Mme Laurence Harribey. Cet amendement vise à donner la possibilité au président du conseil départemental d’Alsace de recourir à un programme-cadre en matière de coopération transfrontalière régionale. L’objectif est de lui éviter d’avoir à solliciter une délibération du conseil départemental sur chaque accord, et donc une nouvelle autorisation auprès des autorités de la République. Il s’agit de simplifier la procédure.
Un tel mécanisme de simplification existe déjà pour les régions et les départements d’outre-mer. Il a été introduit par la loi de décembre 2016 relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional. L’idée est donc de simplifier tout en donnant du sens et de la visibilité à cette coopération transfrontalière.
Si on se projette un peu, ce mécanisme est aussi un moyen de donner corps au traité d’Aix-la-Chapelle, qui a pour objectifs d’éliminer les obstacles dans les territoires frontaliers à la mise en œuvre de projets transfrontaliers et de faciliter la vie quotidienne des habitants de ces territoires.
Cet amendement a donc un objectif de simplification, un objectif de lisibilité de la coopération transfrontalière et peut-être un objectif de prospective dans le cadre du traité d’Aix-la-Chapelle.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Cet amendement tend à donner à l’Alsace le pouvoir de négocier et de signer, sous certaines conditions, des accords internationaux avec plusieurs États, territoires ou organismes régionaux étrangers.
En matière de coopération décentralisée, il est déjà possible pour une collectivité locale française de contractualiser avec des autorités locales étrangères. C’est prévu dans le code général des collectivités territoriales.
En revanche, le pouvoir de négocier avec des États appartient à l’État, qui a la personnalité juridique et la souveraineté internationale. Les territoires ultramarins font figure d’exceptions, mais le pouvoir qui leur est dévolu est lié à leur éloignement et à leurs spécificités. On ne peut pas l’étendre à l’Alsace, toute spécifique qu’elle soit.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Les dispositions prévues par la loi que vous évoquez, madame la sénatrice, se situent dans la droite ligne de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui invite à tenir compte des caractéristiques et des contraintes particulières des régions ultrapériphériques, et de l’article 73 de la Constitution, qui en tire, dans son premier alinéa, les conséquences pour les départements et régions d’outre-mer dans notre ordonnancement constitutionnel interne. Vous conviendrez que ces fondements, tant constitutionnels que géographiques, ne trouvent pas à s’appliquer dans le cas de la Collectivité européenne d’Alsace.
En revanche, je vous rejoins sur le fait que le dialogue a vocation à se tenir dans le cadre du futur comité de coopération transfrontalière prévu par le traité d’Aix-la-Chapelle. Ce comité sera chargé d’analyser les besoins et de recommander les évolutions jugées nécessaires, y compris, le cas échéant, par un accord international avec la République fédérale d’Allemagne.
Le Gouvernement ne peut donc pas accepter cet amendement et vous demande de bien vouloir le retirer ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Madame la ministre, avez-vous véritablement pour seul objectif, dans ce projet de loi, de leurrer les Alsaciens ?
On insiste sur l’appellation « Collectivité européenne d’Alsace », on offre à cette collectivité la possibilité d’établir un schéma de coopération transfrontalière qui doit s’inscrire dans le schéma de la région Grand Est, mais, en réalité, on ne lui octroie aucune compétence d’action, à part les compétences générales qui sont déjà prévues dans le code général des collectivités territoriales.
La rédaction que nous vous proposons est similaire à celle qui est prévue, comme vous l’avez relevé, pour les départements d’outre-mer.
Vous dites donner des compétences transfrontalières à un département, mais vous les refusez !
Le premier des cinq alinéas que tend à introduire cet amendement vise à permettre au président du conseil départemental d’« élaborer un programme-cadre de coopération transfrontalière régionale précisant la nature, l’objet et la portée des engagements internationaux qu’il se propose de négocier, dans le respect des engagements internationaux de la République ».
Aux termes du deuxième alinéa, « le président du conseil départemental soumet ce programme-cadre à la délibération du conseil départemental, qui peut alors demander, dans la même délibération, aux autorités de la République d’autoriser son président à négocier les accords prévus dans ce programme-cadre ».
Pour quel motif ces dispositions ne seraient-elles pas applicables à la collectivité européenne à laquelle vous prétendez donner des possibilités particulières ?
Mes chers collègues, si cet amendement n’était pas adopté, la coopération transfrontalière serait un leurre absolu. L’amendement que vous avez voté précédemment visant à permettre une généralisation aux autres départements n’aura pas plus de sens. Nos trois jours de débat ici auront été inutiles et vains. Je ne me priverai pas de le dire aux Alsaciens ! (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
M. le président. L’amendement n° 149, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 19
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Cet amendement tend à supprimer le rôle de chef de file de la Collectivité européenne d’Alsace dans la promotion de la langue régionale, introduit par la commission des lois. Une telle suppression s’inscrit dans le droit fil de l’article 104 de la loi NOTRe, qui a fait de la promotion des langues régionales une compétence partagée par tous les échelons de collectivités. Cette compétence partagée permet une diversité des initiatives des collectivités, en fonction des besoins de leur territoire. Dès lors, confier un chef de filât dans ce domaine à une collectivité pourrait contraindre ces initiatives.
En outre, la Collectivité européenne d’Alsace pourra, à droit constant, définir un plan de soutien à la langue régionale sans qu’il soit nécessaire de recourir à la loi pour ce faire.
Par ailleurs, instituer un chef de file, sans indiquer les conditions concrètes de mise en œuvre de cette disposition, est source d’incertitudes.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement n’est pas favorable à cet ajout, dont il demande la suppression.
M. le président. Madame la ministre, vous avez souhaité présenter cet amendement pour expliquer les intentions du Gouvernement. Cependant, il est devenu sans objet compte tenu de l’adoption un peu plus tôt dans la soirée de l’amendement n° 61 rectifié septies. Je ne peux donc pas le mettre aux voix.
M. le président. L’amendement n° 78 rectifié, présenté par M. Jacques Bigot et Mme Harribey, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 19
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« La Collectivité européenne d’Alsace est habilitée à négocier avec le Land de Bade-Wurtemberg des accords d’échanges d’enseignants à même de faciliter l’enseignement de la langue du voisin.
La parole est à M. Jacques Bigot.
M. Jacques Bigot. L’un des problèmes que posent l’enseignement de l’allemand et les classes bilingues est le recrutement d’enseignants.
La nouvelle collectivité pourra avoir des relations avec le Land du Bade-Wurtemberg, si l’on en croit les promesses qui nous sont faites – mais on y croit de moins en moins. Il serait donc utile de lui permettre de négocier avec ce Land des accords d’échanges d’enseignants afin de faciliter l’enseignement de la langue du voisin, sachant que les enseignants sont engagés par le Land et non par l’État fédéral. Il s’agirait là d’une mesure de simplification.
Madame la ministre, nous allons maintenant voir si l’État est prêt ou non à transférer à cette collectivité quelques-unes de ses compétences.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La Collectivité européenne d’Alsace pourra contractualiser avec les autorités locales étrangères. C’est prévu par le code général des collectivités territoriales. Nous avons déjà eu l’occasion de le dire.
En matière de bilinguisme, la Collectivité européenne d’Alsace aura la capacité de recruter et de faire intervenir des enseignants d’allemand pendant les temps complémentaires, c’est-à-dire hors du temps scolaire, organisés par le département. Elle pourra mettre à disposition ces personnels auprès de l’éducation nationale. En revanche, recruter des enseignants pour qu’ils interviennent pendant le temps scolaire, c’est empiéter sur les compétences de l’éducation nationale, et nous n’y sommes pas favorables.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Monsieur Bigot, vous êtes sévère. Je comprends votre passion pour l’Alsace, votre « désir d’Alsace », mais nous avons négocié et signé un accord avec l’éducation nationale, pris des engagements, et ils seront tenus.
Je ne peux pas accepter cet amendement, pour les mêmes raisons que celles que vient d’avancer Mme la rapporteure. Le recrutement des professeurs se fait par l’éducation nationale, ce qui n’empêche pas, conformément à l’accord, la Collectivité européenne d’Alsace de recruter des intervenants hors temps scolaire, y compris en Allemagne.
Certes, le recrutement des enseignants est une compétence des Länder, mais, comme vous le savez, l’Allemagne est un État fédéral, pas la France.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendlé, pour explication de vote.
Mme Catherine Troendlé. Il faut se rendre à l’évidence, cela fait des années que nous réclamons des classes bilingues et des enseignants ayant une formation en allemand, mais l’éducation nationale n’en trouve pas. Aujourd’hui, nous prenons les choses en main : nous proposons de trouver ces enseignants de l’autre côté de la frontière.
Je suis présidente du groupe interparlementaire d’amitié France-Allemagne. Lors de nos échanges avec nos collègues allemands, nous ne cessons de dire qu’il faut promouvoir la langue du voisin. Nous avons plus d’une fois évoqué ensemble la possibilité d’échanger nos enseignants. Cette possibilité nous est offerte dans le cadre de cette nouvelle collectivité. Pourquoi l’éducation nationale la voit-elle d’un mauvais œil ?
Depuis de nombreuses années, nous n’avons plus suffisamment d’enseignants. Le résultat, c’est que toute une classe d’âge ne parle plus l’allemand, ce qui contribue au chômage des jeunes, essentiellement en Alsace, mais aussi au-delà, alors que le potentiel d’emploi est considérable en Allemagne et en Suisse. Trouver un emploi dans ces pays nécessite de connaître la langue, en l’occurrence l’allemand.
Madame la ministre, je ne comprends pas votre point de vue, et je voterai cet amendement.
M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, il est minuit. Je vous propose de prolonger notre séance jusqu’à zéro heure trente, afin de poursuivre plus avant l’examen de ce texte.
Mme Catherine Troendlé. Pourquoi pas plus tard, monsieur le président ? Nos débats reprenant demain à vingt et une heures quarante-cinq, nous allons terminer vendredi au petit matin…
Mme Françoise Laborde. Demain matin, une audition est organisée à huit heures trente !
M. le président. Qu’en pensez-vous, monsieur le président de la commission ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Nous pourrions poursuivre nos débats jusqu’à une heure du matin.
Mme Catherine Troendlé. Merci !
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour explication de vote.
Mme Véronique Guillotin. Le bilinguisme est une question essentielle. N’étant pas Alsacienne, je ne vais pas plaider pour le désir d’Alsace. Je pense simplement que cet amendement part d’une bonne intention. Je suis favorable à ce que toutes les exceptions régionales, y compris dans ce domaine, soient entendues.
L’apprentissage des langues est une question majeure pour notre pays, plus particulièrement pour les zones frontalières. La maîtrise de la langue du voisin influe directement, cela a été dit, sur la capacité d’embauche de nos jeunes. Dans certaines communes frontalières, plus de 60 % des actifs travaillent de l’autre côté de la frontière, notamment au Luxembourg ou en Belgique. Dans le nord de la Lorraine, 100 000 Français sont concernés. Nous ne parlons pas ici des diplômés de haut niveau, qui sont très mobiles et connaissent particulièrement les langues étrangères, mais plutôt des jeunes faiblement diplômés, qui ont besoin de connaître la langue des pays voisins pour trouver un emploi. Derrière, l’enjeu est également économique, avec le chômage.
Je comprends que cela ne relève pas de la compétence du département, mais il est urgent que l’éducation nationale prête une attention particulière à ce que le bilinguisme soit réellement créé dans les zones frontalières dès les plus petites classes. Nous pourrions même y travailler au niveau des garderies et des crèches. C’est un sujet essentiel dont l’éducation nationale doit à tout prix se saisir.
Je soutiendrai donc cet amendement, bien que la compétence ne relève pas du département.
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.
M. André Reichardt. Je soutiens également cet amendement pour plusieurs raisons.
Premièrement, cela a été dit, nous avons besoin de faire mieux en Alsace en ce qui concerne l’enseignement de la langue du voisin. Même si le dispositif proposé n’est pas la panacée, il peut y contribuer.
Deuxièmement, madame la ministre, il est question dans cet amendement non pas de recrutements, mais d’échanges d’enseignants, ce qui peut avoir du sens pour des classes bilingues, à condition de régler le problème des différences de rémunérations.
Troisièmement, le fait de négocier avec le Land de Bade-Wurtemberg est bien entendu propre à l’Alsace et ne concerne pas, par exemple, René-Paul Savary dans la Marne. Il me paraît tout à fait justifié que la Collectivité européenne d’Alsace puisse s’emparer de cette compétence.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour explication de vote.
M. Jean-Marie Bockel. Au-delà du caractère un peu rhétorique de l’amendement, que je voterai également, il y a la sempiternelle question, non pas de l’accord de principe de l’éducation nationale, qui, au fil des décennies, a progressé en matière de bilinguisme, mais du passage à l’acte, aux preuves d’amour, avec le renforcement d’une filière attractive d’enseignement de l’allemand, qui a tout de même beaucoup baissé. Du coup, il arrive ce qui doit arriver !
Au fond, cet amendement est un appel du pied. Au-delà de ces échanges bénéfiques, cette problématique illustre également, sans remettre en cause l’attitude de la ministre, le poids de l’éducation nationale dès que l’on touche à ces questions, et l’on y touche un petit peu !
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.
M. Loïc Hervé. L’enjeu est national. La question de l’enseignement de l’allemand est essentielle. Elle touche singulièrement les régions frontalières, l’Alsace, mais aussi des départements limitrophes de la Suisse, dont l’allemand est une langue officielle, notamment la Haute-Savoie.
Nous avons rencontré lundi, avec des parlementaires de la Haute-Savoie, la rectrice d’académie : aujourd’hui, ce qui fait le plus défaut dans l’enseignement de l’allemand dans notre département, ce ne sont pas les élèves, ce sont les professeurs ! Malgré les efforts déployés par l’éducation nationale, le problème n’a pas été résolu.
Cet amendement a le mérite d’ouvrir une nouvelle piste pour renforcer la coopération transfrontalière en matière d’apprentissage de l’allemand en France et du français en Allemagne, dans le Bade-Wurtemberg. C’est quelque chose d’essentiel, aussi voterai-je cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Todeschini. Je suis intervenu auparavant sur l’apprentissage en français. Il s’agit à présent de l’enseignement de l’allemand, notamment dans des classes bilingues. Il est vrai que les départements limitrophes ont des spécificités.
Il sera difficile à la Collectivité européenne d’Alsace de négocier des échanges d’enseignants, puisqu’elle n’en dispose pas. Nous pourrions donc modifier l’amendement pour ajouter « en lien avec l’éducation nationale », sinon, celui-ci ne saurait être acceptable. La responsabilité doit rester à l’éducation nationale.
M. le président. La parole est à M. Guy-Dominique Kennel, pour explication de vote.
M. Guy-Dominique Kennel. La notion d’échange, qui suppose que des enseignants partent et reviennent, me questionne, dans la mesure où nous manquons déjà d’enseignants.
J’en appelle au Gouvernement, particulièrement au ministre de l’éducation nationale : la rectrice de Strasbourg n’a pas assez d’enseignants à mettre en face des élèves ; dans ces conditions, il est impossible de prévoir un enseignement complémentaire.
Le master 2 de l’université de Strasbourg ne compte que vingt-cinq étudiants. Si tous se destinaient à l’enseignement, ce qui ne sera pas le cas, le recteur ne parviendrait même pas à compenser les départs d’enseignants actuellement en activité. Il importe que l’éducation nationale fasse un effort pour attirer de nouveaux étudiants vers la langue allemande. La politique de l’anglais pour tous, c’est bien, mais cela n’arrange rien dans notre territoire.
Mon intervention est un appel, en même temps qu’une interrogation sur l’échange d’enseignants.
Pour ne pas contrarier Jacques Bigot, je m’abstiendrai.
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Le vrai sujet, c’est d’arriver à une forme de décentralisation plutôt que de déconcentration. Peut-on permettre à des élus locaux, avec leurs services, de traiter des problèmes que l’État ne parvient pas à régler parce qu’il est trop loin ? La rectrice d’académie qui vient d’arriver à Strasbourg était auparavant en Bretagne ; elle découvre l’enseignement en Alsace, ne parle pas l’allemand. Comment voulez-vous qu’elle négocie avec les voisins d’éventuels échanges ? Or si nous voulons développer cette coopération transfrontalière dès le primaire, voire dès la maternelle, il faut pouvoir réaliser des échanges.
Mon collègue Jean-Marc Todeschini a suggéré de préciser « en lien avec l’éducation nationale ». C’est dans ce contexte qu’il faut travailler, mais il faut donner du grain à moudre à cette collectivité à laquelle vous voulez donner une mission européenne.
Plus qu’un amendement d’appel, c’est un amendement de signes. L’État doit accepter, à un moment donné, comme avec l’ARS, de donner aux acteurs de proximité une certaine compétence. En lien avec l’État, certes, mais pas avec un État qui domine tout.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Il y a tout de même une difficulté avec cet amendement : nous ne sommes pas un pays fédéral. Ni l’Alsace, ni la région Grand Est, ni aucune région de France n’ont la compétence en matière d’éducation nationale. Les collectivités locales gèrent les écoles, les collèges et les lycées, mais il s’agit du patrimoine bâti et des équipements de ces établissements. De l’autre côté du Rhin, les collectivités sont des Länder dans un État fédéral qui ont la compétence éducation. Par conséquent, les discussions en matière éducative avec les Länder sont asymétriques, c’est-à-dire que la collectivité territoriale française ne peut pas, et c’est naturel, s’engager au nom de l’État, qui seul a la compétence éducative.
Cette asymétrie dans la coopération est désagréable, mais nous ne pouvons pas, pour régler ce problème de négociations de part et d’autre du Rhin, modifier la nature profonde de notre système. Il me semble normal que le Land allemand, qui impose ses exigences sur les programmes scolaires, les qualifications des enseignants, qui est donc tout à fait qualifié pour se prononcer sur les matières éducatives, ait en face de lui une institution dotée des mêmes qualifications, et cela ne peut pas être le cas de l’Alsace, pas plus que de la région Grand Est.
Si bien que, mes chers collègues, vous adopterez ou non cet amendement, mais la position de la commission est, elle, très ferme : c’est la différence de système entre l’Allemagne et la France qui empêche absolument d’engager, du côté français, l’exercice de la compétence éducative dans un accord transfrontalier. Je ne vois pas comment nous pourrions revenir sur ce point, parce que, demain, ce sont aussi les programmes scolaires, les qualifications requises pour enseigner qui pourront être négociés de part et d’autre du Rhin, du côté français par une collectivité qui n’a pas la compétence et du côté allemand par une collectivité qui l’a.
Je ne comprends pas comment on pourrait remettre en cause ce système à la faveur d’une discussion sur le statut de l’Alsace, que nous érigeons en Collectivité européenne d’Alsace. On peut le déplorer, mais c’est une réalité fondamentale dans l’organisation de nos deux pays.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je ne saurais mieux dire et ne reprendrai donc pas les propos du président de la commission des lois. Je répète simplement que l’accord que nous avons signé permet à des enseignants, en complément des heures réglementaires, de dispenser un apprentissage de la langue, à savoir l’allemand en Alsace, et de la culture régionales.
Évidemment, l’État déploie des efforts pour recruter des professeurs d’allemand, mais je tiens à préciser qu’il s’agit d’une carence nationale. L’année dernière, 72 postes ouverts au Capes d’allemand n’ont pas été pourvus faute de candidats au niveau.
Mme Catherine Troendlé. Eh oui !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le délaissement de l’apprentissage de l’allemand en France se ressent naturellement plus durement en Alsace. J’ai été frappée, à l’occasion des discussions, en Alsace plus qu’ailleurs, par l’importance de l’argument économique pour soutenir l’apprentissage de l’allemand.
Mme Catherine Troendlé. L’emploi !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Il faut parler allemand pour travailler dans une entreprise allemande implantée en France ou de l’autre côté du Rhin.
Il est même prévu, dans le cadre de cet accord, un enseignement en apprentissage et en formation continue.
Par ailleurs, le Gouvernement a décidé d’implanter très prochainement en Alsace un pôle d’excellence consacré au plurilinguisme et aux coopérations éducatives transfrontalières, un centre national d’enseignement bilingue visant à encourager l’apprentissage de l’allemand.
Vous comprenez bien que l’éducation nationale est très attentive à développer le nombre de professeurs d’allemand. C’est comme les médecins, si je puis dire : vous ne les trouvez pas comme ça au bord de la route ! Le Gouvernement aux commandes depuis dix-huit mois ne peut pas endosser toutes les carences qui sont le fruit d’une évolution de notre pays. Je n’accuse personne, surtout pas les gouvernements précédents, mais c’est ainsi : il est plus à la mode d’apprendre l’anglais en première langue que l’allemand. Pourtant, chacun sait combien l’apprentissage de l’allemand et celui du latin sont extrêmement formateurs pour l’esprit et la scolarité.
Le Gouvernement fait des efforts, en association avec la Collectivité européenne d’Alsace, mais aussi la région Grand Est. Avec l’éducation nationale, les deux départements et la région Grand Est, nous avons signé un accord très équilibré visant à faciliter le recrutement par la Collectivité européenne d’Alsace, en complément de l’éducation nationale.
Mme Catherine Troendlé. C’est dommage !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 94 rectifié bis, présenté par Mme Troendlé, M. Danesi et Mme Schillinger, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 19
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Art. L. 3431-…. – Le chef-lieu de la Collectivité européenne d’Alsace est situé à Colmar.
La parole est à Mme Catherine Troendlé.
Mme Catherine Troendlé. Voilà un sujet alsaco-alsacien ! Je propose que le chef-lieu de la Collectivité européenne d’Alsace soit situé à Colmar.
En premier lieu, le présent amendement entend permettre au préfet de région d’être déchargé du contrôle de la nouvelle collectivité, son activité étant déjà bien lourde par ailleurs. Ainsi, le préfet départemental vérifiera la légalité dans la limite du territoire de la Collectivité européenne d’Alsace et le préfet de région continuera son action sur les territoires de la collectivité Grand Est, en évitant toute confusion entre les deux collectivités.
En second lieu, cet amendement entend permettre de conforter la pérennité de la préfecture du Haut-Rhin, qui sera inscrite dans la loi, à l’instar de Strasbourg qui a été désigné chef-lieu de la région Grand Est. La préfecture de Colmar ne pourra ainsi pas être remise en cause par voie administrative.
Je tiens à préciser, mes chers collègues, que cet amendement n’implique en rien que le siège se trouve à Colmar. La collectivité reste totalement libre de fixer son siège où elle le souhaite.
Vous allez me répondre, madame la ministre, que vous vous engagez au maintien des deux départements et des deux préfectures. Je vous fais confiance et vous souhaite d’être encore longtemps au Gouvernement, mais nous savons tous qu’un gouvernement est éphémère et que les choses peuvent évoluer. C’est la raison pour laquelle je souhaite sanctuariser le fait que le chef-lieu de la Collectivité européenne d’Alsace soit situé à Colmar.
M. le président. L’amendement n° 77 rectifié, présenté par Mme Harribey, M. Jacques Bigot, Mme de la Gontrie, MM. Durain, Fichet, Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur, Sutour et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 19
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Art. L. 3431-…. – Le chef-lieu de la Collectivité européenne d’Alsace est fixé par décret en Conseil d’État, après consultation du conseil départemental d’Alsace et du conseil municipal de la commune intéressée. L’article L. 3112-2 est applicable au transfert de ce chef-lieu.
La parole est à M. Jacques Bigot.