M. le président. Je mets aux voix l’article 7.
(L’article 7 est adopté.)
Chapitre IV
Application outre-mer
˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙
M. le président. Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l’objet de la deuxième lecture.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.
M. Jérôme Durain. Voici venue l’heure où l’on se répète, monsieur le président, mais je pense que ce n’est pas inutile sur un texte de cette importance. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je veux redire – nous avons eu l’occasion de le répéter tout au long du débat – qu’il n’y a dans notre position sur ce texte aucun angélisme. Nous n’avons aucune complaisance à l’égard des casseurs et des violences.
M. François Grosdidier. Mais vous ne proposez rien !
M. Jérôme Durain. Nous avons la ferme conviction qu’il faut soutenir nos forces de l’ordre. Nous ne sommes pas indifférents aux dégâts qui ont été causés. Mais nous ne sommes pas d’accord sur le résultat de ce travail législatif.
M. Jean-François Husson. En somme, vous êtes pour et en même temps vous êtes contre !
M. Jérôme Durain. Nous persistons à penser que ce texte est inutile, imprécis et dangereux.
M. François Grosdidier. Ce n’est pas ce que disent les policiers !
M. Jérôme Durain. Je pense d’ailleurs que dramatiser la situation ne rend service à personne. Dire que nous sommes arrivés à un point, dans l’histoire de ce pays, d’insurrection maximale, et qu’il n’y a jamais eu auparavant de violences de ce niveau-là, c’est dire quelque chose d’inexact – de nombreux exemples ont été donnés tout au long du débat. Dire, en revanche, que la violence que nous connaissons est insupportable et qu’elle doit être condamnée avec la plus grande sévérité, c’est dire quelque chose de juste.
Vous entendre dire, monsieur le ministre – c’est ce que vous avez affirmé quand vous êtes sorti de votre mutisme –, que tous ceux qui sont pour ce texte agissent dans la pureté de leurs convictions, loin des calculs politiques et dans le refus du sectarisme,…
M. François Grosdidier. Et dans le réalisme !
M. Jérôme Durain. … nous laisse quelque peu pantois.
Ce qui nous détermine, moi et mes collègues du groupe socialiste et républicain, ce sont par exemple les propos tenus ce matin par Jacques Toubon, qui parle d’un affaissement des libertés individuelles dans ce pays. Et, puisque vous prétendez que nous ne sommes mus que par des calculs politiciens, je citerai également MM. Mignard et Sureau, qui sont plutôt des soutiens du Gouvernement, M. Charles de Courson, ou encore l’ensemble des collègues des groupes de notre assemblée qui, dans ce débat, sur ce texte, sont partagés. Il n’y a donc pas la vérité et la République, d’un côté, et ceux qui sont dans l’erreur, de l’autre.
Nous pensons – je le répète – que ce texte est une entrave aux libertés de manifestation, d’expression, d’aller et venir, qu’il contient trop d’imprécisions, d’approximations, d’éléments flous, et qu’il n’exclut pas le risque d’arbitraire.
C’est pourquoi notre groupe déposera dès demain matin un recours devant le Conseil constitutionnel. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Bizet. Embouteillage de recours en perspective !
M. Jérôme Durain. Nous nous en remettons aux Sages et nous espérons qu’ils trancheront. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Nous avons bien compris que la majorité sénatoriale voulait voter ce texte conforme.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Nous n’avions rien caché de nos intentions !
Mme Éliane Assassi. Certes, monsieur le président de la commission, mais vous appuyez tout de même sur l’accélérateur.
Quant à vous, monsieur le ministre, permettez-moi de regretter que vous n’ayez pas eu la courtoisie de répondre aux intervenants des groupes à l’issue de la discussion générale, et je ne parle même pas de vos interventions au fil de la discussion des articles et du débat d’amendements.
Bien sûr, il n’y a là aucune obligation.
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas dans notre règlement, et encore moins dans la loi. C’est une question de courtoisie, monsieur le ministre, tout simplement.
Mme Éliane Assassi. Je ne pense pas que l’on puisse me faire l’offense de dire que je ne siège pas suffisamment sur ces travées. Je suis présente, y compris pour des textes qui ne relèvent pas forcément de la compétence de la commission des lois ou de celle de l’aménagement du territoire.
Il est très rare qu’un ministre ne réponde pas aux intervenants des groupes à l’issue d’une discussion générale ; c’est pourquoi je le note. (Marques de lassitude sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Dominique de Legge. On a compris !
Mme Éliane Assassi. Il n’y a aucune volonté de polémique dans cette remarque : c’est un fait. Chers collègues, que vous soyez d’accord ou non n’y change rien.
Sur le fond, loin de la rhétorique, les opposants à ce texte, au nombre desquels figurent les membres de mon groupe, ont porté non seulement leurs convictions, mais aussi la voix de celles et ceux, nombreux aujourd’hui dans le pays, qui pensent que ce texte ne répond en rien aux violences commises par des individus dans les manifestations.
En revanche, monsieur le ministre, ce texte va dissuader d’éventuels manifestants pacifiques de répondre à un appel à manifester.
Mme Éliane Assassi. Ces dernières semaines vous donnent tort.
Mme Éliane Assassi. Que vous le vouliez ou non, avec ce texte, vous portez un nouvel uppercut au droit de manifester dans notre pays.
Mme Éliane Assassi. Si, c’est vrai ! Quand vous aurez l’expérience des manifestations dont nous pouvons nous prévaloir, mes camarades et moi, nous en reparlerons.
M. Jérôme Durain. Et la Manif pour tous ? (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Éliane Assassi. En effet, je ne vous ai pas souvent vu, monsieur le ministre, dans les manifestations !
Je dirai un mot sur la saisine du Conseil constitutionnel par le Président de la République. Pour ma part, je ne considère pas qu’il y a là un manque de correction à l’égard du Parlement et en particulier du Sénat : c’est un acte politique fort.
Toutefois, comme le précise aujourd’hui Olivier Duhamel dans un quotidien du soir, comme on dit, le Président de la République retire de cette saisine un avantage politique et surtout juridique. En effet, quelle que soit la décision du Conseil constitutionnel, la loi s’appliquera sans avoir à affronter le risque d’une QPC, une question prioritaire de constitutionnalité. Voilà où nous en sommes.
M. le président. Je vous remercie de bien vouloir conclure, ma chère collègue.
Mme Éliane Assassi. Je conclus en répondant à M. Retailleau. Cher collègue, avec toute l’estime que j’ai pour vous (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains),…
M. Jean-François Rapin. Quelle révélation !
Mme Éliane Assassi. … la République n’est pas la propriété de quelques-uns ! Nous sommes toutes et tous, ici, des républicains. Par-delà nos désaccords, créons les conditions de la préservation et de la protection de cette République. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Vous avez largement dépassé votre temps de parole, madame Assassi…
La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. Ce texte, qui arrive au terme de son parcours législatif, me paraît une réponse graduée et ciblée à un mode d’action violente qui n’est pas tout à fait nouveau – il a une quinzaine d’années –, réponse analogue à celle par laquelle nous avions su, il y a quelques années, endiguer le mouvement des hooligans. Il ne s’agit donc pas d’une loi de circonstance, à moins de considérer qu’une circonstance peut durer.
Au contraire, cette proposition de loi protège et garantit le droit de manifestation. Elle donne les moyens juridiques de distinguer objectivement le manifestant du casseur et de traiter cette dérive fâcheuse que constituent les casseurs professionnels, dont la raison d’être – je le rappelle – est de détruire tout ce qui s’apparente aux symboles du pouvoir et de l’État et de s’en prendre aux forces de l’ordre comme une cible en soi, avec, parfois, la volonté de tuer.
La responsabilité du Sénat, après qu’il s’est assuré que les principes fondamentaux inhérents au droit de manifester sont bien garantis, est de défendre nos concitoyens contre ceux qui prônent et usent d’une violence froide contre l’État, dévoyant ainsi ledit droit, élémentaire, de manifester.
J’ai eu plaisir à entendre l’acte de contrition de M. Castaner sur sa trajectoire politique personnelle et à constater que, finalement, on peut toujours changer. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Néanmoins, l’examen de ce texte fut surtout l’occasion pour moi de mesurer combien le réel peut se fracasser contre le mur de l’idéologie.
Notre pays, même et surtout après la discussion de cette proposition de loi, demeure l’un des États de droit les plus aboutis s’agissant du respect des droits de manifester et de contester : le pays où les forces de l’ordre sont les plus professionnalisées, où la doctrine d’emploi de la force légitime est la plus soucieuse de préserver l’intégrité humaine et les droits individuels.
Or, malgré toutes les précautions que nous avons prises en donnant différentes garanties, je n’ai entendu de l’autre côté de l’hémicycle – c’est ce qui m’a le plus surpris ce soir – que des fantasmagories, des lubies, qui sont sans doute le produit d’une gauche des années 1970 ou 1980 un peu nostalgique, la logomachie habituelle d’une gauche perdue s’accrochant aux images d’Épinal. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Patrick Kanner. C’est l’ancien monde !
M. François Bonhomme. Voilà le sentiment qui est le mien, ce soir, mes chers amis, à vous entendre parler de « frénésie sécuritaire » ou de « loi liberticide » et confondre des modes d’action catégoriels comme ceux des marins pêcheurs avec ceux auxquels nous devons faire face depuis une quinzaine d’années.
Mme Éliane Assassi. Les marins pêcheurs ont beaucoup cassé, eux aussi !
M. François Bonhomme. Quant au thème de la criminalisation des manifestants, j’y ai vu une simple déclinaison de la même rhétorique.
Je pense au contraire que c’est l’esprit de responsabilité qui a prévalu. Il y va, mes chers collègues, de notre honneur et de notre responsabilité de législateurs que de voter tout ce qui peut contribuer à la défense du droit de manifester et à celle de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour explication de vote.
Mme Laure Darcos. J’ai beaucoup de respect pour mes collègues communistes et socialistes ; je reconnais d’ailleurs, chez certains, l’accent de ceux qui ont vécu des manifestations et été sur des barricades. J’en conçois de l’estime pour eux.
Mme Éliane Assassi. N’exagérons rien !
Mme Esther Benbassa. Cela suffit, les sarcasmes !
Mme Laure Darcos. Je ne le dis pas du tout par ironie !
Mme Esther Benbassa. Ben voyons !
Mme Laure Darcos. Je suis historienne, et certains de vos collègues savent que j’ai même pétitionné pour que L’Humanité continue à exister. Vraiment, vous le voyez, je n’ironise nullement.
Toutefois, je ne comprends absolument pas votre obstruction et votre démagogie depuis le début de l’après-midi.
M. David Assouline. Obstruction ?…
Mme Laure Darcos. Roger Karoutchi l’a dit : nous sommes nostalgiques de l’époque où vos manifestations se passaient de façon pacifique ; elles sont désormais obstruées par les casseurs.
Il faut rappeler, tout de même, que Bruno Retailleau a déposé cette proposition de loi après le 1er mai, jour de la fête du travail ! Pour vous, ça veut dire quelque chose : c’est la fête du salarié. Mais les Black Blocs ont tout détérioré. Nous avons été la risée du monde entier ; mon fils et ses amis ont été terrorisés de voir l’image que nous pouvions montrer de nous-mêmes.
Mme Éliane Assassi. La faute à qui ?
Mme Laure Darcos. Je ne comprends donc pas pourquoi vous n’êtes pas de notre côté pour faire la part des Black Blocs, ces casseurs qui sont là pour semer le chaos, et de ceux qui veulent réellement exprimer quelque chose en manifestant. C’est un point pour moi très important !
Vous dites que les violences existaient auparavant. Mais, à l’ère du tout-image et des réseaux sociaux, la violence est décuplée ; elle devient un engrenage. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme Éliane Assassi. Ce sont les images qui vous ennuient !
M. David Assouline. Interdisez donc les réseaux sociaux !
Mme Laure Darcos. Vous affirmez que notre proposition de loi risque d’aggraver les exactions. Mais celles-ci sont perpétrées par des gens que l’on pourrait arrêter en amont, avant qu’ils ne gâchent les manifestations.
Mme Éliane Assassi. Pourquoi ne le fait-on pas ?
Mme Laure Darcos. Une autre chose me gêne : vous avez à peine eu un mot pour tous nos commerçants et artisans qui, pendant des mois, ont subi cette situation. (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Jérôme Durain. Ce n’est pas vrai !
Mme Éliane Assassi. Vous m’avez mal écoutée !
M. David Assouline. Je suis élu de Paris : comment les aurais-je ignorés ?
Mme Laure Darcos. Lors de la discussion du projet de loi de finances, un vendredi soir, je me souviens avoir vu tout le quartier se barricader, comme en état de siège. Les gens en ont assez !
M. Jean Bizet. C’est vrai !
Mme Laure Darcos. Quand une manifestation est pacifique, les choses se passent très bien. Par ailleurs, toucher à un policier, à un pompier ou à un gendarme était considéré comme gravissime il y a encore quelques années ; aujourd’hui, c’est anodin.
Mme Éliane Assassi. Vous ne vous demandez pas pourquoi ?
Mme Laure Darcos. Les policiers seraient bien plus sereins s’ils faisaient face non pas à des casseurs, mais à des manifestants pacifiques, exprimant simplement leurs revendications.
N’inversez pas les choses, mes chers collègues ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Éliane Assassi. Avec tout mon respect, vous n’avez rien compris. Venez avec nous dans des manifestations pacifiques !
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour explication de vote.
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, vous vous en doutez : les arguments que nous avons entendus ce soir n’ont pas fait évoluer, au sein de notre groupe, les positions des uns et des autres. Certains d’entre nous restent déterminés à voter pour ce texte ou à s’abstenir. La majorité du groupe votera contre.
Aucun amendement n’a été adopté, ce qui coupe court à la navette. Il s’agit, à nos yeux, du fait le plus dommageable, et la rédaction retenue ne permet pas de rassurer la majorité d’entre nous quant à l’applicabilité du texte, quant à sa conformité à notre cadre constitutionnel.
Nos inquiétudes se concentrent toujours sur les articles 2 et 4, pour toutes les raisons que nous avons mentionnées. Nous nous en remettons donc aujourd’hui au Conseil constitutionnel : nous espérons qu’il purgera ce texte de toutes les inconstitutionnalités identifiées, notamment, par notre rapporteur, faute d’avoir pu parvenir à le faire nous-mêmes.
Pour ma part, je n’ai pas le sentiment que les sénateurs du RDSE sont moins républicains que les autres… À mon sens, ils l’ont démontré de manière indéniable : ils ont, chevillée au corps, la défense de la République et des libertés individuelles !
Mme Françoise Gatel. Tout à fait !
Mme Maryse Carrère. Pour ces raisons, je le répète, une grande majorité d’entre nous voteront contre cette proposition de loi. Nous restons intimement persuadés qu’elle n’aura aucun effet face aux difficultés auxquelles nous sommes confrontés actuellement ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – MM. Philippe Bonnecarrère et Loïc Hervé applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Mes chers collègues, le débat qui s’achève a été pluraliste, complet et détaillé ; et, bien que nous n’ayons pas adopté d’amendement, il a permis de clarifier un certain nombre de concepts.
Nous nous accordons tous sur ce point : le droit de manifester est, aujourd’hui, réellement menacé. La récurrence des violences organisées en est la preuve concrète, et elle impose de réagir.
Notre désaccord vient du fait que, pour bon nombre d’entre nous, la justice seule peut mettre fin à ces actes. Or l’expérience nous l’a démontré, en de multiples circonstances : parmi les auteurs de ces violences et de ces destructions, nombreux sont ceux qui parviennent à échapper à une enquête judiciaire complète et, partant, aux condamnations.
D’une part, nous avons légèrement élargi l’arsenal pénal : les dispositions adoptées sont tout à fait proportionnées et limitées. D’autre part, nous avons introduit des mesures de contrôle administratif. À cet égard, j’adresse un rappel à ceux d’entre nous qui s’intéressent à la jurisprudence du Conseil constitutionnel : l’ordre public est un impératif de valeur constitutionnelle. Ce principe est rappelé dans des dizaines de décisions du Conseil constitutionnel.
Dès lors, nous devons veiller à maintenir un équilibre, qui est le fruit de la tradition juridique française : l’ordre public et la sécurité sont assurés par des décisions discrétionnaires de l’autorité publique, sous le contrôle vigilant d’un juge. C’est ce principe que nous avons appliqué à un phénomène que nous voulons entraver, parce qu’il menace la vie démocratique de ce pays.
Avec une nette majorité des membres du groupe que je représente, j’estime donc qu’il faut approuver cette proposition de loi. Non seulement ses dispositions seront appliquées dès que le juge constitutionnel les aura appréciées, mais – tous ceux qui ont l’expérience de quelques alternances le savent –, ce texte sera là pour longtemps ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe de l’Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. En entendant Mme Darcos, on avait l’impression que, si l’on s’opposait à ce texte, l’on trouvait nécessairement normal qu’il y ait des casseurs, qu’il y ait des Black Blocs, qu’il y ait de la violence…
M. Jean-Paul Émorine. Ce n’est pas ce que l’on a dit !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Par fatalisme, l’on estimerait qu’il n’y a rien à faire : non ! Absolument pas ! Nous sommes totalement hostiles à de telles violences, qui, la plupart du temps, disqualifient les causes de manifestations auxquelles, parfois, nous participons.
Nous posons simplement les questions suivantes : comment faire, concrètement, pour éviter de tels actes ? Quel prix sommes-nous prêts à faire payer à la société française, au titre des droits fondamentaux et des libertés publiques, pour contrecarrer l’action d’une très petite minorité, fût-elle très dangereuse ? Voilà l’enjeu ; c’est une question d’équilibre.
M. Richard vient de dire : pour ceux qui sont comptables de l’ordre public, la sécurité ouvre le champ des décisions discrétionnaires. Mais la loi doit l’encadrer ! Or qu’observe-t-on ? Que, de plus en plus, le champ discrétionnaire s’accroît ; que l’on n’est pas plus efficace pour combattre la violence ; et que, petit à petit, s’érodent les principes sur lesquels se fonde la confiance en la République. Les droits et libertés individuels, ces biens qu’il faut à tout prix préserver, sont menacés dans le monde d’aujourd’hui.
Chers collègues de la majorité sénatoriale, vous nous dites : « Vous êtes la vieille gauche des années soixante-dix. » Moi, je n’ai pas honte de représenter la vieille gauche, celle des principes de Jaurès !
Jaurès, déjà, s’opposait à la droite. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Grosdidier. Jaurès, ce n’est pas les années soixante-dix ! Vous confondez avec Jean-Paul Sartre.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il s’indignait quand, sous prétexte de lutter contre les violences, l’on enfermait les meneurs des mouvements ouvriers !
Nous poursuivons un vieux combat, face au parti de l’ordre,…
M. Guy-Dominique Kennel. Bonjour la caricature !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. … qui a toujours peur de celui qui revendique ses droits !
De votre côté, vous représentez bien la droite d’aujourd’hui ; celle qui fait de complaisantes courbettes en direction du Front national… (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Oh !
M. François Bonhomme. Voilà ! Vous confirmez ce que nous disions !
M. Alain Joyandet. C’est vous, la gauche, qui avez fait monter le Front national pour tenter de gagner les élections !
M. David Assouline. Et Sarko ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je préfère la droite de M. de Courson, je préfère la droite qui s’en tient aux principes fondamentaux de notre République, à celle qui cède à la facilité et qui, finalement, sombre dans l’impuissance, que ce soit devant les thèses de l’extrême droite ou devant les casseurs !
M. François Grosdidier. Quelle caricature !
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. David Assouline. Je connais Mme Darcos et je sais qu’elle est profondément républicaine. Mais, parfois, on veut faire un peu de zèle dans l’hémicycle et l’on dérape.
M. Guy-Dominique Kennel. Qui a dérapé ?
M. David Assouline. Très franchement, on ne peut pas dire des élus parisiens qu’ils n’ont pas eu un mot pour les commerçants : Paris, c’est ma ville, notre ville, et elle a été, jour après jour, la proie des destructions.
M. François Bonhomme. Parmi d’autres villes !
M. David Assouline. Mes chers collègues, chaque samedi après-midi depuis des semaines, j’appelle plusieurs fois mon fils pour savoir où il est, s’il n’est pas pris dans une nasse, s’il n’est pas confronté à tel ou tel acte de violence.
Ce qui est arrivé à un philosophe, personnage public reconnaissable dans la rue, peut nous arriver à nous-mêmes : à ce moment de la semaine, en se promenant dans les rues, on peut être pris à partie par des énergumènes, dont je précise que ce n’étaient pas des Black Blocs.
M. François Bonhomme. En effet !
M. David Assouline. Très souvent, ces individus agissent même à visage découvert ; mais ils se révèlent très dangereux ! Ils s’attaquent aux élus, aux juifs, à tout ce qui peut incarner la démocratie.
C’est une erreur que de croire qu’avec une telle proposition de loi vous allez juguler ce phénomène français, européen et même mondial.
M. François Grosdidier. Alors, on ne fait rien ?
M. David Assouline. Si, cher collègue, mais ne croyez pas que ce texte va changer la situation : c’est une illusion !
Là est notre désaccord. Selon nous, une telle législation risque même de nous affaiblir face à ce phénomène. Notre drapeau, ce qui fera notre force pour résister à ceux qui veulent remettre en cause la démocratie, ce sont nos libertés, ce sont les principes fondamentaux de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ils sont à la base de notre Constitution et, parmi les droits fondamentaux, figure notamment le droit de manifester.
Je le dis et je le répète : c’est avec nos principes que nous résisterons le mieux à ces gens-là !
Ne faisons à personne le procès d’être plus ou moins républicain.
M. François Grosdidier. On ne fait que cela !
M. David Assouline. Monsieur Grosdidier, malheureusement, ce combat est devant nous, et nous verrons, y compris dans cet hémicycle, qui consacrera toute son énergie à la défense de la République, dans les moments les plus dangereux pour nous et pour elle !
Quoi qu’il en soit, il faut briser l’engrenage. Hier, les terroristes ont fait subir des épreuves inouïes à notre démocratie.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. David Assouline. Aujourd’hui, la question se pose d’une autre manière. (Marques d’impatience sur des travées du groupe Les Républicains.) Mais la réponse, c’est toujours la défense de la démocratie et de nos principes fondamentaux !
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote. (Mme Esther Benbassa s’exclame.)
Mme Françoise Gatel. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, ici, nous sommes tous des républicains.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !
Mme Françoise Gatel. Depuis le début de nos débats, chacun, à sa façon, défend les valeurs de la République. Je le salue, en toute sincérité : nos valeurs sont notre honneur, celui de notre République ; elles sont aussi notre force.
Néanmoins, précisément parce qu’elles sont notre honneur, sachons également reconnaître, avec tristesse, avec regret, avec nostalgie, monsieur Assouline, que la société a profondément changé et que nos valeurs sont aujourd’hui attaquées ; quelques malfaisants en viennent à vouloir leur destruction : ce sont des ennemis de la démocratie, et leur seul but est de l’ensevelir.
Défendre nos valeurs, c’est aussi accepter que certains d’entre nous osent agir différemment, avec force, en s’opposant à ces malfaisants, à ces démolisseurs de la démocratie, qui instrumentalisent nos libertés et manipulent ceux qui utilisent leur droit de manifester, droit que nous devons protéger.
Comme d’autres, je citerai le territoire dont je suis l’élue. J’ai en tête le souvenir de samedis tragiques dans la ville de Rennes. J’ai l’image de saccages, de manifestations, d’agressions contre des policiers, dans le sillage des mouvements de Notre-Dame-des-Landes, contre le projet de réforme du droit du travail, ou dans le cadre des manifestations actuelles. Je l’affirme : ces casseurs sont les professionnels d’une guérilla que nous n’osons pas nommer, parce que nous refusons d’admettre que de tels faits puissent se produire.
Aussi, malgré la fragilité constitutionnelle de cette proposition de loi, telle qu’elle est revenue de l’Assemblée nationale et telle que la commission des lois l’a adoptée, nombre de mes collègues centristes et moi-même voterons ce texte.