Mme Françoise Gatel. C’est vrai !
M. Hervé Marseille. Nous appelons ainsi à un acte III de la décentralisation et à un terme, enfin, aux doublons insupportables.
Nous appelons à une « clarification » et à de « vrais choix », comme le dirait le Président de la République.
Mais décentraliser ou déconcentrer ne sont plus suffisants, il faut ouvrir des espaces, des espaces de différenciation.
Il ne suffit plus de dire que telle collectivité gérerait mieux que l’État telle politique publique, il faut lui donner la capacité d’adapter cette politique à son territoire.
On ne structure pas nécessairement de la même façon les dispositifs d’insertion dans la Creuse et dans le Val-de-Marne. Nous sommes nombreux à être ouverts à ce bon sens.
Si ce n’est que nous allons vite ouvrir un débat très français : sera-t-il juste que l’allocation de parent isolé soit de 20 euros moins élevée en Lozère qu’en Essonne ? Sera-t-il juste qu’un ascenseur soit obligatoire dans les immeubles de trois étages en région parisienne quand il ne le sera pas en province ?
Nous devons pouvoir assumer ces disparités, dès lors qu’elles sont encadrées par le législateur, avec le souci de l’unité républicaine.
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. Hervé Marseille. Pour notre part, nous faisons confiance aux élus locaux et nous appuierons cette orientation.
Mais renforcer les marges d’action des élus locaux suppose que les citoyens puissent mesurer l’efficacité de leurs actions. L’article 72 de notre Constitution doit ainsi être précisé. Les élus doivent s’appuyer sur une réelle autonomie financière. Les citoyens doivent être confrontés à une fiscalité redevenue simple et lisible.
L’injustice est le maître mot depuis décembre. Il ne l’était pas en novembre, lorsqu’il s’agissait de dénoncer de nouvelles taxes.
Le logiciel des quarante dernières années s’est remis en marche et a souvent transformé le débat sur le trop-plein d’imposition en débat sur l’injustice fiscale, permettant ainsi de ne pas s’interroger sur l’efficacité de la dépense publique à la française, pourtant triste championne du monde.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. C’est vrai !
M. Hervé Marseille. Dans notre pays passionné d’égalité, le sentiment d’injustice est omniprésent et facile à alimenter.
Cela ne doit pas empêcher de dénoncer les incohérences qui minent notre contrat social. Il est évident que certaines entreprises ne paient pas leur dû. Il est évident que certaines optimisations fiscales n’ont guère de légitimité. Il est évident que la fraude sociale est trop importante. Il est évident que la confusion règne entre assistance et assurance. Il est évident que la lenteur de la justice alimente le sentiment d’impunité.
Se focaliser sur les seules inégalités est une voie sans issue. Notre énergie gagnerait à se concentrer simultanément sur deux dimensions, créer de la richesse et faire mieux fonctionner les services publics.
En créant de la richesse, nous nous dotons de la capacité à réformer dans le sens d’une plus grande justice. Dans notre pays attaché aux positions acquises, seules des évolutions au temps long avec des sorties par le haut sont réalistes. Elles ont un coût. Seules des ressources nouvelles peuvent les financer. Pour cela, il faut de la croissance.
Le moment venu, chacun devra faire des propositions précises. Notre groupe a ainsi d’ores et déjà apporté sa contribution en matière fiscale – notamment par la voix de Vincent Delahaye –, contribution qui répond d’ailleurs à l’exaspération des Français.
Des services publics ambitieux sont, par ailleurs, le meilleur outil de lutte contre les inégalités.
Savoir lire et compter dès l’âge de six ans, être protégé des délinquants où que l’on habite, être vite et bien soigné à l’hôpital sont les meilleurs services à rendre aux plus démunis. Encore faut-il que ces services soient performants.
Nous demandons ainsi au Gouvernement de se concentrer sur la poursuite de réformes maintes fois anéanties par le conservatisme. Cela sera beaucoup plus efficace !
Monsieur le Premier ministre, les conditions de l’élection présidentielle nous ont privés d’un réel débat. Ce débat, nous venons de l’avoir parce qu’un débat vaut mieux qu’une émeute, c’est évident ! Mais un débat n’est qu’un outil d’aide à la décision. Après la restitution vient le moment des choix. Les institutions républicaines doivent reprendre leur place. La rivière doit rentrer dans son lit.
Il appartient aujourd’hui au Président de la République et à votre gouvernement d’exprimer ses conclusions.
C’est ici que le débat devra se prolonger, monsieur le Premier ministre. C’est ici, à l’Assemblée nationale et au Sénat, que nous devrons discuter des propositions. Monsieur le Premier ministre, c’est avec impatience que nous vous attendons pour un prochain rendez-vous, un rendez-vous utile, le rendez-vous des solutions. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de remercier l’ensemble des orateurs qui se sont succédé à cette tribune pour la qualité et la mesure de leurs propos.
Les critiques peuvent être vives, mais il me paraît que nous avons eu un échange de qualité. Je le dis, parce que j’ai connu non pas des assemblées, mais des moments où les débats étaient moins respectueux que celui-ci et je voulais en remercier le Sénat.
J’ai peu de choses à ajouter, mesdames, messieurs les sénateurs, à ce qu’a dit avec un immense talent et une très grande lucidité le président Malhuret. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Je voudrais remercier le président Patriat pour son extraordinaire soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. Vincent Éblé. C’est vrai que c’est extraordinaire !
M. Martial Bourquin. Il a du courage !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. J’ai appris à mesurer que, lorsque les temps sont difficiles, avoir des soutiens fidèles est quelque chose d’utile ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Et Dieu sait que les temps sont difficiles !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je veux le dire, je me retrouve dans beaucoup des éléments qui viennent d’être développés par le président Marseille.
Permettez-moi d’insister sur quelques mots évoqués par plusieurs des orateurs, notamment sur ce grand débat : était-il vraiment grand ? Était-ce vraiment un débat ? Au fond, faut-il en être fier ou faut-il être méfiant ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais le rappeler, lorsque nous avons commencé à réfléchir à ce que pourrait être ce grand débat, beaucoup de gens doutaient de l’intérêt que lui porteraient les Français. Beaucoup de gens doutaient de la capacité à organiser ce débat dans des conditions d’ordre public satisfaisantes.
Nous avons fait le choix d’une organisation « foisonnante » – le terme a été défini et assumé très tôt. En effet, nous savons parfaitement – certains d’entre vous l’ont dit avec raison – que chaque fois que l’on utilise un moyen, chaque fois que l’on propose à nos concitoyens une façon de s’exprimer, il y a un biais. Oui, bien entendu, dans une réunion où l’on peut prendre publiquement la parole, il y a des gens, c’est vrai, qui viennent plus spontanément que d’autres. Oui, bien sûr, quand on propose à nos concitoyens de s’exprimer par la voie d’une saisie numérique, certains y vont assez spontanément et d’autres n’ont ni l’accès à cet instrument ni l’envie de s’en saisir.
De même, nous savons aussi, parfaitement, dans toutes nos communes, que, lorsque nous mettons à la disposition de nos concitoyens un cahier dans le hall de la mairie pour qu’ils viennent y écrire, se saisir de cet instrument, certains d’entre eux ne viendront jamais y rédiger quoi que ce soit.
C’est bien parce que nous savons tout cela que nous avons souhaité que les voies d’accès au grand débat soient les plus diversifiées possible, de façon à réduire, globalement, les biais.
Je crois que c’est ce que nous ont dit les garants du grand débat, même si je ne veux pas parler pour eux – je salue à cette occasion l’un de ces garants, qui est présent dans vos tribunes. Ils nous ont dit, si je ne me trompe, que la volonté d’organiser ce débat de façon foisonnante avait permis, en quelque sorte, de lui donner réalité et intérêt.
Je veux évoquer à présent un deuxième élément.
Nous avons tous, dans cette enceinte, organisé des réunions publiques, du moins localement. Parfois, nous avons été chargés d’opérations ou de campagnes nationales. Nous savons, bien sûr, ce qu’implique l’organisation d’une, de cinq, de dix réunions. Or, en deux mois, plus de dix mille réunions se sont tenues ! Plus de dix mille ! Elles se sont tenues dans de grandes villes comme dans de toutes petites communes. Elles ont pu réunir trente personnes comme cinq cents personnes. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Ces dix mille réunions traduisent une mobilisation qu’on peut saluer : un très grand nombre de Français s’y sont rendus. J’insiste, parce que deux millions de Français qui s’expriment…
M. Laurent Duplomb. Sur quarante millions d’électeurs !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … sont au moins aussi légitimes, et probablement plus encore, que trente mille personnes qui, le samedi après-midi, viennent manifester avec pour seule revendication la violence.
Il me semble que nous devons à tout le moins assumer le fait que nos concitoyens ont voulu se saisir d’un espace démocratique pour dire ce qu’ils souhaitaient. Cela a été, de ce point de vue – je le dis et je l’assume –, un grand succès.
Je suis pleinement en accord avec le président Retailleau quand il déclare son attachement aux institutions de la Ve République. J’y suis tout autant attaché que lui. Ces institutions prévoient que le Président de la République a un rôle éminent, qu’il est la clé de voûte des institutions ; il lui reviendra donc d’annoncer les décisions prises à l’issue de ce grand débat. Cela suscite de très grandes attentes ; j’ai entendu le sénateur Adnot affirmer qu’il n’avait pour sa part que des espoirs limités, et c’est la seule différence que j’ai avec lui : pour ma part, ces espoirs sont immenses !
Je voudrais par ailleurs indiquer mon désaccord avec une formule qu’a employée le président Retailleau, ou plus exactement avec la façon dont il interprète la politique que nous avons conduite. Nous devrions, selon lui, placer le travail au cœur de notre politique ; mais, monsieur le président Retailleau, c’est très exactement ce que nous faisons ! Cette ambition est au cœur même de l’engagement du Gouvernement et de la majorité de l’Assemblée nationale : nous entendons faire en sorte que le travail paie plus, et en tout cas plus que l’inactivité ; nous voulons faire en sorte, au travers de toutes les réformes que nous menons, qu’il s’agisse des ordonnances relatives au droit du travail ou de l’assurance chômage, que l’activité et le retour à l’activité soient systématiquement plus rémunérateurs et plus avantageux que la non-activité. Nous sommes en effet convaincus qu’une société s’élève par le travail et que l’épanouissement individuel passe lui aussi par le travail.
Vous avez rappelé, monsieur le président Retailleau, que j’ai eu l’honneur d’être maire d’une grande et belle commune, celle du Havre. Je vous en remercie : je ne l’ai pas oublié du tout, et je ne crois pas que je pourrais un jour l’oublier. J’ai d’ailleurs un souvenir si clair de la période où j’ai été maire que je me souviens bien d’un certain nombre d’événements qui l’ont ponctuée. J’ai le souvenir d’une réforme, adoptée, si je ne m’abuse, en décembre 2010, dont l’objet était d’inciter et, parfois, d’obliger – vous le savez parfaitement – les communes à se regrouper dans des intercommunalités.
M. Michel Amiel. Eh oui !
M. Bruno Retailleau. Cinq mille habitants !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Convenez avec moi que certaines communes regrettent aujourd’hui ces regroupements forcés. Peut-être ne regrettent-elles que ceux qui sont intervenus plus tard, mais quelque chose me laisse à penser que le mouvement avait été engagé alors. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
De même, je me souviens de la réforme d’août 2015. La façon dont le pouvoir central a, cette fois-là, envisagé la réorganisation territoriale me semble assez éloignée de ce que nous avons nous-mêmes déclaré : la nécessité de ne pas procéder à des big bang…
M. Bruno Retailleau. C’est vrai !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … et de respecter les communes et les intercommunalités, afin de leur laisser le temps, si vous me pardonnez l’expression, de « digérer » les transformations massives et, parfois, brutales qui leur avaient été imposées dans les années précédentes. Je le rappelle très respectueusement au président Kanner aussi, parce que je me souviens bien de cette réforme.
De la même façon, monsieur le président Kanner, lorsque vous affirmez que l’attitude du Gouvernement à l’égard du financement des collectivités territoriales est anxiogène, là encore, ma mémoire ne m’a pas encore fait défaut. Je me souviens de l’annonce, une semaine après les élections municipales de 2014, d’une diminution massive et régulière des subventions aux collectivités territoriales. Je m’en souviens parfaitement : ce n’était pas anxiogène, monsieur le président Kanner ; c’était mortifère ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.) Je m’en souviens bien ; vous aussi, j’en suis sûr.
Après des années de diminution massive de la DGF, nous avons fait le choix, que nous assumons, d’arrêter cette pente mortifère. Quant aux dotations qui ont été notifiées à l’ensemble des communes cette année…
M. Martial Bourquin. Elles baissent encore !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Pas du tout ! Elles sont marquées par une très grande stabilité, et elles augmentent même ; vous le savez parfaitement. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
Je voudrais à présent remercier le président Requier de ses encouragements et de la profondeur de jugement dont il a fait preuve lorsqu’il a relevé l’ancienneté de la colère et de ses causes et qu’il a souligné ce que nous savons tous, à savoir le caractère contradictoire d’un certain nombre d’expressions des Français.
Le consensus peut intervenir sur des objectifs généraux, il peut intervenir sur des sujets précis, mais notre pays n’est pas un pays de consensus : c’est un pays de débats, c’est un pays d’oppositions. Au fond, c’est ainsi qu’on l’aime ! Ce ne serait pas une démocratie, ce ne serait certainement pas notre République s’il venait à changer.
Il serait intéressant – vous l’avez dit, monsieur le président Requier – de faire en sorte que, sur les éléments de consensus, nous soyons capables de construire les compromis démocratiques qui s’imposent. Je veux insister sur cette expression, qui a beaucoup à voir avec la méthode à employer.
M. le président Kanner nous a indiqué qu’il souhaitait de grandes conférences. Certes, elles sont souvent utiles, mais je ne crois pas que le renvoi à une grande conférence soit de nature à répondre, à lui seul, aux exigences et aux demandes que les Français ont exprimées pendant le grand débat. J’ai le souvenir, là encore, de grandes conférences qui, au fond, n’ont pas débouché sur des solutions majeures.
Je suis toutefois convaincu, avec vous, sans doute, monsieur le président Kanner, et avec beaucoup d’entre nous, que, pour aboutir à ces compromis, nous devons travailler non seulement, bien entendu, avec les parlementaires, mais aussi avec les corps intermédiaires…
M. Patrick Kanner. Enfin !
M. Martial Bourquin. Ils existent !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … pour élaborer ce qui pourra ensuite être mis en œuvre, dans le temps, avec constance et soutien.
Cet exercice prend du temps ; c’est un fait. Il est assez largement contraire aux exigences médiatiques de notre époque. Lorsque nous travaillerons à l’élaboration de compromis démocratiques, nous le ferons sous la pression et face à l’insatisfaction de ceux qui nous observent. Nous le savons tous ici. Pourtant, je suis convaincu que nous devrons construire ces compromis et travailler avec les corps intermédiaires pour atteindre les objectifs qui ont été exprimés par les Français et que définira le Président de la République le moment venu.
M. Rachid Temal. Ah ! Tout passe toujours par le Président !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie encore une fois. Je répondrai volontiers à l’invitation que vous m’avez adressée afin que nous ayons une discussion sur les compromis à faire et les solutions retenues, après que le Président de la République se sera exprimé. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
Mme Laurence Cohen. Vous n’avez pas répondu à Éliane Assassi !
M. le président. Monsieur le Premier ministre, si vous voulez reprendre la parole pour compléter votre réponse, je vous en prie !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, je vous remercie mille fois : vous me permettez de corriger…
Mme Laurence Cohen. Une erreur !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … plus qu’une erreur, une faute. J’ai en effet oublié d’évoquer l’intervention de Mme la présidente Assassi, sinon pour la remercier en termes généraux, et je m’en veux.
Je voudrais la remercier de son discours vigoureux, qui ne m’a pas surpris du tout.
M. Gérard Longuet. Nous non plus !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Cela n’a surpris personne ici. (Sourires.)
Je voudrais vous dire, madame la présidente Assassi, que je pensais aussi à votre intervention quand j’ai déclaré que nous avions eu un réel grand débat et que cela a été un grand succès. Je ne suis toutefois pas sûr que vous partagiez cette opinion.
Je voudrais aussi revenir sur la question de la conjugaison entre la démocratie représentative et d’autres formes de démocratie qui sont nécessaires, telles que la participation et, peut-être, l’expression directe. Vous avez évoqué le pouvoir et les masses. Le pouvoir est dans les masses, comme disait un responsable chinois à une certaine époque.
Mme Éliane Assassi. Non, Karl Marx !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Cela a été repris.
Sur ce sujet, nous allons aborder des éléments qui sont compliqués. En effet, si nous voulons défendre la démocratie représentative – et nous devons la défendre en permanence ! –, nous devons lui donner le dernier mot, mais nous devons aussi lui permettre d’entendre d’autres paroles et de se nourrir d’autre chose que de sa seule expression. C’est une question de conjugaison : l’équilibre est difficile, il est délicat.
Nous aurons l’occasion d’en redire un mot, madame la présidente Assassi, notamment à propos de l’initiative qui a été prise récemment en matière de référendum d’initiative partagée. Le texte qui fait l’objet de cette initiative a lui aussi fait l’objet d’un très long débat à l’Assemblée nationale et au Sénat. Défendre la démocratie représentative, dans ce contexte, prendra donc, à mes yeux, une dimension très particulière, mais je suis certain, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous aurons l’occasion d’en reparler. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – MM. Emmanuel Capus et Jean-Marc Gabouty applaudissent également.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante, est reprise à dix-huit heures cinquante.)
M. le président. La conférence des présidents a fixé les modalités de ce débat interactif. Chaque orateur disposera d’une minute et trente secondes – je serai intraitable – pour poser sa question. Le Gouvernement disposera de la même durée pour apporter sa réponse – je serai non moins intraitable.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Philippe Mouiller. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Mouiller. S’il y a un sujet que la crise des « gilets jaunes » a remis en lumière, c’est bien celui de notre modèle social.
Les Français ont manifesté leur mécontentement et leurs inquiétudes. Aujourd’hui, notre modèle social, qui était la base de notre pacte national, est attaqué de toutes parts. Son financement est déséquilibré : certains paient toujours plus, car la base contributive diminue sans cesse du fait du vieillissement de la population et du chômage. Pourtant, les besoins n’ont jamais été aussi forts. Les attentes exprimées lors du grand débat national sont importantes.
La paupérisation de ceux qui ont travaillé toute leur vie n’est ni digne ni tolérable. La régulation des soins par la pénurie ne l’est pas non plus. Lorsqu’on évoque les grands sujets que sont la dépendance ou le handicap, le financement est renvoyé à plus tard.
Madame la ministre des solidarités et de la santé, pensez-vous toujours pouvoir faire en sorte que les Français puissent bénéficier d’un haut niveau de solidarité ? Les premières mesures portées par le Gouvernement concernant les retraités et la santé ne vont pas forcément dans ce sens. Or le Gouvernement ne sortira de la crise que si elle est l’occasion, pour lui, de faire œuvre de vérité. Cela passe par la valeur travail, et non par l’augmentation de la dette et des déficits. La valeur travail est essentielle, nous devons la porter ; c’est là l’enjeu.
Dès lors, ma question est la suivante : le Gouvernement est-il prêt à porter ce discours sur le travail et à se poser des questions autour des 35 heures et de l’âge de départ à la retraite, de manière à éviter que ses annonces ne relèvent que de la communication, au détriment de notre modèle social ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je vous remercie de cette question, monsieur le sénateur. Il est effectivement très important de rassurer les Français sur notre modèle social. Il est exceptionnel, c’est notre bien commun, et nous ne souhaitons en aucun cas le dégrader ; nous avons même l’ambition de l’améliorer encore, par la couverture d’un nouveau risque dont nous avons largement parlé et qui a émergé du grand débat : celui du grand âge, de la perte d’autonomie et de la dépendance. Cela recouvre les problèmes de nos Ehpad et des professionnels qui y travaillent.
Nous avons le devoir d’affronter en face la réalité d’une population qui vieillit et qui va avoir des besoins supplémentaires. Il s’agit de besoins liés à la dépendance, mais aussi de besoins de santé ; en effet, eux aussi augmentent.
Je ne peux pas, à cet égard, vous laisser dire qu’il y a en ce domaine une dégradation des soins ou une gestion par la pénurie. Un tel choix a certes été fait dans les années 1990 : on a alors réduit le nombre de médecins pour résorber la dette de la sécurité sociale. On en voit le résultat aujourd’hui ! Ce n’est pas le modèle que nous choisissons : nous allons, par notre réforme de la santé, ouvrir le numerus clausus et augmenter les dépenses de santé pour répondre aux besoins. C’est ce que traduit déjà le taux de 2,5 % auquel nous avons fixé cette année l’Ondam.
Je peux donc rassurer les Français : nous sommes en chemin pour améliorer la protection sociale. Les retraites et la branche famille sont à l’équilibre, la branche maladie l’est presque. La dépendance sera un enjeu que nous couvrirons ! (M. Julien Bargeton applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Le prix du livre des députés – pardonnez-moi, mes chers collègues (Sourires.) – a été décerné à Pierre-Henri Tavoillot pour son ouvrage Comment gouverner un peuple-roi ? Il aurait peut-être aussi pu s’intituler Comment gouverner un individu-roi ? Pour ma part, je souhaite poser la question suivante : comment gouverner le numérique-roi ? Certains orateurs, notamment Claude Malhuret, ont déjà fait allusion à cet enjeu.
Le mouvement des « gilets jaunes » traduit une fracture territoriale liée aux conséquences de la numérisation de l’économie. Celle-ci favorise les métropoles, lesquelles ont du mal à loger les travailleurs qu’elles attirent, au détriment d’autres territoires qui souffrent.
Le numérique, c’est ce que nous avons tous dans nos poches, avec le smartphone. C’est ce qui permet le traitement massif des données, la géolocalisation, la création de services en permanence, mais aussi l’interaction directe sur les réseaux sociaux. On l’a bien vu : vidéos, pétitions, appels à manifester de façon masquée, tout cela représente une révolution qui a, elle aussi, rendu possible le mouvement des « gilets jaunes » tel qu’il s’est déroulé.
Alors, comment mener des politiques publiques dans un monde numérique ? Comment faire que cet outil, dont certains craignent qu’il puisse parfois s’avérer cauchemardesque, réponde aussi à un certain rêve et représente, au niveau local comme au niveau national, un levier permettant d’inventer une nouvelle façon de faire de la politique ? Bref, comment l’utiliser pour rêver tous ensemble ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du numérique, dont c’est la première prise de parole dans notre hémicycle. Je lui souhaite la bienvenue. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Je vous remercie de votre accueil, monsieur le président.
Il est certain que le numérique peut être un outil utile au service de la démocratie. C’est d’ailleurs ce qu’on constate dans les collectivités territoriales, qui ont en la matière une longueur d’avance sur l’État. Il peut s’avérer utile, parce qu’il permet d’associer un certain nombre de citoyens, en libérant la parole de certains, qui auraient eu du mal à s’exprimer dans d’autres cénacles.
Deux prérequis sont néanmoins nécessaires pour que cela fonctionne. D’abord, certaines règles doivent encadrer cette expression : des règles de décence et d’expression normale, des règles qui peuvent être liées à la manipulation de l’information. Il faut faire en sorte que les règles qui s’appliquent dans la vie de tous les jours s’appliquent aussi sur internet. Ensuite, pour qu’internet soit un outil au service de la démocratie, encore faut-il que les gens y aient accès ! Il faut donc réduire la fracture numérique, qui s’est creusée depuis quelques années dans notre pays. C’est notamment la mission que se sont assignée Jacqueline Gourault et Julien Denormandie, de manière à ce que tous nos territoires puissent bénéficier d’un bon débit.
Il convient également d’organiser la présence de l’État dans les territoires afin de donner accès à ces outils numériques, de former les gens qui ne savent aujourd’hui se servir ni d’un clavier ni d’une souris ; ils sont beaucoup plus nombreux qu’on ne peut le penser.
Ainsi, in fine, internet sera un outil au service de la démocratie, mais il est nécessaire pour cela que l’État pose le cadre. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)