraient être victimes de seuils brutaux, me paraît assez intelligente.
La commission voit d’un très bon œil cet amendement, mais il n’est pas, semble-t-il, sans poser un certain nombre de problèmes juridiques. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement va dans un instant, je pense, vous demander de le retirer, cher collègue.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Il s’agit d’un excellent amendement. Je le dis d’autant plus facilement que, dans une autre vie, alors que j’exerçais d’autres fonctions, j’ai été, à titre personnel, extrêmement favorable à cette approche, que j’ai beaucoup poussée auprès des différents étages de Bercy.
Malheureusement, un taux progressif introduirait une distorsion dans le taux effectif d’imposition entre les entreprises selon leur taille, ce qui serait contraire à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Je suis donc contraint, à mon grand regret, de vous demander de retirer cet excellent amendement, monsieur le sénateur.
M. Jean-François Husson. Comment peut-on retirer un excellent amendement ? C’est de l’affichage !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. Je ne comprends pas, monsieur le secrétaire d’État, les positions contre le lissage des effets de seuil. Je pensais que le lissage faisait partie de la doctrine gouvernementale, puisqu’il a été mis en œuvre dans différents textes, notamment dans la loi Pacte.
Si vous êtes contre cet amendement pour des raisons purement techniques, vous auriez dû être pour celui qu’a défendu précédemment M. Collin, qui ne présentait pas les mêmes inconvénients, puisqu’il tendait à prévoir, comme ce fut le cas dans la loi Pacte, une durée pour franchir le seuil.
Je déplore ces raisonnements quelque peu contradictoires et à géométrie variable en fonction de la manière dont sont présentés les amendements, alors que vous vous dites plutôt attaché aux principes qui y sont défendus.
M. Jean-François Husson. Il n’y a rien d’orthodoxe !
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Notre collègue Bargeton propose un abattement particulier pour les entreprises du secteur du numérique dont le chiffre d’affaires est compris entre 25 millions et 50 millions d’euros.
Il y a quelque chose d’un peu troublant dans cet amendement, qui conduira notre groupe à voter contre. S’il était adopté, cet amendement viderait la disposition de son sens. Il tend en effet à proposer un abattement de 100 % la première année, puis de 60 % la deuxième année. Que se passera-t-il la troisième année, monsieur Bargeton ?
M. Julien Bargeton. Ce sera 30 % !
M. Pascal Savoldelli. Voilà ! Il y a donc là une contradiction.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur, sur l’amendement n° 53 rectifié, la loyauté m’oblige à m’en tenir à la position du Gouvernement.
Le secrétariat d’État chargé du numérique est assez sensible à l’idée d’épargner les jeunes pousses françaises afin de leur donner les capacités de se battre contre leurs rivales des autres pays. Si nous pouvons examiner ce sujet au cours de la navette parlementaire, nous le ferons.
M. le président. Monsieur Bargeton, l’amendement n° 51 rectifié est-il maintenu ?
M. Julien Bargeton. Oui, monsieur le président.
M. le président. Quel est maintenant l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Je laisse le débat interne vivre. Je m’en remets donc à la sagesse du Sénat.
M. le président. L’amendement n’ayant pas été retiré, l’avis du Gouvernement est-il défavorable ?
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 15, présenté par MM. Lurel et Carcenac, Mme Taillé-Polian, MM. Kanner, Raynal, Éblé et Botrel, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas, P. Joly et Lalande, Mme Artigalas, MM. Bérit-Débat et Jacquin, Mmes G. Jourda et Lepage, MM. Mazuir, Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 45
Remplacer le taux :
3 %
par le taux :
5 %
La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. Toujours dans un souci d’efficacité et de rendement, tout en préservant parfaitement l’équité, nous proposons de porter le taux de la taxe de 3 % à 5 %.
Ce taux avait été proposé pour la TSN par le député européen Paul Tang, rapporteur au Parlement européen de la proposition de directive du Conseil concernant le système commun de taxe sur les services numériques applicable aux produits tirés de la fourniture de certains services numériques. Selon lui, alors que le taux d’imposition moyen des entreprises dans l’Union européenne est de 23,2 %, contre seulement 9,5 % pour les entreprises du numérique, « fixer le taux de la TSN à 5 % créerait une concurrence équitable entre les entreprises traditionnelles et les entreprises numériques et permettrait une meilleure contribution à l’impôt de la part du secteur du numérique, qui a été jusqu’ici sous-imposé ».
Une telle augmentation ne serait en aucun cas confiscatoire ou abusive dans la mesure où le montant de la taxe constituerait une charge déductible de l’assiette de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises redevables de l’impôt en France. En relevant le taux de la taxe, on incite les entreprises du numérique à déclarer leurs bénéfices en France. Je rappelle que le Conseil d’État autorise un tel dispositif, à condition de ne pas créer une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.
En portant le taux de 3 % à 5 %, on accroîtrait le rendement de la taxe, on augmenterait l’équité, sans pour autant créer de rupture caractérisée de l’égalité. En outre, je le répète, la taxe est déductible de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises redevables de l’impôt en France.
M. le président. L’amendement n° 8 rectifié bis, présenté par Mme Lepage, M. Duran, Mme G. Jourda, M. P. Joly, Mmes Guillemot et Conway-Mouret, M. Antiste, Mme Blondin et MM. Manable et Daudigny, est ainsi libellé :
Alinéa 45
Remplacer le taux :
3 %
par le taux :
4 %
La parole est à M. Patrice Joly.
M. Patrice Joly. Je ne reviens pas sur l’argumentation qui a été développée par mon collègue précédemment.
Il s’agit là d’un amendement de repli. Si le taux de 5 % n’était pas adopté, il faudrait au moins le fixer à 4 %.
M. le président. L’amendement n° 62 rectifié, présenté par MM. Gabouty, Collin, Requier, Arnell, Artano, A. Bertrand et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Castelli et Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mme N. Delattre, MM. Gold et Guérini, Mmes Guillotin et Laborde et MM. Roux et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 45
Remplacer le taux :
3 %
par le taux :
3,5 %
La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Pour ma part, je propose du dégressif raisonnable : après les taux de 5 % et 4 %, je suggère un taux de 3,5 %. (Sourires.)
Plus sérieusement, faute d’unanimité, la commission a proposé de fixer ce taux à 3 %. Or il nous faut anticiper une négociation internationale, avec l’OCDE ou la Commission européenne. Si l’objectif est de parvenir à un taux de 3 %, nous aurions tout intérêt à entamer les négociations sur la base d’un taux légèrement majoré, sinon nous n’aurons rien à négocier.
Mon raisonnement ne s’appuie pas sur le fond, sur le niveau d’imposition ou sur le chiffre d’affaires, il constitue uniquement une stratégie de négociation. Si on entame une négociation en étant déjà au taquet, je ne vois pas ce qu’on pourra négocier à l’échelon européen ou avec l’OCDE.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Monsieur le secrétaire d’État, tirez une carte ! Choisissez : 3 %, 3,5 %, 4 % ou 4,5 %… Il n’y a pas de raison particulière de choisir 3 % plutôt que 3,5 %, 4 % ou 4,5 %. On peut tirer à pile ou face, tirer au sort.
Plus sérieusement, si nous avons retenu le taux de 3 %, c’est simplement parce que c’est, en gros, l’équivalent d’un taux d’imposition de 20 %, soit à peu près la moyenne européenne basse des taux d’imposition sur les sociétés. C’est le taux qui avait été retenu dans le projet européen, sur lequel, d’ailleurs, le Sénat, je le rappelle pour la énième fois, s’était prononcé par une résolution.
Je pense donc qu’il vaut mieux en rester à cette solution équilibrée. Il n’y a aucune raison déterminante de considérer qu’un taux de 3,5 % serait mieux que 3 %, ou qu’un taux de 4 % serait mieux que 3,5 %, sauf à vouloir faire du rendement pur, mais tel n’est pas l’objectif. Ce que nous voulons, c’est une taxe équilibrée, qui tienne juridiquement.
La commission a donc émis un avis défavorable sur ces amendements, car elle souhaite en rester au taux de 3 %.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Même avis que le rapporteur.
Si le passage de 3 % à 4 % est assez désagréable pour un géant du numérique, souvent américain, il est peu significatif au regard de ses résultats mondiaux. En revanche, le passage de 3 % à 4 % pour un acteur fortement exposé en France, souvent plus petit, et souvent français pour le dire franchement, peut, lui, avoir des conséquences assez dommageables sur sa pérennité.
Pour ces raisons, et pour des raisons de cohérence avec la directive européenne, il me semble préférable d’en rester à 3 %.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 49, présenté par M. Jacquin, Mmes Taillé-Polian et Grelet-Certenais, M. Bérit-Débat, Mme Tocqueville, MM. Joël Bigot et M. Bourquin, Mmes Conconne et Lepage, MM. Tourenne et Vallini, Mme G. Jourda, M. Marie, Mme Meunier, M. Tissot et Mme Blondin, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 45
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
« III. – Pour les services mentionnés au 1° du II de l’article 299, le montant de la taxe est calculé en appliquant à l’assiette définie au I du présent article un taux allant de 3 à 6 %.
« Ce taux est assis de manière progressive en fonction de la volumétrie carbone moyenne des actes de livraison réalisés dans l’année, selon les modalités fixées par le décret n° 2017-639 du 26 avril 2017 relatif à l’information sur la quantité de gaz à effet de serre émise à l’occasion d’une prestation de transport.
« IV. – Les modalités d’application du III sont fixées par décret.
La parole est à M. Olivier Jacquin.
M. Olivier Jacquin. Cet amendement, ainsi que l’amendement suivant, vise, à l’occasion de l’instauration de la taxe sur les Gafa, à réduire les émissions de carbone que génèrent les livraisons. Il a donc pour objet de créer un taux dérogatoire progressif à la taxe sur les services numériques, dans le cas particulier des places de marché proposant la revente et la livraison de biens. Il tend, en effet, à prévoir que les donneurs d’ordres abondent une redevance en fonction de la volumétrie carbone du transport qu’ils ont commandé et appliquent ainsi le principe « pollueur-payeur ».
Ce dispositif peut paraître complexe, mais il s’inspire d’un décret existant et vise à inciter la plateforme à utiliser des solutions de transport plus écoresponsables. En effet, ce mécanisme de remontée d’informations sur le volume de carbone généré par un transport a été inventé du temps du Grenelle de l’environnement. Un décret d’avril 2017 impose actuellement aux transporteurs, pour tous les modes, d’informer leurs clients sur la quantité de gaz à effet de serre émise pour chaque prestation de transport.
Dès lors, les entreprises donneuses d’ordre, ici les plateformes qui livrent des biens, feront une déclaration directe de leur volume d’émissions de carbone, ce qui permettra de moduler la taxe sur le numérique. Ce dispositif incitera les entreprises donneuses d’ordre à avoir moins recours à des modes de livraison dits « express » ou « rapides » et à des camions ou à des véhicules utilitaires dont la capacité volumétrique n’est pas optimisée.
J’avais présenté cet amendement dans le cadre du projet de loi Mobilités. Il s’agissait alors d’un amendement d’appel, appuyé par le syndicat OTRE de transporteurs. Cette idée avait été reprise par deux députés lors de l’examen de ce projet de loi à l’Assemblée nationale.
M. le président. L’amendement n° 50, présenté par M. Jacquin, Mmes Taillé-Polian et Grelet-Certenais, M. Bérit-Débat, Mme Tocqueville, MM. Joël Bigot et M. Bourquin, Mmes Conconne et Lepage, MM. Tourenne et Vallini, Mme G. Jourda, M. Marie, Mme Meunier, M. Tissot et Mme Blondin, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 45
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Pour les services mentionnés au 1° du II de l’article 299, le montant de la taxe est calculé en appliquant à l’assiette définie au I du présent article un taux de 5 % dans le cas où les coûts totaux des actes de livraison réalisés dans l’année excèdent les recettes totales réalisées dans l’année, encaissées au titre des frais de livraison acquittés par les clients de l’interface.
La parole est à M. Olivier Jacquin.
M. Olivier Jacquin. Cet amendement s’appuie sur le même raisonnement. Il s’agit de rendre les livraisons et les transports vertueux.
Cet amendement tend à introduire un autre mécanisme, inspiré de l’interdiction de la revente à perte. Il vise à instaurer un taux de 5 % lorsque l’entreprise numérique propose des services de livraison dont les coûts totaux excèdent les recettes demandées au titre des frais de livraison payés par les consommateurs.
On a interdit aux plateformes numériques de proposer des livraisons gratuites. Elles ont donc inventé les transports à 0,01 centime. Le mécanisme que nous proposons permettrait d’éviter les reventes à perte.
Ce taux inciterait les places de marché et les entreprises de livraison de biens à proposer des frais de livraison plus proches de leur coût réel. Ainsi, des modes de livraison plus propres seraient encouragés et les livraisons « express » ou « rapides » seraient moins utilisées. Quant aux consommateurs, ils seraient encouragés à privilégier le commerce physique ou des livraisons moins rapides, ce qui permettrait d’optimiser et de massifier les transports.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Tout le monde partage les objectifs de M. Jacquin de rendre les transports plus vertueux. C’est une excellente idée. Le seul problème, c’est que les transports ne sont pas inclus dans l’assiette de la taxe. Cet amendement est donc hors champ.
M. Jean-François Husson. Il est hors sujet !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Les prestations de transport ne sont pas du tout concernées par la taxe. Ces amendements ne sont pas du tout opérants, même si le sujet évoqué est tout à fait intéressant.
La commission demande donc le retrait de ces amendements ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Nous partageons évidemment les objectifs écologiques dans le domaine des transports exposés par M. le sénateur. Toutefois, pour des raisons liées à l’assiette de la taxe, comme l’a dit le rapporteur, et pour des raisons de cohérence avec ce que nous avons retenu à l’échelon européen, et compte tenu de la complexité qu’entraînerait la mise en œuvre des dispositifs que tendent à introduire ces deux amendements, nous y sommes défavorables.
M. le président. Monsieur Jacquin, les amendements nos 49 et 50 sont-ils maintenus ?
M. Olivier Jacquin. Vous me dites que les transports ne sont pas inclus dans l’assiette de la taxe. Je l’ai bien compris. Mes amendements visent justement à contester l’assiette proposée, à l’heure du réchauffement climatique et des problématiques générées par les transports en flux express. Nos propositions permettraient de prendre en compte ces questions.
Je constate que ces amendements n’ont pas été déclarés irrecevables. S’ils étaient adoptés, ils permettraient d’atteindre d’autres objectifs. Je regrette que la création de cette nouvelle taxe ne vous ait pas donné l’idée de lutter aussi contre le réchauffement climatique et contre la congestion dans les transports, soit des problématiques contemporaines.
Cela étant, je retire ces amendements.
M. le président. Les amendements nos 49 et 50 sont retirés.
L’amendement n° 48 rectifié ter, présenté par M. Pointereau, Mme Eustache-Brinio, MM. Cardoux, Sol, Grand, Decool, Regnard, de Nicolaÿ, Lefèvre, Moga et Danesi, Mmes Guidez et Bruguière, M. Fouché, Mmes Puissat et L. Darcos, MM. Luche et D. Laurent, Mmes Gruny, Richer et Billon, MM. del Picchia, Kennel, B. Fournier, Hugonet, Guerriau, Brisson, Vogel, Canevet, Charon, Mayet, Reichardt, Bizet et Laménie, Mme A.M. Bertrand, M. Chasseing, Mmes Duranton et de Cidrac, MM. Pierre, Duplomb et J.M. Boyer, Mme Lamure, MM. Segouin et Courtial, Mme Férat, M. Vaspart, Mmes Ramond, Lassarade et Noël, MM. Louault, Houpert et Gremillet et Mme Lanfranchi Dorgal, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 54
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Art. …. – Dès la première année de perception du produit total de la taxe prévue à l’article 299 une part dudit produit est affectée à la dotation globale de fonctionnement (DGF) tel que définie par l’article L. 1613-1 du code général des collectivités territoriales.
II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Rémy Pointereau.
M. Rémy Pointereau. Même s’il n’est pas politiquement correct, aujourd’hui, d’inventer de nouvelles taxes, je me réjouis de la création de cette taxe sur les services numériques. En effet, cela est cohérent avec la proposition de loi instaurant un pacte de revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs, que j’avais présentée avec Martial Bourquin et qui prévoyait une taxe sur les Gafa pour financer des opérations de restructuration.
L’amendement rappelle notamment la nécessité de parvenir à une équité fiscale complète entre les entreprises du commerce physique et celles du commerce numérique. À cette fin, nous proposons qu’une part du produit de la taxe soit affectée à la dotation globale de fonctionnement. La discussion se prolongera lors de l’examen du prochain projet de loi de finances, mais je suis prêt à rectifier dès maintenant cet amendement, pour affecter par exemple le produit de la taxe à la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DETR, afin de financer des opérations de revitalisation, ou au Fonds d’intervention pour la sauvegarde de l’artisanat et du commerce, le Fisac, dont l’enveloppe est devenue insuffisante pour répondre aux besoins de nos commerces locaux.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. L’idée est en effet assez séduisante, et parfaitement cohérente avec la proposition de loi adoptée à l’unanimité, si ma mémoire est bonne, par le Sénat.
M. Rémy Pointereau. Oui.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. J’identifie toutefois un risque. Nous avons décidé que la taxe devait être temporaire et ne vaudrait que pour les années 2019, 2020 et 2021, en attendant l’adoption d’une disposition dans le cadre de l’OCDE. Dès lors, si l’on en affecte le produit à la DGF, à la DETR ou au Fisac, il n’y aura pas de garantie de ressources pour les collectivités territoriales. Lorsque la taxe disparaîtra, l’État compensera-t-il la perte de recettes qu’elles subiront ? Nous ne le savons pas. Il convient donc d’être prudents. La commission émet un avis de sagesse réservée sur cet amendement !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Il est défavorable. Indépendamment du principe de non-affectation des taxes, il ne nous semble ni souhaitable ni nécessaire de lier le débat sur la taxation des entreprises du numérique et celui sur le bon niveau de la DGF.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Je ne voudrais pas que l’on passe ce soir à côté de l’essentiel en voulant se faire plaisir.
L’essentiel, c’est l’équité entre le commerce physique et le e-commerce, la disparition des commerces physiques des centres-bourgs et la révision de la fiscalité locale, notamment la taxe sur les surfaces commerciales, la Tascom. Si le Gouvernement ne s’attèle pas à ces sujets d’importance, nous le ferons. Le e-commerce peut être bénéfique, mais il peut également être destructeur de valeur. Il nous revient de faire évoluer une fiscalité qui n’est plus adaptée. Je souhaiterais que la question soit abordée plus globalement en loi de finances, en étudiant les différences réelles qui existent entre un commerce physique, soumis à l’impôt national, aux charges foncières et aux impôts locaux, et une entreprise de e-commerce, qui peut quasiment échapper à toute taxation si ses entrepôts sont situés hors de France. Je suggérerai plutôt, à titre personnel, le retrait de cet amendement.
M. le président. Monsieur Pointereau, l’amendement n° 48 rectifié ter est-il maintenu ?
M. Rémy Pointereau. J’étais disposé à rectifier cet amendement d’appel pour affecter le produit de la taxe à la DETR ou au Fisac, mais je comprends qu’il soit difficile de trancher aujourd’hui. Nous devrons toutefois faire en sorte que cette taxe sur les Gafa serve aussi à restructurer nos commerces détruits par le commerce numérique, selon une logique gagnant-gagnant. Pour l’heure, je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 48 rectifié ter est retiré.
L’amendement n° 16, présenté par M. Carcenac, Mme Taillé-Polian, MM. Lurel, Kanner, Raynal, Éblé et Botrel, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas, P. Joly et Lalande, Mme Artigalas, MM. Bérit-Débat et Jacquin, Mmes G. Jourda et Lepage, MM. Mazuir, Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 83
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État, l’engagement de cette procédure peut être assorti de pénalités supplémentaires.
La parole est à M. Thierry Carcenac.
M. Thierry Carcenac. Eu égard aux difficultés que connaîtra l’administration fiscale pour exercer des contrôles en matière de taxe sur les services numériques, il convient de mettre en place un dispositif de sanctions suffisamment dissuasif pour éviter toute dissimulation ou manipulation de données de la part des entreprises redevables. En l’absence de modalités de sanctions assez fortes, il est permis de s’interroger sur les démarches qui seront entreprises en la matière par l’administration fiscale.
En outre, les seuils de redevabilité existants garantissent de fait que les entreprises assujetties disposent d’une expertise suffisante pour pouvoir renseigner efficacement et exhaustivement l’administration, sans que cela entraîne pour elles des coûts de gestion exorbitants.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Notre collègue Thierry Carcenac souhaite instaurer des pénalités spécifiques. Il me semble que le problème, c’est la détermination de l’assiette, plus que les pénalités. Le président de la commission et moi-même sommes allés consulter les dossiers des grandes entreprises : toute la difficulté – on le voit dans la jurisprudence administrative – est de pouvoir établir le chiffre d’affaires. Cette taxe étant déclarative, les entreprises paieront ce qu’elles voudront et l’administration aura toutes les peines du monde à établir le chiffre d’affaires d’entreprises qui n’ont pas d’établissement stable en France. Il est difficile d’obtenir des données fiables. Aujourd’hui, lors des contrôles, les entreprises disent qu’elles vendent depuis l’Irlande et qu’elles ne peuvent pas détailler le chiffre d’affaires réalisé en France.
Peut-être le Gouvernement pourra-t-il nous éclairer ? Sinon, je demanderai le retrait de l’amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Il nous semble que cet amendement pose un problème constitutionnel : c’est en effet au seul législateur, et non au Gouvernement, qu’il appartient de définir les sanctions en matière fiscale.
Sur le fond, l’amendement n’en reste pas moins extrêmement important. La capacité de la puissance publique à réguler efficacement les entreprises du numérique, qu’il s’agisse de taxation, de régulation des contenus haineux ou de protection de la vie privée, est une question de survie pour les gouvernements du monde entier. Si nous ne sommes pas capables de faire respecter la loi et de protéger nos concitoyens, pour des raisons de capacités techniques ou de lenteur de réaction, ceux-ci se tourneront vers des solutions plus radicales.
En l’espèce, j’ai une petite divergence d’appréciation avec le rapporteur sur un point : il me semble que nous avons aujourd’hui une assez bonne estimation de ce que devrait être le produit de cette taxe, et nous serons évidemment extrêmement attentifs à ce que le décalage éventuel entre nos attentes et la réalité de ce produit ne soit pas trop grand.
Il y aura bien entendu un temps de discussion et d’adaptation, notamment pour les plus petits acteurs, souvent français, qui sont les moins armés en termes de conseil fiscal. L’idée est de déterminer le bon niveau de fiscalité.
Tout impôt étant déclaratif, à commencer par l’impôt sur le revenu, la question est de savoir si l’on est capable ensuite de réunir les informations nécessaires. Ont d’ores et déjà été mis en place des moyens spéciaux de contrôle, des obligations spécifiques, un droit de reprise de six ans au lieu de trois ans pour les taxes similaires, à la suite de l’adoption à l’Assemblée nationale d’un amendement déposé par Émilie Cariou, une demande de justifications spécifiques, une procédure de taxation d’office à défaut de réponse ou d’éléments probants, une obligation pour les entreprises qui ne sont pas établies dans l’Union européenne ou dans l’Espace économique européen de désigner un représentant fiscal, la possibilité de faire jouer les instruments de coopération fiscale internationale pour obtenir des informations sur les redevables, voire solliciter une assistance au recouvrement.
Il y a donc une vraie volonté politique de mettre en place une taxe efficace. Nous pensons, à ce stade, que les outils prévus sont proportionnés, mais ils pourront toujours être revus, bien entendu.
L’avis est défavorable.
M. le président. La parole est à M. Thierry Carcenac, pour explication de vote.
M. Thierry Carcenac. Je vous remercie de ces explications, monsieur le ministre.
J’avais bien pris note des dispositions votées à l’Assemblée nationale ; j’ai également entendu l’argument relatif à la constitutionnalité. L’objet de cet amendement était d’obtenir les déclarations : je me doute bien que nous irons, à terme, vers des taxations d’office, voire des transactions amiables.
Je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 16 est retiré.
Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 24, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 92 et 93
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État. Le Gouvernement souhaite, par le biais de cet amendement, supprimer les dispositions introduites par la commission visant à prévoir la déductibilité du montant de taxe sur les services numériques acquitté du montant de la contribution sociale de solidarité des sociétés, ou C3S.
La TSN est déjà déductible de l’assiette de la C3S, comme toutes les taxes assimilées à des taxes sur le chiffre d’affaires. La rendre par ailleurs déductible du montant de C3S lui-même introduirait un traitement inéquitable par rapport aux autres taxes assises sur le chiffre d’affaires, conduisant à un avantage non justifié pour les futurs redevables de la TSN. Dès lors que la TSN vise certains services numériques, cette déductibilité s’apparenterait à un avantage sélectif accordé spécifiquement à ce secteur. Le dispositif qui en résulte aurait le caractère d’une aide d’État.
Je vous invite donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à adopter cet amendement, qui garantit la sécurité juridique du dispositif proposé.
M. le président. L’amendement n° 63 rectifié, présenté par MM. Gabouty, Collin, Requier, Artano, A. Bertrand et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Castelli et Corbisez, Mmes Costes et N. Delattre, M. Gold, Mmes Guillotin et Laborde et MM. Roux et Vall, est ainsi libellé :
I.- Alinéa 93
1° Supprimer les mots :
, dans la limite de son montant,
2° Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Si le montant de la taxe est supérieur au montant de la contribution due au titre de la même année, ils peuvent déduire la taxe qu’ils ont acquittée de la contribution au titre des trois années suivantes.
II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Cet amendement vise à consolider la possibilité de déduire la TSN de la C3S sur trois années. On trouve dans le code général des impôts de nombreux exemples de tels mécanismes de report de déductibilité.
Le montant de la taxe pourra en effet connaître une certaine irrégularité : une entreprise pourra avoir trop à déduire une année et rien l’année suivante. Il me semble donc raisonnable de permettre d’étaler la déduction sur trois ans, selon le même principe que pour le franchissement de seuils. On trouve des dispositifs similaires, sur le plan fiscal, pour l’ISF-PME, auparavant, ou le DEFI-forêt.
En pure logique comptable, il aurait sans doute été préférable d’opérer cette déduction sur des bases de valeur ajoutée, plus en rapport avec le chiffre d’affaires et le profil d’exploitation d’une entreprise, mais il aurait alors fallu prévoir une compensation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE, pour les collectivités locales.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Nous sommes réunis aujourd’hui pour créer une taxe sur des entreprises qui acquittent peu d’impôt sur les sociétés en France alors qu’elles y réalisent un chiffre d’affaires important, pas forcément connu. L’objectif n’est pas d’alourdir la fiscalité pour les entreprises qui payent déjà normalement l’impôt.
Dans un monde idéal, nous aurions donc souhaité que la taxe nouvelle soit déductible de l’impôt lui-même. Par exemple, une entreprise qui paye déjà 10 millions d’euros d’impôt sur les sociétés en France aurait ainsi pu déduire de ce montant les 5 millions d’euros de taxe sur les services numériques qu’elle devra acquitter en plus. En d’autres termes, nous aurions souhaité que la création de la taxe soit neutre pour les entreprises qui s’acquittent déjà de leurs obligations fiscales, mais on se heurte alors aux conventions fiscales. C’est la raison pour laquelle a été proposé un dispositif de déduction de la C3S, qui est un impôt sur le chiffre d’affaires. Cette solution n’est pas parfaite, mais elle amoindrit un peu la charge pour les entreprises françaises qui s’acquittent déjà de l’impôt sur les sociétés.
Bizarrement, le Gouvernement veut supprimer cette disposition introduite par le Sénat, au prétexte qu’il s’agirait d’une aide d’État – notion qu’il invoque ou pas selon les circonstances… La commission est évidemment très défavorable à l’amendement n° 24.
La proposition de notre collègue Jean-Marc Gabouty de lisser la déduction sur trois ans est intéressante. Toutefois, le dispositif de l’amendement n° 63 rectifié ne me paraît pas vraiment opérant, car que se passe-t-il au bout de trois ans ? Il n’est pas prévu de remboursement. Je sollicite donc le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 63 rectifié ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Je dois être le seul secrétaire d’État au numérique qui demande au Sénat de ne pas réduire la fiscalité sur les entreprises du numérique !
La TSN étant acquittée par les seules entreprises du numérique, le dispositif de déduction de la C3S adopté par la commission n’allège la fiscalité que pour celles-ci. Cela introduirait, outre une perte de rendement, une certaine distorsion de concurrence avec le secteur industriel.
L’avis du Gouvernement est donc défavorable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. Les possibilités de déduction existant pour un certain nombre d’impôts ne valent pas toujours ad vitam aeternam. La déduction peut s’opérer sur les années n+1, n+2 et n+3, le solde excédentaire éventuel de l’année « n » étant ensuite définitivement perdu.
M. le président. L’amendement n° 30, présenté par MM. Savoldelli, Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 98
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il renseigne particulièrement les parlementaires sur les possibilités de la mise en œuvre d’une coopération renforcée pour la fiscalité du numérique à l’échelle européenne.
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Depuis le début de nos échanges, nous recherchons les moyens d’une coopération renforcée pour une fiscalité sur le numérique à l’échelle européenne. Cet amendement vise à demander au Gouvernement de renseigner l’ensemble des parlementaires sur les possibilités existant à cet égard, pour qu’ils puissent être aux côtés de l’État sur ce sujet dans le cadre des discussions européennes. Je remercie Albéric de Montgolfier d’avoir sollicité en commission l’avis du Gouvernement sur cet amendement.
Nous sommes tous convaincus que le niveau pertinent d’une imposition sur les géants du numérique est a minima celui de l’Europe. Le Gouvernement a souligné l’échec des négociations au Conseil européen. Cependant, si la France veut être leader, comme elle a pu l’être au plan international à certaines périodes en matière de fiscalité environnementale, elle ne doit pas s’accommoder de cette situation. Pour que nous puissions avoir une approche dynamique et évolutive, il nous semble nécessaire de pousser les débats en Europe. Des pays comme l’Italie, l’Espagne ou l’Autriche ont déjà lancé des projets, et il suffirait que neuf États membres s’engagent pour qu’une coopération renforcée soit possible.
La possibilité de mener des coopérations renforcées est souvent évoquée par le Président de la République, par exemple pour l’Europe de la défense. Pourquoi ne pas le faire pour la fiscalité numérique ? Nous ne sous-estimons pas les difficultés, mais il nous semble que cet amendement peut rassembler une majorité au Sénat.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. La commission souhaite connaître l’avis du Gouvernement !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. La volonté du Gouvernement est d’avancer au niveau de l’OCDE : ce sera plus systémique et nous avons de bons espoirs de déboucher sur un accord en 2020 ou en 2021.
M. Laurent Duplomb. L’espoir fait vivre…
M. Cédric O, secrétaire d’État. Nous concentrons donc tous nos efforts sur cette démarche. Mettre en place une coopération renforcée est difficile et demande beaucoup de temps. Cela étant, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président. L’amendement n° 66, présenté par M. de Montgolfier, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 100
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. L’alinéa 100 dispose que le rapport remis annuellement par le Gouvernement « peut » faire l’objet de débats au Parlement dans les conditions prévues par le règlement des assemblées parlementaires : cela relève de la responsabilité de chaque assemblée, le Parlement fait ce qu’il veut !
M. Jean-François Husson. Inacceptable !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Le Président de la République a parlé de lois « bavardes » : cet alinéa est totalement inutile et scandaleux, supprimons-le ! (M. Jean-Paul Émorine applaudit.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien ! Excellent amendement !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié n’est pas soutenu, non plus que les amendements identiques nos 42 et 58 rectifié bis.
Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est près de minuit. Je vous propose de poursuivre nos travaux : si chacun fait preuve de concision, nous pouvons achever l’examen de ce texte à une heure raisonnable.
Il n’y a pas d’opposition ?…
Il en est ainsi décidé.
Article additionnel après l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 17, présenté par Mme Taillé-Polian, MM. Lurel, Carcenac, Kanner, Raynal, Éblé et Botrel, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas, P. Joly et Lalande, Mme Artigalas, MM. Bérit-Débat et Jacquin, Mme G. Jourda, MM. Mazuir, Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° Le I de l’article 164 B est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« h. Dans les conditions définies à l’article 209 C, les bénéfices réalisés à raison de la livraison ou de la fourniture de biens ou de services en France au sens des articles 258, 259, 259 A, 259 B, 259 C et 259 D. » ;
2° Le premier alinéa du I de l’article 209 est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l’impôt sur les sociétés sont déterminés d’après les règles fixées par les articles 34 à 45, 53 A à 57, 108 à 117, 237 ter A et 302 septies A bis :
« a) pour les personnes autres que celles mentionnées à l’article 209 C, en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France, de ceux mentionnés aux a, e, e bis et e ter du I de l’article 164 B ainsi que de ceux dont l’imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions ;
« b) pour les personnes mentionnées à l’article 209 C, en tenant compte uniquement, dans les conditions prévues par cet article, des bénéfices réalisés à raison de la livraison ou de la fourniture de biens ou de services en France mentionnés au h du I de l’article 164 B ou, pour les exercices ouverts jusqu’au 31 décembre 2028, des bénéfices mentionnés au a du I du présent article s’ils sont supérieurs. » ;
3° Après l’article 209 B, il est inséré un article 209 C ainsi rédigé :
« Art. 209 C. – I. – Pour les personnes appartenant à un groupe au sens du II du présent article qui, au cours de l’exercice ou des douze derniers mois, livre des biens ou fournit des prestations en France au sens des articles 258, 259, 259 A, 259 B, 259 C et 259 D dont la valeur excède 100 millions d’euros, les bénéfices passibles de l’impôt sur les sociétés sont déterminés en retenant, dans les conditions définies au IV du présent article, l’ensemble des résultats de leurs exploitations directes ou indirectes, qu’elles soient situées en France ou à l’étranger, du groupe auquel elles appartiennent.
« Les dispositions du premier alinéa du présent I sont également applicables à toute entité juridique n’appartenant pas à un groupe qui, au cours de l’exercice ou des douze derniers mois, livre des biens ou fournit des prestations en France au sens des articles 258, 259, 259 A, 259 B, 259 C et 259 D dont la valeur excède 100 millions d’euros.
« II. – Le groupe au sens du I comprend les entités juridiques, personnes morales, organismes, fiducies ou institutions comparables, établies ou constituées en France ou hors de France placés sous le contrôle exclusif ou conjoint d’une même personne au sens de l’article L. 233-16 du code de commerce.
« III. – Une société membre du groupe mentionné au II est constituée, à son initiative ou, à défaut, par désignation de l’administration, seule redevable de l’impôt sur les sociétés dû par elle-même et les autres entités juridiques membres du même groupe.
« Le résultat d’ensemble est déterminé par cette société en faisant la somme algébrique des résultats de chacune des entités du groupe dans les conditions prévues aux articles 223 A à 223 K.
« IV. – La part du résultat d’ensemble du groupe mentionné au II correspondant aux bénéfices réalisés par ses membres à raison de la livraison ou de la fourniture de biens ou de services en France au sens du h du I de l’article 164 B est réputée égale à la part des ventes et prestations du groupe en France dans le total des ventes et prestations réalisés par le groupe en France et hors de France.
« Pour calculer la part des ventes et prestations réalisée en France dans le total des ventes et prestations réalisées en France et hors de France, il n’est pas tenu compte des ventes et prestations réalisées entre entités appartenant au groupe. Il n’est pas non plus tenu compte des ventes et prestations réalisées à des entités domiciliées ou établies dans un État étranger ou un territoire situé hors de France et qui y sont soumises à un régime fiscal privilégié au sens de l’article 238 A.
« Pour les entités mentionnées au dernier alinéa du I du présent article et n’appartenant pas à un groupe, la part des bénéfices réputée réalisée à raison de la livraison ou de la fourniture de biens ou de services en France au sens du h du I de l’article 164 B est égale à la part des ventes et prestations de l’entité en France dans le total des ventes et prestations réalisées par l’entité en France et hors de France. »
II. – Le I entre en vigueur le 1er janvier 2021.
III. – La perte de recettes pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la majoration du taux mentionné au 1° du B du 1 de l’article 200 A du code général des impôts.
La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. L’amendement est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Il est défavorable. Cet amendement est contraire aux conventions fiscales.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 17.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er bis A (nouveau)
En l’absence de notification préalable de la taxe sur les services numériques prévue à l’article 299 du code général des impôts à la Commission européenne en application de l’article 108 paragraphe 3 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le Gouvernement remet, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport au Parlement sur les raisons pour lesquelles la taxe précitée n’a pas été notifiée à la Commission européenne.
M. le président. L’amendement n° 21, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État. La commission des finances du Sénat demande au Gouvernement un rapport justifiant une éventuelle absence de notification de la TSN à la Commission européenne.
Nous sommes à peu près sûrs que ce n’est pas nécessaire. Certes, la taxe sur certains services numériques n’est applicable qu’aux entreprises dont le chiffre d’affaires se situe au-delà des seuils d’assujettissement, ce qui conduit de facto à placer hors du champ de la taxe les entreprises dont le chiffre d’affaires se situe en deçà.
Pour autant, ce dispositif ne peut être qualifié d’aide d’État, dès lors que les différenciations introduites s’appliquent à des entreprises qui, au regard des objectifs de la taxe, ne se trouvent pas dans une situation factuelle et juridique comparable.
Le Conseil d’État a confirmé cette analyse dans son avis sur le présent projet de loi, indiquant que les entreprises entrant dans le champ d’application de la taxe ne sont pas dans une situation objectivement comparable à celles qui en sont exclues en raison de leur taille, compte tenu du modèle économique spécifique sur lequel leur activité repose. Un arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 16 mai 2019 relatif à une taxe progressive sur le chiffre d’affaires vient par ailleurs conforter cette analyse.
Dès lors, notifier la TSN à la Commission européenne n’étant pas nécessaire au regard de la réglementation en matière d’aides d’État, l’article 1er bis A nous semble devoir être supprimé.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Après avoir entendu le Gouvernement, j’ai encore plus envie de voter contre cet amendement…
M. Laurent Duplomb. Nous aussi !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. « Nous sommes à peu près sûrs », avez-vous dit, monsieur le secrétaire d’État. Or, aux termes de l’avis du Conseil d’État, la Cour de justice de l’Union européenne ne s’est jamais prononcée sur cette question. L’arrêt que vous mentionnez concerne un pays qui avait précisément pris la précaution de notifier à la Commission européenne.
Nous avons connu quelques contentieux assez douloureux par le passé, alors que l’on nous expliquait que tout allait bien…
M. Jean-François Husson. Tout à fait !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Le minimum de sécurité juridique, c’est donc de notifier. Votre analyse est sans doute exacte – rien ne dit qu’il y aura requalification en aide d’État –, mais si l’on ne prend pas cette précaution procédurale, il faudra rembourser la taxe en cas de requalification.
M. Laurent Duplomb. C’est déjà arrivé !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Je souhaite donc sécuriser cette taxe en la notifiant à la Commission européenne. Comme nous ne pouvons pas donner injonction au Gouvernement de le faire, nous lui demandons, afin de l’y inciter, d’expliciter dans un rapport les raisons pour lesquelles il considère que la notification n’est pas nécessaire.
M. Laurent Duplomb. Très bien !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Tout le monde est aujourd’hui dans la dénégation, mais des analyses très précises de juristes que j’ai lues font état des plus grands doutes sur cette question. L’arrêt du Conseil d’État est beaucoup moins clair que vous ne le laissez entendre : il dit seulement que la CJUE ne s’est pas prononcée sur ce point. Le Conseil d’État reste donc assez prudent. Soyons-le nous aussi, afin de ne pas avoir, le cas échéant, à rembourser aux Gafa la taxe perçue.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État. Monsieur le rapporteur, c’est par une forme d’humilité que j’ai employé l’expression « à peu près » ! Nous sommes absolument sûrs que cette taxe n’a pas à être notifiée à la Commission européenne. Elle est d’ailleurs un décalque assez fidèle du projet de directive.
En outre, si nous devions être amenés à notifier la TSN, ce qui, je le répète, nous semble inutile, elle ne pourrait probablement pas entrer en vigueur en 2019, la procédure prenant six bons mois.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Nous suivrons la commission, une grande confiance n’excluant pas une petite méfiance… Dans le passé, on a pu voir que le Gouvernement aurait dû suivre la commission des finances du Sénat quand elle préconisait d’appliquer le principe de précaution.
M. Jean-François Husson. Oh oui !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. On nous avait expliqué que la convention avec Panama était parfaite !…
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er bis A.
(L’article 1er bis A est adopté.)
Article 1er bis
(Non modifié)
Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport dressant un état des lieux de la fiscalité pesant sur les entreprises du secteur du commerce. Il précise les différences de prélèvement entre les entreprises du commerce physique et les entreprises du commerce en ligne, notamment transnationales.
Ce rapport élabore des propositions en vue d’aboutir à un cadre fiscal plus équitable entre les différentes formes de commerce. – (Adopté.)
Article additionnel après l’article 1er bis
M. le président. L’amendement n° 31, présenté par MM. Savoldelli, Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au 4° du 1 de l’article 39 du code général des impôts, après les mots : « État ou territoire avec la France », sont insérés les mots : «, la taxe sur les services numériques ».
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. L’amendement est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 31.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 2
(Non modifié)
I. – Le deuxième alinéa du I de l’article 219 du code général des impôts est complété par une phrase ainsi rédigée : « Par dérogation, pour les exercices ouverts du 1er janvier au 31 décembre 2019, le taux normal de l’impôt est fixé, sans préjudice des dispositions prévues au 2° du c du présent I, à 33,1/3 % pour les redevables ayant réalisé un chiffre d’affaires égal ou supérieur à 250 millions d’euros. »
II. – Le chiffre d’affaires mentionné à la seconde phrase du deuxième alinéa du I de l’article 219 du code général des impôts s’entend de celui réalisé par le redevable au cours de l’exercice ou de la période d’imposition, ramené s’il y a lieu à douze mois. Pour la société mère d’un groupe mentionné à l’article 223 A ou à l’article 223 A bis du code général des impôts, le chiffre d’affaires est apprécié en faisant la somme des chiffres d’affaires de chacune des sociétés membres de ce groupe.
III. – Au premier alinéa du 2° du F du I de l’article 84 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, les mots : « , dans sa rédaction résultant du 1° du présent F, » sont supprimés.
IV. – Les dispositions des I et II s’appliquent aux exercices clos à compter du 6 mars 2019.
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié ter, présenté par MM. Delahaye, Henno, Longeot, Cadic, Moga, Détraigne et Capo-Canellas et Mme Guidez, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Même si l’heure est un peu avancée, je vous soumets un amendement de principe.
Nous prônons le respect de la parole donnée et des engagements pris : il y va de la crédibilité du politique. Le gouvernement précédent, soutenu par de nombreux collègues socialistes ici présents, avait déjà annoncé la baisse progressive du taux de l’impôt sur les sociétés jusqu’à 25 %. (M. Claude Raynal s’exclame.) C’est la vérité, monsieur Raynal ! Je me souviens très bien de certaines prises de position en commission des finances à l’époque.
Le gouvernement actuel a repris cette annonce à son compte. Une baisse de l’impôt sur les sociétés a été inscrite dans la loi de finances pour 2019, et les entreprises ont sans doute tenu compte de cette perspective dans leurs prévisions. Aujourd’hui, on nous dit que, le Président de la République, suivi par le Parlement, ayant décidé d’augmenter les dépenses de 10 milliards d’euros, il faut trouver les recettes correspondantes. La mesure prévue à l’article 2 du présent projet de loi rapportera 1,7 milliard d’euros.
Pour notre part, monsieur le secrétaire d’État, nous pensons que, au-delà du respect des engagements pris et de la parole donnée, quand on décide des dépenses supplémentaires, il faut prévoir des économies à la même hauteur. Le Sénat a fait des propositions à cet égard : lors de la discussion du PLF pour 2019, nous avions proposé plus de 1,7 milliard d’économies, qui ont été votées dans cette enceinte mais n’ont pas été retenues par le Gouvernement. À un moment donné, il faudra avoir le courage de baisser la dépense publique plutôt que de revenir sur des baisses d’impôt pour les sociétés qui sont bienvenues pour développer l’emploi. Il importe que les entreprises se portent bien et puissent ainsi investir et embaucher.
Cet amendement est à mon sens très important. Si l’on veut que le politique soit crédible, il faut savoir maintenir le cap annoncé. En l’occurrence, le Gouvernement nous propose d’en changer : nous considérons que c’est une grave erreur. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. L’argumentation est excellente. Un engagement a effectivement été pris, et tous les pays d’Europe convergent vers un taux d’impôt sur les sociétés d’environ 20 %. La France compte parmi les pays où ce taux est le plus élevé. Comme nous sommes dans une économie ouverte, cela entraîne un déficit de compétitivité. C’est la raison pour laquelle des gouvernements, de droite et de gauche, ont proposé d’aller vers une baisse de l’impôt sur les sociétés.
M. Jean-François Husson. La main sur le cœur !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Aujourd’hui, la confiance fait défaut. Lorsque l’on annonce une trajectoire pluriannuelle de baisse, il faut s’y tenir, quels que soient les événements perturbateurs. Nous avons été amenés à voter dans l’urgence un certain nombre de dépenses supplémentaires, mais le mieux aurait été de ne pas se trouver amenés à devoir compenser des hausses d’impôts votées quelques jours auparavant…
Ce qu’a répondu Bruno Le Maire, quand je lui ai demandé s’il était prêt à s’engager concernant le PLF pour 2020, ne m’a pas du tout rassuré : je le prédis, on nous refera le coup en décembre prochain ! (Marques d’approbation sur des travées du groupe Les Républicains.) On nous annoncera alors que, finalement, on n’a pas les moyens de baisser le taux de l’impôt sur les sociétés à 31 %, et la baisse sera reportée d’une année. M. le ministre l’a avoué en creux. C’est même écrit en filigrane dans le programme de stabilité, mes chers collègues ! On nous dit que le taux de l’impôt sur les sociétés sera de 25 % en 2022, mais il faudra alors dégager une marge de 6 milliards d’euros d’un coup.
M. Laurent Duplomb. Surtout avec la suppression progressive de la taxe d’habitation !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Il est évident que l’on ne fera pas ce cadeau aux entreprises en fin de quinquennat.
M. Jean-François Husson. On allongera le quinquennat !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Monsieur le secrétaire d’État, un minimum de confiance est nécessaire. Lorsque l’on prend un engagement, on s’y tient. Les entreprises ont besoin de visibilité. Il est totalement contradictoire d’en appeler à la confiance et, en même temps, de revenir sur une telle disposition.
J’émets un avis de sagesse au nom de la commission, mais, à titre personnel, je voterai l’amendement, M. Le Maire ayant laissé entendre que la loi de finances pour 2020 ne comporterait pas la baisse d’impôt annoncée.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. La baisse de l’impôt sur les sociétés est un élément clé de l’attractivité du territoire français. Elle fait partie des engagements pris par le Président de la République. Nous tiendrons l’objectif de ramener à 25 % le taux de l’impôt sur les sociétés en 2022.
Par ailleurs, nous respecterons le profil de baisse prévu pour les entreprises réalisant moins de 250 millions d’euros de chiffre d’affaires, même si, compte tenu des annonces du Président de la République, nous avons suspendu cette baisse pour l’année 2019.
M. Jean-François Husson. Il y avait déjà eu une surtaxe de 5 milliards d’euros l’an dernier !
M. Cédric O, secrétaire d’État. Nous sommes dans une phase de réflexion sur le financement des mesures décidées par le Président de la République, mais je m’engage devant vous, au nom du Gouvernement, à ce que le taux de l’impôt sur les sociétés soit réduit en 2020 pour toutes les entreprises.
M. Jean-François Husson. Vous l’aviez annoncé pour 2019 !
M. Cédric O, secrétaire d’État. Pour 2019, le taux reste fixé à 33,3 % pour les grandes entreprises et il passe à 31,3 % pour les PME.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Coordonnez-vous avec votre ministre !
M. Cédric O, secrétaire d’État. Je suis très sûr de moi en l’espèce ! Nous allons poursuivre la baisse selon la trajectoire prévue en 2020, y compris pour les grandes entreprises, le quantum restant à déterminer. En tout état de cause, il y aura bien une baisse : je m’y engage au nom du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Claude Raynal, pour explication de vote.
M. Claude Raynal. Je m’étonne de la présentation cet amendement. On ne peut pas demander tout et le contraire ! On ne peut pas à la fois réclamer des éléments de solution à la crise sociale et rejeter des propositions, somme toute minimes, du Gouvernement, ne permettant de couvrir qu’en partie les 10 milliards d’euros de dépenses supplémentaires. C’est une question de logique.
Nous considérons que les dispositions présentées par le Gouvernement ne sont pas suffisantes, mais elles ont le mérite d’exister. Nous voterons ce qui est une mesure de rééquilibrage temporaire, ne concernant que les entreprises les plus importantes.
De surcroît, les entreprises bénéficient cette année d’un apport de 40 milliards d’euros : 20 milliards d’euros au titre du CICE et 20 milliards d’euros grâce à la baisse des charges. On peut bien leur en reprendre une petite partie au travers de la mesure proposée. Le Gouvernement s’engage par ailleurs sur une baisse de l’impôt sur les sociétés en 2020.
Je comprends bien que certains soient tentés ce soir, avant d’aller se coucher, d’en faire une petite affaire politicienne (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.),…
M. Laurent Duplomb. C’est vrai que les socialistes n’en font jamais !
M. Claude Raynal. … mais, de grâce, ce n’est pas le sujet ! Nous avons là une proposition raisonnable. Pour notre part, nous voterons contre cet amendement, dont je m’étonne qu’il émane des centristes, et non de la majorité sénatoriale. (Exclamations sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.) C’est curieux !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Des événements imprévisibles ont entraîné 10 milliards d’euros de dépenses supplémentaires en fin d’année dernière. Il n’est pas aisé de trouver immédiatement, pour l’année qui suit, un tel montant d’économies en dépenses de fonctionnement de l’État. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Ils ont en tout cas trouvé le moyen de dépenser 11 milliards d’euros !
M. le président. Mes chers collègues, laissez l’orateur s’exprimer !
M. Jean-Marc Gabouty. La proposition du Gouvernement me semble tout à fait raisonnable. Cela étant, je ne suis pas tout à fait d’accord avec M. Raynal quand il dit que les entreprises bénéficieront de 40 milliards d’euros en 2019. La plupart des entreprises préfinançant le CICE, il s’agit plutôt de 20 milliards d’euros au titre de l’année 2018 et de 20 milliards d’euros pour l’année 2019. Je me permets d’apporter ce correctif.
Il faut tout de même se féliciter que la trajectoire de baisse soit maintenue pour toutes les entreprises faisant moins de 250 millions de chiffre d’affaires. Pour ma part, je crois à l’engagement pris par le Gouvernement de ramener le taux de l’impôt sur les sociétés à 25 % en 2022.
Enfin, les uns et les autres, depuis quinze ou vingt ans, nous avons soutenu des gouvernements qui n’ont jamais baissé l’impôt sur les sociétés. Pour une fois qu’un gouvernement a décidé de le faire, allez-vous le flinguer au motif qu’il ne tient pas assez vite ses engagements ? Cela ne me paraît pas très cohérent.
Il faut maintenir ce dispositif, ne serait-ce que pour éviter d’aggraver le déficit et l’endettement publics, et ainsi faire preuve d’une rigueur budgétaire que l’auteur de cet amendement n’a de cesse d’appeler de ses vœux.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Mon intervention sur cet amendement vaudra défense de l’amendement n° 32, qui lui est antagonique.
Le parcours budgétaire a certes été assez chaotique à la fin de 2018. C’est le moins que l’on puisse dire !
Dans le récent rapport de la Cour des comptes sur l’exécution du budget de 2018, il est souligné que les allégements fiscaux figurent au premier rang des raisons expliquant la hausse du déficit.
Il s’agit là d’un débat éminemment politique. Notre collègue Delahaye, soutenu par les membres du groupe Les Républicains, réclame une baisse de la dépense publique, afin de ramener le déficit au-dessous de 3 % du PIB. Nous essayons toujours, pour notre part, de trouver des recettes nouvelles pour l’État.
Nous voterons donc contre cet amendement. Croyez à la sincérité de notre groupe ! Je vous renvoie aux propos que vous avez tenus en 2016, en 2017, en 2018… On peut vouloir régler des comptes avec l’ancien gouvernement – que pour notre part nous ne soutenions pas –, mais il appartient aussi aux groupes politiques de faire preuve de cohérence.
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour explication de vote.
M. Julien Bargeton. Je partage ce qu’a dit M. Delahaye sur l’importance de la crédibilité du politique. Mais la crédibilité, c’est aussi d’essayer de maintenir une cohérence entre les diverses mesures adoptées au fil du temps. Je me réjouis que nous ayons voté en responsabilité 10 milliards d’euros de dépenses supplémentaires. D’ailleurs, l’attitude de la majorité sénatoriale a alors été constructive. (Mme Dominique Estrosi Sassone approuve.) Elle n’a pas cherché à bloquer le plan du Gouvernement, qui a été adopté dans un délai record parce que la situation sociale du pays l’exigeait. Nous savions néanmoins qu’il faudrait le financer et que cela passerait, pour partie, par une augmentation d’un impôt pesant sur les entreprises. En l’occurrence, la solution proposée est plutôt intelligente, puisqu’elle ne touche que les plus grandes d’entre elles. Je souhaite bien sûr moi aussi que cette mesure soit temporaire. Les pessimistes n’ont pas toujours raison : on peut aussi faire confiance quant au respect à terme de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés.
Sur le principe, nous sommes d’accord pour que l’on trouve d’autres formes de financement, notamment via des économies, mais nous ne le sommes pas toujours avec les économies proposées.
Je note que les grandes entreprises, par la voix de l’Afep ou du Medef, n’ont pas réagi de manière virulente, comme elles savent le faire quand elles le veulent, à l’annonce de la mesure. Cela tient peut-être aussi à la situation sociale du pays. Les grandes entreprises ont sans doute conscience que cet effort n’est pas illégitime.
Par conséquent, nous aurions pu arriver à un consensus. Objectivement, j’ai cru qu’il se dessinait au sein de la commission des finances – cela ne se confirme pas tout à fait ce soir en séance publique –, d’autant que, par ailleurs, un certain nombre de mesures favorables aux entreprises, elles aussi critiquées, ont été prises : je pense à la transformation du CICE en allégement pérenne de cotisations sociales ou aux mesures relatives à la taxation forfaitaire, par exemple.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Julien Bargeton. Il serait dommage de ne pas maintenir dans le texte cette disposition temporaire, mesurée et de bon aloi pour faire face à la crise que traverse notre pays.
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour explication de vote.
M. Vincent Delahaye. Monsieur Savoldelli, quand on lit un rapport, il faut le lire entièrement.
La Cour des comptes a effectivement estimé que le déficit provenait principalement des allégements fiscaux, mais elle ajoute que cela tient au fait qu’ils n’étaient pas accompagnés d’une baisse correspondante de la dépense publique. Sans réduction de la dépense, les baisses d’impôt sont de la poudre aux yeux.
M. Jean-François Husson. Bien sûr !
M. Vincent Delahaye. Je dirai même que c’est de l’arnaque ! On en reparlera à propos de l’impôt sur le revenu, mais faire des cadeaux fiscaux aujourd’hui sans baisser la dépense, cela signifie simplement que l’on reporte l’impôt sur les années suivantes. La position de la Cour des comptes est constante depuis des années : les allégements fiscaux doivent s’accompagner d’une réduction de la dépense. C’est aussi la nôtre : je vous enverrai le texte de mes interventions pour que vous puissiez le vérifier, monsieur Savoldelli ! (Sourires.)
Monsieur Raynal, je veux bien que l’on ait un discours différent d’un quinquennat à l’autre. Je me souviens très bien que, lors de la précédente mandature, on n’avait de cesse de nous affirmer, en commission des finances, que le taux de l’impôt sur les sociétés serait ramené progressivement à 25 %. Nous sommes en 2019. Nous avons voté la baisse de l’impôt sur les sociétés lors de l’examen du PLF, mais, en regard, nous avons proposé des réductions de dépenses. Le Gouvernement n’a pas écouté le Sénat, comme il ne l’a pas écouté à propos de la taxe carbone. Soit dit par parenthèse, prétendre aujourd’hui que ne pas augmenter la taxe carbone revient à distribuer du pouvoir d’achat, c’est se moquer du monde !
Nous faisons des propositions au Gouvernement, qui ne sont pas retenues. À force, nous ne savons plus quoi faire ! En l’occurrence, un engagement a été pris. J’estime qu’il doit être respecté, d’où le dépôt de cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour explication de vote.
M. Emmanuel Capus. Il est évidemment beaucoup plus facile de prendre la parole pour proposer une baisse d’impôt. C’est plus populaire. J’aimerais donc pouvoir m’associer aux propos de Vincent Delahaye, d’autant que je partage ses objectifs. Le taux de l’impôt sur les sociétés est bien trop élevé dans notre pays, et cela pénalise nos entreprises. Réduire notre dépense publique est également nécessaire. Je le dis régulièrement, dans cette enceinte ou au sein de la commission des finances.
Mais la question n’est pas là en l’occurrence. Compte tenu de la situation exceptionnelle que rencontre le pays, nous avons tous accepté de voter 10 milliards d’euros de dépenses supplémentaires. Agissons-nous aujourd’hui en responsabilité ou faisons-nous de la politique au mauvais sens du terme ? (Marques d’agacement sur des travées du groupe Les Républicains.) La majorité sénatoriale se targue volontiers d’être constructive : c’est l’occasion de le démontrer, en adoptant ensemble une proposition mesurée, tout en étant extrêmement vigilants, comme je l’ai déjà dit, à ce qu’il ne s’agisse que d’un décalage d’une année, ne touchant que les grandes entreprises. À ces conditions, il me semble, à titre personnel,…
M. Jean-François Husson. Vous êtes tout seul…
M. Emmanuel Capus. … que l’on peut faire preuve de constructivisme en allant, exceptionnellement, dans le sens du Gouvernement.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je ne sais pas si nous allons faire preuve de constructivisme ou de constructivitude…
Monsieur le secrétaire d’État, à la suite du scandale du COMEX, le Sénat avait voté une mesure contre la fraude aux dividendes, qui a été complètement vidée de sa substance à l’Assemblée nationale. Étant rapporteur spécial des engagements financiers de l’État, c’est-à-dire de la dette, je suis très sensible à cette situation, qui n’est tout de même pas très satisfaisante.
Enfin, on ne saurait ne pas évoquer ce soir la fraude fiscale et la fraude sociale : sur ces sujets, nous avons beaucoup de travail à accomplir.
Tout ce débat est très approximatif, car il y manque un pan. Monsieur le secrétaire d’État, je vous invite à écouter le Sénat : en règle générale, nous avons raison ; nous avons peut-être seulement tort d’avoir raison trop tôt !
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Monsieur le secrétaire d’État, à en croire vos éléments de langage, il s’agirait d’un simple ajustement temporaire de la trajectoire de la baisse de l’impôt sur les sociétés, prévue à l’article 84 de la loi de finances pour 2018.
Il s’agirait d’une simple pause au regard de l’objectif de ramener le taux d’impôt sur les sociétés à 25 % en 2022. Pour comparaison, le taux moyen de l’impôt sur les sociétés est aujourd’hui de 22 % en Europe, et de 24 % sur le plan mondial.
Avec un taux normal d’impôt sur les sociétés abaissé à 25 % à l’issue du quinquennat, sans tenir compte des baisses intervenant dans les autres États européens, la France continuera donc à avoir un taux supérieur à la moyenne européenne, ce qui ne correspond pas à l’engagement du Président de la République. Ayons le courage de le reconnaître, l’harmonisation fiscale européenne n’est qu’une incantation ! Tous en France l’invoquent, mais jamais personne ne l’engage. Les autres baissent le taux de l’impôt sur les sociétés, pas nous.
Malgré la modestie de l’objectif initial, à peine plus d’un an après avoir adopté la trajectoire de baisse pour la durée de la mandature, le Gouvernement demande une énième contribution exceptionnelle aux grandes entreprises. Sont ici visées 765 entreprises qui réalisent plus de 250 millions d’euros de chiffre d’affaires, ce qui inclut également des entreprises de taille intermédiaire, dont on jure par ailleurs, la main sur le cœur, vouloir favoriser la croissance et l’expansion !
Si l’État veut augmenter ses recettes fiscales, il suffit tout simplement de diminuer les taux d’imposition les plus élevés, en commençant par celui de l’impôt sur les sociétés ! Il ne faut pas craindre les baisses d’impôt ! L’exemple britannique l’a montré : les recettes au titre de l’impôt sur les sociétés ont augmenté à mesure que le taux baissait. Ainsi, en ramenant son taux d’IS de 28 % à 19 %, le Royaume-Uni a augmenté ses recettes de 55 %. Voilà qui devrait nous faire réfléchir !
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour explication de vote.
M. Pascal Allizard. Mes chers collègues, je suis assez consterné du tour que prend notre débat.
Nous devrions normalement nous retrouver sur ce sujet. À en croire ce qu’a dit M. le secrétaire d’État, il s’agit de taxer des grandes entreprises du numérique qui font aujourd’hui des profits exceptionnels tout en échappant à l’impôt un peu partout, et on en arrive – peut-être est-ce très français – à vouloir taxer des entreprises déjà assujetties. Ce faisant, on compromettra encore un peu plus la compétitivité d’entreprises rencontrant déjà des difficultés. Nous basculons dans un débat portant sur l’augmentation de la fiscalité en vue de boucher çà et là des trous budgétaires creusés par l’actuel gouvernement.
C’est inacceptable ! Mes chers collègues, pour ma part, je ne voterai pas ce texte. S’il était finalement adopté, j’y verrais une forme de forfaiture au regard d’engagements déjà pris et de notre compétitivité économique. On est en train de se tromper de débat, de le dévier ! Monsieur le secrétaire d’État, je suis désolé de vous le dire, mais ce n’est pas tellement à votre honneur !
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Je suis rassuré : il y a encore une droite dans ce pays,…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. C’est certain !
M. Fabien Gay. … une droite plus à droite que la droite gouvernementale ! Pascal Savoldelli l’a rappelé, nous avons des visions de la société opposées !
Ce débat est en train de tourner au « gloubi-boulga ». Au départ, M. Allizard l’a rappelé, il s’agissait de créer une taxe sur les services numériques, appelée « taxe Gafam », certaines grandes entreprises du numérique échappant à l’impôt grâce à des schémas d’optimisation fiscale, voire d’évasion fiscale.
Après le vote de tout un tas d’exonérations et d’exceptions, nous en arrivons, à propos de l’article 2, à un tout autre débat, portant sur l’impôt sur les sociétés, où l’on mélange les Gafam, les TPE, les PME… Vous nous dites que le taux de taxation actuel est insupportable et qu’il faut le ramener à terme à 25 %. Ce n’est pas du tout le sujet !
Je rappelle que les difficultés des entreprises vont bien au-delà de l’aspect fiscal : elles tiennent notamment à l’accès au crédit bancaire, à la question des formations… Vous faites dériver le débat ! Si on supprime l’article 2, ce texte ne comportera plus aucune avancée ! À l’article 1er, alors qu’il s’agissait de récupérer entre 350 et 500 millions d’euros sur les Gafam, qui, je rappelle, pratiquent l’optimisation, voire l’évasion fiscale, vous aviez déjà adopté quantité d’exceptions. Maintenant, vous videz l’article 2 de son contenu. Chapeau bas, les artistes !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Merci, nous sommes très honorés !
M. le président. Mes chers collègues, nous nous étions mis d’accord pour achever ce débat à une heure raisonnable, mais, si vous le préférez, nous pouvons reporter la suite de la discussion à demain… (Exclamations.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Non, on continue !
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Trop souvent, le Gouvernement n’écoute pas notre institution, ou il ne l’entend pas.
Concernant l’impôt sur les sociétés, il s’agit d’un vaste débat qui transcende les frontières du pays. Il faut faire preuve de bon sens et ne pas pénaliser les entreprises, qui souffrent déjà beaucoup.
M. Jean-François Husson. Eh oui !
M. Marc Laménie. C’est la raison pour laquelle je me rallierai à la position de la commission. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 3 rectifié ter.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe La République En Marche.
Je rappelle que la commission s’en remet à la sagesse du Sénat et que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 120 :
Nombre de votants | 322 |
Nombre de suffrages exprimés | 320 |
Pour l’adoption | 157 |
Contre | 163 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 32, présenté par MM. Savoldelli, Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Rédiger ainsi cet alinéa :
I. - Le deuxième alinéa du I de l’article 219 du code général des impôts est ainsi rédigé :
« Le taux normal de l’impôt est fixé à 33,1/3 %. »
Cet amendement a déjà été défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Avis défavorable !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 2.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe La République En Marche.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 121 :
Nombre de votants | 323 |
Nombre de suffrages exprimés | 322 |
Pour l’adoption | 163 |
Contre | 159 |
Le Sénat a adopté.
Article additionnel après l’article 2
M. le président. L’amendement n° 18, présenté par MM. Lurel et Carcenac, Mme Taillé-Polian, MM. Kanner, Raynal, Éblé et Botrel, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas, P. Joly et Lalande, Mme Artigalas, MM. Bérit-Débat et Jacquin, Mme G. Jourda, MM. Mazuir, Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Au premier alinéa du b du I de l’article 219 du code général des impôts, le montant : « 7 630 000 € » est remplacé par le montant : « 50 000 000 € » et le montant : « 38 120 € » est remplacé par le montant : « 100 000 € ».
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la majoration du taux mentionné au 1° du B du 1 de l’article 200 A du code général des impôts.
La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. L’amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 18.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 3
(Non modifié)
À compter de 2020, le Gouvernement remet au Parlement, avant le 30 septembre de chaque année, un rapport sur les résultats de la taxe prévue à l’article 299 du code général des impôts et sur son impact économique. Ce rapport précise également la répartition du produit de la taxe en fonction, d’une part, des catégories de services mentionnées au II du même article 299 et, d’autre part, de l’origine géographique des groupes redevables.
Il peut faire l’objet d’un débat dans les conditions prévues par les règlements des assemblées parlementaires.
M. le président. L’amendement n° 9 rectifié ter, présenté par Mme Lepage, M. Duran, Mme G. Jourda, M. P. Joly, Mmes Guillemot et Conway-Mouret, M. Antiste, Mme Blondin et MM. Manable, Jacquin et Daudigny, est ainsi libellé :
Alinéa 1, après la première phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Il indique le nombre d’entreprises redevables de la taxe sur les services numériques, le montant moyen des sommes encaissées par ces entreprises en contrepartie des services taxables, ainsi que le rendement de ladite taxe.
La parole est à M. Patrice Joly.
M. Patrice Joly. L’amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 67, présenté par M. de Montgolfier, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Prévoir dans la loi la possibilité d’un débat est contraire à notre règlement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 3, modifié.
(L’article 3 est adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Thierry Carcenac, pour explication de vote.
M. Thierry Carcenac. Nous avons eu un débat très intéressant sur la taxation des services numériques. Nous aurions souhaité aller un peu plus loin, néanmoins le principe est bon et nous pourrons soutenir le Gouvernement dans ses démarches au niveau européen. Dès lors que l’article 2 a été adopté, nous voterons le texte.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Lors de la discussion générale, j’avais annoncé notre intention de nous abstenir. L’adoption de l’article 2 nous amène à rester sur cette position, alors que le débat nous avait conduits à envisager de voter contre.
Vous le savez, au sein du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, nous sommes sincèrement attachés à la lutte contre l’évasion fiscale ! Nous ne transigeons pas avec nos convictions.
Le début du propos de M. Le Maire et l’amendement présenté par M. Delahaye étaient propres à nous inquiéter : il s’agissait de promouvoir une politique de l’offre plutôt que la création d’une taxe sur les services numériques, on nous vantait les choix « courageux » du Gouvernement en matière de cadeaux fiscaux, avec la transformation du CICE en allégement pérenne de charges… Je le dis sans arrogance ni prétention, mais j’y vois un peu d’amateurisme, sachant que l’idée de mettre en place une taxe sur les services numériques pour s’adapter à la mobilité des flux financiers dans ce secteur d’activité a rassemblé le Sénat à trois reprises ces dernières années.
Nos collègues du groupe Les Républicains ont obtenu un encadrement. On commence par dire, la main sur le cœur, qu’il faut taxer les Gafa, combattre l’évasion fiscale, puis on défend un amendement destiné à amoindrir la portée du dispositif…
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, pour explication de vote.
M. Michel Canevet. Le groupe de l’Union Centriste, dans sa majorité, votera ce texte. Cela ne signifie nullement que nous soyons favorables à la création de taxes supplémentaires, bien au contraire, mais nous souhaitons depuis longtemps la mise en place de dispositions fiscales particulières concernant les acteurs du numérique. Il nous semble important d’avancer sur le sujet et nous souhaitons que ce texte soit l’occasion de faire progresser l’idée de taxer les services numériques à une échelle beaucoup plus large que celle du territoire national, au minimum à celle de l’OCDE.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble du projet de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe du RDSE.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 122 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 185 |
Pour l’adoption | 181 |
Contre | 4 |
Le Sénat a adopté.
8
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 22 mai 2019, à quatorze heures trente et le soir :
Désignation des vingt et un membres de la mission d’information sur la sous-utilisation chronique des fonds européens en France.
Deux conventions internationales examinées selon la procédure d’examen simplifié :
Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord-cadre relatif à la coopération en matière de sécurité sanitaire entre le Gouvernement de la République française et la Principauté de Monaco et de l’accord relatif à la coopération en matière de transfusion sanguine entre le Gouvernement de la République française et la Principauté de Monaco (texte de la commission n° 504, 2018-2019) ;
Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d’Arménie relatif à l’emploi des membres de la famille des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre (texte de la commission n° 506, 2018-2019).
Conclusions des commissions mixtes paritaires sur le projet de loi organique portant modification du statut d’autonomie de la Polynésie française (texte de la commission n° 485, 2018-2019) et sur le projet de loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française (texte de la commission n° 484, 2018-2019)
Projet de loi relatif à la modernisation de la distribution de la presse (procédure accélérée ; texte de la commission n° 502, 2018-2019).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 22 mai 2019, à une heure cinq.)
Direction des comptes rendus
ÉTIENNE BOULENGER