M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 27.
Mme Éliane Assassi. Vous le savez, nous nous opposons à une peine complémentaire d’interdiction de manifester.
Par ailleurs, nous ne pouvons que constater que l’article 6 bis est largement satisfait par l’article 6. En effet, à partir du moment où une peine complémentaire d’interdiction de manifester est prononcée, il n’y a pas grand sens à inscrire cette mesure dans le cadre du contrôle judiciaire.
Enfin, la définition extrêmement large des manifestations sur la voie publique laisse à penser que cette mesure contrevient au principe de proportionnalité de la peine et aux libertés fondamentales.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous proposons la suppression de cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. L’amendement n° 15 tend à supprimer l’article 6 bis introduit par l’Assemblée nationale, qui tend à autoriser le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention à prévoir une interdiction de manifester dans le cadre d’un contrôle judiciaire.
Sur le fond, cette mesure nous paraît opportune, car elle permettra de réduire rapidement le risque de réitération lorsqu’un individu est mis en cause pour des violences ou des dégradations dans une manifestation. Pour la personne placée sous contrôle judiciaire, cette interdiction sera moins contraignante que l’actuelle interdiction de se rendre dans certains lieux, puisqu’elle visera seulement le fait de manifester. La mesure adoptée par l’Assemblée nationale ne nous paraît donc pas redondante avec le droit en vigueur.
Sur la forme, on peut regretter effectivement qu’une coordination n’ait pas été faite pour autoriser l’interpellation de la personne qui violerait cette interdiction de manifester. Cependant, nous ne pensons pas que cette imperfection, sur un point assez secondaire du texte, justifie de prolonger la navette parlementaire.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
S’agissant de l’amendement n° 27, contrairement à ce que vous laissez entendre, madame Assassi, l’article 6 bis n’est pas satisfait par les dispositions de l’article 6. En effet, ce dernier porte sur la peine complémentaire d’interdiction de manifester, qui peut être prononcée par le tribunal. En revanche, la mesure visée à l’article 6 bis intervient au stade du contrôle judiciaire : il s’agit d’une mesure de sûreté prononcée avant jugement.
La commission est donc également défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Je voudrais savoir, monsieur le ministre, si vous vous adresserez au Sénat d’ici à la fin de la soirée.
Prendrez-vous part au débat ou vous contenterez-vous de déléguer votre avis à Mme la rapporteure ? À un moment donné, il faut assumer sa politique ! Allez-vous défendre votre point de vue ? Allez-vous déléguer ou assumer votre politique ?
M. Pascal Savoldelli. Je sais bien que votre parcours politique est quelque peu « caméléon »…
M. François Grosdidier. C’est le poisson rouge ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Savoldelli. Toutefois, avez-vous l’intention d’assumer vos positions ?
M. Pascal Savoldelli. Je le répète, allez-vous vous exprimer ce soir ?
M. le président. La parole est à M. le ministre. (Ah ! sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. Christophe Castaner, ministre. Si M. Savoldelli avait participé à la totalité de nos travaux et était venu cette après-midi, peut-être aurait-il eu le plaisir de m’entendre. Il a fait un choix différent, que je respecte parfaitement.
Monsieur le sénateur, je vous invite a minima, au-delà des désaccords qui peuvent nous opposer, à respecter la personne que je suis.
M. Pascal Savoldelli. En quoi ne l’ai-je pas respectée ?
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Mon intervention relèvera non pas d’une mise en cause personnelle, mais d’une appréciation du débat.
Il est assez surprenant que, sur un texte issu de la droite sénatoriale – il faut rendre à César ce qui appartient à César –, alors que M. Nunez a remarqué à plusieurs reprises que des dispositions de cette loi remettaient en cause les libertés fondamentales – allez vérifier dans le compte rendu intégral des débats ! –, le Gouvernement n’ait rien à dire, sinon son accord avec la droite sénatoriale, sans justifier ni corriger sa position, sans expliquer le cheminement intellectuel lui ayant permis de transformer ce qui était injuste hier en ce qui est juste aujourd’hui.
Je me permettrai d’avancer une explication. Vous avez conscience de la fragilité du dispositif. Dans la mesure où le chef de l’État a saisi le Conseil constitutionnel, nous marchons sur des œufs. Ainsi, tout propos non millimétré du ministre de l’intérieur pourrait fragiliser la position du Gouvernement qui sera examinée par le Conseil constitutionnel.
Vous avez donc décidé de ne rien dire, si ce n’est dans votre intervention liminaire, de peur de déstabiliser la situation. Je me trompe peut-être, mais je m’efforce d’interpréter votre silence.
Quoi qu’il en soit, c’est le signe que, depuis le début, vous avez chevauché ce texte pour des raisons de circonstance. Lors de la première manifestation des « gilets jaunes » en novembre, il y a eu un dérapage, vous n’avez pas maîtrisé la situation. Nous avons tous eu peur, car les manifestants n’étaient pas loin de l’Élysée. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Grosdidier. C’est n’importe quoi !
M. David Assouline. Vous réagissez de façon non maîtrisée à une situation qui vous a échappé. Ce texte relève de cette absence de maîtrise.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre. Monsieur Assouline, vous présidiez la séance lorsque je me suis expliqué longuement, et pas seulement dans le cadre de mon intervention liminaire.
À la reprise de la séance à vingt et une heures trente, je me suis exprimé sur l’article 2, qu’il me semblait nécessaire de caractériser pour répondre à l’ensemble des éléments avancés.
Je veux préciser la position du Gouvernement, qui avait été portée par M. Nunez ici présent. C’était un avis de sagesse sur le vote et un rendez-vous. Cela se passait, monsieur le sénateur, bien avant le mouvement des « gilets jaunes ». Nous étions dans un autre contexte.
M. Nunez avait fixé un rendez-vous à la représentation nationale le 15 janvier suivant. Il avait indiqué que, sur un certain nombre de sujets, un groupe de travail interne aux deux ministères, celui de la justice et celui de l’intérieur, devait avancer. Nous avons été au rendez-vous le 15 janvier 2019. Nous avions suffisamment œuvré pour pouvoir nous prononcer sur le sujet. Nous avons éclairé les travaux, en prenant position, notamment devant la commission.
Ensuite, monsieur le sénateur, vous avez indiqué que je m’alignais sur la droite sénatoriale. Pardonnez-moi, mais je pensais m’aligner sur la commission des lois qui a travaillé sur ce sujet. D’ailleurs, cela ne me gêne pas, non seulement de m’aligner sur le travail de la commission, mais aussi de penser qu’un texte, parce qu’il est porté par quelqu’un qui ne partage pas ma couleur politique, n’est pas, par nature, mauvais.
Comme vous, j’ai vécu suffisamment longtemps au parti socialiste pour avoir, très souvent, le sentiment d’être l’otage d’un certain nombre de conditions. Ainsi ne nous posions-nous qu’une seule question face à un interlocuteur : est-il de droite ou de gauche ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
La réponse a systématiquement conditionné de très nombreux votes auxquels j’ai participé.
M. Michel Raison. Quel aveu ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christophe Castaner, ministre. Aujourd’hui, monsieur le sénateur, j’ai la liberté de me poser une seule question : le texte présenté par M. Retailleau, adopté en première lecture par le Sénat, permet-il d’améliorer la situation, grâce à une meilleure gestion des crises et des comportements de grande violence ? J’ai le sentiment, que l’on peut ne pas partager, que la réponse est oui. C’est la raison pour laquelle je suis venu en début d’après-midi vous présenter la position du Gouvernement. C’est également la raison pour laquelle je suis intervenu plusieurs fois pour la préciser.
Si vous le souhaitez, je peux parfaitement répéter mes propos, comme je l’ai fait à la reprise de la séance, à un moment où, certes, il y avait un peu moins de monde dans l’hémicycle, me semble-t-il. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Je vous remercie, monsieur le ministre, de sortir de votre mutisme. Permettez-moi de vous rappeler les propos de M. Retailleau,…
M. Jackie Pierre. De beaux propos !
M. Pierre Ouzoulias. … qui achevait son intervention liminaire en affirmant que le Gouvernement avait une pensée complexe. Elle est d’ailleurs tellement complexe que je suis perdu et ne sais plus qui est l’auteur de la proposition de loi que nous examinons ce soir…
Je regarde fidèlement Public Sénat, qui est une excellente chaîne, parfaitement rigoureuse, et sur laquelle, monsieur Retailleau, vous êtes intervenu juste après le vote de votre proposition de loi à l’Assemblée nationale. Je vous cite : « L’Assemblée nationale a totalement dénaturé, dévitalisé le texte de la loi. Autant ne pas en faire que de faire une loi qui ne servirait à rien du tout ! » Donc, si je comprends bien, monsieur le ministre, vous défendez ici une loi qui ne servira à rien du tout.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Je ne résiste pas au plaisir de répondre !
Monsieur Ouzoulias, j’ai effectivement tenu de tels propos au moment où la commission des lois de l’Assemblée nationale avait totalement détricoté et profondément dénaturé le texte. J’avais alors exprimé un constat objectif. De la même manière, lorsque j’ai eu connaissance du vote intervenu à l’Assemblée nationale en séance publique, j’ai acté le fait qu’un certain nombre d’éléments que je désignais comme étant le cœur du sujet, notamment le délit de dissimulation et d’autres mécanismes de prévention, avaient été, heureusement, sauvegardés.
Chacun ici connaît mes convictions. Parmi vous, mes chers collègues, je ne suis pas le dernier à dénoncer, lorsque je ne suis pas d’accord, la politique du Gouvernement. Chacun peut s’en rendre compte, chacun peut m’en donner acte.
Cependant, je rejoins le ministre de l’intérieur pour dire que, lorsque nous sommes confrontés à des violences, lorsqu’il s’agit de quelque chose d’essentiel comme la République, les républicains doivent se serrer les coudes.
Mme Éliane Assassi. La République ne vous appartient pas !
M. Bruno Retailleau. En effet, les Black Blocs, ces minorités violentes, avaient, au mois de décembre dernier, des visées insurrectionnelles. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Parfois, la République peut être mise en danger, et c’est l’honneur des républicains et des élus de la République que de la défendre. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 15 et 27.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 28, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – L’article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Après le mot : « public », la fin du premier alinéa est ainsi rédigée : « elle saisit le juge des libertés qui peut prononcer son interdiction. Cette saisine s’effectue soit au maximum trois jours francs avant le début de la manifestation concernée lorsque celle-ci a été déclarée plus de quatre jours francs avant sa date de tenue, soit au maximum deux jours francs lorsque celle-ci a été déclarée trois jours francs avant sa date de tenue. En cas d’urgence absolue et d’élément nouveau établissant un risque réel et sérieux de troubles graves à l’ordre public, l’autorité investie du pouvoir de police peut toutefois saisir le juge des libertés et de la détention qui a obligation de statuer avant le début de la manifestation concernée. » ;
2° Le deuxième alinéa est ainsi modifié :
a) À la première phrase, les mots : «, dans les vingt-quatre heures, » sont remplacés par le mot : « immédiatement » ;
b) À la seconde phrase, après le mot : « échéant, », sont insérés les mots : « dans les vingt-quatre heures suivant la réception de la déclaration de manifestation concernée, ».
II. – Le premier alinéa de l’article L. 332-16-1 du code du sport est complété par une phrase ainsi rédigée : « L’arrêté est prononcé au plus tard cinq jours francs avant la date prévue du déplacement individuel ou collectif et est notifié immédiatement aux personnes physiques mentionnées aux articles L. 224-1 et L. 224-3. »
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Cet amendement vise à la fois à renforcer la liberté de manifestation, qui est l’objet de ce texte, si j’ai bien compris, et de consolider les impératifs de sécurité publique, ce qui est l’autre objet de ce texte, si j’ai toujours bien compris.
Aujourd’hui, deux problèmes se posent. Le premier, vous l’avez signalé, monsieur le ministre, concerne la liberté de manifestation, qui est une valeur constitutionnelle. Nous regrettons que l’interdiction de manifester puisse être décidée par une seule personne, à savoir le préfet. Il nous semble important que la justice puisse aussi donner son avis et s’exprimer sur les éventuels recours qui seraient opposés à la décision du préfet.
Le second problème est lié aux recours, dans la mesure où il n’est prévu aucune restriction temporelle à la déclaration d’interdiction. De ce fait, malgré la possibilité d’un référé-suspension, les organisateurs des manifestations ou des déplacements collectifs, quand il s’agit de manifestations sportives, sont rarement en mesure d’exercer leurs droits.
Par ailleurs, nous l’avons déjà dit à plusieurs reprises au cours de cette soirée, il convient d’engager une véritable réflexion sur les interdictions administratives de déplacements dans le cadre de manifestations sportives.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Cet amendement vise à confier au JLD, le juge des libertés et de la détention, le pouvoir d’interdire une manifestation. Ce pouvoir appartient aujourd’hui à l’autorité administrative, c’est-à-dire au préfet, sous le contrôle du juge administratif.
Une manifestation ne peut être interdite que si le maintien de l’ordre est absolument impossible. Il s’agit donc d’une mesure prise en dernier ressort et, dans les faits, très rarement décidée. Confier cette compétence au JLD porterait atteinte au principe de la séparation des pouvoirs et entraînerait une regrettable confusion. Un juge des libertés et de la détention est mal placé pour apprécier si les moyens dont dispose la préfecture sont suffisants pour garantir, ou non, le maintien de l’ordre.
Il nous paraît donc préférable de conserver l’organisation actuelle, ce qui a conduit notre commission à émettre un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christophe Castaner, ministre. Je suis du même avis.
Le Sénat est très attaché à la responsabilité des maires, et j’ai moi-même été maire pendant seize ans. Aussi, j’ajoute que l’adoption de cet amendement priverait les maires d’une compétence, en supprimant le pouvoir dont ils disposent, au titre de l’article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure, d’interdire des manifestations.
Il eût été malvenu que, devant cette assemblée, je ne m’exprime pas pour défendre le pouvoir des maires…
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l’article 6 bis.
(L’article 6 bis est adopté.)
Chapitre III
Responsabilité civile
Article 7
(Non modifié)
Après le premier alinéa de l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’État peut également exercer une action récursoire contre les auteurs du fait dommageable, dans les conditions prévues au chapitre Ier du sous-titre II du titre III du livre III du code civil. »
M. le président. La parole est à M. François Grosdidier, sur l’article.
M. François Grosdidier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me suis brièvement absenté, pendant l’interruption de séance, pour me rendre au Trocadéro, aux côtés des policiers en colère, qui organisaient une manifestation quatre mois jour pour jour après le décès de Maggy Biskupski. Cette dernière fut présidente de l’association « Mobilisation des policiers en colère ».
Ils regrettent que leur cause ait peu avancé depuis qu’ils la défendent et que les propositions de la commission d’enquête sénatoriale sur l’état des forces de sécurité intérieure aient été si peu suivies.
Ils s’interrogent d’ailleurs sur la commission d’enquête similaire créée à l’Assemblée nationale, se demandant si sa vocation ne serait pas plutôt d’éviter d’enquêter – une commission d’enquête de ce genre a été inventée sur un autre dossier… – ou si elle n’est qu’un prétexte pour gagner six mois ou un an avant de mettre en œuvre les mesures que les policiers appellent de leurs vœux.
Ils sont évidemment de tout cœur avec nous ; ils m’ont répété combien il était important que la République se dote d’un arsenal juridique nouveau et adapté, pour faire face à ces menaces récurrentes et à ces actes de violence dont ils font systématiquement l’objet, à chaque manifestation.
Nous avons adopté des mesures pour une meilleure prévention, pour empêcher les casseurs récurrents de participer aux manifestations et pour mieux les sanctionner. Il s’agit maintenant de traiter la question de la responsabilité.
En cette matière comme en d’autres, frapper au portefeuille est très souvent le moyen le plus efficace d’endiguer la délinquance. On a bien vu que, dans ces manifestations, l’irresponsabilité régnait : l’irresponsabilité, en particulier, de ceux qui, sans être organisateurs à proprement parler, lançaient les mots d’ordre de mobilisation. Et, très souvent, les dégradations commises – les montants en jeu étaient pourtant considérables – l’ont été sans que personne ne voie sa responsabilité civile engagée.
C’est là justement un point très important de la proposition de loi déposée par Bruno Retailleau : la possibilité d’engager la responsabilité civile des casseurs.
Même si cela choque certains à gauche, droite et gauche se retrouvent souvent sur les idées de liberté, d’égalité et de responsabilité. Parmi ces notions, néanmoins, l’une est en quelque sorte la marque de fabrique de la droite : la responsabilité. Nous pensons en effet que les individus sont responsables de leurs actes – les individus en général, et pas seulement les délinquants : je rappelle que c’est sur l’initiative du président Retailleau que nous avons inscrit dans le code civil la responsabilité écologique et le principe du pollueur-payeur.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. François Grosdidier. Il est donc temps d’instituer le principe de la responsabilité du casseur-payeur ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.
M. David Assouline. Quelque chose a été dit que l’on ne peut laisser sans réponse : M. Retailleau, et aussi, d’une certaine façon, M. le ministre, nous a dit que ce débat avait lieu entre les républicains et les autres.
M. David Assouline. Si, c’est à peu près ce que vous avez dit.
Il est normal, monsieur le ministre, que vous puissiez soutenir une proposition républicaine émanant de la droite. Et M. Retailleau a usé des mêmes arguments que vous pour défendre la République.
Je veux dire d’emblée qu’il n’y a sur ce point aucun débat entre nous dans cet hémicycle. Certains, dehors, sont contre la République. Il s’en trouve même ici, dans notre assemblée, mais ils ne siègent que rarement, en tout cas jamais tard dans la nuit… Mais nous, ici, sommes tous républicains. Et notre débat porte sur les meilleurs moyens de défendre la République.
M. François Grosdidier. Certains la défendent plus que d’autres !
M. David Assouline. J’ai dit quel était mon point de vue : le meilleur moyen pour défendre la République et la démocratie, dans cette situation, est de renforcer notre arsenal de libertés publiques et de libertés individuelles, plutôt que de l’affaiblir. C’est cet arsenal, en effet, que les casseurs testent, comme le font les terroristes : ils cherchent à alimenter le cycle provocation-répression et à provoquer les dérapages. Leur but est que nous abandonnions nos principes et nos lois démocratiques.
C’est là mon point de vue ; je ne conteste pas que des républicains puissent en avoir un autre. Voilà pour le débat qui a lieu dans cet hémicycle.
Monsieur le ministre, sur ADP et la privatisation des aéroports, je n’ai aucun problème à être du même avis que la droite républicaine contre votre projet de loi. Je ne saurais donc vous reprocher, sur le sujet qui nous occupe aujourd’hui, de rejoindre ladite droite.
Je dis simplement que, de fait, vous avez commencé par contester cette proposition de loi venue de la droite.
M. David Assouline. Et je n’ai pas compris le cheminement intellectuel qui vous a conduit à la reprendre, si ce n’est que la conjoncture vous y enjoignait. Loi de circonstance, donc : c’est cette critique que j’ai développée. Tel est mon point de vue, mon analyse, sur ce qui s’est passé. Et je vous demandais de dire davantage, à titre d’explication, qu’un simple « d’accord avec la commission », afin que nous comprenions votre cheminement intellectuel et les raisons de votre revirement.
Je souhaitais simplement remettre les idées en ordre s’agissant du débat qui opposerait les défenseurs de la République à ses contempteurs. Il est légitime d’évoquer ce débat. Mais, me semble-t-il, le chemin que vous empruntez aujourd’hui n’est pas le bon pour défendre la République et la démocratie. Nous en reparlerons demain : ce combat n’est pas derrière nous ; il est devant nous !
M. le président. L’amendement n° 30, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. C’est une citoyenne responsable qui propose en cet instant la suppression de cet article 7.
Si la jurisprudence a reconnu dès 1975 le principe de la responsabilité in solidum en dehors de la responsabilité collective conventionnelle ou contractuelle, ce principe doit être manié avec une extrême prudence. En effet, l’exigence de « faute collective » et de participation à cette dernière est difficilement lisible et contrevient dans de nombreux cas aux articles 1240 et 1241 du code civil. Le principe de la faute collective constitue une exception à la règle de responsabilité individuelle instituée par ces deux articles.
Or le présent article prévoit de renvoyer la prise de décision en matière d’action récursoire à l’État, et non à la justice. Il supprime en effet l’un des garde-fous aujourd’hui applicables, celui d’une responsabilité collective déterminée par le juge, qui procède à une mise en responsabilité via une condamnation pénale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Madame Assassi, votre amendement vise à supprimer l’article 7, au motif que celui-ci établirait une présomption de responsabilité civile collective.
J’aimerais attirer votre attention, et celle de l’ensemble de nos collègues, sur le fait que les travaux de notre commission ont fait disparaître du texte toute référence à une notion de responsabilité collective,…
M. Alain Richard. Absolument !
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. … afin de garantir sa conformité avec nos règles constitutionnelles et avec les grands principes de la responsabilité civile.
Ainsi, une action récursoire ne pourra être engagée contre les manifestants à l’origine des dommages qu’en présence d’un fait générateur de responsabilité, d’un préjudice réparable et d’un lien de causalité entre le fait et ce préjudice.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christophe Castaner, ministre. Nous pourrions être parfaitement d’accord, madame Assassi, si ce que vous indiquez correspondait à la réalité du texte ; or tel n’est pas le cas.
Il ne faut pas confondre faute collective et responsabilité solidaire. Cette proposition de loi ne caractérise aucune faute collective, ni même n’engage cette notion. Elle fait en revanche référence au principe de la responsabilité solidaire.
Il ne s’agit donc nullement ici, comme vous le dites, de la mise en œuvre d’un principe de faute collective, mais plutôt de la traduction d’un principe en vertu duquel tout fait dommageable engage la responsabilité de celui qui en est l’auteur et, en cas de pluralité d’auteurs, leur responsabilité solidaire.
L’article 7 ne porte que sur ce volet-là. Il est important de préciser que cela impliquera, dans tous les cas, que la responsabilité de l’auteur ou des auteurs soit identifiée par une condamnation pénale préalable et par d’autres moyens de preuve permettant de démontrer leur implication personnelle dans ces dommages. Il n’existe, en la matière, aucun risque d’arbitraire, les intéressés pouvant toujours contester leur mise en cause.
Voilà ce que dit le texte : il s’agit du principe du casseur-payeur, et seulement de celui-ci. La dimension collective ne porte en réalité que sur cette définition de responsabilité solidaire dans l’hypothèse où il existe une pluralité de responsables et où il est établi que chacun d’entre eux a contribué au fait sur lequel sa responsabilité est engagée.
A contrario, évidemment, j’aurais rejoint votre position, madame la sénatrice, si la notion de faute collective avait été en jeu dans ce texte.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.