M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le rapporteur vient d’exprimer avec beaucoup d’éloquence ce que je tenais à vous dire. Aussi, mon intervention sera assez brève.
Tout d’abord, je reconnais bien volontiers – j’entame la démarche que j’annonçais précédemment – que les modifications faites par le Sénat apportent une amélioration au texte. En effet, l’ajout de la notion d’« autorité » est très important, et j’y souscris pleinement.
Le terme d’« exemplarité » a pu faire naître des malentendus. Aussi, profitons de ce débat parlementaire, de ce moment républicain, pour les dissiper.
Puisque nos débats sont suivis, j’aimerais lire le dispositif de l’article 1er devant tout le monde. La première phrase du second alinéa dispose que « l’engagement et l’exemplarité des personnels de l’éducation nationale confortent leur autorité dans la classe et l’établissement et contribuent au lien de confiance qui unit les élèves et leur famille au service public de l’éducation. »
Puis, vient la seconde phrase, que personne ne commente jamais et qui est pourtant la phrase la plus importante du dispositif : « Ce lien implique le respect des élèves et de leur famille à l’égard des professeurs, de l’ensemble des personnels et de l’institution scolaire. »
Le fait que tout le monde commente la première phrase en lui attribuant un autre sens que celui que nous lui donnons et que tout le monde oublie la seconde phrase, qui est le cœur de l’article, est très significatif. Le rapporteur l’a dit avec éloquence : l’axe principal de cet article est justement d’apporter une réponse positive au mouvement « PasDeVague ».
Je suis un ministre qui, dès sa nomination et avant même cette campagne sur internet, a dit qu’il ne serait jamais favorable à la philosophie du « PasDeVague » et qui a demandé à l’institution scolaire d’être transparente sur les violences existantes, de les faire remonter et de ne pas empêcher la tenue de conseils de discipline afin d’éviter de mauvaises statistiques.
Je n’ai pas dit cela pendant ou après la campagne « PasDeVague » ; je l’ai dit avant, précisément parce que je respecte les professeurs.
Comme le rapporteur, celui qui vous parle est lui-même professeur. Il est également fils de professeur. Il est donc insoupçonnable de manquer de respect aux enseignants. Cela m’attriste d’être soupçonné du contraire, alors que l’article 1er témoigne d’un profond respect envers les professeurs.
La société doit bien entendu respecter ses enseignants. La question de la dignité des professeurs et de leur juste place dans la société est évidemment au cœur du sujet. Pour atteindre nos objectifs, il faudra évidemment d’autres dispositions que ce seul article. J’en suis le premier d’accord.
Ainsi, quand Mme Lienemann déclare que nous devrions prêter davantage d’attention aux rémunérations des enseignants, je suis là aussi le premier d’accord et le premier à dire que nous allons engager des actions en ce sens. D’ailleurs, je ne suis pas le seul, puisque le Président de la République l’a lui-même annoncé lors de sa conférence de presse. Nous sommes donc engagés dans ce combat pour le respect de la dignité des professeurs.
L’article 1er traite de cet enjeu. Que cet article soit source de malentendus et que l’on fasse semblant d’y voir autre chose que ce qu’il y est écrit montre évidemment les difficultés que j’évoque depuis le début.
Je demande à tous que l’on n’entretienne pas ces malentendus. L’intention du législateur compte lorsqu’il est question d’interpréter la loi. Ce que nous sommes en train de nous dire compte, tout comme ce que je suis en train de vous affirmer. Ce qui compte, c’est ce que je vous dis à propos de l’article 1er, à savoir qu’il ne vise absolument pas à renforcer le devoir de réserve des professeurs.
D’ailleurs, les rappels à l’ordre que certains enseignants se sont vu infliger, et dont on me fait le reproche, ont été faits dans le cadre de la législation actuelle, et certainement pas dans le cadre de la législation à venir. De telles sanctions s’inscrivent dans la continuité de ce que tous mes prédécesseurs ont fait lorsque des règles de base ont été violées, comme, par exemple, utiliser sa messagerie professionnelle pour enfreindre le principe de neutralité auquel chacun est soumis.
Je le dis très clairement : cet article entend renforcer le respect dû aux professeurs. Et si, à l’avenir, il devait entraîner des difficultés d’interprétation juridique, on pourra s’appuyer sur mes propos : c’est bien la seconde phrase du second alinéa de l’article qui importe.
La première phrase expose en quelque sorte cette réalité naturelle que le rapporteur et certains d’entre vous ont rappelée, à savoir qu’il existe une exemplarité consubstantielle à la mission exercée par les professeurs. Le jour où je suis devenu professeur, j’ai effectivement senti que l’exemplarité de l’enseignant était un élément de sa dignité et qu’il ne s’agissait certainement pas d’un problème.
Au contraire, l’exemplarité nous dignifie, comme c’est le cas pour tout agent qui entre dans la fonction publique. Il y a quelque chose qui nous dépasse lorsque l’on devient fonctionnaire : le fait de servir la République. Et ce service est, par définition, synonyme d’exemplarité.
La seconde phrase, quant à elle, réaffirme le respect dû aux professeurs dans une société où l’on constate effectivement chaque jour des phénomènes comme ceux qui ont été pointés par les enseignants mobilisés dans le cadre du mouvement « PasDeVague », c’est-à-dire des insultes, des agressions verbales et parfois physiques de la part d’élèves ou de parents d’élèves.
Oui, cet article accentue la protection que nous devons aux professeurs. C’est le sens de ce que nous proposons et l’intention visée par cette loi. Je suis très heureux de pouvoir clarifier devant vous ce point, dont j’espère qu’il pourra faire l’objet d’une conviction partagée. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon, pour explication de vote.
M. Laurent Lafon. L’article 1er nous pousse à nous livrer à un exercice de style, en nous éloignant de la version adoptée par l’Assemblée nationale pour nous plonger dans celle de la commission de la culture du Sénat.
Très franchement, j’avais lu et relu l’article 1er, tel que nos collègues députés l’avaient rédigé, pour essayer de comprendre le sens des dispositions que l’on cherchait à inscrire dans la loi. Le dispositif était confus et situait différentes valeurs et différents acteurs au même niveau. Il méritait vraiment d’être réécrit.
À mon sens, et j’invite mes collègues à en prendre connaissance, le travail de la commission va dans le bon sens, dans la mesure où l’article affirme clairement le nécessaire respect de l’élève et de la famille à l’égard des enseignants, mais aussi de l’institution scolaire.
Ce principe n’avait pas été posé avec autant de précision et de clarté depuis de nombreuses années. Il correspond à une idée à laquelle nous avons tous aspiré à de nombreuses reprises, dans le cadre de nos fonctions au Sénat ou des fonctions que nous exerçons dans les collectivités, notamment lorsque nous avons été confrontés à des faits d’actualité qui ont, j’en suis sûr, profondément choqué les convictions de la plupart d’entre nous.
C’est pourquoi, malgré les réticences que je pouvais avoir il y a quelques semaines à propos de cet article, je suis convaincu par la nouvelle rédaction proposée.
Je voterai cet article, tel que la commission l’a modifié.
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour explication de vote.
M. Alain Marc. Je suis moi aussi favorable au texte tel que la commission l’a revu.
Si je puis comprendre que l’on critique un texte sans aucune portée normative, si l’on se place sur le strict plan juridique, les arguments exprimés du côté gauche de l’hémicycle ressemblent à de vieilles antiennes. Je ne veux pas que l’on puisse penser que le respect n’est pas nécessaire aujourd’hui à l’acte éducatif.
À l’époque où j’étais député, nous avions analysé les raisons pour lesquelles certains départements avaient de meilleurs résultats que d’autres dans le cadre des évaluations réalisées dans le primaire. Mon département était classé troisième sur cent un.
Nous nous étions rendu compte que le respect de l’élève pour le maître, celui du maître pour l’élève et celui des parents d’élèves pour le maître étaient plus répandus dans les départements les mieux classés. Pourquoi ? Tout simplement, parce que le maître était lui aussi souvent exemplaire.
Le rappeler n’a certes pas de portée normative, mais est essentiel pour la réussite des élèves. Il est extrêmement important de faire figurer ce principe dans la loi : je suis d’accord avec vous, monsieur le ministre. (M. Pierre Louault applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Grand. La beauté du Parlement, ce sont ses débats : on part avec une idée, on écoute ce qui se dit – c’est la beauté de la démocratie que de s’écouter, même si, malheureusement, on se s’écoute pas assez –, puis on prend sa décision.
Sur ces travées, nous avons tous délivré un très beau message en parlant de « respect ». Dieu sait que l’on entend ce mot partout aujourd’hui : respect pour la police, pour les élus, pour les citoyens et pour nos enseignants.
Monsieur le rapporteur, vous m’avez pleinement convaincu. Monsieur le ministre, vous avez parfaitement complété les propos du rapporteur.
Je retire donc mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 2 est retiré.
La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Monsieur le ministre, il est important que vous vous soyez prononcé sur cet article, parce que cela permet de clarifier certains points.
Votre intervention ne m’a pas du tout convaincu de l’utilité de cet article. Cependant, peut-être sous l’effet de la pression que nous avons exercée, ce qui est d’ailleurs notre rôle, vous avez déclaré que vous respectiez les professeurs et que votre volonté n’était pas de les sanctionner. Vous avez envoyé un message qui diffère de ce que l’on ressentait ici ou là, dans le climat actuel qui est celui de l’éducation nationale, et de ce que l’on entendait dans les rectorats.
Nous vous avons poussé à vous exprimer, et les professeurs ne peuvent que s’en satisfaire. Toutefois, cela n’explique pas pourquoi une disposition sans portée normative figure à l’article 1er d’un texte de loi.
Vous parlez souvent de pragmatisme. Or on confond ici deux choses : le respect dû à l’institution et son exemplarité.
Je suis très heureux d’entendre autant de paroles fortes sur l’école de la République depuis la droite de cet hémicycle. Jusqu’à présent, en effet, que l’on le veuille ou non, et même s’il n’y a bien entendu pas une école de gauche et une école de droite, il suffit de considérer l’histoire des combats pour l’école gratuite et laïque pour se rendre compte que mon camp politique a beaucoup manifesté, alors que d’autres ont au contraire usé leurs semelles pour l’école privée ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.) Est-ce que c’est vrai ou pas ?
M. Philippe Dallier. Et alors ?
M. David Assouline. Je suis très heureux de voir que le respect que l’on doit à l’institution qu’est l’école publique fait désormais l’unanimité dans cet hémicycle.
Ce n’est pas rendre service à cette loi que de la rendre bavarde dès l’article 1er, d’autant que les enseignants se sont sentis mis en cause par cet article. Même s’il y a un malentendu, il faut le prendre en considération. L’exemplarité fait partie des règles s’appliquant à la fonction publique.
On débattra ultérieurement de la question de l’autorité des enseignants, mais, franchement, ce n’est pas en introduisant une disposition comme celle-là que cette autorité sera rétablie. On ne rencontre pas les mêmes problèmes sociaux, les mêmes problèmes en matière d’autorité dans tous les départements. Un professeur qui a devant lui une certaine population, dont les parents n’ont pas les moyens…
M. le président. Il faut conclure !
M. David Assouline. Nous poursuivrons plus tard ce débat sur l’autorité des enseignants. En tout cas, je ne pense pas que la restauration de cette dernière passe par une proclamation de principe à l’article 1er de ce projet de loi.
M. le président. La parole est à Mme Samia Ghali, pour explication de vote.
Mme Samia Ghali. Monsieur le ministre, vous avez dit vous-même que vous n’aviez pas été compris et qu’il pouvait y avoir une confusion entre les deux phrases que comporte l’article. Dans un premier temps, peut-être faudrait-il les inverser ?
J’ai vu des parents d’élèves soutenir des enseignants pour la première fois, peut-être parce qu’ils avaient mieux compris que les autres que la mise en cause de l’autorité des professeurs avait pour effet de leur ôter une part du respect qui leur est dû.
On donne le sentiment que les enseignants devraient être exemplaires, alors qu’ils le sont déjà au quotidien pour une grande majorité d’entre eux. Ils exercent en effet leur métier avec beaucoup de militantisme, au sens noble de ce terme, s’impliquant au-delà même de ce que l’on demande. Sans cela, je puis vous assurer que, dans certains quartiers, il n’y aurait même plus d’école !
Il ne faut pas donner aux enseignants le sentiment qu’on les pointe du doigt au moment où certains, qui exercent d’autres professions ou qui travaillent dans d’autres fonctions publiques auraient besoin d’un tel article. En tout cas, les enseignants n’en ont pas besoin, eux.
Cet article est une façon de les montrer du doigt, de les mettre en difficulté. Souvent, et je suis bien placée en tant qu’élue de Marseille pour le savoir, ce sont les professeurs qui rapportent les problèmes liés à des collectivités qui ne jouent pas leur rôle sur le plan scolaire. Ce sont souvent les enseignants qui accompagnent les parents, qui les aident dans leur combat contre ces collectivités ou contre les politiques à l’encontre de leurs propres enfants. Je crois que, d’une certaine manière, les enseignants protègent ces enfants.
Lorsque l’on évoque l’exemplarité du personnel de l’éducation nationale, il faut veiller à ne pas restreindre son action et faire en sorte qu’il puisse continuer à aller au-delà de son rôle, qui est d’accompagner et surtout de protéger les enfants. Dans cette discussion, on a peut-être un peu vite oublié la question de la protection de l’enfance.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Nous avons engagé un débat sur la rationalité de notre discours et sur la légistique ; je crois qu’il faut y revenir.
Je rejoins notre collègue Laurent Lafon : ce qui est sorti des travaux de l’Assemblée nationale était parfaitement illisible et totalement incompréhensible. Pour autant, je trouve que la modification apportée est tautologique. Si l’on examine le contenu de cet article – la première phrase, monsieur le ministre, pas la seconde –, de quel engagement et de quelle exemplarité est-il question ? De ceux du personnel de l’éducation nationale en faveur du service public de l’éducation nationale !
Sommes-nous obligés de passer deux heures à discuter d’une phrase complètement tautologique ? J’en doute.
Par ailleurs, monsieur le rapporteur, au cours des travaux de commission, vous avez rejeté – peut-être à raison – certains de nos amendements, considérant qu’ils relevaient du domaine réglementaire. Mais vous avez emporté la décision, par votre autorité, pour faire examiner l’amendement proposant cette rédaction, sur lequel on pouvait avoir le même raisonnement.
Soyons fidèles à la tradition du Sénat, mes chers collègues, celle qui consiste à rédiger une bonne loi, qui ne soit pas bavarde. Suivons la proposition de notre collègue Philippe Dallier ; évitons d’encombrer ce texte d’un certain nombre de dispositions réglementaires, fussent-elles, comme c’est le cas ici, du domaine du déclaratif et du symbolique.
Il faut donc en rester à ce que nous avons défini en commission et rejeter, pour des raisons légistiques, l’article qui nous est proposé ici.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre Monier. Pour ma part, je me pose une question : que signifie « exemplarité » ? J’ai l’impression qu’il faudrait fixer un cadre. Lequel ? Un enseignant, en public, ne doit-il pas fumer ? Ne doit-il pas boire ? Doit-on considérer que ce n’est pas bien s’il montre aux élèves qu’il vit avec une personne du même sexe ? Lui interdit-on aussi de faire part de ses opinions politiques ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. André Reichardt. Évidemment !
M. François Bonhomme. Certains ne s’en privent pas !
Mme Marie-Pierre Monier. Bien sûr pas en classe, mes chers collègues, mais qu’en est-il à l’extérieur ? D’ailleurs, la question est aussi là : où doit s’exprimer cette exemplarité ?
Nous sommes tous d’accord pour considérer que les enseignants font preuve d’exemplarité en classe. Comme le rapporteur l’a souligné, c’est inhérent à la fonction d’enseignant. Cela n’a donc pas à figurer dans la loi.
De plus, je le répète, cette phrase apparaît en début de texte. Ce sont les enseignants et les personnels de l’éducation nationale que l’on montre du doigt. Certains, je vous le signale, sont actuellement devant le Sénat, en train de manifester, parce qu’ils sont attachés à leur métier et qu’ils sont inquiets, notamment par cet article.
Il est dit que le cœur de l’article se trouve dans la deuxième phrase. Virons donc les termes « engagement » et « exemplarité » !
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.
Mme Sophie Taillé-Polian. J’ai compté, mes chers collègues : depuis le début de cette mandature, nous en sommes à trois textes – un par an – qui évoquent la confiance.
Il y a eu, en 2017, la loi pour la confiance dans la vie politique, dont nous pouvons peut-être douter des résultats : le niveau de confiance dans la vie politique, je crois, n’a pas beaucoup augmenté !
Il y a eu, en 2018, la loi pour un État au service d’une société de confiance, sur laquelle, de la même manière, on peut s’interroger.
Et voilà – c’est la cuvée 2019 ! – le projet de loi pour une école de la confiance.
Je pense, mes chers collègues, que la confiance est un peu comme l’amour : pour paraphraser Pierre Desproges, il y a ceux qui en parlent et ceux qui la « font », qui en donnent les preuves ! (Sourires.)
Pour qu’il y ait confiance, il faut créer les conditions de l’exercice de cette dernière. Ce sont des pas mutuels que l’on fait les uns vers les autres. À cet égard, un premier pas pourrait être de retirer cet article, dont la portée, comme cela a été dit, est très limitée – à moins que l’on ne définisse plus tard ce que serait cette exemplarité.
En effet, monsieur le ministre, d’après ce qu’on lit dans les écrits de nombreux enseignants, il semble tout de même que les pratiques hiérarchiques au sein du ministère provoquent souvent une impression d’autoritarisme. Celles et ceux qui, parmi nous, ont été interpellés par les enseignants et les parents d’élèves – nous sommes nombreux –, ont plutôt le sentiment de voir émerger, au sein des personnels, la crainte d’exprimer leurs idées sur la façon dont leur travail peut s’exercer.
Vu la faiblesse de sa portée normative – tout le monde s’est accordé sur ce point –, soutenez les amendements de suppression de cet article, monsieur le ministre. Vous ferez certainement un pas vers le rétablissement de la confiance ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.
M. Rachid Temal. Dans le droit fil des interventions de mes collègues, je formulerai plusieurs remarques.
Tout d’abord, je veux le rappeler, ce que l’on tente d’inscrire dans ce texte est déjà prévu par la loi. La question est donc la suivante : quelles raisons y a-t-il à modifier la loi pour introduire un élément qui existe déjà ? C’est un premier point démontrant que cet article n’est pas une nécessité, sauf à ce que l’on fixe certaines obligations impérieuses, motivées par certaines raisons précises. Vous n’avez rien dit de tel, monsieur le ministre.
Ensuite, on évoque une « incompréhension », qui justifierait de clarifier certains éléments. On peut peut-être se dire aussi que, à partir du moment où la question des obligations des fonctionnaires est déjà traitée et où il y a des risques d’incompréhension, le retrait de cet article est bienvenu.
Cela s’impose d’autant plus que, si je comprends bien la première phrase proposée à l’article 1er, l’autorité des personnels serait confortée par leur engagement et leur exemplarité. C’est assez surprenant ! Moi, j’étais persuadé que les personnels étaient respectés parce qu’ils étaient professeurs, enseignants, fonctionnaires.
En d’autres termes, on renvoie l’exemplarité à l’individu seul, que la classe existe ou pas, qu’elle se passe bien ou non. Cela pose problème, me semble-t-il. Les enseignants attendent du soutien de votre part, monsieur le ministre, et non pas une remise en cause ou la mise en avant d’éventuels dysfonctionnements.
La sagesse voudrait que l’on retire cet article, ou qu’on le réécrive en commençant par saluer le travail au quotidien des enseignants et de la communauté éducative.
M. François Patriat. C’est fait !
M. Rachid Temal. Non, monsieur Patriat, ce n’est pas ce qui est écrit dans le texte.
C’est donc un article qu’il faut supprimer, ou peut-être réécrire. Dans sa forme actuelle, il introduit effectivement un doute sur le travail de fonctionnaires qui, dans leur pratique quotidienne – je le dis très honnêtement, en tant qu’élu de banlieue parisienne –, sont essentiels à la République et au lien dans les territoires. Le risque de les fragiliser par une remise en cause, car c’est ainsi qu’ils entendent cette phrase, doit vous convaincre d’accepter la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à M. Christian Manable, pour explication de vote.
M. Christian Manable. Je ferai une très courte intervention, car je partage les avis exprimés, depuis de nombreuses minutes maintenant, sur la plupart des travées de cet hémicycle.
Monsieur le ministre, je vous le dis très sincèrement, avec tout le respect que je vous dois, mais fort de mes trente-cinq années d’enseignement, le terme d’« exemplarité », outre qu’il n’est pas normatif, m’a choqué. Il a tendance à stigmatiser le corps enseignant, et, pour être complet, je l’ai ressenti comme un terme à connotation morale, évoquant une période que nous ne voulons pas connaître.
Ce terme est en outre superfétatoire, parce que les enseignants, par définition, de par leur engagement auprès de l’école de la République et des enfants à qui ils enseignent, sont exemplaires. Et c’est sans compter, j’en terminerai là, que certains représentants de professions en lien avec les enfants – je parlerais même de « vocations », et tout le monde saisira quelle connotation ce terme peut avoir – ont parfois un comportement moins exemplaire que celui des enseignants !
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. La réponse de notre rapporteur ayant été quelque peu vive, je voudrais préciser un point : ce n’est pas parce que j’ai déposé un des amendements de suppression de l’article 1er, pour les raisons précédemment expliquées, que je ne considère pas que les enseignants ont un devoir d’exemplarité ou que les enfants et leurs parents doivent le respect au maître. Absolument pas !
Toutefois, nos discussions ont suffisamment démontré que, même réécrit par la commission, le texte de cet article suscite des interrogations.
Je le redis donc : à quoi bon ? Pour la sérénité des débats et pour ceux qui nous écoutent à l’extérieur, il vaudrait mieux supprimer cet article, qui, encore une fois, est seulement une formule déclamatoire, n’emportant aucune sorte de conséquences, et qui, donc, ne sert absolument à rien ! (Bravo ! sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Ce débat est extrêmement riche, quelque peu répétitif, mais, après tout, je vais citer un auteur célèbre en matière de répétition.
Monsieur le ministre, je lis ce texte : « L’engagement et l’exemplarité des personnels de l’éducation nationale confortent leur autorité dans la classe et l’établissement et contribuent au lien de confiance qui unit les élèves et leur famille au service public de l’éducation. » Si l’un de nos élèves avait écrit une telle phrase, nous aurions envie de marquer dans la marge : « Pesant », « ampoulé », « qu’est-ce que cela apporte ? »
M. Philippe Dallier. Rien !
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, permettez-moi de me référer à un livre, écrit par un homme qui aimait profondément l’école publique. Ce livre, paru en 1913, s’intitule L’Argent.
Je souhaiterais en lire un extrait, que l’on pourrait mettre en rapport avec la prose citée précédemment : « Nos jeunes maîtres étaient beaux comme des hussards noirs. Sveltes ; sévères ; sanglés. Sérieux, et un peu tremblants de leur précoce, de leur soudaine omnipotence. […] Ces hussards noirs étaient des enfants de la République. […] Ces instituteurs étaient sortis du peuple. […] Ils restaient le même peuple. »
Ne croyez-vous pas, monsieur le ministre, que tout avait déjà été dit en 1913 et que cela rend peut-être inutiles les phrases contournées, dont nous parlons depuis déjà quelques heures ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Les débats étant censés éclairer la loi, ils sont importants. Cette discussion, notamment, aura été tout à fait intéressante, car elle aura montré que les enseignants sont la clé de voûte de la maison éducation nationale et qu’ils ont à y jouer un rôle extrêmement particulier.
J’ai moi-même enseigné pendant vingt ans. Nous sommes nombreux dans ce cas sur les travées et, chacun, nous allons probablement réagir avec notre propre sensibilité et notre vécu.
Ce que je voulais dire pour ma part, avec beaucoup de simplicité, c’est que je ne suis absolument pas gênée de voir l’exemplarité des enseignants inscrite dans la loi, dès lors que, avec la réécriture proposée par notre collègue rapporteur, c’est pour mieux asseoir le respect dû à ces adultes qui, pour les enfants, sont des modèles, des référents, des repères.
Selon la première définition donnée par le dictionnaire Larousse, « exemplaire » signifie « qui peut servir d’exemple ». Nous sommes des guides ; nous sommes des maîtres dans notre classe. Depuis les classes du plus jeune âge jusqu’à celles de l’enseignement supérieur, l’enseignant a un rôle fondamental, car c’est vers lui que le jeune, indépendamment de son âge, se tourne.
C’est donc plutôt une marque de confiance que nous inscririons, confiance dans le rôle majeur de l’enseignant au cœur de sa classe. Oui, il est un exemple et, à cet égard, on lui doit le respect !
Dans le cadre du phénomène « PasDeVague », que nous avons étudié avec beaucoup de sérieux, nous avons auditionné plusieurs enseignants, et c’est cette carence dans le respect qui leur était dû, en tant que référents de la République, qu’ils ont dénoncée.
J’aborde donc ce texte de manière positive. On peut considérer cet article 1er comme un article purement déclaratif, et aucunement normatif. Mais il faut parfois affirmer un principe fort.
Je reviendrai juste à la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, ou LCAP. Nous avons tous défendu le fait d’inscrire, dans son premier article, l’affirmation selon laquelle « la création artistique est libre ». Cette phrase n’a rien de normatif non plus ; pourtant, au terme d’un beau débat, nous sommes convenus de l’intégrer dans la loi.
Mes chers collègues, je voulais donc simplement apporter ma petite pierre à l’édifice, sans prétention aucune de détenir la Vérité, avec un grand V. Voilà simplement mon point de vue sur le sujet.