Sommaire
Présidence de M. Vincent Delahaye
Secrétaires :
Mmes Jacky Deromedi, Annie Guillemot.
2. Communication d’un avis sur un projet de nomination
3. Droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé. – Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé
M. Michel Amiel, rapporteur de la commission des affaires sociales
Clôture de la discussion générale.
Demande de vote par priorité des amendements nos 1 rectifié ter, 2 rectifié ter et 3 rectifié ter. – M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales ; Mme Agnès Buzyn, ministre. – La priorité est ordonnée.
M. Patrick Kanner ; M. le président. ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; M. le président.
5. Droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Adoption de l’article.
Amendement n° 7 de M. Philippe Mouiller. – Retrait.
Amendement n° 23 du Gouvernement. – Adoption de l’amendement rédigeant l’article.
Amendement n° 6 rectifié de M. Vincent Segouin. – Devenu sans objet.
Amendement n° 4 rectifié bis de M. Philippe Dallier. – Retrait.
Adoption, par scrutin public n° 87, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
6. Clarification de diverses dispositions du droit électoral. – Discussion d’une proposition de loi et d’une proposition de loi organique
Discussion générale commune :
M. Alain Richard, auteur de la proposition de loi et de la proposition de loi organique
M. Arnaud de Belenet, rapporteur de la commission des lois
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur
M. Christophe Castaner, ministre
Clôture de la discussion générale commune.
proposition de loi visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral
Articles additionnels avant l’article 1er
Amendements nos 8, 9 et 12 de M. Jean Louis Masson. – Non soutenus.
Amendements nos 11 et 10 de M. Jean Louis Masson. – Non soutenus.
Amendement n° 49 de M. Pierre-Yves Collombat. – Rejet.
Amendements nos 13 et 14 de M. Jean Louis Masson. – Non soutenus.
Amendement n° 44 rectifié ter de M. Roger Karoutchi. – Retrait.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l’article 1er
Amendement n° 29 rectifié de M. Jean-Pierre Grand. – Retrait.
Amendement n° 17 de M. Jean Louis Masson. – Non soutenu.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l’article 1er bis
Amendement n° 18 de M. Jean Louis Masson. – Non soutenu.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l’article 1er ter
Amendement n° 54 rectifié de Mme Josiane Costes. – Rejet.
Amendement n° 1 rectifié de M. Éric Kerrouche. – Rejet par scrutin public n° 88.
Amendement n° 45 rectifié ter de M. Roger Karoutchi. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 19 de M. Jean Louis Masson. – Non soutenu.
Amendement n° 46 rectifié ter de M. Roger Karoutchi. – Retrait.
Adoption de l’article.
Articles additionnels après l’article 3
Amendement n° 51 rectifié de M. Jean-Pierre Corbisez. – Rejet.
Amendement n° 52 rectifié de M. Jean-Pierre Corbisez. – Rejet.
Amendement n° 55 de la commission. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Articles additionnels après l’article 4
Amendement n° 37 rectifié ter de Mme Brigitte Lherbier. – Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion.
Suspension et reprise de la séance
7. Mise au point au sujet d’un vote
8. Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
9. Affectation des avoirs issus de la corruption transnationale. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi
M. Antoine Lefèvre, rapporteur de la commission des finances
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 9 rectifié de M. Pascal Savoldelli. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Articles additionnels après l’article 2
Amendement n° 1 rectifié quater de Mme Nathalie Goulet. – Rejet.
Amendement n° 2 rectifié quater de Mme Nathalie Goulet. – Rejet.
Amendement n° 3 rectifié quater de Mme Nathalie Goulet. – Rejet.
Amendement n° 7 rectifié quater de Mme Nathalie Goulet. – Rejet.
Amendement n° 4 rectifié ter de Mme Nathalie Goulet. – Rejet.
Amendement n° 5 rectifié quater de Mme Nathalie Goulet. – Rejet.
Amendement n° 6 rectifié quater de Mme Nathalie Goulet. – Rejet.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
10. Reconnaissance du crime d’écocide. – Rejet d’une proposition de loi
Discussion générale :
M. Jérôme Durain, auteur de la proposition de loi
Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
Articles additionnels avant l’article 1er
Amendement n° 3 rectifié de M. Joël Labbé. – Rejet par scrutin public n° 89.
Amendement n° 2 rectifié bis de M. Joël Labbé. – Rejet par scrutin public n° 90.
Amendement n° 7 rectifié bis de M. Joël Labbé. – Retrait.
Amendement n° 8 rectifié bis de Mme Josiane Costes. – Rejet par scrutin public n° 91.
Amendement n° 9 rectifié bis de Mme Josiane Costes. – Rejet par scrutin public n° 92.
Amendement n° 5 rectifié de M. Joël Labbé. – Rejet par scrutin public n° 93.
Amendement n° 1 rectifié de Mme Esther Benbassa. – Rejet par scrutin public n° 94.
Amendement n° 6 rectifié de M. Joël Labbé. – Retrait.
Amendement n° 4 rectifié bis de M. Joël Labbé. – Rejet par scrutin public n° 95.
Rejet, par scrutin public n° 96, de l’article.
Articles 2 et 3 – Devenus sans objet.
Tous les articles ayant été rejetés, la proposition de loi n’est pas adoptée.
11. Ordre du jour
Nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire
compte rendu intégral
Présidence de M. Vincent Delahaye
vice-président
Secrétaires :
Mme Jacky Deromedi,
Mme Annie Guillemot.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Communication d’un avis sur un projet de nomination
M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des affaires économiques a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable – huit voix pour, aucune voix contre, cinq bulletins blancs – à la reconduction de M. Jean-Bernard Lévy dans les fonctions de président-directeur général d’Électricité de France.
3
Droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé
Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe La République En Marche, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, relative au droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé (proposition n° 417, texte de la commission n° 441, rapport n° 440).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi examinée aujourd’hui répond à un objectif dont on ne peut douter de l’intérêt, puisqu’il s’agit de faciliter les démarches des administrés et d’agir pour leur pouvoir d’achat.
Cette possibilité est attendue par nos concitoyens, qui souhaitent obtenir davantage de souplesse et ainsi pouvoir résilier leur contrat de complémentaire santé sans frais et à tout moment au terme de la première année de souscription.
Il s’agit de mesures à la fois pragmatiques et concrètes, qui s’inscrivent dans la continuité de la faculté, offerte aux assurés par la loi relative à la consommation de 2014, de résilier leur contrat d’assurance automobile ou emprunteur à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la première souscription.
Je ne puis que regretter le sort réservé à ce texte en commission : les principales dispositions ont été supprimées, sur la base d’arguments dont j’aurai l’occasion de discuter du bien-fondé.
Avant d’aborder le contenu de cette proposition de loi, je reviendrai un instant sur le contexte dans lequel elle s’inscrit, car l’on ne peut faire abstraction du moment que nous vivons.
Au mois de décembre dernier, après avoir annoncé un premier ensemble de mesures destinées à soutenir le pouvoir d’achat des Français, dispositions approuvées par la Haute Assemblée, le Président de la République a réuni à l’Élysée les représentants des mutuelles, des assureurs et des instituts de prévoyance. Comme aux grandes entreprises et aux banques, il leur a demandé de prendre part à la mobilisation pour l’urgence économique et sociale. Les dépenses de complémentaires santé font en effet partie des dépenses dites « contraintes », celles auxquelles les ménages ne peuvent échapper.
Les organismes complémentaires ont répondu à cet appel et se sont engagés à prendre des mesures pour le pouvoir d’achat des assurés : la hausse des tarifs prévue en 2019 pour les contrats d’entrée de gamme devra être neutralisée, et les organismes complémentaires s’engageront dans un travail commun pour faire évoluer à la baisse les frais de gestion, qui représentent environ 20 % des cotisations collectées.
En outre, l’une des propositions qu’a évoquées le Président de la République et que traduit cette proposition de loi est de faciliter les conditions de résiliation, donc de laisser plus de liberté aux ménages et de réduire les tarifs des complémentaires en faisant davantage jouer la concurrence.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai entendu les critiques qui ont été émises en commission et qui ne manqueront pas de s’exprimer au cours de ce débat, lors de l’examen des amendements de rétablissement. Ainsi, comme j’ai pu le faire à l’Assemblée nationale, je saisis l’occasion qui m’est offerte de m’exprimer à la tribune pour éclairer le débat et répondre à certaines idées reçues qui circulent sur ce texte.
Tout d’abord, cette proposition de loi ne va pas augmenter le coût des primes. Au contraire, le renforcement de la concurrence qu’elle permettra va inciter les complémentaires à les diminuer, notamment en réduisant leurs frais de fonctionnement, afin d’attirer ou de garder des assurés. C’est la raison pour laquelle, selon un récent sondage mené par l’Institut français d’opinion publique, l’IFOP, les Français se prononcent très clairement pour cette mesure : au total, les avis favorables avoisinent les 94 %.
D’ailleurs, la mise en œuvre de mesures similaires dans d’autres secteurs de l’assurance ne s’est pas traduite par des hausses de primes, au contraire. Par exemple, la mise en œuvre de la résiliation annuelle des contrats d’assurance emprunteur depuis le 1er janvier 2018 a conduit certains organismes à diminuer leurs primes de 30 %.
Ensuite, cette mesure ne va pas favoriser les comportements opportunistes. En effet, elle ne permet de résilier un contrat d’assurance complémentaire santé qu’au terme d’un délai d’un an. Un assuré qui souhaiterait souscrire une complémentaire santé avant un acte médical programmé, puis s’en défaire après cet acte, ne pourrait donc pas mettre ses desseins à exécution.
De surcroît, cette mesure ne va pas déstabiliser le marché. Elle favorisera la mobilité des assurés qui souhaitent changer de complémentaire santé. Néanmoins, d’un point de vue global, elle ne modifiera pas drastiquement la situation actuelle, car une résiliation annuelle est déjà possible. Dès lors, chacun peut changer de contrat chaque année. J’ajoute que, au titre de la loi Hamon de 2014, l’on n’a pas identifié d’effet déstabilisateur.
Enfin, cette mesure ne va pas entraîner une démutualisation des risques au détriment des personnes âgées. Les garanties en termes de mutualisation seront inchangées, y compris en faveur des plus vulnérables : les mutuelles et les autres organismes proposant des contrats responsables, qui constituent la quasi-totalité des contrats, ne peuvent recueillir d’informations médicales auprès de leurs membres, ni fixer de cotisations en fonction de l’état de santé des assurés.
Le risque de démutualisation avait déjà été brandi lors de la discussion de la loi Hamon, notamment pour ce qui concerne l’assurance emprunteur. Or il ne s’est pas concrétisé : les tarifs ont fortement diminué à l’avantage de tous, y compris des personnes en risque aggravé de santé.
Ainsi, cette mesure sera favorable à tous les assurés, en particulier les personnes âgées, pour qui les conditions actuelles de résiliation, du fait de leur nature restrictive, sont très défavorables. Ce sont elles qui sont le plus soumises aux augmentations brusques de cotisations des contrats individuels ; et, pour les personnes âgées, qui sont rarement familiarisées aux nouvelles technologies, il peut être difficile de trouver un nouveau contrat dans le délai de vingt jours impartis.
À mes yeux, cette proposition de loi ne traduit pas la moindre défiance quant au rôle des complémentaires santé dans notre système de santé. Bien au contraire – j’ai souvent l’occasion de le dire –, je salue le travail mené en commun avec les organismes complémentaires depuis ma prise de fonctions. Ce travail conjoint a donné lieu à des avancées majeures ; je pense à la réforme du 100 % santé, qui a été construite en lien étroit avec l’ensemble des acteurs, et en particulier avec les fédérations d’organismes complémentaires.
Monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, même si son objet peut paraître circonscrit, cette proposition de loi est d’une grande importance : c’est une mesure concrète, qui, en levant les obstacles actuels au changement de complémentaire santé, aura un réel impact sur le quotidien des Français.
Le Gouvernement reste parfaitement favorable à la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale. Je vous proposerai donc, dans quelques instants, une série d’amendements visant à rétablir les articles supprimés ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)
M. Michel Amiel, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’assurance maladie complémentaire couvre plus de 95 % de la population française et finance 13 % de notre dépense de santé, représentant ainsi 36 milliards d’euros de cotisations collectées.
Essentielle pour l’accès aux soins, cette protection constitue un poste de dépense lourd pour les ménages, comme pour les entreprises qui participent au financement de la couverture collective, désormais généralisée, de leurs salariés.
Les organismes privés qui opèrent pour l’essentiel sur ce secteur ont fait face ces dernières années à d’importantes mutations. Ils sont encore appelés à s’adapter, notamment pour contribuer aux efforts en faveur du pouvoir d’achat des Français, comme le Président de la République le leur a demandé dans le cadre du suivi de la réforme du reste à charge zéro.
La proposition de loi défendue à l’Assemblée nationale par le président du groupe La République En Marche s’inscrit dans ce contexte. Sans engager de révolution, elle suscite des réactions marquées, ce qui a conduit notre commission à en rejeter le dispositif central, en adoptant des amendements de nos collègues Philippe Mouiller et Jean-Marie Morisset.
Le but initial de ce texte est clairement circonscrit : permettre aux assurés de résilier à tout moment leur contrat de complémentaire santé, après la première année de souscription. C’est, non pas une nouveauté, mais une souplesse donnée aux ménages comme aux entreprises.
La possibilité de résilier un contrat d’assurance, y compris en santé, est en effet déjà ouverte, à chaque échéance annuelle. Ce droit n’est pas virtuel : au total, quelque 15 % à 20 % des assurés s’en saisissent.
Au surplus, cette mesure s’inscrit dans une tendance générale : la loi Hamon de 2014 a ouvert un droit à résiliation infra-annuelle pour les assurances auto et habitation. Dans un autre domaine, celui de l’assurance emprunteur, notre collègue Martial Bourquin a été à l’initiative d’une mesure visant à faciliter les résiliations de contrat.
Dans chacun des cas, ces évolutions ont répondu à deux ambitions légitimes : premièrement, simplifier la vie des assurés ; deuxièmement, accentuer la concurrence sur le marché, au bénéfice in fine d’une meilleure protection des assurés.
Le texte transmis au Sénat s’inscrit dans la droite ligne de ces mesures. Toutefois, il suscite des débats vifs et des réactions contrastées.
M. Loïc Hervé. Eh oui !
M. Michel Amiel, rapporteur. Les principaux acteurs, mutuelles et institutions de prévoyance, se sont opposés à une mesure qui, selon eux, bouleverse inutilement les organismes, dans un environnement qui a déjà connu d’importantes restructurations.
Du fait de la particularité de l’assurance en santé, ils craignent que le nomadisme n’entraîne des comportements opportunistes ou consuméristes susceptibles de porter atteinte aux mécanismes de mutualisation et de solidarité, au détriment des assurés les plus fragiles, notamment les plus âgés.
La santé n’est pas un bien comme un autre. Nous en sommes tous intimement convaincus. Pour autant, faut-il voir dans l’assouplissement du droit à résiliation dont il est question un risque majeur de déstabilisation du secteur ?
M. Philippe Dallier. Non !
M. Michel Amiel, rapporteur. Mes chers collègues, à titre personnel, permettez-moi d’en douter.
Après avoir écouté les arguments des uns et des autres, il m’a semblé que ce texte méritait une analyse plus nuancée.
En toute honnêteté, il serait excessif de lui imputer une diminution significative des tarifs, que certains espèrent, ou une explosion des frais de gestion, que d’autres redoutent. Même si elle porte sur un domaine tout à fait différent, la loi Hamon n’a pas eu de tel effet sur le secteur des assurances dommages, et nul ne songe aujourd’hui à revenir sur cette avancée.
Si la santé n’est pas un bien comme les autres, le secteur de l’assurance complémentaire est bel et bien un marché. Ce simple constat n’emporte aucun jugement de valeur ; mais, au Sénat, nous sommes nombreux à régulièrement pointer du doigt l’insuffisante efficience de ses opérateurs, en appelant à une modération de leurs frais de gestion ou à une plus grande transparence.
À mon sens, ce texte pourrait apporter une pierre à l’édifice : il contribuerait à créer les conditions d’un marché plus fluide, et les opérateurs auraient intérêt à proposer de meilleures garanties, au meilleur tarif.
Néanmoins, au terme d’un large débat, la commission des affaires sociales a considéré que les dispositions introduites par ce texte soulevaient plus d’interrogations qu’elles n’apportaient de réponses. Elle a donc supprimé les articles 1er, 2, 3 et 4 ouvrant la voie à la résiliation infra-annuelle des contrats santé proposés par les sociétés d’assurances, les institutions de prévoyance et les mutuelles.
Vous comprendrez que je regrette, à titre personnel, cette position. Néanmoins, au cours du débat, nous aurons l’occasion de revenir sur ces sujets, qui appellent – j’en conviens – des clarifications.
J’en viens aux autres articles du texte transmis par l’Assemblée nationale.
La commission a maintenu l’article 3 bis, qui complète l’information relative au taux de redistribution des contrats. Dans le même souci de lisibilité, elle en a clarifié la portée. En outre, sur ma proposition, elle a supprimé deux articles, l’article 3 bis A et l’article 3 ter : leur portée effective n’a pas paru à la hauteur des enjeux auxquels ils font écho.
S’il est essentiel de sécuriser la mise en œuvre du tiers payant en cas d’un plus grand turnover des contrats, le déploiement de services numériques par les organismes complémentaires doit s’accompagner de l’équipement des professionnels et établissements de santé en outils adaptés. S’il procède d’une intention légitime, le suivi confié à l’Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire, l’Unocam ne constitue pas une solution opérante. D’ailleurs, son rôle n’est pas de mener un tel travail.
De même, en supprimant la demande de rapport destinée à évaluer les progrès accomplis quant à la lisibilité des contrats, la commission n’a pas entendu remettre en cause l’impérieuse nécessité de traduire en actions concrètes les engagements pris en ce début d’année par les organismes complémentaires.
La complexité des garanties offertes, en partie inhérente à notre système, qui superpose deux niveaux de prise en charge, est un réel frein pour comparer les contrats et tarifs et permettre à la concurrence de s’exercer sainement. Toutefois, la commission a jugé qu’un rapport supplémentaire serait redondant. D’autres moyens de pression plus opérationnels sont à la main du pouvoir réglementaire, et pour cause, le principe de lisibilité des contrats santé est déjà inscrit dans la loi. La commission sera attentive à cette question.
Enfin, sur l’initiative de notre collègue Daniel Chasseing, la commission a adopté un article visant à proscrire les pratiques de remboursement différencié dans les réseaux de soins.
Mme Catherine Deroche. Très bien !
M. Michel Amiel, rapporteur. Le Sénat s’est déjà prononcé en ce sens lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Mes chers collègues, la commission a adopté la proposition de loi transmise par l’Assemblée nationale après l’avoir – c’est le moins que l’on puisse dire – substantiellement modifiée, en supprimant six articles sur sept et en ajoutant un nouvel article… Vous l’avez bien compris : je n’approuve pas l’ensemble de ces choix.
M. Loïc Hervé. Donc acte !
M. Michel Amiel, rapporteur. En conséquence, j’ai déposé divers amendements en mon nom personnel : il s’agit là d’une question de cohérence. Toutefois, en tant que rapporteur, je vous invite au nom de la commission à adopter ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Catherine Deroche applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après deux réunions de commission ayant abouti, de la part de la majorité du Sénat, à deux expressions contraires, nous ne savons plus très bien où nous en sommes…
M. Philippe Dallier. Si, si ! (Sourires.)
M. Yves Daudigny. Cher collègue, si vous le savez, tant mieux ! (Nouveaux sourires.)
M. Loïc Hervé. Maintenant que M. le rapporteur a parlé, tout est clair !
M. Yves Daudigny. La proposition de loi initiale vise à permettre aux assurés, particuliers comme entreprises, de résilier sans frais et à tout moment, après la première année de souscription, leur contrat de complémentaire santé, que celui-ci ait été signé avec une mutuelle, une assurance ou une institution de prévoyance.
Après des velléités de présentation, sans concertation préalable, d’un amendement au titre du projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises, ou projet de loi Pacte, le Gouvernement a fait déposer une proposition de loi par le groupe majoritaire à l’Assemblée nationale. Ainsi, il s’est exonéré de toute étude d’impact. Or, pour éclairer nos débats, un tel document aurait été beaucoup plus utile que des sondages dépourvus de rigueur scientifique…
En résumé, cette proposition de loi apporte une mauvaise solution à un problème qui n’existe pas.
M. Philippe Dallier. Oh !
M. Yves Daudigny. Aujourd’hui, personne n’est prisonnier de sa complémentaire santé. Tout adhérent individuel peut en changer chaque année, sans frais ; et chacun doit en changer, toujours sans frais, lorsqu’il change d’employeur, quand il est couvert dans le cadre d’un contrat de groupe. Un an de réserve, d’une part ; un an de visibilité, un an de garanties pour l’assuré, d’autre part : tel est le modèle prudentiel français de gestion.
Dans ces conditions, s’agit-il d’améliorer l’accès aux soins de nos concitoyens, de réduire les inégalités, en particulier liées à l’âge, de baisser les coûts de gestion, de renforcer les actions de prévention conduites par nombre de mutuelles, de réduire le nombre de personnes – elles sont, au total, 4 millions – qui n’ont pas de complémentaire santé ? Aucune de ces questions n’appelle, hélas ! de réponse positive. À ce titre, j’insisterai sur trois points.
Premièrement, les coûts de gestion des mutuelles – c’est bien de cela qu’il s’agit – peuvent être examinés en toute transparence. Les mutuelles, acteurs majeurs de l’économie sociale et solidaire, sont des sociétés de personnes à but non lucratif, ne rémunèrent pas d’actionnaires, sont gérées à l’équilibre conformément aux exigences prudentielles liées aux risques, mettent en œuvre des services qui accompagnent les adhérents tout au long de la vie et répartissent les risques entre les générations.
L’évolution des cotisations est liée à celle des prestations. Le taux de la taxe de solidarité additionnelle, ou TSA, a été porté de 2,5 % à 13,27 % entre 2008 et 2012, et il est majoré de 0,8 % en 2019 en substitution au forfait patientèle.
Entre 2010 et 2017, les cotisations ont augmenté de 21 %, cependant que les charges de prestations s’accroissaient de 19 %. La publicité et le marketing représentent 0,2 % du budget du mouvement mutualiste. Or l’adoption de la résiliation infra-annuelle ne pourrait qu’engendrer une hausse de ces frais de publicité, destinée à fidéliser les adhérents et à en conquérir de nouveaux. Sur ce sujet, madame la ministre, nous ne sommes donc pas d’accord.
Une augmentation des entrées et des sorties accroîtrait le volume et la complexité de la gestion administrative. En résulterait une hausse des coûts, au détriment des assurés. Il est tout de même paradoxal de regretter un régime où la concurrence règne, avec, pour conséquence, des frais de publicité jugés excessifs et, dans le même temps, de vouloir mettre en place les conditions d’une concurrence totalement dérégulée.
J’ajoute que, en 2017, les mutuelles ont été les seuls opérateurs du secteur de la complémentaire santé à baisser d’environ 2 % leurs frais de gestion. Comme le résume Jean-Paul Benoit, président de la fédération des mutuelles de France, « le marché libéral et la concurrence dans le domaine de la santé et de la protection sociale augmentent les coûts et multiplient les inégalités ».
Deuxièmement – ces considérations découlent directement des précédentes –, en réduisant la complémentaire santé à un bien de consommation courante, pour lequel la seule question qui vaille est le calcul des coûts et des avantages pour soi-même, et rien que pour soi-même, le présent texte heurte le pilier de notre système de protection sociale : la valeur de solidarité.
Cette proposition de loi profitera peut-être à des assurés solvables, plutôt jeunes, actifs, bien portants, à faible risque, dans une logique purement assurantielle. Mais, en encourageant l’individualisation des risques et en accentuant la segmentation des populations, elle déstabilisera le principe de mutualisation, sur lequel le modèle économique des mutuelles est assis. Elle fragilisera encore un peu plus les mécanismes de la solidarité intergénérationnelle.
La dimension d’engagement, qui suppose une durée minimale de souscription, s’en trouvera affectée, et l’assuré social deviendra une simple cible marketing. Les perdants seront les plus fragiles, en particulier les seniors,…
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. C’est déjà le cas !
M. Yves Daudigny. … qui sont les moins mobiles et les moins avertis. Couverts à 75 % par des mutuelles, ils bénéficient aujourd’hui de tarifs maîtrisés grâce aux mécanismes de solidarité que permet la mutualisation.
En revanche, les jeunes seront encore plus fortement encouragés à individualiser leurs risques en se tournant vers les propositions les moins chères. Mécaniquement, les seniors seront donc privés d’une péréquation de solidarité entre eux et les jeunes assurés, et leurs cotisations augmenteront inévitablement.
Aussi ces dispositions s’opposent-elles, dans leur essence même, au modèle prudentiel français. Elles encouragent l’individualisation du droit au détriment de logiques collectives et universelles. Le risque de comportements opportunistes, consuméristes ou nomades sera bien sûr limité, mais non moins réel, quand une partie importante des frais de santé pris en charge par les complémentaires correspondent à des dépenses programmables.
Troisièmement, et enfin, cette proposition de loi, si elle est adoptée, sera un frein au développement du tiers payant. Grâce aux efforts de l’association Inter-AMC, créée en 2015 et regroupant tous les acteurs de la sphère complémentaire, quelque 83 % des assurés sont aujourd’hui couverts par des solutions techniques permettant aux professionnels de santé d’interroger en temps réel les droits et garanties des assurés. (M. le président de la commission manifeste son scepticisme.)
Ainsi, les organismes complémentaires sont prêts à donner aux professionnels de santé des garanties de paiement, sur présentation d’une carte de tiers payant. Avec la résiliation possible à tout moment, le risque d’indus deviendrait évidemment difficile à maîtriser.
C’est donc à raison que la commission des affaires sociales, le 10 avril dernier, a supprimé l’ensemble du texte issu de l’Assemblée nationale, à l’exception d’un article, l’article 3 bis, qui porte sur les informations données à l’assuré.
En cohérence avec les positions que nous avons suivies depuis qu’a commencé l’examen de cette proposition de loi, nous voterons contre les amendements visant à rétablir le texte initial ou à introduire une rédaction proche, sur lesquels notre commission a, de manière un peu étonnante, émis des avis favorables lors de sa seconde réunion, le 30 avril.
De plus, nous avons déposé un amendement de suppression de l’article 3 bis AA, introduit en commission, qui interdit de moduler les remboursements selon que l’assuré s’adresse ou non à un professionnel appartenant au réseau de santé de son organisme de complémentaire santé.
Je le rappelle rapidement : les réseaux de soins sont fondés sur des partenariats entre des mutuelles et des professionnels de santé qui s’engagent à respecter des critères de qualité précis et à modérer leurs tarifs. Leur objectif est de réduire le reste à charge des adhérents pour des prestations de santé coûteuses. Leur rôle a été souligné par l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, la Cour des comptes ou encore l’Autorité de la concurrence.
J’en conviens, la mise en œuvre du reste à charge zéro interrogera certainement la complémentarité avec la différenciation des remboursements. Mais rien ne justifie de revenir, au détour du présent texte, sur la loi Leroux qui fut, en 2013, totalement rédigée dans sa version définitive au Sénat.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Ces dispositions ont été catastrophiques !
M. Yves Daudigny. Madame la ministre, mes chers collègues, en escomptant d’hypothétiques gains de pouvoir d’achat, vous privilégiez la sélection par le marché au risque d’une perte de qualité en matière de prise en charge. Voilà pourquoi nous ne vous suivrons pas.
Cela étant, je conclurai sur une note constructive. Pourquoi ne pas réfléchir à d’autres pistes, par exemple pour moduler par la fameuse TSA en fonction de l’âge des assurés ? Une telle mesure assurerait un réel gain de pouvoir d’achat aux retraités en réduisant leurs cotisations ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. Stéphane Artano. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis 2010, les tarifs des complémentaires de santé augmentent de manière substantielle, et les frais de gestion représentent une part très importante des cotisations payées par les assurés.
Forts de ce constat, les auteurs de cette proposition de loi ont souhaité assouplir le droit de résiliation et permettre aux assurés de bénéficier d’une concurrence accrue. C’est de ce texte que nous sommes invités à débattre cet après-midi, et l’exercice – il faut le reconnaître – est cocasse : le 10 avril dernier, notre commission a rejeté le dispositif central de la proposition de loi et la quasi-totalité des autres articles adoptés par l’Assemblée nationale.
À l’évidence, cette proposition de loi suscite nombre d’interrogations et d’inquiétudes sans répondre à une quelconque logique partisane. Le RDSE est d’ailleurs divisé sur cette question – il n’est pas le seul groupe politique du Sénat placé dans cette situation,…
M. Michel Amiel, rapporteur. Vous faites des émules ! (Sourires.)
M. Stéphane Artano. … ce qui me rassure quelque peu. En commission, nous avons assisté à certaines cabrioles sénatoriales ; l’exercice a été accompli. Il n’y a plus qu’à labelliser le terme ! (Nouveaux sourires.)
Au total, et pour l’essentiel, cette proposition de loi se résume actuellement à deux mesures : la communication aux assurés du taux de redistribution des contrats et une disposition introduite en commission des affaires sociales, sur l’initiative de notre collègue Daniel Chasseing, visant à proscrire les pratiques de remboursement différencié. Notre groupe salue l’adoption de cette mesure.
L’accès de tous les Français à des soins de qualité doit en effet être une priorité absolue. Permettre aux mutuelles d’opérer une différenciation dans le remboursement des prestations bouleverse les principes fondamentaux de notre modèle de santé, fondé sur la solidarité, la liberté et l’égalité dans la qualité de prise en charge. Le remboursement différencié remet en cause le principe « à cotisations égales, prestations égales », porte atteinte à la liberté de choix et de prescription et, enfin, accentue les inégalités territoriales.
Pour en revenir au dispositif central du texte, dont nous aurons à débattre à l’occasion de l’examen des amendements, j’entends les griefs avancés, notamment, par les fédérations des complémentaires santé, lesquelles dénoncent « une fausse bonne idée qui aura un impact négatif pour les assurés » et sera « porteuse de risques majeurs ». Nous avons été abreuvés de mails abondants nous alertant à ce sujet. Le risque me semble pourtant permis, pourvu qu’il soit objectivé.
Les conséquences de cette mesure ne me paraissent pas devoir être surestimées. Comme l’a rappelé notre rapporteur en commission, il serait exagéré de penser que tous les particuliers et toutes les entreprises vont se saisir de cette nouvelle faculté. Il suffit d’observer les effets de la loi Hamon sur le secteur des assurances automobile et habitation pour s’en convaincre : celle-ci n’a conduit qu’à une légère hausse, de moins d’un point, du taux de résiliation, lequel s’est stabilisé par la suite.
Gardons à l’esprit que ce texte n’offre qu’une souplesse dans l’exercice d’un droit qui existe déjà. Comme l’a rappelé le rapporteur de l’Assemblée nationale, « il s’agit d’une évolution et non d’une révolution ».
L’objectif de ce texte est simple : faciliter la vie des assurés en leur apportant davantage de liberté et rééquilibrer le rapport de force en leur faveur. C’est la raison pour laquelle, avec plusieurs sénateurs du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, nous avions déposé un amendement au projet de loi Pacte visant à introduire un peu plus de concurrence, dans un contexte d’inflation des tarifs des complémentaires santé.
Les chiffres communiqués par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, la Drees, sont en effet édifiants : entre 2008 et 2017, les frais de gestion des complémentaires santé ont augmenté en moyenne de 4,2 % par an, soit deux fois plus vite que les dépenses de santé, pour atteindre 7,3 milliards d’euros. Cela représente 21 % du coût des cotisations, alors que le budget santé devient insupportable pour la plupart des ménages.
La cotisation moyenne à une complémentaire santé s’élevait ainsi en 2017 à 688 euros par an, soit une progression trois fois plus rapide que l’inflation dans la dernière décennie. Cette situation n’est pas acceptable ! Aujourd’hui encore, bon nombre de Français sont contraints de se priver de soins en raison d’un reste à charge trop élevé, parce que leur couverture santé est souvent insuffisante. Les élus de la République ne peuvent y être indifférents.
Je me félicite, enfin, que ce texte offre également l’occasion de simplifier les informations transmises aux assurés concernant le montant des frais de gestion, des prestations versées et des cotisations afférentes. Cette mesure, demandée à plusieurs reprises par des associations de défense des consommateurs, poursuit un objectif de transparence qui sera, j’en suis convaincu, bénéfique à l’ensemble des assurés.
Pour conclure, vous l’aurez compris, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen est divisé sur ce texte, et chacun de ses membres déterminera son vote en fonction du sort qui sera réservé aux amendements déposés. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Michel Canevet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
M. Olivier Henno. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour notre rapporteur. Ce texte n’a pas été une sinécure, n’est-ce pas, monsieur le rapporteur ? (Sourires.) Je veux saluer votre travail, la conviction dont vous avez fait preuve, ainsi que votre modération et votre congruence.
Nous examinons aujourd’hui une proposition de loi visant à ouvrir le droit à résilier, sans frais ni pénalité, un contrat de complémentaire santé à tout moment, au-delà de la première année de souscription, et non plus seulement à la date d’échéance annuelle du contrat. Rien de plus !
Avant d’aborder le dispositif en discussion à proprement parler, je vais développer un point de vue plus général sur le système de prise en charge financière de la santé en France, qui repose sur un dispositif à deux, voire à trois niveaux.
Le premier est solidaire, porté par la sécurité sociale, en particulier par l’assurance maladie, et permet à chacun de bénéficier d’une prise en charge minimum. La solidarité ne doit et ne peut être incarnée qu’ainsi.
Le deuxième niveau repose sur les organismes complémentaires d’assurance maladie, ou OCAM, lesquels devraient permettre à chacun de renforcer judicieusement ses remboursements en fonction de ses besoins de santé. La complémentaire offre donc un renforcement adapté de la prise en charge solidaire assurée par le premier niveau.
Cependant, les salariés qui bénéficient obligatoirement d’une complémentaire négociée par leur employeur perdent ce renforcement adapté, puisque les garanties ne sont plus choisies en fonction de leurs besoins de santé. Or celles-ci ont un coût, direct pour l’employeur et indirect pour le salarié. Économiquement, c’est un peu baroque ! Je ne parle pas, bien sûr, de la CMU, la couverture maladie universelle.
Enfin, un troisième niveau vient en réparation de la situation vécue par les salariés, qui peuvent en effet opter pour une surcomplémentaire en souscrivant à des options au contrat de la complémentaire négocié par leur employeur ou auprès d’un OCAM de leur choix.
En bref, les contrats collectifs de santé semblent donner lieu à des dépenses d’assurance parfois inadaptées. J’ajoute que la logique assurantielle repose, par nature, sur une mutualisation des risques.
En créant deux types de contrats, les contrats collectifs et les contrats individuels, nous avons opéré par le passé une segmentation du marché, qui n’a pas pu se faire en faveur des retraités, tandis que les salariés voyaient leur couverture augmenter, sans que cela garantisse pour autant son adéquation à leurs besoins.
En conclusion, dans la mesure où le législateur a souhaité imposer un panier de soins minimum aux contrats collectifs de santé, nous pouvons considérer que l’État a ouvertement voulu augmenter le niveau de prise en charge d’une grande partie de la population. Cela revient à faire peser sur le secteur privé un objectif de santé publique qui, étant déconnecté des besoins des individus, ne devrait relever que de la solidarité nationale, donc de la sécurité sociale.
Dès lors, il aurait mieux, d’une part, valu revaloriser le niveau des remboursements de la sécurité sociale dans les domaines faisant partie du panier de soins minimal, et, d’autre part, rendre obligatoire pour tous les Français la souscription d’un contrat de complémentaire santé, tout en obligeant les OCAM à proposer un contrat d’entrée de gamme à très faible coût pour satisfaire ceux qui ne souhaitaient pas initialement en bénéficier.
Madame la ministre, vous en êtes déjà convaincue, rien n’est plus intime que la santé ; nous avons tous nos spécificités et nos risques.
Dès lors, puisque nous ne pouvons pas rendre la santé totalement gratuite, définissons clairement le niveau minimum de prise en charge qui devrait relever uniquement de la solidarité nationale et laissons à chacun la liberté d’adapter précisément sa couverture en fonction de ses besoins et de ses propres risques.
En l’état de notre dispositif, je perçois une confusion des genres qui me semble entraîner des dépenses inadaptées. Je souhaitais le souligner aujourd’hui. Je souhaite pouvoir débattre un jour de cette situation.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Moi aussi ! (Mme la ministre opine.)
M. Olivier Henno. En attendant, le groupe Union Centriste est majoritairement favorable à la possibilité de résilier sans frais ni pénalité un contrat de complémentaire santé à tout moment, au-delà de la première année de souscription.
À titre personnel, et avec plusieurs de mes collègues, je soutiendrai la réintroduction des articles supprimés en commission, d’abord parce que l’extension des dispositions de la loi Hamon, entrée en vigueur le 1er janvier 2015, aux contrats complémentaires santé n’a rien de choquant juridiquement. Il s’agit de faire preuve de cohérence : cela donne de la lisibilité aux assurés dans un monde assurantiel parfois trop complexe.
Ensuite, nous observons que le coût des complémentaires augmente plus rapidement que l’Ondam, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, ce qui laisse penser que les OCAM pourraient mettre en œuvre une politique tarifaire plus vertueuse. En effet, leurs frais de gestion représentent, d’après la Drees, 21 % des cotisations collectées en 2017, contre 19 % en 2011, sur un marché fortement réglementé et de plus en plus concurrentiel.
Enfin, la Cour des comptes elle-même déplorait que les OCAM aient dépensé 7,2 milliards d’euros en frais de gestion, dont près de 3 milliards d’euros en simples frais de publicité et de communication afin d’obtenir de nouveaux clients.
Malgré cette analyse, certains de nos collègues restent dubitatifs devant ce dispositif. Leur point de vue est tout à fait respectable, et la liberté de vote est une réalité. Je leur réponds tranquillement que l’on peut très bien porter un regard bienveillant sur les mutuelles et voter ce texte. Je refuse de tomber dans le piège du manichéisme, à savoir opposer les amis des mutuelles, qui seraient contre ce texte, à leurs affreux opposants, qui le voteraient.
Je vais même plus loin, mes chers collègues : les mutuelles, les OCAM, doivent faire plus d’efforts d’adaptation comme de gestion et doivent être plus près de leurs sociétaires. Dire cela, c’est selon moi les servir et les aider à pérenniser ce mode d’organisation.
En conséquence, ce texte, qui ne pose pas de problème de cohérence au regard de notre système et dont les effets indésirables ne semblent ni insurmontables ni vraiment problématiques peut avantageusement être adopté. Pour reprendre une expression du rapporteur, il ne mérite ni excès d’honneur ni indignité.
À titre personnel, comme une grande majorité des membres de notre groupe, je le voterai, par cohérence juridique en matière de résiliation d’assurances, mais également pour sa portée symbolique. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Arnaud de Belenet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’amélioration du pouvoir d’achat est une des premières préoccupations des Français. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui visait, dans sa version initiale, à permettre la résiliation sans frais et à tout moment d’un contrat de complémentaire santé, après un an de souscription, afin de prévenir le nomadisme.
Madame la ministre, il est prévu que tout changement de mutuelle soit bien notifié dans le dossier pharmaceutique du patient, afin de ne pas affecter le remboursement des pharmaciens qui pratiquent le tiers payant et dont les marges ont fortement diminué.
Actuellement, les conditions de changement de mutuelle sont très strictes : un assuré ne peut résilier son contrat qu’en cas de changement de régime de sécurité sociale ou chaque année, à la date anniversaire de la souscription.
Comme le souligne Michel Amiel dans son rapport, cette proposition de loi s’inscrivait dans une démarche globale de facilitation des conditions de résiliation des contrats d’assurance. Il s’agissait d’aligner le régime de résiliation des contrats de complémentaire santé sur les évolutions récentes issues de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, offrant la possibilité de résilier, après un an, les contrats d’assurance multirisque habitation, responsabilité civile et automobile.
Ces évolutions visent à rendre du pouvoir d’achat aux Français en favorisant la concurrence et la liberté des assurés de résilier et de souscrire le contrat de leur choix, correspondant au mieux à leur budget et à leurs besoins.
Nous connaissons tous le rôle crucial des mutuelles dans le système de soins français. Quelque 95 % des Français ont recours à ce deuxième régime assurantiel, qui représente à lui seul 26 milliards d’euros, soit 14 % des dépenses de santé globales.
Dans un contexte de vieillissement de la population et de forte augmentation de la prévalence des maladies chroniques, conjugué aux dépassements d’honoraires, en particulier dans les métropoles, l’accès aux complémentaires santé devient un élément incontournable pour garantir à chacun le meilleur niveau de soins possible et lutter contre le renoncement aux soins ou leur report, lequel concerne un quart de la population, qui éprouve encore des difficultés financières à se soigner. Les trois millions de Français qui ne disposent pas d’une assurance maladie complémentaire sont les plus vulnérables.
Nous le savons, dans une économie ouverte, les rigidités contractuelles sont susceptibles de freiner l’accès aux mutuelles des personnes les plus vulnérables économiquement. Notre groupe est donc favorable au rétablissement du texte.
À l’heure où les dépenses de sécurité sociale sont amenées à être rationalisées, entraînant un report vers la prise en charge par les complémentaires, il apparaît légitime de demander aux mutuelles davantage d’efforts en faveur du pouvoir d’achat, car celles-ci disposent encore de marges de manœuvre importantes pour normaliser leur fonctionnement. Les frais de gestion restent trop élevés, représentant 20 % des cotisations, les règles de remboursement sont complexes pour l’assuré et les coûts des cotisations ont augmenté de 47 % dans la dernière décennie.
Notre groupe avait déposé un amendement en commission visant à proscrire les pratiques de remboursement différencié au sein des réseaux de soin mis en place par les mutuelles. Nous saluons l’adoption de cette mesure, qui contribuera à garantir à chacun la liberté de choisir son professionnel de santé, en particulier dans les territoires ruraux sous-dotés en médecins.
Madame la ministre, mes chers collègues, au cours de l’examen de ce texte, la majorité de notre groupe votera en faveur de la liberté contractuelle, dans la mesure où cela n’impacte pas le remboursement des professionnels de santé qui pratiquent le tiers payant.
Nous en appelons également à la sagesse de la Haute Assemblée et du Gouvernement pour maintenir la disposition adoptée par notre commission visant à proscrire les pratiques de remboursements différenciés par les complémentaires santé, qui aggravent les inégalités d’accès aux soins dans les territoires, en particulier dans les déserts médicaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Milon. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, s’il nous fallait aujourd’hui construire un système d’assurance maladie, il ne fait pas de doute que nous procéderions autrement : nous ne ferions pas le choix de plusieurs traitements successifs d’un même acte, ce qui se traduit par des coûts de transaction élevés ; nous ne ferions pas le choix d’un système inégalitaire, dans lequel les mieux portants sont mieux couverts pour un coût moins élevé ; nous ne ferions pas le choix de la coexistence de quelque 500 organismes complémentaires en situation de concurrence.
Notre système actuel à deux étages est le fruit de l’histoire, et, comme le Gouvernement en fait l’expérience en matière de retraite, la refonte globale d’un système présente bien des écueils, qu’aucun gouvernement n’a souhaité affronter en matière de santé.
Les gouvernements successifs se sont pourtant essayés à la réforme, mais avec des objectifs peu clairs, des orientations pas toujours cohérentes et, sans surprise, des résultats mitigés.
La CMU complémentaire, ou CMU-C, puis l’aide au paiement d’une complémentaire santé, l’ACS, ont permis de couvrir les plus modestes, mais avec de forts effets de seuils et un taux de non-recours très élevé. L’accord national interprofessionnel de janvier 2013 a opéré une généralisation, au profit des seuls salariés. Les contrats responsables encadrent le contenu des garanties, avec l’objectif d’agir sur les prix, en laissant peu de marges sur le contenu. La fiscalité, levier fortement mobilisé, ponctionne une partie des profits réalisés, mais se retrouve dans les cotisations. Plus récemment, avec le reste à charge zéro, on tente une reconquête de pans entiers de la couverture sociale, délaissés par le régime de base : l’optique, le dentaire, l’auditif, en encadrant davantage encore les complémentaires.
Il résulte de ces différentes mesures un marché très administré, un corset réglementaire et fiscal sophistiqué, mais qui reste peu protecteur de ceux qui n’entrent dans aucun dispositif spécifique : les jeunes, les inactifs, les retraités.
Très complexe, le système comprend de larges poches d’inefficience, alors que les besoins en matière de santé vont croissant et nécessitent de valoriser chaque euro disponible pour les défis qui sont devant nous : le vieillissement de la population, la chronicisation des maladies ou encore les innovations coûteuses.
Avec cette proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale, le Gouvernement privilégie un autre levier, celui du renforcement de la concurrence entre les acteurs, en assouplissant les possibilités de résiliation des contrats au-delà de l’actuelle possibilité de résiliation annuelle à la date anniversaire du contrat.
L’évaluation de l’impact de cette mesure est difficile : baisse des coûts et hausse du pouvoir d’achat pour les uns, risque de nomadisme et de démutualisation pour les autres ; les débats ont été nourris, y compris au sein de la commission des affaires sociales.
Il me semble peu probable que cette disposition bouleverse l’économie des contrats collectifs des grandes entreprises. Celles-ci ont les moyens de sélectionner au mieux l’organisme qui leur convient et de gérer leur calendrier de résiliation, par ailleurs enserré dans un processus de négociation collective.
Pour les plus petites entreprises, comme pour les adhésions individuelles, le texte apporte une souplesse supplémentaire par rapport à la possibilité de résiliation annuelle. Comment les acteurs vont-ils s’en saisir et quelles vont en être les conséquences sur le marché ?
Si l’on en croit les précédents, en particulier celui de la loi Hamon, le marché ne devrait pas s’en trouver bouleversé à l’excès, moins, sans doute, que par les ratios de solvabilité imposés par les normes internationales ou par la mise en œuvre du reste à charge zéro. Les cotisations ne devraient pas non plus baisser drastiquement sous l’effet de cette seule possibilité de résilier à tout moment.
Au total, le texte soumis à notre examen me paraît renforcer les possibilités de choix de leur complémentaire santé pour les souscripteurs individuels, en particulier les retraités, et les petites entreprises. Il leur appartiendra de s’en saisir.
Pour le reste, ce texte ne répond pas, à lui seul, aux enjeux du secteur, qui restent considérables. À titre personnel, je tiens que la sécurité sociale doit se réapproprier l’ensemble des besoins de santé de base essentiels de nos concitoyens, conformément aux objectifs de ses fondateurs.
M. René-Paul Savary. Très bien !
M. Alain Milon. Il faut donc opérer un décroisement des flux financiers au sein d’un ensemble devenu inextricable. La mise en place d’un payeur unique pour les professionnels et pour les établissements de santé est nécessaire pour mettre en œuvre un véritable tiers payant, mais c’est un autre débat, que nous aurons peut-être en d’autres occasions.
Dans l’immédiat, je voterai pour la possibilité, après douze mois d’affiliation, de résilier un contrat de complémentaire santé à tout moment. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Martin Lévrier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dire que cette proposition de loi a eu un parcours tumultueux est un doux euphémisme. À l’origine, la résiliation infra-annuelle des contrats de complémentaire santé devait être annoncée par le Président de la République dans le cadre des mesures d’urgence de décembre dernier, en réponse à la mobilisation des « gilets jaunes ».
Puis, elle devait être intégrée au projet de loi Pacte. De crainte d’une censure du Conseil constitutionnel, elle a été reculée une seconde fois.
C’est finalement le groupe La République En Marche, majoritaire à l’Assemblée nationale, qui a déposé ce projet de loi déguisé et l’a fait adopter, malgré les désaccords de plusieurs députés de son propre camp.
Au Sénat, la droite sénatoriale s’est livrée à une volte-face en quelques semaines. En effet, lors de la première réunion de la commission des affaires sociales, le groupe Les Républicains avait vertement critiqué cette possibilité de résiliation des contrats et avait voté la suppression des articles correspondants. Le texte avait alors été vidé de son contenu, donc de sa raison d’être. Nous ne pouvions que nous réjouir d’un tel positionnement, pour des raisons que je développerai ensuite.
Or, mardi dernier, nous avons assisté à un tout autre scénario : la droite sénatoriale a déposé des amendements réécrivant le texte dans sa version originale. Il faut croire que la suspension des travaux parlementaires a modifié la donne ! (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.) Pourquoi, dès lors, ne pas avoir voté les amendements du rapporteur, qui était en totale adéquation avec ce revirement ?
Sans commenter plus avant cet artifice, permettez-moi de vous indiquer, mes chers collègues, que vous offrez là un fort beau cadeau au Gouvernement ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Ce n’est pas la question !
Mme Laurence Cohen. Venons-en au fond du texte. Devant les députés, madame la ministre, vous avez indiqué que c’était l’une des premières fois que l’on définissait « l’absence de reste à charge comme le résultat de l’intervention combinée des deux étages de l’assurance santé, l’assurance maladie obligatoire et la complémentaire ». Vous ajoutiez : « C’est, pour tous les Français, un progrès pour l’accès aux soins. »
Nous ne partageons pas votre avis. Bien au contraire, nous estimons qu’il s’agit d’un important recul pour l’assurance maladie, qui ne peut prendre en charge à 100 % les soins, tant elle est fragilisée par les mauvais coups qui pleuvent sur ce système solidaire depuis des années. L’obstination du gouvernement auquel vous appartenez, madame la ministre, à la priver du principe des cotisations est, à ce titre, un véritable coup de boutoir !
Il s’agit aussi d’un recul pour toutes les personnes qui renoncent aux soins à cause du coût des contrats. Selon le comparateur des assurances, le coût annuel d’une mutuelle santé atteint 1 732 euros par an, en moyenne, pour un retraité, 981 euros pour les personnes à la recherche d’un emploi et 482 euros pour les étudiants.
J’ajoute que la dernière publication de la Drees a chiffré à 4 millions le nombre de personnes non couvertes par une complémentaire santé, alors même que celles qui en sont dépourvues renoncent deux fois plus aux soins que les autres.
Vous voulez nous faire croire qu’accroître la concurrence sur le marché de l’assurance complémentaire santé, en permettant de résilier sans frais et à tout moment les contrats, va diminuer leurs tarifs, mais c’est faux.
Le marché – c’est dans sa nature ! – suit l’unique objectif de la rentabilité financière ; les effets bénéfiques en matière de baisse de tarifs sont donc rarement au rendez-vous, ou alors au prix d’une dégradation de la qualité des biens et des services. Nous avions d’ailleurs entendu le même discours lors de l’introduction d’un quatrième opérateur téléphonique. Finalement, les prix ont certes baissé, mais 10 000 emplois ont été détruits, et nous avons pris un retard considérable dans le déploiement du haut débit.
La concurrence accrue entre les opérateurs à tout moment de l’année pourrait même s’avérer contre-productive, puisque les frais de gestion vont mécaniquement augmenter à cause d’un plus grand turnover dans les contrats des adhérents et de l’augmentation des frais de publicité.
Cette offensive libérale va, de surcroît, affaiblir les principes mutualistes qui fondent notre protection sociale : la non-sélection du risque, l’égalité de traitement, la transparence, l’action sociale.
En imposant des règles identiques aux instituts de prévoyance, aux assurances santé et aux mutuelles, vous allez encore accélérer le processus de rapprochement du mode de gestion des mutuelles à but non lucratif de celui des sociétés d’assurances à but lucratif.
En ouvrant la possibilité de résilier un contrat au bout d’une année, vous remettez en cause le principe d’annualité des cotisations, un élément du modèle économique qui permet de ne sélectionner ni le risque couvert ni la personne.
Demain, avec des contrats plus courts, il faudra segmenter davantage les populations en fonction de leurs risques spécifiques face à la maladie, et les seniors seront alors les grands perdants de la réforme. Dans un secteur de plus en plus concentré, votre texte ne fera que renforcer les mastodontes de la « bancassurance » pour faire primer le fonctionnement assurantiel sur la logique de solidarité.
Madame la ministre, vous auriez pu consolider notre système de protection sociale et aller progressivement vers un remboursement à 100 % par la sécurité sociale. Ce n’est pourtant jamais le choix qui est fait dans les textes que vous nous proposez.
J’ai entendu l’intervention d’Alain Milon, et je partage nombre de ses propos, à l’exception de sa conclusion, qui tend à aller vers le libéralisme.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Bien entendu !
Mme Laurence Cohen. Nous n’en tirons pas les mêmes enseignements : la promotion de la concurrence entre les organismes complémentaires risque, selon nous, d’accroître les inégalités sociales dans l’accès aux soins.
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre cette proposition de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner la proposition de loi relative au droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé.
Cette loi a un cap, un souffle, une vision et une stratégie. Un cap, puisqu’elle vise à redonner du pouvoir d’achat à nos concitoyens ; un souffle, puisqu’elle entraîne les mutuelles dans un cercle économique plus vertueux ; une stratégie, parce que, dans sa conception première, elle répond à nombre de problématiques et elle accompagne le mouvement engagé par le reste à charge zéro.
Je me réjouis de voir que, à l’issue d’un travail de commission remarquablement argumenté par notre rapporteur, vous avez enfin identifié le cap qu’elle prenait, le souffle qu’elle suscitait et la stratégie qu’elle développait.
M. Michel Amiel, rapporteur. Quel lyrisme ! (Sourires.)
M. Martin Lévrier. Avant tout, je tiens à remercier mon collègue et ami, Michel Amiel, rapporteur de ce texte, de la qualité du travail réalisé dans des délais très restreints.
L’objectif de ce texte, il l’a rappelé, est simple : donner la possibilité aux assurés de résilier sans frais et à tout moment après la première année de souscription leurs contrats de complémentaire santé.
N’oublions pas ce qui sous-tend ce texte : l’amélioration du pouvoir d’achat des ménages par la réduction des dépenses contraintes pesant sur les familles et, plus encore, sur les plus fragiles et les plus précaires. Cette proposition de loi s’inscrit dans une action globale menée par le gouvernement et dans le mouvement engagé par la réforme du reste à charge zéro sur les soins dentaires, optiques et auditifs.
Aujourd’hui, nous nous emparons d’un nouveau volet : le coût de la complémentaire santé, qui doit être adapté aux besoins de nos concitoyens.
Parlons en effet des coûts. Selon l’UFC-Que Choisir, les cotisations santé ont augmenté de 47 % au cours de la dernière décennie, soit beaucoup plus que l’inflation, qui n’a progressé que de 14,2 %. Quant aux frais de gestion, ils ont crû de 30 % depuis 2010, deux fois plus que les remboursements. Cette année, pour la première fois, les coûts de gestion des complémentaires santé dépasseront ceux de l’assurance maladie, qui représente pourtant 78 % des soins fournis en France !
Sur la base d’un millier d’échéanciers pour 2019, l’UFC-Que Choisir a également dénoncé une progression des tarifs entre 2018 et 2019 de près de 8 % en moyenne, l’augmentation pouvant aller jusqu’à 25 % pour certains contrats.
Avec l’adoption de cette proposition de loi, l’économie pour les consommateurs pourrait atteindre 1 milliard d’euros par an. Simplifier les démarches et améliorer le pouvoir d’achat sans remettre en cause la solidarité entre les assurés : tel est l’objectif du texte.
Aussi suis-je heureux de constater aujourd’hui que les esprits ont évolué, preuve que la sagesse du Sénat n’est pas un vain mot… Néanmoins, je regrette que, depuis la fin de la commission et jusqu’à cet instant, la majorité sénatoriale refuse de suivre le rapporteur en votant les amendements de rétablissement qu’il a déposés.
M. Richard Yung. Eh oui !
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Cela pourrait changer…
M. Martin Lévrier. Cela changera même sûrement !
Si les propositions de notre collègue Philippe Dallier sont tout à fait audibles et recevables…
M. Philippe Dallier. Merci de le reconnaître, cher collègue ! (Sourires.)
M. Martin Lévrier. … la rédaction proposée par le rapporteur, qui rejoint celle du Gouvernement, reste pour moi la meilleure, car elle protège davantage l’assuré.
M. Michel Amiel, rapporteur. En effet !
M. Martin Lévrier. Par ailleurs, en ce qui concerne l’article 3 bis AA, qui supprime les réseaux de soins, nous voterons l’amendement de Daniel Chasseing visant à conforter le texte en introduisant un véritable travail de concurrence qui, dans la grande majorité des cas, a fait baisser les coûts.
Bien évidemment, cette proposition de loi n’est pas parfaite et ne répond pas à tous les enjeux, notamment au manque de lisibilité pour les assurés de leurs contrats avec les mutuelles, une question majeure dont nous allons devoir nous saisir. De fait, quelque 37 % des Français trouvent leur garantie santé difficile à comprendre et 48 % d’entre eux ne connaissent pas à l’avance, pour les soins importants, le montant du remboursement qu’ils percevront.
À cet égard, je salue la signature en février dernier d’un accord entre les fédérations d’organismes complémentaires. Je vous sais, madame la ministre, très engagée sur ce sujet, et nous vous faisons confiance pour trouver, dans les prochains mois, une solution pérenne à ce problème qui touche au quotidien des Français.
Mes chers collègues, il reste un pas à franchir pour intégrer le navire qui nous mènera vers ce cap, en participant à la stratégie et en donnant du souffle. (M. le président de la commission des affaires sociales sourit.)
Ce pas, je vous demande solennellement de le franchir, en votant les amendements du Gouvernement et du rapporteur, qui tendent à sécuriser davantage aussi bien les mutuelles que les adhérents, et en rétablissant le formalisme de la lettre recommandée en cas de résiliation sur l’initiative de l’assureur ou dans d’autres cas sujets à contentieux.
Vous avez fait preuve d’un certain panache en revenant sur vos décisions en commission.
Mme Catherine Deroche. C’est vrai !
M. Martin Lévrier. Je sais désormais pouvoir compter sur vous pour faire preuve d’élégance. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Quant au groupe La République En Marche, vous ne serez pas surpris qu’il vote cette proposition de loi, sous réserve que les articles supprimés en commission soient rétablis : ce texte va dans le bon sens, en répondant à une véritable attente de nos concitoyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Vincent Segouin. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, voilà trois mois, Gilles Le Gendre, chef de file des députés En Marche, a déposé cette proposition de loi relative au droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé.
D’emblée, les auteurs du texte affirment de manière péremptoire que cette mesure « donnera plus de liberté aux assurés et leur permettra de bénéficier d’une concurrence accentuée en matière de couverture complémentaire santé ». On croirait un mauvais slogan des années quatre-vingt… (M. Arnaud de Belenet soupire.)
Dans l’exposé des motifs, on lit également que, « compte tenu de l’ampleur des montants versés chaque année au titre des cotisations en matière d’assurance santé – 35,9 milliards d’euros en 2016 –, la proposition de loi vise à accroître la concurrence sur le marché de l’assurance complémentaire santé ». Pourtant, il n’y a aucun lien logique, d’après moi, entre le volume annuel des cotisations et l’accroissement souhaité de la concurrence.
De la même manière, on avance des chiffres au sujet de l’augmentation des tarifs des complémentaires santé entre 2018 et 2019, sans préciser que cette évolution est proche de celle des charges de prestations et qu’elle résulte de l’impossibilité pour les organismes complémentaires d’assurance maladie, les OCAM, contrairement à la sécurité sociale, d’être en déficit.
Enfin, les auteurs du texte comparent les frais de gestion des OCAM et de la sécurité sociale, soulignant que les organismes complémentaires ont dépensé 20 % des cotisations pour leurs frais de gestion, quand ceux de la sécurité sociale sont inférieurs à 4 %. Je pense que là sont le cœur du problème et l’origine de cette proposition de loi.
En matière d’assurance, le législateur a déjà fait évoluer les modalités de résiliation, comme Mme le ministre l’a rappelé. En 2014, en effet, la loi Hamon a permis à l’assuré de mettre un terme à son contrat d’assurance dommages, à son contrat d’assurance automobile, à son contrat d’assurance habitation et à son contrat d’assurance emprunteur, et ce à tout moment et sans pénalité. Il aurait été intéressant d’étudier les effets de cette loi, en particulier sur les prix, avant d’en étendre le principe aux contrats de complémentaire santé.
J’ai fait cet exercice : les chiffres font apparaître un nombre limité de résiliations, ayant pourtant entraîné des frais de gestion relativement importants pour les compagnies d’assurances et, in fine, les particuliers. Résultat, les cotisations de l’assurance dommages des particuliers n’ont pas diminué…
Plus généralement, le principe de l’assurance est de mutualiser et de provisionner. Nous, législateurs ou citoyens, exigeons des groupes d’assurance une solidité financière de plus en plus importante. Parallèlement, nous créons des lois pour faciliter les résiliations et exercer une pression encore plus forte sur les prix. Est-ce logique ?
Toutefois, le fond du sujet n’est même pas là : il tient dans la comparaison entre les frais de gestion des différents organismes complémentaires et ceux de la sécurité sociale. En effet, comme je l’ai déjà souligné, quelque 80 % des cotisations sont reversées en prestations et 20 % paient les frais de gestion, alors que ceux de la sécurité sociale sont inférieurs à 4 %.
Rappelons que les cotisations de sécurité sociale sont obligatoires : il n’y a donc pas de frais de commercialisation, de publicité ni de communication. En outre, ces cotisations sont gérées et recouvrées par les Urssaf ; le coût de ces opérations n’est pas pris en compte dans les frais de gestion de 4 %. Enfin, la sécurité sociale est en déficit chaque année, ce dont nous ne tenons pas compte dans le calcul des frais de gestion.
Mes chers collègues, comparons ce qui est comparable ! Nous constaterons alors que les frais de gestion de la sécurité sociale sont supérieurs à ceux des organismes complémentaires, qui subissent sans cesse les effets de la concurrence. Depuis 2001, le nombre des mutuelles a été divisé par trois et celui des instituts de prévoyance par deux. Si le bénéfice et le marché étaient si florissants, comme nous pourrions le penser, nous constaterions un développement et non une diminution des acteurs du secteur.
Depuis plusieurs années, l’État fait le choix de diminuer le niveau des prestations de santé ou la prise en charge. En conséquence, les remboursements en frais médicaux de la sécurité sociale ont diminué, tandis que les frais pris en charge par les complémentaires santé ont augmenté. L’augmentation constatée entre 2018 et 2019, soulignée par M. Lévrier il y a quelques instants, en est la conséquence directe.
Pour limiter les coûts, les mutuelles et les organismes complémentaires ont développé des réseaux de santé, surtout en optique. Il s’agit de limiter et de contrôler les dépenses dans l’intérêt des consommateurs, ces derniers étant libres d’en profiter ou non.
Or l’article 3 bis supprime les remboursements différenciés dans les réseaux de soins. Que faut-il en déduire ? D’un côté, on cherche l’intérêt du consommateur en lui permettant de résilier à tout moment sa complémentaire santé et de mener une guerre des prix pour gagner du pouvoir d’achat ; de l’autre, dans le même texte, on souhaite la suppression des réseaux de santé, qui ont pourtant prouvé qu’ils limitaient les coûts de santé et amélioraient le pouvoir d’achat des bénéficiaires…
En somme, sous couvert de rendre du pouvoir d’achat, un objectif que nous partageons tous, on nous propose un texte dont l’adoption serait contre-productive. Cette proposition de loi est le type même de la fausse bonne idée !
La santé n’est pas un marché comme un autre.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Ce n’est même pas un marché du tout…
M. Vincent Segouin. Il serait dangereux de déstabiliser le principe de solidarité qui prévaut dans notre société. Si tel est le chemin que nous voulons emprunter, pour une raison ou pour une autre, réfléchissons de manière globale ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Louis Tourenne applaudit également.)
M. Yves Daudigny. Excellents arguments !
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative au droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé
Demande de priorité
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, en application de notre règlement, la commission demande le vote par priorité, aux articles 1er, 2 et 3 de la proposition de loi, des amendements nos 1 rectifié ter, 2 rectifié ter et 3 rectifié ter.
M. le président. Je rappelle que, aux termes de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, la priorité est de droit lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, sauf opposition du Gouvernement.
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de trois amendements et trois sous-amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers amendements sont identiques.
L’amendement n° 14 rectifié bis est présenté par M. Amiel et les membres du groupe La République En Marche.
L’amendement n° 20 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le code des assurances est ainsi modifié :
1° L’article L. 113-12 est ainsi modifié :
a) Au deuxième alinéa, les mots : « lettre recommandée ou un envoi recommandé électronique » sont remplacés par le mot : « notification par lettre ou tout autre support durable » ;
b) À la fin de l’avant-dernier alinéa, les mots : « l’envoi recommandé électronique » sont remplacés par les mots : « la notification » ;
2° L’article L. 113-14 est ainsi rédigé :
« Art. 113-14. – Lorsque l’assuré a le droit de résilier le contrat, la notification de la résiliation peut être effectuée, au choix de l’assuré :
« 1° Soit par lettre ou tout autre support durable ;
« 2° Soit par déclaration faite au siège social ou chez le représentant de l’assureur ;
« 3° Soit par acte extrajudiciaire ;
« 4° Soit, lorsque l’assureur propose la conclusion de contrat par un mode de communication à distance, par le même mode de communication ;
« 5° Soit par tout autre moyen prévu par le contrat.
« Le destinataire confirme par écrit la réception de la notification. » ;
3° Le deuxième alinéa de l’article L. 113-15-1 est ainsi modifié :
a) À la fin de la première phrase, les mots : « lettre recommandée ou un envoi recommandé électronique » sont remplacés par les mots : « notification par lettre ou tout autre support durable » ;
b) À la seconde phrase, les mots : « l’envoi recommandé électronique » sont remplacés par les mots : « la notification » ;
4° L’article L. 113-15-2 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est ainsi modifié :
- À la première phrase, après le mot : « branches », sont insérés les mots : « ou des catégories de contrats » et les mots : « à l’expiration » sont remplacés par les mots : « après échéance » ;
- À la fin de la seconde phrase, les mots : « , par lettre ou tout autre support durable » sont supprimés ;
b) Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le droit de résiliation prévu au même premier alinéa n’est pas ouvert à l’adhérent lorsque le lien qui l’unit à l’employeur rend obligatoire l’adhésion au contrat. » ;
c) Après le troisième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour les contrats d’assurance de personnes souscrits par un employeur ou une personne morale au profit de ses salariés ou adhérents et relevant des catégories de contrats définies par décret en Conseil d’État, le droit de résiliation prévu au même premier alinéa est ouvert au souscripteur. » ;
d) Avant le dernier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Dans le cas où l’assuré souhaite résilier un contrat conclu pour le remboursement et l’indemnisation des frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident afin de souscrire un nouveau contrat auprès d’un nouvel organisme, celui-ci effectue pour le compte de l’assuré souhaitant le rejoindre les formalités nécessaires à l’exercice du droit de résiliation dans les conditions prévues au premier alinéa du présent article. Les organismes intéressés s’assurent de l’absence d’interruption de la couverture de l’assuré durant la procédure.
5° À la fin du troisième alinéa de l’article L. 121-10, les mots : « recommandée ou par envoi recommandé électronique » sont remplacés par les mots : « ou tout autre support durable » ;
6° Au troisième alinéa de l’article L. 121-11, les mots : « recommandée ou par envoi recommandé électronique » sont remplacés par les mots : « ou message sur support durable » ;
7° L’article L. 145-8 est ainsi modifié :
a) Au début de la première phrase, sont ajoutés les mots : « Sans préjudice de l’article L. 113-15-2, » ;
b) À la seconde phrase, les mots « l’assuré » sont remplacés par les mots « le souscripteur » ;
8° Le deuxième alinéa de l’article L. 194-1 est ainsi modifié :
a) Après la référence : « L. 112-10 », sont insérées les références : « L. 113-14, L. 113-15 » ;
b) Après les mots : « Wallis et Futuna », sont insérés les mots : « dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … relative au droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé » ;
c) Les mots : « de l’avant-dernier » sont remplacés par les mots : « du sixième ».
La parole est à M. Martin Lévrier, pour présenter l’amendement n° 14 rectifié bis.
M. Martin Lévrier. L’article 1er de la proposition de loi, supprimé par la commission des affaires sociales, ouvrait la possibilité de résilier sans frais, à tout moment au-delà de la première année de souscription, les contrats de complémentaire santé proposés par les sociétés d’assurances.
Notre amendement vise à rétablir cet article, qui constituait, avec les articles 2 et 3, également supprimés en commission, le cœur du dispositif de la proposition de loi, en y intégrant plusieurs modifications, essentiellement formelles.
Ces modifications tendent, tout d’abord, à rétablir le formalisme de la lettre recommandée – chose importante – en cas de résiliation sur l’initiative de l’assureur ou dans d’autres cas sujets à contentieux ; ensuite, à opérer des harmonisations rédactionnelles avec la terminologie retenue par l’ordonnance de 2017 sur la dématérialisation des relations contractuelles dans le secteur financier ; enfin, à supprimer certaines formulations ambiguës.
M. le président. La parole est à Mme la ministre, pour présenter l’amendement n° 20.
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié ter, présenté par MM. Dallier, Bascher et Bazin, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Bouchet, Brisson et Charon, Mme Chauvin, MM. Cuypers, Daubresse et de Legge, Mmes Deroche, Deromedi, Di Folco, Dumas et Eustache-Brinio, MM. B. Fournier, Houpert, Karoutchi, Kennel, Laménie, Lefèvre, Mandelli, Mayet et Meurant, Mme Micouleau, MM. Panunzi, Perrin, Piednoir et Poniatowski, Mme Puissat, MM. Raison, Revet et Sido, Mmes Thomas et Troendlé, M. Vogel, Mme Bories, M. de Nicolaÿ, Mme Delmont-Koropoulis, MM. Gilles et Gremillet, Mme Lanfranchi Dorgal et MM. Longuet et Hugonet, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – Le titre Ier du livre Ier du code des assurances est ainsi modifié :
1° Le I de l’article L. 112-9 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « recommandée ou par envoi recommandé électronique avec demande d’avis de réception » sont remplacés par les mots : « ou par message sur support durable » ;
b) À la première phrase du troisième alinéa, les mots : « recommandée ou de l’envoi recommandé électronique » sont remplacés par les mots : « ou du message » ;
2° L’article L. 113-12 est ainsi modifié :
a) Au deuxième alinéa, les mots : « lettre recommandée ou un envoi recommandé électronique » sont remplacés par le mot : « notification » ;
b) Au quatrième alinéa, les mots : « lettre recommandée » sont remplacés par le mot : « notification » ;
c) À la fin de l’avant-dernier alinéa, les mots : « l’envoi recommandé électronique » sont remplacés par les mots : « la notification » ;
3° Aux deuxième et troisième phrases du premier alinéa de l’article L. 113-12-2, les mots : « recommandée ou par envoi recommandé électronique » sont remplacés par les mots : « ou message sur support durable » ;
4° L’article L. 113-14 est ainsi rédigé :
« Art. 113-14. – Lorsque l’assuré ou son représentant a le droit de résilier le contrat, la notification de la résiliation peut être effectuée :
« 1° Soit par envoi d’une lettre ou d’un message sur support durable au sens de l’article L. 111-9 ;
« 2° Soit par déclaration faite au siège social ou chez le représentant de l’assureur ;
« 3° Soit par acte extrajudiciaire ;
« 4° Soit, lorsque l’assureur propose la conclusion de contrat par un mode de communication à distance, par le même mode de communication ;
« 5° Soit par tout autre moyen prévu par le contrat.
« Le destinataire confirme par écrit la réception de la notification. » ;
5° Le deuxième alinéa de l’article L. 113-15-1 est ainsi modifié :
a) À la fin de la première phrase, les mots : « lettre recommandée ou un envoi recommandé électronique à l’assureur » sont remplacés par les mots : « notification par lettre ou message sur support durable » ;
b) Après la seconde occurrence du mot : « date », la fin de la seconde phrase est ainsi rédigée : « de notification. »
II. – L’article L. 113-15-2 du code des assurances est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) À la première phrase, après le mot : « branches », sont insérés les mots : « ou des catégories de contrats » et les mots : « à l’expiration » sont remplacés par les mots : « après échéance » ;
b) (Supprimé)
c) À la fin de la seconde phrase, les mots : « , par lettre ou tout autre support durable » sont supprimés ;
2° Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le droit de résiliation prévu au même premier alinéa n’est pas ouvert à l’adhérent lorsque le lien qui l’unit à l’employeur rend obligatoire l’adhésion au contrat. » ;
3° Après le troisième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour les contrats d’assurance de personnes souscrits par un employeur ou une personne morale au profit de ses salariés ou adhérents et relevant des catégories de contrats définies par décret en Conseil d’État, le droit de résiliation prévu au même premier alinéa est ouvert au souscripteur. » ;
4° Avant le dernier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Dans le cas où l’assuré souhaite résilier un contrat conclu pour le remboursement et l’indemnisation des frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident afin de souscrire un nouveau contrat ou une nouvelle garantie auprès d’un nouvel organisme, celui-ci effectue pour le compte de l’assuré souhaitant le rejoindre les formalités nécessaires à l’exercice du droit de résiliation dans les conditions prévues au premier alinéa du présent article. Les organismes intéressés s’assurent de la permanence de la couverture de l’assuré durant la procédure. »
III. – Le livre Ier du code des assurances est ainsi modifié :
1° À la fin du troisième alinéa de l’article L. 121-10, les mots : « recommandée ou par envoi recommandé électronique » sont remplacés par les mots : « ou message sur support durable » ;
2° Au troisième alinéa de l’article L. 121-11, les mots : « recommandée ou par envoi recommandé électronique » sont remplacés par les mots : « ou message sur support durable » ;
3° L’article L. 145-8 est ainsi modifié :
a) Au début de la première phrase, sont ajoutés les mots : « Sans préjudice des articles L. 113-15-1 et L. 113-15-2, » ;
b) La seconde phrase est supprimée ;
4° Le deuxième alinéa de l’article L. 194-1 est ainsi modifié :
a) Après la référence : « L. 112-10 », sont insérées les références : « L. 113-14, L. 113-15 » ;
b) Après les mots : « Wallis et Futuna », sont insérés les mots : « dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … relative au droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé » ;
c) Les mots : « de l’avant-dernier » sont remplacés par les mots : « du sixième ».
La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Tout d’abord, madame Cohen, j’avais déposé des amendements identiques à ceux que je défendrai cet après-midi dans le cadre du projet de loi Pacte. Que j’aie déposé de nouveaux amendements tient donc aux circonstances, c’est-à-dire à ce qui s’est produit en commission, que je n’attendais pas. En aucune façon il ne s’agit d’une quelconque stratégie de mon groupe.
Si j’ai déposé de nouveau ces trois amendements, c’est parce que je crois qu’ils visent à répondre à une vraie question. Et je ne pense pas que l’apocalypse décrite par notre collègue Daudigny dans la discussion générale se produira s’ils sont adoptés. Simplement, les assurés pourront résilier leur contrat à tout moment après un an.
Parce que cette disposition introduira de la concurrence, certains craignent que les frais de communication ne s’emballent. Je ne le pense pas. Je pense au contraire que les organismes seront encouragés à offrir des services de meilleure qualité au meilleur coût. C’est pourquoi je ne crois pas au scénario catastrophe évoqué par M. Daudigny.
Mes chers collègues, j’en suis persuadé : les dispositions de ces amendements servent l’intérêt des assurés.
M. Jean-Raymond Hugonet. Bien sûr !
M. le président. Le sous-amendement n° 24, présenté par M. Segouin, est ainsi libellé :
Amendement n° 1
Alinéas 2 à 21, 26, et 33 à 42
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Vincent Segouin.
M. Vincent Segouin. Les dispositions de l’amendement n° 1 rectifié ter vont dans le sens de l’objectif, louable, de simplifier les résiliations, mais leur adoption fragiliserait l’exercice des droits des assurés et créerait de l’insécurité juridique pour eux.
La lettre recommandée et l’envoi recommandé électronique apportent la sécurité juridique de l’acte, s’agissant surtout des dates précises de souscription des contrats. L’assureur devra maintenant confirmer par écrit la réception de la notification de résiliation : cela créera de nouveaux contentieux et des frais supplémentaires, qui seront encore comparés aux frais de gestion de la sécurité sociale.
C’est pourquoi le présent sous-amendement tend à supprimer les dispositions introduites à l’Assemblée nationale relatives aux modalités de résiliation.
M. le président. Le sous-amendement n° 8, présenté par M. Bascher, est ainsi libellé :
Amendement n° 1
I. – Après l’alinéa 26
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour les contrats relevant des articles 2 et 3 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques, l’assuré peut résilier son contrat selon les modalités prévues au premier alinéa du présent article. » ;
II. – Alinéa 30
Après les mots :
Conseil d’État
insérer les mots :
et pour les contrats relevant des articles 2 et 3 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques
La parole est à M. Jérôme Bascher.
M. Jérôme Bascher. Mon intervention vaudra défense des sous-amendements nos 9 et 10, dont l’esprit est le même.
La proposition de loi est prétendument cohérente. Or, cohérent, ce sous-amendement l’est assurément. En effet, si l’on autorise la résiliation à tout moment au bout d’un an des assurances multirisques, et aujourd’hui des complémentaires santé, il faut le faire aussi pour la prévoyance. Pourquoi la prévoyance serait-elle exclue du système ?
Je ne puis imaginer qu’il s’agirait de viser les organismes complémentaires parce qu’ils n’auraient pas suffisamment obéi à une volonté gouvernementale… La cohérence commande donc de prévoir les mêmes règles pour toutes les assurances.
L’enjeu n’est pas mince : entre 13 et 19 milliards d’euros, selon ce qui est pris en compte. J’ajoute que les complémentaires santé sont souvent liées à la prévoyance : c’est bien souvent le même contrat qui est souscrit. L’appel d’offres n’est souvent pas assez alloti.
M. le président. Le sous-amendement n° 26, présenté par M. Segouin, est ainsi libellé :
Amendement n° 1
Alinéa 28
Remplacer les mots :
rend obligatoire
par le mot :
justifie
La parole est à M. Vincent Segouin.
M. Vincent Segouin. Ce sous-amendement a pour objet de rappeler que le droit de résiliation n’est pas ouvert à l’assuré dans le cadre des contrats collectifs d’entreprise, dont il n’est pas le souscripteur.
Il s’agit de préciser que l’ensemble des contrats collectifs d’entreprise souscrits par les employeurs au profit de leurs salariés sont visés, que l’adhésion soit obligatoire ou facultative.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Amiel, rapporteur. L’Assemblée nationale avait décidé d’assouplir les modalités de résiliation des contrats d’assurance. Les amendements identiques nos 14 rectifié bis et 20 tendent à apporter une réponse partielle à cet enjeu en rétablissant le formalisme de l’envoi recommandé dans plusieurs situations sources de contentieux. D’autres assouplissements pouvaient paraître justifiés dans une perspective de simplification.
Il n’y a pas de raison de prévoir des modalités distinctes selon la nature de l’organisme – mutuelle, institut de prévoyance ou compagnie d’assurances. J’émets donc un avis défavorable sur le sous-amendement n° 24.
Le texte prévoit à juste titre qu’il appartient au seul employeur de résilier le contrat à tout moment, dès lors que le salarié assuré y souscrit obligatoirement. Néanmoins, si les contrats de complémentaire santé sont à adhésion obligatoire, ils peuvent comporter des garanties de type surcomplémentaires à adhésion facultative. Dans ce cas, il semble normal que l’assuré puisse résilier le contrat pour ce qui le concerne, y compris de façon infra-annuelle. J’émets donc un avis défavorable sur le sous-amendement n° 26.
S’agissant du sous-amendement n° 8, la question de l’extension du droit à résiliation infra-annuelle aux contrats de prévoyance se pose en effet, mais les enjeux financiers sont lourds, notamment pour les entreprises qui proposent ces garanties à leurs salariés, de façon souvent concomitante avec les contrats de complémentaire santé.
M. Jérôme Bascher. N’importe quoi !
M. Michel Amiel, rapporteur. Au vu des interrogations et des débats, parfois polémiques, que soulève déjà ce texte, il nous a paru précipité d’en étendre le champ. Compte tenu des modalités de tarification complexes des garanties de prévoyance, une concertation préalable serait nécessaire avec les organismes qui les proposent. Je demande donc le retrait de ce sous-amendement ; j’y serais défavorable s’il était maintenu.
S’agissant de l’amendement n° 1 rectifié ter et des amendements identiques nos 14 rectifié bis et 20, il faut souligner que leurs dispositions servent le même objectif. Toutefois, la commission a décidé de se déclarer favorable à l’amendement n° 1 rectifié ter et d’émettre un avis défavorable sur les amendements identiques nos 14 rectifié bis et 20.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. L’amendement de M. Dallier vise à rétablir l’article 1er de la proposition de loi, pour permettre la résiliation sans frais à tout moment, au-delà de la première année, des contrats de complémentaire santé. Nous avons donc des objectifs convergents, même si les dispositions de cet amendement diffèrent quelque peu, de façon essentiellement formelle, des amendements identiques du Gouvernement et de M. Amiel.
Compte tenu de cette convergence, la sagesse du Gouvernement sera de ne pas s’opposer à l’amendement de M. Dallier, sur lequel j’émets donc un avis favorable. (Exclamations.) J’émets en revanche un avis défavorable sur les trois sous-amendements.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour explication de vote.
Mme Michelle Gréaume. Le Gouvernement et la droite sénatoriale semblent d’accord pour rétablir la proposition de loi dans sa version originelle et ainsi autoriser la résiliation des contrats de complémentaire santé au-delà d’un an.
Accroître la concurrence dans le domaine de l’assurance complémentaire santé revient à s’en remettre au marché pour assurer l’égal accès aux soins. Or, contrairement à ce que prétendent les chantres du libéralisme économique, la santé n’est pas une marchandise ! Accroître la concurrence entre les acteurs de la santé n’est donc absolument pas gage d’une amélioration de l’accès aux soins, bien au contraire.
Ce texte va renforcer les mastodontes de la « bancassurance », pour faire prévaloir le fonctionnement assurantiel sur la logique de solidarité et développer des contrats de santé low cost. Ce faisant, vous mettez fin au principe de la redistribution entre bien portants et malades et entre riches et pauvres, au profit d’une logique d’individualisation des risques en fonction de l’âge, de l’état de santé et des habitudes de vie de chacun.
En réalité, le Gouvernement refuse de s’attaquer au vrai problème : les inégalités d’accès aux soins dans notre pays. Si vous aviez réellement voulu réduire le reste à charge des assurés, madame la ministre, il fallait diminuer les taxes sur les contrats de complémentaire santé, au lieu de les augmenter. Surtout, il aurait fallu mettre fin aux exonérations et suppressions de cotisations patronales qui grèvent le budget de la sécurité sociale et empêchent d’envisager une augmentation du champ des remboursements de l’assurance maladie.
Mes chers collègues, le libéralisme est non pas la solution, mais le problème ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Laurence Cohen. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Morisset, pour explication de vote.
M. Jean-Marie Morisset. Il est proposé ici de rétablir le principe de résiliation des contrats d’assurance sans frais et à tout moment, lequel a été supprimé par la commission des affaires sociales.
Je souhaite revenir sur la méthode : après avoir renoncé à présenter ces dispositions par voie d’amendement au projet de loi Pacte, le Gouvernement a fait déposer une proposition de loi par le groupe majoritaire de l’Assemblée nationale, ce qui l’a dispensé de produire une étude d’impact sur un texte qui fait l’unanimité contre lui.
En effet, les cinq confédérations syndicales, l’Association des assureurs mutualistes, les acteurs du secteur et l’ensemble des professionnels le rejettent tous, compte tenu de son incidence sur la gestion du tiers payant. Même une partie de la majorité de l’Assemblée nationale le rejette, puisque des commissaires du groupe majoritaire ont déposé des amendements tendant à le supprimer.
Pourquoi tant de précipitation, alors que, actuellement, aucun assuré n’est prisonnier de sa mutuelle ? Chacun peut déjà résilier son contrat chaque année sans frais.
Sur le fond, cette proposition de loi procède d’une logique libérale : la concurrence ferait baisser les prix, améliorant ainsi le pouvoir d’achat des assurés. Or cette concurrence risque au contraire de laisser de côté les plus fragiles et de mettre à mal notre système de solidarité intergénérationnelle. Elle risque de se traduire par une guerre entre complémentaires pour capter les assurés, au détriment de la qualité des contrats proposés.
Ce texte a été l’occasion pour certains de montrer du doigt le fonctionnement des OCAM, au vu notamment de leurs frais de gestion démesurés, disproportionnés par rapport à ceux de l’assurance maladie obligatoire. Il faut mesurer que l’assurance maladie obligatoire, comme il a été rappelé, n’a pas à sa charge la perception des cotisations. Par ailleurs, elle n’est pas taxée à hauteur de 13,27 % et n’est pas soumise à la réglementation européenne, non plus qu’à l’impôt sur les sociétés et à la taxe sur les salaires.
Madame le ministre, vous le savez bien : l’évolution des primes d’assurance et des frais de gestion est due principalement au poids des réformes réglementaires annuelles et à l’augmentation des dépenses de santé et du prix des médicaments.
Il ne faut pas que cette proposition de loi soit un nouveau coup porté au secteur mutualiste, qui, vous le savez, s’est mobilisé autour des enjeux de la santé : les OCAM sont un financeur majeur de la réforme du risque à charge zéro. Les acteurs mutualistes ont aussi engagé d’importants travaux d’adaptation de leur offre dans des délais restreints et se sont inscrits dans une synergie avec les autorités publiques.
Pourquoi donc leur imposer une double peine, en les obligeant à modifier de nouveau leurs règles de gestion pour s’adapter aux conséquences concrètes de cette proposition de loi ?
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Marie Morisset. Mon collègue Philippe Mouiller et moi-même avons eu l’occasion de rencontrer les présidents des grandes mutuelles, comme la MAAF, la MAIF et la Macif, qui ont leur siège dans les Deux-Sèvres. Ils nous ont confirmé leur souhait de jouer un rôle important, mais nous ont demandé de différer la mise en place de ce dispositif, car ils émettent de nombreuses réserves sur les objectifs visés.
M. le président. Mon cher collègue, votre temps de parole est écoulé !
M. Jean-Marie Morisset. C’est la raison pour laquelle, monsieur le président, je ne voterai pas les amendements de rétablissement de l’article 1er.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. Il va falloir m’expliquer la cohérence de tout cela ! Je ne suis d’ailleurs pas sûr qu’il y en ait une – c’est bien là ma crainte…
Si ce texte est là pour le consommateur, les arguments de M. le rapporteur ne font pas sens. En effet, celui-ci s’intéresse aux entreprises, aux mutuelles, en expliquant que les enjeux ne sont pas les mêmes. Certes, en termes de gestion actifs-passifs, ce n’est pas la même chose – c’est certain. Mais, dans le cadre de ce texte, le point de vue adopté est différent : on s’intéresse au consommateur. On ne s’est jamais intéressé aux mutuelles et assurances pour savoir si les évolutions envisagées en matière de santé leur posaient problème ! Ainsi, comme M. Morisset vient de le rappeler, il n’y a pas eu d’étude d’impact.
Pour la prévoyance, en revanche, il faudrait réaliser une étude d’impact… Évidemment que oui ! Mais le système qu’on nous propose est absurde.
En matière d’assurances, les règles en vigueur sont européennes et mondiales ; il s’agit notamment de celles de Bâle III. Que font nos entreprises ? Qu’est-ce qui s’impose à l’étranger ? Nous n’en savons rien. Je veux dénoncer clairement cet amateurisme complet !
Essayons donc d’être cohérents. Les dates peuvent être décalées, pour que l’on réalise les études d’impact et réfléchisse à des améliorations. Les positions actuelles n’ayant pas de cohérence, je maintiendrai mon sous-amendement, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.
M. Philippe Mouiller. M. Morisset a déjà largement développé les arguments qui nous conduiront à voter contre le rétablissement de l’article 1er.
Je ne suis pas du tout contre la concurrence, mais l’enjeu, comme l’a souligné le président Milon, est de travailler sur les relations entre l’assurance maladie et les complémentaires santé dans leur globalité. En l’occurrence, on aborde un aspect particulier, avec une motivation de concurrence, mais une vision d’ensemble paraît nécessaire.
Nous avons pu constater, au cours des interventions des uns et des autres, que les chiffres changent et sont souvent erronés. Il y a une mauvaise connaissance du fonctionnement du système. Si l’on veut comparer les complémentaires santé et l’assurance maladie, il faut le faire sur les mêmes champs d’intervention.
Je tiens à souligner trois aspects de ce texte très peu abordés jusqu’ici et qui m’inquiètent énormément, s’agissant notamment de la dimension qualitative des complémentaires santé.
Face à la volonté d’accroître la concurrence, au-delà de l’aspect tarifaire, qui a été abondamment évoqué, un risque pèse sur la qualité du contenu des contrats. Je pense en particulier aux imprévus non couverts dans le cadre d’une approche purement concurrentielle qui tendrait à tirer vers le bas le contenu des prestations.
Je voudrais aussi évoquer la problématique des personnes de plus de 65 ans. Nous savons bien que ce risque est généralement réparti sur l’ensemble de la population et, s’il ne l’était pas ou plus, ce qui pourrait advenir du fait du nomadisme, il y aurait une incidence directe sur les cotisations de ces personnes.
Je terminerai en évoquant deux aspects purement techniques, dont m’ont fait part les professionnels de santé.
Tout d’abord, la mesure prévue est complexe et peu opérationnelle. La télétransmission entre la sécurité sociale et les complémentaires santé pose déjà des difficultés et le fait de pouvoir changer en cours d’année de complémentaire de façon relativement rapide risque d’aggraver la situation et de perturber les remboursements.
Ensuite, cela a déjà été évoqué, le tiers payant sera encore plus compliqué. La fluctuation contractuelle, s’il n’y a pas une mise à jour extrêmement rapide, risque de créer des indus importants pour les professionnels de santé.
Voilà quelques éléments complémentaires que je voulais apporter à ce débat. En tout cas, vous aurez compris que je ne suis pas favorable à ces amendements.
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.
M. Yves Daudigny. Le groupe socialiste et républicain votera contre les amendements de rétablissement de cet article. Je ne reviendrai pas sur l’argumentation déjà développée, mais je voudrais préciser quelques points.
Première observation, les dispositifs de résiliation de contrats d’assurance qui ont été évoqués jusqu’à maintenant s’appliquent à des contrats obligatoires – automobile, habitation ou prêt immobilier. Or, pour la couverture complémentaire santé des particuliers, l’assurance n’est pas obligatoire. Il s’agit donc, d’une certaine façon, d’un saut dans l’inconnu.
M. Philippe Dallier. Qu’est-ce que cela change ?
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Cela ne change rien !
M. Yves Daudigny. Deuxième observation, cette proposition, quoi que l’on puisse en dire, remet bien en cause l’un des fondements du financement des actes médicaux et des frais de santé, à savoir la présomption de couverture en cas de présentation d’une carte d’adhérent à une complémentaire santé. Cette mesure, je l’ai déjà dit, mais c’est important, ne facilitera pas le développement du tiers payant.
Troisième observation, l’un de nos collègues a souligné le caractère symbolique de ce texte. Oui, il s’agit d’un symbole très fort. C’est le triomphe de la concurrence comme philosophie de la protection sociale ! Or nous sommes nombreux à penser que la solidarité n’est pas soluble dans la concurrence ou dans les logiques de court terme – beaucoup se sont exprimés sur ce point.
Quatrième observation, l’insuffisante concurrence dans le secteur des complémentaires santé est une idée reçue, puisque le secteur comporte – c’est ce qui a été dit par le président de la commission – près de 500 opérateurs et que le résultat net dégagé par les mutuelles ne représente que 0,7 % de l’ensemble des cotisations collectées. Je fais d’ailleurs remarquer que l’autorité de contrôle prudentiel et de résolution, l’ACPR, dénombre 742 organismes, dont 285 sociétés d’assurance, 36 institutions de prévoyance et 421 mutuelles de santé, qui, on le sait, sont régis par trois codes différents.
Cinquième et dernière observation, notre débat a peu abordé le fait que la cotisation des complémentaires santé inclut la taxe de solidarité additionnelle, la TSA, qui va dépasser 14 % en 2019. Or il est intéressant de rappeler la destination de cette taxe : elle sert prioritairement au financement de la CMU-C, c’est-à-dire à l’assurance des personnes les plus fragiles, le solde revenant au budget de la sécurité sociale – je note au passage que les modalités de gestion de ce solde sont quelque peu curieuses.
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.
M. Daniel Gremillet. En ce qui me concerne, je soutiens complètement l’amendement de notre collègue Dallier. En fait, j’ai l’impression de revivre le débat que nous avions eu sur l’assurance emprunteur, qui était passionné. Nous sommes dans la même situation. À l’époque, j’étais rapporteur du texte, et nous avions connu le même déchaînement de la part des banquiers, qui nous disaient que ce qui était proposé n’était pas possible et que nous allions créer des situations de fragilité.
La motivation de la présente proposition de loi est un peu de la même nature que celle du texte dont j’étais rapporteur. À l’époque, notre préoccupation principale concernait les personnes les plus fragiles et l’amendement qui nous est proposé intègre bien cette problématique. C’est la raison pour laquelle je souhaite lui apporter mon soutien.
Finalement, ce qui nous est proposé permet de créer une dynamique et d’envisager des économies, tout en ne créant pas de situation de fragilité pour les personnes les plus exposées, ce qu’on aurait pu effectivement craindre à un moment. Ce dispositif est donc très équilibré. C’est la raison pour laquelle je le soutiens.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre. Je voudrais apporter quelques éléments de réponse.
Madame Gréaume, je veux vous faire part de ma surprise. Vous parlez de supprimer les taxes sur les complémentaires santé, qui financent pourtant – faut-il le rappeler ? – la CMU-C. Je dois avouer que les bras m’en tombent !
Ensuite, j’ai oublié de répondre s’agissant du sous-amendement présenté par M. Bascher. Les contrats de prévoyance mixtes, qui incluent une complémentaire santé, sont visés par le texte, et ce point figurera explicitement dans le décret d’application. Quand les contrats de prévoyance n’intègrent pas la maladie, la nature des risques est différente – ils sont souvent plus lourds et de plus long terme. Dans ce cas, il faudrait évaluer précisément l’impact de la mesure. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas prévu de mettre ce type de contrats dans le texte.
Enfin, j’entends bien les arguments sur le niveau des frais de gestion des complémentaires, qui est plus élevé que pour l’assurance maladie. Nous ne le nions pas, et cela me semble d’ailleurs assez légitime. Les complémentaires traitent autant de dossiers que l’assurance maladie pour un taux de remboursement plus faible et, mécaniquement, elles ont des frais de gestion plus importants.
Ce qui n’est pas compréhensible, c’est la croissance de ces frais de gestion. Ils progressent plus vite que l’inflation et que les dépenses d’assurance maladie elles-mêmes. Où va cet argent ?
M. Philippe Dallier. C’est une bonne question !
Mme Agnès Buzyn, ministre. C’est de ce point de vue que nous souhaitons une diminution des frais de gestion. Il n’est pas question, dans notre esprit, de les ramener au niveau de ceux de l’assurance maladie – nous ne nions pas les différences entre les deux secteurs. Je souhaitais clarifier ce point.
Soyons très clairs, ce texte ne constitue pas une révolution, puisque, aujourd’hui, nos concitoyens peuvent résilier leur contrat d’assurance chaque année. Je ne pense pas que la possibilité de le résilier à une autre échéance va entraîner un désastre pour le secteur assurantiel…
Il me semble tout simplement qu’il s’agit d’une proposition de loi de bon sens, qui améliore la liberté pour les assurés et qui mettra un peu de pression sur les assureurs, pour qu’ils réduisent leurs frais de gestion, mais ce n’est pas un bouleversement par rapport au droit existant.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. À partir du moment où le changement de complémentaire sera bien inscrit dans le dossier pharmaceutique et que ce changement ne peut pas être réalisé avant un an, ce qui diminue tout de même le risque de nomadisme, il me semble que les choses peuvent très bien s’organiser.
Dans ce cadre, la concurrence peut améliorer les coûts du fonctionnement de système – je rappelle que les frais de gestion ont augmenté de 47 % durant la dernière décennie.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Je serais navrée de laisser Mme la ministre avec les bras qui lui tombent ! (Sourires.) Je vais donc lui donner quelques explications.
La CMU-C relève de la responsabilité de l’État. Il ne faut pas confondre les choses, madame la ministre. Les arguments de ma collègue Michelle Gréaume étaient donc tout à fait pertinents et justifiés.
Nous répétons régulièrement que d’autres mesures existent que les recettes proposées par le Gouvernement pour renforcer notre système de protection sociale. Nous ne sommes visiblement pas entendus dans cet hémicycle, et je note que les mouvements sociaux qui se mobilisent depuis des mois ne le sont pas non plus !
Pour atteindre cet objectif de renforcement, nous devons parvenir à un taux de remboursement de 100 %, et non favoriser en permanence le système assurantiel. Nous sommes malheureusement dans une course effrénée, qui, finalement, pénalise les assurés sociaux, en particulier les plus fragiles d’entre eux.
Je voulais livrer ces arguments pour que nous soyons sur le même niveau de réflexion et que personne ne tombe à la renverse… (Sourires.)
M. le président. Monsieur Segouin, le sous-amendement n° 24 est-il maintenu ?
M. Vincent Segouin. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 24.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 82 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Pour l’adoption | 7 |
Contre | 330 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Monsieur Bascher, le sous-amendement n° 8 est-il maintenu ?
M. Jérôme Bascher. Oui, je maintiens, monsieur le président.
M. le président. Monsieur Segouin, le sous-amendement n° 26 est-il maintenu ?
M. Vincent Segouin. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. Le sous-amendement n° 26 est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié ter.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 83 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 327 |
Pour l’adoption | 225 |
Contre | 102 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l’article 1er est rétabli dans cette rédaction, et les amendements identiques nos 14 rectifié bis et 20 n’ont plus d’objet.
4
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour un rappel au règlement.
M. Patrick Kanner. Mon rappel au règlement se fait en lien avec la mission de contrôle du Sénat sur l’action du Gouvernement.
Madame la ministre, les chaînes d’information sont aujourd’hui mobilisées en boucle sur l’affaire de la Pitié-Salpêtrière. Nous avons l’honneur et le plaisir de vous avoir parmi nous, et je sais que ce sujet vous préoccupe particulièrement.
Je souhaiterais simplement savoir, au nom du groupe socialiste et républicain, mais certainement aussi au nom de l’ensemble des sénateurs présents, ce qui s’est réellement passé dans cet hôpital.
Hier soir, les mots étaient extrêmement durs – « exaction », « attaque irresponsable »… –, certains mettant peut-être de l’huile sur le feu, si vous me permettez cette expression. Je pense notamment à certains propos du ministre de l’intérieur.
Très vite, des témoignages contraires ont montré que nous étions peut-être en face d’un mouvement de panique, des personnes voulant simplement s’enfuir et se protéger d’actions qui ne les concernaient pas. Il semblerait que des manifestants pacifiques se soient retrouvés en grande difficulté et aient cherché, dans l’hôpital, un lieu de protection.
Naturellement, si des dégradations ont eu lieu à l’occasion de ces mouvements de panique, je les condamne bien évidemment, comme l’ensemble des parlementaires le fait pour toute forme d’attaque visant les forces de l’ordre ou les services publics en général.
Madame la ministre, vous étiez présente ce matin sur le site avec Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP. Que s’est-il réellement passé ? Faut-il suivre les conclusions de M. Castaner ? Ou faut-il plutôt vous écouter vous, puisque vous avez été bien plus prudente, il y a quelques heures, quand vous avez pris la parole ? Je vous remercie de bien vouloir informer la représentation nationale de la réalité des faits.
M. le président. Il s’agit davantage d’une question d’actualité au Gouvernement que d’un rappel au règlement, mon cher collègue…
La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je ne suis pas certaine que le moment soit approprié, puisque nous nous situons dans le cadre d’un ordre du jour réservé au groupe La République En Marche. Je vous dirai simplement qu’une enquête est en cours, l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris ayant déposé une plainte.
Il me semble à ce stade que plusieurs événements se sont déroulés, chacun avec un temps différent, l’un à l’entrée de l’hôpital au niveau des grilles, un autre sur une passerelle menant à un service de réanimation.
L’enquête permettra de clarifier ces différents événements, ainsi que les responsabilités et la volonté ou non d’agression. Je n’irai pas plus loin, puisque, je le répète, une enquête est en cours.
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
5
Droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. Nous reprenons l’examen de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative au droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé.
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l’article 2.
Article 2
(Supprimé)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements et d’un sous-amendement faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers amendements sont identiques.
L’amendement n° 15 rectifié bis est présenté par M. Amiel et les membres du groupe La République En Marche.
L’amendement n° 21 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le chapitre II du titre III du livre IX du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Le deuxième alinéa de l’article L. 932-12 est supprimé ;
2° Après le même article L. 932-12, sont insérés des articles L. 932-12-1 et L. 932-12-2 ainsi rédigés :
« Art. L. 932-12-1. – Pour les contrats et règlements d’assurance couvrant les personnes physiques en dehors de leurs activités professionnelles et relevant des branches ou des catégories de contrats définies par décret en Conseil d’État, l’adhérent peut, après expiration d’un délai d’un an à compter de la première souscription, dénoncer l’adhésion ou résilier le contrat sans frais ni pénalités. La dénonciation de l’adhésion ou la résiliation du contrat prend effet un mois après que l’institution de prévoyance ou l’union en a reçu notification par l’adhérent.
« Le droit de dénonciation ou de résiliation prévu au premier alinéa est mentionné dans chaque bulletin d’adhésion ou contrat. Il est en outre rappelé avec chaque avis d’échéance de cotisation.
« Lorsque l’adhésion au règlement est dénoncée ou lorsque le contrat est résilié dans les conditions prévues au même premier alinéa, l’adhérent n’est tenu qu’au paiement de la partie de cotisation correspondant à la période pendant laquelle le risque est couvert, cette période étant calculée jusqu’à la date d’effet de la dénonciation ou de la résiliation. L’institution de prévoyance ou l’union est tenue de rembourser le solde à l’adhérent dans un délai de trente jours à compter de la date d’effet de la dénonciation ou de la résiliation. À défaut de remboursement dans ce délai, les sommes dues à l’adhérent produisent de plein droit des intérêts de retard au taux légal.
« Dans le cas où l’adhérent souhaite dénoncer une adhésion ou résilier un contrat conclu pour le remboursement et l’indemnisation des frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident afin de souscrire un nouveau contrat auprès d’un nouvel organisme, celui-ci effectue pour le compte de l’adhérent souhaitant le rejoindre les formalités nécessaires à l’exercice du droit de résiliation ou de dénonciation dans les conditions prévues audit premier alinéa. Les organismes intéressés s’assurent de l’absence d’interruption de la couverture de l’assuré durant la procédure.
« Un décret en Conseil d’État précise les modalités et conditions d’application du présent article.
« Art. L. 932-12-2. – Lorsque l’adhérent a le droit de dénoncer l’adhésion au règlement ou de résilier le contrat, la notification de la dénonciation ou de la résiliation peut être effectuée, au choix de l’adhérent :
« 1° Soit par lettre ou tout autre support durable au sens de l’article L. 931-3-4 ;
« 2° Soit par déclaration faite au siège social ou chez le représentant de l’institution de prévoyance ;
« 3° Soit par acte extrajudiciaire ;
« 4° Soit, lorsque l’institution de prévoyance propose la conclusion de contrat ou l’adhésion au règlement par un mode de communication à distance, par le même mode de communication ;
« 5° Soit par tout autre moyen prévu par le contrat ou le règlement.
« Le destinataire confirme par écrit la réception de la notification. » ;
3° L’article L. 932-15 est ainsi modifié :
a) À la première phrase du premier alinéa, les mots : « lettre recommandée ou envoi recommandé électronique, avec demande d’avis de réception, » sont remplacés par les mots : « notification par lettre ou tout autre support durable » ;
b) À la fin de la première phrase du sixième alinéa, les mots : « lettre recommandée ou de l’envoi recommandé électronique » sont remplacés par les mots : « notification par lettre ou tout autre support durable » ;
4° L’article L. 932-19 est ainsi modifié :
a) Au deuxième alinéa, après la référence : « L. 932-12 », sont insérées les références : « L. 932-12-1, L. 932-12-2 » ;
b) Au début du dernier alinéa, les mots : « Ces mêmes articles, ainsi que les articles L. 913-1 et L. 932-10, » sont remplacés par les références : « Les articles L. 913-1, L. 932-3, L. 932-10, L. 932-12 et L. 932-13 » ;
5° Le deuxième alinéa de l’article L. 932-21-1 est ainsi modifié :
a) À la première phrase, les mots : « recommandée ou par envoi recommandé électronique » sont remplacés par les mots : « ou tout autre support durable » ;
b) À la dernière phrase, les mots : « du recommandé électronique » sont remplacés par les mots : « de la notification » ;
6° Après l’article L. 932-21-1, sont insérés des articles L. 932-21-2 et L. 932-21-3 ainsi rédigés :
« Art. L. 932-21-2. – Pour les contrats et règlements d’assurance couvrant les personnes physiques en dehors de leurs activités professionnelles et relevant des branches ou des catégories de contrats définies par décret en Conseil d’État, l’adhérent peut dénoncer l’adhésion ou résilier le contrat et le participant peut dénoncer l’affiliation, après expiration d’un délai d’un an à compter de la première souscription, sans frais ni pénalités. La dénonciation de l’adhésion, la résiliation du contrat ou la dénonciation de l’affiliation prend effet un mois après que l’institution de prévoyance ou l’union en a reçu notification par le participant ou l’adhérent.
« Le droit de dénonciation ou de résiliation prévu au premier alinéa est mentionné dans la notice d’information ou le contrat. Il est en outre rappelé avec chaque avis d’échéance de cotisation.
« Lorsque l’adhésion au règlement ou l’affiliation est dénoncée ou lorsque le contrat est résilié dans les conditions prévues au même premier alinéa, le participant ou l’adhérent n’est tenu qu’au paiement de la partie de cotisation correspondant à la période pendant laquelle le risque est couvert, cette période étant calculée jusqu’à la date d’effet de la dénonciation ou de la résiliation. L’institution de prévoyance ou l’union est tenue de rembourser le solde à l’adhérent ou au participant dans un délai de trente jours à compter de la date d’effet de la dénonciation ou de la résiliation. À défaut de remboursement dans ce délai, les sommes dues au participant ou à l’adhérent produisent de plein droit des intérêts de retard au taux légal.
« Dans le cas où l’adhérent ou le participant souhaite dénoncer une adhésion ou une affiliation ou résilier un contrat conclu pour le remboursement et l’indemnisation des frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident afin de souscrire un nouveau contrat auprès d’un nouvel organisme, celui-ci effectue pour le compte de l’adhérent ou du participant souhaitant le rejoindre les formalités nécessaires à l’exercice du droit de résiliation ou de dénonciation dans les conditions prévues audit premier alinéa. Les organismes intéressés s’assurent de l’absence d’interruption de la couverture de l’adhérent ou du participant durant la procédure.
« Un décret en Conseil d’État précise les modalités et conditions d’application du présent article.
« Art. L. 932-21-3. – Lorsque l’adhérent a le droit de dénoncer l’adhésion au règlement ou de résilier le contrat ou lorsque le participant a le droit de dénoncer l’affiliation, la notification de la dénonciation ou de la résiliation peut être effectuée, au choix de l’adhérent :
« 1° Soit par lettre ou tout autre support durable ;
« 2° Soit par déclaration faite contre récépissé au siège social ou chez le représentant de l’institution de prévoyance ;
« 3° Soit par acte extrajudiciaire ;
« 4° Soit, lorsque l’institution de prévoyance propose la conclusion de contrat ou l’affiliation ou l’adhésion au règlement par un mode de communication à distance, par le même mode de communication ;
« 5° Soit par tout autre moyen prévu par le contrat ou le règlement.
« Le destinataire confirme par écrit la réception de la notification. »
La parole est à M. Martin Lévrier, pour présenter l’amendement n° 15 rectifié bis.
M. Martin Lévrier. L’article 2 de la proposition de loi, supprimé par la commission des affaires sociales, ouvrait la possibilité de résilier sans frais, à tout moment au-delà de la première année de souscription, les contrats de complémentaire santé proposés par les institutions de prévoyance régies par le code de la sécurité sociale.
Cet amendement vise à rétablir cet article, qui constituait, avec les articles 1er et 3, également supprimés, le cœur du dispositif de la proposition de loi. Il apporte des ajustements à la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale, en procédant à des harmonisations rédactionnelles ou à la suppression de mentions ambiguës et en rétablissant le formalisme de la lettre recommandée dans certains cas qui sont sujets à contentieux.
M. le président. La parole est à Mme la ministre, pour présenter l’amendement n° 21.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Il est identique à celui qui vient d’être présenté. Je considère donc qu’il est défendu, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié ter, présenté par MM. Dallier, Bascher et Bazin, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Bouchet, Brisson et Charon, Mme Chauvin, MM. Cuypers, Daubresse et de Legge, Mmes Deroche, Deromedi, Di Folco, Dumas et Eustache-Brinio, MM. B. Fournier, Houpert, Karoutchi, Kennel, Laménie, Lefèvre, Mandelli, Mayet et Meurant, Mme Micouleau, MM. Panunzi, Perrin, Piednoir et Poniatowski, Mme Puissat, MM. Raison, Revet et Sido, Mmes Thomas et Troendlé, M. Vogel, Mme Bories, M. de Nicolaÿ, Mme Delmont-Koropoulis, MM. Gilles et Gremillet, Mme Lanfranchi Dorgal et MM. Longuet et Hugonet, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le chapitre II du titre III du livre IX du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Le deuxième alinéa de l’article L. 932-12 est supprimé ;
2° Après le même article L. 932-12, sont insérés des articles L. 932-12-1 et L. 932-12-2 ainsi rédigés :
« Art. L. 932-12-1. – Pour les contrats et règlements d’assurance couvrant les personnes physiques en dehors de leurs activités professionnelles et relevant des branches ou des catégories de contrats définies par décret en Conseil d’État, l’adhérent peut, après expiration d’un délai d’un an à compter de la première souscription, dénoncer l’adhésion ou résilier le contrat sans frais ni pénalités. La dénonciation de l’adhésion ou la résiliation du contrat prend effet un mois après que l’institution de prévoyance ou l’union en a reçu notification par l’adhérent.
« Le droit de dénonciation ou de résiliation prévu au premier alinéa est mentionné dans chaque bulletin d’adhésion ou contrat. Il est en outre rappelé avec chaque avis d’échéance de cotisation.
« Lorsque l’adhésion au règlement est dénoncée ou lorsque le contrat est résilié dans les conditions prévues au même premier alinéa, l’adhérent n’est tenu qu’au paiement de la partie de cotisation correspondant à la période pendant laquelle le risque est couvert, cette période étant calculée jusqu’à la date d’effet de la dénonciation ou de la résiliation. L’institution de prévoyance ou l’union est tenue de rembourser le solde à l’adhérent dans un délai de trente jours à compter de la date d’effet de la dénonciation ou de la résiliation. À défaut de remboursement dans ce délai, les sommes dues à l’adhérent produisent de plein droit des intérêts de retard au taux légal.
« Dans le cas où l’adhérent souhaite dénoncer une adhésion ou résilier un contrat conclu pour le remboursement et l’indemnisation des frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident afin de souscrire un nouveau contrat ou une nouvelle garantie auprès d’un nouvel organisme, celui-ci effectue pour le compte de l’adhérent souhaitant le rejoindre les formalités nécessaires à l’exercice du droit de résiliation ou de dénonciation dans les conditions prévues audit premier alinéa. Les organismes intéressés s’assurent de la permanence de la couverture de l’assuré durant la procédure.
« Un décret en Conseil d’État précise les modalités et conditions d’application du présent article.
« Art. L. 932-12-2. – Lorsque l’adhérent ou son représentant a le droit de dénoncer l’adhésion au règlement ou de résilier le contrat, la notification de la dénonciation ou de la résiliation peut être effectuée :
« 1° Soit par envoi d’une lettre ou d’un message sur support durable au sens de l’article L. 931-3-4 ;
« 2° Soit par déclaration faite au siège social ou chez le représentant de l’institution de prévoyance ;
« 3° Soit par acte extrajudiciaire ;
« 4° Soit, lorsque l’institution de prévoyance propose la conclusion de contrat ou l’adhésion au règlement par un mode de communication à distance, par le même mode de communication ;
« 5° Soit par tout autre moyen prévu par le contrat ou le règlement.
« Le destinataire confirme par écrit la réception de la notification. » ;
2 bis L’article L. 932-15 est ainsi modifié :
a) À la première phrase du premier alinéa, les mots : « recommandée ou envoi recommandé électronique, avec demande d’avis de réception, » sont remplacés par les mots : « ou message sur support durable » ;
b) À la fin de la première phrase du sixième alinéa, les mots : « recommandée ou de l’envoi recommandé électronique » sont remplacés par les mots : « ou du message » ;
2 ter° Le I de l’article L. 932-15-2 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « recommandée ou envoi recommandé électronique, avec demande d’avis de réception, » sont remplacés par les mots : « ou message sur support durable » ;
b) À la première phrase du troisième alinéa, les mots : « recommandée ou de l’envoi recommandé électronique » sont remplacés par les mots : « ou du message » ;
3° Au deuxième alinéa de l’article L. 932-19, après la référence : « L. 932-12 », sont insérées les références : « L. 932-12-1, L. 932-12-2 » ;
4° Au début du dernier alinéa du même article L. 932-19, les mots : « Ces mêmes articles, ainsi que les articles L. 913-1 et L. 932-10, » sont remplacés par les références : « Les articles L. 913-1, L. 932-3, L. 932-10, L. 932-12 et L. 932-13 » ;
4 bis° Le deuxième alinéa de l’article L. 932-21-1 est ainsi modifié :
a) À la première phrase, les mots : « recommandée ou par envoi recommandé électronique » sont remplacés par les mots : « ou message sur support durable » ;
b) Après la seconde occurrence du mot : « date », la fin de la seconde phrase est ainsi rédigée : « de notification. » ;
5° Après l’article L. 932-21-1, sont insérés des articles L. 932-21-2 et L. 932-21-3 ainsi rédigés :
« Art. L. 932-21-2. – Pour les contrats et règlements d’assurance couvrant les personnes physiques en dehors de leurs activités professionnelles et relevant des branches ou des catégories de contrats définies par décret en Conseil d’État, l’adhérent peut dénoncer l’adhésion ou résilier le contrat et le participant peut dénoncer l’affiliation, après expiration d’un délai d’un an à compter de la première souscription, sans frais ni pénalités. La dénonciation de l’adhésion, la résiliation du contrat ou la dénonciation de l’affiliation prend effet un mois après que l’institution de prévoyance ou l’union en a reçu notification par le participant ou l’adhérent.
« Le droit de dénonciation ou de résiliation prévu au premier alinéa est mentionné dans la notice d’information ou le contrat. Il est en outre rappelé avec chaque avis d’échéance de cotisation.
« Lorsque l’adhésion au règlement ou l’affiliation est dénoncée ou lorsque le contrat est résilié dans les conditions prévues au même premier alinéa, le participant ou l’adhérent n’est tenu qu’au paiement de la partie de cotisation correspondant à la période pendant laquelle le risque est couvert, cette période étant calculée jusqu’à la date d’effet de la dénonciation ou de la résiliation. L’institution de prévoyance ou l’union est tenue de rembourser le solde à l’adhérent ou au participant dans un délai de trente jours à compter de la date d’effet de la dénonciation ou de la résiliation. À défaut de remboursement dans ce délai, les sommes dues au participant ou à l’adhérent produisent de plein droit des intérêts de retard au taux légal.
« Dans le cas où l’adhérent ou le participant souhaite dénoncer une adhésion ou une affiliation ou résilier un contrat conclu pour le remboursement et l’indemnisation des frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident afin de souscrire un nouveau contrat ou une nouvelle garantie auprès d’un nouvel organisme, celui-ci effectue pour le compte de l’adhérent ou du participant souhaitant le rejoindre les formalités nécessaires à l’exercice du droit de résiliation ou de dénonciation dans les conditions prévues audit premier alinéa. Les organismes intéressés s’assurent de la permanence de la couverture de l’adhérent ou du participant durant la procédure et, si la garantie ou le contrat souscrit est soumis à l’article L. 871-1, du transfert des informations nécessaires au respect des règles prévues au titre du même article L. 871-1.
« Un décret en Conseil d’État précise les modalités et conditions d’application du présent article.
« Art. L. 932-21-3. – Lorsque l’adhérent ou son représentant a le droit de dénoncer l’adhésion au règlement ou de résilier le contrat ou lorsque le participant a le droit de dénoncer l’affiliation, la notification de la dénonciation ou de la résiliation peut être effectuée :
« 1° Soit par envoi d’une lettre ou d’un message sur support durable au sens de l’article L. 931-3-4 ;
« 2° Soit par déclaration faite contre récépissé au siège social ou chez le représentant de l’institution de prévoyance ;
« 3° Soit par acte extrajudiciaire ;
« 4° Soit, lorsque l’institution de prévoyance propose la conclusion de contrat ou l’affiliation ou l’adhésion au règlement par un mode de communication à distance, par le même mode de communication ;
« 5° Soit par tout autre moyen prévu par le contrat ou le règlement.
« Le destinataire confirme par écrit la réception de la notification. »
La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Il s’agit d’appliquer aux institutions de prévoyance la même disposition que celle qui était prévue à l’amendement n° 1 rectifié ter, que nous avons adopté à l’article 1er.
M. le président. Le sous-amendement n° 9, présenté par M. Bascher, est ainsi libellé :
Amendement n° 2, alinéas 5 et 29, première phrase
Après les mots :
Conseil d’État
insérer les mots :
et pour les contrats et règlements d’assurance relevant des articles 2 et 3 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques
La parole est à M. Jérôme Bascher.
M. Jérôme Bascher. Par cohérence avec le vote intervenu à l’article 1er, je le retire, monsieur le président.
M. Michel Amiel, rapporteur de la commission des affaires sociales. Nous avons déjà eu ce débat sur l’article 1er. Par cohérence, l’avis de la commission est favorable sur l’amendement n° 2 rectifié ter et défavorable sur les amendements identiques nos 15 rectifié bis et 21.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste est opposé au rétablissement de l’article 2, qui autorise la résiliation des contrats des institutions de prévoyance au bout d’un an, et nous ne sommes pas les seuls !
Les institutions de prévoyance et la mutualité française ont fait part des risques d’augmentation des coûts de gestion et, par conséquent, des tarifs des contrats.
Les cinq confédérations syndicales vous ont adressé un courrier commun, madame la ministre, pour dénoncer un dispositif qui va à l’encontre de la liberté de négociation collective d’entreprise et de branche.
Les associations de patients vous ont alerté sur les effets pervers de la résiliation infra-annuelle des contrats des complémentaires santé.
Enfin, dans votre propre majorité, certains ont dénoncé à l’Assemblée nationale les risques de ce texte. Je pense notamment au député Guillaume Chiche, qui a défendu des amendements de suppression ; il estime que les jeunes vont aller vers les offres les moins chères et à couverture moindre, ce qui fera mécaniquement augmenter les tarifs pour les seniors.
À notre sens, ce texte est donc à la fois contre-productif et dangereux pour l’accès aux soins des plus précaires. Madame la ministre, lorsque tant de personnes de sensibilités politiques diverses et aux responsabilités différentes vous alertent sur les dangers d’un tel texte, vous devriez peut-être en tenir compte…
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié ter.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 84 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 327 |
Pour l’adoption | 225 |
Contre | 102 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l’article 2 est rétabli dans cette rédaction, et les amendements identiques nos 15 rectifié bis et 21 n’ont plus d’objet.
Article 3
(Supprimé)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements et d’un sous-amendement faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers amendements sont identiques.
L’amendement n° 16 rectifié bis est présenté par M. Amiel et les membres du groupe La République En Marche.
L’amendement n° 22 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – Le code de la mutualité est ainsi modifié :
1° À la première phrase de l’article L. 221-9, après le mot : « collectif », sont insérés les mots : « , la notice prévue à l’article L. 221-6 ou le règlement » ;
2° L’article L. 221-10 est ainsi modifié :
a) À la première phrase du premier alinéa, les mots : « lettre recommandée ou un envoi recommandé électronique » sont remplacés par les mots : « notification par lettre ou tout autre support durable » ;
b) Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour les opérations collectives, le droit de résiliation prévu au premier alinéa du présent article est mentionné dans le bulletin d’adhésion ou le contrat collectif souscrit par un employeur ou une personne morale. Pour les opérations collectives à adhésion facultative, le droit de dénonciation de l’adhésion du membre participant prévu au même premier alinéa est mentionné dans la notice remise en application de l’article L. 221-6. » ;
3° Le deuxième alinéa de l’article L. 221-10-1 est ainsi modifié :
a) À la première phrase, les mots : « recommandée ou envoi recommandé électronique, » sont remplacés par les mots : « ou tout autre support durable » ;
b) À la seconde phrase, les mots : « l’envoi recommandé électronique » sont remplacés par les mots : « la notification » ;
4° Après le même article L. 221-10-1, sont insérés des articles L. 221-10-2 et L. 221-10-3 ainsi rédigés :
« Art. L. 221-10-2. – Pour les règlements ou contrats relevant des branches ou des catégories de contrats définies par décret en Conseil d’État, le membre participant peut dénoncer l’adhésion et l’employeur ou la personne morale souscriptrice peut résilier le contrat collectif, après expiration d’un délai d’un an à compter de la première souscription, sans frais ni pénalités. La dénonciation de l’adhésion ou la résiliation prend effet un mois après que la mutuelle ou l’union en a reçu notification par le membre participant ou par l’employeur ou la personne morale souscriptrice.
« Le droit de dénonciation prévu au premier alinéa n’est pas ouvert au membre participant dans le cadre des opérations collectives à adhésion obligatoire mentionnées au 2° du III de l’article L. 221-2.
« Le droit de dénonciation ou de résiliation prévu au premier alinéa du présent article est mentionné dans le règlement, le bulletin d’adhésion ou le contrat collectif. Pour les opérations collectives à adhésion facultative, le droit de dénonciation du membre participant prévu au même premier alinéa est mentionné dans la notice remise en application de l’article L. 221-6. Le droit de dénonciation ou de résiliation est en outre rappelé avec chaque avis d’échéance de cotisation.
« Lorsque l’adhésion au règlement est dénoncée ou lorsque le contrat est résilié dans les conditions prévues au premier alinéa du présent article, le membre participant, l’employeur ou la personne morale souscriptrice n’est tenu qu’au paiement de la partie de cotisation correspondant à la période pendant laquelle le risque est couvert, cette période étant calculée jusqu’à la date d’effet de la dénonciation ou de la résiliation. La mutuelle ou l’union est tenue de rembourser le solde au membre participant, à l’employeur ou à la personne morale souscriptrice dans un délai de trente jours à compter de la date d’effet de la dénonciation ou de la résiliation. À défaut de remboursement dans ce délai, les sommes dues à l’intéressé produisent de plein droit des intérêts de retard au taux légal.
« Dans le cas où l’adhérent ou le participant souhaite dénoncer une adhésion ou résilier un contrat conclu pour le remboursement et l’indemnisation des frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident pour souscrire un nouveau contrat auprès d’un nouvel organisme, celui-ci effectue pour le compte de l’adhérent ou du participant souhaitant le rejoindre les formalités nécessaires à l’exercice du droit de résiliation ou de dénonciation dans les conditions prévues au même premier alinéa. Les organismes intéressés s’assurent de l’absence d’interruption de la couverture de l’adhérent ou du participant durant la procédure.
« Un décret en Conseil d’État précise les modalités et conditions d’application du présent article.
« Art. L. 221-10-3. – Lorsque le membre participant a le droit de dénoncer l’adhésion au règlement ou lorsque l’employeur ou la personne morale souscriptrice a le droit de résilier le contrat collectif, la notification de la dénonciation ou de la résiliation peut être effectuée, au choix du membre participant :
« 1° Soit par lettre ou tout autre support durable ;
« 2° Soit par déclaration faite au siège social ou chez le représentant de la mutuelle ou de l’union ;
« 3° Soit par acte extrajudiciaire ;
« 4° Soit, lorsque la mutuelle ou l’union propose la conclusion de contrat ou l’adhésion au règlement par un mode de communication à distance, par le même mode de communication ;
« 5° Soit par tout autre moyen prévu par le contrat ou le règlement.
« Le destinataire confirme par écrit la réception de la notification. » ;
5° L’article L. 223-8 est ainsi modifié :
a) À la première phrase du premier alinéa, les mots : « recommandée ou par envoi recommandé électronique, avec demande d’avis de réception » sont remplacés par les mots : « ou tout autre support durable » ;
b) À la fin de la première phrase du sixième alinéa, les mots « lettre recommandée ou de l’envoi recommandé électronique » sont remplacés par le mot : « notification ».
II. – La section 5 du chapitre III du titre Ier du livre III du code de la consommation est ainsi modifiée :
1° À la deuxième phrase de l’article L. 313-30, la première occurrence du mot : « deuxième » est remplacée par le mot : « troisième » ;
2° Au deuxième alinéa de l’article L. 313-31 et à l’article L. 313-32, la seconde occurrence du mot : « deuxième » est remplacée par le mot : « troisième ».
La parole est à M. Martin Lévrier, pour présenter l’amendement n° 16 rectifié bis.
M. Martin Lévrier. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. La parole est à Mme la ministre, pour présenter l’amendement n° 22.
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié ter, présenté par MM. Dallier, Bascher et Bazin, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Bouchet, Brisson et Charon, Mme Chauvin, MM. Cuypers, Daubresse et de Legge, Mmes Deroche, Deromedi, Di Folco, Dumas et Eustache-Brinio, MM. B. Fournier, Houpert, Karoutchi, Kennel, Laménie, Lefèvre, Mandelli, Mayet et Meurant, Mme Micouleau, MM. Panunzi, Perrin, Piednoir et Poniatowski, Mme Puissat, MM. Raison, Revet et Sido, Mmes Thomas et Troendlé, M. Vogel, Mme Bories, M. de Nicolaÿ, Mme Delmont-Koropoulis, MM. Gilles et Gremillet, Mme Lanfranchi Dorgal et MM. Longuet et Hugonet, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – Le titre II du livre II du code de la mutualité est ainsi modifié :
1° À la première phrase de l’article L. 221-9, après le mot : « collectif », sont insérés les mots : « , la notice prévue à l’article L. 221-6 ou le règlement » ;
2° L’article L. 221-10 est ainsi modifié :
a) À la première phrase du premier alinéa, les mots : « recommandée ou un envoi recommandé électronique » sont remplacés par les mots : « ou un message sur support durable » ;
b) Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour les opérations collectives, le droit de résiliation prévu au premier alinéa du présent article est mentionné dans le bulletin d’adhésion ou le contrat collectif souscrit par un employeur ou une personne morale. Pour les opérations collectives à adhésion facultative, le droit de résiliation du membre participant prévu au même premier alinéa est mentionné dans la notice remise en application de l’article L. 221-6. » ;
2 bis° Le deuxième alinéa de l’article L. 221-10-1 est ainsi modifié :
a) À la première phrase, les mots : « recommandée ou envoi recommandé électronique, » sont remplacés par les mots : « ou message sur support durable » ;
b) Après la seconde occurrence du mot : « date », la fin de la seconde phrase est ainsi rédigée : « de notification. » ;
3° Après le même article L. 221-10-1, sont insérés des articles L. 221-10-2 et L. 221-10-3 ainsi rédigés :
« Art. L. 221-10-2. – Pour les règlements ou contrats relevant des branches ou des catégories de contrats définies par décret en Conseil d’État, le membre participant peut dénoncer l’adhésion et l’employeur ou la personne morale souscriptrice peut résilier le contrat collectif ou dénoncer l’adhésion, après expiration d’un délai d’un an à compter de la première souscription, sans frais ni pénalités. La dénonciation de l’adhésion ou la résiliation prend effet un mois après que la mutuelle ou l’union en a reçu notification par le membre participant ou par l’employeur ou la personne morale souscriptrice.
« Le droit de dénonciation prévu au premier alinéa n’est pas ouvert au membre participant dans le cadre des opérations collectives à adhésion obligatoire mentionnées au 2° du III de l’article L. 221-2.
« Le droit de dénonciation ou de résiliation prévu au premier alinéa du présent article est mentionné dans le règlement, le bulletin d’adhésion ou le contrat collectif. Pour les opérations collectives à adhésion facultative, le droit de résiliation du membre participant prévu au même premier alinéa est mentionné dans la notice remise en application de l’article L. 221-6. Le droit de dénonciation ou de résiliation est en outre rappelé avec chaque avis d’échéance de cotisation.
« Lorsque l’adhésion au règlement est dénoncée ou lorsque le contrat est résilié dans les conditions prévues au premier alinéa du présent article, le membre participant, l’employeur ou la personne morale souscriptrice n’est tenu qu’au paiement de la partie de cotisation correspondant à la période pendant laquelle le risque est couvert, cette période étant calculée jusqu’à la date d’effet de la dénonciation ou de la résiliation. La mutuelle ou l’union est tenue de rembourser le solde au membre participant, à l’employeur ou à la personne morale souscriptrice dans un délai de trente jours à compter de la date d’effet de la dénonciation ou de la résiliation. À défaut de remboursement dans ce délai, les sommes dues à l’intéressé produisent de plein droit des intérêts de retard au taux légal.
« Dans le cas où l’adhérent ou le participant souhaite dénoncer une adhésion ou résilier un contrat conclu pour le remboursement et l’indemnisation des frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident pour souscrire un nouveau contrat ou une nouvelle garantie auprès d’un nouvel organisme, celui-ci effectue pour le compte de l’adhérent ou du participant souhaitant le rejoindre les formalités nécessaires à l’exercice du droit de résiliation ou de dénonciation dans les conditions prévues au même premier alinéa. Les organismes intéressés s’assurent de la permanence de la couverture de l’adhérent ou du participant durant la procédure.
« Un décret en Conseil d’État précise les modalités et conditions d’application du présent article.
« Art. L. 221-10-3. – Lorsque le membre participant ou son représentant a le droit de dénoncer l’adhésion au règlement ou lorsque l’employeur ou la personne morale souscriptrice a le droit de résilier le contrat collectif ou de dénoncer l’adhésion, la notification de la dénonciation ou de la résiliation peut être effectuée :
« 1° Soit par envoi d’une lettre ou d’un message sur support durable au sens de l’article L. 221-6-4 ;
« 2° Soit par déclaration faite au siège social ou chez le représentant de la mutuelle ou de l’union ;
« 3° Soit par acte extrajudiciaire ;
« 4° Soit, lorsque la mutuelle ou l’union propose la conclusion de contrat ou l’adhésion au règlement par un mode de communication à distance, par le même mode de communication ;
« 5° Soit par tout autre moyen prévu par le contrat ou le règlement.
« Le destinataire confirme par écrit la réception de la notification. » ;
4° Le I de l’article L. 221-18-1 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « recommandée ou par envoi recommandé électronique avec demande d’avis de réception » sont remplacés par les mots : « ou message sur support durable » ;
b) À la fin de la première phrase du troisième alinéa, les mots : « lettre recommandée ou de l’envoi recommandé électronique mentionnés au même alinéa » sont remplacés par le mot : « notification » ;
5° L’article L. 223-8 est ainsi modifié :
a) À la première phrase du premier alinéa, les mots : « recommandée ou par envoi recommandé électronique, avec demande d’avis de réception » sont remplacés par les mots : « ou message sur support durable » ;
b) À la fin de la première phrase du sixième alinéa, les mots « lettre recommandée ou de l’envoi recommandé électronique » sont remplacés par le mot : « notification ».
II. – La section 5 du chapitre III du titre Ier du livre III du code de la consommation est ainsi modifiée :
1° À la deuxième phrase de l’article L. 313-30, la première occurrence du mot : « deuxième » est remplacée par le mot : « troisième » ;
2° Au deuxième alinéa de l’article L. 313-31 et à l’article L. 313-32, la seconde occurrence du mot : « deuxième » est remplacée par le mot : « troisième ».
La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Il est lui aussi défendu, monsieur le président.
M. le président. Le sous-amendement n° 10, présenté par M. Bascher, est ainsi libellé :
Amendement n° 3, alinéa 12, première phrase
Après les mots :
Conseil d’État
insérer les mots :
et pour les contrats et règlements d’assurance relevant des articles 2 et 3 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques
La parole est à M. Jérôme Bascher.
M. Jérôme Bascher. Par cohérence avec les votes intervenus sur les articles 1er et 2, je retire ce sous-amendement, monsieur le président.
M. le président. Le sous-amendement n° 10 est retiré.
La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Pour rester logiques avec nous-mêmes, ce qui est important, nous ne voterons pas ces amendements.
M. Philippe Dallier. Le contraire nous eût étonnés ! (Sourires.)
Mme Laurence Cohen. En 1945, quand la sécurité sociale a été fondée par Ambroise Croizat, le mouvement mutualiste était reconnu comme faisant partie prenante de cette création majeure.
Si le temps qui s’est écoulé a vu la mise en concurrence faire son œuvre, l’Union européenne rapprochant le fonctionnement des mutuelles de celui des assurances en niant les principes démocratiques et non lucratifs du mutualisme, il n’en demeure pas moins que les principes mutualistes restent essentiels et qu’il serait nécessaire de les conforter plutôt que de les remettre en cause. Nous n’avons cessé de le dire depuis le début de ce débat.
Ce texte ne va pas améliorer les choses, bien au contraire. D’une part, en revenant sur le principe d’annualité des cotisations, vous allez fragiliser la mutualisation sur laquelle repose le modèle économique des mutuelles. D’autre part, vous allez accroître le nomadisme médical : la seule question qui se posera alors sera celle du rapport coût-avantage pour soi-même, et rien que pour soi-même.
Or, si les jeunes pourront individualiser leurs risques en se tournant vers les complémentaires santé les moins chères et offrant les couvertures les moins étendues, généralement proposées par les « bancassurances », nos aînés, eux, qui sont à 75 % couverts par une mutuelle, ne le feront pas, car ils tiennent à bénéficier d’une bonne couverture santé, compte tenu des risques plus élevés qu’ils encourent, risques liés au vieillissement notamment.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 3 rectifié ter.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 85 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 328 |
Pour l’adoption | 226 |
Contre | 102 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l’article 3 est rétabli dans cette rédaction, et les amendements identiques nos 16 rectifié bis et 22 n’ont plus d’objet.
Article 3 bis AA (nouveau)
I. – Le sixième alinéa de l’article L. 863-8 du code de la sécurité sociale est ainsi rédigé :
« Le niveau de la prise en charge des actes et prestations médicaux par les organismes mentionnés au premier alinéa du présent I ne peut être modulé en fonction du choix de l’assuré de recourir ou non à tout professionnel de santé ayant conclu une convention avec ces organismes. »
II. – Le présent article s’applique à compter du 1er janvier 2020.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 5 rectifié est présenté par MM. Segouin, Husson, Mouiller et Morisset.
L’amendement n° 11 rectifié est présenté par M. Daudigny, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin, Meunier et Rossignol, M. Tourenne, Mme Van Heghe, M. Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 18 est présenté par le Gouvernement.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Vincent Segouin, pour présenter l’amendement n° 5 rectifié.
M. Vincent Segouin. Cet amendement vise à supprimer l’article 3 bis AA, introduit en commission, qui ôte toute capacité aux réseaux de soins de pratiquer des remboursements différenciés, quelle que soit la profession concernée.
Comme l’indique l’Autorité de la concurrence, les réseaux ont un effet bénéfique sur les marchés concernés, tant pour les professionnels de santé affiliés que pour les assurés, même s’agissant des réseaux fermés.
La suppression de ces réseaux de santé risque de mettre en péril les contrats qui sont en cours, ainsi que l’ensemble des dispositions qui ont pu être mises en place en vue d’augmenter le pouvoir d’achat des Français, enjeu dont nous débattons depuis le début de l’examen du texte.
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour présenter l’amendement n° 11 rectifié.
M. Yves Daudigny. Cette discussion me donne l’occasion de rappeler que, en 2013, j’ai défendu ici même, en tant que rapporteur, une proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative au fonctionnement des réseaux de soins créés par les mutuelles et aux modalités de mise en œuvre des conventions conclues entre les organismes de protection sociale complémentaire et les professionnels de santé.
En effet, les réseaux de soins qui existaient déjà n’étaient ouverts qu’aux organismes de prévoyance et aux sociétés d’assurance, et non aux mutuelles. Il fallait donc les ouvrir à l’ensemble des organismes complémentaires, mais aussi les encadrer, conformément aux recommandations de la Cour des comptes, des inspections générales des finances et des affaires sociales, et ce afin d’améliorer l’accès aux soins.
Nous avons donc encadré le dispositif, qui ne l’était pas du tout, en garantissant le libre choix du professionnel ou de l’établissement par le patient, des critères objectifs, transparents et non discriminatoires pour l’adhésion du professionnel ou de l’établissement à la convention, et l’interdiction de toute clause d’exclusivité. Nous avons également proposé – c’est très important – d’exclure du conventionnement tous les actes médicaux bénéficiant d’un tarif conventionnel de la sécurité sociale, quel que soit le professionnel.
Aujourd’hui, les réseaux de soins font, à nos yeux, l’objet d’une attaque injustifiée en matière d’accès aux soins, alors que la question de fond réside dans la désertification médicale. Ne leur faisons pas porter une responsabilité qu’ils n’ont pas !
La réforme du reste à charge zéro – RAC 0 – n’enlève pas leur pertinence aux réseaux de soins, en tout cas sur les tarifs libres hors panier RAC 0. Je pense en particulier à l’optique, secteur pour lequel le reste à charge zéro ne devrait concerner qu’environ 10 % des équipements. Or, selon l’IGAS, le recours au réseau permet de réduire de 46 % le reste à charge moyen sur l’achat de deux verres pour adultes, par exemple.
C’est pourquoi le groupe socialiste fera preuve de cohérence en défendant le maintien de la possibilité de moduler les remboursements via les réseaux de soins.
M. le président. La parole est à Mme la ministre, pour présenter l’amendement n° 18.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Amiel, rapporteur. La commission a décidé de s’en remettre à la sagesse du Sénat.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 5 rectifié, 11 rectifié et 18.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires sociales.
Je rappelle que la commission s’en remet à la sagesse du Sénat et que l’avis du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 86 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l’adoption | 77 |
Contre | 263 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix l’article 3 bis AA.
(L’article 3 bis AA est adopté.)
Article 3 bis A
(Supprimé)
Article 3 bis
Après le mot : « communique », la fin de la seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 871-1 du code de la sécurité sociale est ainsi rédigée : « avant la souscription du contrat puis annuellement à chacun de ses assurés, de manière lisible, le rapport, exprimé en pourcentage, entre le montant des prestations versées par l’organisme pour le remboursement et l’indemnisation des frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident et le montant des cotisations ou primes afférentes, ainsi que le rapport, exprimé en pourcentage, entre le montant des frais de gestion et d’acquisition de l’organisme affectés à ces garanties et le montant de ces mêmes cotisations ou primes, selon des modalités précisées par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale. »
M. le président. L’amendement n° 7, présenté par MM. Mouiller et Morisset, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Philippe Mouiller.
M. Philippe Mouiller. Je retire mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 7 est retiré.
Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 23, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Après le mot : « communique », la fin de la seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 871-1 du code de la sécurité sociale est ainsi rédigée : « avant la souscription puis annuellement, à chacun de ses adhérents ou souscripteurs, le rapport, exprimé en pourcentage, entre le montant des prestations versées par l’organisme pour le remboursement et l’indemnisation des frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident, et le montant des cotisations ou primes hors taxes afférentes à ces garanties, ainsi que le montant et la composition des frais de gestion de l’organisme affectés à ces mêmes garanties, exprimé en pourcentage des cotisations ou primes hors taxes afférentes, selon des modalités précisées par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale. »
La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre. L’obligation d’information des adhérents et souscripteurs, ainsi que des potentiels adhérents et souscripteurs, qui est imposée aux organismes assureurs, a pour objectif d’aider les consommateurs à effectuer un choix éclairé.
C’est pourquoi cette information doit être, d’une part, intelligible et compréhensible, et, d’autre part, uniformément présentée par les différents organismes assureurs, de façon à faciliter la comparaison. Les deux ratios « prestations – cotisations ou primes » et « frais de gestion – cotisations ou primes » répondent à ce double objectif.
Le présent amendement a pour objet de préciser que ces deux ratios doivent être présentés hors taxes, comme c’est le cas actuellement, de sorte que les éventuelles modifications de la fiscalité sur les contrats d’assurance ne viennent pas perturber l’information des assurés.
M. le président. L’amendement n° 6 rectifié, présenté par MM. Segouin, Husson, Mouiller et Morisset, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Après le mot : « communique », la fin de la seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 871-1 du code de la sécurité sociale est ainsi rédigée : « annuellement à chacun de ses assurés, de manière lisible, le rapport, exprimé en pourcentage, entre, d’une part, le montant des prestations versées par l’organisme pour le remboursement et l’indemnisation des frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident, et le montant des frais de gestion et d’acquisition de l’organisme affectés à ces garanties et, d’autre part, le montant des cotisations ou primes hors taxes afférentes à ces garanties, selon des modalités précisées par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale. »
La parole est à M. Vincent Segouin.
M. Vincent Segouin. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Amiel, rapporteur. La commission est favorable à l’amendement n° 23 et défavorable à l’amendement n° 6 rectifié.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 6 rectifié ?
M. le président. En conséquence, l’article 3 bis est ainsi rédigé, et l’amendement n° 6 rectifié n’a plus d’objet.
Article 3 ter
(Supprimé)
Article 4
(Supprimé)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par MM. Dallier, Bascher et Bazin, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Bouchet, Brisson et Charon, Mme Chauvin, MM. Cuypers, Daubresse et de Legge, Mmes Deroche, Deromedi, Di Folco, Dumas et Eustache-Brinio, MM. B. Fournier, Houpert, Karoutchi, Kennel, Laménie, Lefèvre, Mandelli, Mayet et Meurant, Mme Micouleau, MM. Panunzi, Perrin, Piednoir, Poniatowski, Raison, Revet et Sido, Mmes Thomas et Troendlé, M. Vogel, Mme Bories, MM. de Nicolaÿ, Gilles et Gremillet, Mme Lanfranchi Dorgal et MM. Longuet et Hugonet, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Les articles 1er à 3 entrent en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d’État, et au plus tard le 1er janvier 2020.
Le droit de résiliation ou de dénonciation prévu à l’article L. 113-15-2 du code des assurances, aux articles L. 932-12-1 et L. 932-21-2 du code de la sécurité sociale et à l’article L. 221-10-2 du code de la mutualité, dans leur rédaction résultant de la présente loi, est applicable aux adhésions, garanties et contrats existants à cette date.
La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Cet amendement vise à faire en sorte que les dispositions que le Sénat vient d’adopter aux articles 1er à 3 puissent entrer en vigueur dès le 1er janvier 2020.
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 17 rectifié est présenté par M. Amiel et les membres du groupe La République En Marche.
L’amendement n° 19 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Les articles 1er à 3 entrent en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d’État, et au plus tard le 1er décembre 2020.
Le droit de résiliation ou de dénonciation prévu à l’article L. 113-15-2 du code des assurances, aux articles L. 932-12-1 et L. 932-21-2 du code de la sécurité sociale et à l’article L. 221-10-2 du code de la mutualité, dans leur rédaction résultant de la présente loi, est applicable aux adhésions et contrats existants à cette date.
La parole est à M. Martin Lévrier, pour présenter l’amendement n° 17 rectifié.
M. Martin Lévrier. Par cohérence avec les amendements déposés en vue de rétablir les articles 1er à 3, cet amendement tend à réintroduire les dispositions sur leur entrée en vigueur, en conservant la date du 1er décembre 2020 au plus tard.
Il a donc pour objet de rétablir la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale, moyennant une correction formelle.
M. le président. La parole est à Mme la ministre, pour présenter l’amendement n° 19.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Amiel, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 4 rectifié bis et un avis favorable sur les amendements identiques nos 17 rectifié et 19.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. Permettez-moi simplement, monsieur Dallier, de vous exposer les raisons pour lesquelles il nous semble important de reculer la date d’entrée en vigueur de ces mesures.
Il faut que les assurés puissent regarder et interroger les droits complémentaires en ligne. Il faut donc que le dispositif soit opérationnel au moment de l’entrée en vigueur de la loi.
Pour de multiples raisons, nous savons que nous ne serons pas en mesure de le garantir aux assurés au 1er janvier 2020. Voilà pourquoi le Gouvernement présente un amendement qui tend à reculer la date de l’entrée en vigueur du dispositif.
J’émets donc un avis défavorable sur l’amendement n° 4 rectifié bis.
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. Madame la ministre, j’aurais préféré une entrée en vigueur au 1er janvier 2020, mais je vais m’en remettre à vos arguments. (Mme la ministre et M. le rapporteur manifestent leur satisfaction.)
Je retire donc mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié bis est retiré.
Je mets aux voix les amendements identiques nos 17 rectifié et 19.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 87 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 327 |
Pour l’adoption | 225 |
Contre | 102 |
Le Sénat a adopté.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à dix-sept heures.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Clarification de diverses dispositions du droit électoral
Discussion d’une proposition de loi et d’une proposition de loi organique
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe La République En Marche, de la proposition de loi (proposition n° 385, texte de la commission n° 444, rapport n° 443) et de la proposition de loi organique (proposition n° 386, texte de la commission n° 445, rapport n° 443) visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral, présentées par M. Alain Richard et les membres du groupe La République En Marche.
Il a été décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. Alain Richard, auteur des propositions de loi.
M. Alain Richard, auteur de la proposition de loi et de la proposition de loi organique. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je crois que nous pouvons engager cette discussion générale dans un esprit constructif partagé.
Nous le constatons tous, le code électoral présente un certain nombre de défauts de cohérence.
J’en rappelle sommairement l’histoire. Établi en 1956, avec, à l’époque, une conception de la codification beaucoup moins « carrée » et architecturée qu’aujourd’hui, ce code a fait l’objet d’un très grand nombre de réformes, d’où un phénomène d’empilement juridique, accompagné d’une harmonisation parfois incomplète, qui a provoqué des difficultés, soit de pertinence, soit de cohérence interne du texte.
Or nous bénéficions – depuis les élections de 2002, si je ne me trompe – d’une bonne pratique adoptée par le Conseil constitutionnel : dans sa fonction de juge des élections, celui-ci rend publique, à l’issue des différents contentieux engagés, une série d’observations, pour porter à la connaissance du public et, naturellement, des autres pouvoirs publics les améliorations qu’il conviendrait d’apporter au droit électoral, ou, d’ailleurs, à d’autres sujets connexes de droit public.
C’est ce qu’il a fait le 21 février dernier, puisque la durée des contentieux dépasse maintenant un an et demi, en rendant publiques un certain nombre d’observations et de recommandations pour l’évolution de notre droit électoral.
Grâce aux services de la commission et à son président, que je remercie, nous avons pu établir une proposition de loi et une proposition de loi organique traitant des sujets sur lesquels il nous a paru efficace de faire évoluer le code électoral.
Les domaines couverts par ce code étant extrêmement vastes, nous nous sommes limités à trois sujets : l’application du contrôle des comptes de campagne et les sanctions d’inéligibilité qui en découlent – c’est le principal sujet – ; la mise en cohérence des dates et événements de fin de campagne ; la clarification du contenu légal des bulletins de vote.
Je tiens à insister sur le premier thème, qui a donné lieu aux recommandations les plus détaillées du Conseil constitutionnel.
Compte tenu du très grand nombre de candidats aux élections législatives – son accroissement est dû, nous le savons, à l’intérêt pour chaque organisation de présenter beaucoup de candidats, afin de collecter un maximum de voix, lesquelles sont prises en compte pour le financement pérenne des partis politiques –, le travail d’examen des comptes, puis, sur les comptes dont l’irrégularité a été reconnue, celui d’instruction en vue d’éventuelles sanctions d’inéligibilité par le Conseil constitutionnel sont devenus massifs et exigent que l’on se concentre sur l’essentiel.
Le Conseil constitutionnel a donc recommandé de dispenser de compte de campagne et, donc, de ne soumettre ni au contrôle, ni aux sanctions un certain nombre de candidats qui comptaient très peu dans la collecte des suffrages, ayant obtenu un faible pourcentage de voix, et dont les montants de dépenses paraissaient négligeables.
Nous avons essayé, dans la proposition de loi, d’établir un tel critère, afin de pouvoir identifier les candidats « minimaux », dirais-je, auxquels serait accordée une dispense de compte de campagne, ce qui réduirait la charge de travail des institutions en aval.
Le Conseil constitutionnel faisait également remarquer, à l’observation de ses propres décisions individuelles, que, du fait de la durée des contentieux, une même sanction d’inéligibilité – deux ans par exemple – portant sur des infractions ou des manquements de même importance n’avait pas les mêmes conséquences pour deux candidats différents, suivant que la date d’expiration de la période d’inéligibilité englobait l’élection suivante ou non.
Il nous a demandé de chercher une solution législative, de sorte que toutes les sanctions de même importance qu’il serait amené à prononcer emportent les mêmes conséquences en termes d’invalidation électorale. Nous avons essayé d’élaborer une solution, mais ce n’est pas simple.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a fait l’observation suivante – et, effectivement, on peut trouver là la source de contentieux qui sont difficiles à régler, car ils portent sur des questions de fait très délicates – : alors que tous les autres actes de campagne, notamment ceux qui ont trait aux moyens audiovisuels et à la distribution de documents écrits, doivent prendre fin le vendredi soir, minuit, précédant le dimanche électoral, la seule règle fixée pour les réunions électorales est de respecter le jour des élections lui-même. On peut donc organiser des réunions électorales jusqu’à minuit moins cinq, la veille du scrutin.
Le Conseil constitutionnel a souligné que, si ces réunions rassemblaient un public d’une certaine importance et qu’elles aboutissaient à la diffusion de messages négatifs pour un candidat donné, celui-ci n’aurait aucun moyen de répondre. Dès lors, il a suggéré que, en touchant d’ailleurs à de très vieilles lois découlant de la loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion, on limite le terme final des réunions électorales au vendredi soir, comme pour les autres actes de campagne.
Enfin, constatant que la jurisprudence, aussi bien du Conseil d’État, pour les élections locales, que du Conseil constitutionnel, pour les élections parlementaires, comportait des variations s’agissant du contenu du bulletin de vote – j’ai redécouvert, à cette occasion, que les règles concernant ce contenu figuraient au chapitre du code électoral intitulé « Propagande », ce qui est tout de même un peu décalé par rapport à l’objet même du bulletin de vote, lequel est, non plus un outil de communication, mais un support du vote le plus objectif possible –, il nous a paru souhaitable d’éliminer, par la loi, la référence à des personnes tierces, non candidates dans la circonscription, sur ledit bulletin.
Puisque subsiste, dans un texte distinct du code, une loi que nous avons votée en 1990, lors d’une réforme électorale, visant à fixer le principe d’une absence totale de réforme à impact électoral dans l’année précédant l’élection concernée, il m’a en outre semblé plus judicieux que ces dispositions de « précaution » figurent dans le code électoral lui-même.
Tel est donc le champ limité que nous avons retenu, avec l’approbation de la commission, pour cette actualisation et amélioration du code électoral.
Je veux souligner le très bon travail collégial qui a été réalisé en commission, autour des interventions du président et du rapporteur, et remercier le Gouvernement pour ses propositions, également judicieuses.
Au fond, en discutant de cette proposition de loi et de cette proposition de loi organique, il me semble que nous jouons pleinement le rôle, propre au Sénat, d’amélioration législative. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Union Centriste. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Arnaud de Belenet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, notre éminent collègue Alain Richard, qui vient de s’exprimer, nous invite à clarifier diverses dispositions du code électoral, qui, depuis 1956, a effectivement perdu en lisibilité et en cohérence, malgré les tentatives d’harmonisation de la Commission supérieure de codification. Nul doute que la présence de dispositions de valeur organique a constitué un obstacle.
La proposition de loi et la proposition de loi organique s’inspirent assez directement des observations rendues par le Conseil constitutionnel le 21 février dernier au sujet des élections législatives de 2017. Elles couvrent néanmoins l’ensemble des élections, y compris les élections locales.
Sur le fond, ces textes visent deux objectifs : d’une part, clarifier le contrôle des comptes de campagne et les règles d’inéligibilité ; d’autre part, mieux encadrer la propagande électorale et les opérations de vote.
Au cours de ses travaux, la commission des lois a salué ces efforts de clarification. Ces textes auront des conséquences concrètes, notamment pour simplifier les démarches administratives des candidats et mettre fin à certains détournements de procédure en matière de propagande électorale.
Les nombreux amendements déposés ont démontré tout l’intérêt de ces véhicules législatifs, à la fois techniques et transversaux.
Notre collègue Alain Richard propose, tout d’abord, de simplifier les démarches administratives des candidats et d’améliorer les contrôles de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques – ou CNCCFP.
Nous constatons effectivement une massification du contentieux, qui complique les contrôles, de l’aveu même du Conseil constitutionnel et de la CNCCFP.
Lors des élections législatives de 2017, le nombre de candidats ayant déposé un compte de campagne a augmenté de 27 % par rapport au scrutin précédent. En conséquence, la commission nationale a saisi le juge de l’élection à 351 reprises, soit une hausse de près de 50 % par rapport à 2012.
Pour les élections départementales de 2015, elle a contrôlé plus de 9 000 comptes de campagne, avec des moyens qui sont reconnus comme limités. Je rappelle qu’elle dispose de 39 agents permanents et recourt à quelques rapporteurs vacataires, qu’elle s’adjoint au gré des élections.
Contrairement à la préconisation initiale du Conseil constitutionnel, la commission des lois n’a pas souhaité modifier le périmètre des comptes de campagne, craignant de fragiliser les contrôles de la CNCCFP. Elle a privilégié d’autres mesures pour alléger les démarches administratives des candidats, notamment en élargissant la dispense d’expertise comptable.
Aujourd’hui, seuls les candidats dont le compte ne comprend aucune recette ni dépense sont dispensés de recourir à un expert-comptable. À titre d’information, mes chers collègues, sachez que, lors des élections législatives de 2017, plus de 3,5 millions d’euros ont servi à rémunérer des experts-comptables, ce qui représente près de 5 % des dépenses électorales !
Le texte de la commission élargit la dispense d’expertise-comptable aux candidats qui remplissent deux conditions cumulatives : d’une part, s’ils ont obtenu moins de 5 % des suffrages exprimés ; d’autre part, si leurs recettes et leurs dépenses n’excèdent pas un montant fixé par décret.
Entendu en audition, l’ordre des experts-comptables ne s’oppose pas – bien au contraire – à cette simplification, considérant que le chiffre d’affaires de ses membres ne dépend pas de cette intervention, qu’il qualifie de « devoir citoyen ».
Des amendements de nos collègues Roger Karoutchi et Josiane Costes nous inciteront à aller plus loin dans nos démarches de simplification, notamment en ce qui concerne les « menues dépenses » des candidats.
Notre collègue Jean-Pierre Grand nous propose, avec l’appui du Gouvernement, d’autoriser les candidats à recourir aux plateformes en ligne pour recueillir des dons. Demande forte des candidats, cette mesure nécessitait de nombreuses garanties, notamment pour assurer la traçabilité des dons ; le Gouvernement nous les apporte.
En complément, la commission des lois a adopté plusieurs mesures techniques, notamment pour mieux organiser les contrôles de la CNCCFP et confirmer l’interdiction, pour les personnes morales, d’apporter leur garantie aux prêts contractés par les candidats.
La proposition de loi et la proposition de loi organique visent également à clarifier les règles d’inéligibilité. Aujourd’hui, en effet, le code électoral distingue plusieurs hypothèses d’inéligibilité, ce qui affecte sa lisibilité.
En cas de dépassement du plafond des dépenses électorales par le candidat ou si celui-ci n’a pas déposé son compte de campagne, le juge « peut » prononcer l’inéligibilité. En revanche, il a l’obligation de déclarer inéligible un candidat « dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit en cas de volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales ».
En pratique, et nous aurons certainement ce débat ultérieurement, à l’occasion de l’examen d’un des amendements, le juge prononce l’inéligibilité seulement lorsqu’il estime que l’irrégularité constatée présente un degré de gravité suffisant. La réalité est donc qu’il n’est pas tenu de prononcer l’inéligibilité : dans ce cas également, il « peut » le faire.
Malgré les différences de rédaction, il exerce toujours le même office. Pour plus de lisibilité, les présents textes tendent donc à clarifier le rôle du juge en mettant en accord le code électoral et la jurisprudence, comme l’a d’ailleurs préconisé le Conseil constitutionnel.
Je le rappelle avec force à cette tribune, il ne s’agit en aucun cas d’affaiblir le régime des inéligibilités, qui doit s’appliquer avec la plus grande fermeté à l’encontre des candidats fautifs. Il y va de la crédibilité de notre système institutionnel.
En commission, nous avons eu un débat concernant le « point de départ » de l’inéligibilité. Aujourd’hui, cette sanction s’applique à compter de la décision définitive du juge de l’élection. Tout le monde s’accorde sur les inconvénients de cette disposition : pour une irrégularité équivalente, son effet varie d’un candidat à l’autre, en fonction du délai d’instruction de l’affaire.
Initialement, la proposition de loi et la proposition de loi organique tendaient à faire démarrer l’inéligibilité à la date du premier tour de scrutin. Cette solution présentait toutefois plusieurs inconvénients. De par son effet rétroactif, elle aurait notamment permis à un candidat déclaré inéligible de se présenter plus rapidement devant les électeurs, à défaut de modifier la durée maximale de trois ans.
Dans une volonté de compromis, la commission des lois a proposé un dispositif alternatif, qui lui a semblé plus équitable. Le juge électoral sera invité à moduler la durée des inéligibilités prononcées, afin que les candidats ayant commis des irrégularités comparables lors d’un même scrutin soient déclarés inéligibles pour les mêmes échéances électorales. C’est donc le « point d’arrivée », et non plus le « point de départ », qui serait pris en compte.
La commission a également clarifié l’inéligibilité prononcée contre les parlementaires pour manquement à leurs obligations fiscales, notamment pour confirmer que les fautifs ont l’interdiction, pendant la durée de leur inéligibilité, de se présenter à d’autres scrutins.
Enfin, les textes proposés par Alain Richard visent à sécuriser la propagande électorale et les opérations de vote. Le droit en vigueur comporte, en effet, plusieurs ambiguïtés en cette matière, que notre collègue vient de développer.
La commission des lois a profité des dispositions prises en matière de tenue des réunions électorales pour élargir les conditions dans lesquelles les Français de l’étranger peuvent tenir des réunions électorales, même en amont des campagnes, et pour clarifier les règles de propagande des élections sénatoriales, qui présentaient de nombreuses lacunes.
S’agissant des bulletins de vote, il est proposé d’y interdire l’apposition de la photographie ou de la représentation des tierces personnes, mais également du candidat ou de son suppléant. Étonnamment, le Conseil constitutionnel avait admis, dans une décision rendue en décembre 2017, la représentation sur un bulletin de vote aux élections législatives d’une tierce personne, maire d’une commune et ancien député de la circonscription, alors que cela pouvait induire en erreur les électeurs.
Nous aurons un débat pour étendre cette disposition aux affiches des candidats. J’y suis personnellement opposé – c’est aussi le cas, je crois, de la majorité des membres de la commission –, car, en la matière, il me semble que la liberté d’expression et la vivacité du débat démocratique doivent prévaloir.
En outre, la proposition de loi tend à inscrire dans le code électoral la tradition républicaine selon laquelle les règles électorales ne sont pas modifiées dans l’année précédant le scrutin. Ce principe de bon sens, que nous avons tous apprécié à différentes occasions, permettra d’éviter les accusations de « tambouille électorale ». Le pouvoir réglementaire sera tenu de respecter cette règle, mais le pouvoir législatif, à l’inverse, aura toujours toute latitude pour y déroger au cas par cas, lorsque cela sera nécessaire.
En conclusion, mes chers collègues, la commission des lois vous invite à adopter la proposition de loi et la proposition de loi organique telles qu’elle les a amendées.
Permettez-moi de remercier l’auteur de ces textes de sa confiance, ainsi que les membres de la commission des lois, au travers de son président, de m’avoir accompagné, avec une redoutable efficacité et une grande bienveillance, dans cette première fonction de rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – MM. Philippe Bonnecarrère et Roger Karoutchi applaudissent également.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, monsieur le président et monsieur le rapporteur de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, le 21 février, le Conseil constitutionnel a rendu une décision dans laquelle il fait part de ses observations relatives aux dernières élections législatives.
Cette décision était riche d’enseignements et de propositions pour améliorer notre droit électoral.
Nous savons effectivement, et vous le savez bien en qualité d’élus, que le droit électoral recèle parfois de petites zones d’ombre involontaires, qui peuvent semer le trouble chez les électeurs, mais aussi chez les candidats, et poser des difficultés au juge électoral. Je ne doute pas que vous êtes nombreux ici à vous être demandé, à chaque élection, si l’échéance était bien fixée au vendredi ou au samedi minuit. Je ne voudrais pas faire état de mon expérience personnelle, mais un doute m’a souvent assailli au moment de répondre à cette question !
Les remarques du Conseil constitutionnel pour améliorer notre droit devaient attirer notre attention et méritaient d’être inscrites dans le droit. Je souhaite donc remercier Alain Richard de cette initiative, comme du travail remarquable qu’il a mené autour de ces textes. Je connais, monsieur Richard, votre engagement constant pour la clarification du droit.
Je reviens maintenant plus précisément sur le contenu des propositions de loi et sur ce qui me semble constituer leurs avancées les plus significatives. J’en vois deux principales.
Tout d’abord, la proposition de loi prévoit un effort sensible et nécessaire d’harmonisation des règles relatives à la campagne électorale.
Ainsi, en l’état du droit, et du fait d’une divergence entre la partie législative et la partie réglementaire du code électoral, la tenue de réunions publiques est possible la veille du scrutin, tandis que la distribution de matériel électoral, le collage d’affiches ou l’émission de messages électoraux dans les médias ou sur les réseaux sociaux sont interdits depuis le vendredi soir, à minuit, ou le samedi matin, à zéro heure.
Il y avait là un véritable paradoxe, qu’il fallait lever. La proposition de loi le permet, en fixant la fin de toutes les opérations de campagne électorale – sans exception – à la veille du scrutin à zéro heure, c’est-à-dire au douzième coup de minuit dans la nuit du vendredi au samedi. Ainsi, les règles sont clarifiées et les candidats pourront souffler vingt-quatre heures avant d’entrer dans le « chaudron » du jour du vote.
Cette disposition garantit, à la fois, l’égalité entre tous les candidats et la clarté, puisque la même obligation de fin de campagne s’appliquera à tous les actes.
L’autre grande avancée permise par ce texte consiste à rendre toute leur sincérité aux bulletins de vote. La loi interdit déjà de faire figurer sur un bulletin de vote le nom d’une personne qui ne s’est pas portée candidate. Cependant, cette interdiction fait l’objet d’une jurisprudence assez permissive. Grâce à ce texte, nous avons l’occasion de remettre les choses en place.
Ainsi, l’interdiction de faire mention du nom d’un tiers sur un bulletin de vote est explicitement renforcée au travers de cette proposition de loi. Cela évitera des détournements ou des pièges pour les électeurs.
Par ailleurs, certains candidats avaient également poussé leur avantage jusqu’à faire figurer, sur leurs bulletins de vote, des photos de tiers… Cela me semble très néfaste, et surtout malhonnête vis-à-vis des électeurs du fait des dérives auxquelles on peut aboutir. Le texte permet de mettre un terme à de telles démarches, en interdisant formellement la présence de photos ou de représentations autres que celles des candidats sur leurs bulletins de vote.
Je tiens à souligner que la proposition de loi d’Alain Richard permet bien d’autres progrès pour notre loi électorale, y compris en dehors des recommandations émises par le Conseil constitutionnel.
Je pense, en particulier, aux précisions sur les délais et la qualité de la déclaration de situation de patrimoine à produire pour prétendre au remboursement des frais de campagne. Le code électoral était jusqu’ici trop flou et cette proposition de loi règle la question, en se fondant sur les propositions de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, la HATVP.
Ces propositions de loi organique et ordinaire permettent donc de faire progresser notre droit électoral et c’est pourquoi, au nom du Gouvernement, j’émets sur ces dernières un avis tout à fait favorable.
Je sais que nous risquons d’être pris par le temps lors de leur examen. Compte tenu de leur importance, le Gouvernement veillera à ce qu’elles soient, si c’est nécessaire, réinscrites dans les meilleurs délais à l’ordre du jour. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’adaptation des règles électorales aux difficultés ou évolutions constatées lors de leur mise en œuvre est toujours utile pour la vitalité démocratique. Lorsque les fonctions électives sont fragilisées, comme on le constate aujourd’hui, cette adaptation devient impérative.
En ce sens, l’initiative de notre collègue Alain Richard, prise à la suite de la publication, en février dernier, des observations du Conseil constitutionnel relatives aux élections législatives des 11 et 18 juin 2017, est particulièrement bienvenue. Il faut d’ailleurs souligner sa grande réactivité. Les membres du groupe du RDSE regrettent que le pouvoir réglementaire ne mette pas autant d’ardeur à prendre des décrets d’application une fois la loi adoptée !
L’ensemble des modifications proposées, qu’il s’agisse de la simplification des règles comptables s’appliquant aux candidats, de la clarification des règles de propagande électorale ou encore de l’adaptation du point de départ des décisions d’inéligibilité aux réalités des procédures contentieuses, nous semblent aller dans le bon sens. Les amendements introduits par notre rapporteur modifient certains points techniques des deux propositions de loi, sans en trahir l’esprit. C’est pourquoi nous sommes a priori favorables à leur adoption.
En effet, chacun conviendra ici que l’annulation d’une élection par le juge n’est jamais satisfaisante, laissant planer une ombre de discrédit sur l’ensemble des élus. Pour autant, cette initiative rappelle à nos concitoyens que les candidats à une élection s’exposent à une grande insécurité juridique, du fait de la complexité des règles électorales, mais aussi de l’incertitude liée à l’issue du scrutin, conditionnant les obligations qui leur seront applicables.
C’est, par exemple, le cas des règles de contrôle des comptes de campagne. Dès lors qu’une dérogation existe au-dessous du seuil de 1 %, selon les règles actuelles, on comprend que des petits candidats, ayant peu d’espoir sur l’issue du scrutin, ne prennent pas toutes les précautions nécessaires pour se mettre en règle, tant ces régularisations comportent un coût non négligeable.
D’autres notions, aux contours mal définis, car strictement jurisprudentiels, comme celle de « dépense électorale », rendent plus incertaine leur aptitude à se conformer aux règles en vigueur. Notre collègue Josiane Costes a d’ailleurs déposé des amendements de clarification en ce sens.
Ainsi, les irrégularités constatées par le juge sont moins révélatrices de la faible moralité des candidats que de la complexité des règles applicables.
Certains vont même jusqu’à considérer que ces règles forment une barrière d’entrée décourageante pour les candidats les moins bien conseillés, et qu’elles accaparent une partie du temps qu’ils pourraient mettre utilement à profit pour l’élaboration de propositions au contact de leurs électeurs. Elles sont cependant incontournables dans le cadre d’un financement en majorité public de la vie politique française, dès lors que tout engagement de deniers publics doit être justifié.
Leur renforcement, depuis 1995, a d’ailleurs pour objectif d’assainir le financement de notre vie démocratique et de prévenir l’influence de puissances financières ou étrangères sur l’issue des suffrages. De nombreux États européens disposent d’ailleurs d’une législation comparable et ont été amenés à en renforcer la transparence, sous l’influence notable du Conseil de l’Europe.
Toutefois, plusieurs voix s’élèvent contre le régime de financement actuel, pour proposer des systèmes alternatifs comme, par exemple, la création d’une « banque de la démocratie » ou le passage à un financement strictement privé et transparent comme au Royaume-Uni. A contrario, d’autres proposent le renforcement du financement public, avec un rapprochement de l’encadrement des dons des particuliers, considérant que, dans leur écrasante majorité, les Français n’ont pas les moyens de donner 7 500 euros à la formation politique de leur choix.
Une réflexion globale sur le sujet, monsieur le ministre, pourrait s’engager en parallèle de la réforme des institutions en cours de préparation. Ce questionnement est légitime, car, comme l’estiment certains économistes, le financement de la vie politique coûterait 32 euros par an à chaque Français, par le biais des impôts.
Néanmoins, la nécessité de simplification et d’adaptation du code électoral à l’évolution des attentes de nos concitoyens dépasse les seules dispositions du texte adopté par la commission des lois, comme en témoigne le grand nombre d’amendements déposés pour la séance.
C’est peut-être le seul regret que nous exprimons à ce stade : la grande réactivité de notre collègue ne nous permet pas de conduire un travail de toilettage plus approfondi.
Cette initiative aurait par exemple pu être l’occasion d’analyser les défauts de l’encadrement du cumul des mandats, en particulier le sort des suppléants : aucune disposition n’a été prévue pour que ceux-ci retrouvent leurs fonctions initiales à la fin de leur suppléance.
Les amendements de notre collègue Jean-Pierre Corbisez visent également à alerter sur les « candidats TGV », c’est-à-dire ceux qui participent à des élections sur des territoires avec lesquels ils n’ont aucun lien effectif ou affectif. Le phénomène est actuellement rendu possible par la trop grande panoplie des pièces admises pour prouver sa résidence dans une commune par les services de l’État.
Cette remarque me permet de rappeler les défaillances du contrôle préfectoral sur l’organisation des élections, problème sur lequel le groupe du RDSE a déjà insisté par le passé. Tant que ce contrôle ne sera pas renforcé, il sera plus difficile de faire respecter les décisions d’inéligibilité ou la suspension du droit de vote pour les personnes dont l’altération de l’entendement a été reconnue par une décision d’incapacité.
Enfin, lors de l’examen de ce texte, certains amendements pourraient nous faire revenir sur notre position favorable s’ils étaient adoptés. Je pense par exemple à celui qui a pour objet de modifier la règle de découpage des circonscriptions électorales, amendement rejeté en commission. Nous restons en effet favorables à ce que ces dernières restent découpées à partir de la population, et non du nombre d’électeurs. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Françoise Gatel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après la fin des années quatre-vingt, marquées par ce que l’on a appelé des « affaires politico-financières », c’est-à-dire des financements occultes et des fraudes, les années quatre-vingt-dix ont constitué un tournant ; plusieurs textes successifs sont venus organiser de manière stricte les règles de financement de la vie politique, notamment des campagnes électorales.
Je salue la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. Elle découle d’observations du Conseil constitutionnel. Elle vise à clarifier en apportant de la cohérence aux dispositions du droit électoral, notamment celles qui concernent les comptes de campagne et la propagande électorale.
L’agrégat de dispositions pour le moins sédimentées au sein du code électoral, modifiées au fil du temps sans véritable réflexion globale, a affaibli la lisibilité et la cohérence des procédures électorales. En effet, depuis 2011, sept lois ont modifié le chapitre relatif au financement et au plafonnement des dépenses électorales. Les démarches administratives complexes créées par cet enchevêtrement juridique posent d’autant plus problème que le nombre de candidats ayant dû déposer un compte de campagne est en hausse notable. De ce fait – cela a été rappelé –, le risque de contentieux s’est accru, et les instances chargées du contrôle sont en surrégime.
Je salue ainsi la proposition du rapporteur dispensant les candidats ayant obtenu moins de 5 % des suffrages et dont les recettes et dépenses n’excèdent pas un certain montant de recourir à un expert-comptable. Une telle obligation peut en effet se révéler inutile et excessivement coûteuse, sans être systématiquement source de clarté supplémentaire…
Le texte apporte plus de lisibilité en harmonisant les règles d’inéligibilité pour les candidats aux élections municipales, départementales ou régionales. Il reviendra au juge de prononcer l’inéligibilité lorsque les comptes seront rejetés « à bon droit », en cas de manquement d’une particulière gravité ou de volonté de frauder. Il ne s’agit donc plus d’une obligation. Cette marge d’appréciation permettra ainsi au juge de ne pas prononcer l’inéligibilité pour des erreurs vénielles.
Mais les magistrats peuvent parfois faire preuve d’une rigueur excessive dans leur interprétation. Nous nous souvenons tous de collègues de bonne foi déclarés inéligibles pour avoir procédé à une avance de certaines menues dépenses de campagne alors qu’ils ne pouvaient pas faire autrement.
Aujourd’hui, l’inéligibilité, lorsqu’elle est prononcée, peut avoir des répercussions variables, donc inéquitables. Elle prend effet à partir de la décision du juge. Or, pour la même élection, le délai d’instruction varie d’un dossier à l’autre, a fortiori avec l’engorgement lié à la hausse des contentieux. Ainsi, un candidat dont le dossier aura été instruit très rapidement pourra avoir la possibilité de se présenter au scrutin suivant, ce qui n’est pas le cas de celui dont le jugement ne sera prononcé que quelques mois plus tard.
Je salue donc la proposition du rapporteur visant à moduler la durée de l’inéligibilité, notamment au regard du calendrier électoral, afin de garantir une équité entre deux ou plusieurs candidats en situation similaire.
Une autre incohérence existe à ce jour. Il est possible de faire une réunion publique la veille de l’élection jusqu’à minuit, mais pas de distribuer le moindre document de propagande : c’est interdit dès l’avant-veille. La proposition de loi revient utilement sur une telle incohérence pour harmoniser et simplifier les délais.
Par ailleurs, la standardisation des bulletins de vote, sans photo ni nom d’une tierce personne, nous semble aller dans le bon sens, afin d’éviter d’induire les électeurs en erreur, parfois d’une manière lourde, mais peu visible.
Vous l’avez compris, le groupe Union Centriste estime que les dispositions de cette proposition de loi sont positives, car elles réduisent les incohérences et des complexités inutiles. Il votera en faveur de ce texte, en formulant toutefois un vœu : si je salue la réactivité et la célérité de l’auteur de cette proposition de loi et l’enthousiasme du Gouvernement, je pense que nous pourrions nous inspirer plus souvent d’une telle réactivité et célérité dans la fabrique de la loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le code électoral, qui fut créé en 1956, a été conçu comme un instrument de clarification à destination des électeurs et des candidats. Réunissant les modes de scrutin des élections locales et parlementaires, il s’est substitué à plus de quatre-vingt-dix textes éparpillés et sans cohérence.
Sa structure n’a pas été revue depuis, malgré les tentatives de la Commission supérieure de codification, à la fin des années 2000. En outre, la présence de dispositions de valeur organique exclut tout recours aux ordonnances, outil privilégié pour créer de nouveaux codes ou les réorganiser.
Le code électoral rassemble ainsi des articles récents, en voie de sédimentation, et des dispositions très anciennes, comme celle qui renvoie encore aux lois fondatrices de la IIIe République.
Sans revoir l’ensemble de ce code, les deux textes de notre collègue Alain Richard ont deux objectifs : d’une part, ils clarifient le contrôle des comptes de campagne et les règles d’inéligibilité ; d’autre part, ils encadrent mieux la propagande électorale, ainsi que les opérations de vote. Ils s’inspirent directement des observations formulées par le Conseil constitutionnel sur les élections législatives de 2017. Toutefois, ils concernent l’ensemble des élections, y compris les élections locales.
Je me réjouis tout particulièrement des efforts de clarification de ces textes, qui ont été enrichis par la suite en commission des lois par diverses mesures d’ordre technique.
J’en viens au contrôle des dépenses électorales. La commission n’a pas souhaité modifier le périmètre des comptes de campagne, craignant de fragiliser les contrôles de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, la CNCCFP. Je me félicite qu’elle ait privilégié d’autres mesures pour alléger les démarches administratives des candidats, comme l’élargissement de la dispense de recourir à un expert-comptable.
La commission des lois a également veillé à assurer une certaine équité entre les candidats déclarés inéligibles sans modifier le point de départ de l’inéligibilité. Ainsi, le juge électoral serait invité à moduler la durée des inéligibilités prononcées, afin que les candidats ayant commis des irrégularités comparables soient déclarés inéligibles pour les mêmes échéances électorales ; cela a été très bien souligné par le rapporteur.
En matière de propagande, la commission a admis l’interdiction d’organiser des réunions électorales la veille de l’élection, et plus seulement le jour du scrutin, notamment pour répondre au risque de contentieux et sécuriser la campagne des candidats. Je salue cette disposition, car la possibilité de faire campagne jusqu’au samedi soir constitue un vrai nid à contentieux. Beaucoup de candidats ont ainsi été piégés alors qu’ils étaient de bonne foi. La commission a également facilité la tenue de réunions électorales pour les Français établis hors de France.
Elle a aussi clarifié les règles de propagande pour les élections sénatoriales, corrigeant une imprécision du code électoral. Elle a ainsi prohibé toute propagande électorale la veille de ces élections et a interdit à un candidat de porter en fin de campagne à la connaissance du public un élément nouveau auquel ses adversaires ne seraient pas en mesure de répondre.
De même, elle a interdit les publicités à caractère commercial dans les six mois qui précèdent le scrutin. Elle a mieux encadré le contenu des bulletins de vote, notamment pour interdire l’apposition d’une photographie et la mention d’une tierce personne.
Enfin, la commission des lois a inscrit dans le code électoral la tradition républicaine selon laquelle les règles électorales ne sont pas modifiées dans l’année qui précède le scrutin.
Tendant à clarifier le code électoral, à mieux l’encadrer et à le sécuriser, les deux textes que nous examinons font œuvre utile. Aussi, mon groupe les votera. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Di Folco. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Di Folco. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les deux propositions de loi en discussion visent à rénover plusieurs aspects du droit électoral.
Cette initiative correspond à un besoin bien identifié de clarification, d’actualisation et de lisibilité de la norme électorale. La commission des lois du Sénat l’avait déjà souligné en 2011, dans un rapport d’information relatif à l’évolution de la législation applicable aux campagnes électorales déposé, entre autres, par nos collègues Jean-Pierre Vial et Yves Détraigne.
Il est vrai que, par leur technicité et leur champ restreint, les détails de la loi électorale ne sont pas de prime abord les sujets qui font l’objet de grands débats parmi nos concitoyens. Néanmoins, cette norme est essentielle au bon fonctionnement de la démocratie. Une loi électorale claire, équitable et efficace renforce la confiance des citoyens envers leurs élus et le processus démocratique dans son ensemble.
C’est aussi dans cet esprit que la codification des normes électorales a été effectuée en 1956. Ces normes ont beaucoup évolué depuis lors, ce qui rend tout à fait légitime un effort de mise à jour. C’est donc avec une attention toute particulière que nous examinons les deux propositions de loi, qui œuvrent en ce sens.
La diversité des enjeux pratiques, juridiques et démocratiques abordés n’en fait pas pour autant un inventaire à la Prévert. Ces textes portent sur des questions importantes : dépenses électorales, règles d’inéligibilité et propagande électorale.
D’une part, la proposition de loi organique concerne tout particulièrement l’inéligibilité des parlementaires nationaux et les questions financières. Elle simplifie certaines rédactions et renforce l’importance de la notion de « volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales ». Des amendements de la commission ont également remanié un dispositif destiné à permettre au juge de moduler la durée des inéligibilités en fonction du calendrier électoral, afin de faire en sorte que les durées variables des procédures ne conduisent pas à des inégalités entre candidats justiciables ; tout cela a été fort bien expliqué.
D’autre part, la proposition de loi ordinaire s’inscrit dans la même logique de consolidation et de simplification du droit électoral. Tout comme la proposition de loi organique, elle contient des mesures relatives au financement des campagnes électorales. Sans revenir sur l’ensemble des dispositions, parfois relativement techniques, je mentionne l’élargissement de la dispense d’expertise-comptable aux candidats ayant obtenu moins de 5 % des voix et l’harmonisation du délai d’instruction devant la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.
D’autres dispositions concernant la propagande électorale et les opérations de vote viennent également corriger certaines incohérences et lacunes.
Ainsi, il résulte d’une loi de 1881 que des réunions électorales peuvent encore se tenir la veille du scrutin à l’exclusion de toute autre manifestation ou distribution de matériel de propagande. L’article 4 de la proposition de loi aligne ce régime sur celui des autres formes de propagande, tandis que l’article 5 explicite les dispositions du code électoral relatives au contenu à inscrire, et à ne pas inscrire, sur les bulletins de vote. Dans cette même logique, l’article 5 bis, ajouté par la commission, clarifie certaines règles de propagande plus spécifiques aux élections sénatoriales, pour lesquelles un certain risque de contentieux a pu être identifié.
Enfin, le texte propose également de consacrer au plan législatif le principe de stabilité du droit électoral durant l’année précédant le scrutin. Ce principe, qui relevait jusqu’ici de la tradition républicaine, s’appliquerait à l’ensemble des élections, à l’exception de l’élection présidentielle.
Toutes ces mesures reflètent un travail fouillé et sérieux de clarification et de simplification. Ces textes devraient contribuer à une plus grande clarté du droit électoral tout en le consolidant là où se trouvaient des lacunes.
En œuvrant ainsi à l’amélioration de la qualité de la norme électorale, le Sénat inscrit également son action en cohérence avec les préconisations et la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Ce dernier avait en effet évoqué en 2017 la modulation de la durée des inéligibilités, afin de limiter les inégalités entre candidats.
En conclusion, le groupe Les Républicains votera en faveur de ces deux textes, qui présentent des ajouts globalement utiles à notre droit électoral. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela a été dit, mais répétons-le : il s’agit d’une proposition de loi qui clarifie et simplifie le droit électoral. Elle ne peut donc qu’être soutenue.
M. André Gattolin. Bravo !
M. Pierre-Yves Collombat. Premier exemple de simplification : la dispense de l’obligation de dépôt d’un compte de campagne pour les candidats ayant obtenu moins de 1 % des suffrages. Je défendrai un amendement tendant à étendre cette disposition aux candidats qui, ayant obtenu moins de 5 % des suffrages, n’ont ni bénéficié de dons ni engagé beaucoup de frais au cours de leur campagne. Il s’agit d’éviter les manœuvres de dispersion. On peut très bien n’avoir aucune chance d’être élu et empêcher, par des manipulations, d’autres de l’être…
M. André Gattolin. C’est vrai !
M. Pierre-Yves Collombat. Faute d’électeurs, il faut avoir de l’argent. En réglant le problème, nous pourrons limiter les dégâts.
Un autre exemple de simplification et clarification est beaucoup plus intéressant et important pour moi : la suppression de l’automaticité de la peine d’inéligibilité qui existe actuellement pour certains types de manquements seulement. N’en déplaise aux moralistes impénitents, cette disposition me semble d’autant plus judicieuse que l’évaluation des comptes de campagne est loin d’être une science exacte, comme on va le voir.
D’abord, le volume des dossiers à examiner dans le temps d’examen imposé ne met pas la CNCCFP à l’abri des erreurs et des approximations hâtives. Ainsi, lors des élections législatives de 2017, elle a dû contrôler 5 427 comptes de campagne en l’espace de six mois, l’examen des cas ayant fait l’objet d’une saisine du juge électoral étant traité en deux mois.
Les délais d’instruction sont donc réduits. En plus, il faut respecter le principe du contradictoire : les candidats mis en cause doivent pouvoir répondre aux observations de la CNCCFP.
Surtout, le périmètre des dépenses électorales à prendre en compte est un casse-tête, un labyrinthe dans lequel se perdent beaucoup de candidats, malgré les trente pages du guide du candidat et du mandataire.
Ainsi, le déjeuner d’une équipe de campagne ne constitue pas une dépense électorale, car il n’a pas d’effet direct sur les électeurs. À l’inverse, si l’équipe de campagne invite un journaliste à sa table, la dépense doit être déclarée à la CNCCFP. (Sourires.)
Côté recettes, les « concours en nature » sont particulièrement difficiles à cerner. Les services rendus à titre gratuit par des militants ne sont pas intégrés au compte de campagne, mais il faut prendre en considération leurs frais de déplacement, ainsi que leur action lorsqu’elle est en « lien direct » avec leur activité professionnelle.
Autre problème : lorsqu’une entreprise casse ses prix, s’agit-il d’un simple rabais, alors légal, au profit d’un candidat ou d’un don d’une personne morale, ce qui est illégal ? La CNCCFP admet des rabais commerciaux allant jusqu’à 20 % du prix du marché. Mais comment calculer ce dernier, notamment dans le secteur de la communication ?
Lors d’une audition réalisée dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2019, le président de la CNCCFP m’a confirmé que le coût des prestations de communication évoluait substantiellement en fonction du moment de la campagne, du délai de livraison et des éventuelles économies d’échelle ; c’est le même problème s’agissant de l’évaluation des marges facturées par les « ensembliers » qui organisent les meetings tout en faisant appel à des centaines de sous-traitants dont les factures ne sont communiquées ni aux candidats ni à la Commission.
Lors de la dernière élection présidentielle, pour la première fois, la CNCCFP a eu recours à des experts – cela a été évoqué – pour évaluer les dépenses de campagne dans différents domaines : la seule chose sur laquelle ils se sont accordés, c’est qu’il était impossible de définir un prix du marché pour certaines prestations !
Je souhaite formuler une observation subsidiaire. Que se passerait-il si le rejet du compte de campagne du vainqueur de la présidentielle aboutissait à une saisine du procureur ? Réponse du Conseil constitutionnel en 1995 : quelle que soit la grosseur des irrégularités, il vaut mieux valider le compte sans aller plus loin. C’est donc le compte de Jacques Cheminade qui a été rejeté, avec ce que cela signifie d’ennuis pour lui ! Au cas où vous l’auriez oublié, mes chers collègues, le président du Conseil constitutionnel était Roland Dumas et le Président de la République élu était Jacques Chirac. Mais imagine-t-on l’effet politique de l’invalidation d’un Président confortablement élu et son remplacement par un candidat qui n’aurait pas rassemblé la majorité des voix ? En l’occurrence, sauf erreur de ma part, il se serait agi du candidat arrivé en troisième position, puisque le compte de campagne du candidat arrivé deuxième aurait lui aussi dû être rejeté. C’est politiquement invraisemblable !
Par ailleurs, la jurisprudence de la CNCCFP est aussi à géométrie variable. Ainsi, lors de l’audition évoquée précédemment, le président de la Commission a reconnu que celle-ci n’avait pas saisi le procureur de la République pour un candidat à l’élection présidentielle de 2012 dont le compte de campagne avait été rejeté pour dépassement du plafond des dépenses électorales. Pourtant, elle le fait dans d’autres circonstances…
Au final, la proposition d’Alain Richard me paraît donc sage. À la CNCCFP de juger de la régularité de comptes de campagne difficiles à établir avec certitude : elle le fait honnêtement, avec les moyens dont elle dispose et les risques inhérents à ce genre d’exercice. Au juge le pouvoir de décider si des suites pénales doivent être données aux infractions constatées et, si oui, lesquelles. Ce n’est que prudence et justice.
C’est pour cela que le groupe CRCE votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Éric Kerrouche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1898, le député Charles Ferry pouvait s’exclamer : « Pourquoi, après cinquante ans d’exercice constant du droit électoral sous la forme actuelle, inventez-vous […] toutes ces chinoiseries ? »
Le code électoral, ce sont toutes ces « chinoiseries » qui permettent d’organiser la compétition politique et, en démocratie, de garantir l’expression libre du suffrage, consacrée par l’article 3 de la Constitution. Cette expression libre se fonde, bien entendu, sur les principes d’égalité devant le suffrage, à la fois des candidats et des électeurs, et de sincérité du scrutin, lequel renvoie notamment aux conditions de financement des partis politiques et des campagnes électorales.
Les deux textes que nous examinons aujourd’hui touchent donc à deux sujets d’autant plus fondamentaux qu’ils sont d’actualité : la démocratie et l’égalité. Ils s’appuient, comme cela a été dit, sur les observations du Conseil constitutionnel de 2017, qui reprennent d’ailleurs celles qui avaient été émises à l’occasion des élections législatives de 2012.
Ces textes ont par conséquent un double objectif : d’une part, clarifier le contrôle des dépenses électorales et les règles d’inéligibilité ; d’autre part, apporter des correctifs pour mieux encadrer la propagande électorale et les opérations de vote. Si nous souscrivons aux modifications proposées pour répondre à ce deuxième objectif, nous sommes beaucoup plus réservés sur celles qui sont relatives au prononcé de l’inéligibilité.
Il y a bien, dans ces propositions, des correctifs utiles en matière de propagande électorale et d’opérations de vote. Sans revenir dans le détail des dispositions présentées par ceux qui m’ont précédé à cette tribune, je veux évoquer la question du bulletin de vote et celle des instruments de propagande électorale, avec, probablement, un effet inattendu.
La clarification apportée à l’article 5 au sujet du contenu du bulletin de vote revêt une importance certaine. Entre 1848 et 1913, la normalisation des bulletins de vote et des instruments du vote a été une condition essentielle de la compétition équilibrée entre les différents candidats. Au début de la IIIe République, n’importe quel papier, par exemple du papier à lettres ou une feuille de cahier d’écolier, servait à confectionner un bulletin de vote. C’était aussi un moyen pour exprimer sa position sociale. Très vite, une standardisation a été instaurée, pas uniquement pour les bulletins de vote, mais pour l’ensemble des biens d’équipement politique : l’urne, l’isoloir, la feuille d’émargement, la disposition du bureau de vote, etc. Cette codification montre tout simplement l’effort de rationalisation de l’État au cours de l’histoire et une volonté de mettre en place des instruments privilégiant l’égalité démocratique.
La permanence de la possibilité de distinctions sur les bulletins nous semble donc problématique. Par ailleurs, elle ne participe pas à l’optimisation de la dépense publique, ce qui, historiquement, a été un motif pour l’État de standardisation, puisque le bulletin de vote est à sa charge.
Je veux signaler un autre point, probablement inattendu, à propos de la transposition dans le domaine législatif de la mention exclusive du nom du candidat, de son suppléant et du candidat pressenti pour présider l’organe délibérant concerné. Pour les établissements publics de coopération intercommunale, on arrive ainsi à une quasi-reconnaissance, peut-être indirecte, de l’élection du président ou de la présidente de l’intercommunalité au suffrage universel direct, puisque la faculté d’inscrire son nom sur le bulletin figure dans le texte. À titre personnel, j’y suis favorable. Mais je ne crois pas que c’était le motif d’une telle mesure…
Je veux à présent évoquer l’inéligibilité. Selon nous, la rédaction du texte restreint les possibilités de déclarer un candidat inéligible. Les modifications proposées nous semblent peu opportunes, sinon inutiles. Le droit en vigueur nous paraît suffisant.
L’inéligibilité deviendrait facultative en toute hypothèse alors qu’elle est aujourd’hui automatique en cas de volonté de fraude et prononcée à des conditions plus strictes et plus difficiles à établir pour le juge. Il est proposé d’inscrire la mention : « en cas de volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité » en préambule du nouveau régime de cette sanction. Il appartiendra donc demain au juge de prouver cette volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité, alors qu’il n’a pas à le faire aujourd’hui. La constance de la jurisprudence démontre que les erreurs matérielles ne donnent pas lieu à une inéligibilité, et le juge a su mettre en place une proportionnalité de la sanction.
En vertu de la jurisprudence du Conseil d’État, pour apprécier s’il y a lieu de faire usage de la faculté de déclarer un candidat inéligible, il appartient au juge de l’élection de tenir compte de la nature de la règle méconnue, du caractère délibéré ou non du manquement, de l’existence éventuelle d’autres motifs d’irrégularité du compte et du montant des sommes en cause. Eu égard à cette jurisprudence, la proposition de loi constitue, selon nous, une remise en cause inutile des règles en matière de transparence et de financement de la vie politique.
Par ailleurs, si le Conseil constitutionnel a, certes, invité dans ses observations à une harmonisation des rédactions pour une meilleure lisibilité de la loi, il ne caractérise pas pour autant précisément celle-ci et ne semble pas proposer une harmonisation par le bas.
En outre, s’il s’orientait vers des dispositions moins répressives et une proportionnalité de la sanction dans ses précédentes observations, le Conseil constitutionnel a aussi proposé d’autres modalités de sa saisine par la CNCCFP, en s’appuyant sur une inversion du contentieux. Cette idée n’a pas été reprise par l’auteur de la proposition de loi. Pourtant, elle présentait à nos yeux l’avantage de la simplification.
Permettez-moi de m’étonner de cette proposition. En effet, si les candidats à une élection ne méritent aucun opprobre, ils ne doivent pas pour autant bénéficier de règles spécifiques.
À ce titre, la proposition nous surprend de la part d’un parti politique qui a fait de l’exemplarité des élus sa marque de fabrique, sinon un argument de campagne. Et un article de presse récent titrait : « Loi électorale : les sénateurs s’arrangent avec les préconisations du Conseil constitutionnel ».
S’il ne s’agit pas de verser dans une forme de démocratie d’opinion ou de conditionner nos décisions à leur retentissement médiatique, il convient de constater que cet article souligne l’effet amplificateur que peuvent avoir des dispositions qui, par ailleurs, n’apportent pas de plus-value particulière. En somme, le symbole est fort, mais sans commune mesure avec les dispositions proposées.
Pour conclure, si cette proposition de loi apporte, c’est vrai, des correctifs utiles, elle remet en question des règles de transparence et manque d’ambition sur la vie électorale et politique, alors même que le chef de l’État nous promet la mise en place d’un statut de l’élu.
On pourrait aussi regretter l’absence de traitement de l’« ivresse des sondages » qui s’est emparée de nous depuis plusieurs années, et qui contribue par trop à la fabrique de l’opinion.
On pourrait tout autant évoquer le financement de la démocratie, lequel reste profondément inégalitaire : la banque de la démocratie n’a finalement jamais vu le jour pour des motifs, il est vrai, soulignés par le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi qui l’a instaurée, ce qui n’a pas empêché le Gouvernement de faire légiférer le Parlement en la matière.
Les pouvoirs d’injonction du médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques restent, quant à eux, mineurs puisqu’ils avaient notamment été pensés par rapport à cette banque de la démocratie qui n’a pas été mise en place.
Pour toutes ces raisons, nous réservons notre vote à l’issue de l’examen de cette proposition de loi ; mais les articles relatifs à l’inéligibilité font, en tout état de cause, obstacle à un vote favorable de notre part. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Je ne surprendrai pas le Sénat en rappelant la chaleureuse solidarité qui règne au sein de mon groupe. Je peux par conséquent présumer que mes amis considéreront les propos que j’ai tenus au début de la discussion générale comme exprimant la position de ce dernier, ce qui me permet d’abréger mon intervention. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. le président de la commission des lois applaudit également).
M. André Gattolin. Je confirme !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre. Je veux remercier les différents intervenants, lesquels partagent la philosophie, la culture et l’ambition d’une clarté et d’une efficacité plus grandes.
Certaines propositions vont plus loin que ce que prévoit le texte, notamment celles qui sont relatives à l’accès au crédit. Ce sujet a été abordé il y a quelques mois et je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous menez une réflexion sur ce point dans un cadre différent de celui du présent texte. Le Gouvernement est attentif à cette question, en lien avec le médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques.
Si j’ai bien noté que l’unanimité n’était pas totale sur cette proposition de loi, j’observe qu’il y a une volonté de convergence qui doit nous permettre d’avancer. Le Gouvernement se tient à la disposition des sénateurs pour y travailler avec eux lors de l’examen des amendements.
M. le président. La discussion générale commune est close.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous rappelle que nous devrons suspendre l’examen des textes que nous examinons au terme du délai de quatre heures prévu dans le cadre de l’ordre du jour réservé au groupe La République En Marche, soit à dix-huit heures quarante-cinq. Si tel n’est pas le cas, il reviendra à la conférence des présidents d’inscrire la suite de leur discussion à l’ordre du jour d’une séance ultérieure.
Nous passons à la discussion du texte de la commission sur la proposition de loi visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral.
proposition de loi visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral
Chapitre IER
Encadrement du financement des campagnes électorales et règles d’inéligibilité
Articles additionnels avant l’article 1er
M. le président. Les amendements nos 8, 9 et 12 ne sont pas soutenus.
L’amendement n° 28 rectifié, présenté par MM. Grand et Karoutchi, Mmes Micouleau et Deromedi, MM. Lefèvre et Laménie, Mme Berthet, M. Grosdidier, Mme Primas et MM. Mayet, Houpert et Raison, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le deuxième alinéa de l’article L. 52-6 du code électoral, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour recueillir des fonds, le mandataire financier peut avoir recours à des prestataires de services de paiement définis à l’article L. 521-1 du code monétaire et financier selon des modalités fixées par décret en Conseil d’État. »
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. À la suite des élections législatives de juin 2017, le Conseil constitutionnel a été saisi pour la première fois de la question suivante : un candidat peut-il valablement recevoir des dons par l’intermédiaire de l’opérateur de paiement en ligne PayPal ? Il y a répondu par la négative en excluant le recours à un système de paiement faisant transiter les fonds par un compte tiers, même lorsque celui-ci est ouvert au nom du mandataire financier.
Il est proposé d’assouplir les dispositions en vigueur en permettant le recours à une telle modalité moderne de recueil de dons par les candidats et en renvoyant à un décret en Conseil d’État le soin de fixer un cadre garantissant la traçabilité des opérations financières, notamment la fiabilité de la justification de la qualité de personne physique des donateurs.
Naturellement – je le dis dès à présent, monsieur le président, afin que nous puissions avancer plus vite –, je suis très favorable au sous-amendement que va présenter le Gouvernement.
M. le président. Le sous-amendement n° 48, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Amendement n° 28
I. – Après l’alinéa 2
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Après le deuxième alinéa de l’article L. 52-5 du code électoral, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour recueillir des fonds, l’association de financement électorale peut avoir recours à des prestataires de services de paiement définis à l’article L. 521-1 du code monétaire et financier. Un décret en Conseil d’État détermine les modalités de ces transferts financiers afin de garantir la traçabilité des opérations financières et le respect des dispositions prévues à l’article L. 52-8 du code électoral. »
II. – Alinéa 4
Remplacer les mots :
selon des modalités fixées par décret en Conseil d’État
par une phrase ainsi rédigée :
Un décret en Conseil d’État détermine les modalités de ces transferts financiers afin de garantir la traçabilité des opérations financières et le respect des dispositions prévues à l’article L. 52-8 du code électoral.
III. – Compléter cet amendement par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – La loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique est ainsi modifiée :
1° L’article 11-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Pour recueillir des fonds, l’association de financement d’un parti peut avoir recours à des prestataires de services de paiement définis à l’article L. 521-1 du code monétaire et financier. Un décret en Conseil d’État détermine les modalités de ces transferts financiers, afin de garantir la traçabilité des opérations financières et le respect des dispositions prévues à l’article 11-4 de la présente loi. » ;
2° L’article 11-2 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Pour recueillir des fonds, le mandataire financier peut avoir recours à des prestataires de services, de paiement définis à l’article L. 521-1 du code monétaire et financier. Un décret en Conseil d’État détermine les modalités de ces transferts financiers, afin de garantir la traçabilité des opérations financières et le respect des dispositions prévues à l’article 11-4 de la présente loi. »
La parole est à M. le ministre pour présenter ce sous-amendement et pour donner l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 28 rectifié.
M. Christophe Castaner, ministre. Je comprends parfaitement la logique de l’amendement que vient de présenter M. Karoutchi. Il a l’assentiment du Gouvernement, dès lors qu’il s’agit de faciliter l’accès des candidats au financement public pour leur campagne électorale.
Le présent sous-amendement vise à étendre le bénéfice de ce moyen moderne de collecte des fonds aux mandataires financiers des candidats en tant que personnes morales. Cet élargissement de la procédure tend à mettre en place un dispositif plus complet et plus efficace.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. La commission est très favorable à l’amendement comme au sous-amendement.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, avant l’article 1er.
Les amendements nos 11 et 10 ne sont pas soutenus.
Article 1er
I. – L’article L. 52-12 du code électoral est ainsi modifié :
1° Au début, sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :
« I. – Chaque candidat ou candidat tête de liste soumis au plafonnement des dépenses électorales prévu à l’article L. 52-11 est tenu d’établir un compte de campagne lorsqu’il a obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés, ou s’il a bénéficié de dons de personnes physiques conformément à l’article L. 52-8 et selon les modalités prévues à l’article 200 du code général des impôts.
« Pour la période mentionnée à l’article L. 52-4 du présent code, le compte de campagne retrace, selon leur origine, l’ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l’ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l’élection par le candidat ou le candidat tête de liste ou pour son compte, à l’exclusion des dépenses de la campagne officielle. » ;
2° Les deux premières phrases du premier alinéa sont supprimées ;
3° Après le même premier alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Sous réserve du règlement de dépenses engagées avant le premier tour de scrutin, le compte de campagne des candidats présents au seul premier tour ne peut retracer de dépenses postérieures à la date de celui-ci.
« La valeur vénale résiduelle des immobilisations éventuellement constituées au cours de la période mentionnée à l’article L. 52-4 doit être déduite des charges retracées dans le compte de campagne. » ;
4° Le deuxième alinéa est ainsi modifié :
a) Au début, est ajoutée la mention : « II. – » ;
b) Les quatre dernières phrases sont supprimées ;
5° Après le même deuxième alinéa, il est inséré un III ainsi rédigé :
« III. – Le compte de campagne est présenté par un membre de l’ordre des experts-comptables. Ce dernier met le compte de campagne en état d’examen et s’assure de la présence des pièces justificatives requises.
« Cette présentation n’est pas nécessaire :
« 1° Lorsque le candidat ou le candidat tête de liste n’est pas tenu d’établir un compte de campagne, en application du I du présent article ;
« 2° Ou lorsque le candidat ou le candidat tête de liste a obtenu moins de 5 % des suffrages exprimés et que les recettes et les dépenses de son compte de campagne n’excèdent pas un montant fixé par décret. Dans ce cas, il transmet à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques les relevés du compte bancaire ouvert en application des articles L. 52-5 et L. 52-6. » ;
6° Le troisième alinéa est supprimé ;
7° Le début de la première phrase du quatrième alinéa est ainsi rédigé : « IV. – La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques assure la publication… (le reste sans changement). » ;
8° Au début du cinquième alinéa, est ajoutée la mention : « V. – » ;
9° À l’avant-dernier alinéa, les mots : « aux dispositions du deuxième alinéa » sont remplacés par les mots : « au II du présent article ».
II (nouveau). – L’article L. 415-1 du code électoral est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Pour l’application du 2° du III de l’article L. 52-12, les mots : “moins 5 % des suffrages exprimés” sont remplacés par les mots : “moins 3 % des suffrages exprimés”. »
III (nouveau). – L’article 19-1 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen est complété par un IV ainsi rédigé :
« IV. – Par dérogation au 2° du III de l’article L. 52-12 du code électoral, la présentation du compte de campagne par un membre de l’ordre des experts-comptables n’est pas nécessaire lorsque le candidat tête de liste a obtenu moins de 3 % des suffrages exprimés et que les recettes et les dépenses de son compte de campagne n’excèdent pas un montant fixé par décret. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 49, présenté par M. Collombat, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3
1° Remplacer le taux :
1 %
par le taux :
5 %
2° Compléter cet alinéa par les mots et une phrase ainsi rédigée :
, ou, lorsque le candidat ou le candidat tête de liste a obtenu moins de 5 % des suffrages exprimés et que les recettes et les dépenses de son compte de campagne n’excèdent pas un montant fixé par décret. Dans ce cas, il transmet à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques les relevés du compte bancaire ouvert en application des articles L. 52-5 et L. 52-6 du présent code.
II. – Alinéa 14
Après le mot :
nécessaire
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
lorsque le candidat ou le candidat tête de liste n’est pas tenu d’établir un compte de campagne, en application du I du présent article. »
III. – Alinéas 15 et 16
Supprimer ces alinéas.
IV. – Alinéas 22 et 24
Remplacer les références :
2° du III
par la référence :
I
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. J’ai déjà défendu cette proposition à la tribune : il s’agit d’étendre la possibilité de ne pas déposer de compte de campagne aux candidats qui auraient recueilli moins de 5 % des suffrages.
Pour bénéficier de cette prérogative, ces candidats ne devront avoir ni dépassé un plafond de dépenses fixé par décret ni reçu de dons ; il s’agit ainsi d’éviter les manipulations.
Cette simplification me paraît utile, dans la mesure où notre objectif à tous est d’y voir plus clair.
M. le président. Les amendements nos 13 et 14 ne sont pas soutenus.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 49 ?
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. Faire passer le seuil à 5 % reviendrait à exonérer près de 60 % des comptes de campagne de toute obligation. La commission a préféré prévoir des dispositifs alternatifs à cette mesure. Son avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christophe Castaner, ministre. Il ne saurait y avoir plus de la clarté s’il y a moins de transparence. Se pose en outre un problème technique de décorrélation entre le seuil de 5 %, qui deviendrait la règle, et celui de 1 %, qui permet d’accéder au financement public pour la campagne.
Même si je comprends l’aspect pratique de la proposition de M. Collombat, j’émets donc un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Je ne comprends pas en quoi le fait de supprimer une bonne partie du travail de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques représenterait un malheur. Je ne pense pas qu’elle cherche du travail supplémentaire…
Le tout est de savoir à quoi servent les comptes de campagne. Quel est leur objectif ? S’agit-il de faire beau, de faire montre de moralité, avec les aléas que j’ai évoqués précédemment ?
Pour ce qui est très gros, on ne fait rien ! Cela ne m’empêchera pas de voter la proposition de loi, mais cette mesure permettrait de gagner du temps.
M. le président. L’amendement n° 44 rectifié ter, présenté par MM. Karoutchi et Bascher, Mme Berthet, MM. Bonne et Bouchet, Mme Chain-Larché, M. Chaize, Mme Chauvin, MM. Cuypers, Daubresse et de Legge, Mmes Deromedi et Deseyne, M. Dufaut, Mme Dumas, M. Duplomb, Mme Eustache-Brinio, MM. Genest et Grand, Mme Gruny, MM. Guené, Houpert et Husson, Mme Imbert, M. Laménie, Mme Lamure, MM. D. Laurent et Lefèvre, Mme Malet, MM. Pemezec, Poniatowski, Reichardt, Revet et Savary, Mme Thomas et MM. Vogel, Bouloux, Bonhomme, Mayet, Le Gleut et Gremillet, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Au deuxième alinéa de l’article L. 52-11-1 du code électoral, après le mot : « scrutin, », sont insérés les mots : « à l’exception des dépenses relatives aux prestations d’expertise comptable en application de l’article L. 52-12, ».
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. M. le rapporteur dit que les prestations d’expertise comptable représentent un coût significatif pour les candidats. Cela justifierait, du coup, que l’on en dispense les candidats ayant obtenu moins de 5 % des suffrages exprimés, dont les recettes et les dépenses n’excèdent pas un montant fixé par décret. Il semblerait que cette approche ne respecte pas vraiment le principe d’égalité entre les candidats !
Cet amendement vise donc à respecter l’un des principes fondamentaux relatifs au financement des campagnes électorales et à ne pas pénaliser les formations politiques plus modestes qui obtiendraient moins de 5 % des suffrages exprimés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. M. Karoutchi redoute que les petits candidats ne soient incités à ne pas dépasser un seuil de dépenses fixé par crainte de payer des frais d’expertise comptable, et qu’ils ne bénéficient donc pas des mêmes chances que les autres candidats. Le présent amendement vise par conséquent à ce que soient remboursés les frais d’expert-comptable de l’ensemble des candidats, même lorsque ceux-ci n’ont pas obtenu 5 % des voix.
La commission a trouvé cette idée très intéressante, mais elle a relevé le coût induit pour l’État et souligné le risque de créer un mouvement inflationniste dans les comptes de campagne. Elle a également soulevé une difficulté technique : l’État devrait rembourser les dépenses des candidats qui ont obtenu moins de 1 % des voix, alors même qu’ils n’ont pas établi de compte de campagne.
Au vu de ces problèmes techniques et financiers, et bien que nous connaissions la jurisprudence « Démocratie », la commission a souhaité s’en remettre à l’avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. M. le rapporteur souhaitait justement connaître votre avis, monsieur le ministre !
M. Christophe Castaner, ministre. Je vous prie de m’excuser, monsieur le président. J’avais compris que le rapporteur avait émis un avis plutôt défavorable et qu’il avait invité M. Karoutchi à retirer son amendement !
La position du Gouvernement est la suivante. M. Richard a déposé en commission un amendement qui tend à dispenser les candidats ayant obtenu moins de 5 % des suffrages de l’obligation d’engager des frais d’expertise comptable. M. Karoutchi considère que cela revient à traiter différemment les candidats. Or, dès lors qu’un candidat ne fait pas appel au financement public, il est normal qu’il soit dispensé de faire appel à un expert-comptable ; cela lui évite d’engager des frais, dès lors qu’il n’y a pas de remboursement prévu. Il me semble que cette approche est pragmatique.
L’essentiel du problème ayant été réglé lors des travaux en commission, j’invite au retrait du présent amendement.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Si j’étais taquin, je suggérerais au rapporteur de déposer un sous-amendement visant explicitement les candidats ayant obtenu entre 1 % et 5 % des suffrages exprimés.
Je comprends le raisonnement qui a été développé, mais je pense que nous devrions y regarder de plus près, afin d’éviter les problèmes de déséquilibre.
Naturellement, je retire mon amendement.
M. le président. L’amendement n° 44 rectifié ter est retiré.
Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article additionnel après l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 29 rectifié, présenté par M. Grand, Mmes Micouleau et Deromedi, MM. Lefèvre et Laménie, Mme Lopez et MM. Houpert, Pierre, Poniatowski et Raison, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le second alinéa de l’article L. 52-1 du code électoral est ainsi modifié :
1° À la deuxième phrase, les mots : « ou pour son compte » sont supprimés ;
2° Après le mot : « sont », la fin de la dernière phrase est ainsi rédigée : « considérées comme des dépenses engagées ou effectuées en vue de l’élection. »
La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. Cet amendement vise à intégrer l’ensemble des bilans de mandat des exécutifs locaux aux comptes de campagne. Outre que ce serait inflationniste, la CNCCFP a d’ores et déjà défini des critères permettant d’intégrer au cas par cas ces bilans aux comptes. Cette doctrine, qu’il faudra encore clarifier, donne aujourd’hui satisfaction.
L’amendement est assez radical : un maire qui serait candidat à la députation et qui ne ferait état dans son bilan que de sujets municipaux se verrait dans l’obligation, dans la perspective des élections législatives, d’intégrer l’ensemble des coûts liés à son bilan municipal à son compte de campagne législative…
Pour ces raisons, la commission souhaite le retrait de l’amendement ; à défaut, son avis sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christophe Castaner, ministre. L’amendement soulève une véritable question.
Il s’agit de savoir, au travers d’une interprétation au cas par cas, si le bilan publié par le responsable d’un exécutif qui serait candidat à une autre élection peut être considéré comme un instrument de propagande électorale. Le sujet est objectivement compliqué, nous le savons tous au travers de nos expériences sur le terrain.
Cette proposition paraît donc bienvenue, mais sa brutalité, au travers de l’interdiction de toute publication, serait de nature à gêner la communication institutionnelle des collectivités. Je considère donc qu’il faut l’affiner.
Compte tenu du coût des difficultés induites, et non sur le principe, je souhaite le retrait de l’amendement ; à défaut, je m’en remettrai à la sagesse du Sénat.
M. le président. Monsieur Lefèvre, l’amendement n° 29 rectifié est-il maintenu ?
M. Antoine Lefèvre. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 29 rectifié est retiré.
Article 1er bis (nouveau)
Le chapitre V bis du titre Ier du livre Ier du code électoral est ainsi modifié :
1° Après les mots : « un candidat », la fin de la seconde phrase du deuxième alinéa de l’article L. 52-8 est ainsi rédigée : « ni lui apporter leur garantie pour l’obtention de prêts. » ;
2° À la fin de la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 52-15, les mots : « les six mois du dépôt des comptes » sont remplacés par les mots : « le délai de six mois suivant l’expiration du délai fixé au II de l’article L. 52-12 ».
M. le président. L’amendement n° 17 n’est pas soutenu.
Je mets aux voix l’article 1er bis.
(L’article 1er bis est adopté.)
Article additionnel après l’article 1er bis
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 43 rectifié quater est présenté par MM. Karoutchi et Bazin, Mme Berthet, MM. Bonne, Bonhomme et Bouchet, Mme Chain-Larché, M. Chaize, Mme Chauvin, MM. Cuypers, Daubresse et de Legge, Mmes Deromedi et Deseyne, M. Dufaut, Mme Dumas, M. Duplomb, Mme Eustache-Brinio, MM. Genest et Grand, Mme Gruny, MM. Guené, Houpert, Huré et Husson, Mme Imbert, M. Laménie, Mme Lamure, M. D. Laurent, Mme Lavarde, M. Lefèvre, Mme Malet, MM. Pemezec, Piednoir, Poniatowski, Reichardt, Revet et Savary, Mme Thomas et MM. Vogel, Bouloux, Mayet, Le Gleut et Gremillet.
L’amendement n° 53 rectifié bis est présenté par Mme Costes, M. Artano, Mme M. Carrère, M. Collin, Mme N. Delattre, MM. Gabouty, Gold et Guérini, Mmes Guillotin et Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Requier, Roux et Vall.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le troisième alinéa de l’article L. 52-4 du code électoral, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« À titre dérogatoire, le candidat peut régler directement des menues dépenses, lorsque leur montant est inférieur à 10 % du montant total des dépenses du compte de campagne et à 3 % du plafond prévu à l’article L. 52-11. »
La parole est à M. Roger Karoutchi, pour présenter l’amendement n° 43 rectifié quater.
M. Roger Karoutchi. Il s’agit de sortir de l’ambiguïté. Une jurisprudence du Conseil constitutionnel accepte que le candidat puisse régler directement de menues dépenses lorsque leur montant est inférieur à 10 % du montant total des dépenses du compte de campagne et à 3 % du plafond de ces dépenses.
Cela est prévu non pas dans la loi, mais seulement dans cette jurisprudence. Graver ce principe dans le marbre de la loi permettrait de rassurer les candidats.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour présenter l’amendement n° 53 rectifié bis.
Mme Françoise Laborde. Il a été très bien défendu par Roger Karoutchi.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christophe Castaner, ministre. Je comprends cette approche pragmatique et pratique. Mais si je prends l’exemple de la campagne pour les élections européennes, 10 % de 9,2 millions d’euros, cela représente 920 000 euros ; c’est tout de même considérable, et 250 euros c’est aussi un montant important. Retenir une telle référence pourrait conduire – imaginons le pire ! – à des dissimulations de dépenses.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable, tout en comprenant la logique de l’amendement.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le ministre, il s’agit non pas de 10 %, mais de 3 % du plafond des dépenses autorisées ! Pour une élection législative ou municipale, ce qui est le cas le plus courant, cela représente des sommes assez faibles.
J’entends bien ce que dit le Gouvernement : il veut de la régularité, et il a raison. Mais on ne peut pas laisser le sort des candidats – permettez-moi d’être désagréable ! – au bon vouloir du Conseil constitutionnel.
On sait quelle est la jurisprudence du Conseil en la matière, qu’il réitère à l’occasion de tous les recours : le candidat peut régler les menues dépenses jusqu’à 3 % du plafond de dépenses. S’il s’avère que le Gouvernement n’est pas sur la même ligne, les candidats se retrouvent dans une situation d’insécurité juridique.
Pour être très franc, monsieur le ministre, j’hésite à retirer mon amendement ; à tel point que je le maintiens ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. Les préconisations de la CNCCFP retiennent ce seuil de 3 %, ce qui permet de retrouver les équilibres souhaités par le ministre de l’intérieur.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Nous maintenons également notre amendement qui a été, là encore, très bien défendu par Roger Karoutchi.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 43 rectifié quater et 53 rectifié bis.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 1er bis.
Article 1er ter (nouveau)
Au deuxième alinéa de l’article L. 52-11-1 du code électoral, après les mots : « situation patrimoniale », sont insérés les mots : « dans le délai légal et pour le scrutin concerné ».
M. le président. L’amendement n° 18 n’est pas soutenu.
Je mets aux voix l’article 1er ter.
(L’article 1er ter est adopté.)
Article additionnel après l’article 1er ter
M. le président. L’amendement n° 54 rectifié, présenté par Mme Costes, M. Artano, Mme M. Carrère, M. Collin, Mme N. Delattre, MM. Gabouty et Gold, Mme Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :
Après l’article 1er ter
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 52-4 du code électoral, il est inséré un article L. 52-4-…. ainsi rédigé :
« Art. L. 52-4-… – Est électorale une dépense engagée par le candidat, ou par un tiers agissant pour le compte du candidat, en vue de l’obtention des suffrages des électeurs et ayant un lien direct avec cette finalité, dans la circonscription électorale dans laquelle se présente le candidat, lors de la période de financement prévue par l’article L. 52-4 pour les élections générales ou à compter du fait générateur rendant l’élection nécessaire concernant les élections partielles.
« Une liste non exhaustive des dépenses électorales est établie dans un décret pris en Conseil d’État. »
La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. En l’absence d’une définition légale, les candidats se réfèrent actuellement à celle qui est donnée par le Conseil d’État et utilisée par la CNCCFP pour établir ce qui peut constituer une dépense électorale : celle « dont la finalité est l’obtention des suffrages des électeurs ».
Comme toutes les définitions téléologiques, celle-ci a le défaut de placer celui qui est chargé de la respecter dans une forme d’insécurité juridique et ne facilite pas son application scrupuleuse.
C’est pourquoi il est proposé de réfléchir à une définition plus précise et à l’établissement d’une liste qui pourrait être régulièrement actualisée par le Conseil d’État.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. Je salue cette ambition et cette volonté de clarifier une notion importante ; toutefois, la jurisprudence est assez claire en la matière.
Toute réécriture ou explicitation entraînerait des interrogations nouvelles, donc une instabilité et une insécurité qui ne sont certainement pas souhaitées par les auteurs de l’amendement.
Enfin, le décret en Conseil d’État prévu ne saurait être exhaustif, ce qui créerait d’autres difficultés.
Pour toutes ces raisons, l’avis de la commission est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 54 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 2
L’article L. 118-3 du code électoral est ainsi modifié :
1° Les trois premiers alinéas sont remplacés par quatre alinéas ainsi rédigés :
« Lorsqu’il relève une volonté de fraude ou un manquement d’une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales, le juge de l’élection, saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, peut déclarer inéligible :
« 1° Le candidat qui n’a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits à l’article L. 52-12 ;
« 2° Le candidat dont le compte de campagne, le cas échéant après réformation, fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales ;
« 3° Le candidat dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit. » ;
2° L’avant-dernier alinéa est ainsi modifié :
a) À la première phrase, les mots : « prévue aux trois premiers alinéas du » sont remplacés par les mots : « mentionnée au » ;
b) (Supprimé)
3° Avant le dernier alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Pour un même scrutin, le juge de l’élection veille à ce que l’inéligibilité qu’il prononce assure un traitement équitable entre les candidats ayant commis des irrégularités comparables, en particulier au regard du calendrier des prochaines élections.
« En cas de scrutin binominal, l’inéligibilité s’applique aux deux candidats du même binôme. »
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Kerrouche, Temal, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Éric Kerrouche.
M. Éric Kerrouche. Nous considérons que la rédaction qui a été retenue n’apporte que très peu de chose par rapport à la jurisprudence en vigueur. L’article 2 nous paraît donc inutile.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. Un certain nombre d’échanges au sein de la commission et plusieurs interventions lors de la discussion générale permettent de motiver un avis défavorable sur cet amendement de suppression.
Tout d’abord, nous l’avons longuement évoqué, la clarification de l’écriture ne change en rien le pouvoir du juge. Il n’y a absolument pas de recul, je le redis fortement.
Ensuite, supprimer purement et simplement cet article reviendrait à renoncer à préciser les conditions d’application des règles d’inéligibilité, notamment pour ce qui concerne le point de départ de celle-ci, ce qui avait été pourtant salué et souhaité par tous.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christophe Castaner, ministre. La disposition adoptée en commission vise à mettre de l’ordre dans le désordre et à clarifier les textes. Il s’agit d’harmoniser la rédaction des alinéas de cet article en précisant que le juge de l’élection a toujours la faculté, et non l’obligation, de déclarer inéligible un candidat ayant commis un manquement d’une particulière gravité.
Il faut donc voir dans cet article une proposition de clarification, et non une remise en cause d’un principe apprécié par tous.
L’avis du Gouvernement est défavorable.
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Je veux insister auprès du groupe socialiste sur l’incompréhension qui fonde sa position.
Je crois comprendre, mes chers collègues, que votre famille politique est hostile aux peines automatiques. En réalité, ce qui a malencontreusement été introduit dans le texte relatif aux pouvoirs du Conseil constitutionnel en matière d’irrégularités faisant présumer une volonté frauduleuse prévoit une obligation de sanction.
Selon moi, une telle obligation, où qu’elle soit prévue, n’a aucun sens en droit puisque les principes supérieurs qui sont inscrits dans les traités auxquels nous adhérons maintiennent toujours un pouvoir d’appréciation du juge. Lorsque nous avons vu apparaître au cours des législatures précédentes, avec des intensités variables, des propositions d’introduire des sanctions automatiques, il était constitutionnellement impossible de les retenir sans prévoir une possibilité de dérogation pour les juges.
La proposition du Conseil constitutionnel, que vous avez lue comme moi, visait simplement à employer le bon vocabulaire juridique pour parler des pouvoirs du juge. Vous vous trompez donc en imaginant que le juge devrait automatiquement constater une volonté de fraude.
Apprécier une volonté de fraude revient forcément à exercer un pouvoir juridictionnel. Le Conseil constitutionnel n’a par conséquent fait que nous rappeler que la législation antérieure était mal faite, qu’elle simulait une peine automatique contraire à tous les principes, et qu’il y avait toujours un pouvoir d’appréciation du juge.
Nous voulons seulement rectifier un non-sens en droit.
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Monsieur Richard, je comprends votre argument et, nous sommes d’accord, le texte ne précise pas s’il y a une obligation ou une possibilité de prononcer une sanction.
Mais la question n’est pas là : l’introduction dans le texte de la possibilité ou de l’obligation de constater un manquement pose une difficulté par rapport à la situation actuelle.
Chacun peut avoir sa propre interprétation juridique, mais la plus-value de la rédaction que vous proposez est discutable : elle correspond à votre lecture personnelle, que nous ne partageons pas. C’est aussi simple que cela ! Le problème réside dans la façon dont vous avez choisi de rédiger le texte.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste et républicain.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 88 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 326 |
Pour l’adoption | 73 |
Contre | 253 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 45 rectifié ter, présenté par MM. Karoutchi, Bascher et Bazin, Mme Berthet, MM. Bonne et Bouchet, Mme Chain-Larché, M. Chaize, Mme Chauvin, MM. Cuypers, Daubresse, de Legge, Bonhomme et Bouloux, Mmes Deromedi et Deseyne, MM. Dufaut et Duplomb, Mme Eustache-Brinio, MM. Genest et Grand, Mme Gruny, MM. Guené, Huré et Husson, Mme Imbert, M. Laménie, Mme Lamure, MM. D. Laurent et Lefèvre, Mme Malet, MM. Pemezec, Piednoir, Poniatowski, Reichardt, Revet et Savary, Mme Thomas et MM. Vogel, Mayet, Le Gleut et Gremillet, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Mon amendement porte sur un point particulier de l’article 2.
La loi de 2013 a instauré le scrutin binominal mixte majoritaire à deux tours pour les élections départementales, ce qui a conduit à instituer une quasi-automaticité du prononcé des peines par le juge électoral.
Si le juge de l’élection décide, par exemple, de l’inéligibilité de l’un des deux candidats, l’inéligibilité de l’autre est automatique, ce qui nous paraît brutal. Au cours de l’enquête menée par le juge électoral, il peut très bien apparaître que, même si l’un des candidats a commis une faute lourde entraînant son inéligibilité, il n’y a pas de raison majeure pour que l’autre soit aussi automatiquement déclaré inéligible.
Cet amendement vise donc à revenir au principe de l’individualisation des peines en la matière, notamment pour l’inéligibilité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. Sans vouloir encourager les agissements qui sont dénoncés et qui font l’objet des préoccupations de Roger Karoutchi, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement. Elle a fait prévaloir son souhait de maintenir la solidarité du binôme.
Je le répète, nous ne souhaitons pas favoriser ces comportements ; nous regrettons de ne pouvoir les empêcher. Je note que, sur un plan pénal, les comportements constitutifs d’une faute entraînant ce type de sanction relèvent toujours de la responsabilité individuelle, ce qui pourra peut-être rassurer M. Karoutchi.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christophe Castaner, ministre. Je pourrais, me semble-t-il, plaider les deux positions, favorable comme défavorable, ce qui complique les choses, et ce pour une raison simple : comme vous, monsieur le sénateur, je vois bien quelles situations de terrain et quelles décisions pourraient être anormales.
Néanmoins, un argument me fait pencher en faveur d’un avis défavorable, au-delà de celui qu’a évoqué le rapporteur – le principe de deux candidats également responsables devant les électeurs pendant la campagne : c’est que la faute « financière » d’un candidat ait des conséquences sur le vote, son résultat, et donc directement sur l’élection des deux candidats, et surtout de l’un d’entre eux.
Un candidat serait sanctionné pour cette faute, alors que celle-ci aurait contribué à faire élire l’autre. C’est la raison pour laquelle il faut garder, me semble-t-il, le principe de la responsabilité des deux candidats en matière de financement de la campagne, avec les conséquences que cela a pu avoir sur l’élection.
Monsieur Karoutchi, même si je comprends votre argumentation, je suis défavorable à votre amendement.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le ministre, je demande non pas que les deux candidats soient désolidarisés, mais que le juge ait la capacité personnelle de jauger les responsabilités de chacun. Peut-être constatera-t-il que la faute commise a permis de gagner l’élection et que, dans ces conditions, les deux candidats doivent être déclarés inéligibles, mais peut-être ne tirera-t-il pas cette conclusion !
Je considère que le dispositif est assez violent, d’autant que je n’évoque que le cas de l’inéligibilité, qui est une sanction majeure pour un candidat. Déclarer d’office inéligible l’un des deux candidats, même s’il n’est en rien responsable de la situation soumise à l’examen du juge de l’élection, me paraît – je le répète – violent.
Mais je veux bien admettre que le sujet n’est pas mûr. Qui sait ? Comme nous pourrions un jour voir revenir le conseiller territorial ou d’autres choses encore (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.), nous verrons peut-être de nouveau cette proposition…
Je retire donc mon amendement, monsieur le président, ainsi que le suivant, l’amendement n° 46 rectifié ter, qui est similaire.
M. le président. L’amendement n° 45 rectifié ter est retiré.
Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Article 3
Après le deuxième alinéa de l’article L. 118-4 du code électoral, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour un même scrutin, le juge de l’élection veille à ce que l’inéligibilité qu’il prononce assure un traitement équitable entre les candidats ayant commis des manœuvres frauduleuses comparables, en particulier au regard du calendrier des prochaines élections. »
M. le président. L’amendement n° 19 n’est pas soutenu.
L’amendement n° 46 rectifié ter, présenté par MM. Karoutchi, Bascher et Bazin, Mme Berthet, MM. Bonne et Bouchet, Mme Chain-Larché, MM. Bonhomme, Bouloux et Chaize, Mme Chauvin, MM. Cuypers, Daubresse et de Legge, Mmes Deromedi et Deseyne, MM. Dufaut et Duplomb, Mme Eustache-Brinio, MM. Genest et Grand, Mme Gruny, MM. Guené, Huré et Husson, Mme Imbert, M. Laménie, Mme Lamure, MM. D. Laurent et Lefèvre, Mme Malet, MM. Pemezec, Piednoir, Poniatowski, Reichardt, Revet et Savary, Mme Thomas et MM. Vogel, Mayet, Le Gleut et Gremillet, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
….- La seconde phrase du dernier alinéa du même article L. 118-4 est supprimée.
Cet amendement a été retiré.
Je mets aux voix l’article 3.
(L’article 3 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 3
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 51 rectifié, présenté par MM. Corbisez et Collin, Mme N. Delattre, MM. Gabouty, Gold, Guérini et Labbé, Mme Laborde, MM. Roux et Vall et Mme Costes, est ainsi libellé :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le mot : « commune », la fin du deuxième alinéa de l’article L. 228 du code électoral est supprimée.
La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Cet amendement, dont l’initiative revient à notre collègue Jean-Pierre Corbisez, a pour objet de renforcer le lien effectif entre un candidat à une élection et le territoire sur lequel il se présente.
Il est clair que nos règles en la matière doivent rester relativement flexibles, afin de permettre aux citoyens français attachés à différents territoires de vivre leur engagement politique dans celui de leur choix. C’est par exemple le cas de ce qu’on appelle les « conseillers forains » qui choisissent de s’engager politiquement sur le territoire de leur résidence secondaire plutôt que sur le lieu de leur résidence principale.
Il ne nous appartient pas de juger ce choix qui relève souvent plus de l’affect que d’autres considérations. Nous devons en revanche nous prémunir de certaines logiques opportunistes qui consisteraient à présenter des candidats sans aucun rapport avec la circonscription concernée.
Ces stratégies contribuent à altérer les liens entre électeurs et élus, les électeurs pouvant à juste titre se sentir floués par de tels comportements. Elles dégradent également la qualité des campagnes électorales, en faisant passer le débat d’idées et de programme au second plan, après celui du débat d’éligibilité. Elles sont pourtant tolérées du fait de l’appréciation large par les services de l’État des pièces de nature à prouver l’inscription du candidat au rôle des contributions directes. Ainsi, un simple bail suffit, quand le candidat fait valoir que sa non-inscription au rôle est imputable à l’absence de diligence en ce sens de son bailleur.
C’est pourquoi il est proposé de fixer le principe simple selon lequel on ne peut être candidat que dans le territoire où l’on est également électeur, afin de lutter contre le phénomène dit des candidats TGV, comme je vous l’avais déjà expliqué lors de la discussion générale.
M. le président. L’amendement n° 52 rectifié, présenté par M. Corbisez, Mme N. Delattre, MM. Gold, Guérini et Labbé, Mme Laborde, MM. Requier, Roux et Vall et Mme Costes, est ainsi libellé :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le mot : « directes », la fin du deuxième alinéa de l’article L. 228 du code électoral est supprimée.
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Le présent amendement, toujours inspiré par notre collègue Jean-Pierre Corbisez, est de repli par rapport au précédent.
Il vise à seulement supprimer la possibilité pour un candidat non inscrit au rôle des contributions directes d’apporter un justificatif attestant qu’il devrait y être inscrit au 1er janvier de l’année de l’élection.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. La commission a constaté que les candidats TGV étaient en général sanctionnés dans les urnes par le bon sens des électeurs eux-mêmes. Elle rappelle que le code électoral limite déjà le nombre de conseillers forains ne résidant pas dans la commune. La situation actuelle répond donc partiellement aux préoccupations exprimées par les auteurs de ces amendements.
Par ailleurs, le fait de pouvoir participer aux élections municipales sans être inscrit sur la liste électorale de la commune est l’un des principes de la loi de décentralisation de 1982. La commission a estimé normal que des citoyens qui entretiennent, et qui souhaitent continuer à le faire, des liens étroits avec une commune puissent s’y présenter, même s’ils n’y habitent pas.
Les amendements apportent d’ailleurs des garanties assez limitées, puisque désormais – ne l’oublions pas – un électeur peut s’inscrire sur la liste électorale de son choix dans un délai qui a été considérablement réduit, ramené à trente jours avant le scrutin.
Ces éléments ont conduit la commission à émettre un avis défavorable sur ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christophe Castaner, ministre. Je comprends la logique des deux amendements, mais je rebondirai sur les derniers propos du rapporteur : il est vrai qu’une évolution est survenue assez récemment.
D’une part, les conditions d’inscription sur les listes électorales ont largement été facilitées. Aux termes de l’article L. 11 du code électoral, il faut soit avoir un domicile réel, soit habiter dans la commune depuis au moins six mois : les conditions d’éligibilité ont été facilitées, ce qui n’était pas le cas précédemment.
D’autre part, il est possible de s’inscrire sur les listes électorales dans les six semaines qui précèdent un scrutin.
Ces amendements soulèvent une question qui provoque souvent une émotion au moment des élections. Je l’entends bien, et je comprends les propos du rapporteur. Le Gouvernement n’est pas défavorable à la démarche que traduisent ces amendements. Il opte donc pour une position de sagesse.
M. le président. L’amendement n° 55, présenté par M. de Belenet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au dernier alinéa de l’article L. 231 du code électoral, les mots : « alinéas ci-dessus » sont remplacés par les mots : « deuxième à onzième alinéas du présent article ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. Lors des élections municipales, les préfets sont inéligibles dans le ressort où ils exercent pour une durée de trois ans ; ce délai de carence est d’un an pour les sous-préfets.
Néanmoins, il faut évoquer une bizarrerie : lorsqu’ils partent à la retraite, les membres du corps préfectoral sont exonérés de ce délai. Cet amendement vise tout simplement à corriger cette singularité.
M. Antoine Lefèvre. Bonne idée !
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. Il n’y a en effet aucune raison objective justifiant qu’un préfet ou un sous-préfet puisse se présenter aux élections dès son départ à la retraite.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Bien sûr ! C’est un très bon amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christophe Castaner, ministre. Je sens la volonté du président Philippe Bas de me mettre en difficulté, car de nombreux préfets peuplent l’entourage du ministre de l’intérieur ! (Sourires.)
Je suis d’accord avec le rapporteur lorsqu’il évoque une « bizarrerie » : aucune raison n’explique qu’un préfet soit empêché d’être candidat pendant trois ans s’il est en activité, alors que ce n’est pas le cas s’il part à la retraite un mois avant. Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, les préfets peuvent rester en fonction jusqu’à 67 ans : certains pourraient décider d’accélérer leur départ à la retraite pour user de cette liberté de se présenter aux élections.
Cette disposition est a minima une bizarrerie. Vous proposez de la corriger, monsieur le rapporteur : cela va dans le bon sens, et l’avis du Gouvernement est donc favorable.
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour explication de vote.
M. Alain Marc. Je souhaiterais obtenir des explications complémentaires. La question soulevée se pose pour les préfets, mais également pour les directeurs généraux des services ou les directeurs généraux adjoints des conseils départementaux, par exemple. Ceux-ci ne peuvent pas se présenter aux élections avant l’expiration d’un délai de deux ou trois ans, mais peuvent le faire s’ils partent à la retraite. L’amendement ne prévoit rien sur cette question.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. L’amendement vise exclusivement les préfets et sous-préfets partant à la retraite et ne concerne que les élections municipales.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 3.
Chapitre II
Propagande et opérations de vote
Article 4
Le code électoral est ainsi modifié :
1° Après les mots : « de réunion », la fin de l’article L. 47 est ainsi rédigée : « , la loi du 28 mars 1907 relative aux réunions publiques et le présent code. » ;
2° L’article L. 49 est ainsi rédigé :
« Art. L. 49. – À partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est interdit de :
« 1° Distribuer ou faire distribuer des bulletins, circulaires et autres documents ;
« 2° Diffuser ou faire diffuser par tout moyen de communication au public par voie électronique tout message ayant le caractère de propagande électorale ;
« 3° Procéder, par un système automatisé ou non, à l’appel téléphonique en série des électeurs afin de les inciter à voter pour un candidat ;
« 4° Tenir une réunion électorale. » ;
3° L’article L. 49-1 est abrogé ;
4° (nouveau) Le début du troisième alinéa de l’article L. 330-6 est ainsi rédigé : « Sous réserve des nécessités de service et de l’article L. 49, l’État met ses locaux diplomatiques… (le reste sans changement). » – (Adopté.)
Articles additionnels après l’article 4
M. le président. L’amendement n° 37 rectifié ter, présenté par Mme Lherbier, M. Daubresse, Mmes Puissat et Micouleau, M. Raison, Mmes Garriaud-Maylam et Bruguière, MM. de Legge, Sido et Decool, Mmes Bonfanti-Dossat et Bories, MM. Bascher, Vaspart, Vogel, Danesi, Piednoir, Guerriau et Chasseing, Mme Lassarade, M. Dufaut, Mmes Richer et de Cidrac, M. Segouin, Mme Noël, M. Mouiller, Mme Troendlé, M. A. Marc, Mme Férat, MM. Laménie, Wattebled et B. Fournier, Mmes Imbert et de la Provôté, M. Longeot, Mme Deroche, MM. Cuypers et Maurey et Mme Berthet, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 51 du code électoral, il est inséré un article L. 51-… ainsi rédigé :
« Art. L. 51-…. – Les affiches électorales ne peuvent pas comporter la photographie, la représentation ou le nom de personnes autres que les candidats et leurs remplaçants éventuels. »
La parole est à M. Jérôme Bascher.
M. Jérôme Bascher. Cet amendement vise à faire apparaître sur les affiches électorales uniquement les candidats, et rien qu’eux ! Il s’agit d’éviter de faire du « racolage » en faisant figurer des personnalités nationales sur les affiches de candidats qui sont en général de parfaits inconnus. Les candidats doivent se présenter à une élection en leur nom propre, et nous n’avons besoin que d’eux.
On ajoute souvent des têtes d’affiche politiques à la propagande, mais cela pourrait être des chanteurs ! Cela peut aboutir à des situations absolument ubuesques… (Exclamations.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. Faire figurer un autre visage que celui du candidat sur une affiche électorale est presque une tradition républicaine. On a pu observer le visage du président Mitterrand, celui du président Sarkozy et plus récemment celui du président Macron. Les auteurs de l’amendement sont peut-être sensibles à l’actualité récente… (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Le critère du juge de l’élection, c’est bien de savoir si les électeurs ont été, ou non, induits en erreur.
M. Jérôme Bascher. Nous ne sommes pas des juges, nous faisons la loi !
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. À titre personnel, j’estime que les électeurs ne sont pas induits en erreur. Surtout, à l’exception des trois couleurs bleu, blanc, rouge, les affiches sont le dernier espace de liberté totale : c’est là où les candidats peuvent s’exprimer de manière libre. Pourquoi cette exception ? Tout simplement pour qu’on ne confonde pas les affiches des candidats avec les affiches officielles.
Alors, pourquoi se priver de cette grande liberté que certains savent utiliser avec talent, dès lors que l’on sait que le juge intervient si les éléments figurant sur l’affiche induisent les électeurs en erreur ? Nul doute que chacun a pu voter pour son député et n’envisageait pas d’envoyer siéger à l’Assemblée nationale le Président de la République, fut-il François Mitterrand, Nicolas Sarkozy ou Emmanuel Macron…
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christophe Castaner, ministre. Je n’imagine pas que cet amendement soit lié à une élection récente. La force des députés élus, c’est qu’ils ont cinq ans pour se faire une notoriété.
Cela étant, le Gouvernement est défavorable à cet amendement, dont l’adoption entraînerait une hétérogénéité de situations. S’il était adopté, les circulaires pourraient toujours faire figurer les deux personnalités visées, alors que cette possibilité ne serait pas autorisée sur les affiches : ce ne serait pas cohérent.
Par ailleurs, la proposition me semble disproportionnée pour des affiches, des tracts, qui sont des outils de campagne.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le ministre, vous avez raison : on ne sait jamais ce qui peut arriver, et il faut toujours prévoir ce que sera l’avenir. Après tout, l’éternité du Sénat nous conduit à regarder cela avec décontraction… (Sourires.)
Je prendrai l’exemple d’une circonscription de Paris, que je ne citerai pas, dans laquelle, de mémoire, trois candidats avaient fait figurer sur leurs affiches la photographie d’une autre personnalité, la même pour les trois ! Un recours a été déposé par l’un d’eux, lequel estimait que lui seul avait le droit d’utiliser cette photographie. Le Conseil constitutionnel s’est dégagé de toute responsabilité en arguant que ce n’était pas à lui de décider quel candidat avait le droit d’employer la photographie du Président de la République.
Comme le juge de l’élection ne déniera jamais à un candidat le droit ou la légitimité de faire figurer le portrait du Président de la République, j’engage les candidats de toutes les formations politiques à ne pas hésiter à le faire si cela les arrange ! (Sourires.)
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous rappelle que les présentes proposition de loi et proposition de loi organique ont été inscrites par la conférence des présidents dans le cadre de l’ordre du jour réservé au groupe La République En Marche, c’est-à-dire pour une durée de quatre heures.
Ce laps de temps étant écoulé, je me vois dans l’obligation d’interrompre l’examen de ces textes. Il reviendra à la conférence des présidents d’inscrire la suite de leur discussion à l’ordre du jour d’une séance ultérieure.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante, est reprise à dix-huit heures cinquante-cinq.)
7
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour une mise au point au sujet d’un vote.
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, lors du scrutin public n° 79, j’ai été considérée comme m’étant abstenue sur l’amendement n° 117 rectifié, alors que je souhaitais voter pour cet amendement qui interdit la chasse à tir le mercredi.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
8
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures ont été publiées pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
9
Affectation des avoirs issus de la corruption transnationale
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi relative à l’affectation des avoirs issus de la corruption transnationale, présentée par M. Jean-Pierre Sueur et plusieurs de ses collègues (proposition n° 109, texte de la commission n° 406, rapport n° 405).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi.
M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, selon une estimation de la Banque mondiale, la corruption transnationale ferait perdre chaque année aux pays en développement entre 20 et 40 milliards de dollars, soit 20 % à 40 % du montant de l’aide annuelle au développement au plan mondial.
La loi du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale a élargi le champ des biens pouvant être saisis et confisqués, et créé l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, l’Agrasc, qui assure la gestion des biens saisis et procède ensuite à leur aliénation.
Comme vous le savez, mes chers collègues, la convention des Nations unies contre la corruption prévoit la restitution obligatoire et intégrale des avoirs illicites au profit de l’État étranger victime dans les cas de soustraction de fonds publics ou de blanchiment de fonds publics soustraits. Elle organise la restitution du produit de toute autre infraction qu’elle vise et précise que, dans ce cas, « l’État partie requis où se trouvent les avoirs illicites doit restituer les biens confisqués à l’État signataire requérant lorsque ce dernier fournit des preuves raisonnables de son droit de propriété antérieur ».
Or ces règles sont rarement appliquées. En effet, elles n’entrent en vigueur que lorsque les juridictions étrangères ont engagé et mené à leur terme les procédures judiciaires nécessaires aux fins de recouvrer les avoirs illicites se trouvant à l’étranger.
Par ailleurs, dans les cas de corruption transnationale et tout particulièrement lorsque les agissements illicites mettent en cause des agents publics de haut rang, parfois encore en exercice, il paraît souvent illusoire d’espérer que les États concernés rétrocèdent aux populations victimes le fruit de ces confiscations.
Ainsi, la confiscation des produits de la corruption transnationale se trouvant en France emporte le plus souvent le transfert de leur propriété à l’État français.
Quel est le but de la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous présenter, mes chers collègues ? Tout simplement de restituer aux populations spoliées l’argent qui leur a été volé par la corruption internationale et par les agissements de toutes ces personnes, notables ou non, mais souvent déjà très riches, qui ont accaparé des biens, lesquels prennent la forme d’appartements à Paris ou sur la Côte d’Azur ou de sommes d’argent conservées dans certains établissements financiers, et ce au mépris des populations qui ont été volées.
Nous considérons que la situation en France est contraire à la pratique d’un nombre croissant d’États, qui accordent une place centrale aux populations victimes en matière de recouvrement d’avoirs illicites. Nous avons donc organisé au Sénat un colloque avec l’association Transparency International France qui a bien montré les progrès effectués dans de nombreux États. Il faut maintenant faire de même dans notre pays.
C’est pourquoi la proposition de loi met en place un fonds dédié, afin d’organiser l’affectation des avoirs recouvrés dans les affaires de corruption transnationale au profit des populations victimes. Notons un double objectif : garantir que les avoirs illicites recouvrés en France contribuent au développement des pays qui en ont été injustement privés et conforter les efforts de notre pays en matière de lutte contre la corruption transnationale dans tous les cas où l’absence de gouvernance ou l’état de défaillance des États d’origine rendent légalement impossible la mise en jeu des règles de partage ou de restitution.
Transparency International ainsi qu’un certain nombre d’ONG, dont je tiens à saluer tout particulièrement l’action, proposent que, dans le dispositif d’affectation, cinq grands principes soient respectés : la transparence – la procédure doit être conduite de manière publique ; la solidarité quant à l’affectation des fonds ; l’efficacité – il faut que l’argent revienne aux populations victimes ; l’intégrité – il ne doit pas y avoir de soupçon de corruption dans la procédure, car certains États feraient tout pour ne pas restituer les sommes aux populations victimes ; enfin, la responsabilité, qui doit être celle de l’État français dans la gestion du fonds et la restitution des biens.
Je terminerai mon propos en soulignant l’efficacité particulière de la justice française en la matière. Je pense notamment à un jugement du 27 octobre 2017, par lequel le tribunal correctionnel de Paris a condamné, en France, le vice-président de la Guinée équatoriale – je ne ferai pas de publicité personnelle pour cet individu en le nommant – pour des faits de corruption, notamment de blanchiment et de détournement d’argent public.
Ce tribunal rappelle dans sa décision que, pour la France, l’enjeu moral est de permettre la restitution de l’argent détourné aux citoyens qui en ont été privés. Il indique que « ces sommes blanchies, au lieu de financer des infrastructures et des services publics en Guinée équatoriale, étaient placées ou dépensées en France pour alimenter le train de vie particulièrement fastueux » du vice-président. Il précise également que la peine de confiscation ne peut être « envisagée sous le seul aspect de l’efficacité répressive, ne prenant pas en compte l’intérêt des victimes. »
En outre, il indique que, dans un contexte de corruption transnationale, il paraîtrait « moralement injustifié pour l’État prononçant la confiscation de bénéficier de celle-ci. » Enfin, si l’État dont le président a aussi gravement fauté bénéficiait de ces sommes, il y aurait également un problème.
C’est pourquoi le tribunal correctionnel de Paris affirme qu’il « paraît vraisemblable que le régime français des peines de confiscation devrait être amené à évoluer en vue de l’adoption d’un cadre adapté à la restitution des avoirs illicites. »
Je le sais, madame la secrétaire d’État, on peut avoir une discussion sur quelques aspects techniques – M. le rapporteur, que je salue, ne manquera pas de les évoquer –, et il y aura peut-être lieu d’amender le prochain projet de loi de finances. Néanmoins, je vous demande d’adopter ce texte aujourd’hui, mes chers collègues, car, vous le savez, cette question sera à l’ordre du jour du prochain G7.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur de la commission des finances. En effet.
M. Jean-Pierre Sueur. Or il serait à l’honneur du Parlement français d’avoir exprimé, au travers de l’adoption de ce texte, son attachement à une lutte résolue contre la corruption. Cette pratique revient au pillage des pays pauvres, porte atteinte aux droits des populations concernées et représente le scandale et le comportement honteux des personnes qui s’enrichissent sur le dos d’êtres humains, qui sont souvent dans la situation la plus critique et la plus misérable.
Je n’ignore pas la nécessité de modifications techniques, dont nous acceptons tout à fait le principe, mais il y a là un acte à poser, important tant à l’échelle de notre pays que par rapport à la parole de la France dans le monde. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Antoine Lefèvre, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur Jean-Pierre Sueur, auteur de la présente proposition de loi, mes chers collègues, aujourd’hui, lorsque la justice prononce la confiscation d’un bien, le produit de celle-ci revient au budget général de l’État, après une éventuelle indemnisation des parties civiles.
Cette affectation à l’État français est moralement difficile à admettre lorsque les biens confisqués sont issus de la corruption dont profitent certains personnages de haut rang au détriment de leur population, qui figure souvent parmi les plus pauvres de la planète. Cette situation, moralement injustifiable, a conduit le tribunal correctionnel de Paris à faire, en 2017, un appel du pied à destination du législateur, dans une affaire concernant la Guinée équatoriale ; Jean-Pierre Sueur vient d’en parler.
La proposition de loi de notre collègue que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans ce contexte ; il s’agit de proposer un cadre juridique permettant de rendre aux populations victimes de la corruption les confiscations prononcées par les juridictions françaises dans les affaires dites des biens mal acquis. Cette proposition de loi vise à répondre, certes imparfaitement, à cette attente.
Toutefois, la commission des finances a relevé un certain de nombre de difficultés posées par ce texte, sur le plan juridique et opérationnel.
Ainsi, l’article 1er de la proposition de loi prévoit d’affecter les sommes concernées à « l’amélioration des conditions de vie des populations et au renforcement de l’État de droit ainsi qu’à la lutte contre la corruption » dans le pays victime. On se heurte ici à la principale difficulté, d’ordre pratique : à qui doit-on effectivement affecter ces sommes ? À l’État, au risque d’alimenter de nouveau les circuits de corruption ? En outre, quid des États faillis ? Comment associer les acteurs locaux et contrôler l’utilisation des fonds ? Enfin, comment articuler de tels programmes avec notre action diplomatique ?
Ces questions ne sont pas théoriques, comme le montre le cas récent de la saisie de biens appartenant à l’oncle de Bachar el-Assad : si des confiscations étaient prononcées par la justice française dans cette affaire, comment s’assurerait-on de l’affectation de leur produit à la population syrienne ?
Au regard de l’expérience de la Suisse, particulièrement engagée, compte tenu de son activité bancaire, sur ce sujet, il semble qu’il faille faire preuve de souplesse et de pragmatisme en l’espèce. Il pourrait être envisagé de s’appuyer sur l’Agence française de développement, compétente en matière d’aide au développement. Toutefois, il conviendrait de s’assurer que les crédits reviennent bien aux pays victimes sans être noyés dans ceux de l’Agence et, surtout, qu’il s’agit bien de crédits s’ajoutant à ceux qui sont engagés par la France au titre de l’aide publique au développement.
Cela dit, en raison notamment des prescriptions de la loi organique relative aux lois de finances, la commission des finances n’a pas été en mesure de proposer des modalités satisfaisantes d’affectation aux populations victimes par le biais de l’Agence française de développement.
J’indique, sans m’y attarder, les autres problèmes identifiés.
D’abord, le champ des confiscations concernées mériterait d’être précisé ; en particulier, la référence à la notion de « personnes étrangères politiquement exposées » devrait sans doute être revue.
Ensuite, il conviendrait de déterminer le rôle joué par l’Agrasc dans cette procédure ; si l’Agence est capable d’identifier les confiscations devant être reversées aux populations victimes, elle n’est pas nécessairement l’institution la mieux à même de décider des modalités d’affectation à ces dernières, car elle n’a pas de compétences propres en matière d’aide au développement.
Enfin, la commission des finances a émis des doutes sur la mécanique budgétaire retenue.
Le prochain G7 sera organisé cet été à Biarritz, sous présidence française, et il traitera, entre autres, des moyens de lutter contre la corruption. Dans ce contexte, malgré les problèmes posés par le texte qui nous est soumis, il nous semble important d’envoyer un signal politique fort, indiquant que notre pays est prêt à s’engager à restituer aux populations victimes le produit des confiscations résultant de la corruption.
Madame la secrétaire d’État, nous avons besoin de vous pour traduire ce principe dans le droit. Nous vous invitons donc à saisir l’occasion de la discussion de cette proposition de loi pour que le Gouvernement s’engage, dès aujourd’hui, à s’emparer du sujet, afin que nous soyons en mesure de proposer un dispositif pleinement satisfaisant lors de l’examen du prochain projet de loi de finances. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur Jean-Pierre Sueur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis vraiment très heureuse d’être parmi vous aujourd’hui pour évoquer ce sujet particulièrement important, à la frontière du droit, de l’éthique et de la diplomatie : l’affectation des avoirs issus de la corruption transnationale – ces fameux biens dits « mal acquis » – et saisis par une juridiction française.
En matière de lutte contre la corruption, la France a mis en place un environnement juridique, judiciaire et administratif qui permet de conduire une politique efficace de prévention, de détection et de répression. Pour lutter contre ce phénomène criminel à dimension transnationale, elle est également dotée, depuis 2010, d’une législation et de structures interministérielles dédiées à identifier, à saisir, à confisquer et à recouvrer des avoirs illicites, en particulier issus de la corruption. L’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, l’Agrasc, est précisément chargée de l’exécution des décisions de saisie et de confiscation, ainsi que de la gestion et de la vente des avoirs criminels confisqués.
La France a par ailleurs créé tous les outils et mécanismes destinés à promouvoir, à développer et à appuyer la coopération internationale en matière de lutte contre la corruption – c’est également un engagement fort de notre présidence du G7, vous l’avez rappelé –, ce qui constitue un volet clé pour récupérer, effectivement et rapidement, les fonds détournés ou soustraits illégalement du patrimoine d’un État. Cette politique nationale offensive s’inscrit donc pleinement dans les engagements internationaux de la France que Jean-Yves Le Drian, Jean-Baptiste Lemoyne et moi-même soutenons avec beaucoup d’intérêt.
Néanmoins, nous devons le reconnaître, cette politique est inachevée pour ce qui concerne la restitution intégrale, aux États et aux populations, des biens dont ceux-ci ont été spoliés par des dirigeants ou des agents publics corrompus. L’état du droit ne permet pas la restitution de ces biens, sauf dans le cas d’un acte de souveraineté, qui prendrait la forme d’un accord politique entre la France et un pays tiers – accord difficile, reconnaissons-le, quand il s’agit des situations que vous avez décrites.
Par conséquent, lorsqu’une décision de confiscation a été prononcée par une juridiction française, l’Agrasc n’a pas d’autre possibilité juridique que de transférer les fonds correspondants au budget général de l’État. Le droit français prévoit également une règle de partage à cinquante-cinquante, sauf accord contraire, lorsque la France est sollicitée pour exécuter une décision prise par une juridiction étrangère.
Je vous l’accorde, nous ne pouvons pas, sur un plan tant éthique que politique, nous contenter de cet état du droit, car celui-ci revient à pénaliser une deuxième fois les habitants des pays dont sont issus les avoirs confisqués. Les populations spoliées, victimes de la corruption qui s’est d’abord faite à leur détriment, ne peuvent ensuite récupérer les sommes et les biens détournés par les dirigeants peu scrupuleux. Cette situation, je le répète, ne nous satisfait pas ; ces biens appartiennent à des populations auxquelles ils doivent être rendus. Votre travail est donc bienvenu, monsieur le Sueur, et nous le saluons.
De surcroît, les règles internationales en la matière évoluent. La convention des Nations unies contre la corruption, ratifiée par la France en 2005, prévoit la restitution obligatoire et intégrale des avoirs illicites au profit de l’État étranger. Cela dit, ses stipulations ne s’appliquent que très rarement, lorsque les juridictions nationales de l’État spolié ont mené à terme les procédures judiciaires nécessaires pour recouvrer les avoirs illicites ; en effet, dans la plupart des cas, les juridictions de l’État d’origine n’engagent pas ce type de demande, par crainte de représailles ou parce qu’elles ne le souhaitent pas pour toute autre raison.
Plusieurs organisations de la société civile de premier rang, comme Transparency International, ont d’ailleurs souligné l’importance de la question du retour des biens mal acquis, en invitant les États à modifier leur législation. Certains de nos partenaires européens travaillent sur ce sujet, et, en tant que secrétaire d’État chargée des affaires européennes, qui suit par ailleurs de près la situation des pays européens non membres de l’Union européenne, je suis frappée de la diversité des situations.
J’ai ainsi appris que l’Allemagne avait mis en place, en 2017, un dispositif de restitution sans jugement préalable ; l’Italie permet de transférer des biens confisqués directement aux victimes ; la loi suisse prévoit des restitutions sur le fondement de projets de développement. Bref, il n’y a pas, en Europe, de modèle unique, et nous devons définir les règles permettant d’être le plus efficace, compte tenu de l’environnement budgétaire et normatif qui nous est propre.
C’est dans ce contexte que nous examinons votre proposition de loi, cher Jean-Pierre Sueur. Je tiens à saluer de nouveau la très grande qualité de votre travail et les échanges que nous avons eus sur ce sujet délicat. La volonté du groupe socialiste et républicain du Sénat, qui correspond à celle de la commission des finances, correspond aussi à la volonté du Gouvernement. Nous sommes pleinement décidés à compléter le dispositif français dans ce domaine, le plus rapidement et le plus efficacement possible.
Le dépôt et l’examen de cette proposition de loi remplissent en ce sens pleinement leur office ; en interpellant l’ensemble des ministères concernés par cette difficile question, ce texte nous prépare d’ores et déjà à y apporter une solution. Notre ambition partagée doit être de restituer aux populations victimes les avoirs issus de la corruption, selon un mécanisme exigeant, précis, opérationnel et permettant d’articuler différentes compétences, à commencer par celles de l’Agrasc, qui gère les avoirs saisis et confisqués et qui doit pouvoir identifier, sans ambiguïté juridique, l’ensemble des dossiers et des biens concernés. Cela suppose de définir un champ d’application rigoureux, concernant la nature tant des infractions que des personnes visées.
Il faut également articuler ce mécanisme avec les services de l’État dépositaires d’une compétence et d’une expertise reconnues en matière d’aide au développement, susceptibles de pouvoir organiser des programmes, souples, échelonnés et adaptés à chaque cas d’espèce, de rapatriement des fonds, dans le cadre d’une coopération étroite avec le ministère des affaires étrangères et la société civile. Cela suppose de définir des principes – vous en avez déterminé cinq, monsieur Sueur – qui permettent d’atteindre les objectifs politiques, humanitaires, sociaux et économiques que nous aurons.
À cet égard, la présente proposition de loi crée un fonds destiné à recueillir les recettes provenant des confiscations prononcées en matière de corruption transnationale. C’est une piste de travail intéressante, mais, cela a été rappelé par M. le rapporteur de la commission des finances, nous avons des réserves, car les difficultés techniques sont nombreuses.
La première difficulté tient à la question cruciale de la répartition des compétences que j’évoquais à l’instant. Si un fonds devait être créé et alimenté par l’Agrasc, il resterait encore à en définir le positionnement et le cadre de gestion, compte tenu de sa finalité singulière. Ce fonds n’aurait en effet rien de comparable avec les fonds de concours déjà gérés par l’Agrasc, qui sont tous orientés vers le financement de politiques publiques nationales visant à renforcer la lutte contre la délinquance et la criminalité.
Deuxième difficulté, d’ordre juridique, votre proposition de loi ne s’intéresse qu’aux délits de blanchiment et de recel. Or l’inclusion des délits sous-jacents de corruption, de détournement de fonds publics et d’abus de confiance pourrait être plus opérante. De la même manière, la notion de « personnes étrangères politiquement exposées » n’existe pas en droit pénal ; elle reste donc assez vague, et nous pouvons nous demander si elle permettra d’identifier réellement les personnes que nous souhaitons viser.
Troisième difficulté – cela a été soulevé en commission –, les aspects relatifs au droit budgétaire et financier posent également problème, puisque la décision de créer un fonds au sein du budget général de l’État et de lui affecter des recettes relève du domaine exclusif de la loi de finances et non de celui d’une loi ordinaire.
Enfin, il serait nécessaire d’expertiser davantage le montage juridique. Le financement d’actions de développement par le biais de l’affectation de recettes provenant de confiscations, comme le prévoit la proposition de loi, serait tributaire de l’avancée, par construction irrégulière, des dossiers judiciaires. Or le mécanisme d’abondement de fonds de concours par l’Agrasc étant déjà particulièrement complexe, il nous semble préférable d’envisager des options plus simples et plus lisibles ; nos services travaillent sur cette piste. Cela peut par exemple passer par des crédits budgétaires, au sein du budget général, qui feraient correspondre aux saisies en matière de corruption des dépenses équivalentes de développement.
Que propose donc aujourd’hui le Gouvernement pour que le Parlement adopte un mécanisme de restitution efficace, transparent et adapté à chaque cas d’espèce ?
D’abord, Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, lancera dans quelques jours une mission parlementaire sur le sujet précis, spécifique, du retour des biens mal acquis. Cette mission aura pour objet de proposer un mécanisme global traitant l’ensemble des difficultés juridiques, budgétaires et de gestion que j’ai rappelées et respectant les principes posés par la convention des Nations unies contre la corruption. Elle devra en particulier étudier chacune des pistes budgétaires qui sont aujourd’hui sur la table. Elle sera bien sûr utilement éclairée par les dispositifs mis en œuvre par d’autres États. L’exemple suisse a été maintes fois mentionné au cours des travaux de commission, et nous nous intéressons à la manière de le transposer, le plus simplement possible, dans le droit français.
Ce travail d’expertise complémentaire s’inscrira dans un calendrier très resserré, et le rapport de la mission sera remis au garde des sceaux au mois de juillet prochain. Il pourra s’appuyer utilement sur les travaux menés par la Haute Assemblée. Cette démarche permettra d’adopter les dispositions législatives correspondantes à la fin de l’année 2019 au plus tard, au travers du projet de loi de finances pour 2020. Je prends devant vous cet engagement formel et solennel ; ce dispositif sera intégré à ce moment-là.
Le Gouvernement vous remercie, cher Jean-Pierre Sueur, mesdames, messieurs les sénateurs, d’avoir définitivement inscrit cette question dans notre agenda politique, afin que toutes les volontés convergent dans la même direction. Nos engagements juridiques et diplomatiques, mais également nos valeurs et les principes républicains que nous défendons nous intiment d’y apporter enfin une réponse efficace.
Vous l’aurez compris, pour le Gouvernement, cette réponse ne peut pas être celle que la commission des finances présente aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle il ne pourra pas émettre un avis favorable sur cette version du texte. Je vous invite donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à ne pas adopter cette proposition de loi, afin que nous puissions débattre dans quelques mois d’un dispositif pleinement opérationnel, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2020. (M. Roger Karoutchi lève les bras au ciel.)
M. Philippe Dallier. C’était bien la peine…
M. Roger Karoutchi. Donnez au moins un avis de sagesse !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Le Gouvernement s’engage à travailler à ce sujet dans le cadre du prochain projet de loi de finances. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier M. Sueur d’avoir été à l’initiative de ce débat au sein de l’hémicycle. Si j’ai bien compris vos propos, madame la secrétaire d’État, cela permettra d’approfondir cette question, même si l’on aurait souhaité aller encore plus vite, à partir de cette proposition de loi.
Je veux aussi saluer, au nom du groupe Union Centriste, le travail réalisé sur ce point par le rapporteur de la commission des finances, Antoine Lefèvre, depuis de nombreuses années déjà.
Nous évoquons ici un sujet important, les biens injustement acquis dans l’exercice du pouvoir par certains dirigeants, souvent au détriment de leur population. Il s’agit d’une pratique que l’on ne peut que déplorer et qui montre que la corruption – on en parle assez régulièrement dans les médias – existe et prospère encore dans le monde.
C’est aussi l’occasion d’évoquer la situation en France, au travers notamment de la question relative à la fraude fiscale, chère à nombre de nos collègues – je pense en particulier à Nathalie Goulet –, dont le niveau reste élevé. Le syndicat Solidaires Finances publiques estime son montant entre 80 milliards et 100 milliards d’euros tandis que le Conseil des prélèvements obligatoires l’évalue autour de 25 milliards d’euros. Il y a par conséquent encore des efforts à faire pour assurer une meilleure justice fiscale dans notre pays.
Se pose également la question de la fraude aux prestations sociales et de la fraude documentaire. Cela demeure une préoccupation importante ; nous devons y travailler pour que les choses soient encore plus transparentes et que ce phénomène soit limité le plus possible.
Nous espérons donc que la création, proposée en septembre dernier par le ministre de l’action et des comptes publics, d’un observatoire de la fraude fiscale se concrétisera le plus rapidement possible ; cet observatoire n’existe toujours pas…
Cela dit, les avoirs mal acquis sont nombreux ; nous en avons vu quelques exemples, émanant notamment de la Guinée équatoriale, dans notre pays. Ainsi, en 2017, un jugement a condamné un dirigeant de ce pays ; les recours n’ont pas encore été épuisés dans cette affaire, mais la décision rendue a conduit à saisir un hôtel particulier avenue Foch, à Paris, dix-huit voitures de luxe, de nombreux biens mobiliers et des bijoux. La valeur des biens concernés peut ainsi être importante…
Une autre affaire vise le Gabon, dont l’un des dirigeants est actuellement mis en cause ; la confiscation des biens situés sur notre territoire a eu lieu, pour plus de 60 millions d’euros ; les sommes à récupérer sont par conséquent élevées.
Des efforts sont faits dans certains pays, ne l’oublions pas. Je pense au Royaume-Uni, aux États-Unis, mais aussi à la Suisse, même si l’on peut être étonné par le comportement de ce pays, puisqu’il existe toujours, à côté de Genève, aux portes de notre pays, un port franc, qui compte plus d’un million d’œuvres d’art, nous dit-on, pour une valeur qui dépasse 80 milliards d’euros. Des efforts doivent être accomplis là aussi pour que les choses soient plus transparentes ; la fraude se développe également, hélas, par le biais des ports francs.
Pour lutter contre la fraude, nous avons créé, en 2011, l’Agrasc ; celle-ci travaille bien, me semble-t-il. J’aurai l’occasion de présenter, au nom du groupe Union Centriste, un certain nombre d’amendements, qui visent à en améliorer le fonctionnement et à lui donner quelques perspectives, issues de l’excellent rapport de notre collègue Antoine Lefèvre.
Cette agence a besoin de pouvoir continuer son action. Depuis sa création, elle n’a consacré à l’entraide internationale que 1 % des biens qu’elle a récupérés. C’est dire tout le chemin qu’il reste à parcourir pour faire en sorte que les biens acquis grâce à la spoliation de populations étrangères soient restitués à celles-ci.
Cela rejoint d’ailleurs l’objectif, défini par le Président de la République, madame la secrétaire d’État, consistant à consacrer 0,55 % du produit intérieur brut à l’aide au développement. Je considère en effet que cela ferait aussi partie de l’aide publique au développement que d’assurer le retour de ces ressources dans les pays dont elles proviennent.
Nous devons donc mettre conjointement en œuvre ces actions pour permettre à ces biens de retourner dans leur pays d’origine, afin que ces populations puissent en profiter, tout en prévoyant les garde-fous nécessaires, puisque la corruption existe encore dans bon nombre de pays ; il ne faudrait en effet pas l’encourager par ce mécanisme…
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi relative à l’affectation des avoirs issus de la corruption transnationale.
La corruption transnationale renvoie à l’accaparement de biens publics ou privés au profit d’une minorité d’oligarques, qui bénéficient indûment d’un enrichissement illicite. Cette forme de corruption se caractérise notamment par les conséquences économiques et sociales injustes qu’elle fait peser sur les pays d’origine.
Rappelons les chiffres de la Banque mondiale : chaque année, la corruption transnationale ferait perdre entre 20 milliards et 40 milliards de dollars aux pays en développement, soit 20 % à 40 % de l’aide publique au développement. Les pays dont il est question sont le plus souvent, nous le savons tous, des pays en développement, des pays où l’État de droit a failli, au bénéfice de quelques criminels et aux dépens des citoyens. Ce sont des pays qui se retrouvent ainsi privés des ressources dont ils manquent déjà pour financer leur développement de façon pérenne. Cette mécanique n’a, hélas, rien de nouveau, et l’argent qui est volé là-bas finit parfois par être investi ici.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, mes chers collègues, nous fait envisager le problème sous un angle nouveau ; quand l’État fait respecter ici la loi et saisit ces biens mal acquis, il ne permet pas leur retour dans le pays d’origine, et il freine ainsi le développement économique et social de celui-ci. Nul ne peut se satisfaire de cette situation, dans laquelle notre droit entérine de fait la spoliation de ces populations et échoue à indemniser les victimes de la corruption.
C’est à cette fin que la France a ratifié, en 2005, la convention des Nations unies contre la corruption, qui fixe le cadre international de la restitution des avoirs confisqués à la suite de condamnations en matière de corruption.
Des mesures ont déjà été prises dans notre pays pour appliquer cette convention, avec la loi du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale.
Mais cela ne suffit pas et nous devons encore poursuivre nos efforts dans ce sens, afin de donner corps aux engagements que nous avons pris sur la scène internationale.
Au-delà de nos frontières, la Suisse a déjà fait bouger les lignes. Les premiers retours d’expérience, recueillis après le traitement de plusieurs affaires symboliques, montrent que l’on peut agir pour tenter de réparer le dommage subi par les populations spoliées. Il s’agit manifestement d’un exemple intéressant.
Cependant, derrière une intention noble se cachent de nombreuses difficultés pratiques.
Premièrement, dans beaucoup de cas, il serait mal avisé de restituer ces biens confisqués à un État que nous savons défaillant.
Deuxièmement, comment s’appuyer sur la société civile pour restituer à ces populations les ressources dont elles ont été spoliées ? Comment choisir un acteur privé pour lui confier une telle mission d’intérêt général ?
Ici encore, l’exemple suisse nous montre qu’il n’existe pas de solution miracle et que chaque situation doit être traitée au cas par cas.
Mais avant même de rencontrer ces difficultés que nous concevons lorsque nous envisageons le meilleur moyen d’agir par-delà nos frontières, nous nous heurtons à une première difficulté juridique. Comme l’a souligné le rapporteur, la création d’un fonds dédié au sein du budget de l’État, comme le prévoit la proposition de loi, ne paraît pas répondre aux prescriptions de la LOLF en matière d’affectation de recettes.
Dès lors, il ne serait pas possible, en l’état, d’utiliser le produit des avoirs issus de la corruption internationale pour l’affecter à une action spécifique – par exemple, au budget de l’AFD, l’Agence française de développement, qui pourrait être un acteur indiqué pour mener à bien cette mission dans les pays concernés. La solution appartient donc aujourd’hui au Gouvernement.
Le groupe les Indépendants – République et Territoires suivra la position de la commission des finances et votera en faveur de l’esprit de la proposition de loi, en espérant que le Gouvernement se saisisse de l’appel que nous lui lançons aujourd’hui pour agir demain en matière de corruption transnationale.
La perspective du prochain sommet du G7, qui sera organisé en août, à Biarritz, sous présidence française, semble être une excellente opportunité d’engager plus avant notre pays dans cette démarche qui lui fait honneur. (MM. Jean-Pierre Sueur, Jean-Claude Requier et Michel Canevet applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.
M. Didier Rambaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, sur l’initiative de Jean-Pierre Sueur, nous débattons aujourd’hui du sujet important de la corruption transnationale.
Important moralement, parce que ce phénomène constitue une brèche dans les valeurs universelles que doit défendre notre pays.
Important financièrement, parce que la corruption transnationale subtilise à des populations entre 20 et 40 milliards de dollars chaque année, selon les estimations de la Banque mondiale, au profit d’individus.
Posons les termes : la corruption transnationale est le fait d’offrir un avantage indu, pécuniaire ou autre, à un agent public étranger, à son profit ou au profit d’un tiers, pour que cet agent agisse ou s’abstienne d’agir dans l’exécution de fonctions officielles, en vue d’obtenir ou de conserver un marché dans le commerce international.
Avec l’entrée en vigueur de la convention sur la lutte contre la corruption, la France a adopté plusieurs incriminations de corruption et de trafic d’influence en relation avec des agents publics étrangers. Elle a aussi étendu les pouvoirs des enquêteurs.
Parmi les mesures récentes permettant de mieux saisir le phénomène, je tiens à souligner la possibilité offerte aux associations de lutte contre la corruption de se constituer partie civile, ou encore la création utile du parquet national financier, dont le rôle a été décisif dans l’affaire des biens mal acquis et la condamnation du vice-président de Guinée équatoriale.
Cette condamnation a reposé sur l’acte de blanchiment, compris comme infraction autonome et distinct des délits d’origine d’abus de biens sociaux, détournement de fonds publics et corruption commis en Guinée équatoriale. Elle a validé la vente des biens saisis et l’affectation de son produit au budget de l’État.
Voilà où se situe la proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Sueur : l’affectation des recettes provenant de la confiscation des sommes ou biens issus de la corruption aux populations des États où la corruption a eu lieu.
Les sommes recouvrées et le produit de la vente des biens confisqués seraient ainsi affectés à l’amélioration des conditions de vie des populations et au renforcement de l’État de droit, ainsi qu’à la lutte contre la corruption dans le ou les pays où les infractions en cause ont été commises.
Mon groupe s’abstiendra sur ce texte, car plusieurs points doivent encore être éclaircis.
Tout d’abord, cette proposition de loi repose sur l’idée que les faits de corruption ont lieu exclusivement dans les pays les plus pauvres. Or cette idée est contredite par le rapport de l’OCDE sur la corruption transnationale selon lequel, dans un cas sur deux, ces faits se déroulent dans un pays développé.
Aussi, l’affectation de ces sommes à des pays en développement, comme le prévoit la proposition de loi, n’est pas viable, non seulement parce que cela relève de la politique de développement de notre pays, mais aussi parce que cette affectation présente un risque de recyclage de l’argent dans un circuit de corruption. Pourrait-on accepter, par exemple, que les sommes issues de la vente de biens confisqués soient utilisées pour payer un marché public auprès d’une entreprise française de BTP ?
La morale nous engage à ce que les sommes provenant de la vente de voitures de luxe, d’œuvres d’art ou d’immeubles ayant servi à blanchir de l’argent détourné ou issues de la corruption soient reversées aux populations des pays où la corruption est – hélas ! – inscrite dans les mœurs et dans les habitudes.
Pourtant, la proposition de loi qui nous est soumise ne répond pas encore à cette exigence morale. En effet, comme l’a souligné le rapporteur, la création d’un fonds au sein du budget général contrevient aux règles de la LOLF.
Nous pouvons alors, mes chers collègues, regarder chez nos partenaires. L’affaire des biens mal acquis est un bon cas pratique : aux États-Unis, le department of justice, ou DoJ, a conclu un accord avec Teodorin Obiang pour qu’il renonce à 30 millions de dollars d’avoirs qui seront reversés à des associations caritatives au bénéfice du peuple de Guinée équatoriale.
En Suisse, Teodorin Obiang n’a pas été condamné, le code pénal de ce pays permettant, pour le dire rapidement, de compenser le tort causé. La Guinée s’était en effet engagée à ce que le produit de la vente de voitures saisies en Suisse soit affecté à une organisation internationale menant un projet humanitaire en Guinée.
La Suisse, comme cela a été rappelé, est citée en exemple en matière de restitution des avoirs illicites : sur les trente dernières années, environ 2 milliards de dollars ont été restitués aux populations.
L’évolution de la législation suisse est liée aux événements et présente un caractère d’opportunité. Il en est ainsi de la loi Duvalier, qui vise à éviter que l’argent détourné et caché en Suisse par l’ancien dirigeant d’Haïti ne puisse lui revenir.
Je pense également au fonds créé conjointement par la Suisse et les États-Unis dans le cadre d’une affaire de corruption au Kazakhstan : 115 millions de dollars ont transité par la Banque mondiale au profit de la population kazakhe.
Chaque fois, la Suisse s’engage dans un dialogue avec l’État concerné. Il n’y a donc aucune automaticité. Il faut le redire : l’automaticité de l’affectation des recettes pose question, puisque la moitié des affaires de corruption concerne les pays développés.
Mes chers collègues, en conclusion, nous devons trouver les bons outils pour répondre au défi de la restitution des avoirs confisqués dans les affaires de corruption.
L’affectation des sommes à l’AFD est une piste, même si l’ajout de cette responsabilité risque de nuire à la cohérence globale des missions de l’Agence. Il me semble que s’appuyer sur les ONG, comme le font la Suisse et les États-Unis, serait plus prometteur.
Enfin, notre droit pénal mérite sans doute d’être revu, comme le suggèrent les auteurs de certains amendements. Malheureusement, la proposition de loi ne répond pas à ces questions juridiques.
Mon groupe soutiendra un futur débat qui permettra de suivre les évolutions sur ce chantier. Je remercie madame la secrétaire d’État des preuves d’engagement qu’elle nous a données. Cette détermination honore notre pays.
Nous autres, parlementaires, resterons attentifs aux propositions du Gouvernement et aux engagements internationaux. (M. Thani Mohamed Soilihi applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux commencer par remercier Jean-Pierre Sueur de nous donner l’opportunité de discuter d’une question aussi importante que la corruption transnationale.
Cette proposition de loi va dans le bon sens. Nous soutenons l’idée d’instaurer un fonds destiné à recueillir les recettes provenant de la confiscation des biens détenus par des personnes étrangères, issus de la corruption transnationale.
Nous soutenons l’idée de restituer ces sommes aux populations victimes.
Oui, nous voulons être impitoyables avec celles et ceux qui accaparent les richesses de leurs peuples. Oui, la France doit être exemplaire.
Nous pensons même qu’il est encore possible de renforcer la proposition de loi. Le Gouvernement doit nous donner des assurances quant au fonctionnement du mécanisme proposé. Vos propos, madame la secrétaire d’État, ne m’ont pas paru empreints d’enthousiasme sur cette dernière question.
Oui, mes chers collègues, il est nécessaire d’éradiquer la corruption, cette « exploitation des gens sans défense » que condamnait l’écrivain franco-marocain Tahar Ben Jelloun dans son recueil Amours sorcières.
S’engager contre ce phénomène est un impératif économique. Selon la Banque mondiale, chaque année, entre 20 et 40 milliards de dollars disparaissent dans les pays en voie de développement, soit l’équivalent de 20 % à 40 % de l’aide publique au développement. Ces chiffres nous conduisent à nous interroger sur la justice et l’efficacité des politiques actuellement menées.
En ce qui concerne l’efficacité, la Banque mondiale a souligné, dès 2001, que la corruption constitue l’un des « grands obstacles au développement économique et social » des pays en développement.
Pour ce qui est de la justice, la corruption est l’un des ressorts du capitalisme mondialisé. L’OCDE, dans une étude de 2014, a souligné que ce sont majoritairement les directions d’entreprise et, dans 12 % des cas, directement les PDG, qui sont responsables des actes de corruption internationale. De plus, 11 % des personnages publics incriminés sont des présidents ou des présidentes, ou des membres de gouvernements…
Tous ces éléments revêtent un poids particulier pour notre pays. Oui, la France doit impérativement faire évoluer son arsenal juridique, car ses gouvernements successifs n’ont pas été exemplaires dans ce domaine – ne nous le cachons pas.
Il faut se réjouir du jugement du tribunal correctionnel de Paris du 27 octobre 2017 qui condamne le vice-président de Guinée équatoriale dans l’affaire des biens mal acquis.
Pour autant, nous ne serions pas sérieux en délivrant un satisfecit à l’action gouvernementale française de ces cinquante dernières années en matière de corruption transnationale. Dans ce contexte, cette proposition de loi va dans la bonne direction en prolongeant les acquis du droit international, et particulièrement les efforts de l’Organisation des Nations unies, sous les auspices de laquelle a été adoptée, en 2003, la convention dite de Mérida contre la corruption.
Cependant, la nécessaire activation par l’État victime et le niveau parfois généralisé de corruption qui gangrène certains pays empêchent souvent l’application pleine et entière des principes de restitution et de partage direct avec les populations des avoirs issus de la corruption.
De même, le partage n’est pas automatique : un accord est nécessaire avec l’État requérant. Dès lors, la restitution directe ou indirecte aux populations civiles fait trop souvent défaut.
Le mécanisme contenu dans la proposition de loi pourrait résoudre ce problème. Nous souhaiterions, aux côtés de Jean-Pierre Sueur, faire en sorte que l’esprit de ce texte puisse être assuré pour l’avenir. Nous faisons, à cet égard, cinq propositions.
Tout d’abord, il nous paraît important que les sociétés civiles des pays en cause soient associées aux opérations de restitution des fonds.
Ensuite, nous souhaiterions que le mécanisme proposé intègre des perspectives de coopération avec les autres États mettant déjà en œuvre ces procédures.
Dans le même ordre d’idée, une évaluation annuelle de l’action du fonds devrait être réalisée et publiée, afin de nous permettre de suivre concrètement l’action des services de l’État.
Les révélations sur les cas de corruption sont souvent le fruit du travail de journalistes, d’associations ou de lanceuses et lanceurs d’alerte.
M. Roger Karoutchi. Ou des opposants !
M. Pascal Savoldelli. Dès lors, nous revendiquons l’instauration d’une protection juridique dans le cadre des affaires de corruption transnationale.
Enfin, nous pensons qu’une part importante des fonds récupérés, notamment ceux qui ne peuvent pas faire l’objet d’une restitution, devrait participer directement au renforcement des systèmes fiscaux des pays en voie de développement.
Vous l’aurez compris, nous voulons la concrétisation pleine et entière de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Éblé.
M. Vincent Éblé. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de Jean-Pierre Sueur vise à traiter la question de la corruption transnationale, soit « l’accaparement de biens publics ou privés au profit d’une minorité d’oligarques qui bénéficient indûment d’un enrichissement illicite ».
Les avoirs issus de la corruption transnationale procèdent pour l’essentiel de faits traduisant un manquement au devoir de probité devant guider les personnes dépositaires de l’autorité publique. L’équité exige donc d’affecter ces sommes détournées au profit des populations victimes de tels agissements, notamment au bénéfice des catégories les plus pauvres, privées des services de base – eau, électricité, santé… – que leur État d’origine ne leur fournit pas.
La mise en œuvre d’un tel principe est cependant loin d’être acquise. En l’état actuel de notre droit, rien ne permet en effet de garantir que les avoirs issus de la corruption transnationale soient restitués aux populations victimes ou, tout du moins, mis à leur bénéfice.
Par l’effet de la décision de confiscation, ces fonds sont transférés au budget général de l’État en tant que recette non fiscale. Le Trésor public est donc le tout premier – voire l’ultime – bénéficiaire des avoirs issus de la grande corruption.
C’est une situation difficilement acceptable qui constitue une double peine pour les populations victimes. La défaillance des gouvernements des États d’origine ne justifie en rien que ces avoirs, issus de la grande corruption, ne soient pas restitués aux peuples spoliés par leurs dirigeants malhonnêtes. Dès lors, il nous appartient d’adapter nos dispositifs législatifs, afin de garantir cette affectation. C’est une question de justice et d’honneur pour notre pays.
Les juges français ont récemment marqué un pas décisif dans la lutte contre l’impunité de certains des anciens ou actuels dirigeants des pays concernés.
Je pense notamment à la condamnation, en octobre 2017, du vice-président de Guinée équatoriale, Teodorin Obiang, à trois ans de prison avec sursis et à 30 millions d’euros d’amende, pour s’être frauduleusement bâti en France un patrimoine considérable.
L’ayant reconnu coupable de blanchiment d’abus de biens sociaux, de détournement de fonds publics, d’abus de confiance et de corruption, le tribunal a également ordonné la confiscation de l’ensemble des biens saisis, dont un somptueux hôtel particulier, situé avenue Foch, à Paris.
Cette récente affaire met en évidence les enjeux majeurs qui demeurent autour de la restitution des avoirs. En effet, l’estimation du patrimoine confisqué s’élèverait à environ 150 millions d’euros, somme qui serait bien utile aux Équato-Guinéens…
Le cœur de cette proposition de loi permet d’aller plus loin en la matière en garantissant l’affectation des sommes confisquées non pas au budget général de l’État, mais bien à la restitution des avoirs illicites, conformément au principe plaidé par la France, voilà déjà quatorze ans, devant les Nations unies.
Il existe une attente très forte de nombreuses organisations internationales et ONG, afin que la France garantisse l’affectation des sommes confisquées au bénéfice de l’amélioration des conditions de vie des populations, au renforcement de l’État de droit, ainsi qu’à la lutte contre la corruption dans le ou les pays concernés.
Aujourd’hui, seule une minorité de pays, dont la Suisse, le Royaume-Uni et les États-Unis, restitue aux populations des États d’origine les sommes confisquées dans le cadre d’affaires de corruption transnationale.
Parmi ces pays, seule la Suisse s’est dotée d’une législation visant à restituer les valeurs patrimoniales d’origine illicite de personnes politiquement exposées à l’étranger. Nos voisins helvètes ont ainsi pu restituer aux populations concernées près de deux milliards de dollars.
Adopter la proposition de loi qui vous est soumise, mes chers collègues, constituerait une étape supplémentaire pour rendre justice aux populations victimes de la corruption.
Notre collègue Antoine Lefèvre, rapporteur de ce texte, nous a indiqué partager les objectifs visés et a émis l’idée de faire transiter ces fonds par l’Agence française de développement. Cependant, notre droit parlementaire, particulièrement l’article 40 de la Constitution, ou encore l’article 36 de la loi organique relative aux lois de finances, contraint notre capacité d’ajustement du texte par amendement pour préciser les intentions de Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi.
Ce texte étant accueilli très favorablement par une très large majorité de nos collègues, nos discussions doivent permettre de lever les obstacles soulevés par la rédaction actuelle de cette proposition de loi. J’invite le Gouvernement à prendre toute sa part à l’amélioration du dispositif proposé. Il me semble qu’il est possible de le faire dès aujourd’hui, dans la mesure où il ne s’agit pas de phénomènes d’une grande complexité.
En conclusion, à la veille du G7, sous présidence française, au mois d’août prochain, à Biarritz, l’adoption de cette proposition de loi par la Haute Assemblée enverrait un signal fort sur notre capacité à traiter de ces délicates problématiques.
Le groupe socialiste soutiendra ce texte et toute démarche qui permettrait de l’améliorer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Éric Gold.
M. Éric Gold. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, de l’avis de tous dans cet hémicycle, la corruption transnationale reste un fléau qui hypothèque l’avenir des populations des pays du Sud, au profit de quelques minorités confisquant les richesses. Notre devoir est de la combattre avec la plus grande détermination.
Yvon Collin et le président Jean-Claude Requier se sont rendus, l’an dernier, au siège de la Banque mondiale, dans le cadre de leur mission de contrôle budgétaire des crédits de l’aide au développement. Ils y ont constaté non seulement l’absolue nécessité du système d’aide multilatéral, mais aussi sa trop grande complexité.
Bien évidemment, les actions d’aide doivent être concentrées vers les pays les moins avancés. Toutefois, trop souvent, ce sont aussi ceux où le multilatéralisme comme la solidarité internationale sont aujourd’hui malmenés par les tensions géopolitiques et par diverses tentations de repli.
La présente proposition de loi s’inscrit dans un contexte législatif et international où la lutte contre la corruption est, depuis plusieurs années, une priorité.
Les États de l’OCDE ont adopté, en 1999, la convention de lutte contre la corruption dans les transactions commerciales internationales qui définit clairement la corruption transnationale comme l’accaparement de biens publics ou privés par une minorité de ressortissants d’États étrangers à des fins d’enrichissement illicite, dans l’intérêt d’acteurs, le plus souvent du Nord, visant à bénéficier d’accès indus à des marchés ou au commerce international.
Par ailleurs, la convention des Nations unies contre la corruption, entrée en vigueur en 2005, a affirmé le principe de la restitution des avoirs acquis de façon illicite.
En droit interne, la loi Warsmann, du 9 juillet 2010, a renforcé les conditions de saisie et de confiscation des profits illicites, en particulier en matière pénale, et a créé l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués.
Plus récemment, la loi Sapin II a introduit en France la convention judiciaire d’intérêt public qui permet de poursuivre plus efficacement les personnes morales soupçonnées de faits de corruption à l’étranger, comme cela se fait chez nombre de nos voisins.
La proposition de notre collègue Jean-Pierre Sueur vise, quant à elle, les personnes physiques dites « politiquement exposées », c’est-à-dire des responsables étrangers mis en cause dans des affaires de biens mal acquis.
Ce dossier a récemment connu des évolutions notables avec la condamnation du vice-président de Guinée équatoriale, en octobre 2017, à trois ans de prison et 30 millions d’euros d’amende pour détournement de fonds publics.
Aujourd’hui, Rifaat al-Assad, oncle du président syrien Bachar al-Assad et ancien dignitaire du régime, pourrait également être inquiété pour des faits similaires.
Il est vrai que les conditions de restitution des avoirs acquis illicitement continuent de poser d’importantes difficultés pratiques.
S’il peut paraître injuste que l’État français saisisse purement et simplement des biens qui devraient, en toute logique, revenir aux États victimes de cette corruption, la persistance de la corruption dans ces États, voire l’absence de structure étatique digne de ce nom, rend hasardeuse toute entreprise concrète de restitution.
À cet égard, j’émettrai quelques doutes sur l’efficacité de cette proposition de loi à atteindre réellement le but recherché, même si je souscris pleinement à son objectif.
Le nouveau fonds serait ainsi chargé d’affecter les ressources récupérées « à l’amélioration des conditions de vie des populations et au renforcement de l’État de droit ainsi qu’à la lutte contre la corruption dans le ou les pays où les infractions […] ont eu lieu. » Mais les modalités précises de l’affectation sont renvoyées à un décret en Conseil d’État…
Pouvait-il en être autrement, compte tenu des contraintes strictes qui sont les nôtres en tant que parlementaires, du fait de l’article 40 de la Constitution et des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances ?
Pour ma part, et cela fera le lien avec le début de mon propos, je pense que l’Agence française de développement, au sein du budget de l’État, pourrait être un acteur clé dans la réparation des dommages causés aux pays et aux populations concernés.
Après ces remarques, et malgré quelques réserves, vous comprendrez, mes chers collègues, que les membres du groupe du RDSE voteront en faveur de cette proposition de loi. (MM. Jean-Claude Requier, Jean-Pierre Sueur et Michel Canevet applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, tout a été dit.
Je ne reviendrai pas encore et encore sur la condamnation de Teodorin Obiang ni sur la convention de l’OCDE ou celle de l’ONU. Je voterai le présent texte.
Toutefois, madame la secrétaire d’État, nous ne sommes que le Parlement – mais tout le Parlement – et sommes conscients que nous ne pouvons régler les détails pratiques d’un tel système.
Confisquer les biens indus n’est pas facile, mais, à tout le moins, c’est jouable. Faire en sorte que les populations des États corrompus en bénéficient, c’est beaucoup plus difficile.
L’AFD qui a si souvent été évoquée ne peut lancer de projets dans les pays concernés qu’avec l’accord du gouvernement local. Or si vous demandez à un gouvernement corrompu de donner son aval à une opération de l’Agence, il l’accordera sûrement, mais retiendra une partie des sommes investies. Le jeu continuera, et ce jeu est terrible.
Cela dit, il s’agit d’une proposition de loi de principe. Nous savons très bien qu’un tel dispositif sera très compliqué à mettre en place, mais nous sommes tous d’accord sur le principe. Jean-Pierre Sueur a bien fait de déposer ce texte, même si nous ne sommes pas tous convaincus par son aspect opérationnel.
Vous nous indiquez, madame la secrétaire d’État, que la garde des sceaux met en place un groupe de travail et que, d’ici au mois de juin, elle sera en mesure de formuler des propositions.
À la place du Gouvernement, je souhaiterais la bienvenue à cette proposition de loi, que je laisserais prospérer, avant de l’amender à l’Assemblée nationale en fonction des conclusions, sans doute plus concrètes, de la mission que Mme Belloubet a commandée.
En revanche, madame la secrétaire d’État, nous demander de ne pas adopter cette proposition de loi dans l’attente d’un éventuel projet de loi, qui pourrait, un jour, se glisser dans l’agenda parlementaire, revient à enterrer ce texte.
Nous comprenons la bonne volonté du Gouvernement, mais je vous invite à laisser faire le jeu de la démocratie. Il s’agit d’une bonne proposition de loi qui soulève un problème : comment faire en sorte que l’argent des biens mal acquis profite réellement aux populations concernées ? Puisque tout le monde s’accorde sur le principe, peut-être pourrait-on imaginer que le Gouvernement et le Parlement travaillent dans le même sens pour répondre à cette question.
Émettez un avis de sagesse sur la proposition de loi de M. Sueur, laissez le Sénat l’adopter ce soir, puis amendez-la à l’Assemblée nationale à partir des conclusions de la mission Belloubet. Nous pourrons alors nous appuyer sur un texte crédible dans les prochains mois, ce qui serait à l’honneur de la France, à l’honneur de la République et à l’honneur du Gouvernement et de la vie parlementaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jérôme Bascher. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, que dire après l’intervention de Roger Karoutchi ?
Je reprendrai les grands termes de l’appel du 18 juin en disant qu’il s’agit de l’honneur de la France, de bon sens et de l’intérêt supérieur des nations.
Mais – car il y a un « mais » – la mise en application du dispositif pose problème, au regard, d’abord, de la LOLF, excusez du peu, ce qui ne peut que gêner les membres de la commission des finances.
En effet, la vraie question est celle de l’affectation systématique d’une recette. Avec la mode des gilets jaunes, on entend dire que l’argent de l’écologie devrait aller à l’écologie. De la même manière, l’argent de la corruption transnationale devrait aller dans les pays dont sont issues les personnes corrompues. À agir ainsi, le budget général disparaît, alors qu’il s’agit à mes yeux d’un principe fondamental.
Toutefois, il faut savoir faire des exceptions. En effet, le budget de l’aide au développement – l’AFD n’est peut-être pas le meilleur véhicule existant – paraît très insuffisant. Quoi qu’il en soit, c’est un vrai sujet de niveau européen.
La question de la corruption transnationale devrait aussi être examinée à l’échelon européen. Certes, l’OCDE passe des accords. Mais comment cela se traduit-il dans chacun des pays de l’Union ? Traiter ce sujet, c’est aussi construire l’Union européenne, afin qu’elle ne soit pas uniquement constituée de pays qui soient des passagers clandestins. En la matière, l’Union européenne doit avoir une vraie ligne directrice.
Je regrette, rejoignant ainsi totalement la position de Roger Karoutchi, que le Gouvernement souhaite traiter cette question dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020. Combien de sujets fondamentaux sont-ils renvoyés parce que vous n’avez pas travaillé, madame la secrétaire d’État ? Une telle situation n’est pas acceptable !
Ce texte a bel et bien été reporté ; il aurait dû être étudié voilà un mois. Il ne s’agit pas d’une nouveauté ! Jean-Pierre Sueur n’a pas découvert le sujet hier, pour le soumettre aujourd’hui à notre assemblée ! Vous avez eu le temps d’y réfléchir et de travailler. Vous auriez pu déposer des amendements sur tel ou tel point qui ne vous convenait pas. Chaque fois que le Sénat a une bonne idée, vous cherchez à la récupérer, à la « ripoliner » – passez-moi cette expression très budgétaire – et à la mettre à vos couleurs. Non, les idées et les décisions doivent être aux couleurs de la France et à son honneur. Quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, les sénateurs sont tous favorables à la lutte contre la corruption.
Faisons donc preuve d’une certaine grandeur, une belle valeur portée en son temps par le général de Gaulle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier de votre engagement. Vous avez bien souligné les difficultés pratiques liées à la restitution de la valeur des biens mal acquis. Il convient en effet de nous assurer qu’elle profitera bien aux populations spoliées et non pas à des régimes ou États qui pourraient en faire un usage néfaste.
Messieurs Karoutchi et Bascher, vos interventions m’ont étonnée. Selon vous, il faut adopter ce texte et trouver, au cours de la navette, une solution.
J’ai été députée, j’ai travaillé dans le cadre de navettes parlementaires avec la commission des finances du Sénat, notamment avec son président Vincent Éblé.
Nous avons travaillé. Une solution solide consisterait à ajouter des crédits budgétaires au budget de l’AFD. En tant que membres de la commission des finances, vous savez qu’il existe non pas cinquante possibilités pour y parvenir, mais seulement deux : le décret d’avance ou d’annulation et le projet de loi de finances rectificative. Or je ne crois pas que l’avenir de cette proposition de loi soit de devenir un projet de loi de finances rectificative, dont vous connaissez les contraintes, les délais et la lourdeur.
Je le répète, nous avons travaillé avec la direction du budget. Je me fais en cet instant la porte-parole de nombreuses administrations interministérielles et de la directrice de l’Agrasc, qui est présente ici ce soir. La mission engagée par Nicole Belloubet a justement pour objectif de clarifier, dans le cadre d’une concertation, l’intégralité des points d’application, en particulier la transparence s’agissant de l’utilisation finale des sommes en question.
Dans la mesure où il s’agit d’un sujet technique et budgétaire, ce dont nous sommes bien conscients, le bon outil reste le projet de loi de finances
Je souscris à l’idée collective, qui est de voter l’esprit d’un texte. Toutefois, nous le savons tous, le travail parlementaire ne consiste malheureusement pas à voter l’esprit des textes, mais à voter des textes.
Permettez-moi de résumer ma position. Il s’agit d’un sujet budgétaire, sur lequel nous avons un certain nombre de propositions très précises en tête. Nous avons travaillé, mais nous devons mener une concertation sur la finalité de l’utilisation des biens. Puisque les mesures dont il est question ne sont pas recevables au regard de nos principes budgétaires, nous devrons travailler dans le cadre du projet de budget.
Je vous transmets l’engagement formel que l’intégralité des services du Quai d’Orsay, à savoir la direction juridique et la direction de la mondialisation, travaillera à la réforme de l’aide au développement. Nous mènerons ce projet à terme, pour nous assurer que les crédits nécessaires figureront bien sur la ligne budgétaire appropriée dans le cadre du prochain budget.
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative à l’affectation des avoirs issus de la corruption transnationale
Article 1er
Le livre IV du code de procédure pénale est complété par un titre XXXIV ainsi rédigé :
« TITRE XXXIV
« DE L’AFFECTATION DES RECETTES PROVENANT DE LA CONFISCATION DES BIENS MOBILIERS OU IMMOBILIERS DÉTENUS DIRECTEMENT OU INDIRECTEMENT PAR DES PERSONNES ÉTRANGÈRES POLITIQUEMENT EXPOSÉES RECONNUES COUPABLES D’INFRACTIONS EN MATIÈRE DE PROBITÉ
« Art. 706-183. – I. – Il est créé, au sein du budget de l’État, un fonds destiné à recueillir les recettes provenant de la confiscation des biens mobiliers ou immobiliers détenus directement ou indirectement par des personnes étrangères politiquement exposées reconnues coupables, en France, en application des articles 321-1 à 321-5 et 324-1 à 324-4 du code pénal, des délits de recel ou de blanchiment du produit de biens ou de revenus provenant d’un crime ou d’un délit commis, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions, au préjudice d’un État étranger.
« Les sommes recouvrées et le produit de la vente des biens confisqués, déduction faite le cas échéant des frais de procédure engagés dans la limite d’un plafond fixé par décret, sont affectés à l’amélioration des conditions de vie des populations et au renforcement de l’état de droit ainsi qu’à la lutte contre la corruption dans le ou les pays où les infractions susvisées ont eu lieu.
« La procédure d’affectation des fonds repose sur les principes de transparence, de redevabilité, d’efficacité, de solidarité et d’intégrité.
« Les modalités de mise en œuvre des dispositions du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État.
« II. – Les ressources du fonds sont constituées par les recettes provenant desdits avoirs confisqués. »
M. le président. L’amendement n° 9 rectifié, présenté par M. Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« …. – Un rapport annuel d’évaluation est publié et transmis aux commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat. »
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Certes, M. Bascher fait référence au général de Gaulle. Mais quand on lui parle d’un rapport permettant d’assurer la transparence, il sourit !
Par cet amendement, il s’agit de prévoir un rapport d’évaluation qui serait transmis aux commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat.
À la différence du rapport déjà existant établi par l’Agrasc, dont nous avons débattu au sein de la commission des finances, ce document serait spécifiquement dédié aux actions du fonds. Il constituerait donc un complément au texte que nous examinons aujourd’hui.
Mes chers collègues, si nous partageons l’objectif de la proposition de loi et la volonté d’établir un mécanisme permettant de restituer aux populations victimes les biens spoliés, nous souhaitons garantir la transparence et l’efficacité de l’action publique.
Comme le soulignait Jean-Marc Sauvé, alors vice-président du Conseil d’État, « la transparence favorise, en premier lieu, une meilleure gouvernance publique. » Grâce au rapport annuel, les parlementaires seront en mesure d’analyser précisément l’action du fonds créé, ce qui répond aux questions soulevées par plusieurs d’entre nous. Ainsi, ils pourront comprendre et mesurer le rôle joué par les tiers et les fondations associées aux mécanismes de rétribution.
Enfin, un dernier point ne devrait pas être négligé, celui des frais de procédure. Un rapport annuel permettrait d’éclairer la représentation nationale sur la fraction des sommes du fonds qui sont consacrées, in fine, aux enjeux de procédure.
Le corollaire immédiat du principe de transparence est celui de l’efficacité. Le rapport annuel que je propose d’établir permettra de suivre l’évolution du fonds et, si besoin, d’adapter son fonctionnement. Au-delà même de l’action du fonds, il s’agira notamment de suivre les sommes affectées au budget général, qui sont impossibles à reverser.
C’est dans cet esprit de recherche d’une plus grande efficacité et d’une meilleure transparence que je vous invite, mes chers collègues, à soutenir cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Sur cet amendement, la commission s’en remet à la sagesse du Sénat.
Je ne suis pas particulièrement favorable à la remise d’un tel rapport. En outre, en fonction de la mécanique budgétaire choisie, il ne semble pas nécessairement pertinent d’ajouter un tel rapport aux documents budgétaires existants. Enfin, il paraît nécessaire de préciser ce sur quoi porterait l’évaluation.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Comme je l’ai dit, ce texte présente des difficultés techniques.
Bien évidemment, le nouveau régime de restitution des biens mal acquis pourra faire l’objet d’une évaluation très précise par la commission des finances. MM. les rapporteurs spéciaux Yvon Collin et Jean-Claude Requier sont très attachés au sujet de l’évaluation. Ils pourront définir le suivi de ce mécanisme particulier.
J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement, en cohérence avec ma position générale sur le texte.
L’évaluation est essentielle, notamment pour suivre les frais de gestion, qui constituent un enjeu important. Une telle démarche devra d’ailleurs être incluse dans les travaux à venir, le Gouvernement y sera particulièrement attentif. La représentation nationale devra connaître l’efficacité de la restitution et le respect des cinq principes exposés par Jean-Pierre Sueur. La transparence et la bonne utilisation des fonds sont essentielles.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
Après le troisième alinéa de l’article 706-161 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’agence a pour mission l’abondement du fonds prévu à l’article 706-183. » – (Adopté.)
Articles additionnels après l’article 2
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié quater, présenté par Mmes N. Goulet et Billon, M. Canevet, Mmes Férat et Loisier, MM. Moga, Guerriau et Chasseing et Mme Dindar, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au deuxième alinéa de l’article 131-21 du code pénal, les mots : « , et dont le condamné est propriétaire ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition » sont supprimés.
La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Les amendements qui suivent visent à améliorer le fonctionnement de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués.
Cela dit, la confiscation de l’instrument de l’infraction est en principe subordonnée à la démonstration préalable de l’existence d’un droit de propriété. Une telle rédaction étant superfétatoire, l’amendement n° 1 rectifié quater vise à la supprimer.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Je tiens tout d’abord à exprimer la position générale de la commission des finances sur l’ensemble des amendements proposés par Nathalie Goulet.
Ils s’inspirent de propositions formulées par l’Agrasc. Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour saluer la présence, aux côtés de Mme la secrétaire d’État, de la directrice générale de l’Agrasc qui réalise, à la tête de cette agence, un travail remarquable, que je veux souligner.
L’objet de ces amendements est de simplifier le régime des saisies et confiscations, d’améliorer l’action de l’Agrasc avant le jugement ou de faciliter l’indemnisation des parties civiles. Aussi pertinentes qu’elles puissent être, ces propositions nous éloignent de l’objectif premier de la présente proposition de loi, à savoir la restitution des biens mal acquis aux populations victimes.
Compte tenu de ces éléments, la commission des finances a demandé le retrait de ces amendements, qui pourraient utilement trouver leur place dans le cadre d’une révision plus générale des dispositions pénales relatives aux saisies et confiscations et relèveraient à ce titre de la compétence de la commission des lois.
S’agissant de l’amendement n° 1 rectifié quater, je demande à ses auteurs de bien vouloir le retirer. En effet, même si je suis plutôt favorable, sur le fond, à une telle simplification, je pense que ce débat devrait s’inscrire dans le cadre d’une réflexion cohérente plus large sur l’amélioration du régime des saisies et confiscations.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Bien au-delà du sujet des biens mal acquis, cette série d’amendements porte en fait sur le régime des confiscations, des saisies et des restitutions.
Si ces points sont potentiellement pertinents, ils ont vocation à s’étendre à bien d’autres cas. Le Gouvernement, qui rejoint ainsi la position de la commission, est donc défavorable à ces amendements. En effet, une réflexion plus générale sur le régime des confiscations, saisies et restitutions semble plus appropriée.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié quater.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié quater, présenté par Mmes N. Goulet et Billon, M. Canevet, Mmes Férat et Loisier, MM. Guerriau et Chasseing et Mme Dindar, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 41-4 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Au deuxième alinéa, après le mot : « bien », sont insérés les mots : « mobilier ou immobilier » ;
2° À la seconde phrase du dernier alinéa, après le mot : « biens », sont insérés les mots : « mobiliers et immobiliers lorsque ceux-ci sont l’instrument ou le produit direct ou indirect de l’infraction ».
La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Il est fréquent qu’une juridiction omette de statuer sur un bien immobilier saisi. L’Agrasc peut déjà avoir été chargée de la vente de l’immeuble.
Il s’agit de le prévoir explicitement, lorsque cette restitution « est de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens ».
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié quater, sur lequel la commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié quater, présenté par Mmes N. Goulet et Billon, M. Canevet, Mmes Férat et Loisier, MM. Moga, Guerriau et Chasseing et Mme Dindar, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 706-156 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La saisie de parts sociales est opposable aux tiers à compter de la publication de la décision au registre des nantissements et des privilèges ou au registre des gages sans dépossession. Les formalités de cette publication sont réalisées, au nom du procureur de la République, du juge d’instruction ou de la juridiction, par l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués. »
La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Il est ici proposé, s’agissant de la saisie des parts sociales auprès des greffes des tribunaux de commerce, de décharger les juridictions de l’accomplissement des formalités de publication et de les confier à l’Agrasc.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 3 rectifié quater, sur lequel la commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 7 rectifié quater, présenté par Mmes N. Goulet et Billon, M. Canevet, Mmes Férat et Loisier, MM. Moga, Guerriau et Chasseing et Mme Dindar, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa de l’article 706-164 du code de procédure pénale, après le mot : « confisqués », sont insérés les mots : « , à qui la décision est transmise sans délai, ».
La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Il s’agit de renforcer la transmission de l’information entre les juridictions et l’Agrasc.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 7 rectifié quater, sur lequel la commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié ter, présenté par Mmes N. Goulet et Billon, M. Canevet, Mmes Férat et Loisier, M. Guerriau et Mme Dindar, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le deuxième alinéa de l’article 706-164 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Le mot : « deux » est remplacé par le mot : « six » ;
2° Les mots : « décision mentionnée au premier alinéa du présent article » sont remplacés par les mots : « condamnation civile ».
La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Les parties civiles ont aujourd’hui deux mois à compter de la décision leur allouant des dommages et intérêts pour saisir l’Agrasc. Ce délai extrêmement court doit être porté à six mois. Tel est l’objet de cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4 rectifié ter, sur lequel la commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 5 rectifié quater, présenté par Mmes N. Goulet et Billon, M. Canevet, Mmes Férat et Loisier, MM. Guerriau et Chasseing et Mme Dindar, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa de l’article 373-1, les mots : « portant sur un bien qui n’est pas sous main de justice » sont remplacés par les mots : « d’un bien » ;
2° Au premier alinéa de l’article 484-1, les mots : « portant sur un bien qui n’est pas sous main de justice » sont remplacés par les mots : « d’un bien ».
La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Les textes, tels qu’ils sont rédigés aujourd’hui, autorisent la remise à l’Agence lors de l’audience uniquement des biens qui n’ont pas été placés sous main de justice. Or il peut y avoir un intérêt à ce que la juridiction ordonne la remise d’un bien à l’Agrasc le jour de l’audience.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 5 rectifié quater, sur lequel la commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 6 rectifié quater, présenté par Mmes N. Goulet et Billon, M. Canevet, Mmes Férat et Loisier, MM. Guerriau et Chasseing et Mme Dindar, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport évaluant la faisabilité d’un rapprochement de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués et de la plateforme d’identification des avoirs criminels, ainsi qu’avec le service Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins.
La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Cet amendement est un peu différent, puisqu’il est issu des propositions de M. le rapporteur. Il est par ailleurs conforme à la volonté du Président de la République, qui souhaite simplifier l’organisation des divers organismes existants.
Il prévoit que le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la faisabilité d’un rapprochement de l’Agrasc, de la Plateforme d’identification des avoirs criminels, et de Tracfin. Il s’agit ainsi d’améliorer l’organisation des services de l’État.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Les autres amendements déposés par Mme Goulet se référaient tous à un élargissement, qu’il s’agisse des rétrocessions ou de la question des biens immobiliers.
Si j’ai voté en leur faveur, je voterai contre l’amendement n° 6 rectifié quater, conforme aux souhaits du Président de la République exprimés au cours de sa dernière conférence de presse, à savoir la réduction des outils de l’action publique.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6 rectifié quater, sur lequel la commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 3
Les conséquences financières résultant pour l’État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. – (Adopté.)
Article 4
En cas d’impossibilité absolue d’affecter les fonds dans les conditions prévues à l’article 1er, ces derniers sont affectés au budget général de l’État français. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux vous remercier de votre travail et saluer de nouveau votre engagement. Je remercie également Mme la directrice générale de l’Agrasc d’avoir été avec nous pendant ces débats. Cette agence, de manière très performante, sert des objectifs de politique publique avec une grande efficacité. Elle a déjà reçu plusieurs sénateurs.
Vous pouvez compter sur l’engagement du Gouvernement pour soutenir les administrations qui se modernisent et remplissent des objectifs essentiels non seulement à nos politiques nationales, mais également à la bonne application de conventions internationales.
Nous aurons l’occasion de continuer à travailler sur ce sujet, je l’espère, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures cinquante.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures vingt, est reprise à vingt et une heures cinquante, sous la présidence de M. Philippe Dallier.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
10
Reconnaissance du crime d’écocide
Rejet d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide, présentée par M. Jérôme Durain, Mme Nicole Bonnefoy, MM. Marc Daunis, Patrick Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain (proposition n° 384, rapport n° 446).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jérôme Durain, auteur de la proposition de loi.
M. Jérôme Durain, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, le 21 avril dernier, des hommages ont résonné tout autour du globe pour pleurer le décès de Polly Higgins. Cette avocate écossaise s’était fait connaître pour son combat acharné en faveur de la reconnaissance de l’écocide. L’écocide, à savoir la destruction d’un écosystème, est un concept discuté depuis plusieurs dizaines d’années dans le champ juridique international.
Quelques pays l’ont intégré dans leur législation nationale, à l’image du Vietnam, particulièrement marqué par la catastrophe de l’agent orange.
De Paris à Nairobi, de New York à Sydney en passant par Bangkok, les citoyens du monde entier, en grande majorité des jeunes, se mobilisent pour exiger des gouvernements qu’ils agissent enfin, ou plutôt qu’ils accélèrent leurs efforts, contre le dérèglement climatique.
Tandis que les rapports alarmants s’accumulent – un jour sur le climat, l’autre sur l’extinction des espèces –, c’est bien la jeunesse qui se montre la plus responsable en tirant le signal d’alerte. À nous, responsables politiques, d’entendre ce cri d’urgence. À nous d’apporter des réponses concrètes, en nous montrant à la hauteur des attentes des citoyens et des enjeux du XXIe siècle. Toutes les solutions ne se situent pas dans le champ législatif, mais c’est bien en votant des lois aux philosophies nouvelles que nous pourrons accompagner la société civile dans ce combat qui nous occupera pour les décennies à venir, à savoir la sauvegarde de la planète.
Trop longtemps, nous nous sommes reposés sur l’idée selon laquelle les êtres humains étaient assez intelligents et assez raisonnables pour maîtriser eux-mêmes leurs dérives et préserver la planète. Une telle logique témoigne d’un orgueil démesuré. Elle nous a condamnés à l’inaction en matière environnementale.
La proposition de loi du groupe socialiste et républicain entend précisément rompre ce cercle vicieux. Elle vise à poursuivre et à punir les crimes les plus graves, qui portent atteinte de manière irréversible à la « sécurité de la planète », pour reprendre les mots de Mireille Delmas-Marty, en inscrivant dans le droit pénal la reconnaissance du crime d’écocide.
La notion d’écocide marque l’interdépendance entre les écosystèmes et les conditions d’existence de l’humanité. Le terme d’écocide s’inscrit dans le prolongement direct de la Charte de l’environnement, qui proclame dans son préambule que « l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel ».
L’article 1er du texte définit l’écocide comme « le fait, en exécution d’une action concertée tendant à la destruction ou dégradation totale ou partielle d’un écosystème, en temps de paix comme en temps de guerre, de porter atteinte de façon grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population ».
Les exemples ne manquent pas pour illustrer les conséquences extraordinairement néfastes que peut avoir l’activité humaine sur la qualité de l’air, de l’atmosphère, des sols, des eaux, des milieux aquatiques, de la faune et de la flore.
La criminalité environnementale est en croissance. Quoi de plus normal ? Un kilo de corne de rhinocéros peut valoir plus cher qu’un kilo de cocaïne, et fait courir moins de risques aux personnes impliquées. En ce sens, il me paraît bienvenu de redéfinir l’échelle des valeurs protégées. À quelles valeurs la société attache-t-elle une importance toute particulière ? Placer l’atteinte irréversible à l’environnement parmi les crimes les plus graves aurait valeur d’exemple.
Avec cette proposition de loi, le groupe socialiste souhaite poser les jalons d’un droit pénal de l’environnement permettant de lutter rigoureusement contre la criminalité environnementale et de punir sévèrement les auteurs de ces actes.
Le Sénat a su, par le passé, être précurseur sur les questions environnementales, notamment en faisant adopter la notion de « préjudice écologique » grâce à une proposition de loi déposée par notre collègue Bruno Retailleau. Il s’agit maintenant d’aller plus loin dans le combat pour la préservation de la planète. Avec l’examen de cette proposition de loi, je vous invite, mes chers collègues, à dépasser les logiques partisanes et à faire preuve de responsabilité collective. N’attendons pas qu’une nouvelle catastrophe écologique survienne pour légiférer !
Cette proposition de loi ne revendique aucune perfection législative. Rares sont d’ailleurs les initiatives parlementaires à pouvoir s’en prévaloir !
Certains, comme Mme la rapporteure, ont reproché à ce texte un manque de précision. D’autres observateurs, que vous avez reçus, madame la rapporteure, jugent au contraire qu’il corsèterait trop le champ d’application de l’écocide et ne serait pas applicable. J’aurais beau jeu de renvoyer ces deux avis divergents dans leurs cordes pour prétendre à une forme d’équilibre législatif…
Mais les sénateurs socialistes connaissent la nécessité d’aboutir à des lois largement acceptées pour être efficaces. Aussi, je répondrai aux critiques par une main tendue, tant vers la droite de l’hémicycle que vers Mme la secrétaire d’État.
Madame la rapporteure, chers collègues de la majorité sénatoriale, le préjudice écologique cher à M. Retailleau avait exigé plusieurs années de discussion et de navette parlementaire pour aboutir. Certains parmi vous ont pointé les progrès que notre législation peut encore accomplir en matière de protection de l’environnement. Dans notre département, madame Mercier, la population avait été choquée par les faibles peines auxquelles avaient été condamnés les responsables de la pollution de la décharge de Montchanin, dont les origines remontent à 1979. La semaine dernière, le pays entier s’est ému de voir Vinci polluer de manière très significative la Seine dans le cadre d’un chantier du Grand Paris. Que risque Vinci ? 75 000 euros d’amende ! Voilà pourquoi nous devons revoir, dans notre pays, l’échelle des peines pour ce qui concerne la criminalité environnementale.
Dans mon esprit, la pollution provoquée par Vinci est grave. Elle ne constitue pas pour autant un écocide, qui a vocation à incarner le pire du pire en matière de criminalité environnementale. J’espère d’ailleurs que la qualification d’écocide sera utilisée le moins souvent possible. Le but, c’est que les peines encourues soient dissuasives.
Plusieurs conceptions de l’écocide s’affrontent. Nous avons échangé avec Mme Esther Benbassa, Mme Sophie Taillé-Polian a signé ce texte, et des collègues de plusieurs groupes ont déposé des amendements. Plusieurs partis défendent, chacun avec sa sensibilité, le concept d’écocide au niveau européen dans le cadre des prochaines élections des eurodéputés.
Nous avons aussi entendu les remarques de Mme Valérie Cabanes, juriste reconnue en la matière, qui souhaiterait objectiver l’atteinte irréversible à l’environnement en s’appuyant sur le concept de limites planétaires. Mme Cabanes, dont l’engagement et la technicité juridique au service de la reconnaissance du crime d’écocide sont indéniables, s’est exprimée à l’ONU le 22 avril dernier à l’occasion de la journée de la Terre.
D’autres considèrent au contraire que le droit français existant est suffisant. C’est sans doute la vision défendue par le Gouvernement et l’administration, mais des intervenants reconnus pour leurs compétences en droit de l’environnement nous ont fait part de leur scepticisme quant à cet état de fait. Même après l’adoption du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, des progrès sont attendus.
Notre groupe a d’ailleurs, en la matière, d’autres propositions à avancer ; en témoignera notamment une proposition de loi que Mme Bonnefoy déposera prochainement.
Mes chers collègues, les lacunes de notre arsenal juridique encouragent le jeu mortifère de la destruction de l’environnement. Nous nous abstenons de combler ce vide, alors même que nous avons pleinement connaissance des agissements de criminels ou d’entreprises malveillantes.
En prenant l’initiative, nous pouvons ouvrir la voie à d’autres pays et à la conclusion de traités internationaux. Rappelez-vous, mes chers collègues, ce qui nous était expliqué, il y a deux ans à peine, à propos de la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères : on nous avait dit qu’elle placerait l’entreprise France en faillite et qu’elle obérerait les intérêts économiques de nos champions nationaux. Elle est aujourd’hui prise en exemple en Suisse, en Allemagne et au niveau européen. Surtout, elle contribue, à son niveau, à améliorer les conditions de travail dans les usines textiles du Bangladesh.
Madame la secrétaire d’État, le Gouvernement nous répondra probablement – je le comprends, même si j’espère encore me tromper – qu’il n’est pas prêt aujourd’hui à faire entrer l’écocide dans le droit pénal national. Je ne partage pas cet avis,…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Attendez que le Gouvernement s’exprime !
M. Jérôme Durain, auteur de la proposition de loi. … mais je le respecte.
Pour autant, madame la secrétaire d’État, seriez-vous prête à vous engager personnellement pour rejoindre, à nos côtés, la mobilisation générale en faveur de la reconnaissance du crime d’écocide lancée par des juristes, des ONG, des parlementaires, des citoyens ? Nous attendons de vous que vous appuyiez, à votre niveau, cette mobilisation. Nous vous en remercions par avance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après avoir organisé, en 2015, la COP21, qui a abouti à la conclusion des accords de Paris, notre pays accueille cette semaine, au siège de l’Unesco, des scientifiques et des diplomates issus de plus de cent trente pays chargés d’évaluer l’état de la biodiversité.
Qu’il s’agisse du climat ou de la préservation de nos écosystèmes, le même constat alarmant peut être formulé : les activités humaines entraînent une telle dégradation de notre environnement naturel que c’est non seulement notre bien-être à moyen et à long terme qui est menacé, mais notre survie même.
À ces enjeux globaux s’ajoutent des pollutions plus localisées : nous nous souvenons tous de la marée noire de l’Erika, en 1999, qui avait souillé les côtes bretonnes ; nous connaissons le problème du déversement de boues rouges en Méditerranée ; nous avons entendu parler, tout récemment, de rejets de béton dans la Seine par un grand groupe de bâtiment et travaux publics.
Face à ces multiples atteintes à l’environnement, la France s’est progressivement dotée d’un arsenal législatif étoffé : dès les années 1970, nous avons adopté des dispositions relatives aux installations classées et avons introduit dans notre législation le principe « éviter-réduire-compenser », dit ERC, qui implique d’éviter, dans toute la mesure du possible, les atteintes à la biodiversité et, à défaut, d’en réduire la portée, afin de compenser les atteintes qui n’ont pu être empêchées.
Plus près de nous, en 2016, la réparation des atteintes à l’environnement a franchi une étape importante, comme l’a rappelé M. Jérôme Durain, avec l’inscription de la notion de préjudice écologique dans le code de l’environnement, sous l’impulsion de Bruno Retailleau. Nous travaillons bien sûr dans le cadre défini par la Charte de l’environnement, qui affirme, dans son article 1er, le droit pour chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de sa santé.
Nos collègues du groupe socialiste et républicain proposent aujourd’hui d’aller plus loin en inscrivant dans notre code pénal un nouveau crime d’écocide, dont la définition s’inspirerait de celle du génocide.
Selon les termes de la proposition de loi, le crime d’écocide serait constitué en cas d’action concertée tendant à la destruction ou à la dégradation totale ou partielle d’un écosystème et ayant pour effet de porter atteinte, de façon grave et durable, à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population.
Ce crime serait puni d’une peine de vingt ans de réclusion criminelle et d’une amende de 7,5 millions d’euros, éventuellement assorties de peines complémentaires. Le montant de l’amende serait multiplié par cinq lorsque l’infraction est commise par une personne morale.
Le texte prévoit également de sanctionner la provocation à l’écocide – il s’agit de punir les instigateurs, et pas seulement les exécutants – ainsi que le fait pour un groupe d’individus de préparer un écocide.
En outre, par analogie avec le génocide, le crime d’écocide serait déclaré imprescriptible.
La commission des lois comprend les intentions des auteurs de la proposition de loi et elle partage leur volonté de sanctionner fermement les atteintes à l’environnement.
S’agissant d’un texte de droit pénal, nous devons néanmoins être attentifs au respect de certaines conditions tenant à la précision et à la clarté de la loi pénale, qui sont des exigences de nature constitutionnelle.
Or les travaux que j’ai menés au nom de la commission ont montré que la rédaction de ce texte souffrait de trop d’imprécisions pour que l’on puisse déterminer en toute rigueur à quelles situations il trouverait à s’appliquer.
D’une manière générale, le texte n’opère pas de distinction entre activités légales et illégales : il donne l’impression qu’une entreprise dont l’activité dégraderait l’environnement pourrait être poursuivie quand bien même elle se conformerait scrupuleusement à toutes les prescriptions réglementaires en vigueur.
Tel qu’il est rédigé, le texte n’indique pas clairement si la dégradation de l’environnement doit être le but recherché par les auteurs de l’infraction ou s’il peut s’agir d’une conséquence de leur activité, ce qui couvrirait un champ beaucoup plus large.
La proposition de loi fait en outre référence à des notions qui paraissent bien floues : comment apprécier les limites d’un écosystème ? Qu’entend-on par « atteinte grave et durable à l’environnement » ? Que vise la référence aux conditions d’existence d’une population et comment déterminer les contours de cette population ?
Outre cette critique interne, il convient de s’interroger sur l’apport de ce texte au regard des dispositions de droit pénal de l’environnement déjà en vigueur.
Il ne nous semble pas qu’il existe aujourd’hui de lacune dans notre droit positif qui rende indispensable la création de ce crime d’écocide : nos services de contrôle et nos tribunaux disposent de tous les outils juridiques pour sanctionner les atteintes à l’environnement commises sur notre territoire.
Le code de l’environnement comporte déjà de nombreuses incriminations pénales qui permettent de sanctionner, par exemple, les rejets polluants en mer, les atteintes au patrimoine naturel ou à la conservation des espèces, la pollution des eaux, le rejet dans l’atmosphère de substances polluantes ou la mauvaise gestion des déchets.
Par ailleurs, des incriminations pénales plus générales peuvent être utilisées pour réprimer les atteintes à l’environnement lorsque des individus en sont victimes, par exemple le délit d’atteinte involontaire ayant entraîné la mort ou celui de mise en danger de la vie d’autrui.
Je souligne également que les pouvoirs publics ont à leur disposition une palette de sanctions administratives qu’ils peuvent utiliser pour mettre un terme à des infractions environnementales : un exploitant peut être mis en demeure de se conformer à ses obligations, sous peine de sanctions financières, sans qu’il soit nécessaire de saisir le juge pénal.
Dans ce contexte, notre commission est arrivée à la conclusion que l’introduction dans notre droit d’une nouvelle incrimination de portée générale, aux contours assez flous, ne s’imposait nullement. Il nous paraît préférable de mobiliser d’autres outils pour renforcer la protection de l’environnement, à l’échelle internationale et dans le cadre national.
À l’échelle internationale, la France pourrait par exemple œuvrer en faveur de la conclusion d’un traité définissant un socle de sanctions, lesquelles seraient ensuite déclinées dans le droit interne de chaque État partie, afin d’encourager ceux dont la législation environnementale est la moins développée à se rapprocher des meilleurs standards. Une telle approche serait cohérente avec les réflexions développées au sujet de l’écocide par certains universitaires, qui appellent de leurs vœux une évolution du droit international.
Dans notre pays, nous pouvons certainement renforcer les moyens de contrôle afin que nos règles environnementales soient mieux respectées. Sur ce point, le projet de loi portant création de l’Office français de la biodiversité et de la chasse, adopté par le Sénat le 11 avril dernier, contient des mesures techniques intéressantes, avec notamment le rapprochement de l’Agence française pour la biodiversité et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage et le renforcement des pouvoirs des inspecteurs de l’environnement.
Je signale également qu’une mission conjointe du ministère de la justice et du ministère de la transition écologique a été lancée en 2018 pour améliorer l’application du droit de l’environnement, notamment en renforçant la formation des magistrats et en mettant à l’étude une meilleure spécialisation des juridictions dans la protection de l’environnement et de la biodiversité. C’est aussi grâce à des mesures pragmatiques de ce type que l’on peut faire avancer les choses.
Il nous appartient de mobiliser une palette d’outils pour avancer ensemble sur le chemin de la transition écologique : fixer des normes plus exigeantes en matière de protection de l’environnement, utiliser le levier fiscal pour orienter les comportements, financer des programmes de recherche pour développer des technologies vertes, etc.
Voilà quelques pistes qui montrent que l’on peut être réservé concernant la reconnaissance d’un crime d’écocide sans être partisan de l’immobilisme en matière environnementale.
Au total – vous l’avez compris, mes chers collègues –, la commission des lois vous propose de ne pas adopter cette proposition de loi. Si nous sommes conscients de l’urgence qu’il y a à agir sur le terrain de la protection de l’environnement, nous ne sommes pas certains que la solution proposée par les auteurs de ce texte soit techniquement aboutie, ni même que l’aggravation de la répression pénale soit l’orientation à privilégier dans ce domaine.
Nous nous réjouissons néanmoins de l’opportunité que nous donne l’examen de ce texte de débattre dans l’hémicycle de cet enjeu crucial qu’est la protection de l’environnement. Je suis convaincue que de nos échanges émergeront des propositions qui viendront enrichir la réflexion du Gouvernement au moment où s’annonce une mobilisation nationale pour l’emploi et les transitions.
Pour finir, je ferai miens les mots de Marshall McLuhan, inventeur du concept de village planétaire : « Il n’y a pas de passagers sur le vaisseau Terre ; nous sommes tous des membres de l’équipage. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Jérôme Durain, pour commencer, merci : merci pour cette proposition de loi qui nous donne l’occasion d’aborder un enjeu essentiel, qui me tient particulièrement à cœur, celui de la préservation de nos écosystèmes, du futur de notre planète, et donc de l’humanité.
Il est d’autant plus opportun que nous en débattions aujourd’hui que, comme le soulignait Mme la rapporteure, la réunion de l’IPBES, la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques, a lieu actuellement ici, à Paris, sur l’initiative du Gouvernement, à l’invitation de la France. Je me réjouis donc de pouvoir évoquer ce sujet en détail avec vous, ici, ce soir.
Monsieur le sénateur Durain, en inscrivant la question de la reconnaissance du crime d’écocide à l’ordre du jour de votre assemblée, j’imagine, ou plutôt je sais, que vous avez eu l’occasion de parcourir le travail de Polly Higgins, et je voudrais me joindre à l’hommage que vous lui avez rendu. Je tiens d’ailleurs à souligner ici à quel point elle fut une juriste vraiment remarquable. Elle a consacré la majeure partie de ses cinquante années d’existence à tenter de convaincre son pays et la communauté internationale de la nécessité d’inscrire le crime d’écocide dans notre droit international. Et le fait que nous en parlions ici ce soir montre combien ce genre d’idées, qui peuvent d’abord paraître surprenantes, finissent peu à peu par s’imposer comme nécessaires.
Dans l’une de ses prises de parole, Polly Higgins utilisait, pour rendre compte de son opinion sur le sujet, une image que je trouve intéressante : prenez une pièce ; côté pile, vous avez les droits de l’homme, et, côté face, les responsabilités de l’homme. Les uns ne peuvent aller sans les autres, et inversement. Or notre droit fondamental est le droit à la vie. Et celui-ci ne peut être garanti si la perte de cette même vie n’est pas elle-même criminalisée. Le droit à la vie va donc de pair avec le fait d’assumer la responsabilité de ne pas tuer.
C’est non seulement la question de la protection d’une vie qui se pose, mais celle de la protection de notre qualité de vie et de toutes les vies qui s’épanouissent sur Terre et doivent pouvoir continuer à le faire. Ainsi le droit de bénéficier d’un environnement sain va-t-il de pair avec la responsabilité de ne pas détruire ce même environnement, pour soi et pour les autres.
En prolongeant le raisonnement, la reconnaissance du crime d’écocide s’impose donc, pour Polly Higgins. Cette reconnaissance pénale acterait notre reconnaissance d’un droit à la vie qui serait un droit de la Terre, protégeant les écosystèmes qu’elle héberge et les services vitaux qu’elle nous rend ; elle signifierait aussi que nous assumons notre responsabilité dans sa dégradation.
En la matière, en effet, nous savons ; et les réunions de l’IPBES continuent de faire la lumière sur ce qui se passe actuellement.
Ce point, justement, me semble être le point crucial des échanges que nous aurons aujourd’hui : la reconnaissance de notre responsabilité à l’égard de la Terre.
Dans ces conditions, un pays peut-il assumer seul une responsabilité attachée aux droits et aux responsabilités de tant d’autres ? Je crois que non. Mais cela ne doit pas dédouaner la France de ses propres responsabilités. En la matière, nous disposons déjà d’un arsenal robuste. À l’échelle internationale, nous œuvrons en faveur d’un droit de l’environnement plus protecteur encore ; nous sommes en particulier extrêmement mobilisés – le Président de la République l’est lui-même – s’agissant du projet de pacte mondial pour l’environnement dont, j’en suis sûr, vous avez tous ici plus qu’entendu parler.
La lutte contre la criminalité environnementale est une préoccupation constante du Gouvernement. Vous le savez : nous nous appliquons à la renforcer.
Je vais vous donner un exemple, parmi beaucoup d’autres – madame la rapporteure, vous l’avez vous-même évoqué – : le projet de loi portant création de l’Office français de la biodiversité, qui est en cours d’examen, renforce considérablement les pouvoirs des inspecteurs de l’environnement – c’est le but.
Je pense également à la mission confiée, le 16 janvier dernier, par le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire et par la garde des sceaux au CGEDD, le Conseil général de l’environnement et du développement durable, et à l’IGJ, l’Inspection générale de la justice, pour renforcer l’effectivité du droit de l’environnement. Cette mission va notamment nous permettre d’évaluer l’intérêt d’une spécialisation des magistrats chargés de la répression des atteintes à l’environnement.
Il est vrai, en effet, que notre législation ne comporte pas, aujourd’hui, d’incrimination générique susceptible de s’appliquer à des atteintes à l’environnement d’une extrême gravité. Nous disposons néanmoins d’une palette efficace de sanctions et de dispositifs de contrôle, de nature administrative aussi bien que pénale, ainsi que d’incriminations spécifiques – je pense par exemple au terrorisme écologique, à la pollution maritime, aux atteintes à l’environnement commises en bande organisée.
Par ailleurs, comme vous le savez, dès lors que les atteintes à l’environnement ont des conséquences pour les populations, certaines incriminations de droit commun relevant du code pénal sont déjà applicables : homicide, blessures involontaires, mise en danger.
Aujourd’hui, au regard notamment des exemples qui figurent dans l’exposé des motifs de cette proposition de loi, il me semble que le caractère transnational des faits qualifiés d’écocide justifierait l’adoption d’un corpus juridique international préalablement à la création d’incriminations nationales. Tel est d’ailleurs l’un des objectifs du pacte mondial pour l’environnement que défend le Gouvernement au sein de l’ONU, en mobilisant des États du monde entier.
J’attire également votre attention sur le fait que, rédigée de la sorte, la proposition de loi ne tranche pas les questions de compétence susceptibles de se poser – je pense par exemple à son application dans l’espace.
La définition de l’incrimination qui y est proposée est par ailleurs plutôt imprécise, s’agissant de surcroît d’une qualification criminelle. Qu’entend-on par « destruction partielle » ? Quel périmètre donner à un écosystème ? Ces questions sont fondamentales ; nous devons continuer à y travailler collectivement. D’ailleurs, la tenue prochaine de la COP15, qui aura lieu en Chine, nous donne aussi l’occasion de continuer à travailler sur ces notions qu’il nous faut préciser et impérativement aborder à l’échelle internationale.
En outre, dans sa présente rédaction, le texte apparaît assez flou – je ne le dis pas de façon péjorative. Il pourrait, me semble-t-il, trouver à s’appliquer à des activités qui sont parfaitement légales, tant il manque parfois de précision : par exemple, de grands projets d’infrastructures susceptibles d’entraîner la dégradation d’un écosystème ou la modification des conditions d’existence d’une communauté sans que cette dégradation ou cette modification soient suffisamment définies et détaillées. Nous pourrions alors nous trouver dans une situation qui serait source d’insécurité juridique.
Cela dit – je tiens vraiment à y insister –, nous restons ouverts à la poursuite des réflexions sur ce thème, notamment dans le cadre de la mission conjointe du ministère de la transition écologique et solidaire et du ministère de la justice, qui vise à renforcer le dispositif pénal en matière de criminalité environnementale.
Qu’il s’agisse d’un renforcement des incriminations existantes ou d’une réflexion sur la notion d’écocide au niveau international, nous serons attentifs et actifs, car, comme je vous l’assurais en introduction, le Gouvernement a placé la préservation de notre biodiversité et de nos écosystèmes en haut de la liste de ses priorités. C’est là – je conclurai ainsi, comme j’ai commencé – une des raisons pour lesquelles nous tenions tant à accueillir l’IPBES en France, et l’une des raisons pour lesquelles nous sommes si heureux de le faire.
Je vous remercie de votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs, et me réjouis d’avance des débats à venir.
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, comme vous, madame la secrétaire d’État, le groupe Union Centriste se réjouit de l’ouverture, ce soir, sur l’initiative de notre collègue Jérôme Durain, de ce débat sur les questions environnementales.
Comment resterait-on insensible lorsqu’une ONG comme le WWF annonce que, en cinquante ans, 60 % des vertébrés auraient disparu de la planète ? Nous sommes bien entendu tous attachés à ce que notre planète soit un lieu où l’on puisse bien vivre, préservé des risques environnementaux.
Cela dit, il nous incombe de regarder de près la proposition de loi qui nous est présentée par nos collègues du groupe socialiste. Celle-ci appelle un certain nombre d’observations. Si nous sommes tous d’accord pour agir, la question des modalités de cette action reste ouverte. Il faut s’assurer, en particulier, que les rédactions retenues soient telles que l’on puisse réellement s’appuyer sur elles pour conduire des actions, et que nos compatriotes – je veux dire l’ensemble de ceux qui entreprennent – ne soient pas laissés dans le doute ou mis en difficulté dès lors que leur bonne volonté ne serait pas mise en cause.
J’ai par exemple lu attentivement la définition du mot « écocide » donnée dans le Larousse : « destruction totale d’un milieu naturel ». Telle n’est pas tout à fait la rédaction retenue dans le présent texte. Il semble au groupe Union Centriste que cette rédaction contient un certain nombre d’imprécisions et pâtit d’un manque de clarté qui risquerait d’avoir des effets extrêmement néfastes.
C’est pourquoi nous devons être particulièrement mesurés. De ce point de vue, la proposition de notre rapporteur, qui suggère de laisser la réflexion se poursuivre sur ce sujet, nous semble empreinte de bon sens, car, si nous partageons tous l’objectif des auteurs de ce texte, il faut néanmoins que la terminologie employée soit la plus précise possible et prête le moins possible à contestation.
Prenons des exemples qui nous aideront à circonscrire de manière concrète les conséquences possibles de l’adoption d’un tel texte.
Imaginez ainsi, mes chers collègues, les conséquences, pour nos amis des montagnes, de la construction d’un barrage : celle-ci perturbe l’écosystème de manière extrêmement forte. Ceux qui sont pour les énergies renouvelables trouveront un tel projet tout à fait nécessaire et indispensable ; ceux qui sont attachés à la préservation du milieu naturel et à la biodiversité, et qui veillent à ce que rien ne se passe dans notre pays, argueront au contraire du fait que la construction du barrage, par les effets qu’elle risque d’avoir sur l’écosystème, est particulièrement préjudiciable à l’environnement, et pourrait donc, à ce titre, être reconnue comme un écocide, ce qui ne manque pas de nous interpeller.
Autre exemple : le propriétaire d’un boisement décide de l’abattre – dans un boisement, il y a bien sûr de la vie. Tous ceux qui sont attachés au bois vont manifester leur mécontentement ; ceux qui sont pour le renouvellement forestier ou qui plaident pour qu’une partie de ces terrains soient destinés à l’alimentation humaine trouveront au contraire positive la destruction du boisement. Dans quel sens, alors, faudra-t-il interpréter les textes ? On voit bien le problème.
Quant aux questions maritimes, en tant que Breton, élu du Finistère, j’y suis particulièrement sensible. Nous avons connu de nombreuses catastrophes maritimes : je pense au naufrage du Boehlen, en 1976 ; à celui de l’Amoco Cadiz, en 1978, au large de Ploudalmézeau, qui a beaucoup marqué les esprits, via notamment le combat de notre ancien collègue sénateur Alphonse Arzel pour obtenir juste réparation ; à celui de l’Erika, en 1999 ; à celui du Prestige, au large du cap Finisterre, en Espagne, en 2002. Vient de s’ajouter à cette liste, tout récemment, le Grande America. Tous ces navires opéraient dans des eaux internationales. Le problème n’est donc pas franco-français ; il est international.
Il nous semble donc, au sein du groupe Union Centriste, que l’approche qui doit prévaloir sur ces questions maritimes est une approche internationale ou, a minima, européenne. À ce titre, cher Jérôme Durain, la période est particulièrement favorable, puisque des élections auront lieu très prochainement pour élire nos collègues députés européens. Voilà donc un sujet dont ils pourraient utilement se saisir. J’ai en effet la conviction, comme tous les membres de mon groupe, que l’Europe peut être un très bon vecteur pour mettre en œuvre des mesures partagées par tous et véritablement protectrices pour tout le monde, évitant tout décalage entre ce qui se passe en France et ce qui se passe ailleurs.
Certains souhaitent que nous soyons en avance sur tout ; je l’entends. Mais j’ai plutôt, quant à moi, la conviction – je la partage, encore une fois, avec les membres de mon groupe – qu’un arsenal juridique doit être mis en place au niveau européen. Un tel arsenal existe déjà, d’ailleurs, au niveau national : je rappelle que les crimes écologiques sont punis par l’article 421-6 du code pénal de vingt ans de réclusion criminelle et de 350 000 euros d’amende ; peut-être estime-t-on que ce dernier chiffre est insuffisant ? Il faut, le cas échéant, l’augmenter, ce qui peut se faire très facilement.
Les élections européennes me semblent donc le meilleur moment pour avancer sur ce sujet, et je ne doute pas que la COP15 et les différents événements ou rassemblements intergouvernementaux que Mme la secrétaire d’État a évoqués et auxquels prendra part le Gouvernement seront aussi l’occasion d’élaborer une définition beaucoup plus précise de l’écocide et de trouver l’arsenal répressif adapté aux risques effectivement encourus et aux dégâts effectivement observés. Un tel arsenal devrait avoir une vertu préventive, c’est-à-dire empêcher les méfaits commis à l’encontre de notre milieu naturel, auquel nous sommes particulièrement attachés.
Les sénateurs du groupe Union Centriste, tout en appréciant l’ouverture d’un tel débat, trouvent le sujet encore insuffisamment mature et comptent sur la sagesse du Sénat pour travailler à cette maturation. (Applaudissements au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce soir tend à insérer dans le code pénal trois nouveaux articles afin de réprimer le crime d’écocide, la provocation au crime d’écocide ainsi que la participation à un groupement ou à une entente en vue de préparer un écocide ou une provocation à un écocide.
Il s’agit ainsi, en particulier, d’introduire au sein du code pénal un nouvel article 230-1, qui définirait le crime d’écocide. La définition proposée s’inspire de celle qui figure à l’article 211-1 du code pénal relatif au génocide.
Le crime d’écocide serait constitué par « le fait, en exécution d’une action concertée tendant à la destruction ou à la dégradation totale ou partielle d’un écosystème, en temps de paix comme en temps de guerre, de porter atteinte de façon grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population ».
Ce crime serait puni de vingt ans de réclusion criminelle et de 7,5 millions d’euros d’amende. Des peines complémentaires pourraient également être prononcées par la cour d’assises. Les mêmes peines seraient prévues pour les deux autres incriminations pénales, sauf dans l’hypothèse où la provocation à l’écocide n’aurait pas été suivie d’effet, le quantum de la peine se trouvant alors réduit.
Pourraient être poursuivies des personnes physiques ou des personnes morales, de grandes entreprises par exemple ; dans cette dernière hypothèse, une peine d’amende, éventuellement assortie de peines complémentaires, serait encourue.
Conformément aux articles 113-2 et suivants du code pénal, ces peines pourraient être prononcées en cas d’infraction commise sur le territoire de la République, mais aussi en cas d’infraction commise par des ressortissants français en dehors du territoire.
En outre, par analogie avec le génocide, le crime d’écocide serait imprescriptible.
On peut s’interroger sur la nécessité d’introduire dans notre législation une nouvelle incrimination, de portée générale, alors que la France dispose déjà d’un arsenal très complet. Les sanctions administratives et pénales existantes permettent aux pouvoirs publics de réprimer l’ensemble des atteintes à l’environnement qui méritent d’être condamnées.
Je partage les conclusions de la rapporteure, notre collègue Marie Mercier, car nous disposons déjà de tout l’arsenal juridique nécessaire pour sanctionner efficacement les atteintes à l’environnement.
Il pourrait effectivement être intéressant, comme l’ont dit Marie Mercier, Mme la secrétaire d’État et d’autres orateurs, de négocier une convention internationale définissant un socle de sanctions, lesquelles seraient ensuite déclinées dans le droit national de chaque État partie, afin d’encourager ceux dont la législation environnementale est peu développée à se rapprocher des meilleurs standards. La France pourrait à cet égard prendre des initiatives au niveau diplomatique.
La sensibilité environnementale est aujourd’hui très prégnante, par le biais de l’école notamment. De nombreuses actions sont menées et le fait de mettre en œuvre de hauts standards en matière d’écologie peut constituer un facteur d’attractivité pour nos régions.
Il y a quelques instants, M. Canevet a pris pour exemple la création d’un barrage hydroélectrique. Si ce texte était adopté, on pourrait effectivement considérer un tel chantier comme un écocide, au motif qu’il porte atteinte à la biodiversité. Mais il est toujours possible de prévoir des mesures compensatoires. De plus, ce barrage permettra d’obtenir un peu plus d’énergie durable : il faut bien examiner les bénéfices et les coûts, surtout quand ces derniers peuvent être compensés.
Je préside, modestement, la commission des routes dans mon département de l’Aveyron : nous aménageons encore de nouvelles routes et, quand nous sommes obligés d’abattre quinze arbres, nous en replantons quarante ou cinquante, en tout cas beaucoup plus que le nombre d’arbres abattus ! À mon sens, nous devons faire preuve de beaucoup de mesure en la matière. Un tel effort est contraignant, mais il va dans le sens de l’attractivité de nos territoires.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la réflexion relative à l’écocide s’est surtout développée dans une perspective internationale ; et l’on voit difficilement comment cette réflexion de portée internationale s’articule avec l’initiative purement nationale qui nous est soumise.
Nous, Français, donnons beaucoup de leçons en matière d’écologie, mais nous représentons 1 % de la population mondiale !
Bien sûr, il faut montrer l’exemple…
M. Olivier Jacquin. Eh oui !
M. Alain Marc. … et notre poids démographique ne nous exonère en rien,…
M. Olivier Jacquin. Eh bien, alors ?
M. Alain Marc. … mais, en même temps, soyons logiques et cohérents : travaillons à l’échelle internationale. C’est ainsi que nous pourrons prévenir les écocides.
Par ailleurs, l’introduction dans notre droit d’une nouvelle incrimination de portée générale, aux contours assez flous, ne semble pas s’imposer : notre arsenal législatif actuel permet de répondre à l’ensemble des situations visées.
Pour toutes ces raisons, et même s’ils comprennent les motifs invoqués, les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires ne voteront pas ce texte. (Applaudissements au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, ces dernières années, nous avons pu observer une véritable évolution dans la prise de conscience écologique, à l’échelon tant national qu’international.
En septembre dernier, ce sont des centaines de milliers de Français qui manifestaient pour lutter contre le changement climatique.
Le 8 octobre 2018, nous prenions connaissance du dernier rapport du GIEC, qui nous plaçait face à un diagnostic effrayant : notre planète connaît une hausse des températures de 1 degré depuis l’ère préindustrielle, et le réchauffement climatique progresse désormais de 0,2 degré par décennie. À ce rythme, la hausse de 1,5 degré pourrait être atteinte entre 2030 et 2052, avec des conséquences dramatiques pour les systèmes naturels et humains : dérèglements climatiques et multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes ; fonte des glaces et, en conséquence, montée du niveau de la mer ; raréfaction des denrées alimentaires et de l’eau potable ; risques pour la santé ; développement de la pauvreté ; disparition d’écosystèmes entiers.
D’une certaine manière, nous sommes, en outre-mer, à l’avant-garde : nous constatons ces phénomènes en premier.
Cette prise de conscience de l’urgence climatique et environnementale face à laquelle nous nous trouvons est également la conséquence directe des scandales environnementaux qui ont fait l’actualité planétaire.
Les auteurs de cette proposition de loi, auxquels je tiens à rendre hommage, nous révèlent que la criminalité environnementale a tellement augmenté qu’elle est désormais classée au quatrième rang mondial des commerces illicites, après les stupéfiants, la contrefaçon et le trafic des êtres humains.
Face à cette hausse des infractions d’atteinte à l’environnement, le présent texte propose la création d’une nouvelle incrimination pénale : le crime d’écocide. Constituerait un écocide « le fait, en exécution d’une action concertée tendant à la destruction ou dégradation totale ou partielle d’un écosystème, en temps de paix comme en temps de guerre, de porter atteinte de façon grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population ».
Imprescriptible, ce crime serait puni de vingt ans de réclusion et de 7,5 millions d’euros d’amende.
La provocation au crime, ainsi que la participation à un groupement ou à une entente en vue de préparer un écocide ou sa provocation, seraient punies des mêmes peines, sauf si la provocation n’était pas suivie d’effet. Dans ce dernier cas, le quantum de peine serait plus faible : sept ans de prison et 100 000 euros d’amende.
Mes chers collègues, j’éprouve moi aussi, sans doute comme chacune et chacun d’entre nous, la préoccupation exprimée par les auteurs de cette proposition de loi : lutter plus efficacement contre les atteintes à l’environnement. Mais la rédaction retenue me semble soulever des difficultés juridiques majeures et présenter un risque important d’ineffectivité.
Madame la rapporteure, madame la secrétaire d’État, vous l’avez justement souligné : les termes de cette proposition de loi manquent de précision. Or l’impératif de clarté de la loi pénale est une exigence de valeur constitutionnelle, particulièrement lorsque la peine encourue est si élevée.
D’après ce texte, le crime d’écocide serait constitué dès lors qu’une action concertée « tendrait » à la destruction ou à la dégradation totale ou partielle d’un écosystème. S’agit-il d’une action qui a pour objectif de détruire un écosystème ou, au contraire, d’une action dont la conséquence en serait la destruction ? À ce titre, le caractère intentionnel est déterminant.
De la même manière, la notion d’écosystème n’est pas suffisamment définie. Peut-être aurait-il fallu renvoyer à des notions existant dans le code de l’environnement.
Il est également fait référence aux conséquences de cette infraction, à savoir l’atteinte grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population. Mais le caractère durable de cette atteinte s’entend-il par son irréversibilité ? De même, que vise-t-on par l’expression « conditions d’existence d’une population » ? S’agit-il de l’atteinte à la vie ou à l’intégrité de personnes, ou bien d’un risque ? Enfin, combien de personnes doivent-elles être atteintes pour que l’infraction soit constituée ?
Vous le voyez, un grand nombre d’interrogations essentielles se posent.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Exactement !
M. Thani Mohamed Soilihi. Au-delà des difficultés résultant de ces imprécisions, on peut s’interroger sur l’effectivité de la nouvelle répression créée. Les exemples du navire Probo Koala et de la société Texaco, cités dans l’exposé des motifs à l’appui d’une pénalisation en France, renvoient à des faits commis à l’étranger. Or – vous le savez –, en matière criminelle, pour que notre pays puisse se saisir de telles infractions, il faut que l’auteur ou la victime soit un Français ou qu’une convention internationale existe.
Il arrive également qu’un dommage environnemental affecte plusieurs pays. Dans ce cas, quelle serait la juridiction compétente ?
Pour toutes ces raisons, il nous paraît indispensable qu’une réglementation internationale voie le jour, d’autant que notre arsenal législatif, tant pénal et administratif que civil, permet déjà de répondre à l’ensemble des situations rencontrées.
S’il ressort des discussions que les poursuites en matière de crimes environnementaux sont rares et que les sanctions sont légères, nous pourrions, comme le propose Mme la rapporteure, encourager les juridictions pénales à se saisir de cet enjeu, pour réfléchir à alourdir certaines peines de façon à les rendre plus dissuasives. La dernière loi de réforme de la justice, défendue par Mme la garde des sceaux, ouvre justement la possibilité de spécialiser certains tribunaux sur des contentieux techniques.
Pour conclure, les élus du groupe La République En Marche approuvent évidemment les intentions sur lesquelles se fonde cette proposition de loi et la volonté de lutter efficacement contre la criminalité environnementale.
L’inscription de ce texte à l’ordre du jour de notre assemblée a le mérite de prendre acte de la mobilisation de la société et de l’urgence à engager des discussions à l’échelle mondiale. Cher Jérôme Durain, je tiens à vous en remercier, ainsi que les membres du groupe auquel vous appartenez.
Pour ces raisons, tout en veillant à ce que notre pays engage une action dans le domaine diplomatique, nous nous abstiendrons sur ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, le 14 mars 2019, les associations Greenpeace, Notre Affaire à Tous, la fondation Hulot et Oxfam attaquaient l’État français en justice afin que celui-ci respecte ses engagements climatiques. Cette action devant les tribunaux, intitulée « l’affaire du siècle », avait été précédée d’une pétition lancée le 17 décembre 2018 et signée par plus de 2 millions de nos concitoyens et concitoyennes.
La demande des citoyens et citoyennes se fait forte, et à raison. Les trafics d’espèces protégées ont fait de l’aéroport de Roissy une plaque tournante de la criminalité environnementale. L’utilisation abusive de produits phytosanitaires en faveur d’une agriculture productiviste détruit nos sols et provoque des maladies graves en milieu rural. Les exemples d’actes venant défigurer nos paysages et heurter irrémédiablement nos faunes et nos flores sont innombrables, et, tous conjugués, ils pourraient à terme entraîner la destruction de l’humanité. Aussi est-il nécessaire et urgent de reconnaître le crime d’écocide.
Vous le savez, étymologiquement, « écocide » signifie « tuer la maison ». Se rendre coupable d’un écocrime revient à attaquer la planète, notre foyer à tous. Mon propre parti, Europe Écologie Les Verts, EELV, appelle depuis plusieurs années de ses vœux un tel ajout dans notre législation. Nous ne pouvons donc que nous féliciter de l’initiative de notre collègue Jérôme Durain et du groupe socialiste et républicain, qui vient combler les lacunes du droit pénal environnemental français. En effet, à l’heure actuelle, il n’existe tout simplement pas d’échelle des peines en la matière.
Certes, des contraventions sont prévues pour répondre aux incivilités que commettent certains particuliers, en jetant des détritus ou en braconnant, de même qu’il existe des sanctions administratives à l’encontre de certaines entreprises coupables de délits polluants. Toutefois, parmi elles, le nombre de sociétés mises en demeure reste résiduel. Pour l’heure, il n’existe pas de réponse pénale adaptée à la criminalité industrielle des grandes entreprises, qui bénéficient de l’adage too big to fail.
Pour les catastrophes se déroulant sur notre territoire, comme le naufrage du Grande America en mars dernier, ce texte peut être utile. Il serait même salutaire.
Néanmoins, même si cette proposition de loi était adoptée, que pourrions-nous faire à l’échelle nationale si un nouveau Fukushima se produisait ? Que pourrions-nous faire contre le braconnage de masse des rhinocéros en Afrique, tués pour leurs cornes ? Comment pourrait-on sanctionner Bolsonaro, qui prévoit de bétonner l’Amazonie, poumon vert de la Terre ? Rien de bien concret.
Pour sauver l’environnement, la réponse devrait être transnationale et supranationale. L’écocide mériterait d’être traité au sein d’une chambre spécifique de la Cour pénale internationale, la CPI, comme ce fut envisagé, malheureusement sans succès, lors de la rédaction du statut de Rome en 1998, et comme le préconise d’ailleurs la rapporteure de la CPI dans un document de politique générale datant de 2016.
Cependant, compte tenu des obstacles politiques et de la difficile procédure de révision du statut de Rome, il est essentiel que les États incorporent le crime d’écocide dans leur arsenal juridique interne, afin de frayer la voie à une reconnaissance supranationale de cette criminalité.
Le Vietnam, qui a depuis longtemps adopté une législation en matière d’écocrime, a ainsi pu interdire, le mercredi 10 avril dernier, l’importation du glyphosate sur son sol. À l’instar des « tribunaux verts » en Inde et de diverses institutions spécifiques qui existent en Nouvelle-Zélande et au Chili, la France aurait tout à gagner à se doter de juridictions et d’un parquet spécialisés dans la lutte contre la criminalité environnementale.
Selon le dernier rapport du GIEC, nous n’avons plus que douze ans pour inverser la tendance, avant que les dégâts infligés à notre planète ne soient irréversibles. Les multinationales continuent d’agir en toute impunité : depuis 1999, l’entreprise Monsanto est au fait du caractère dangereux du glyphosate, mais elle n’a pas pour autant freiné ses activités. Si nous ne responsabilisons pas ces géants économiques, les générations futures en paieront le prix.
Le groupe CRCE soutiendra donc évidemment ce texte. Nous espérons que la droite sénatoriale en fera de même. Le centriste Jean-Louis Borloo disait : « Les climato-cyniques ne me font pas rire. » S’il faut être responsable, c’est maintenant ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain. – M. Joël Labbé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin.
M. Olivier Jacquin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, « en devenant le premier parlement à déclarer l’urgence climatique, nous pouvons déclencher une vague d’actions venues des parlements et gouvernements du monde entier ».
J’aurais dû citer cette phrase en anglais, et pour cause, elle a été prononcée hier au parlement britannique, qui devient le premier au monde à voter l’objectif d’urgence écologique et climatique, sur proposition des travaillistes. Peut-être pourrons-nous, ce soir, en dire autant.
C’est dans cet esprit que s’inscrit le présent texte, que le groupe socialiste et républicain est fier de vous présenter ce soir. Au nom de mes collègues et en mon nom personnel, je tiens à saluer notre collègue Jérôme Durain. Je le remercie de porter ce texte et de donner à notre chambre l’initiative de s’intéresser à ce sujet ô combien important, pour aujourd’hui comme pour demain.
Madame la secrétaire d’État, vous nous dites : « Pas ici, pas maintenant. » Mais le contexte actuel de prise de conscience collective face aux atteintes à l’environnement nous oblige à développer notre arsenal législatif, pour créer un véritable droit pénal environnemental. Vous l’avez d’ailleurs admis : pour l’heure, il n’existe pas de dispositif permettant de sanctionner à leur juste mesure les atteintes les plus graves à l’environnement.
Avec ce texte, vous pourrez apporter demain une bonne nouvelle à la réunion de l’IPBES, que vous avez citée trois fois dans votre intervention, d’autant que – vous en convenez – l’urgence climatique et environnementale est bien là.
Chers collègues, à la suite de Jérôme Durain, je répondrai à plusieurs interrogations et critiques.
Tout d’abord, selon l’objection formulée le plus fréquemment, nous proposerions un texte trop flou, potentiellement trop large, qui atteindrait éventuellement la liberté de nos entreprises.
Madame la rapporteure, madame la secrétaire d’État, chers collègues Michel Canevet et Thani Mohamed Soilihi, j’ai bien entendu vos propos : vous saluez notre initiative, vous partagez notre intention, vous dites qu’elle est importante, qu’elle appelle des observations, qu’elle mériterait des précisions. Mais alors, amendez ! Amendez, de grâce, et avançons !
Mme Marie Mercier, rapporteur. On a bien essayé, mais il faudrait tout rebâtir…
M. Olivier Jacquin. Esther Benbassa l’a fait, tout comme Joël Labbé, et je les en remercie.
À mon sens, ces critiques sont une vue de l’esprit : notre texte vise spécifiquement les actes les plus graves, et les critères pour désigner un écocide y sont clairement délimités. Il s’agit d’une action concertée, qui tend à la destruction ou à la dégradation d’un écosystème et qui porte atteinte de façon grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population.
D’autres, au contraire, nous ont reproché de présenter un texte trop spécifique au vu de ces critères. Mais, comme l’a rappelé mon collègue Jérôme Durain, il s’agit de réunir au-delà des clivages politiques pour punir et dissuader les auteurs des atteintes les plus graves à l’environnement. Les entreprises ne sont d’ailleurs pas défavorables à une clarification de notre législation pour accroître la sécurité juridique et éviter des distorsions de concurrence.
Cher Michel Canevet, vous citez l’exemple des barrages. Bien sûr, la construction d’un barrage n’est pas un crime ; elle suit une procédure administrative rigoureuse, validée par l’intérêt général. Elle ne risque donc aucunement d’être considérée comme un écocide.
À ce titre, comme Mme la rapporteure l’a répété en commission, vous nous dites que l’arsenal législatif existant est suffisant. Certes, de nombreuses sanctions existent face à une multitude de possibilités d’atteintes à l’environnement et aux écosystèmes. Mais elles s’inscrivent dans une tradition de sanctions administratives, et ces dernières ne sont plus adaptées aux enjeux actuels ni à l’urgence qui se dessine de plus en plus clairement. Les mafias qui se constituent à l’échelle mondiale et qui font de la criminalité environnementale leur business constituent un phénomène nouveau, qui va de pair avec la mondialisation. Esther Benbassa l’a précisé, certains trafics ont pour plaque tournante la France, plus précisément l’aéroport de Roissy : nous sommes donc réellement concernés.
Or ces mafias ne sont pas du tout impressionnées par les peines existantes, tout comme certaines entreprises, qui, ne jurant que par la rentabilité, sont peu soucieuses de respecter la planète. Souvent, les peines en vigueur ne dépassent pas les 75 000 euros d’amende et les deux ans de prison : une bagatelle au vu des enjeux et des puissances financières dont il s’agit !
En outre, peu de moyens sont donnés aux juges pour mener les investigations nécessaires et faire respecter le droit environnemental. En définitive, l’on prononce souvent des peines alternatives. Quant au seuil permettant de pousser les investigations et de perquisitionner, il n’est valable que pour les faits punis d’au moins trois ans de prison.
Dans ces conditions, non seulement le présent texte aura un effet dissuasif, mais il pourra entraîner une véritable prise de conscience. Il nous permettra de mettre le pied à l’étrier pour une révision de la hiérarchie des sanctions et des peines face aux atteintes environnementales.
Notre droit – dois-je vous le rappeler ? – n’est devenu véritablement contraignant et efficace face aux marées noires que lorsque nous avons relevé le quantum des peines après le drame écologique de l’Erika en 1999. C’est alors que l’on a décidé d’imposer des doubles coques aux pétroliers.
Ne soyons pas, une fois encore, à la remorque des événements. Inscrivons-nous dans l’état d’urgence écologique que le Président de la République a décrété la semaine dernière, lors de sa conférence de presse. Madame la secrétaire d’État, avec ce texte, vous avez la possibilité de passer des discours aux actes et peut-être de prendre le contrepied des critiques récentes formulées, dans ce domaine, à l’encontre de votre gouvernement.
On nous dit également que ce ne serait ni le lieu ni le moment de mener ce travail, que la France ne doit pas être le gendarme du monde, que cette problématique ne peut être traitée qu’au niveau international. Mais, à propos des êtres humains, avons-nous besoin d’exemples franco-français pour que le génocide et le crime contre l’humanité soient lourdement punis dans notre droit pénal ?
En matière de protection de l’environnement et du climat, soyons courageux, comme la France a pu l’être en matière de consécration des droits de l’homme ! Soyons les Lumières de cette lutte contre la criminalité environnementale, ouvrons la voie à des changements aux niveaux européen et international.
Le Brésil avait une législation environnementale parmi les plus vertueuses au monde. Or le président Bolsonaro engage une politique de détricotage systématique de cet arsenal vert et prévoit de raser toute une partie du plus gros poumon de notre planète. Et je ne parle pas du président Trump, qui au nom des États-Unis, plus gros pollueur mondial, s’assoit sur les accords de Paris.
Cher Alain Marc, vous relevez que nous ne représentons que 1 % de la population mondiale. Un tel propos me désole… Ce n’est pas là l’image de la France rayonnante, que j’aime et que je défends, comme nombre de nos collègues.
Madame la secrétaire d’État, nous n’avons pas attendu l’existence d’un consensus européen pour être un des pays fers de lance sur d’autres sujets. Je pense notamment au début de taxation des GAFA, dont le Sénat débattra prochainement.
Plusieurs têtes de liste aux élections européennes, dont celle de la majorité gouvernementale, se prononcent en faveur de la taxation des transports aériens, dans la continuité de l’audacieuse législation suédoise, qui a évolué récemment. Or l’on nous disait que la convention de Chicago, signée en 1944, ne nous permettait pas de le faire ! Et, il y a à peine un mois, lors de l’examen du projet de loi relatif aux mobilités, la ministre des transports se prononçait contre cette mesure, lorsque certains d’entre nous l’évoquions.
Sous le dernier quinquennat, un pas en avant avait pourtant été fait au titre des responsabilités collectives en matière environnementale, avec la création du devoir de vigilance. Cette initiative a été lancée en 2017 par Dominique Potier, député de mon département, afin d’étendre la responsabilité des entreprises donneuses d’ordre. Aujourd’hui, elle est reprise par un grand nombre de pays.
Or, madame la secrétaire d’État, je vous rappelle votre pas en arrière au sujet du fonds d’indemnisation des victimes des produits phytosanitaires. À deux reprises, et à l’unanimité, le Sénat a voté la création de ce fonds, proposée par notre collègue Nicole Bonnefoy. Mais, par deux fois, vous avez refusé de l’inscrire, tout d’abord dans le projet de loi Égalim, il y a exactement un an, puis dans le dernier projet de loi de finances. Nous attendons toujours la traduction législative de ce dispositif.
N’attendons pas une décision internationale : prenez-en l’initiative, avec nous. Songez aux deux côtés de la pièce, que vous avez cités : celui des droits et celui des devoirs. L’urgence climatique exige que nous prenions, ici et maintenant, toute notre responsabilité, à notre échelle, pour reconnaître le crime d’écocide.
Madame la rapporteure, à juste titre, vous avez cité McLuhan : « Il n’y a pas de passagers sur le vaisseau Terre ; nous sommes tous des membres de l’équipage. » Dès lors, avançons ensemble en ce sens : c’est tout notre honneur d’être un pays fer de lance dans la lutte contre les atteintes infligées à l’environnement. Reconnaître le crime d’écocide, c’est se battre contre un possible écosuicide.
Avec « l’affaire du siècle », alors que des jeunes se mobilisent et marchent partout dans le monde pour le climat, la question environnementale est au cœur des débats.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Il était temps de s’en apercevoir…
M. Olivier Jacquin. Le Parlement européen sera assurément conduit à légiférer sur cette question dans les prochaines années.
M. le président. Veuillez conclure, cher collègue.
M. Olivier Jacquin. Notre initiative est à même de déclencher un électrochoc et de faire du crime d’écocide un vrai sujet.
Mes chers collègues, que voulons-nous pour notre avenir et celui de nos enfants ?
M. le président. Il faut vraiment conclure.
M. Olivier Jacquin. Nous ne pouvons nous permettre d’attendre. Ayons le courage de nous engager sur cette question qui dépasse les clivages politiques : c’est notre responsabilité collective. Jacques Chirac…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !
M. Olivier Jacquin. … a dit : « Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs. »
M. le président. Il faut vraiment conclure, cher collègue, même si vous citez Jacques Chirac ! (Sourires.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Monsieur le président, il s’agit d’une exception ! (Nouveaux sourires.)
M. Olivier Jacquin. Alors que nous entrons dans l’anthropocène et que la biodiversité subit de nouvelles extinctions massives, notre droit ne doit pas regarder ailleurs, et nous non plus ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à revenir, moi aussi, sur « l’état d’urgence écologique ».
Madame la secrétaire d’État, vous avez évoqué la septième session de l’IPBES, qui a présenté la synthèse mondiale sur l’état de la nature et des écosystèmes. À ce titre, je cite le président Robert Watson : « Les preuves sont incontestables. Notre destruction de la biodiversité et des services écosystémiques a atteint des niveaux qui menacent notre bien-être au moins autant que les changements climatiques induits par l’homme. »
Aussi, et avant tout, je remercie nos collègues socialistes d’avoir inscrit à l’ordre du jour cette proposition de loi, dont le sujet est extrêmement important.
Avec la généralisation de la conscience écologique au sein de la société française, de nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui pour sanctionner plus sévèrement les écocides, atteintes graves à l’environnement. Ces aspirations rejoignent d’ailleurs d’autres attentes exprimées à l’échelle internationale. Il est donc primordial que la France fasse preuve d’initiative en la matière. Ainsi, nous pourrons coaliser les bonnes volontés qui naissent, ici et là, des constats de la mise en péril de l’humanité établis non seulement par de nombreux observateurs scientifiques, représentants de la société civile, mais aussi de nombreuses instances internationales.
Tel est précisément le but du texte que nous examinons ce soir et que, au sein du groupe du RDSE, nous sommes plusieurs à saluer.
Madame la rapporteure, selon vous, le fait de présenter la France comme le gendarme du monde en matière environnementale pourrait se retourner contre nous. À ce titre, vous avez dressé un parallèle avec l’interventionnisme militaire américain. (Mme le rapporteur manifeste sa circonspection.)
Il est des risques qu’il faut savoir prendre lorsque l’urgence à agir nous y pousse. La nécessité de protéger notre environnement s’instille durablement dans les consciences françaises, notamment celles des plus jeunes générations, depuis que les premières alertes ont été lancées.
L’adoption de la Charte de l’environnement de 2005 a été une avancée supralégislative majeure, qui attend des ramifications législatives concrètes, comme celles que propose le texte examiné aujourd’hui. La doctrine a montré comment, faute d’avancées législatives, nos magistrats ont, par exemple, fait évoluer progressivement la jurisprudence relative à la notion de préjudice pour permettre l’indemnisation des préjudices écologiques.
Nous avons entendu les critiques du texte de Jérôme Durain et de ses collègues, mais il nous paraît quelque peu contradictoire de faire le constat de l’urgence à agir, en citant les rapports du GIEC, qui sont terrifiants, et de considérer, dans le même temps, que les normes en vigueur sont suffisantes et que tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes par le simple renforcement de la formation de nos magistrats ou par l’effet de sanctions, dont on sait aujourd’hui qu’elles ne sont pas assez dissuasives.
Ce texte mérite que nous réfléchissions à des améliorations de rédaction plutôt que de le rejeter en bloc.
Sur le fond, nous souscrivons aux préconisations des directives européennes qui suggèrent que les sanctions pénales n’interviennent qu’en dernier recours, mais nous jouons déjà, depuis plusieurs décennies, le jeu du « droit mou », des dispositifs incitatifs, des sanctions administratives. Nous sommes de plus en plus nombreux à considérer que l’état de dégradation de la planète est tel qu’il est aujourd’hui nécessaire de passer à la vitesse supérieure et de sanctionner pénalement toutes les atteintes à l’environnement, quelles qu’elles soient.
M. Olivier Jacquin. Très bien !
M. Joël Labbé. Il s’agit de repenser totalement l’agencement de notre droit pénal afin d’y intégrer l’environnement en tant que personne propre.
La reconnaissance de l’écocide revêt plusieurs dimensions juridiques, comme nos amendements tendent à le montrer : elle exige, d’une part, l’élargissement de la notion de génocide afin que des actes de guerre reposant sur des atteintes très graves à l’environnement, comme le recours à l’agent orange au Vietnam, puissent être reconnus comme tels et sanctionnés par la juridiction internationale compétente ; elle requiert, d’autre part, le renforcement des peines, mais également des moyens et des périmètres d’action de nos juges nationaux, en cas d’atteintes à l’environnement sur notre sol et au-delà, lorsque ces atteintes emportent des externalités négatives mondiales susceptibles de concerner la santé et la qualité de vie des Français.
Ce deuxième point pourrait être satisfait par la création d’une incrimination nouvelle, que nous proposons de modifier, ou par l’élargissement de dispositions pénales existantes, comme la mise en danger de la vie d’autrui. Il ouvre cependant d’autres débats, dont celui qui concerne les modalités de calcul des amendes par les magistrats afin d’éviter les condamnations symboliques et la censure de la Cour de cassation.
En conclusion, gardons à l’esprit que ce n’est pas l’écologie qui est punitive – j’en ai marre d’entendre cela ! –, mais c’est la société qui doit l’être, quand une majorité en son sein considère qu’un comportement porte atteinte au bien commun, à l’intérêt général, et à celui des générations futures.
Comme le grand débat l’a montré, les citoyennes et citoyens français attendent que nous leur apportions des clés pour agir, et l’action devant le juge pénal en est une.
Enfin, si l’action dans le droit pénal français nous paraît nécessaire, légitime et efficace, il faut également intervenir au niveau du droit pénal international, comme le propose la juriste en droit international, spécialiste des droits de l’homme, Valérie Cabanes : « Ne faudrait-il pas reconnaître un crime international qui puisse protéger l’habitabilité de la Terre de certaines activités industrielles nuisibles au climat, à la biodiversité, à la qualité des sols, à l’approvisionnement en eau potable, à l’océan, à la santé… ? »
À ceux qui considèrent, à juste titre, que la priorité actuelle est à la refondation du pacte social et politique de notre pays, je voudrais dire ma conviction qu’il faut faire de ce sujet un outil pour rebâtir le vivre-ensemble.
Quelle meilleure mise en œuvre du principe de fraternité que l’ambition de travailler à l’amélioration des conditions écologiques d’existence du plus grand nombre ?
M. le président. Il faut conclure !
M. Joël Labbé. Je vous le dis au nom des générations nouvelles qui ont besoin de renouer avec des projets collectifs : le plus beau projet que l’on ait à mener ensemble, c’est le sauvetage de la planète ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac.
Mme Marta de Cidrac. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, force est de constater que les efforts mondiaux pour enrayer le réchauffement climatique et protéger l’environnement ne sont pas suffisants, les collègues qui se sont exprimés avant moi l’ont tous évoqué. En ce sens, le texte proposé a le mérite de nous rappeler l’importance de ce sujet.
Cependant, la France n’est pas en reste dans les engagements écologiques que les États doivent prendre en urgence pour limiter les changements climatiques. Depuis 2005, la Charte de l’environnement est dans notre corpus constitutionnel et la France a joué un rôle primordial dans les négociations ayant mené à la conclusion des accords de Paris pour le climat en 2015.
Plus récemment, le Sénat a adopté, le 11 avril dernier, le projet de loi portant création de l’Office français de la biodiversité, qui renforce les pouvoirs de police et d’investigation des inspecteurs de l’environnement et des agents commissionnés.
La Cour pénale internationale ne reconnaît pas encore de crimes contre l’environnement en temps de paix, mais a encouragé les législateurs nationaux à se saisir de cette question.
Dans cette perspective, l’initiative engagée par le groupe sénatorial des socialistes est louable et je remercie notre collègue Jérôme Durain pour le travail accompli, mais les contours de cette proposition de loi ne sont pas bien définis et il n’y a qu’un pas à faire pour affirmer que sa finalité serait strictement symbolique. C’est sur ce point que s’appuient les critiques principales que l’on peut lui opposer.
Ce texte pose d’abord des problèmes terminologiques et de définition. Dans son article 1er, l’alinéa 6 propose une définition de l’écocide qui repose sur la réunion de deux éléments : la présence d’une action concertée tendant à la destruction ou à la dégradation totale ou partielle d’un écosystème et le fait que cette action devrait avoir pour effet de porter atteinte de façon grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population.
Toutefois, quelle définition juridique correspond au terme d’« écosystème », à l’expression « atteinte à l’environnement », voire « conditions d’existence » ? Notre loi doit être précise et non équivoque, selon l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. Or la notion d’écosystème est très large. Je cite sa définition courante : c’est un « ensemble formé par une communauté d’êtres vivants, animaux et végétaux, et par le milieu dans lequel ils vivent. »
Quelles sont donc les limites de l’incrimination, puisqu’il suffit d’une dégradation portant atteinte « de façon grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population » pour être en infraction ? Quelles destructions sont acceptables, quelles sont celles qui seront qualifiées de « graves » ?
La question que je pose ici est de savoir sur quelle évaluation nous devrons nous appuyer pour déterminer une atteinte grave et durable à l’environnement. Quelle échelle de valeurs devrons-nous utiliser ? Il faudrait qu’un acte juridique le précise ou que des articles supplémentaires soient ajoutés à cette proposition de loi.
Je ne vais pas évoquer l’expression « conditions d’existence », qui ne fait également référence à aucune disposition juridique, laissant libre cours aux jugements de valeur et à l’interprétation multiforme du juge. Faisons en sorte qu’une incrimination pour destruction de l’environnement soit suffisamment précise et définie pour être efficace.
En tant que législateurs, nous devons nous assurer de l’expression claire et sans ambiguïté de la loi.
J’en viens donc à mon deuxième point. Cette proposition de loi n’apporte aucun outil juridique véritablement novateur pour la condamnation des infractions à l’environnement. Notre arsenal législatif s’est beaucoup renforcé ces dernières années et permet déjà de réprimer nombre de ces infractions.
La loi sur la biodiversité en vigueur depuis août 2016 a introduit dans le code de l’environnement une définition du préjudice écologique. Depuis cette nouvelle disposition, les atteintes à l’environnement peuvent désormais être indemnisées sur le plan civil.
Le code de l’environnement comporte également des incriminations pénales pour poursuivre et sanctionner des actions polluantes, comme le déversement de substances en mer, l’atteinte aux espèces, la mauvaise gestion des déchets ou le rejet dans l’atmosphère de substances polluantes.
De plus, des incriminations pénales plus larges, qui existent déjà, peuvent être utilisées pour réprimer les atteintes à l’environnement lorsque les individus en sont victimes.
J’ajoute que, dans cette proposition de loi, aucune distinction entre les activités légales et illégales n’est établie. Certaines activités détruisent l’environnement, mais restent dans le cadre réglementaire et légal. Pour illustrer mes propos, je ne citerai qu’un exemple : le projet de mine d’or industrielle en Guyane, soutenu par le Président de la République. L’étude d’impact de 2016, menée par la direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement de Guyane, a révélé que l’exploitation de ce gisement provoquerait la destruction de sept hectares de forêt amazonienne et d’habitats naturels, ainsi qu’un fort risque de pollution des cours d’eau.
Il n’est, certes, pas acceptable qu’une impunité soit accordée à certaines entreprises. La destruction d’espèces végétales ou animales protégées est intolérable et, par-delà celles-ci, nous devons également être vigilants concernant la destruction d’espèces non protégées. Pourtant, comme je l’ai évoqué, cette proposition de loi ne permet pas de distinguer les activités légales des activités illégales. L’objectif de ceux qui les pratiquent est rarement la dégradation de l’environnement, mais celle-ci peut en être une conséquence. Doit-on sanctionner de la même manière ces deux cas de figure ? Cela ne me semble ni adapté ni opportun.
Une dizaine de pays ont adopté le crime d’écocide dans leur législation, comme le Vietnam et la Russie, cela s’explique par leur histoire. À ce jour, aucune condamnation notoire ne peut cependant être relevée. J’ajoute que, si mettre l’écocide sur le même plan que le crime contre l’humanité ou le génocide, le crime de guerre et le crime d’agression peut sembler pertinent, le texte tel qu’il nous est aujourd’hui proposé semble, pour le moins, exagéré.
Un contour mal défini pour l’écocide ne permet pas d’engager des solutions efficaces. Placer sans réserve sur le même plan une destruction des espèces et une destruction méthodique de groupes humains reste contestable.
Nous n’avons pas besoin d’un texte symbolique dont la mise en œuvre est impossible. L’enjeu est avant tout international, trop de conditions sont nécessaires et les failles sont nombreuses qui permettent d’échapper à une incrimination efficace.
Cette proposition de loi vise surtout à condamner les actions les plus graves, portant atteinte de manière irréversible à l’environnement. Je fais bien sûr référence au braconnage transnational,…
M. le président. Veuillez conclure !
Mme Marta de Cidrac. … au trafic d’espèces, au trafic de déchets polluants. Les exemples évoqués par Jérôme Durain dans son exposé des motifs sont localisés à l’étranger, en Côte-d’Ivoire et en Équateur, et la législation française ne sera en aucun cas en mesure d’y répondre.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Marta de Cidrac. Toutes ces activités criminelles relèvent davantage du droit pénal international, car, en l’absence de convention internationale, notre pays ne pourra se saisir de ces infractions que si la victime ou l’auteur en est un citoyen français.
M. le président. Merci !
Mme Marta de Cidrac. C’est pourquoi, mes chers collègues, en guise de conclusion, je vous propose de ne pas adopter cette proposition de loi…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. En l’état, au moins.
Mme Marta de Cidrac. En effet !
Monsieur le président, je vous prie de me pardonner d’avoir dépassé mon temps de parole. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Faute avouée est à moitié pardonnée ! (Sourires.)
La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide
Articles additionnels avant l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par MM. Labbé, Collin, Corbisez et Dantec, Mme N. Delattre et M. Gold, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le troisième alinéa de l’article 211-1 du code pénal est complété par les mots : « par tout moyen, dont l’altération de l’environnement naturel de cette population ».
La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’extension des compétences de la Cour pénale internationale au crime d’écocide, tel que la pollution intentionnelle et durable de l’écosystème au Vietnam, par stratégie militaire, afin d’en affaiblir l’ensemble de la population, est une revendication défendue par de nombreux universitaires et qui bénéficie d’un soutien croissant en France et à l’étranger.
Cela nécessite de procéder à la modification en ce sens du traité fondateur de la Cour, et donc de réussir à trouver un consensus au niveau mondial.
La France aurait tout intérêt à se montrer force d’initiative sur le sujet, en commençant par inscrire dans la définition nationale du génocide le fait d’y procéder par des atteintes graves à l’environnement, comme ce fut le cas au Vietnam. Plusieurs décennies après la guerre, l’agent orange produit encore des effets dévastateurs sur les générations actuelles des territoires touchés, où de nombreux enfants développent des malformations importantes.
Notre droit pénal qualifie déjà d’acte terroriste « le fait d’introduire dans l’atmosphère, sur le sol, dans le sous-sol, dans les aliments ou les composants alimentaires ou dans les eaux, y compris celles de la mer territoriale, une substance de nature à mettre en péril la santé de l’homme ou des animaux ou le milieu naturel ». Ce, à condition qu’il se produise « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Ce sont les dispositions de l’article 421-2 de notre code pénal.
Pour autant, et chacun en conviendra ici, il est peu probable qu’un juge qualifie un jour le gouvernement d’un État, a fortiori celui de la première puissance mondiale, d’entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur.
C’est pourquoi nous proposons de préciser la définition du génocide en complétant le critère « d’atteinte grave à l’intégrité physique ou psychique » par les mots « par tout moyen, dont l’altération de l’environnement naturel de cette population ». Cette précision tend à allonger la dimension temporelle du génocide, dès lors que ce dernier pourrait être regardé comme tel aussi longtemps que l’environnement naturel restera altéré. L’objectif est de dissuader absolument les chefs d’État de recourir à de telles techniques de guerre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement tend à modifier la définition du crime de génocide. Il a le mérite de souligner le lien qui existe entre la survie d’une population et son environnement naturel. La précision proposée semble pourtant superflue sur le plan juridique : le code pénal ne dressant pas la liste des moyens qui peuvent être utilisés pour détruire une population, le fait, par exemple, d’empoisonner un cours d’eau à cette fin pourrait tomber sous le coup de l’incrimination de génocide.
La commission souhaite donc le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur Labbé, cet amendement vise à ajouter à la définition déjà existante du crime de génocide une référence à la dégradation de l’environnement.
Cet ajout ne respecte toutefois pas le principe constitutionnel de précision de la loi pénale, la notion d’altération de l’environnement naturel étant particulièrement floue, notamment dans la définition de son intensité. S’agit-il d’une altération grave, durable, ou encore, qu’est-ce qu’un environnement naturel ?
En outre, cet ajout ne paraît pas nécessaire, puisque le texte exige une atteinte grave à l’intégrité physique ou psychique sans préciser le moyen employé. Quel que soit ce dernier, l’infraction sera constituée dès lors qu’il s’agira d’une telle atteinte commise en exécution d’un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe déterminé. Votre proposition est donc déjà couverte par la définition même du génocide.
Dans ces conditions, l’avis du Gouvernement est défavorable sur cet amendement.
M. le président. Monsieur Labbé, l’amendement n° 3 rectifié est-il maintenu ?
M. Joël Labbé. J’entends les propos de Mme la rapporteure et de Mme la secrétaire d’État, mais cet amendement a également une portée symbolique. En matière diplomatique, la symbolique est beaucoup plus importante qu’en matière législative et disposer d’un tel symbole dans notre arsenal pénal nous rendrait plus crédibles encore sur la scène internationale.
Je maintiens donc cet amendement, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Je ne m’attendais pas, un 2 mai à vingt-trois heures dix-huit, à ce que notre hémicycle se transforme en casino ! Je vois les piles de jetons s’accumuler sur le pupitre de Mme Catherine Di Folco, ou plutôt les cartes de vote.
J’ai bien compris que la droite sénatoriale s’oppose à cette proposition de loi, et que, comme elle est minoritaire en séance, elle s’apprête à « plomber » notre travail en multipliant les scrutins publics.
Je le regrette. Ce n’est pas la première fois, mais, s’agissant d’un texte aussi important, aussi essentiel pour l’avenir de la planète, vous auriez pu, mes chers collègues, avoir la décence d’être présents en nombre suffisant pour vous y opposer tout en respectant la démocratie dans notre hémicycle.
Vous serez majoritaires par des voies artificielles, nous le déplorons, mais nous ferons notre travail pour défendre les intérêts de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 3 rectifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 89 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l’adoption | 111 |
Contre | 230 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 2 rectifié bis, présenté par MM. Labbé, Collin et Corbisez, Mme Costes, M. Dantec et Mmes N. Delattre et Laborde, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 223-1 du code pénal est ainsi modifié :
1° Après le mot : « immédiat », sont insérés les mots : « ou futur » ;
2° Après le mot : « mutilation », sont insérés les mots : « , une maladie ».
La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis très embêté. Il me semble que nous devons terminer à minuit, j’ai des amendements à défendre et si je les défends jusqu’au bout, je crains que nous ne puissions pas terminer l’examen de ce texte, ce dont je serais désolé. Je vais donc aller très vite sur cet amendement.
M. le président. La séance doit être levée au plus tard à minuit trente, vous avez donc largement le temps de défendre vos amendements, mon cher collègue. (Bravo ! sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Joël Labbé. Je préfère être vigilant, parce que je sais maintenant qu’un scrutin public sera demandé sur chacun des amendements.
Mieux sanctionner les atteintes à l’environnement est un enjeu crucial des prochaines années. Selon les observateurs, les affaires qui s’y rapportent ne représentent pourtant que 2 % de l’activité des parquets. Compte tenu du faible effet dissuasif des sanctions administratives, d’une part, et des difficultés que rencontre le juge civil à prononcer des dommages et intérêts, d’autre part, il apparaît comme absolument nécessaire de renforcer notre arsenal pénal.
Dans l’attente d’une rédaction satisfaisante de la définition de l’écocide, susceptible de s’appliquer à toutes les atteintes graves et irréversibles à l’environnement, l’adaptation de l’article relatif à la mise en danger de la vie d’autrui pourrait constituer une alternative. On pourrait ainsi étendre son champ d’application aux risques non seulement immédiats, mais futurs, ainsi qu’aux cas ayant donné lieu à une maladie permanente, en plus des mutilations ou des infirmités permanentes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement vise deux objectifs : sanctionner, d’abord, le risque immédiat de mort ou de blessure, mais aussi le risque futur ; ensuite, sanctionner la mise en danger, lorsqu’elle expose à un risque de mort, de blessure, mais aussi à un risque de maladie.
Dans l’objet de son amendement, notre collègue indique qu’il souhaite avant tout ouvrir le débat. Il me semble en effet qu’une réflexion plus approfondie est indispensable avant d’envisager d’élargir le champ d’application de cet article, qui déborde largement la question de la protection de l’environnement.
En visant des risques futurs, en faisant référence au risque de maladie, l’adoption de cet amendement pourrait rendre difficile l’établissement du lien de cause à effet entre le comportement répréhensible et les dommages observés.
C’est pourquoi la commission souhaite le retrait de cet amendement ; à défaut son avis serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État. L’amendement qui nous est proposé me semble déjà satisfait dans la mesure où, si l’activité réalisée en violation de la réglementation emporte des conséquences sur la santé des personnes, les chefs de blessures involontaires voire d’homicide involontaire sont déjà applicables. Le point de départ de la prescription se situe alors à l’apparition du dommage – la mort ou la blessure.
Le Gouvernement propose, en conséquence, le retrait de cet amendement.
M. le président. Monsieur Labbé, avez-vous été convaincu ? Retirez-vous l’amendement n° 2 rectifié bis ?
M. Joël Labbé. Pas du tout ! Si l’on écarte la question de la maladie, la modification pourrait se limiter à la seule introduction de la notion de risque futur, parce que celui-ci existe et ce sont les générations futures qui en paient le prix.
C’est pour cela que je me dois de maintenir cet amendement, en espérant que, cette fois, pour gagner du temps, nous soyons appelés à voter à main levée.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié bis.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 90 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Pour l’adoption | 110 |
Contre | 229 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 7 rectifié bis, présenté par MM. Labbé, Collin, Corbisez et Dantec, Mme N. Delattre et M. Gold, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 218-24 du code de l’environnement est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le montant de l’amende prévue par le présent article peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés de la commission de l’infraction, à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits. »
La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Le droit pénal de l’environnement doit évoluer pour s’adapter aux conséquences graves que le comportement humain, surtout celui de certaines entreprises peu scrupuleuses, peut avoir sur l’environnement, donc sur les générations futures.
Le présent amendement vise à proportionner le montant de l’amende aux avantages tirés de la commission de l’infraction en matière de rejets de substances polluantes dans les eaux. L’amende serait calculée en fonction du chiffre d’affaires de la personne morale.
Je tiens à attirer votre attention sur les termes utilisés pour la définition de l’incrimination, ceux dont on nous reproche qu’ils ne seraient pas assez précis pour définir l’écocide, ainsi que sur le fait que la faute non intentionnelle est également retenue par le droit en vigueur.
Madame la rapporteure, en ce qui concerne le quantum des peines, vous estimez que les sanctions en vigueur sont dissuasives. Je soutiens le contraire, puisqu’on sanctionne plus aisément des pratiques commerciales trompeuses que des atteintes graves à l’environnement. Les simples arnaques, qui certes doivent être sévèrement punies, le sont ainsi davantage que des faits ayant un effet durable sur la biodiversité et la santé humaine. Notre droit prend donc le parti de renvoyer les responsabilités aux générations futures.
Mes chers collègues, nombreux sont les juristes qui donnent l’alerte sur l’inefficacité du droit pénal de l’environnement. Si la reconnaissance du préjudice écologique a constitué une grande avancée et si les sanctions semblent élevées, ce dispositif n’a pas été efficace pour certaines grandes entreprises qui polluent les mers ou procèdent à des forages et dont le chiffre d’affaires annuel peut atteindre la dizaine de milliards d’euros. Pour elles, ces condamnations ne représentent qu’un anodin accident de parcours, pour lequel, de surcroît, elles ont constitué des provisions.
Notre amendement vise à mettre en valeur un exemple de tout ce qui aurait pu être réalisé dans le cadre de cette proposition de loi, de ce que le législateur peut proposer pour revoir l’ensemble du code de l’environnement en vue d’adapter les sanctions aux réalités des dommages causés et au caractère lucratif des infractions environnementales.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement vise à augmenter le quantum des amendes encourues par des personnes morales en cas d’infraction relative aux rejets polluants des navires. Il s’agit de porter ces maxima à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers exercices connus à la date d’effet, l’amende étant fixée en proportion des avantages tirés de la commission de l’infraction.
Si une réflexion pour rendre les peines encourues par les personnes morales en matière d’infractions environnementales plus dissuasives semble intéressante, il paraît nécessaire de réfléchir à l’échelle des peines de manière globale et non en isolant tel ou tel type d’infractions.
Par ailleurs, en matière d’infractions relatives aux rejets polluants des navires, les amendes prévues par le code de l’environnement pour les personnes morales sont d’ores et déjà importantes, puisque leurs montants peuvent atteindre 75 millions d’euros pour les pollutions les plus graves. De plus, ces amendes peuvent être complétées par des dommages et intérêts très substantiels, notamment pour préjudice écologique, ce qui a nécessairement un effet dissuasif pour les entreprises.
Pour ces raisons, la commission est défavorable à l’amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur Labbé, votre amendement me semble vraiment intéressant : comme vous, je crois qu’il faut muscler le dispositif pénal du droit de l’environnement national, notamment en rendant les sanctions vraiment dissuasives.
Reste que certaines réserves doivent être émises sur votre proposition. D’abord, cette aggravation ne peut concerner que les personnes morales. Ensuite, il convient de tenir compte du contrôle opéré par le Conseil constitutionnel en matière de quantum de peine, un contrôle qui porte sur l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue. Ainsi, dans une décision de 2013, le Conseil constitutionnel a censuré la fixation d’un montant maximal de peine encourue dépourvu de lien avec l’infraction à laquelle il s’appliquait, parce qu’il était fondé sur le chiffre d’affaires.
Je tiens aussi à rappeler, après l’avoir signalé dans la discussion générale, que la mission confiée en janvier dernier par François de Rugy et Nicole Belloubet à l’Inspection générale de la justice et au Conseil général de l’environnement et du développement durable sur la politique pénale en matière environnementale de la France devrait rendre ses conclusions en septembre prochain.
Dans ces conditions, monsieur le sénateur, je propose que vous retiriez votre amendement et que nous travaillions sur cette question en liaison étroite, d’ici à la remise du rapport et au-delà.
M. le président. Monsieur Labbé, l’amendement n° 7 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Joël Labbé. Madame la secrétaire d’État, je vous fais confiance pour que nous travaillions ensemble en ce sens. Je retire donc mon amendement.
M. le président. L’amendement n° 7 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 8 rectifié bis, présenté par Mmes Costes et N. Delattre, MM. Labbé et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Collin, Corbisez, Dantec et Gabouty, Mme Guillotin, M. Gold, Mmes Jouve et Laborde et MM. Menonville et Requier, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le 20° de l’article 706-73 du code de procédure pénale est ainsi rétabli :
« 20° Délit prévu par le code de l’environnement, lorsqu’il est connexe avec l’une des infractions mentionnées aux 1° à 19° du présent article ; ».
La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Le présent amendement, dont nos collègues Josiane Costes et Nathalie Delattre sont à l’origine, vise à réaliser une évolution consensuelle à la suite du constat établi par les auteurs de la proposition de loi sur l’importance croissante de la criminalité environnementale dans les profits des réseaux de délinquance et de criminalité organisées.
Encore relativement méconnue, cette dimension de la criminalité organisée pourrait avoir, à terme, d’importantes incidences sur l’environnement mondial, mais également sur la qualité de vie et la santé des Français, de manière directe ou indirecte. Le sujet est d’ailleurs pris très au sérieux par Interpol, qui a adopté plusieurs résolutions depuis les années 1990 pour combattre ce phénomène dans toutes ses dimensions : criminalité liée à la pêche, criminalité forestière, criminalité liée à la pollution et aux espèces sauvages.
Afin de renforcer nos juridictions dans la lutte contre la criminalité environnementale, il est proposé de permettre à nos magistrats de disposer des moyens d’enquête et d’instruction prévus à l’article 706-73 du code de procédure pénale pour parvenir à sanctionner les délits prévus par le code de l’environnement.
Nous avons conscience que la rédaction actuelle du dispositif comporte quelques imperfections et pourrait être améliorée : d’une part, par le remplacement de l’expression : « lorsqu’il est connexe avec l’une des infractions précitées » par l’expression : « commis en bande organisée » ; d’autre part, par la suppression des septième et neuvième alinéas de l’article 706-73-1 du code pénal. Cela reviendrait non pas à écraser les dispositions déjà prévues à cet article, mais à renforcer davantage les moyens à disposition des magistrats dans les cas déjà prévus et à étendre le dispositif à tous les délits du code de l’environnement.
Ces évolutions nous paraissent absolument nécessaires pour nous prémunir contre une spécialisation des réseaux de criminalité organisée dans des activités non respectueuses de l’environnement, ce qu’on observe déjà chez certains de nos voisins européens, par exemple en matière de traitement des déchets.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement de nos collègues du groupe du RDSE vise à rendre la procédure relative à la délinquance organisée applicable à l’ensemble des délits prévus par le code de l’environnement, dès lors qu’ils sont connexes à un crime ou un délit commis en bande organisée.
Les enquêteurs et magistrats disposent de pouvoirs renforcés en matière de lutte contre la criminalité et la délinquance organisées. Ils peuvent mettre en œuvre des techniques particulières de surveillance, d’infiltration, d’enquête sous pseudonyme, d’interception des correspondances et de sonorisation des véhicules, potentiellement attentatoires à la vie privée. De plus, des règles dérogatoires s’appliquent en matière de garde à vue comme de perquisition.
Il nous paraît hasardeux d’étendre, sans avoir procédé au préalable à une réflexion approfondie, le champ de ces techniques potentiellement très intrusives à des délits aussi nombreux et d’une gravité variable.
J’ajoute que certains délits environnementaux peuvent déjà donner lieu à l’utilisation de ces techniques d’enquête. En effet, l’article 706-73-1 du code de procédure pénale vise notamment les délits d’atteinte au patrimoine naturel et les délits de trafic de déchets, à condition qu’ils aient été commis en bande organisée.
L’adoption de l’amendement ferait disparaître cette dernière exigence, ce qui conduirait à appliquer des techniques et procédures propres à la délinquance organisée à des délits qui n’ont pas été commis en bande organisée. Cela ne nous paraît pas très cohérent.
Pour toutes ces raisons, la commission souhaite le retrait de l’amendement ; s’il est maintenu, elle y sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État. Madame la sénatrice, je comprends tout à fait l’objectif de votre amendement. Néanmoins, il me paraît présenter un fort risque d’inconstitutionnalité. En effet, son adoption permettrait l’utilisation de techniques spéciales d’enquête comme les IMSI catchers, la sonorisation ou la captation de données informatiques pour les délits prévus par le code de l’environnement, dont certains ne sont sanctionnés que par une peine d’amende. Avis défavorable.
M. le président. Madame Laborde, l’amendement n° 8 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Françoise Laborde. Je regrette, madame la secrétaire d’État, mais vous ne m’avez pas tout à fait convaincue, car, entre le délit individuel et celui commis en bande organisée, il y a ceux qui sont le fait de deux, trois ou quatre personnes, pour lesquels on pourrait peut-être recourir à certaines techniques spéciales. Je maintiens l’amendement.
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour explication de vote.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, il semblerait que nous allions procéder à un nouveau scrutin public. Or, si j’ai bien écouté les orateurs lors de la discussion générale, notre assemblée rejettera majoritairement cette proposition de loi lors du vote sur l’ensemble. Dès lors, tenir un vote solennel sur chaque amendement ne sert absolument à rien. Je propose que nous votions sur les amendements à main levée. (M. Éric Gold applaudit.)
M. le président. Mon cher collègue, vous avez raison en pratique, mais il se trouve que j’ai été saisi d’une demande de scrutin public par le groupe Les Républicains. Si Mme Di Folco retire cette demande ainsi que les autres qui ont été déposées, nous pourrons procéder comme vous le proposez, mais tel n’est manifestement pas le cas. Nous allons donc poursuivre la mise aux voix par scrutin public.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Je comprends très bien la demande de notre collègue visant à abréger les débats, mais je veux lui faire observer qu’il serait très difficile pour notre assemblée de rejeter le texte après avoir adopté tous les amendements. Il y a une exigence de cohérence.
Quant au scrutin public, il ne s’agit pas d’un vote solennel, mais d’un mode de votation qui permet à chacun d’entre nous de prendre ses responsabilités en exprimant son choix sur les amendements.
Comme l’ambition de cette proposition de loi est très importante – nous nous sommes rejoints, les uns et les autres, pour le reconnaître –, il me paraît normal que tous les membres de notre assemblée puissent s’exprimer au travers de ces scrutins publics demandés par le groupe Les Républicains.
Si donc je comprends l’aspect pratique de votre demande, mon cher collègue, je crois que les exigences de cohérence et de responsabilité nous imposent d’aller au bout de ce débat dans des conditions normales. Nous n’adopterions pas des amendements pour ensuite rejeter le texte.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.
M. Jérôme Durain. Je me dois de faire observer qu’il s’agit là non pas de débats, mais de procédure.
Je partage tout à fait l’avis du président Bas : c’est un texte important, et il faut prendre ses responsabilités. En l’occurrence, la responsabilité de la majorité sénatoriale aurait consisté à être présente en nombre suffisant dans l’hémicycle pour pouvoir rejeter les amendements à main levée. Chers collègues de la majorité sénatoriale, si l’on considère que le texte est important, il est regrettable d’être aussi peu nombreux ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Pour notre part, nous sommes obligés de nous réfréner, alors que nous aurions beaucoup à dire, pour que notre assemblée puisse aller au bout du travail prévu ce soir. C’est un peu dommage.
M. le président. Mes chers collègues, il nous reste encore quarante-cinq minutes. En nous concentrant sur l’objet du texte, je pense que nous pourrons arriver à en achever l’examen.
Je mets aux voix l’amendement n° 8 rectifié bis.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 91 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l’adoption | 111 |
Contre | 230 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 9 rectifié bis, présenté par Mmes Costes et N. Delattre, MM. Labbé et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Collin, Corbisez, Dantec et Gabouty, Mme Guillotin, M. Gold, Mmes Jouve et Laborde et M. Requier, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le 3° de l’article 689-11 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Les crimes et délits mentionnés à l’article 706-73 du présent code, lorsqu’ils sont accompagnés d’atteinte à l’environnement. »
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Cet amendement vise à instaurer une compétence extraterritoriale des juridictions françaises en matière de lutte contre les atteintes à l’environnement, indépendamment de la création d’un crime d’écocide au sein du code pénal.
Comme le prévoit la Charte de l’environnement, « l’environnement est le patrimoine commun des êtres humains ». Il convient donc de doter nos institutions judiciaires des moyens de lutter contre les atteintes à ce patrimoine commun exploitées par des réseaux de délinquance et de criminalité organisées là où elles adviennent, dès lors qu’elles ont des répercussions sur la qualité de vie des générations de Français présentes et futures.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Les auteurs de cet amendement proposent que les juridictions françaises soient compétentes pour juger les personnes résidant habituellement sur le territoire de la République qui auraient commis à l’étranger un crime ou un délit en bande organisée accompagné d’une atteinte à l’environnement.
Actuellement, des poursuites sont possibles pour des faits commis à l’étranger en cas de crime contre humanité ou de crime de guerre, à condition qu’aucune juridiction nationale ou internationale ne demande l’extradition de la personne suspectée.
Je comprends bien l’intention des auteurs de cet amendement, qui souhaitent affirmer la détermination de la France à lutter contre les atteintes à l’environnement, même lorsqu’elles sont commises à l’étranger. Néanmoins, je me dois de signaler les difficultés diplomatiques et pratiques qui résulteraient de l’adoption d’une telle disposition : la France pourrait se voir reprocher de s’ériger en « gendarme du monde » en enquêtant sur des faits commis à l’étranger, qui parfois ne seraient même pas susceptibles de poursuites selon la législation de l’État considéré.
Sans compter la difficulté de rassembler des preuves s’agissant de faits commis en dehors de notre territoire, par hypothèse dans des pays où l’État de droit est mal assuré – sans quoi l’État où les faits se sont produits s’en serait saisi lui-même.
Je crains donc que ce type de mesures ne suscite beaucoup d’attentes, difficiles à satisfaire.
En outre, la référence à des crimes ou délits « accompagnés d’atteintes à l’environnement » manque de précision. Cette formulation très générique risquerait d’ouvrir la voie à des difficultés d’interprétation.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur, je souscris à votre analyse sur la nécessité, que j’ai moi-même soulignée à plusieurs reprises, d’adopter une approche internationale des délits environnementaux. J’ai néanmoins deux réserves sur votre amendement.
D’abord, il ne semble pas conforme aux exigences de précision de la loi pénale.
Ensuite, pour que la compétence extraterritoriale française soit effective, il est nécessaire, comme le prévoit l’article 689 du code de procédure pénale, qu’elle soit adossée à une convention internationale reconnaissant les mêmes infractions. Une telle convention n’existant malheureusement pas, l’amendement n’est pas opérant. (M. le président de la commission des lois opine.)
J’émets donc un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. Cet amendement vient des cimes du Cantal, avec Josiane Costes, et des rivages de la Gironde, avec Nathalie Delattre… Comme ce sont elles qui l’ont proposé, je le maintiens.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 9 rectifié bis.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 92 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l’adoption | 111 |
Contre | 229 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Article 1er
Après le livre II du code pénal, il est inséré un livre II bis ainsi rédigé :
« LIVRE II BIS
« DES CRIMES CONTRE L’ENVIRONNEMENT
« TITRE IER
« DE L’ÉCOCIDE
« Art. 230-1. – Constitue un écocide le fait, en exécution d’une action concertée tendant à la destruction ou dégradation totale ou partielle d’un écosystème, en temps de paix comme en temps de guerre, de porter atteinte de façon grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population.
« L’écocide est puni de vingt ans de réclusion criminelle et de 7 500 000 € d’amende.
« Art. 230-2. – La provocation publique et directe, par tous moyens, à commettre un écocide est punie de vingt ans de réclusion criminelle et de 7 500 000 € d’amende si cette provocation a été suivie d’effet.
« Si la provocation n’a pas été suivie d’effet, les faits sont punis de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende.
« Art. 230-3. – La participation à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de l’un des crimes définis aux articles 230-1 et 230-2 est punie de vingt ans de réclusion criminelle et de 7 500 000 € d’amende.
« TITRE II
« DISPOSITIONS COMMUNES
« Art. 240-1. – Les personnes physiques coupables des infractions prévues aux articles 230-1 à 230-3 encourent également les peines suivantes :
« 1° L’interdiction des droits civiques, civils et de famille, selon les modalités prévues à l’article 131-26. Toutefois, le maximum de l’interdiction est porté à quinze ans ;
« 2° L’interdiction, suivant les modalités prévues à l’article 131-27, d’exercer une fonction publique ou d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise. Toutefois, le maximum de l’interdiction temporaire est porté à dix ans ;
« 3° L’interdiction de séjour, selon les modalités prévues à l’article 131-31. Toutefois, le maximum de l’interdiction est porté à quinze ans ;
« 4° La confiscation de tout ou partie des biens leur appartenant ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont elles ont la libre disposition ;
« 5° L’interdiction, suivant les modalités prévues à l’article 131-27, soit d’exercer une fonction publique ou d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise, soit d’exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d’administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d’autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale. Ces interdictions d’exercice peuvent être prononcées cumulativement.
« Art. 240-2. – Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues à l’article 121-2, des infractions prévues aux articles 230-1 à 230-3 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues à l’article 131-38 :
« 1° Les peines mentionnées à l’article 131-39 ;
« 2° La confiscation de tout ou partie des biens leur appartenant ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont elles ont la libre disposition. »
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Nous ne pouvons nier que la présente proposition de loi représente un pas majeur vers la reconnaissance des détériorations massives et durables infligées à la faune et à la flore par les activités humaines. Reste que, comme je l’ai souligné dans la discussion générale, pour que de telles sanctions soient efficaces et effectives, elles devront à l’avenir devenir dissuasives à l’échelle supranationale, en s’incorporant dans les statuts de Rome de la Cour pénale internationale, la CPI.
Or pour qu’une telle introduction dans le droit pénal international soit possible, il semble nécessaire de trouver une qualification des crimes environnementaux susceptible de convenir à tous les États membres de la CPI.
En tant qu’historienne, je me suis interrogée sur la sémantique du terme « écocide ». S’agit-il du bon mot ? Celui-ci est-il adapté et proportionné ? Ne rappelle-t-il pas trop la notion de génocide, ce qui pourrait déplaire à certains États, comme l’Allemagne, déjà heurtée, ou l’Arménie ? Ne faut-il pas prendre en compte les sensibilités historiques des nations face à un terme si lourd de sens ? Une telle formule ne serait-elle pas considérée comme susceptible de desservir la lutte contre les préjudices environnementaux, en lui donnant le même seuil de gravité que le génocide ? Ne pourrait-on pas renommer l’écocide, comme Mme Cabanes l’a suggéré, crime contre la sûreté de la planète, expression moins connotée ?
J’ai pris en compte toutes ces considérations et suis finalement arrivée à la conclusion que l’écocide est entré dans le vocabulaire des associations et des experts. On ne peut pas aller contre le chemin parcouru par les mots, qui, comme des cailloux, roulent à leur rythme et font leur chemin.
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, sur l’article.
Mme Angèle Préville. « L’homme, par son égoïsme trop peu clairvoyant pour ses propres intérêts, par son penchant à jouir de tout ce qui est à sa disposition, en un mot par son insouciance pour l’avenir et pour ses semblables, semble travailler à l’anéantissement de ses moyens de conservation et à la destruction même de sa propre espèce.
« En détruisant partout les grands végétaux qui protégeaient le sol, pour des objets qui satisfont son avidité du moment, il amène rapidement à la stérilité ce sol qu’il habite, donne lieu au tarissement des sources, en écarte les animaux qui y trouvaient leur subsistance et fait que de grandes parties du globe, autrefois très fertiles et très peuplées à tous égards, sont maintenant nues, stériles, inhabitables et désertes. […] On dirait que l’homme est destiné à s’exterminer lui-même après avoir rendu le globe inhabitable. »
Cette situation décrite par Lamarck en 1820, nous y sommes ! Les faits sont là qui résultent de notre penchant bien fâcheux : les atteintes à l’environnement sont sans précédent, parce que nous disposons maintenant de moyens bien plus importants que par le passé, et nous faisons courir des dangers à la vie elle-même, par la baisse drastique de la biodiversité et la destruction irréversible des écosystèmes.
Mes chers collègues, nous ne parlons pas de petits méfaits, mais d’actes gravissimes qui, jusqu’à présent, n’ont pas donné lieu à des peines et amendes à la hauteur des conséquences provoquées.
De quoi parle-t-on au juste ? De marées noires, de contamination au chlordécone dans les Antilles, de boues rouges à Gardanne… Des milieux détruits pour des dizaines d’années ! Les personnes qui habitent dans les régions concernées en subiront les effets sur leur santé durant toute leur vie.
Comment se manifeste concrètement l’arsenal juridique actuel ? À la vérité, les sanctions sont inopérantes. L’écocide permettrait d’apporter une réponse sans appel, d’abord par la symbolique du mot, un véritable électrochoc, et ensuite, parce que, le crime étant inédit, la qualification doit l’être aussi.
Si nous attendons une réglementation internationale pour lutter contre ces problématiques, nous attendrons longtemps et il sera trop tard ! Nous devons être précurseurs, il nous revient de lancer l’impulsion – telle est la noblesse de la politique. À nous d’œuvrer pour que ce texte aboutisse !
Madame la secrétaire d’État, profitez de l’opportunité qui vous est donnée d’étoffer le texte, de l’amender, afin que nous puissions avancer. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 5 rectifié, présenté par MM. Labbé, Collin, Corbisez et Dantec et Mme N. Delattre, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
« Art. 230-1. – Constitue un écocide le fait de porter délibérément une atteinte étendue, irréversible et grave à l’environnement. L’infraction est également constituée lorsque l’auteur des faits ne pouvait pas ignorer qu’ils pouvaient causer une telle atteinte.
« L’auteur ou le complice d’un écocide ne peut être exonéré de sa responsabilité du seul fait qu’il a accompli un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ou un acte commandé par l’autorité légitime. Toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le montant.
La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. La consécration de l’écocide dans notre droit interne constituerait un symbole fort, qui permettrait à notre pays de plaider en faveur de sa reconnaissance au niveau international. Pourquoi la France, si prompte à accueillir la COP21 et à vouloir aboutir à la signature de l’accord de Paris, dont nous pouvons être fiers, ne pourrait-elle pas rejoindre les pays qui ont déjà introduit une telle notion dans leur droit national ?
Conscients des difficultés d’application qui peuvent se poser dans l’espace, nous avons tenté d’apporter des améliorations à la définition proposée, en la recentrant sur les atteintes à l’environnement les plus graves, celles qui sont irréversibles et étendues au regard du quantum élevé des peines.
Je rappelle de nouveau que la notion d’atteinte à l’environnement n’est pas mieux définie pour les délits prévus par le code de l’environnement en vigueur.
Ainsi, constituerait un écocide le fait de porter délibérément une atteinte étendue, irréversible et grave à l’environnement. L’infraction serait également constituée, lorsque l’auteur des faits ne pouvait pas ignorer qu’il pouvait causer une telle atteinte. Le caractère irréversible du dommage qui ne pourra pas être réparé en nature justifie la forte sanction encourue.
Cette rédaction s’inspire en partie de ce que la juriste Valérie Cabanes propose en guise d’amendement au statut de Rome de la Cour pénale internationale ; l’intention de nuire ne doit pas être retenue en raison des devoirs que nous avons vis-à-vis des générations futures.
L’infraction serait constituée, que l’atteinte soit délibérée ou non intentionnelle, lorsque l’auteur fait preuve d’une imprévoyance consciente.
Pour que ces comportements graves puissent être sanctionnés, il convient d’intégrer la responsabilité pénale de l’auteur, y compris lorsqu’il a accompli un acte prescrit ou autorisé par la loi ou le règlement, à l’instar de ce que le code pénal dispose en matière de génocide.
Certes, nous concevons qu’il aurait été nécessaire de réfléchir à la gradation de l’ensemble des sanctions prévues par le code de l’environnement, mais le droit pénal environnemental est, en tout état de cause, insuffisamment dissuasif et très en deçà des conséquences graves que certains comportements ont sur l’environnement. Cela explique la teneur de nos amendements en ce qui concerne la responsabilité pénale des personnes morales.
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par Mmes Benbassa et Assassi, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Remplacer les mots :
d’une population
par les mots :
des populations présentes et futures
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Une politique environnementale courageuse suppose de tenir compte de la mise en péril des conditions d’existence des populations futures.
Certains dommages causés par les crimes environnementaux revêtent un caractère irréversible ou de très longue durée, comme dans le cas du chlordécone, un produit insecticide toxique non biodégradable répandu en Martinique et en Guadeloupe dès les années 1970 et qui continue, encore aujourd’hui, de polluer massivement les eaux et les sols.
Ces écocides qui menacent l’équilibre de la planète et la survie de l’humanité auront des conséquences directes sur la santé des générations futures, proches et éloignées.
Prévenir plutôt que guérir, voilà la ligne directrice qui s’impose à nous, responsables politiques ! Nous avons des devoirs et des responsabilités vis-à-vis des générations futures. Il semble donc fondamental d’insérer le principe de précaution au sein du crime d’écocide – ce principe est déjà reconnu et consacré par le code de l’environnement et la Charte de l’environnement de 2005.
L’ajout de ce principe permettrait la sanction pénale des auteurs au regard des risques encourus de dommages graves et irréversibles à l’environnement, et ce malgré l’absence de certitude scientifique sur ces risques.
Sans modifier l’essence du texte, le présent amendement vise donc à ajouter, dans la définition du crime d’écocide, les populations présentes et futures comme victimes de ces préjudices.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Je vais d’abord répondre à notre collègue Joël Labbé, dont l’amendement n° 5 rectifié propose de modifier la définition de l’écocide, en retenant une définition plus simple que celle figurant dans la proposition de loi initiale : constituerait un écocide le fait de porter délibérément une atteinte étendue, irréversible et grave à l’environnement.
Cette définition manquerait cependant de précision. Qu’est-ce qu’une atteinte grave ou étendue à l’environnement ? Par sa généralité, elle risquerait, en outre, d’entrer en concurrence avec certaines incriminations beaucoup plus précises figurant dans le code de l’environnement et qui répriment la pollution des sols, de l’air ou de l’eau.
L’amendement soulève une autre difficulté : il prévoit qu’une personne pourrait être poursuivie pour écocide, même lorsqu’elle a accompli un acte autorisé ou prescrit par la loi ou le règlement. Il me paraît difficile de faire peser un risque pénal sur quelqu’un qui se serait simplement conformé à ses obligations légales.
Pour ces raisons, la commission a émis un avis défavorable.
Quant à l’amendement n° 1 rectifié de notre collègue Esther Benbassa et des autres membres du groupe CRCE, il tend à modifier la définition de l’écocide, en précisant que ce crime serait constitué en cas d’atteinte aux conditions d’existence des populations présentes et futures. Son objectif est de mieux prendre en compte le droit des générations futures à vivre dans un environnement sain et préservé.
Notre commission partage bien sûr cet objectif de protection des générations futures. Elle n’a cependant pas souhaité inscrire dans le code pénal le crime d’écocide pour les raisons que j’ai exposées lors de la discussion générale, qui tiennent notamment au manque de précision de sa définition.
L’amendement proposé ne remédie pas à ce manque de précision et pourrait même rendre l’infraction encore plus difficile à cerner.
Par cohérence, la commission a également émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État. Il me semble que l’incrimination en question n’est pas suffisamment définie – nous en avons déjà parlé – et je ne suis pas certaine que ces amendements ajoutent la précision nécessaire. Dans ces conditions, l’avis du Gouvernement est défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.
Mme Sophie Taillé-Polian. Je voudrais soutenir ces deux amendements.
Pour bien comprendre, il faut revenir sur l’utilité de la notion d’écocide. Il s’agit de passer du délit au crime et de fixer clairement qu’il s’agit d’un crime grave contre les générations futures. La mise en place d’une responsabilité pénale doit nous permettre de lutter certes contre les trafics, mais au-delà, contre les activités industrielles légales qui s’avèrent intenables pour la survie de notre planète et de notre espèce.
Il faut arrêter d’autoriser des productions industrielles qui ne respectent pas les limites de notre planète. Il ne faut pas seulement lutter contre les pollutions accidentelles, mais aussi contre les pollutions au jour le jour, qui font disparaître des multitudes d’espèces, qui rendent les seuils de particules dans l’atmosphère intenables ou qui rendent les océans trop acides. Il faut opposer à ce modèle économique fou les limites de la Terre.
Comme cela a été dit, nous devons évidemment travailler au niveau international, mais nous devons aussi agir, dès à présent, à l’échelon national, et ce de manière très large. C’est en agissant déjà sur notre territoire que nous serons plus forts dans les discussions internationales. Si nous ne le faisons pas pour nous-mêmes, comment pourrions-nous justifier de le demander pour tout le monde ?
Nous avons besoin d’une transformation juridique radicale afin de changer de paradigme, car l’appât du gain immédiat au profit de quelques-uns entraîne trop souvent une prise de risque qui touchera tout le monde plus tard.
C’est la fameuse question de la dette écologique, qui est souvent niée, oubliée et toujours sous-estimée. Dans cet hémicycle, nous entendons très souvent parler de la dette financière de notre pays ; certes, elle est très lourde, mais au moins, elle peut être remboursée, ce qui n’est pas le cas de la dette écologique.
Les externalités négatives ne touchent finalement jamais les entreprises qui les induisent. Il s’agit ici de les leur faire payer, mais surtout de les empêcher de les créer, en ne les rendant tout simplement pas rentables. C’est notre responsabilité !
Pour conclure, je ressens une certaine gêne. Je vois des sourires embarrassés, j’entends des remerciements appuyés à l’auteur de cette proposition de loi, Jérôme Durain, qui – entend-on – a si bien fait d’ouvrir une discussion aussi importante pour l’avenir de notre planète ! Et en réalité, peu de sénatrices et de sénateurs sont effectivement présents ce soir pour discuter à fond de ce sujet. Où sont-ils ?
Mme Esther Benbassa. Chez eux !
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.
M. Jérôme Durain. Je souhaite apporter une précision par rapport à ce que vient d’indiquer notre collègue. Le groupe socialiste et républicain s’abstiendra sur l’amendement n° 5 rectifié. En effet, nous avons construit cette proposition de loi sur le principe de l’intentionnalité, c’est-à-dire sur le caractère délibéré du crime. L’approche de Joël Labbé est tout à fait respectable, mais ne correspond pas au cœur de notre texte. C’est pourquoi nous nous abstiendrons sur son amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 5 rectifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 93 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 250 |
Pour l’adoption | 22 |
Contre | 228 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 94 :
Nombre de votants | 333 |
Nombre de suffrages exprimés | 333 |
Pour l’adoption | 92 |
Contre | 241 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 6 rectifié, présenté par MM. Labbé, Collin, Corbisez et Dantec, Mme N. Delattre et M. Gold, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Le montant de l’amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés de la commission de l’infraction, à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits. »
La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Le présent amendement est simple, il devrait donc être mis au vote à main levée… Il propose de fixer le montant de l’amende en fonction des avantages tirés de la commission de l’infraction, jusqu’à 10 % – seulement !– du chiffre d’affaires moyen annuel de la personne morale pénalement responsable.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Défavorable, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Labbé, l’amendement n° 6 rectifié est-il maintenu ?
M. Joël Labbé. Non, je le retire, monsieur le président. Nous gagnerons ainsi du temps…
M. le président. L’amendement n° 6 rectifié est retiré.
L’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par MM. Labbé, Collin, Corbisez et Dantec et Mme N. Delattre, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. - Après le 3° de l’article 689-11 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Les crimes prévus à l’article 230-1 du même code. »
La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Dans le même esprit que l’amendement n° 9 rectifié bis déjà défendu, le présent amendement vise à accorder une compétence extraterritoriale aux magistrats français en matière de crime d’écocide.
Contrairement à l’amendement précédent, cette compétence serait beaucoup plus vaste, donc nettement plus efficace, puisqu’elle ne se limiterait pas aux atteintes à l’environnement perpétrées par les seules bandes organisées, mais à tous les écocides ici définis.
Madame la rapporteure, nos magistrats n’ont pas seulement besoin de formation pour renforcer leur maîtrise des problématiques environnementales, mais également de moyens supplémentaires pour agir dans l’espace.
Cette mesure mettrait à la disposition de nos concitoyens un instrument puissant à la hauteur des enjeux environnementaux de notre époque.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Nous avons déjà abordé la question de l’extraterritorialité. Par cohérence, la commission des lois est défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4 rectifié bis.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 95 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Pour l’adoption | 95 |
Contre | 244 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Mes chers collègues, je vais maintenant mettre aux voix l’article 1er de la proposition de loi. Je vous informe que, si cet article n’est pas adopté, les articles suivants n’auront plus d’objet et ne seront donc pas mis aux voix. Dans ce cas, il n’y aura pas d’explications de vote sur l’ensemble du texte.
La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote sur l’article.
M. Jérôme Durain. J’ai entendu avec beaucoup de plaisir les remerciements qui nous ont été adressés. Je tiens donc, moi aussi, à remercier les participants à notre débat.
Je relève quelques bonnes nouvelles, notamment l’annonce par Mme la secrétaire d’État du lancement d’une inspection sur l’idée de créer des juridictions spécialisées en matière d’environnement. Cela va dans le bon sens.
J’observe avec un peu d’ironie, tout de même, que beaucoup d’orateurs se sont réjouis de la tenue de ce débat, tout en souhaitant le refermer assez vite… Beaucoup semblent partager le sentiment de l’urgence écologique, tout en nous conseillant de prendre du temps pour réfléchir – sûrement, le temps… de ne rien faire !
Je constate aussi que, parmi ceux qui ont estimé que ce texte était perfectible, aucun n’a pris le soin de déposer des amendements pour le rendre meilleur !
Je note enfin qu’aucun de ceux qui nous ont dit que cette question relevait du niveau européen n’a pris le soin d’inscrire le sujet de l’écocide dans le programme de la liste qu’il soutient pour les élections européennes qui approchent.
Il y a donc un certain nombre de paradoxes…
Nous nous attendions évidemment aux arguments qui nous ont été adressés.
Le caractère transnational de l’écocide justifierait qu’un pays ne puisse pas agir seul. Or un citoyen français peut tout à fait être impliqué dans des actes relevant d’un crime d’écocide. En outre, tant M. Neyret que la procureure de la Cour pénale internationale invitent les États à inscrire cette notion dans leur droit national.
Plusieurs orateurs ont avancé un certain manque de précision dans la définition de l’écocide, mais n’ont pas pour autant déposé d’amendements…
D’autres ont avancé la robustesse du droit administratif, mais – soyons honnêtes ! – ce droit est bien pataud devant l’agilité de la criminalité environnementale. Aujourd’hui, les infractions sont trop peu poursuivies et les sanctions trop faibles. Beaucoup de pays ont des dispositifs nettement plus solides que les nôtres pour lutter contre ces crimes.
L’échelle des valeurs protégées était au cœur de notre réflexion. Nous souhaitions, par l’intermédiaire de ce crime d’écocide, revoir l’ensemble de la hiérarchie des peines sur les questions environnementales. Nous n’y sommes pas parvenus.
Nous n’avons pas vocation à être le gendarme du monde, mais à répondre à une urgence.
M. le président. Il faut vraiment conclure, mon cher collègue, si vous voulez que nous ayons le temps de mettre le texte aux voix.
M. Jérôme Durain. Nous avons bien vu avec la question du devoir de vigilance des entreprises mères que, même en ne représentant que 1 % de la population mondiale, nous pouvions changer les choses. Tel est notre objectif avec cette proposition de loi. (M. Olivier Jacquin applaudit.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 6 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 96 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 299 |
Pour l’adoption | 92 |
Contre | 207 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Article 2
Au dernier alinéa de l’article 133-2 du code pénal, après la référence : « 212-3 », sont insérées les références : « et 230-1 à 230-3 ».
Article 3
Au dernier alinéa de l’article 7 du code de procédure pénale, après la référence : « 212-3 », sont insérées les références : « et 230-1 à 230-3 ».
M. le président. L’article 1er n’ayant pas été adopté, il n’y a pas lieu de mettre aux voix les articles 2 et 3.
Aucun article n’ayant été adopté, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire.
En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.
11
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 7 mai 2019 :
À quatorze heures trente :
Explications de vote puis vote sur la proposition de loi tendant à renforcer les pouvoirs de police du maire dans la lutte contre l’introduction et la propagation des espèces toxiques envahissantes, présentée par Mme Agnès Canayer et plusieurs de ses collègues (texte n° 215, 2018-2019).
Proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l’article 73 quater du règlement, sur la réforme de la politique agricole commune (PAC) (texte n° 316, 2018-2019).
À seize heures quarante-cinq :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À dix-sept heures quarante-cinq :
Suite de la proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l’article 73 quater du règlement, sur la réforme de la politique agricole commune (PAC) (texte n° 316, 2018-2019).
Proposition de résolution tendant à modifier le Règlement du Sénat pour renforcer les capacités de contrôle de l’application et de l’évaluation des lois, présentée par de MM. Franck Montaugé, Jean-Pierre Sueur, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, MM. Marc Daunis, Patrick Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain (texte de la commission n° 449, 2018-2019).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le vendredi 3 mai 2019, à zéro heure trente.)
nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire
La liste des candidats désignés par la commission des affaires sociales pour faire partie de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé a été publiée conformément à l’article 12 du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire sont :
Titulaires : MM. Alain Milon, Michel Amiel, Mme Catherine Deroche, MM. René-Paul Savary, Yves Daudigny, Mme Michelle Meunier et M. Olivier Henno.
Suppléants : M. Stéphane Artano, Mmes Laurence Cohen, Chantal Deseyne, Corinne Féret, Pascale Gruny, Frédérique Puissat et M. Jean-Marie Vanlerenberghe.
Direction des comptes rendus
ÉTIENNE BOULENGER