M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Tout à fait !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Sa tâche était extrêmement difficile à assumer dans une situation que personne n’avait envisagée après des décennies de construction européenne, et je ne pense pas que l’on puisse évoquer son travail dans les termes qui ont été ceux de M. Masson.
Sur le nombre de députés, je suis certaine que Nathalie Loiseau a répondu avec les éléments factuels les plus limpides, mais je le répète ici : l’acte européen, adopté d’ailleurs par la Haute Assemblée, pose un principe très clair : si le Royaume-Uni sort de l’Union européenne, le nombre de sièges sera redistribué par pays de manière proportionnelle – cela signifie donc que la France aura plus de députés européens ; en revanche, si le Royaume-Uni reste dans l’Union européenne, ce sera le statu quo. La règle est très simple.
Messieurs Courtial, Priou et Allizard, vous avez fait part de réflexions sur la route de la soie et sur le contrôle des investissements. Ce qui a été proposé – la capacité à filtrer, à échanger des informations entre pays et à autoriser ou non des investissements selon le risque qu’ils présentent pour les activités de plusieurs États membres ou pour un programme d’intérêt européen – est un bon début.
Est-ce suffisant ? Je ne vous affirmerai pas que cela répond à tous les enjeux, mais cette étape – le fait d’inclure dans notre droit, qui est un droit de liberté des investissements, la possibilité d’opposer des restrictions si des intérêts stratégiques, notamment européens, sont en jeu – représente une avancée qu’il faut soutenir. Je lirai votre travail avec beaucoup d’intérêt. Cette vigilance collective sur nos points d’entrée et sur la politique maritime et de rayonnement doit être maintenue.
Pour conclure, j’aimerais apporter, madame Fournier, une note plus personnelle, dans ce débat parfois technique. Je suis extrêmement sensible à la situation que vous décrivez pour la simple et bonne raison que j’ai passé une partie de mon enfance à Calais, à côté du magnifique théâtre italien. C’était avant l’ouverture du tunnel sous la Manche ; j’ai donc bien en tête la réalité de Calais quand tout transitait par bateau et par camion.
Nous le savons, il y a effectivement un risque d’engorgement ; 60 % des flux de marchandises qui entrent dans la zone euro depuis le Royaume-Uni passent par Calais, telle est la réalité. Il s’agit donc d’un point très stratégique, tant pour la France que pour le Royaume-Uni. Des douaniers ont été envoyés en renfort dans la région, et près de trois cent cinquante agents, dans le domaine agricole et douanier, sont préparés au Brexit.
C’est évidemment un sujet que tout le Gouvernement, en particulier Gérald Darmanin, s’engage à suivre de près, de même que Rodolphe Gintz, qui dirige la Direction générale des douanes et droits indirects. Nous devons être crédibles quant à notre engagement à assumer une sortie sans accord. L’intégralité du Gouvernement est mobilisée à ce sujet.
Je veux aussi vous informer des efforts de notre ambassade au Royaume-Uni vis-à-vis des citoyens français présents sur le sol britannique, que ce soit pour les formalités visant à devenir résidents sous le régime du settled status, qui permet de rester sur le territoire du Royaume-Uni, ou pour l’information auprès des entreprises, dans le domaine sanitaire ou douanier.
Nombre d’actions se déroulent donc actuellement pour faciliter les discussions du Conseil européen de la semaine prochaine, qui seront difficiles. Le Président de la République l’a répété, le Royaume-Uni doit formuler des propositions pour partir d’un scénario autre que celui d’une sortie sans accord. Notre engagement est fort pour obtenir, concrètement, le suivi d’un accord diplomatique, que nous espérons, et, à défaut, pour assumer nos décisions.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de cet échange et de votre écoute. J’espère vous retrouver très prochainement, probablement lors de questions d’actualité au Gouvernement, qui émailleront nos relations au cours des mois à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste, ainsi qu’au banc des commissions.)
Conclusion du débat
M. le président. Pour conclure le débat, la parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, merci de vos diverses contributions à ce débat très éclairant, à la suite d’une réunion du Conseil européen qui a commencé à tracer la feuille de route de la future commission européenne, sur deux sujets majeurs, que je me permettrai de développer : la stratégie industrielle de l’Union et la révision des règles européennes de concurrence.
D’une part, le Conseil européen a invité la Commission à présenter, d’ici à la fin de l’année, une vision à long terme pour l’avenir industriel de l’Union européenne. Il l’a également priée d’élaborer, d’ici à mars 2020, un plan d’action à long terme visant à mieux mettre en œuvre et faire respecter les règles du marché unique. Le Conseil européen demande, à cet égard, de mettre l’accent sur l’économie de services, notamment de données, d’approfondir l’union des marchés de capitaux et l’union de l’énergie – deux thèmes indissociables de la puissance de l’Union – et, enfin, d’assurer une fiscalité juste et efficace.
Ces demandes du Conseil européen se situent dans une perspective plus globale, qui tend à conforter l’Europe comme une vraie puissance économique : cette stratégie d’ensemble intègre non seulement une politique industrielle volontariste et le marché unique, mais aussi l’approfondissement de l’Union économique et monétaire, qui fait encore, depuis une vingtaine d’années, profondément défaut, une politique numérique tournée vers l’avenir, et une politique commerciale ambitieuse garantissant concurrence loyale et réciprocité. Cette stratégie prometteuse me semble pouvoir constituer un socle valable pour la refondation de l’Union, à mener après les élections européennes.
D’autre part, dans ses conclusions, le Conseil européen affirme la nécessité « d’assurer une concurrence loyale », non seulement « au sein du marché unique » mais aussi « au niveau mondial », et « aussi bien pour protéger les consommateurs que pour favoriser la croissance économique et la compétitivité, conformément aux intérêts stratégiques à long terme de l’Union. » Ces conclusions ont même été complétées pour préciser que l’Union européenne continuera d’adapter son cadre réglementaire « aux nouvelles évolutions technologiques et sur le marché mondial ».
Le Conseil européen a également appelé la Commission à déterminer, avant la fin de l’année, les moyens de combler les lacunes du droit de l’Union européenne, afin de remédier, enfin, aux distorsions de concurrence induites par les entreprises étrangères lourdement subventionnées par leur État. Il a aussi évoqué la nécessité de revoir l’encadrement des aides d’État dans un sens propice à l’innovation.
Les règles européennes de concurrence méritent effectivement un réexamen – le Sénat travaille depuis plusieurs années sur cette question en particulier. Ces règles, héritées de l’origine de la construction européenne, à l’heure où il s’agissait d’éviter les monopoles et ententes sur le charbon et l’acier, paraissent aujourd’hui totalement décalées. Le refus opposé par la Commission à la fusion Alstom-Siemens a ranimé le débat. La commissaire à la concurrence a appliqué, je le sais, les règles applicables en la matière, mais ce sont justement ces règles, précisément élaborées à l’échelon du Conseil, qui ne sont plus d’actualité.
Dans leur manifeste conjoint pour l’industrie, du 19 février dernier, les ministres français et allemand de l’économie envisagent l’introduction d’un pouvoir d’évocation du Conseil. L’usage d’un tel pouvoir concerne bien plus l’Allemagne que la France. Cela rendrait possible, dans certains cas, une révision des décisions de la Commission en matière de concurrence.
Le Sénat doit contribuer à cette réflexion essentielle ; c’est pourquoi la commission des affaires européennes vient de confier au groupe de suivi sur la stratégie industrielle de l’Union européenne, qu’elle a créé avec la commission des affaires économiques, le soin d’explorer la manière d’adapter les règles de concurrence, au service de l’ambition industrielle européenne.
Cette ambition ne pourra pas se concrétiser si nous ne nous engageons pas davantage dans la numérisation de l’économie, qu’un certain nombre de collègues ont évoquée avec le dossier relatif à Huawei et à la 5G. La première approche de l’Union européenne est satisfaisante, mais je ne vois pas les clefs de sécurité, que nous appelons de nos vœux, permettant de fermer les « portes dérobées » qui nous mettraient dans une situation délicate en matière de souveraineté numérique. (Mme la secrétaire d’État opine.) Le Sénat travaillera également sur ce point.
Ce sont donc des perspectives de moyen terme particulièrement importantes que le Conseil européen des 21 et 22 mars a tracées. À court terme, il devra reprendre rapidement la discussion sur trois sujets : le changement climatique – question difficile –, la lutte contre la désinformation – c’est fondamental –, et le fameux dossier du Brexit. De fait, notre débat d’aujourd’hui se trouve faire aussi office de débat préalable au prochain Conseil européen.
En effet, compte tenu de l’évolution des votes indicatifs au cours des derniers jours, il était important que se tienne un Conseil européen extraordinaire, lequel aura lieu le 10 avril. Je rentre de Bruxelles, où j’ai passé la matinée avec le commissaire Johannes Hahn et Michel Barnier, et j’avoue que je suis assez satisfait du fonctionnement, dans une situation particulièrement difficile aujourd’hui, de l’Union européenne.
Souhaitons que ce Conseil européen permette, madame la secrétaire d’État, de trouver une issue qui clarifie l’avenir, qui consolide le fonctionnement de l’Union européenne, et qui lui permette enfin de s’atteler à sa nécessaire refondation.
Au moment où nous allons conclure ce débat postérieur au Conseil européen, mais également annonciateur du Conseil européen extraordinaire du 10 avril prochain, je veux, moi aussi, vous souhaiter le meilleur pour vos nouvelles fonctions. J’espère que nous pourrons parler très rapidement du « jour d’après » – après le Brexit –, titre d’un colloque que Catherine Fournier avait engagé.
Enfin, quel que soit le cadre – accord ou non – qui régira, demain, nos rapports avec le Royaume-Uni, ce pays sera toujours à quelques miles de distance des côtes normandes, et il faudra que, au travers d’accords bilatéraux, nous puissions trouver des moyens de convoler, ensemble mais différemment.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le président de la commission.
M. Pierre-Yves Collombat. Mais c’est très intéressant !
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Je conclus, monsieur le président.
Puisque vous revenez de Berlin, madame la secrétaire d’État, permettez-moi de vous féliciter d’avoir fait ce déplacement et de souhaiter que l’on puisse retricoter les mailles du filet entre la France et l’Allemagne. Cela repose sur un mot et un seul : la confiance, confiance de l’Allemagne vis-à-vis de la France dans ses politiques de réforme et dans sa rigueur budgétaire, confiance également de la France à l’égard de l’Allemagne, qui puisse un peu faire preuve de mouvement et d’innovation. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, et sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 21 et 22 mars 2019.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
5
Collectivité européenne d’Alsace
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace (projet n° 358, texte de la commission n° 413, rapport n° 412).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis naturellement très heureuse de vous présenter le projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace.
En effet, ce texte revêt une importance particulière par rapport à l’action que ce gouvernement souhaite mener dans ses relations avec les territoires. Dans l’esprit du projet de révision constitutionnelle relative au droit à la différenciation, il s’agit de trouver des réponses institutionnelles adaptées aux besoins spécifiques des territoires. Il y a lieu non pas de provoquer un big-bang des compétences, mais d’ajuster ce qui peut l’être.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. En outre, sur la forme, ce projet de loi répond à une attente des départements alsaciens ; il est le résultat d’un processus de co-élaboration mené avec l’ensemble des parties prenantes et engagé l’été dernier. Nous venons en l’espèce accompagner une initiative locale.
Voilà la méthode que je souhaite prôner : écouter, pour comprendre les aspirations des uns et des autres, et essayer de les concilier, en faisant du cousu main en fonction de l’expression d’une volonté territoriale.
Depuis l’échec du référendum de 2013, qui visait à créer une collectivité territoriale unique regroupant le conseil régional d’Alsace ainsi que les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, et depuis la création de la région Grand Est, l’Alsace n’a eu de cesse de revendiquer une évolution institutionnelle permettant de donner corps au « désir d’Alsace », tel qu’exprimé très majoritairement par la population.
Mme Catherine Troendlé. Absolument !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Une mission a été confiée au préfet de région Jean-Luc Marx en janvier 2018 pour mener une concertation sur la question institutionnelle alsacienne, sous deux réserves : que la région Grand Est conserve son intégrité et que les grands équilibres actuels régissant les répartitions de compétences entre collectivités soient respectés.
Le préfet a proposé d’opérer un rapprochement des deux départements au sein d’un nouveau département, lequel se verrait confier, dans le cadre du droit à la différenciation prévu dans la révision constitutionnelle, des compétences complémentaires essentielles au vu de son caractère transfrontalier très marqué.
J’ai ensuite été missionnée par le Premier ministre pour faire aboutir la création de cette nouvelle collectivité. Je me suis rendue à de nombreuses reprises sur le terrain, et j’ai travaillé en lien étroit avec mes collègues du Gouvernement, Élisabeth Borne et Jean-Michel Blanquer, que je remercie vivement. Une déclaration commune engageant le Gouvernement, les deux conseils départementaux, ainsi que la région Grand Est a été conclue et signée le 29 octobre par le Premier ministre et les exécutifs des collectivités. Elle prévoit une réponse appropriée pour l’Alsace et trouve une part de sa traduction dans le projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui.
La constitution de la Collectivité européenne d’Alsace se matérialisera par plusieurs étapes.
Première étape, le regroupement des départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin en un seul département. Après que les deux conseils départementaux ont délibéré favorablement, le 4 février dernier – à l’unanimité dans le Haut-Rhin et avec six voix contre dans le Bas-Rhin –, pour demander ce regroupement, le décret du 27 février 2019 a procédé à ce dernier pour constituer la Collectivité européenne d’Alsace.
Deuxième étape, l’ajout – c’est l’objet du projet de loi que je vous présente aujourd’hui – de compétences particulières en matière de coopération transfrontalière, de bilinguisme, de tourisme et de transports.
Troisième étape, le développement des politiques culturelles, économiques ou sportives dont les orientations étaient fixées dans la déclaration commune. Ces politiques font l’objet d’un travail approfondi avec les services déconcentrés de l’État et les autres échelons de collectivités concernées, et elles se traduiront, pour la plupart, dans des actes réglementaires.
Le projet de loi s’attache à donner à l’Alsace des compétences suffisamment justifiées par ses spécificités pour que le cadre constitutionnel actuel permette de les attribuer de façon pérenne et circonscrite à ce territoire.
Il comporte des articles relatifs aux compétences – il s’agit des articles 1er, 2 et 3 –, aux modalités relatives au personnel – articles 4 et 5 –, aux modalités de compensation des transferts – article 6 –, aux dispositions transitoires nécessaires au bon fonctionnement de la Collectivité européenne d’Alsace – articles 7 et 8 –, aux ordonnances qui seront nécessaires pour garantir le bon fonctionnement de cette collectivité, et aux ordonnances spécifiquement relatives au transfert des routes et permettant d’instaurer des « contributions spécifiques versées par les usagers concernés » aux termes de l’article 10.
Au 1er janvier 2021, la Collectivité européenne d’Alsace exercera le socle classique des compétences départementales auquel s’ajouteront quatre types de compétences.
Il s’agira, en premier lieu, de compétences en matière transfrontalière. Le projet de loi institue ainsi le principe d’un chef de filât de la collectivité, sur son territoire exclusivement, en matière de coopération transfrontalière. La collectivité pourra de ce fait organiser l’action collective, sans restreindre la capacité d’action des autres collectivités intéressées. Elle sera également chargée d’établir un schéma alsacien de coopération transfrontalière, non prescriptif, en association avec l’ensemble des collectivités et des acteurs concernés. Elle aura, enfin, la capacité, en parfaite cohérence avec la stratégie régionale, de décliner un volet opérationnel sur les projets structurants en matière, par exemple, de santé, de mobilités, de formation professionnelle. Elle pourra ainsi se voir déléguer, par l’État, la région ou des établissements publics de coopération intercommunale, des compétences pour la mise en œuvre des projets mentionnés dans le schéma alsacien de coopération transfrontalière. Ce système de délégation ad hoc est valable pour toutes les collectivités concernées.
Il s’agira, en deuxième lieu, de compétences en matière de bilinguisme, pour renforcer ce vecteur culturel et ce facteur de mobilité professionnelle que constitue la langue allemande ; les Alsaciens ont beaucoup insisté sur la mobilité professionnelle.
Mme Catherine Troendlé. Bien sûr !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Les échanges que j’ai conduits, en lien avec mon collègue Jean-Michel Blanquer, ont permis d’identifier deux volets particuliers pour développer l’enseignement de l’allemand : tout d’abord, l’amélioration de l’attractivité pour les enseignants d’allemand titulaires recrutés par le ministère de l’éducation nationale, et, ensuite, la possibilité de recruter des intervenants en cohérence avec le cadre de recrutement de l’éducation nationale, afin de permettre l’enseignement de la langue au-delà des heures réglementaires, en complémentarité avec les programmes nationaux.
La collectivité contribuera à la mobilisation d’un vivier pour que l’éducation nationale puisse accélérer les recrutements. L’éducation nationale lèvera les freins qui ont été identifiés ; l’État et la collectivité seront donc fermement engagés à obtenir, ensemble, des progrès à la hauteur des besoins.
Il s’agira, en troisième lieu – c’est l’objet de l’article 2 –, de compétences en matière touristique : sur son territoire, la Collectivité européenne d’Alsace animera et coordonnera l’action des collectivités et des autres acteurs concernés, en cohérence avec le schéma régional de développement du tourisme et des loisirs.
Il s’agira, enfin, de compétences en matière d’infrastructures routières : le projet de loi entérine le transfert, la gestion et l’exploitation des routes nationales et des autoroutes non concédées situées en Alsace, sur lesquelles, si elle le souhaite, la Collectivité européenne d’Alsace pourra lever des ressources spécifiques contribuant à maîtriser le trafic routier de marchandises – c’est l’objet de l’article 11. Il s’agit ainsi de régler définitivement un problème qui préoccupe les Alsaciens à juste titre et depuis longtemps.
Mme Catherine Troendlé. Tout à fait !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Par ailleurs, la Collectivité européenne d’Alsace pourra transférer à l’eurométropole de Strasbourg, sur sa demande, des portions de voies situées sur son territoire. Là encore, ce sont des sujets pour lesquels le Gouvernement a cherché à faire du sur-mesure pour l’Alsace, comme il souhaite pouvoir le pratiquer dans les territoires qui voudraient mener des projets dans une logique de différenciation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi représente le point d’équilibre concret et pragmatique d’un processus d’élaboration avec les principaux intéressés. Je souhaite donc engager le débat qui va s’ouvrir en gardant une fidélité constante au processus politique qui a permis d’aboutir à la déclaration commune signée, le 29 octobre dernier, entre toutes les parties prenantes. Nous avons évité les écueils et nous sommes arrivés à un projet cohérent, qui permet de répondre au désir d’Alsace. Continuons sur cette voie ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame la ministre, mes chers collègues, l’histoire mouvementée de l’Alsace, ses particularités géographiques, son identité française et européenne, son bilinguisme ont largement fortifié l’affectio societatis qui justifie aujourd’hui la reconnaissance du « désir d’Alsace ».
Cette spécificité alsacienne, régulièrement revendiquée, a été exacerbée par le redécoupage, en 2015, des grandes régions qui a totalement dissous l’Alsace dans la région Grand Est, et cela contre l’avis du Sénat.
Mme Catherine Troendlé et M. André Reichardt. Tout à fait !
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Mais c’est en 2018 que l’avenir institutionnel de l’Alsace s’accélère.
Le 22 janvier, le Premier ministre, Édouard Philippe, lançait la réflexion sur le devenir institutionnel de l’Alsace au sein de la région Grand Est.
Le 15 juin, le préfet Marx rendait sa copie en faveur de la fusion des deux départements, entité à laquelle pourraient être confiées des compétences nouvelles.
Le 29 octobre, une déclaration commune était signée à Matignon, fruit d’une intense négociation entre le Gouvernement, les présidents des départements alsaciens – Frédéric Bierry pour le Bas-Rhin et Brigitte Klinkert pour le Haut-Rhin – et le président de la région Grand Est, Jean Rottner.
Cet accord, ciselé à la virgule près, prévoit la création, au 1er janvier 2021, de la Collectivité européenne d’Alsace, consacrant ainsi le regroupement des deux départements. Cette nouvelle collectivité doit bénéficier outre des compétences départementales, de prérogatives « particulières et supplémentaires », mais, à vrai dire, assez cosmétiques. (M. André Reichardt marque son approbation.)
Le 4 février dernier, les deux départements délibéraient pour demander leur fusion – à une très large majorité dans le Bas-Rhin et à l’unanimité dans le Haut-Rhin.
Créée par le décret du 27 février 2019, cette nouvelle Collectivité européenne d’Alsace est donc bien un département.
M. André Reichardt. Tout juste !
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Certes, un département « plus », mais pas plus que cela.
M. André Reichardt. Très bien !
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Son nom baptismal, « Collectivité européenne d’Alsace », pouvait porter à confusion. C’est tout du moins ce qu’a considéré la commission des lois du Sénat, lui préférant l’appellation plus rigoureuse « département d’Alsace ».
Mme Catherine Troendlé. À tort !
Mme Agnès Canayer, rapporteur. J’ai bien conscience que le nom « Collectivité européenne d’Alsace » est le fruit d’un subtil compromis, entériné par le décret qui prend acte de la fusion des deux départements et que le sujet de la dénomination est de l’ordre du symbole.
M. Jean-Marc Todeschini. C’est de la poudre de perlimpinpin !
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Cependant, il ne doit pas cacher le cœur de nos débats, à savoir les nouvelles compétences de l’Alsace définies par le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui.
Comme tout compromis, ce texte suscite de vives insatisfactions, tant de la part d’une partie des Alsaciens, qui souhaitent aller beaucoup plus loin, demandant même la sortie de la région Grand Est, voire la création d’une collectivité à statut particulier, que de celle des autres élus de la région Grand Est ou même du reste du territoire français qui réclament les mêmes avantages.
De plus, il ne résout en rien les difficultés provoquées par les deux réformes successives du redécoupage des régions et de la redéfinition des compétences régionales et départementales par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, ou loi NOTRe.
Cependant, même insatisfaisant, ce projet de loi est attendu par de nombreux élus alsaciens, car il donne du contenu à cette entité « Alsace » qu’ils appellent de leurs vœux les plus chers et dont ils ont très majoritairement décidé la création.
Et si ce texte concerne principalement l’Alsace, il ne peut être déconnecté de la nécessaire évolution des lois de décentralisation, dont l’acte III est promis après la fin du grand débat national, ni de l’introduction dans la Constitution du futur droit à la différenciation, applicable à tous les départements français.
La nouvelle Alsace doit être considérée comme une expérimentation dans la perspective des futures réformes des lois de décentralisation, applicables à tous les départements. La mission de contrôle et de suivi de la mise en œuvre des dernières lois de réforme territoriale, conduite par le sénateur Mathieu Darnaud, y travaille.
En conséquence, mes chers collègues, je vous propose d’accepter le compromis négocié par les élus alsaciens et le Gouvernement et largement amélioré par le Sénat, afin non seulement de renforcer les compétences de la nouvelle Alsace et de lui donner les véritables moyens juridiques, humains et surtout financiers pour les exercer, mais aussi d’expérimenter de nouvelles dispositions en Alsace qui auraient vocation à nourrir le débat général sur l’organisation territoriale de notre pays et à s’étendre aux départements qui le souhaitent et de sécuriser, dans la loi, les dispositions électorales initialement prévues par ordonnance.
Concernant les compétences de l’Alsace, le texte initial prévoyait le transfert a minima de prérogatives dans quatre domaines – coopération transfrontalière, bilinguisme, tourisme, routes nationales et autoroutes non concédées. Ces compétences ont une importance toute particulière en Alsace en raison des spécificités locales.
La situation frontalière de l’Alsace et les liens privilégiés avec l’Allemagne justifient le développement d’une coopération transfrontalière affermie, notamment en matière de mobilité, d’échanges linguistiques, de coopération sanitaire et culturelle.
Sans remettre en cause les compétences de la région, la commission des lois a souhaité donner à la collectivité les véritables moyens pour les exercer.
Chef de file, l’Alsace élaborera un schéma de coopération transfrontalière respectueux du schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation.
Elle pourra bénéficier de délégations des autres collectivités pour la réalisation des projets transfrontaliers, notamment en matière de déplacements.
Afin de garantir son effectivité, le Sénat a autorisé les EPCI à déléguer tout ou partie de leur compétence à la nouvelle collectivité. Ces délégations seront essentielles pour mener à bien les projets de coopération transfrontalière en matière de transport et de mobilité des deux côtés de la frontière.
Le développement des langues régionales et de l’apprentissage de l’allemand est primordial pour le développement économique et l’attractivité de l’Alsace frontalière. Ainsi, la collectivité alsacienne pourra organiser dans les établissements scolaires, sur le temps périscolaire, des activités complémentaires d’enseignement des langues et cultures régionales. De plus, elle pourra recruter un vivier d’enseignants germanophones et les mettre à disposition de l’éducation nationale pour favoriser l’ouverture de classes bilingues.
Bien qu’inscrites dans la loi, ces dispositions restent programmatiques. Afin de les amplifier, la commission des lois a adopté les amendements de nos collègues alsaciens Reichardt, Kennel, Kern et Danesi visant à confier à l’Alsace le chef de filât en matière de promotion des langues régionales et à étendre sa compétence à la formation des enseignants et à l’ouverture des classes bilingues ou d’immersion.
Elle a, par ailleurs, introduit un article supplémentaire autorisant l’Alsace, comme toutes les collectivités, à créer des chaînes de télévision locales pour promouvoir les langues régionales.
Avec plus de 20 millions de visiteurs chaque année, le tourisme constitue en Alsace un secteur économique majeur, pourvoyeur de nombreux emplois. L’enjeu de l’attractivité est donc au cœur des politiques locales et régionales.
Conformément à la déclaration commune de Matignon, le Sénat a densifié la compétence du département d’Alsace en matière de promotion de l’attractivité de son territoire et prévu la création d’un conseil de développement tel que souhaité par le sénateur Kennel.
Le transfert des 300 kilomètres de routes nationales et autoroutes non concédées à l’Alsace ne constitue pas véritablement une nouvelle compétence, puisque les départements gèrent déjà la majorité des voiries. L’innovation réside dans le transfert – pour la première fois – d’autoroutes à un département, ce qui se justifie par la nécessité de réguler le trafic provenant d’Allemagne, où la LKW-Maut, la taxe sur les camions, favorise le déport de plus de 1 000 camions par jour sur les routes alsaciennes parallèles.
Cependant, les conditions du transfert, telles que prévues par le texte initial, doivent être clarifiées, afin de donner à la nouvelle collectivité les véritables moyens pour endiguer la circulation des camions.
Des moyens juridiques, tout d’abord, afin d’accorder l’ensemble des pouvoirs de police de la circulation au président du conseil départemental, en créant une nouvelle catégorie d’autoroutes départementales, soumises aux règles applicables à la voirie départementale, et dont le déclassement pourra être décidé par le conseil départemental et sera nécessaire avant tout transfert à l’eurométropole de Strasbourg.
La sécurisation du transfert des personnels affectés à la gestion et à l’entretien des voiries concernées est nécessaire pour éviter de se retrouver dans la situation de 2004, encore mal digérée par nombre de départements.
Enfin, il convient de renforcer les garanties financières, afin de s’assurer que, conformément à l’article 72-2 de la Constitution, le transfert de charges est réellement compensé par des ressources équivalentes.
L’article 6 du projet de loi prévoit que les ressources attribuées sont équivalentes aux dépenses consacrées, à la date du transfert, diminuées du montant d’éventuelles réductions brutes de charges ou augmentation des ressources liées au transfert.
En outre, il affirme que la compensation des charges transférées est égale à la moyenne calculée, pour l’investissement, sur les cinq années précédentes et, pour le fonctionnement, sur les trois années. Le Sénat a ajouté que cette moyenne ne pourra être inférieure aux montants de 2018, toujours dans le souci de sécuriser le transfert des moyens financiers.