Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, j’aimerais avant toute chose saluer l’esprit de ce texte, comme j’ai déjà eu l’occasion de le faire devant la commission des lois.
Les sapeurs-pompiers, volontaires, professionnels ou militaires sont des femmes et des hommes aguerris, investis, passionnés. Ils sont prêts à prendre tous les risques pour les autres, pour intervenir dans les drames, face au feu ou face aux accidents de la vie.
Ce début d’année nous l’a encore tristement rappelé : depuis le 1er janvier, quatre sapeurs-pompiers sont morts en intervention, et il y a deux semaines deux sapeurs-pompiers ont été grièvement blessés en combattant le feu à Aulnay-sous-Bois. Ce terrible accident intervenait d’ailleurs au moment même où votre commission se réunissait pour examiner ce texte. Ces drames nous rappellent durement le caractère exceptionnel de l’engagement des sapeurs-pompiers et nous imposent, évidemment, de défendre ces derniers en toutes circonstances.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui part d’un constat réel et préoccupant. Dans certains quartiers comme lors de leurs interventions du quotidien, les sapeurs-pompiers sont parfois pris pour cible. Ils sont victimes d’insultes, quelquefois d’attaques. Ils peuvent être gênés alors qu’ils tentent d’intervenir.
Dans de telles circonstances, les conditions d’intervention des sapeurs-pompiers sont difficiles, et l’exercice de leur mission rendu périlleux. Surtout, ces agressions sont inacceptables vis-à-vis de ceux dont la seule mission est de sauver et de protéger.
Je voudrais toutefois que nous refusions ensemble de céder à la facilité qui consisterait à blâmer exclusivement les habitants de tel ou tel quartier ou des contextes de violences urbaines. Cela se produit, bien sûr, et il ne s’agit pas de le nier. Mais beaucoup des atteintes et des agressions qui visent les sapeurs-pompiers ont lieu en raison d’une détresse sociale ou psychologique qui n’est pas l’apanage des quartiers dits sensibles. Les violences et les agressions sur les sapeurs-pompiers se déroulent parfois même en marge d’accidents de la route.
J’aimerais donc commencer cette intervention par un message de fermeté, dont je sais qu’il est partagé sur toutes les travées de cet hémicycle : quel que soit le contexte, quel que soit le lieu, toute agression contre les sapeurs-pompiers est inadmissible, inqualifiable. Leurs auteurs devront être trouvés, poursuivis et punis.
Mme Catherine Troendlé. Absolument !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Nos sapeurs-pompiers doivent être parfaitement protégés.
Parmi les protections nécessaires, je suis d’accord avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, il nous faut trouver les moyens de prévenir les représailles dont les sapeurs-pompiers pourraient être victimes après une intervention. L’engagement des sapeurs-pompiers ne s’arrête pas à la fin de l’intervention : ils doivent savoir que nous nous engageons à les protéger et les défendre avant, pendant et après leurs interventions.
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Cependant, et c’est un regret, je ne suis pas en mesure aujourd’hui de soutenir devant vous cette proposition de loi, dont je crains qu’elle ne parvienne pas réellement à atteindre ses objectifs. Nous avons déjà eu l’occasion d’en débattre en commission.
Le rapporteur l’a rappelé, une première version de cette proposition de loi avait été déposée par le président Kanner, que je salue. Elle aurait ouvert la voie à un dépôt de plainte anonymisé pour les sapeurs-pompiers victimes d’agressions en raison de leur fonction. Nous en avons discuté ensemble en commission et nous avons partagé le constat que le texte, tel qu’il était présenté, pouvait porter atteinte assez durement aux droits de la défense et qu’il présentait un risque important d’inconstitutionnalité.
Aussi, vous avez décidé de modifier la proposition de loi en commission et par un amendement que vous avez adopté, le texte que nous examinons prévoit désormais d’étendre la procédure de témoignage anonyme prévue à l’article 706-58 du code de procédure pénale à toutes les procédures portant sur une infraction commise sur un sapeur-pompier.
Cette nouvelle rédaction du texte ne paraît toujours pas satisfaisante.
Tout d’abord, ce nouvel amendement ne protège pas spécifiquement les sapeurs-pompiers victimes d’agressions. Il permettrait à tout témoin dans une procédure impliquant une agression sur un sapeur-pompier de témoigner sous X, quelle que soit la gravité de l’infraction commise.
Je viens de le rappeler, je partage évidemment la préoccupation de chacun de protéger les témoins, mais cet impératif doit être concilié avec l’atteinte portée aux droits de la défense.
Aujourd’hui, le législateur a décidé d’un seuil de peine de prison encourue au-dessus duquel un témoignage sous X est possible.
Ce seuil portait à l’origine sur les peines supérieures à cinq ans d’emprisonnement, il a été baissé en 2002 aux peines supérieures à trois ans. L’étendre à toutes les infractions, sans aucune exception en dessous de ce seuil, tel que la proposition de loi le prévoit, porterait – je le crois – atteinte au principe de proportionnalité et à l’équilibre fondamental entre la protection des témoins et les droits de la défense. Permettez-moi donc de douter de la constitutionnalité de la proposition de loi en l’état.
Ensuite, le droit actuel ne connaît aucune dérogation spécifique aux règles de témoignage sous X. C’est la vocation même du droit pénal d’être universel, de fixer des règles pour tous sans risquer de créer des exceptions au gré des événements ou des situations. Je crois qu’il serait difficile, en l’état actuel des choses, de justifier une exception centrée sur les sapeurs-pompiers, aboutissant à ce que, pour des infractions de même gravité, les témoins dans les affaires les concernant bénéficient d’une protection supérieure aux témoins dans d’autres affaires.
Je ne suis donc pas certain que cette proposition de loi parvienne à atteindre son objectif et à renforcer plus encore la protection des sapeurs-pompiers.
Comme vous le savez, le droit pénal prévoit déjà des protections supplémentaires qui touchent, elles, directement les sapeurs-pompiers.
Je pense notamment à des peines encourues plus lourdes lorsque la victime est sapeur-pompier dans les cas de meurtre, d’actes de torture et de barbarie, de violences ayant entraîné une incapacité plus ou moins longue, de violences commises avec usage ou menace d’une arme ou d’embuscade. Je note que ces crimes et ces délits sont tous répréhensibles d’une peine supérieure à trois ans d’emprisonnement lorsque la victime est sapeur-pompier, et donc qu’en l’état actuel du droit les témoins peuvent d’ores et déjà témoigner sous X dans toutes ces procédures.
Mesdames, messieurs les sénateurs, encore une fois, je comprends bien votre préoccupation de protéger nos sapeurs-pompiers : croyez bien que, avec tout le Gouvernement, je la partage totalement.
Je veux rappeler les nombreuses initiatives qui ont déjà été lancées pour nous assurer qu’aucune agression contre les sapeurs-pompiers ne puisse rester impunie.
Nous devons, et je crois que c’est la bonne solution, renforcer et continuer à mettre en place les dispositions existantes. Il faut, par exemple, permettre un accueil privilégié, systématiquement, des sapeurs-pompiers qui viennent déposer plainte dans les commissariats ou dans les brigades de gendarmerie.
Le Gouvernement a déjà pris des mesures pour agir en ce sens, et c’est ainsi qu’aux termes d’une circulaire du 13 mars 2018, des mesures doivent être mises en place pour inciter et faciliter le dépôt de plaintes des sapeurs-pompiers victimes d’agressions. La circulaire demandait ainsi, notamment, le dépôt de plaintes sur rendez-vous ; le dépôt de plainte dans les centres de secours ; la domiciliation du sapeur-pompier victime à la direction du service d’incendie et de secours pour éviter les représailles ; la protection fonctionnelle ; ou encore, et nous y sommes très vigilants avec la garde des sceaux, un suivi attentif de la réponse pénale en lien étroit avec les parquets.
Nous tenons à ce que ces mesures soient mises en place, et un télégramme ministériel a encore récemment rappelé l’impératif de suivi de ces objectifs.
Je tiens également à rappeler qu’à l’heure actuelle, des protocoles interservices départementaux sont mis en place pour que ces mesures deviennent réalité. Ils permettent une meilleure coopération opérationnelle entre les forces de sécurité intérieure de chaque département : policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers.
Je pense par exemple à des échanges d’information accrus, lesquels ont régulièrement lieu – ces protocoles existent dans tous les départements français –, à des appels préventifs en cas de problème connu ou encore à la mise en place de points de regroupement avant une intervention des sapeurs-pompiers dans un secteur sensible – l’intervention se fait alors avec des policiers ou des gendarmes. Ces conventions montrent leurs effets et nous rappelons régulièrement aux préfets la nécessité de veiller à leur bonne mise en place.
J’avais rappelé devant votre commission que nous avions dans le département du Nord, cher monsieur Kanner, une convention particulièrement opérationnelle, qui donnait pleinement satisfaction à l’ensemble des acteurs.
Enfin, et ce point est très important, nous devons pouvoir compter sur l’intransigeance des parquets devant les attaques inacceptables dont sont victimes les sapeurs-pompiers. Là encore, je sais que c’est le cas, et rien que ces dernières semaines, des peines d’emprisonnement fermes ont été prononcées à l’encontre de personnes ayant agressé des sapeurs-pompiers.
Ainsi, un individu victime d’un accident de la route à Dunkerque et son frère venu le secourir, qui s’en étaient tous deux pris aux pompiers, ont été condamnés à une peine de prison ferme. De même, deux frères de la petite couronne en région parisienne s’en étaient pris violemment aux sapeurs-pompiers, car ils estimaient que ces derniers mettaient trop de temps à libérer leur père coincé dans un ascenseur : ils ont également été condamnés à des peines de prison ferme. Ces affaires se sont produites ces dernières semaines.
Soyez donc certains, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement est pleinement conscient et impliqué pour assurer la meilleure protection possible aux sapeurs-pompiers.
Cependant, et je le regrette encore une fois, je ne crois pas que cette proposition de loi puisse apporter une protection supplémentaire – j’insiste sur ce terme – à nos sapeurs-pompiers aujourd’hui. Je crains qu’elle ne réponde pas au principe de proportionnalité, qu’elle ne soit pas constitutionnelle et qu’elle n’ait pas d’effet supplémentaire utile par rapport aux protections accrues dont bénéficient d’ores et déjà les sapeurs-pompiers dans le droit pénal et que j’ai rappelées.
Mme Françoise Férat. Rien que ça !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Je souhaite que nous continuions à travailler ensemble pour améliorer, toujours davantage, la protection et les conditions d’engagement des sapeurs-pompiers. Mais je ne puis aujourd’hui qu’émettre un avis défavorable à la proposition de loi que nous examinons.
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud de Belenet.
M. Arnaud de Belenet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, cher Loïc Hervé, mes chers collègues, face à la montée des violences à l’égard de nos sapeurs-pompiers, nous sommes appelés à voter la proposition de loi, déposée par Patrick Kanner, relative au renforcement de la sécurité de ces derniers.
Cela a été dit, les chiffres sont inquiétants. Le taux d’agression des sapeurs-pompiers est important et ne cesse d’augmenter chaque année. Ces agressions sont parfois le fait même des personnes secourues et de leurs proches.
La proposition de loi initiale visait à faciliter le dépôt de plainte des sapeurs-pompiers victimes d’agression. Elle permettait à tout sapeur-pompier professionnel ou volontaire et tout militaire de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris et du bataillon de Marseille, victime dans l’exercice de ses fonctions ou du fait de ses fonctions d’une atteinte volontaire à l’intégrité de sa personne, de violence, de menace, d’injure, de diffamation ou d’outrage de déposer plainte anonymement grâce à un numéro d’immatriculation administrative. Elle s’inspirait en cela des dispositions récemment introduites dans le code de procédure pénale, visant à garantir l’anonymat des enquêteurs de la police.
Cependant, le rapporteur a, semble-t-il à juste raison, soulevé deux difficultés : la procédure prévue ne semble pas apporter une parfaite garantie de l’anonymat des sapeurs-pompiers, et, au surplus, l’anonymat ne semble pas une garantie de sécurité absolue pour les sapeurs-pompiers victimes.
En effet, ainsi que l’explicitait Loïc Hervé dans son rapport, l’identification du sapeur-pompier victime ne nécessite pas forcément que l’agresseur connaisse son identité exacte. Ce dernier peut avoir mémorisé son apparence physique et connaître le centre d’incendie et de secours dont il dépend, d’autant que les sapeurs-pompiers sont amenés à résider au sein même des casernes, ou à proximité immédiate.
Dès lors, dans le cadre d’un accord entre l’auteur de la proposition de loi et le rapporteur, notre commission a proposé un nouveau dispositif en faveur de la sécurité des sapeurs-pompiers.
Je me réjouis de cette décision qui facilite l’anonymat, non plus des victimes, mais des témoins d’agressions de sapeurs-pompiers, afin de tendre au même objectif sans porter atteinte au droit de la défense.
Enfin, nous ne pouvons qu’être favorables à la création d’une mission d’information afin d’apporter une réponse complète à l’insécurité des sapeurs-pompiers, mais aussi d’évaluer l’application et l’efficacité des dispositions déjà existantes.
Le groupe La République En Marche salue l’esprit d’initiative et de dialogue visant à protéger nos sapeurs-pompiers qui sous-tend ce texte. Il a très majoritairement souhaité approuver cette proposition de loi, même si quelques interrogations, qui rejoignent les propos tenus à l’instant par M. le secrétaire d’État, nous animent.
Il nous semble nécessaire que le Sénat adresse aux sapeurs-pompiers un signal de solidarité, d’encouragement et de volontarisme quant à leur sécurité, en parallèle et en complément des mesures adoptées par le Gouvernement.
Les interrogations qui nous animent sont au nombre de deux.
Premièrement, vous avez évoqué, monsieur le secrétaire d’État, le seuil de 3 ans auquel nous dérogerions avec ce texte qui pose la question du principe de proportionnalité édicté par le Conseil constitutionnel. Ce principe vise à trouver un équilibre entre les atteintes portées aux droits et libertés et les objectifs recherchés.
Deuxièmement, le régime dérogatoire que nous créerions fragmenterait, de fait, le code de procédure pénale en sous-catégories. Cela soulève la question du respect du principe d’universalité.
Malgré ces interrogations, il nous semble absolument essentiel d’apporter un soutien aux sapeurs-pompiers. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat. (Mme Christine Lanfranchi Dorgal applaudit.)
M. Pierre-Yves Collombat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme vous le savez, cette proposition de loi entend apporter des éléments de réponse à une dérive devenue très préoccupante : les agressions des sapeurs-pompiers dans l’exercice de leurs missions, qu’il s’agisse d’opérations classiques de secours en cas d’incendie ou de secours aux personnes. Je ne parle pas des interventions nécessitées par les comportements exaltés ou agressifs d’individus psychologiquement fragiles, alcoolisés ou sous l’emprise de la drogue, opérations relevant normalement des forces de l’ordre, souvent aux abonnés absents…
De plus en plus, le seul service public qui demeure, c’est celui assuré par les pompiers. Il s’agit probablement d’une simple coïncidence si les principaux financeurs en sont les collectivités territoriales…
Les faits sont en forte progression quantitative et sont de moins en moins localisés dans des secteurs réputés difficiles. Outre qu’ils témoignent d’une désintégration sociale qui, en d’autres temps, aurait été tenue pour dramatique, ces comportements sont d’autant plus préoccupants qu’ils ne renvoient à aucune rationalité, même évanescente ou dévoyée, comme le sentiment d’exclusion sociale, la vengeance personnelle, la révolte contre l’autorité, et j’en passe.
On comprend quel traumatisme cela représente pour des serviteurs dévoués exclusivement au secours de leurs concitoyens, à leur sécurité et à leur santé, pour des volontaires qui constituent 84 % des effectifs, pour des hommes et des femmes qui vivent au cœur même de la population.
Si, face à cette situation, la réponse judiciaire paraît adaptée – les plaintes sont très généralement suivies de peines sévères –, il n’en demeure pas moins que toutes les conditions permettant aux pompiers de porter plainte en toute sécurité pour eux et leur entourage, ne sont pas totalement remplies. Reste souvent, dans toute la mesure du possible, à les mettre à l’abri des pressions et des représailles des mis en cause et de ceux qui se solidarisent avec eux.
Initialement, la proposition de loi apportait à cela un élément de réponse, en étendant aux sapeurs-pompiers victimes d’agressions ou de menaces le droit à l’anonymisation des actes de procédure, droit reconnu aux agents de la police, de la gendarmerie, des douanes et des services fiscaux.
Notre rapporteur a fait le choix d’une voie différente pour arriver au même résultat, en complétant l’article 706-58 du code de procédure pénale, afin d’étendre aux infractions commises sur un sapeur-pompier le dispositif qui existe déjà pour les procédures portant sur un crime ou sur un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement, à savoir la possibilité, en cas de besoin, d’autoriser les témoins à s’exprimer sans que leur identité apparaisse dans le dossier de la procédure.
Ce choix a le mérite de l’élégance rédactionnelle, de la simplicité et de la sécurité juridique. Certes, le résultat n’est peut-être pas identique à ce qu’instaurait la proposition de loi dans sa rédaction initiale, mais c’est mieux que rien.
Néanmoins, si j’ai bien compris, ce n’est pas la position du Gouvernement, qui critique l’orientation de la commission des lois et du Sénat sans rien proposer.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Eh oui, c’est vrai !
M. Pierre-Yves Collombat. En ce qui le concerne, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste n’est pas dans cette attitude ; il pense qu’il y a quelque chose à faire, autre que l’élaboration de simples circulaires. C’est pour cela qu’il se ralliera à ce texte, d’autant que, si j’ai bien compris, l’auteur de celui-ci est d’accord.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Absolument !
M. Pierre-Yves Collombat. Nous voterons donc unanimement pour la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe Les Républicains et au banc des commissions.)
M. Loïc Hervé, rapporteur. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Patrick Kanner. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en tant qu’ancien président du plus gros SDIS de France lorsque je présidais le conseil général du Nord, j’ai tenu, avec le groupe socialiste et républicain, à mettre à l’ordre du jour du Sénat la question de la sécurité des sapeurs-pompiers de notre pays.
Je souhaite d’ailleurs saluer au passage l’importante délégation de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, présente dans notre tribune, ainsi que le président de cette fédération, Grégory Allione ; elle mérite notre attention. (Applaudissements.)
Au travers tant de l’exercice de la fonction susvisée que de mes échanges réguliers avec les instances représentatives des sapeurs-pompiers, j’ai perçu le lent délitement des conditions d’intervention de ces derniers, qu’ils soient territoriaux ou nationaux, selon leur statut.
Combattre le feu, mission traditionnelle des sapeurs-pompiers, représente aujourd’hui moins de 10 % de leurs sorties. La plupart d’entre elles, aux alentours de 84 %, sont concentrées sur le secours aux personnes. Ainsi, les sapeurs-pompiers sont en première ligne pour intervenir face aux multiples fractures sociales de notre société.
Autrefois limitées géographiquement, les agressions contre eux ont tendance à se répandre et à se manifester sous différentes formes ; M. le secrétaire d’État Nunez a raison de dire que ce n’est pas l’apanage des quartiers prioritaires de la politique de la ville, l’ancien ministre de la ville que je suis sait de quoi il parle… L’actualité grenobloise nous montre malheureusement encore les agressions que subit le corps des sapeurs-pompiers.
Les guets-apens constituent le type d’attaque le plus médiatisé, mais les sapeurs-pompiers doivent de plus en plus faire face, alors qu’ils ne s’y attendent pas, à des explosions de violences individualisées, provoquées par des personnes fragiles psychologiquement, alcoolisées ou sous l’emprise de stupéfiant. Le plus souvent, les agresseurs sont les personnes secourues ou leur entourage.
On a constaté trois fois plus d’agressions en dix ans ; le nombre d’agressions déclarées par les sapeurs-pompiers en intervention a grimpé de 23 % en 2017, après une croissance de 17,6 % en 2016, selon les derniers chiffres publiés par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales du ministère de l’intérieur.
La rédaction initiale de la proposition de loi partait de ce constat pour arriver à une réponse concrète. Environ un tiers de ces agressions ne donnent pas lieu à dépôt de plainte ; les raisons de cette sous-déclaration se trouvent en partie dans le risque de représailles à l’égard des personnes mises en cause. Les sapeurs-pompiers demandent de longue date que soit ouverte la possibilité pour l’administration de faire écran entre l’auteur des faits et son agent ; cela permettrait ainsi que l’identité de l’agent n’apparaisse pas en tant que telle.
Conscients que ce texte soulève des questions juridiques importantes et complexes, portant sur des principes constitutionnels et des garanties fondamentales du droit de la défense, qui pourraient s’affronter ou paraître contradictoires, mes collègues du groupe socialiste et républicain et moi-même avons cherché à encadrer fortement le dispositif dans sa rédaction initiale.
Malgré ces garanties, j’ai entendu les réserves exprimées par le ministère de l’intérieur et celui de la justice, et nous avons légitimement pu craindre que ces interrogations n’empêchent cette proposition de loi de prospérer au cours de la navette parlementaire, ce que nous ne souhaitions pas.
Dans ce contexte, votre proposition, monsieur le rapporteur, cher Loïc Hervé, de remplacer le dispositif qui vous était soumis par une extension du régime de protection des témoins, en offrant la possibilité à un témoin de garder l’anonymat pour toute infraction dès lors qu’elle serait commise sur un sapeur-pompier, est louable, juste, pragmatique. Si elle ne répond pas directement à l’objectif initial de protection des sapeurs-pompiers et de leur famille, elle permet de poser un premier jalon vers une meilleure prise en compte des risques encourus par les sapeurs-pompiers dans l’exercice de leurs missions.
Le vote unanime de la commission est un très bon signal envoyé à nos protecteurs.
Je regrette néanmoins, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement ne se soit pas joint à cette belle unanimité. Nous avons fait un pas vers vous, mais il y a eu peu de pas de vous vers nous. Si vous avez raison de préciser, comme à l’instant, que de nombreux outils existent et que la réponse judiciaire à ces actes est ferme, vous ne pouvez nier que le changement d’échelle évoqué précédemment doit nous amener à adapter les dispositifs. Je crains donc que cet immobilisme ne satisfasse personne…
Le Sénat, lui, dans sa sagesse, ne souhaite pas rester immobile. Je me félicite par conséquent que sa commission des lois ait accepté de créer une mission d’information relative à la sécurité des sapeurs-pompiers. Après l’expérimentation, pour une durée de trois ans, de l’utilisation, par les sapeurs-pompiers, de caméras individuelles, la Haute Assemblée est une nouvelle fois en pointe sur ces questions. Cette mission d’information permettra de se pencher sérieusement sur l’ensemble des thématiques que je viens d’aborder et de trouver des solutions, tant législatives que réglementaires, aux problématiques nouvelles qui se posent.
En conclusion, je me tourne une nouvelle fois vers vous, monsieur le secrétaire d’État, pour vous inviter à travailler de plus en plus étroitement avec le Sénat, dans le cadre de cette mission d’information. Ensemble, je l’espère, nous saurons trouver des solutions qui permettront d’assurer une meilleure protection à nos protecteurs. La première étape est bien entendu un vote positif du groupe socialiste et républicain en faveur de cette proposition de loi amendée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, troisième force nationale chargée de la sécurité des Français, les sapeurs-pompiers éprouvent des difficultés que nous pensions tout simplement inconcevables.
Alors qu’ils ont contracté un engagement, celui de sauver, au péril de leur vie, et non de réprimer – contrairement à d’autres forces –, ils font face à une augmentation des agressions à leur encontre, ce qui crée dans leurs rangs un fort sentiment de désarroi. À cet égard, à leur égard, nous sommes dans l’obligation de ne pas décevoir leurs attentes hautement légitimes de renforcement de leur sécurité. Il est urgent que la Haute Assemblée, chambre des territoires, chambre de la proximité, élabore les solutions législatives adéquates pour enrayer efficacement ce phénomène. Nous devons aussi approfondir cette réflexion, car tout ne relève pas du niveau législatif, mais une réponse publique, globale, coordonnée et efficiente doit être apportée rapidement.
Je remercie l’auteur et le rapporteur de ce texte des solutions qui ont pu être élaborées par la commission des lois du Sénat, dans le cadre de la procédure de législation en commission, le 21 février dernier, afin de répondre à cette insécurité inacceptable.
Le compromis qui en résulte ne permettra pas de répondre à l’ensemble des préoccupations sécuritaires des sapeurs-pompiers, mais il pose néanmoins, de manière pragmatique, un premier jalon visant à faciliter les poursuites pénales en cas d’agression de sapeurs-pompiers.
Les chiffres communiqués par la dernière étude de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales sont alarmants. Le nombre d’agressions à l’encontre de nos sapeurs-pompiers explose véritablement, avec une hausse de 213 % depuis une dizaine d’années. (M. Charles Revet approuve.)
En région Nouvelle-Aquitaine, l’année 2017 a été celle d’un triste bilan, comptabilisant le plus grand nombre d’agressions déclarées. L’État s’est immédiatement mobilisé autour d’un état-major de sécurité spécialement consacré aux agressions contre les sapeurs-pompiers en mission, afin de mieux prévenir celles-ci et de favoriser le dépôt de plaintes. Le département de la Gironde a également mis en place un groupe de travail aux fins de mieux sécuriser les interventions des sapeurs-pompiers.
Je tiens d’ailleurs à saluer ce travail exemplaire de l’ensemble des acteurs à l’échelon local qui a permis d’établir un protocole départemental dès juillet 2015 visant une meilleure coordination entre les forces de l’ordre et les pompiers, puis l’inclusion, dès janvier 2018, du parquet dans la démarche.
Si cette proposition de loi constitue une modeste pierre apportée au renforcement de la sécurité des sapeurs-pompiers, il faut néanmoins souligner qu’elle va dans le bon sens, en rendant possible l’anonymat des témoins d’agression de pompiers, en facilitant les témoignages et donc les poursuites judiciaires. Évidemment, pour qu’il soit suffisamment dissuasif, ce dispositif doit être corrélé à un faisceau d’autres mesures, raison pour laquelle j’appelle de mes vœux la création d’une mission d’information sur le sujet au sein de la commission des lois du Sénat. Les sapeurs-pompiers doivent savoir que la Haute Assemblée prend en considération leur situation, qui se dégrade.
Du point de vue structurel, déjà bien identifié dans le rapport de nos collègues Pierre-Yves Collombat et Catherine Troendlé, la coordination entre le SDIS, le SAMU et les forces de police ou de gendarmerie à l’échelle des territoires doit être renforcée. Par ailleurs, en matière de secours à la personne, les pompiers interviennent en théorie seulement en appui ou par défaut ; or ce n’est plus ce qui se passe en réalité. En 1998, les missions de secours d’urgence aux personnes représentaient 54 % des interventions des sapeurs-pompiers ; elles constituent aujourd’hui 84 % de ces interventions. Il est donc nécessaire que l’on redéfinisse les responsabilités et le financement, tant des moyens matériels que de la formation, des sapeurs-pompiers.
Le groupe du RDSE souhaite témoigner aux sapeurs-pompiers toute sa gratitude pour leur engagement et leur bravoure dans leurs missions quotidiennes. Déterminé à sécuriser les conditions de leurs interventions et à lutter contre les agressions commises à leur encontre, il soutiendra pleinement la présente proposition de loi et la création d’une mission d’information pour étudier les conditions d’exercice des missions de nos sapeurs-pompiers. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)