Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas fait !
M. Éric Gold. … d’autant que la fracture territoriale et sociale tend à s’accroître, une fracture qui divise la France des métropoles et la France des territoires, délaissée, abandonnée, menacée par des décennies de sous-investissement.
Une politique centrée autour des bassins de mobilité et des élus locaux permettra certainement de pallier certaines défaillances actuelles. La décentralisation renforcée, que nous appelons tous de nos vœux, prend forme peu à peu. Elle nécessite néanmoins, comme l’a très justement rappelé notre collègue Ronan Dantec, une forte péréquation et une solidarité nationale assumée.
Hors des grandes agglomérations, la voiture demeure indispensable. À l’échelle du pays, la voiture reste même le mode de déplacement domicile-travail de plus de 70 % des actifs. Il est donc essentiel d’accompagner les transitions dans ce domaine, sans tabou.
Il faut bien sûr favoriser les transports en commun : c’est l’une des raisons pour lesquelles les collectivités doivent être accompagnées. Il convient également de renforcer le maillage territorial des lignes ferroviaires, qui apparaît comme une étape indispensable à l’émergence d’une mobilité du quotidien moins dépendante de la voiture. Ces petites lignes qui structurent l’espace doivent absolument être préservées et seront, j’en suis sûr, l’un des maillons essentiels de la mobilité de demain.
Nous saluons à ce titre l’adoption d’un amendement, soutenu notamment par notre groupe, qui permet la gestion de certaines lignes par les régions qui en feraient la demande. Je me réjouis aussi de l’adoption d’un amendement permettant d’inscrire une possibilité de concomitance des travaux de modernisation et de régénération sur les lignes d’équilibre du territoire, trop longtemps délaissées et pour lesquelles le temps de parcours s’est beaucoup allongé en trente ans, mais qui restent tout aussi primordiales pour la mobilité et le désenclavement.
Nous aurions toutefois souhaité voir émerger des engagements plus fermes en ce qui concerne la vente des véhicules thermiques neufs. Près de 94 % des voitures présentes sur le territoire fonctionnent encore avec un moteur thermique. La marge de progression est immense : elle doit inciter l’État et les parlementaires à s’engager de manière plus énergique. Si nous voulons la fin des véhicules thermiques en 2040 et la neutralité carbone en 2050, il nous reste beaucoup de chemin à parcourir.
Malgré une délivrance soumise au bon vouloir de l’employeur, le « forfait mobilités durables » donne un premier signal positif aux usagers en les incitant financièrement à opter pour des modes de transport moins polluants.
Parmi les autres signaux positifs votés par le Sénat avec le soutien du groupe du RDSE, il faut citer l’inscription de la réduction des émissions de gaz à effet de serre parmi les objectifs visés au travers de la stratégie et de la programmation des investissements de l’État dans les transports, le rehaussement de la part minimale de véhicules à faibles émissions dans les flottes de véhicules d’entreprise, ainsi que des mesures visant à réduire la pollution des navires.
Sur proposition du RDSE, le Sénat a également souhaité étendre à tous les territoires la possibilité de créer des zones à faibles émissions. Pour des raisons prioritaires de santé publique, il était important de supprimer le seuil initial de 100 000 habitants.
Puisqu’il est question de santé publique, j’aimerais achever mon propos en saluant les mesures importantes qui ont été prises en faveur du vélo, même si ce mode de déplacement ne peut pas être utilisé partout avec la même facilité. Associées au grand plan mis en place par le Gouvernement, elles permettront de renforcer la place de ce mode de transport vertueux, à la fois pour l’environnement et pour la santé.
Vous l’aurez compris, le groupe du RDSE salue les avancées portées par ce projet de loi, notamment les 23 amendements qu’il a fait adopter et qui reprennent pour partie des mesures contenues dans la proposition de loi visant à faciliter le désenclavement des territoires. Nous voterons donc à la quasi-unanimité en faveur de ce texte, largement enrichi par le Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche.)
Ouverture du scrutin public solennel
M. le président. Mes chers collègues, il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi d’orientation des mobilités.
Ce scrutin, qui sera ouvert dans quelques instants, aura lieu en salle des conférences.
Je remercie nos collègues Yves Daudigny, Guy-Dominique Kennel et Patricia Schillinger, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.
Je rappelle qu’une seule délégation de vote est admise par sénateur.
Je déclare le scrutin ouvert pour une durée maximale de vingt-cinq minutes et vais suspendre la séance jusqu’à seize heures, heure à laquelle je proclamerai le résultat.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures trente-cinq, est reprise à seize heures.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 73 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 266 |
Pour l’adoption | 248 |
Contre | 18 |
Le Sénat a adopté, dans le texte de la commission, modifié, le projet de loi d’orientation des mobilités. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
Je remercie les rapporteurs, le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable ainsi que l’ensemble des collègues pour la qualité du travail réalisé.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais saluer l’adoption, par une très large majorité, du projet de loi d’orientation des mobilités et vous redire ma conviction que ce texte est essentiel pour répondre aux fractures territoriales et sociales, qui minent notre pays, et aux difficultés exprimées par nombre de nos concitoyens, notamment dans le cadre du grand débat.
Ce projet de loi apportera des réponses concrètes aux besoins actuels et à venir en matière de mobilité du quotidien. La rédaction issue de vos travaux en première lecture respecte les grands équilibres que j’ai défendus. Je ne peux que m’en réjouir.
Je me félicite notamment du consensus existant sur l’un des principes structurants du texte, à savoir la couverture complète du territoire par des autorités organisatrices chargées de la mobilité. Cette mesure peut paraître technique, mais c’est grâce à elle que plus aucun Français ne sera laissé demain sans solution.
Je note également l’intérêt fort du Sénat pour les mobilités actives, en particulier le vélo, et plus largement pour les enjeux de transition énergétique qui se posent pour tous les modes de transport.
Enfin, concernant la programmation des infrastructures, je me réjouis que vous partagiez la priorité donnée aux transports du quotidien et je remercie le Sénat d’avoir respecté l’économie générale de cette programmation, même si – j’ai eu l’occasion de le dire – je ne souhaitais pas que ce titre soit placé en tête du texte.
Un certain nombre de sujets devront être approfondis à l’Assemblée nationale, notamment la question du financement, du free floating ou de la billettique, mais je voudrais me féliciter de nouveau de la richesse des débats qui ont eu lieu durant cet examen et, malgré quelques divergences, saluer le rôle constructif et la mobilisation de votre Haute Assemblée pour enrichir ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Thani Mohamed Soilihi.)
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
4
Débat à la suite de la réunion du conseil européen des 21 et 22 mars 2019
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 21 et 22 mars 2019.
La parole est à Mme la secrétaire d’État, à qui je souhaite la bienvenue au Sénat.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse d’être parmi vous cet après-midi, de retour de Berlin et dans le cadre de mes toutes nouvelles fonctions, le Premier ministre et le Président de la République m’ayant accordé leur confiance pour porter au mieux les questions européennes dans ces heures agitées.
Je suis aussi très heureuse de pouvoir vous rencontrer dans le cadre de ce nouveau format de débat, postérieur au Conseil européen. J’espère que cela permettra des échanges riches, après un Conseil européen qui a été particulièrement commenté.
Celui-ci, qui s’est donc tenu les 21 et 22 mars dernier, a débouché sur des décisions importantes à plusieurs égards.
J’évoquerai, tout d’abord, le Brexit.
Le Conseil européen a effectivement été dominé par le retrait britannique et la demande de Mme May de reporter la sortie jusqu’au 30 juin. Je ne reviens que rapidement sur le résultat, que vous connaissez. Sous l’impulsion du Président de la République, un accord a été trouvé, avec deux options pour cette extension : jusqu’au 22 mai, si la Chambre des communes avait approuvé l’accord de retrait d’ici au 29 mars, ce qui aurait pu permettre au Royaume-Uni d’achever sa procédure interne de ratification ; jusqu’au 12 avril, en l’absence de soutien de la Chambre à l’accord de retrait.
Pourquoi le 12 avril ? C’est la date limite pour que Londres décide d’organiser des élections européennes afin de disposer de députés au Parlement européen, comme ceux que la France y enverra à la suite des élections du 26 mai prochain.
Il se trouve que la Chambre des communes a rejeté une troisième fois, le 29 mars, l’accord de retrait. Il a manqué 58 voix à Mme May, un nombre en nette réduction, puisqu’il lui en manquait 149 le 12 mars et 230 le 16 janvier. Pour autant, nous savons, dans cette assemblée comme dans d’autres, qu’un tel écart reste considérable.
Où en sommes-nous désormais ? À la suite, notamment, des échanges que j’ai pu avoir ce matin avec mon homologue allemand Michael Roth, je vois trois scénarios se dessiner.
Dans un premier scénario, que je qualifierais d’optimiste, Mme May l’emporte sur le plan tactique.
Les conservateurs favorables au Brexit peuvent encore réaliser qu’il y a un risque à voir passer une solution à leurs yeux bien pire que l’accord de retrait, comme une union douanière permanente, laquelle n’a échoué que de 3 voix hier soir. Dans ce cas, l’accord de retrait peut finalement faire l’objet d’un vote favorable avant le sommet européen du 10 avril. Une brève extension technique supplémentaire serait alors nécessaire pour permettre la ratification.
Ce scénario reste peu probable au vu des derniers mouvements à la Chambre, mais n’est pas impossible. Ce serait la meilleure solution.
Il pourrait se décliner dans une version un peu moins optimiste, avec un accord, non juridiquement contraignant, de la Chambre sur une union douanière, qui puisse permettre, très rapidement derrière, de se rattacher à l’accord négocié par Michel Barnier. Dans ce cas, aussi, on pourrait imaginer revenir « dans les clous » !
Dans une version ou une autre, le scénario optimiste repose donc sur le fait que la perspective d’une possible majorité sur un projet d’union douanière fasse finalement céder les conservateurs sur l’accord de retrait initial.
Le deuxième scénario est beaucoup plus clair et sans appel : Mme May se présente au Conseil européen, le 10 avril prochain, sans vote positif sur l’accord de retrait et ne souhaite pas organiser d’élections européennes.
Dans de telles conditions, si rien n’était fait, les actes pris par le Parlement européen seraient entachés de nullité, car on ne peut pas être État membre de l’Union européenne sans disposer de représentants au Parlement européen.
Dans un tel cas de figure, le Royaume-Uni doit donc sortir de l’Union européenne sans accord – c’est le no deal. Les pays membres appliqueraient alors les mesures de contingence européennes et nationales préparées à cette fin – en France, 7 ordonnances ont pu être élaborées grâce à la loi d’habilitation votée au Parlement.
Sur le terrain, les contrôles seront prêts. Ils monteront progressivement en puissance, avec, bien sûr, le soutien de la Commission européenne. Des recrutements ont été lancés, la construction des infrastructures est en voie d’achèvement et des campagnes de tests pour l’exercice des différents contrôles sont en cours.
Nous sommes donc prêts s’il faut nous orienter, le 10 avril prochain, lors du sommet exceptionnel, vers un scénario de no deal, Mme May se présentant alors, je le rappelle, sans avoir ni le soutien des députés sur l’accord de retrait ni l’intention d’organiser des élections européennes.
Le troisième scénario, plus complexe et mouvant, serait celui où la Première ministre britannique demande une extension longue et organise des élections européennes.
Il créerait une difficulté politique au Royaume-Uni, évidemment, mais aussi, plus largement, en Europe, car nombreux sont ceux qui ne comprendraient pas cette décision après le référendum de 2016 sur la sortie.
Cette hypothèse devrait par ailleurs être soigneusement encadrée afin que le Royaume-Uni soit traité comme un État membre pas tout à fait comme les autres : il ne serait pas acceptable que Londres puisse peser sur le choix de la future Commission européenne ou sur des décisions de substance produisant des effets après son départ. Je pense, en particulier, à la négociation du cadre financier pluriannuel.
Nous sommes donc toujours dans une période très incertaine.
Il revient au Royaume-Uni de faire ses propres choix – des votes ont de nouveau lieu au Parlement demain et, aujourd’hui, se tiennent des réunions du cabinet extrêmement importantes. Il est clair que l’Union européenne doit continuer à manifester son unité et sa détermination à défendre les intérêts des Européens, notamment, comme le répète Michel Barnier, notre négociateur, en refusant de rouvrir l’accord de retrait et d’accepter une extension du délai si nous manquons de clarté sur une solution durable et crédible.
Ces discussions sur le retrait du Royaume-Uni ne doivent pas nous faire perdre de vue notre objectif central de relance du projet européen.
L’ordre du jour du Conseil européen des 21 et 22 mars nous a permis, et c’est heureux, de présenter plusieurs des idées exposées par le Président de la République dans sa tribune pour une renaissance européenne pour défendre notre liberté, protéger notre continent et retrouver l’esprit de progrès.
Un débat approfondi s’est tenu sur l’avenir du marché unique dans la perspective du prochain programme stratégique. Les chefs d’État et de gouvernement ont abordé tant l’avenir du marché intérieur que les politiques qui y sont liées, notamment l’économie numérique, la politique industrielle et, bien sûr, la recherche et l’innovation.
En particulier, le Conseil européen a engagé une discussion sur la nécessité d’une véritable politique industrielle européenne. Comme nous le souhaitions, le Conseil européen a invité la Commission à présenter, dès la fin de 2019, une vision stratégique de long terme sur l’avenir de l’industrie européenne, soutenue par des mesures concrètes.
Conformément aux propositions formulées par la France et l’Allemagne, cette stratégie devra en particulier soutenir les nouvelles technologies et s’assurer des financements nécessaires, notamment en ayant recours au Conseil européen de l’innovation. Il s’agira également de passer en revue l’ensemble des politiques contribuant à cet objectif, notamment la politique de la concurrence ; il faut, nous le savons, améliorer la cohérence entre les deux axes de la politique européenne que constituent la politique industrielle et la politique de la concurrence.
La Commission doit étudier d’ici à la fin de l’année les évolutions nécessaires pour répondre aux défis des évolutions technologiques et de la concurrence mondiale. L’enjeu est de mieux défendre nos technologies, nos entreprises et nos marchés, en utilisant pleinement le nouveau cadre de filtrage des investissements, en exigeant une plus grande réciprocité dans les marchés publics avec les pays tiers et en défendant à tout prix le multilatéralisme, tout en le modernisant chaque fois que c’est nécessaire – je pense notamment à l’Organisation mondiale du commerce.
Deuxième sujet au-delà du Brexit, les chefs d’État et de gouvernement ont échangé sur les orientations proposées par la Commission dans le cadre de sa stratégie climatique de long terme, en particulier sur le scénario de neutralité carbone en 2050, que nous souhaitons voir adopter dans la perspective du sommet Action climat de l’ONU en septembre 2019.
Comme le Président de la République l’a souligné, les conclusions du Conseil européen sur le climat sont décevantes. Alors que les signaux d’alarme lancés par la communauté scientifique et la société civile se multiplient, l’Europe doit agir de façon plus déterminée face à l’urgence climatique. La France et bon nombre de ses partenaires européens se sont engagés résolument en faveur de l’objectif de neutralité carbone en 2050 ; ce point figure dans le projet de loi sur la programmation pluriannuelle de l’énergie qui sera présenté très prochainement en conseil des ministres.
Nous avons obtenu que le Conseil européen revienne sur ce sujet dès le mois de juin, de telle façon que l’Union européenne soit pleinement préparée en vue de ce sommet sur le climat.
Renouer avec l’esprit de progrès qui caractérise le projet européen, c’est aussi, comme le propose le Président de la République, créer une banque européenne du climat pour mieux financer la transition énergétique dans l’ensemble des pays de l’Union européenne. C’est enfin se fixer des objectifs ambitieux concernant le cadre financier pluriannuel, dont l’objectif de dépenses en faveur du climat doit être revu à la hausse par rapport à la proposition de la Commission.
Troisième sujet, les conclusions du Conseil européen font également état des progrès accomplis dans la lutte contre la désinformation et la nécessité de protéger l’intégrité démocratique des élections européennes et nationales dans l’ensemble de l’Union européenne. Ce sont des enjeux essentiels pour notre liberté démocratique.
Le Président de la République a ainsi proposé que des experts européens puissent être déployés immédiatement en cas de cyberattaques ou de campagnes de désinformation. Dans le prolongement des derniers rapports publiés par la Commission, le 20 mars, sur les progrès réalisés par les plateformes en ligne, les conclusions du Conseil européen appellent ces plateformes à renforcer leurs efforts dans la mise en œuvre du code de bonnes pratiques contre la désinformation et à garantir des normes plus élevées de responsabilité et de transparence.
Quatrième sujet, nous restons déterminés à œuvrer pour renforcer la convergence économique et sociale au sein de l’Union, qui est au cœur du projet européen, pour nous doter de ce que le Président de la République appelle un « bouclier social ».
C’est le sens de l’action que nous avons menée avec la création d’une autorité européenne du travail, ou encore de nos efforts pour lier solidarité financière et convergence sociale dans le prochain budget européen.
Les chefs d’État et de gouvernement reviendront sur tous ces sujets – hormis, bien sûr, celui du Brexit – lors du sommet informel de Sibiu le 9 mai prochain, puis à l’occasion de l’adoption, en juin prochain, du programme stratégique pour la période 2019-2024, qui fixera les orientations et priorités politiques pour le prochain cycle institutionnel.
Sur la méthode, nous voulons nous appuyer, pour définir les priorités de l’Union, sur les principales préoccupations et attentes des citoyens, telles qu’elles ont été exprimées, en France et au-delà, dans les consultations citoyennes sur l’Europe qui se sont tenues au second semestre de 2018, et sur une conférence sur l’Europe, qui réunira tous les acteurs nécessaires d’ici à la fin de l’année, pour définir les changements nécessaires à mettre en œuvre.
Au fond, en France, nous avons eu le grand débat national ; en Europe, les consultations citoyennes sont également là pour alimenter cette feuille de route stratégique 2019-2024, pour s’assurer que l’Europe parle bien des préoccupations concrètes des citoyens à travers l’Union.
Dernier point pour conclure : le Conseil européen a échangé sur les relations avec la Chine afin de préparer le sommet Union européenne-Chine du 9 avril.
La discussion a donné lieu à un constat largement partagé sur le fait que la Chine est à la fois un partenaire et un concurrent pour l’Union européenne. Il est essentiel que les Vingt-Sept restent unis et défendent leurs intérêts économiques et stratégiques face à la Chine. L’Union doit être ferme et exiger de la réciprocité, notamment dans l’accès aux marchés.
Le Président de la République a résumé les discussions en estimant que, malgré certaines divergences de vue, « le temps de la naïveté de l’Union envers la Chine était révolu ». C’est dans cet esprit qu’a été organisée quelques jours plus tard à Paris, sur son initiative, une rencontre avec le Président Xi Jinping, la Chancelière Merkel et le Président Juncker.
La signature par le vice-Premier ministre italien et les autorités chinoises d’un accord de participation au projet des nouvelles routes de la soie souligne à quel point il est indispensable de renforcer encore davantage la coopération européenne dans ce domaine avant le sommet « 16+1 » du 12 avril en Croatie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre accueil et je me réjouis maintenant d’entendre vos commentaires et vos questions. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord, madame la secrétaire d’État, au moment où vous accédez à ces hautes et lourdes responsabilités, de vous adresser mes vœux de bonne chance et de réussite. Surtout, au-delà de l’énergie et du sang-froid que nécessite la gestion du calamiteux Brexit, je vous souhaite d’avoir une vision claire et de mener une action résolue pour la relance du projet européen, qui reste notre priorité absolue.
En traitant de sujets aussi divers que le Brexit, la Chine ou encore la compétitivité, le dernier Conseil européen a porté, au fond, sur la capacité de l’Europe à préserver son unité et à jouer un rôle, à l’avenir, au sein du concert des grandes puissances.
L’Union européenne, hélas ! se fragmente ; elle concentre une grande partie de son énergie sur la gestion du Brexit, alors que des défis immenses l’attendent si elle veut préserver son modèle économique et social, ses valeurs et sa capacité à être un acteur qui compte dans les relations internationales.
Le Brexit, tout d’abord.
Deux ans après le début des négociations, le scénario catastrophe se poursuit, avec les trois hypothèses que vous venez d’évoquer. Pour la troisième fois consécutive, le Parlement britannique a rejeté l’accord de retrait.
Nous attendons la date fatidique du 12 avril – dans dix jours ! – avant laquelle le Royaume-Uni doit proposer une alternative ou se résigner à un no deal, une sortie brutale de l’Union européenne.
L’Union européenne a souhaité que le Royaume-Uni reste maître de son destin, mais nous subirons tous les conséquences de ses choix.
Sur la période 2016-2018, la décision du peuple britannique a déjà fait perdre, mes chers collègues, 6 milliards d’euros aux exportateurs français !
La dépréciation de la livre, le ralentissement de la croissance outre-Manche créent des conditions défavorables qui, malheureusement, vont perdurer.
Sur le plan géostratégique, le Brexit est une aberration. C’est pourquoi nous devrons nous atteler, au cours des prochains mois, à repenser les cadres de la sécurité et de la défense européennes. La dynamique positive observée dans ce domaine depuis quelques années reste néanmoins à confirmer. Le Royaume-Uni doit pouvoir conserver le rôle essentiel qui est le sien dans l’architecture de sécurité et de défense de l’Europe.
La Chine, ensuite.
L’Union européenne semble prendre timidement conscience de l’ampleur des défis posés par la Chine, ce qui n’a malheureusement pas empêché l’Italie de se démarquer de ses partenaires en signant un accord bilatéral avec Pékin. L’unité dont l’Europe devrait pouvoir se prévaloir face à la Chine est mise à mal. Nous le regrettons.
La Chine investit dans le port de Trieste, à 700 kilomètres des frontières de la France. Les routes de la soie se construisent : l’Europe se contentera-t-elle de regarder passer les trains et les navires chinois ?
Partout, la Chine place ses pions à des points stratégiques de la planète. Je l’ai découvert moi-même à Djibouti, qui est un vibrant exemple, où j’accompagnais voilà quinze jours le Président de la République : le nombre de soldats chinois y est estimé à près de 10 000, alors que la France y maintient difficilement 1 400 militaires, malgré notre position historique.
La Chine investit massivement dans des infrastructures civiles et militaires, en échange d’un endettement massif – et donc de dépendance – de ces pays.
C’est une stratégie qu’elle démultiplie à l’envi, invoquant souvent le multilatéralisme, comme le président Xi Jinping l’a fait, ici même, au Sénat, alors qu’elle privilégie, en réalité, des relations bilatérales systématiquement déséquilibrées en sa faveur.
La compétitivité économique de l’Europe, enfin.
L’époque où l’Union européenne avait pour vocation principale de décloisonner le continent pour créer un grand marché est, hélas ! dépassée.
L’Union européenne et les nations qui la composent doivent aujourd’hui assumer collectivement leur place de deuxième puissance économique mondiale. Il faut donc aider nos entreprises à se projeter au niveau international, et non pas les affaiblir en leur appliquant des règles obsolètes.
L’émergence de grands champions européens dans les domaines technologiques d’avenir est un impératif stratégique. L’échec de la fusion d’Alstom et Siemens doit nous servir de leçon pour réformer l’Union européenne.
Face aux grandes puissances économiques que sont la Chine et les États-Unis, la naïveté de l’Europe n’a que trop duré. Elle ne pourra résister et éviter le décrochage qu’en surmontant ses divisions et en regroupant ses forces. C’est dire l’importance de la tâche qui attend l’Union européenne et ses États membres, après l’élection du prochain Parlement européen.
Madame la secrétaire d’État, nous le voyons bien, l’Europe est à un tournant de son histoire. Puissiez-vous parler au nom de la France pour faire prévaloir nos intérêts, mais aussi pour préserver les valeurs d’une Europe qui réponde vraiment aux aspirations de nos concitoyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)