Sommaire
Présidence de Mme Catherine Troendlé
Secrétaires :
Mme Jacky Deromedi, M. Victorin Lurel.
2. Remplacement de deux sénateurs nommés au Conseil constitutionnel
3. Candidature à une commission
4. Reconstruction mammaire en cas de mastectomie. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Texte élaboré par la commission
Mme Florence Lassarade, rapporteure de la commission des affaires sociales
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Suspension et reprise de la séance
5. Lutte contre l’habitat insalubre ou dangereux. – Discussion d’une proposition de loi
Discussion générale :
M. Bruno Gilles, auteur de la proposition de loi
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur de la commission des affaires économiques
6. Souhaits de bienvenue à de jeunes citoyens en tribune
7. Lutte contre l’habitat insalubre ou dangereux. – Suite de la discussion d’une proposition de loi
Discussion générale (suite) :
Clôture de la discussion générale.
Demande de renvoi à la commission
Nomination d’un membre d’une commission
COMPTE RENDU INTÉGRAL
Présidence de Mme Catherine Troendlé
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Jacky Deromedi,
M. Victorin Lurel.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 21 février 2019 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Remplacement de deux sénateurs nommés au Conseil constitutionnel
Mme la présidente. En application de l’article 57 de la Constitution et de l’article 4 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, il a été pris acte de la cessation, à compter du dimanche 3 mars 2019 à minuit, du mandat de sénateur de MM. Jacques Mézard et François Pillet, nommés membres du Conseil constitutionnel.
En application de l’article 32 de l’ordonnance précitée, M. le ministre de l’intérieur a fait connaître à M. le président du Sénat que, en application de l’article L.O. 319 du code électoral, Mme Josiane Costes est appelée à remplacer M. Jacques Mézard en qualité de sénatrice du Cantal et Mme Marie-Pierre Richer est appelée à remplacer M. François Pillet en qualité de sénatrice du Cher.
Leur mandat a débuté le lundi 4 mars 2019, à zéro heure.
Au nom du Sénat tout entier, je leur souhaite la plus cordiale bienvenue.
3
Candidature à une commission
Mme la présidente. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission des lois a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
4
Reconstruction mammaire en cas de mastectomie
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi visant à fournir une information aux patientes sur la reconstruction mammaire en cas de mastectomie (proposition n° 214, texte de la commission n° 319, rapport n° 318).
La conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre VII bis du règlement du Sénat.
Au cours de cette procédure, le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l’ensemble du texte adopté par la commission.
La commission des affaires sociales, saisie au fond, s’est réunie le 14 février 2019 pour l’examen des articles et l’établissement du texte. Le rapport a été publié le même jour.
proposition de loi visant à fournir une information aux patientes sur la reconstruction mammaire en cas de mastectomie
Article 1er
Le premier alinéa de l’article L. 1111-2 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Après la deuxième phrase, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Cette information porte également, lorsqu’est envisagée ou a été réalisée une mastectomie, sur les procédés de chirurgie réparatrice existants, sur leur utilité et leurs conséquences respectives ainsi que sur les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ou, si le professionnel n’est pas en mesure de la fournir lui-même, sur le parcours de soins permettant à la patiente d’obtenir sur tous ces éléments une information appropriée. » ;
2° Au début de la troisième phrase, le mot : « Elle » est remplacé par les mots : « La personne ».
Article 2
I. – Le code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Le I de l’article L. 1521-2 est ainsi modifié :
a) Au début du deuxième alinéa, les mots : « Les articles L. 1111-2, » sont supprimés ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« L’article L. 1111-2 est applicable à Wallis-et-Futuna dans sa rédaction résultant de la loi n° … du …. » ;
2° Le I de l’article L. 1541-3 est ainsi modifié :
a) Au deuxième alinéa, la référence : « L. 1111-2, » est supprimée ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« L’article L. 1111-2 est applicable en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … . »
II (nouveau). – Le dernier alinéa du a du 15° de l’article 21 de l’ordonnance n° 2018-1125 du 12 décembre 2018 prise en application de l’article 32 de la loi n° 2018-493 du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles et portant modification de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés et diverses dispositions concernant la protection des données à caractère personnel est supprimé.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, au rapporteur de la commission, pour sept minutes, puis au Gouvernement et, enfin, à un représentant par groupe pour cinq minutes.
La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
Mme Florence Lassarade, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le recours à la reconstruction mammaire après une mastectomie est le choix d’une minorité de patientes. Si l’on recoupe les données du programme de médicalisation des systèmes d’information, ou PMSI, et les retours des instituts de cancérologie que nous avons auditionnés, cette proportion resterait aujourd’hui inférieure à un tiers.
La reconstruction mammaire n’a rien d’évident. Elle relève tout d’abord d’un choix personnel, dans lequel plusieurs facteurs psychologiques entrent en compte : la crainte de complications liées à une nouvelle intervention chirurgicale, le deuil du sein et la difficile acceptation d’un nouveau corps, ou encore l’affirmation d’une féminité sans sein.
La proposition de loi de notre collègue Catherine Deroche a le mérite de poser une question restée encore trop secondaire dans les préoccupations des pouvoirs publics : face à un choix par nature difficile et douloureux, toutes les patientes bénéficient-elles, en tout point du territoire, d’un égal accès à une information de qualité sur l’ensemble des techniques de chirurgie réparatrice disponibles ?
Une étude de 2013 de l’Institut Curie sur les raisons pouvant conduire des patientes à ne pas recourir à une reconstruction mammaire fait état de plus de 62 % de femmes ayant répondu qui se déclarent insatisfaites de l’information délivrée sur la reconstruction ; 41 % considèrent même l’information très insatisfaisante. Rappelons également les données de l’étude de 2014 de l’Observatoire sociétal des cancers : parmi les femmes qui se déclarent insatisfaites de leur reconstruction, 64 % estiment avoir été mal informées sur le processus de reconstruction.
Dans le cadre du plan Cancer 2014-2019, l’Institut national du cancer, l’INCa, a ainsi fait de l’amélioration de l’offre de chirurgie réparatrice un objectif prioritaire. L’agrément des centres de carcinologie mammaire est désormais conditionné à l’accès, sur place ou par convention, à une offre de plastie mammaire. Toutefois, la réalité du terrain qui nous a été décrite en auditions reste marquée par d’importantes inégalités socio-économiques, susceptibles d’influer sur la qualité de l’information et, donc, d’entraver le processus de décision libre et éclairée de la patiente.
Tous les centres de carcinologie mammaire ne sont pas en capacité de délivrer une information complète sur l’ensemble des techniques de reconstruction disponibles. À cet égard, l’expérience du centre, de ses oncologues et de ses plasticiens est, bien entendu, un facteur déterminant. Un faible nombre d’interventions de sénologie ne garantit sans doute pas la maîtrise par l’établissement de l’ensemble des indications, avantages et inconvénients associés à chaque technique. En découlent de potentielles inégalités de traitement entre les instituts de carcinologie les plus sollicités et les centres qui n’ont pas atteint la masse critique suffisante.
Certaines patientes sont alors conduites à poursuivre leur parcours de soins à l’extérieur du secteur public, notamment au sein d’établissements privés non lucratifs et de cliniques. Malgré la récente revalorisation par l’assurance maladie de la prise en charge des actes de reconstruction, les dépassements restent monnaie courante : 70 % des chirurgiens pratiquant des interventions de reconstruction n’exercent pas en secteur 1 ou en option de pratique tarifaire maîtrisée, avec pour conséquence de rendre les délais d’attente très longs et de conduire les femmes à se tourner vers le secteur privé.
Par ailleurs, certaines techniques sont d’une telle complexité, pouvant réclamer l’intervention de deux chirurgiens et jusqu’à huit heures de microchirurgie, que leur coût médico-économique devient rédhibitoire pour l’établissement. Celui-ci fait alors le choix de ne plus proposer ces techniques alors même qu’elles restent, pour un petit nombre de patientes, les seules techniques indiquées pour espérer retrouver l’apparence d’un sein.
Notre commission considère donc que l’introduction d’une obligation d’information sur les techniques de reconstruction permettra de favoriser la délivrance d’une information de qualité à toutes les patientes. Cette information devrait, selon moi, être formalisée dans le parcours de soins par une consultation spécifique, qui pourrait être assurée soit par l’oncologue, soit par plusieurs autres professionnels de santé, idéalement deux chirurgiens différents, mieux à même de renseigner la patiente.
Mes chers collègues, le texte soumis au vote de notre Haute Assemblée fait la lumière sur un des aspects délicats de l’après-cancer, que les progrès enregistrés dans le traitement du cancer du sein ne doivent pas laisser au second plan. Je vous invite donc à envoyer un message fort aux patientes et à la communauté médicale en le soutenant massivement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition que nous soumet Mme Catherine Deroche fait suite à plusieurs constats formulés par l’Observatoire sociétal des cancers en 2014, qui soulignait notamment un faible taux de recours à la reconstruction mammaire, évalué entre deux et trois femmes sur dix.
Les causes identifiées étaient une faible information des patientes, des difficultés d’accès à la reconstruction, ainsi que son coût.
Avec près de 60 000 nouveaux cas par an, le cancer du sein se situe au premier rang des cancers incidents chez la femme, nettement devant celui du côlon-rectum et celui du poumon. C’est aussi celui qui cause le plus grand nombre de décès, avec 18,2 % des décès féminins par cancer, même si – on ne peut que s’en réjouir – la survie nette à cinq ans standardisée sur l’âge s’améliore d’année en année. Cette progression s’explique en partie par l’amélioration des traitements et par un dépistage du cancer du sein de plus en plus adapté au niveau de risque de chaque femme, facilitant le diagnostic à un stade plus précoce.
Néanmoins, malgré les progrès, les traitements demeurent lourds et le traitement chirurgical est le plus fréquent. Il peut altérer l’apparence du sein, voire conduire à son ablation totale.
Les conséquences de la mastectomie sont très variables et dépendent de l’histoire personnelle et familiale de chaque patiente. Un soutien psychologique est très souvent nécessaire.
La reconstruction mammaire contribue à restituer la forme et le volume du sein, mais ni sa sensibilité ni la fonctionnalité de la plaque aréolo-mamelonnaire.
La reconstruction mammaire constitue pour certaines femmes une réponse aux perturbations induites par la mastectomie, mais elle ne dispense pas d’un travail de deuil du sein perdu ni d’une phase d’appropriation du sein reconstruit.
Certaines femmes ne ressentent pas le besoin de reconstruire leur sein. Ce choix leur est personnel. En tout état de cause, les patientes doivent avoir toutes les informations en main pour faire un choix éclairé.
À ce titre, comme cela a été justement rappelé par Mme la rapporteure en commission, le moment opportun du partage de l’information n’est pas nécessairement le moment de l’annonce du diagnostic.
Je suis, et vous le savez, extrêmement sensible à ce sujet. Je souhaite rappeler l’action 9.10 du plan Cancer 2014-2019 : « Permettre un égal accès aux actes et dispositifs de reconstruction après un cancer. » Elle avait pour objet d’inscrire à la nomenclature de nouvelles techniques de reconstruction mammaire et de procéder à la revalorisation d’actes déjà inscrits, afin de réduire les restes à charge pour les patientes. Elle devait aussi augmenter l’offre de reconstruction mammaire sans dépassement d’honoraires pour les régions les moins couvertes. L’objectif était que, d’ici à 2020, toutes les agences régionales de santé aient organisé un accès à une offre à tarif opposable dans le champ de la reconstruction mammaire et, donc, sans reste à charge pour les patientes.
En pratique, je rappelle que les tarifs de remboursement de six actes de reconstruction mammaire ont été revalorisés de 23 % entre 2013 et 2015.
Depuis le mois de juin 2014, l’assurance maladie prend également en charge des actes de symétrisation mammaire, dite mastoplastie unilatérale de réduction ou d’augmentation avec pose d’un implant, quand ils sont réalisés après un traitement du cancer du sein par chirurgie.
En 2017, deux nouveaux actes ont été reconnus et inscrits à la nomenclature pour prise en charge par l’assurance maladie : il s’agit d’actes d’autogreffe de tissu adipeux au niveau du sein.
Par ailleurs, les implants mammaires sont pris en charge au titre de la liste des produits et prestations remboursables, la LPPR, sans reste à charge pour les patientes, pour les indications de reconstruction mammaire.
De même, les prothèses mammaires externes, qu’elles soient transitoires ou non, sont prises en charge au titre de la LPPR, sans reste à charge pour les patientes.
Ainsi, la reconstruction mammaire est prise en charge à 100 % dans le cadre de l’affection longue durée, sur la base du tarif de l’assurance maladie.
Malheureusement, il est vrai que certains établissements pratiquent des dépassements d’honoraires qui restent à la charge des patientes, malgré la revalorisation des actes. C’est la raison pour laquelle l’information avant la prise de décision par la patiente concernant les coûts doit être très claire.
Mais il faut également que des parcours à tarif opposable soient identifiés dans toutes les régions. C’est l’objet d’une mesure ambitieuse et très importante pour moi du plan Cancer III.
Des travaux sont en cours entre l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation et la Direction générale de l’offre de soins pour recenser le parcours de soins des patientes ayant eu une mastectomie. Le premier volet de ces travaux a été rendu à la fin du mois de mai 2018 ; il présente le volume d’actes de reconstruction mammaire réalisé par région, afin d’identifier d’éventuelles particularités régionales. À partir de cela, nous allons aider et inciter les régions à analyser plus finement leurs problématiques et à mettre en œuvre des réponses aux déficits constatés de l’offre.
Ces évolutions, qui sont de l’ordre de réorganisations ou d’évolutions des ressources humaines, demanderont du temps, mais elles constituent une transformation en profondeur indispensable.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il me semblait important de rappeler devant vous ces avancées majeures en faveur de l’égalité d’accès à la reconstruction.
Les chiffres de l’Observatoire cités en introduction témoignent d’une situation antérieure à la mise en place de ces mesures du plan Cancer III. La reconstruction survenant dans une proportion non négligeable à distance de la mastectomie, j’espère que nous pourrons observer l’effet de ces différentes mesures d’ici à deux ans.
J’en viens à l’information en tant que telle. L’obligation d’information dont il est question aujourd’hui est déjà couverte par les dispositions du code de la santé publique, qui pose les principes généraux de l’information des usagers du système de santé.
Des actions ont également été entreprises. Je pense notamment à la diffusion de documents d’information à destination des femmes porteuses d’implants sur le site du ministère des solidarités et de la santé.
L’INCa met également à disposition des contenus et des outils construits avec les patients et les professionnels de santé, telle que la plateforme Cancer info comprenant des fiches internet, des guides pour les patients et une ligne téléphonique.
L’information doit s’appuyer sur des données actualisées. Ainsi, la Direction générale de la santé a saisi la Haute Autorité de santé, ou HAS, au mois de novembre 2018, afin d’actualiser l’état des lieux sur les techniques alternatives à la pose d’implants mammaires.
Les outils de coordination et de partage entre les professionnels, les travaux sur l’organisation des parcours sont autant d’occasions de diffuser les bonnes pratiques et de faire de chaque professionnel un bon relais de l’information.
D’autres vecteurs peuvent également être mobilisés pour améliorer l’information des patientes, comme les autorisations délivrées aux établissements qui traitent les cancers et qui sont en cours d’actualisation.
En effet, les centres qui traitent les cancers du sein doivent faire l’objet d’une autorisation d’activité délivrée par l’agence régionale de santé sur des critères émis par l’INCa et la HAS.
L’établissement autorisé au traitement chirurgical du cancer du sein doit notamment répondre à des critères d’agrément pour la pratique de la chirurgie carcinologique du sein.
L’un de ces critères est d’assurer aux patientes traitées l’accès aux techniques de plastie mammaire. Cet accès peut être assuré sur place ou, le cas échéant, par convention avec un autre établissement. Ainsi, les patientes traitées ont un accès organisé à la reconstruction mammaire dès leur prise en charge par les centres autorisés à traiter le cancer.
Les travaux de réforme du régime des autorisations en cancérologie sont en cours. Je serais très favorable à ce que des critères relatifs à l’information et l’orientation en matière de reconstruction mammaire soient ajoutés, car cela constitue évidemment un élément de bonne pratique incontournable.
Lors de l’examen en commission, j’ai exprimé mes réserves sur l’inscription dans la partie législative du code de la santé publique de cette obligation d’information spécifique sur la reconstruction mammaire en cas de mastectomie. Mais je partage bien entendu pleinement la nécessité de mieux informer les femmes.
Pour cette raison, le Gouvernement ne s’opposera pas à l’adoption de la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues : « En France, on traite très bien le cancer du sein, mais pas la femme qui a un cancer du sein. » Ces mots ne sont pas les miens ; ce sont ceux du professeur Laurent Lantieri, chirurgien à l’hôpital Georges-Pompidou, rapportés par Le Figaro. Ce praticien ajoute d’ailleurs : « Aux États-Unis, dans beaucoup d’endroits, les taux de reconstruction sont supérieurs à ceux de la France, alors que le reste à charge y est bien plus important ! »
La question financière, que je développerai dans un instant, ne justifie pas tout. Plusieurs raisons l’expliquent, dont une qui n’est pas des moindres : l’accès à l’information, et ce pour des raisons socio-économiques et géographiques, entre autres. La proposition de loi soumise à notre examen pointe parfaitement cette difficulté.
À ce stade de mon propos, permettez-moi avant tout de mettre en avant la pertinence de ce texte, sur lequel j’ai l’honneur de m’exprimer aujourd’hui au nom du groupe Union Centriste. Je veux souligner l’engagement de ses auteurs, en particulier celui de notre collègue Catherine Deroche, ainsi que celui de Mme la rapporteure Florence Lassarade. Il témoigne de leur attachement à une cause qui nous tient tous à cœur.
Aussi, le Sénat se mobilise et s’intéresse de près à la thématique, plus générale, de la souffrance humaine. La commission des affaires sociales est force de proposition en la matière. Il est important de le souligner.
Sur le fond, cette proposition de loi revêt un caractère majeur et répond à une situation d’urgence.
En effet, les chiffres ont été rappelés. Selon l’Institut national du cancer, près de 59 000 nouveaux cas de cancer du sein ont été constatés durant l’année 2017, avec près de 12 000 décès, malheureusement. C’est donc l’un des cancers les plus développés parmi les femmes.
Son traitement nécessite, dans certains cas, une intervention chirurgicale, qui peut aller jusqu’à l’ablation totale du sein.
Toutefois, un nombre important de femmes ne procède pas à une reconstruction mammaire. Aujourd’hui, selon les chiffres de la Ligue contre le cancer, entre deux et trois femmes sur dix s’engagent dans une reconstruction chirurgicale après une ablation. C’est trop peu.
Le manque d’informations relatives à cette opération conduit de nombreuses femmes, par méconnaissance, à ne pas procéder à une telle reconstruction. C’est bien là le cœur du problème. Il s’agit ici non pas de tenir un discours militant en faveur de cette opération, mais de permettre aux femmes d’agir en conscience et avec liberté.
D’abord, il faut préciser que la mastectomie et la reconstruction mammaire sont réalisées par deux praticiens différents. L’information pour l’une n’est pas la même que pour l’autre. Aussi, sur le plan moral, il convient de le souligner, l’ablation est déjà une décision lourde à prendre.
À cela s’ajoutent le stress, la peur et le manque d’informations, voire dans certains cas des mauvaises informations sur la reconstruction mammaire, qui peuvent dissuader les femmes de procéder à une telle opération.
Sur ce point, je veux insister sur l’importance du suivi psychologique. En de telles circonstances, l’accompagnement doit demeurer une priorité.
Si, dans le passé, un triste scandale a pu inquiéter légitimement des patientes, les choses ont évolué depuis. De plus, il convient de préciser que les techniques chirurgicales ont progressé.
Surtout, pouvoir reconstruire une partie de leur corps participe, pour nombre d’entre elles, à un processus de confiance en soi. C’est un pas en avant contre la maladie.
Je m’exprime en tant qu’élue, mais je parle surtout en ma qualité de femme. Pour beaucoup, cette étape de reconstruction relève de leur approche personnelle de leur féminité. C’est là une question de dignité, qu’il nous appartient de respecter.
Sur ce point, je veux partager avec vous ces mots, tellement poignants, d’une patiente ayant subi une mastectomie. Elle s’appelle Véronique, et je veux lui rendre hommage cette après-midi. « Après l’effroi du diagnostic – où j’ai hurlé intérieurement : “je veux rester dans le monde des vivants !” –, j’ai senti à plusieurs reprises que ce que je voulais, aussi, c’était rester femme, pleinement, et qu’il me faudrait lutter pour cela. » : voilà ce qu’elle déclarait dans le même quotidien que j’ai déjà cité.
Enfin, je veux terminer avec la question financière et, plus généralement, celle des inégalités sociales.
Premièrement, notre collègue rapporteure rappelait très justement que, « malgré l’inscription de six actes de reconstruction dans la classification de l’assurance maladie, les restes à charge importants pouvaient constituer un obstacle ». C’est là une réalité à prendre en compte.
Deuxièmement, je ne veux pas oublier non plus nos compatriotes d’outre-mer, notamment ceux de la Réunion, de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane. Dans ces territoires, les centres de cancérologie ne sont pas suffisamment équipés de plateaux adaptés aux techniques de reconstruction. Par manque de spécialistes, des femmes sont obligées d’aller en métropole, avec le coût que cela implique bien évidemment. Ce sont là, madame la ministre, deux sujets importants.
Compte tenu de toutes ces considérations, il est nécessaire de remédier à une telle situation. Le cadre juridique doit évoluer. Tel est l’objectif de la présente proposition de loi.
Avec l’adoption de ce texte, une information complète sera désormais fournie à toute patiente lorsqu’une mastectomie sera envisagée. Comme le précise l’article 1er, celle-ci devra porter sur les procédés de chirurgie réparatrice existants, sur leur utilité et leurs conséquences respectives, sans oublier les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent.
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Jocelyne Guidez. Vous l’aurez compris, cette obligation constituerait non seulement le moyen de les orienter dans leurs choix, mais aussi de les rassurer.
Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste, qui soutient pleinement ce texte, votera favorablement. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, chaque année, en France, près de 59 000 femmes se voient diagnostiquer un cancer du sein. Le dépistage systématique favorise le diagnostic précoce et les pronostics de survie, si bien que, plus de neuf fois sur dix, le cancer est éradiqué. Lorsque le traitement par radiothérapie ou chimiothérapie se révèle insuffisant, notamment lorsque la tumeur est trop volumineuse, une ablation totale ou partielle du sein est effectuée.
L’Observatoire sociétal des cancers estime que 20 000 femmes par an ont recours à une ablation totale du sein, requérant une reconstruction mammaire. Celle-ci peut être réalisée immédiatement après la mastectomie, ou de façon différée, jusqu’à quatre ans après l’acte chirurgical. À l’heure actuelle, les patientes ne sont pas systématiquement informées de cette possibilité, et seules deux ou trois sur dix s’engagent dans cette voie, souvent par manque d’informations ou par crainte des inconvénients et des complications associés aux différentes techniques de chirurgie reconstructive.
Par ailleurs, le traumatisme est tel à l’annonce du diagnostic que certaines patientes ne sont pas prêtes à aborder l’après-cancer, les deux premières priorités étant l’acceptation de la maladie et le chemin vers la guérison.
Pour autant, en cas de mastectomie, l’accès précoce à l’information sur la chirurgie réparatrice est primordial pour favoriser l’acceptation de cette opération, vécue comme une mutilation, et en diminuer les répercussions psychosociales à long terme.
La proposition de loi portée par Mme Catherine Deroche vise à formaliser un droit à l’information, au moment opportun, sur la reconstruction mammaire au bénéfice des patientes pour lesquelles une mastectomie est envisagée.
Si ces deux opérations, mastectomie et reconstruction, peuvent relever de deux chirurgies différentes, elles font partie intégrante de la prise en charge globale du cancer du sein. Dans la plupart des cas, le chirurgien curatif n’effectue pas forcément l’acte de reconstruction ; il doit néanmoins informer la patiente et l’orienter dans le cadre de son parcours de soin vers un second chirurgien à même de lui fournir une information appropriée. Le manquement à cette obligation serait considéré comme une faute professionnelle.
L’information loyale, claire et intelligible du patient inscrite dans le code de déontologie médicale est au cœur du principe de consentement éclairé que le médecin a l’obligation de recueillir avant tout acte médical. Cette information est d’autant plus importante lorsque les opérations pratiquées sont suspectées de favoriser l’émergence de maladies graves. En effet, les prothèses texturées, qui favoriseraient dans certains cas le développement de lymphome anaplasique à grande cellule, suscitent des craintes légitimes quant à l’innocuité de l’opération de reconstruction.
Madame la ministre, mes chers collègues, la délivrance d’une information précise et claire sur la chirurgie de reconstruction est indispensable pour favoriser le recours à cette opération en toute sécurité, et ainsi éviter en quelque sorte la double peine du cancer du sein. En effet, à la douleur physique de l’opération s’ajoute encore, trop souvent, le traumatisme de perdre une part de sa féminité.
Pour toutes ces raisons, notre groupe soutient cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mes chers collègues, notre commission, sur le rapport de notre collègue Florence Lassarade, a adopté avec une légère modification la proposition de loi déposée par Catherine Deroche pour améliorer l’information en matière de reconstruction mammaire en cas de mastectomie.
Je voudrais ouvrir mon propos en les remerciant toutes deux et en saluant leur travail sur cette importante question, qui concerne tant la santé publique et l’égal accès aux soins que la dignité des patientes.
Avec environ 54 000 nouvelles personnes touchées chaque année, le cancer du sein est le plus répandu des cancers féminins. Dans 30 % des cas, le traitement implique une ablation partielle ou totale du sein. Les travaux en commission ont permis de mettre en lumière la diversité des parcours et des choix des femmes ayant subi une mastectomie.
La reconstruction mammaire n’est pas une obligation. Pour celles qui souhaitent retrouver une silhouette la plus naturelle possible, deux options se présentent : prothèse externe ou reconstruction chirurgicale avec ou sans implant. Il existe différentes techniques de reconstruction mammaire, à adapter en fonction du cas, de l’âge et de la morphologie.
Le choix est laissé à l’entière appréciation de la patiente, conseillée par des professionnels de santé.
Les multiples difficultés des femmes dans leur parcours de reconstruction ont été mises en lumière par la Ligue contre le cancer, notamment grâce au rapport de son Observatoire sociétal des cancers en 2014, qui évoque : des délais de prise en charge particulièrement longs dans les établissements publics, soit douze mois ou plus, contre trois à six mois dans le privé ; l’existence de dépassements d’honoraires du chirurgien et l’importance de ces dépassements, en général établis en fonction des taux de remboursement, variables, des mutuelles ; une opacité entre les indications de reconstruction cancérologique et les indications esthétiques.
La présente proposition de loi formalise une obligation spécifique d’information pour les professionnels de santé à destination des patientes devant subir ou ayant subi une mastectomie.
Si l’on ne peut qu’adhérer à l’objectif d’offrir une information optimale pour ces patientes, nous sommes réservés sur la solution choisie, qui établit une injonction supplémentaire et spécifique pour les seuls professionnels des traitements du cancer du sein, alors qu’ils sont déjà soumis à l’obligation générale d’information. D’autant que, nous l’avons rappelé, le manque d’information n’est pas la principale raison du non-recours à la reconstruction, puisque, selon la Ligue contre le cancer, seules deux femmes sur six ont le sentiment d’avoir été mal informées.
Les principales raisons restent la lourdeur de l’opération, l’appréhension psychologique face à un nouveau corps, la difficulté de revivre une nouvelle hospitalisation, le risque de déception quant aux résultats et le coût financier.
La majorité de notre groupe s’abstiendra donc sur le texte, dont il partage l’objectif mais pas le dispositif.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tenais tout d’abord à remercier nos collègues Catherine Deroche et Florence Lassarade, qui ont fourni un travail important sur une question douloureuse pour nombre de femmes.
Beaucoup reste à faire en la matière pour mieux accompagner les patientes atteintes d’un cancer du sein. L’amélioration de l’information sur la reconstruction mammaire en cas de mastectomie en fait partie, quel que soit leur choix ensuite.
Certaines femmes, en effet, ne ressentent pas le besoin de reconstruction de leur sein. Ce choix est personnel, mais il est évident que les patientes doivent disposer de toutes les informations pour faire un choix éclairé.
En cela, la proposition de loi présentée par nos collègues du groupe Les Républicains constitue une avancée.
Alors que près de 60 000 cas de cancer du sein sont détectés chaque année, deux femmes sur cinq devront subir une ablation partielle ou totale.
Véritable double peine du cancer du sein, la mastectomie pour ôter une tumeur est une épreuve qui touche un nombre considérable de femmes : 20 000 Françaises sont concernées chaque année, soit 40 % des femmes à qui l’on diagnostique un cancer du sein.
Outre la douleur physique afférente à l’opération, les patientes doivent aussi affronter les bouleversements psychologiques que cause cette mutilation.
Après le choc de l’ablation, la reconstruction mammaire peut également être vécue comme une épreuve, car elle demande une opération, voire plusieurs, avec parfois des prélèvements de muscles sur d’autres parties du corps.
En rendant obligatoire l’information sur les procédés de chirurgie réparatrice existants, sur leur utilité et leurs conséquences respectives ainsi que sur les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent, ou, si le professionnel n’est pas en mesure de la fournir lui-même, sur le parcours de soins permettant à la patiente d’obtenir, sur tous ces éléments, une information appropriée, cette proposition de loi constitue donc une avancée pour les femmes. D’autant que le faible nombre de reconstructions mammaires est imputable, pour partie, à une carence d’information de la part des spécialistes réalisant les mastectomies. Mais ce n’est pas le seul frein à la chirurgie reconstructrice.
La tarification à l’activité n’encourage pas la reconstruction. En effet, les durées d’intervention et les coûts sont différents suivant les choix des praticiens.
Pour une reconstruction sans implantation de prothèse, l’intervention dure quatre heures, mais la patiente n’aura plus à revenir à l’hôpital par la suite.
À l’inverse, l’implant d’une prothèse dure moins longtemps, mais, souvent, la patiente devra être réopérée au bout de quatre ou cinq ans pour changer sa prothèse.
Les établissements de santé peuvent donc être tentés de privilégier la reconstruction avec prothèse, la sécurité sociale prenant en charge la ou les nouvelles opérations nécessaires.
Madame la ministre, vous nous avez dit en commission que les tarifs de remboursement de six actes de reconstruction mammaire ont été revalorisés de 23 % entre 2013 et 2015, et qu’en 2017 deux nouveaux actes ont été reconnus et inscrits à la nomenclature pour prise en charge par l’assurance maladie.
Nous nous réjouissons de ces évolutions. Mais ces revalorisations seront-elles suffisantes pour inverser certaines pratiques ? Car, même si la reconstruction mammaire est prise en charge à 100 % par la sécurité sociale, les dépassements d’honoraires restent fréquents, jusqu’à dix fois le tarif de base de la sécurité sociale !
L’Observatoire sociétal des cancers avait estimé dans son rapport de 2014 que les patientes devraient payer en moyenne 1 330 euros de reste à charge.
Le coût de la réparation s’ajoute donc au coût du cancer, notamment celui des crèmes pour apaiser la cicatrice, du vernis pour masquer la chute de ses ongles, des prothèses externes et des soutiens-gorge adaptés, de la perruque, autant de soins indispensables considérés, hélas, comme des soins de confort par la sécurité sociale, et donc non remboursés.
Dès lors, il est intolérable que, malgré les revalorisations des actes chirurgicaux, des praticiens continuent de pratiquer des dépassements d’honoraires. D’où l’importance, pour notre groupe, d’exiger l’interdiction de tous les dépassements d’honoraires.
Le projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé aurait été un bon véhicule législatif pour y mettre un terme. Mais ce n’est, hélas, pas le cas, madame la ministre !
Si cette proposition de loi va dans le bon sens, elle n’apporte pas de réponses aux barrières financières qui freinent encore l’accès aux soins des patientes victimes de cancer du sein.
Pour ces raisons, notre groupe s’abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais.
Mme Nadine Grelet-Certenais. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord saluer l’initiative de nos collègues Catherine Deroche et Alain Milon, ainsi que le rapport de Florence Lassarade, qui appelle notre attention sur la question majeure de la reconstruction mammaire au travers de la formalisation juridique de l’obligation d’information que prévoit ce texte.
Vous l’avez rappelé, madame la rapporteure, le cancer du sein demeure la première cause de mortalité prématurée chez les femmes.
À ce sujet, madame la ministre, j’aimerais profiter de cette discussion générale pour attirer votre attention sur le problème soulevé par le Comité de défense de la gynécologie médicale. Vous le savez, le travail réalisé par les gynécologues est indispensable pour le dépistage des cancers. Néanmoins, la France fait actuellement face à une pénurie massive de gynécologues médicaux, ce qui représente un véritable danger pour les femmes.
Mme Françoise Laborde. C’est bien de le rappeler !
Mme Nadine Grelet-Certenais. En dix ans, le nombre de gynécologues médicaux a chuté de 42 % et les zones rurales ne sont pas les seules concernées. Nous en sommes à 3 gynécologues pour 100 000 femmes ! Cette pénurie, qui va s’aggraver en raison des départs à la retraite, pourrait avoir des conséquences lourdes sur le dépistage des cancers et sur la santé des femmes. Que prévoyez-vous pour répondre à cette urgence, madame la ministre ?
Concernant la reconstruction mammaire, il est essentiel d’améliorer l’information puisque 15 % des femmes interrogées par la Ligue contre le cancer estiment en avoir manqué ou ne pas avoir eu de proposition de l’équipe soignante, et que deux ou trois femmes sur dix s’engagent dans le processus de reconstruction mammaire.
Il me paraît opportun d’aborder cette question alors que le Gouvernement a annoncé l’évaluation du plan Cancer 2014-2019. L’examen de cette proposition de loi intervient par ailleurs, faut-il le rappeler, dans un contexte marqué par le scandale des prothèses mammaires, qui risque d’impacter négativement le choix des femmes.
Toutefois, si cette information nous paraît hautement nécessaire, le dispositif législatif nous a beaucoup interrogés. Quelle plus-value juridique ce texte apporte-t-il au regard de l’obligation d’information d’ores et déjà inscrite dans la loi ? N’est-ce pas plutôt à un prochain plan Cancer d’intégrer ces recommandations ?
Le véhicule législatif nous semble moins efficace que le prochain plan Cancer associé à des moyens concrets, y compris financiers, de mise en œuvre, d’autant que la problématique me semble bien plus large.
Au-delà de l’information, je crois qu’il aurait fallu pointer d’autres enjeux bien mis en évidence par le rapport de la Ligue contre le cancer en date de 2014. Ils ont trait à l’éloignement des centres de reconstruction mammaire, qui génèrent des coûts de transport non négligeables, notamment dans les départements ruraux. Je crois en effet primordial de ne pas déconnecter l’information de l’accès aux soins.
Le reste à charge est également très important, soit en moyenne quelque 1 400 euros, et ce malgré l’action prévue par le dernier plan Cancer d’organiser un accès à la reconstruction à un tarif opposable, action qui n’a pas été encore mise en place à ce jour. Lors de la réunion de la commission des affaires sociales, madame la ministre, vous avez bien voulu rappeler cette action du plan Cancer III. Elle demeure cependant à l’étude.
Autre point lié à cette inégalité des femmes face à la reconstruction mammaire : les dépassements d’honoraires pratiqués « éhontément » par de trop nombreux médecins et qui sont devenus monnaie courante.
J’en veux pour preuve que l’information ministérielle en date de septembre 2017, destinée aux femmes avant la pose d’implants mammaires, mentionne à plusieurs reprises ce risque de dépassements. Cela tend à remettre en question la prise en charge à 100 % par l’assurance maladie dans le cadre de l’affection longue durée, l’ALD.
Résultat : près de 15 % des femmes renoncent à la reconstruction mammaire pour des raisons purement financières. Les autres puisent dans leur épargne, font appel à leur famille, sollicitent une association, et près de 10 % d’entre elles contractent un emprunt. Le cancer participe à la paupérisation des patientes.
Sans oublier, enfin, le manque notoire d’accompagnement psychologique avant, pendant et après une mastectomie.
Manque d’accompagnement pour les traumatismes liés à la maladie, à l’ablation, aux problématiques d’identité, de féminité… Il ne faut pas omettre le temps nécessaire au deuil de l’amputation ; plus de 40 % des femmes dont la reconstruction a été immédiate en font état.
Il faut aussi tenir compte du temps nécessaire à la prise de décision. En effet, procéder ou non à une reconstruction mammaire doit être un vrai choix, qui ne s’effectue pas sous le coup du choc. « Il ne faut pas forcer la reconstruction mammaire », rappellent nombre de chirurgiens sénologues.
Compte tenu de tous ces aspects, dont on attend qu’ils soient abordés dans un prochain plan Cancer, et malgré le fait que cette proposition de loi ait le mérite de pointer le manque d’information, celle-ci nous paraît trop restrictive en se focalisant sur la seule information des professionnels de santé.
C’est la raison pour laquelle nous nous abstiendrons sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, guérir d’un cancer du sein ne suffit malheureusement pas. Après le choc de l’annonce et les traitements éprouvants, les femmes ont besoin de se reconstruire, de se réapproprier leur vie de femme, leur vie sociale et professionnelle, leur vie amoureuse et leur féminité.
Cette épreuve est particulièrement douloureuse lorsqu’elle s’accompagne d’une mastectomie. L’opération, vécue par beaucoup de femmes comme une mutilation, laisse d’importantes séquelles et entraîne un traumatisme à la fois physique et émotionnel.
Les chiffres ont été rappelés : le cancer du sein est le cancer le plus fréquent chez la femme et la mastectomie intervient dans près de 30 % des cas.
Après une ablation totale du sein, la reconstruction mammaire n’est évidemment pas obligatoire et doit rester un choix personnel. Certaines femmes, d’ailleurs, la refusent. Mais, comme vous l’avez rappelé en commission, madame la ministre, « les patientes doivent avoir toutes les informations en main pour faire un choix éclairé ».
Or les chiffres recueillis par l’Observatoire sociétal des cancers de la Ligue contre le cancer montrent que très peu de patientes – seulement deux ou trois sur dix – s’engagent dans une reconstruction chirurgicale. Plusieurs raisons sont évoquées : tout d’abord, le fait que les hôpitaux qui pratiquent la mastectomie ne proposent pas tous la reconstruction ; ensuite, des listes d’attente trop longues ; également, un reste à charge très souvent élevé ; enfin, un manque d’information. Selon une étude menée par l’Institut Curie en 2011, plus de 60 % des patientes qui n’ont pas recouru à une reconstruction du sein estimaient l’information à ce sujet absente ou insuffisante au moment de la mastectomie.
Pour beaucoup de ces femmes, leur image est source d’une grande souffrance. Recourir à la reconstruction mammaire est alors essentiel pour ne plus voir la maladie lorsqu’elles se regardent dans le miroir. Cette perspective fait partie du processus de guérison et permet de « clore un chapitre » en se réappropriant leur corps. C’est, d’une certaine manière, une renaissance.
C’est pourquoi je remercie notre collègue Catherine Deroche d’avoir déposé cette proposition de loi qui vise à inscrire dans la loi l’obligation d’informer les patientes sur la reconstruction mammaire.
Même si vous ne vous y opposerez pas, je sais, madame la ministre, que vous êtes réservée sur ce texte. Vous considérez que l’information dont il est question est déjà couverte par le code de la santé publique, qui pose les principes généraux de l’information des usagers du système de santé. Vous avez également rappelé en commission que l’Institut national du cancer mettait à disposition des patientes des outils d’information sur les offres de reconstruction, tels que la plateforme Cancer info.
Je pense au contraire que cette proposition de loi est nécessaire pour que les chirurgiens parlent très tôt de la reconstruction mammaire à leurs patientes.
Comme l’a rappelé Mme la rapporteure, dont je salue l’excellent travail, cela permettra « aux équipes médicales de les accompagner de façon optimale, par une information la plus complète possible, sur le chemin de l’acceptation de leur nouveau corps ».
Madame la ministre, je profite de cette tribune pour aborder une dernière question, me semble-t-il, importante pour toutes les femmes qui entrent dans un processus de reconstruction mammaire. Celle-ci se fait en plusieurs temps, le dernier étant la reconstruction de l’aréole et du mamelon. Cette ultime étape est essentielle pour que les patientes se réapproprient leur apparence physique.
L’aréole est reconstruite soit par une greffe – opération particulièrement douloureuse –, soit par la dermopigmentation, qui n’est que temporaire et offre un résultat esthétique souvent décevant.
Or il existe une nouvelle méthode : le tatouage tridimensionnel définitif de la plaque aréolo-mamelonnaire. Cette technique innovante a été importée des États-Unis par une ancienne chercheuse spécialisée en oncologie et reconvertie dans ce procédé, Alexia Cassar. Elle permet une reconstruction définitive, esthétique et personnalisée de l’aréole et du mamelon, qui va ainsi aider à l’intégration de ce nouveau sein reconstruit. Pour l’instant, ce procédé qui contribue à la reconquête de l’estime de soi pour les femmes opérées est malheureusement peu développé, non correctement encadré et pas encore pris en charge, même si une mutuelle a proposé récemment une prise en charge partielle. Je pense, madame la ministre, qu’il y aurait là matière à réfléchir.
En conclusion, le groupe du RDSE apportera tout naturellement son soutien unanime à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Michel Amiel applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
Mme Catherine Deroche. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, c’est avec plaisir que j’interviens en explication de vote de notre groupe sur cette proposition de loi que j’ai déposée avec les présidents Alain Milon et Bruno Retailleau. Je remercie nos collègues du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste qui ont apporté leur soutien en la cosignant : ils sont plus de cent !
Je tiens également à féliciter notre rapporteure, Florence Lassarade, pour la qualité de son rapport. Chacun sait son attachement aux sujets de santé ; son expérience et son regard de médecin se retrouvent dans ce travail.
Pourquoi vouloir formaliser, dans la loi, l’obligation d’information sur la reconstruction mammaire en cas de mastectomie ? Nous sommes partis de plusieurs constats.
Tout d’abord, celui du nombre de femmes concernées : avec près de 60 000 nouveaux cas par an, le cancer du sein se place au premier rang des cancers de la femme.
Ensuite, les conclusions de l’Observatoire sociétal des cancers, qui, dans son quatrième rapport en date de 2014, estimait à 20 000 par an le nombre de femmes atteintes d’un cancer dont le traitement nécessite une reconstruction. Par ailleurs, il y est noté que deux tiers des femmes insatisfaites de leur chirurgie réparatrice s’estimaient mal informées sur le processus de cette reconstruction.
Un autre constat est le faible pourcentage, 17,5 % selon les données du programme de médicalisation des systèmes d’information, le PMSI , pour 2014, de femmes ayant subi une mastectomie qui ont bénéficié d’une reconstruction quatre ans après la tumorectomie.
Il faut aussi citer les témoignages des associations de patientes. Dans ce difficile parcours du traitement, après le choc de l’annonce du diagnostic, elles se sont fait l’écho des difficultés quand se pose la question du deuxième temps, qui vient après le temps du curatif : celui de la reconstruction du ou des seins. Permettez-moi, à cet égard, de saluer les représentantes de certaines associations qui sont présentes en tribune pour leur travail remarquable.
Enfin, il y a les témoignages des chirurgiens eux-mêmes, qui soulignent ce besoin d’une information « digne » de ce nom.
Je ne reviendrai pas en détail sur ce qu’est le parcours semé d’obstacles que vivent les patientes. Le rapport de Florence Lassarade est très clair, notamment sur les réticences psychologiques et personnelles, sur les difficultés d’ordre socio-économique et géographique, en particulier quant au reste à charge et aux inégalités d’accès.
Les techniques de reconstruction sont multiples et bien explicitées dans le rapport.
Les indications ne sont pas uniformes puisque les cancers eux-mêmes et leur étendue, les traitements de radiothérapie associés, la morphologie, etc., sont des facteurs à prendre en considération.
Madame la ministre, vous avez, devant la commission, évoqué les avancées certaines, mais aussi les limites du plan Cancer 2014-2019, notamment l’action 9.10 « pour permettre un égal accès aux actes et dispositifs de reconstruction après un cancer », et les travaux en cours de la Direction générale de l’offre de soins, la DGOS.
Certes, l’obligation d’information est couverte par les dispositions de l’article L. 1111-2 du code de la santé publique, qui pose les principes de l’information des usagers du système de santé. Des outils d’information existent, fournis par le ministère, l’INCa ou les associations, mais on sait que cela n’est pas totalement opérant.
S’il nous semble important de prévoir dans cet article l’information sur la reconstruction, c’est parce qu’elle est une suite du parcours initial de soin de la tumeur et que l’on voit bien qu’il s’agit d’un deuxième temps très spécifique.
Le chirurgien « réparateur » ne sera pas obligatoirement le même que le chirurgien qui a pratiqué la première intervention. Cela se traduit par des interventions parfois multiples, et surtout l’éventail des techniques, des coûts, des indications et contre-indications doit être explicite pour la patiente. Le choix de celle-ci de faire ou de ne pas faire est souverain, mais il doit s’exercer en toute connaissance.
Enfin, je le répète, nous sommes non pas dans le curatif pur, comme dans le traitement initial, avec pour buts d’éradiquer la tumeur et de combattre la maladie, mais bien dans le temps de l’après : le temps de se « reconstruire » et se sentir mieux dans ce nouveau corps. Et je salue la décision de la commission d’avoir élargi l’obligation d’information à une période ultérieure à la mastectomie initiale.
Certains regrettent que cette proposition de loi ne porte que sur cet article du code de la santé publique relatif à l’information. Je ne nie pas en effet tous les autres aspects liés au cancer du sein, qui sont fort nombreux. Mais notre choix de nous limiter à cette information est délibéré pour mettre l’accent et sensibiliser sur cette nécessité.
L’inscrire dans la loi nous semble capital et ne pourra sans nul doute, madame la ministre, qu’être un « plus » dans votre volonté affichée de renforcer les critères du régime des autorisations en cancérologie, dont vous avez souligné l’importance comme levier de qualité.
Le groupe Cancer, que j’ai l’honneur de présider, ne limite pas son action à ce domaine de l’information des patients. Il a un programme fourni en 2019, dont l’examen du thème « cancer et travail ». Je profite de cette tribune pour remercier les collègues et les administrateurs actifs dans ce groupe.
Vous l’aurez compris, notre groupe Les Républicains votera ce texte avec conviction et clarté, afin de soutenir les nombreuses femmes qui doivent faire face à cette pathologie ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Michel Amiel applaudit également.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Michel Amiel applaudit également.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures vingt-cinq, est reprise à quinze heures trente-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
5
Lutte contre l’habitat insalubre ou dangereux
Discussion d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi visant à améliorer la lutte contre l’habitat insalubre ou dangereux, présentée par M. Bruno Gilles (proposition n° 229, rapport n° 325).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Bruno Gilles, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
M. Bruno Gilles, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, madame le rapporteur, mes chers collègues, à la stupéfaction de tous, le 5 novembre dernier, l’effondrement et la déconstruction de trois immeubles à Marseille ont entraîné la mort de 8 personnes et l’évacuation par la suite de près de 1 600 personnes.
Ce drame inimaginable a permis de pointer une douloureuse réalité à Marseille, mais pas seulement. En France, au cœur de la septième puissance économique mondiale, malgré une amélioration continue des conditions de logement au cours des dernières décennies, on recenserait plus de 420 000 logements indignes dans le parc privé.
À Marseille, dans la deuxième ville de France, le drame de la rue d’Aubagne a mis en lumière plusieurs milliers de logements indignes ou insalubres.
Tout le monde a dit : « Plus jamais ça ! » Oui, mais comment ?
Nous devons prendre toute la mesure de cette tragédie. Il doit y avoir un après-rue d’Aubagne, à Marseille, mais aussi dans toute la France, partout où nos concitoyens sont logés dans des conditions indignes.
Ce drame révèle toute la difficulté d’agir, la multitude d’acteurs et de parties prenantes, la lenteur et la lourdeur des démarches. Les mesures existent, mais elles sont trop longues à faire appliquer.
L’habitat indigne frappe majoritairement les zones urbaines les plus denses, mais gagne de nouveaux territoires, notamment des zones pavillonnaires et rurales.
Par « habitat indigne », de quoi parle-t-on ?
La notion d’habitat indigne est consacrée dans la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion de mars 2009. Cette notion recouvre l’ensemble des situations de logement qui présentent un risque pour la santé ou la sécurité des occupants ou des tiers, ou bien les locaux ou installations utilisés aux fins d’habitation et qui sont impropres par nature à cet usage : logements insalubres, dangers imminents dus au plomb ou à la menace de ruine, ou présentant des infractions aux règlements sanitaires…
La notion de logement décent, quant à elle, est une notion de droit privé qui s’applique dans les rapports locatifs, pour les logements mis en location. La décence s’apprécie par rapport à la conformité du logement à des caractéristiques minimales de confort et d’équipement, mais aussi de salubrité et de sécurité. Un bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé et doté, bien sûr, des éléments le rendant conforme à l’usage d’habitation.
Tout logement insalubre est indécent, mais tout logement indécent n’est pas insalubre. Un logement indigne est non décent, mais un logement non décent peut ne pas être indigne.
Le logement indigne recouvre un ensemble de situations au carrefour de problématiques de sécurité, de santé, de misère, voire de criminalité, lequel prospère, hélas, du fait de la hausse du coût des logements et de l’ignoble profit qu’en tirent des clans peu scrupuleux de marchands de sommeil.
La gravité de certaines pratiques est avérée, et les difficultés rencontrées par les pouvoirs publics et les associations pour y mettre fin sont grandes.
Ce drame a révélé toute la difficulté d’agir, la multitude d’acteurs et de parties prenantes, la lourdeur et la lenteur des démarches.
Le législateur s’est déjà emparé de ce sujet ô combien complexe.
De multiples acteurs interviennent dans la lutte contre l’habitat indigne.
Cinq ministères sont concernés : affaires sociales, intérieur, justice, logement, santé.
Le traitement des situations relève, selon les cas, de plusieurs échelons et services : la commune, l’établissement public de coopération intercommunale, le préfet.
Les polices spéciales de lutte contre l’habitat indigne relèvent, selon les cas, du maire ou du préfet.
Les agences régionales de santé, les ARS, sont chargées, elles, de l’application du pouvoir de police administrative du préfet fondé sur le code de la santé publique. Les ARS comme les communes n’ont sans doute pas toujours les agents nécessaires pour assurer leur mission. C’est sûrement un élément à considérer dans nos réflexions pour améliorer le traitement de ces insupportables situations.
Certaines communes, au nombre de 208 en France, disposent d’un service communal d’hygiène et de santé qui intervient sur le territoire de la ville concernée ; il est chargé de faire appliquer la police du préfet pour les procédures liées à la lutte contre l’habitat insalubre.
Les services des mairies jouent un rôle majeur dans le traitement des plaintes des administrés.
On constate un enchevêtrement de réglementations, une palette de procédures trop complexes, qui retardent significativement les actions correctrices urgentes.
Alors, quelles actions contre l’habitat indigne ?
Des actions incitatives pour lutter contre ce phénomène via des aides de l’Agence nationale de l’habitat, l’ANAH, et des opérations programmées de rénovation de l’habitat.
Des actions coercitives, qui s’avèrent indispensables dans les cas les plus épineux.
Les mesures prises ces dernières années mettent en évidence le besoin de faire plus, plus vite, plus efficacement pour vaincre le mal-logement.
Nous devons aujourd’hui repenser les coopérations institutionnelles pour accélérer la rénovation, planifier la reconstruction et prévenir les situations dangereuses et inacceptables.
L’urgence de la situation demande des actions structurées, soutenues par l’État, s’appuyant sur un cadre légal à compléter.
Fruit de nos entretiens avec les diverses associations engagées dans la lutte contre la précarité et le logement insalubre, il apparaît, je le redis, nécessaire de recréer une vraie chaîne de décision rapide et ancrée dans les réalités de terrain. À ce titre, il faudra en appeler à la création d’une cellule de veille et d’un guichet unique dédié à l’habitat indigne, chaque fois que cela est possible, permettant de centraliser les constatations des personnels de l’action médico-sociale en matière d’habitat insalubre.
Je pense que vos déplacements sur le terrain, madame le rapporteur, confortent cette nécessaire orientation.
Trouver les moyens efficaces de lutter contre l’habitat indigne, remédier aux problèmes des copropriétés dégradées : telle est la volonté largement partagée sur l’ensemble de nos travées.
La loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN, adoptée en octobre 2018, fournit de nouveaux outils de lutte contre les marchands de sommeil, en particulier des délais d’intervention réduits.
Ce texte est assorti d’ordonnances qui devront être ratifiées. Elles sont en cours de finalisation, mais devraient aussi être prises sur la base des conclusions prochaines du rapport de mission de notre collègue député Vuilletet, qui sera remis au Premier ministre en mai prochain.
La commission des affaires économiques du Sénat s’est emparée également du sujet, sur la base de la proposition de loi que j’ai déposée et qui est inscrite à l’ordre du jour de ce 5 mars. Je tiens à la remercier, ainsi que mes 66 collègues qui ont cosigné ce texte.
Le drame de la rue d’Aubagne, survenu il y a quatre mois aujourd’hui jour pour jour, nous oblige envers ceux qui subissent, partout en France, l’habitat indigne.
Il n’est pas de mois durant lesquels il n’est pas fait écho d’immeubles appartenant à des propriétaires indignes de l’être, peu scrupuleux à l’égard de leurs locataires trop démunis pour s’opposer, lesquels sont de surcroît exposés au risque d’évacuation pour un temps indéterminé avec le plus souvent seulement quelques affaires réunies à la hâte. Ces situations ô combien douloureuses ne peuvent perdurer davantage sans que l’on y engage des moyens à la hauteur des enjeux.
Des améliorations des dispositifs existants sont indispensables. C’est le sens de ma proposition de loi, à la lumière des événements récents et des réalités de terrain.
Je remercie la commission des affaires économiques d’avoir apporté un soin particulier à l’examen de ce texte. Je vous remercie, madame la présidente de la commission, madame le rapporteur, d’avoir organisé des déplacements de terrain dans toute la France, dont un à Marseille, ville particulièrement concernée où tous les acteurs se mobilisent contre l’habitat indigne.
Le sujet est dense et complexe. Les délais sont en réalité courts pour appréhender l’ensemble des données, les retours de visites de terrain et apporter les éléments complémentaires à même de construire un dispositif efficace et pérenne. Pour cela, je comprends bien sûr parfaitement que la commission demande un délai supplémentaire et propose une motion de renvoi de la proposition de loi en commission, que je voterai.
Le Sénat, sur ces grandes questions qui touchent le droit et la dignité de chacun d’avoir un logement décent, a pris ses responsabilités en inscrivant cette proposition de loi à l’ordre du jour. J’attends autant de positions constructives, de dialogue de la part du Gouvernement pour trouver de manière concertée les dispositifs les plus pertinents pour lutter contre l’habitat indigne.
C’est un combat commun que nous devons mener tous ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, Bruno Gilles l’a rappelé, sa proposition de loi visant à améliorer la lutte contre l’habitat insalubre ou dangereux a été déposée après le drame survenu à Marseille en novembre dernier.
L’effondrement de plusieurs immeubles de la rue d’Aubagne a entraîné la mort de 8 personnes et 1 600 habitants ont été contraints de quitter leur logement. À peine 200 d’entre eux sont aujourd’hui relogés. Tel est le terrible constat quatre mois après les faits. Notre déplacement à Marseille, vendredi dernier, nous a montré combien la douleur et l’émotion étaient encore fortes, et qu’une certaine psychose s’était emparée de la population, entraînant au jour le jour des évacuations d’immeubles supplémentaires dans l’ensemble des quartiers de la ville. Il nous a également rappelé les difficultés de gérer une telle situation à laquelle personne n’était préparé.
Je voudrais remercier Bruno Gilles de son initiative qui nous donne l’occasion de revenir sur ce sujet ô combien important, celui de l’habitat indigne.
L’habitat indigne ne se limite pas à Marseille, il concerne l’ensemble de notre territoire. Entre 400 000 et 2,8 millions de logements seraient indignes ou potentiellement indignes. Alors que notre pays est la cinquième puissance du monde, l’existence d’habitats indignes dans ces proportions doit nous interpeller.
Le phénomène présente de multiples facettes : phénomène urbain mais aussi rural, qui concerne les locataires mais aussi des propriétaires occupants. Le phénomène ne se résume pas non plus aux marchands de sommeil : il concerne également des propriétaires de bonne foi, mais impécunieux.
Pour être efficaces, nos politiques publiques de lutte contre l’habitat indigne doivent prendre en compte les différents aspects du phénomène. Les réponses doivent être adaptées en fonction des territoires et des personnes concernées.
La lutte contre l’habitat indigne est l’affaire de tous. Ce doit être une priorité nationale.
L’arsenal législatif de lutte contre l’habitat indigne et les marchands de sommeil a, certes, été renforcé à l’occasion des trois dernières lois relatives au logement : loi pour un accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN. Parmi les mesures emblématiques, je citerai le permis de louer, qui soumet à autorisation préalable la mise en location d’un logement.
Sur le plan fiscal, une présomption de revenu a été instaurée sous certaines conditions pour les marchands de sommeil.
Les sanctions pénales à l’encontre des marchands de sommeil ont ainsi été renforcées. Certaines peines complémentaires, comme la confiscation des biens ayant servi à l’infraction, ont été rendues automatiques. Nous avons également prévu la confiscation sous certaines conditions des biens du patrimoine des marchands de sommeil, au-delà de ceux qui ont servi à l’infraction.
En complément des mesures de lutte contre les marchands de sommeil, d’autres mesures concernent les polices administratives relatives à l’habitat indigne. La loi ALUR a ainsi prévu de mettre en place un acteur unique pour simplifier le nombre d’acteurs intervenant dans la procédure.
Malgré les améliorations apportées à ces polices, la réglementation actuelle comprend encore pas moins de treize polices qui s’appliquent à des situations différentes et qui font intervenir des autorités et des procédures différentes.
Cette multiplication des polices n’est pas un gage d’efficacité et peut aussi être source de contentieux. Leur simplification est une nécessité, chacun en conviendra.
Conscient de la situation, le Gouvernement a demandé, à l’occasion de la loi ÉLAN, à pouvoir légiférer par ordonnance pour harmoniser et simplifier ces polices administratives, pour préciser les modalités des transferts de police entre le préfet, le maire et l’EPCI, et pour favoriser la création de services intercommunaux mutualisant les moyens matériels et financiers de lutte contre l’habitat indigne et les immeubles dangereux.
Comme l’a rappelé Bruno Gilles, le député Guillaume Vuilletet est chargé d’une mission pour préparer cette réforme. Son rapport est attendu pour la fin du mois de mai. Nous y serons très attentifs.
Néanmoins, au regard des événements dramatiques survenus à Marseille et qui peuvent, demain, se reproduire dans de nombreux territoires, il est désormais indispensable, monsieur le ministre, d’accélérer ces travaux préparatoires et que l’ordonnance soit publiée dans des délais plus courts que les dix-huit mois que nous avions prévus par la loi ÉLAN. Cela ne me paraît pas infaisable, d’autant qu’il ressort de mes auditions que la réforme des polices prévues dans le code de la santé publique serait déjà prête.
Toute modification de la législation, aussi opportune soit-elle, doit, pour être efficace, s’accompagner d’une mobilisation forte et coordonnée des pouvoirs publics dans la mise en œuvre de cette politique et d’un déploiement de moyens humains et financiers en adéquation avec les besoins.
Je l’ai dit, la lutte contre l’habitat indigne est l’affaire de tous. Tous les acteurs, collectivités territoriales comme État, doivent se mobiliser. Tous doivent participer au dépistage de l’habitat indigne, aux procédures administratives appropriées et, surtout, au suivi des mesures prescrites.
Ces mesures doivent être suivies d’effet. Pour cela, la justice doit être mobilisée et la réponse pénale rapide et exemplaire.
Les collectivités territoriales sont des acteurs de premier plan. Si le manque de volontarisme de certaines d’entre elles a parfois été dénoncé, il ne faut pas, tant s’en faut, stigmatiser les élus, mais il importe au contraire de les encourager et de leur faciliter la tâche. Leur action peut certainement être améliorée si l’on simplifie les procédures applicables et si on leur donne les moyens d’agir.
Cette politique suppose d’importants moyens tant humains que financiers. La lutte contre l’habitat indigne a en effet un coût non négligeable : il faut des agents chargés de repérer les logements indignes ; il faut reloger les personnes évacuées ; lorsque le propriétaire ne réalise pas les travaux, les pouvoirs publics doivent pouvoir se substituer à lui et engager des procédures pour recouvrer les sommes ainsi mobilisées.
Or, dans le contexte actuel de contrainte budgétaire, les communes et les EPCI ne sont pas toujours en capacité de déployer de tels moyens humains et financiers. La réforme des polices spéciales de l’habitat indigne doit être l’occasion de repenser le financement de la mise en œuvre de ces polices.
L’ANAH est l’interlocuteur unique en matière de financement pour les propriétaires comme pour les collectivités territoriales.
Chaque année, nous débattons du budget de l’ANAH. Le Président de la République ne souhaite pas une France où, sur des territoires en difficultés, des populations entières seraient assignées à résidence. Alors, que dire d’une assignation à des résidences indignes ? Le Gouvernement doit être cohérent et affecter à cette agence des moyens à la hauteur des enjeux.
Pour les propriétaires, la question du financement du reste à charge demeure plus que prégnante. La suppression de l’APL accession qui était aussi utilisée, au travers de l’APL travaux, pour la réalisation de travaux a eu un impact sur le nombre de logements rénovés. Ici encore, le Gouvernement doit être cohérent et rétablir l’APL accession.
J’en viens rapidement à la présentation des 9 articles de la proposition de loi.
L’article 1er prévoit d’appliquer l’autorisation de diviser aux opérations tendant à diviser le logement, qu’elles nécessitent ou non des travaux.
L’article 2 inverse la logique actuelle du permis de louer, en posant le principe selon lequel le silence de la collectivité sur la demande de permis de louer vaut décision de rejet à l’issue d’un délai de deux mois.
Les élus locaux auront accès au casier judiciaire des personnes soumettant une déclaration préalable de location, un permis de louer ou un permis de diviser. Tel est l’objet de l’article 3.
À l’article 4, il est prévu que, lorsque le propriétaire d’un immeuble déclaré insalubre remédiable et faisant l’objet d’une interdiction temporaire d’habiter n’aura pas réalisé les travaux prescrits dans le délai d’un mois, cet immeuble pourra être soumis à la procédure simplifiée d’expropriation.
Plusieurs mesures doivent permettre également d’accélérer les réponses apportées aux situations d’insalubrité et de dangerosité des immeubles. Ainsi, à l’article 5, la durée maximale d’habitation d’un immeuble déclaré irrémédiablement insalubre est réduite d’un an à trois mois.
Il est en outre proposé à l’article 6 de raccourcir de trois mois à un mois le délai dans lequel l’agent doit se déplacer pour visiter un logement aux fins d’établir un constat en matière d’insalubrité.
En complément des mesures de lutte contre les marchands de sommeil adoptées dans les lois ALUR et ÉLAN, les sanctions pour non-respect des règles relatives au permis de louer et à la déclaration de mise en location sont renforcées aux articles 7 et 8.
Enfin, à l’article 9, l’exercice de l’action publique par des associations de lutte contre l’habitat indigne est ouvert à trois nouveaux cas.
La démarche initiée par notre collègue Bruno Gilles va dans le bon sens. Chacun d’entre nous ne peut qu’être favorable à ce que des réponses plus rapides et plus efficaces soient apportées dans le traitement de l’habitat insalubre, dangereux et, plus largement, de l’habitat indigne.
J’ai procédé à plusieurs auditions, notamment des ministères, des représentants des propriétaires, des maires. Il me reste encore quelques personnes à rencontrer. Nous sommes allés avec la présidente de la commission des affaires économiques et certains de nos collègues la semaine dernière à Aubervilliers, à Montfermeil et à Marseille. Nous ferons deux autres déplacements en Picardie, pour l’habitat rural insalubre, et en outre-mer. Il me paraît important de prendre en compte ces différents déplacements.
C’est pourquoi j’ai proposé à notre commission de prendre un peu plus de temps pour approfondir notre réflexion sur les dispositifs proposés dans la proposition de loi.
C’est pourquoi, après en avoir discuté avec Bruno Gilles, qui vient de le confirmer ici même, la commission propose au Sénat d’adopter une motion tendant à renvoyer la proposition de loi en commission. Le texte serait alors inscrit à l’ordre du jour de la semaine d’initiative du Sénat du mois de juin prochain. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – M. Marc Daunis applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la présidente, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d’abord saluer M. Gilles, ainsi que le groupe Les Républicains, pour cette proposition de loi qui intervient très peu de temps après le drame de la rue d’Aubagne survenu en novembre dernier.
Je suis allé à Marseille dans les heures qui ont suivi ce drame. J’y étais alors que deux immeubles s’étaient effondrés et que le troisième ne s’était encore pas écroulé. J’ai eu l’occasion d’y retourner à plusieurs reprises pour soutenir et être aux côtés de nos concitoyens qui ont été confrontés de manière brutale et très vive aux conséquences non seulement de ce drame, mais de manière plus générale de l’habitat indigne.
Chaque fois que j’y suis allé, j’y ai également tenu des réunions de travail, afin de m’assurer que tous les acteurs – je dis bien tous : les services de l’État, les opérateurs et les collectivités – sont pleinement mobilisés sur deux objectifs.
Le premier consistait à faire face à l’urgence, c’est-à-dire à assurer le relogement. Vous l’avez dit, madame la rapporteure, un peu moins de 2 000 personnes ont été délogées, et près de 1 300 sont encore dans des hébergements dits « temporaires ».
Le second objectif consistait à préparer les actions à mettre en œuvre pour la rénovation, à court et moyen termes, du centre-ville, avec une stratégie très claire d’intervention, qui pourrait notamment passer par une contractualisation entre l’État, la ville et la métropole.
Il reste beaucoup de travail à faire, mais je veux vous assurer ici de ma pleine, entière et totale détermination, ainsi que de la mobilisation de mon ministère et de tous les opérateurs de l’État pour apporter des solutions très concrètes aux Marseillais endeuillés.
Vous l’avez rappelé, madame la rapporteure, ce sujet de l’habitat indigne est malheureusement beaucoup plus vaste que les événements survenus à Marseille. J’ai eu l’occasion de le redire devant la Fondation Abbé Pierre, lors de la remise de son rapport annuel, voilà quelques semaines, plusieurs centaines de milliers de logements ont aujourd’hui, dans notre pays, la caractéristique de l’habitat indigne. Cet habitat est un fléau, qui compromet la santé des personnes, parfois même leur intégrité physique, mais qui a d’autres conséquences graves, par exemple, sur l’éducation des enfants qui dorment dans les logements dits « insalubres » ou « suroccupés ».
Ce sujet est donc une priorité du Gouvernement, et les débats que nous avons eus à propos de la loi ÉLAN et les différentes initiatives que nous avons prises peuvent, me semble-t-il, en témoigner. La rénovation et la réhabilitation des logements ainsi que la lutte contre l’habitat indigne représentent près de 18 milliards d’euros consacrés par l’État, ses partenaires ou les opérateurs, en appui de l’action des collectivités, pleinement mobilisées sur ce sujet.
Il s’agit d’abord de la rénovation des grandes copropriétés dégradées – c’est un sujet que vous êtes nombreux à très bien connaître dans vos territoires –, au travers d’un plan ambitieux, très ambitieux, que j’ai annoncé à Marseille même, quelques semaines avant le drame de la rue d’Aubagne. Ce plan comporte des financements de l’ordre de 3 milliards d’euros sur dix ans ; il associe à la fois l’ANAH et les collectivités, mais également la Caisse des dépôts et consignations, Action logement et le réseau Procivis, qui apporte une aide particulière, notamment en appui des syndics de copropriété, acteurs majeurs dans le renforcement ou l’élaboration de solutions pour les copropriétés très dégradées.
Il s’agit également de la rénovation du centre-ville d’un certain nombre de villes dites « moyennes » – je n’aime guère cette dénomination, mais c’est celle qui est généralement employée pour désigner les villes de quelques dizaines de milliers d’habitants –, avec le plan Action cœur de ville, que beaucoup ici connaissent.
Il s’agit, enfin, de la rénovation des quartiers populaires, avec le programme de rénovation urbaine, financé par les collectivités locales, les bailleurs sociaux, Action logement et l’État, avec le doublement de son financement, à hauteur de 10 milliards d’euros et, surtout, l’accélération très forte de son déploiement. En effet, songez-y, depuis mai 2018, à peu près 4,3 milliards d’euros ont été engagés dans des projets de rénovation urbaine.
Vous l’avez indiqué, madame la rapporteure, il y a un autre sujet très important : l’aide aux particuliers, avec notamment la question du reste à charge. En effet, les politiques publiques ont souvent apporté beaucoup d’aides, mais la question du reste à charge est essentielle, et, je le crois profondément, c’est au travers de cette question que les aides aux individus, aux habitants, doivent être considérées. C’est ce que nous avons fait avec la chaudière à 1 euro, un exemple que je donne simplement pour montrer qu’il est possible de trouver de nouvelles offres dans lesquelles le reste à charge est très fortement limité.
Cette priorité trouve également sa traduction, vous l’avez souligné, monsieur le sénateur Gilles, dans le cadre de la loi ÉLAN. Le chapitre de cette loi consacré à la lutte contre l’habitat indigne et spécialement contre les marchands de sommeil a fait l’objet d’un accord unanime des deux chambres, en commission mixte paritaire, sur le fondement des travaux parlementaires, notamment ceux, ici, de Mme la présidente Sophie Primas et de Mme la rapporteure Dominique Estrosi Sassone, que je remercie de nouveau.
D’ailleurs, l’ensemble des dispositions de la loi ÉLAN sont très en phase avec la proposition de M. le sénateur Gilles, qui comporte trois axes : renforcer les capacités de contrôle et d’intervention des collectivités territoriales, accélérer les réponses apportées aux situations d’insalubrité et, enfin, renforcer l’efficacité des sanctions contre les marchands de sommeil.
Oui, je suis d’accord avec vous, monsieur le sénateur Gilles, les collectivités territoriales doivent être soutenues dans leurs missions de détection et d’assistance pour la mise en place des travaux. C’est d’ailleurs pour cela que, sur proposition du Gouvernement, grâce à la loi précitée, les astreintes payées lorsque les propriétaires n’exécutent pas les travaux qui leur sont prescrits, qui étaient, jusqu’à présent, versées au budget de l’État, seront dorénavant versées, non plus au budget de l’État mais directement aux collectivités territoriales qui auront pris l’arrêté d’insalubrité ou de péril. C’est un élément très important, de nature justement à aider toutes les collectivités qui le souhaitent à mettre en place leur office de détection et de lutte contre l’insalubrité.
De même, au travers de la loi ÉLAN, la guerre est déclarée aux marchands de sommeil, avec deux axes principaux.
Le premier axe consiste à détecter ces marchands de sommeil ; il faut absolument en finir avec l’impunité dont ils jouissent. Cette impunité s’est illustrée, lors d’un déplacement que j’ai fait avec Mme la garde des sceaux, voilà quelque temps, à Pierrefitte, avec la visite impromptue du marchand de sommeil lui-même, alors que nous étions en train de dénoncer son pavillon découpé en multiples appartements. Ce propriétaire – c’est un indice de cette impunité – est venu à notre rencontre, s’étonnant du problème, si j’ose dire.
Face à cela, il faut accompagner les familles qui subissent l’action de ces marchands de sommeil et qui sont souvent dans une détresse telle qu’elles n’osent pas les dénoncer. C’est pour cette raison que nous avons obligé, dans la loi ÉLAN, les syndics de copropriété et les agences immobilières à dénoncer – le terme figure dans la loi – ces pratiques.
Le second axe réside dans le renforcement des sanctions, notamment financières, prises à l’encontre des marchands de sommeil, parce qu’il n’y a que cela qu’ils comprennent, quand on les « tape au portefeuille ». C’est pour cela que l’on a fortement accentué la pression financière – vous l’avez rappelé, madame la rapporteure – en considérant désormais les marchands de sommeil comme des trafiquants de drogue.
Mme Samia Ghali. Exactement !
M. Julien Denormandie, ministre. Les premières décisions de justice en ce sens ont été prononcées ; je pense notamment à une décision du tribunal de Bobigny rendue à l’encontre d’un notable,…
M. Philippe Dallier. Un médecin !
M. Julien Denormandie, ministre. … qui louait son ancien local professionnel, dans le cadre d’une activité de marchand de sommeil.
Il fallait accentuer cette pression financière au regard des aberrations qui existaient. Je pense en particulier à la situation que connaît une collectivité territoriale qui mène une opération d’expropriation d’un marchand de sommeil parallèlement à sa condamnation en justice ; figurez-vous que, dans certains cas, l’expropriation étant arrivée à son terme, la collectivité territoriale était obligée d’indemniser le propriétaire, au titre de l’expropriation. J’ai ainsi en mémoire un cas, ici, à Paris, à Marx-Dormoy, où le marchand de sommeil, condamné pour ses activités, s’est vu octroyer une indemnité de 6 millions d’euros.
Dans ce contexte, comment peuvent réagir toute la sphère des marchands de sommeil, tous les « petits copains » de cet escroc ? Ils se disent que, de toute manière, peu importe qu’ils soient condamnés, puisqu’ils toucheront cette indemnité au titre de l’expropriation. La loi ÉLAN a mis fin à cela, permettant la saisie de ces indemnités d’expropriation, dès lors qu’elles sont prononcées. De même, la confiscation des biens fait aujourd’hui l’objet d’une automaticité, ce qui est extrêmement important.
La question porte aujourd’hui sur la mise en œuvre de tout cela, de l’ambitieux plan de 18 milliards d’euros que j’évoquais, et des dispositions adoptées au travers de la loi ÉLAN. Afin d’assurer l’effectivité de ces mesures, Mme la garde des sceaux et moi-même avons pris des dispositions pour instituer six territoires de mise en œuvre accélérée des dispositions de cette loi. Il s’agit des Bouches-du-Rhône, des Alpes-Maritimes, du Nord, de la Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne et de l’Essonne. Dans ces six territoires, face au manque fréquent de coopération que l’on constatait – vous le constatiez aussi – entre les services administratifs, les services municipaux et la justice, nous avons décidé de renforcer la coordination locale entre ces différentes instances, pour faire en sorte que l’institution judiciaire puisse plus facilement et plus rapidement prononcer des décisions très fortes.
C’est aujourd’hui chose faite, puisque la circulaire y afférente a été signée voilà plusieurs semaines et est en cours de mise en œuvre.
Vous l’avez dit, monsieur le sénateur Gilles, il convient également d’accélérer et de rendre concrètes l’ensemble de ces dispositions. Dans chacun de ces départements, il existe, vous le savez, les PDLHI, les pôles départementaux de lutte contre l’habitat indigne, mais ceux-ci restaient à l’état de plans. C’est pourquoi nous les avons fait évoluer pour leur fixer de véritables objectifs et un véritable projet de lutte. Nous avons donc demandé à chacun d’eux de nous remettre avant le 30 avril prochain une feuille de route très précise, avec des objectifs de lutte contre l’insalubrité, que nous pourrons piloter, en liaison avec les collectivités et en totale transparence, évidemment.
Dans le cadre de la loi ÉLAN est également prévue une habilitation à légiférer par ordonnance, vous l’avez souligné, qui doit permettre de traiter cette complexité. Il existe aujourd’hui plus de treize polices et plus de trois codes, extrêmement techniques. Or toutes ces polices et tous ces codes visent un seul et même objectif : lutter contre l’insalubrité. Il est vrai qu’il devient parfois kafkaïen de se retrouver dans l’ensemble de ces polices, de ces codes. Tout cela conduit, en conséquence, à des décisions beaucoup trop longues et, parfois même, au désabusement de l’ensemble des collectivités et des services de l’État, qui doivent trouver par quel biais il est plus efficace de lutter contre ce fléau.
Telle est la mission que le Premier ministre a confiée au parlementaire Guillaume Vuilletet pour faire en sorte, conformément au débat que nous avons eu, de mettre, en regard des besoins opérationnels de lutte contre l’habitat indigne, les outils, les voies et moyens disponibles pour les collectivités territoriales, qui se trouvent en première ligne, avec l’appui des services de l’État – les autorités régionales de santé, les préfectures et tant d’autres.
Les résultats de cette mission sont attendus pour la fin du mois de mai ou le courant du mois de juin, et je puis vous l’affirmer, madame la rapporteure, je partage votre souhait que nous ne prenions pas dix-huit mois pour prendre cette ordonnance, que nous puissions le faire de manière extrêmement accélérée.
Au-delà de tout cela, le Gouvernement reste très attentif à toutes les propositions susceptibles d’améliorer les dispositifs existants. C’était vraiment l’état d’esprit qui régnait dans cette enceinte et dans celle de l’Assemblée nationale au moment de l’examen de la loi ÉLAN, et vous pouvez être sûrs, mesdames, messieurs les sénateurs, que c’est dans le même état d’esprit que je me tiens devant vous, cet après-midi.
Je veux revenir sur de nombreux points de votre proposition de loi, monsieur Gilles.
D’après ce que Mme la rapporteure et vous avez indiqué, je comprends que la commission des affaires économiques souhaiterait disposer de plus de temps, en raison notamment de déplacements et d’auditions supplémentaires, pour approfondir la réflexion sur les moyens de rendre plus efficace l’action contre l’habitat indigne, ce que je salue et soutiens fortement. Néanmoins, si je peux me le permettre, je veux vous livrer tout de même quelques premières analyses à propos de cette proposition de loi.
Je partage avec vous la volonté de renforcer l’amende en cas de manquement à l’obligation de déclaration préalable de mise en location. Par exemple, la mairie de Marseille, si j’en crois les dernières informations, a décidé d’instituer le permis de louer, comme ce fut le cas à Aubervilliers.
Mme Samia Ghali. Il y en a ailleurs.
M. Julien Denormandie, ministre. Le texte prévoit également de donner aux associations la faculté d’exercer les droits reconnus aux parties civiles, en les autorisant à saisir la justice. Cette piste me paraît intéressante.
En revanche, d’autres points me semblent poser des questions soit opérationnelles, soit juridiques, mais, j’en suis sûr, la durée laissée à l’examen de cette proposition de loi permettra d’y apporter des réponses.
Je pense notamment à vos propositions visant à remplacer, pour ce qui concerne les permis de louer, l’accord tacite de la collectivité au bout d’un mois de silence par un refus tacite au bout de deux mois de silence. Personnellement, je pense que cela va ralentir plutôt qu’accélérer le processus, mais c’est à débattre.
Je pense aussi, nous en avons discuté lors des débats sur la loi ÉLAN, au fait d’autoriser ou non le maire ou le président de l’EPCI à consulter le casier judiciaire d’une personne qui sollicite un permis de louer ou un permis de diviser un logement. Nous avons eu ce débat, et nous avions alors conclu, comme, d’ailleurs, la commission mixte paritaire, de ne pas aller dans ce sens. Certes, c’est un débat qui peut rester ouvert, mais nous en avons déjà discuté et les deux chambres ont statué pour ne pas prévoir cette possibilité.
Enfin, un autre point à mes yeux extrêmement intéressant, qui mérite d’être conservé ou, en tout cas, étudié plus précisément, consiste en l’extension de la procédure simplifiée d’expropriation, instituée par la loi tendant à faciliter la suppression de l’habitat insalubre, dite loi Vivien, aux immeubles ayant fait l’objet d’un arrêté d’insalubrité remédiable. Cela mérite une analyse juridique approfondie, au regard des garanties accordées au droit de propriété, pour faire en sorte qu’une telle disposition ne soit pas censurée. Si je suis d’accord avec la finalité de cette mesure – l’incitation du propriétaire à exécuter les travaux prescrits –, sa validité n’est pas forcément évidente. En tout cas, il me semble à tout le moins que le délai accordé pour réaliser les travaux avant l’expropriation doit être revu, car, dans la proposition de loi, il est très court.
Je suis sûr d’une chose : la finalité que nous devons viser, la lutte contre l’habitat insalubre, passe aussi par des mesures efficaces dans l’exécution, par les personnes compétentes, des travaux d’office. Ce que j’expliquais précédemment, le fait que les astreintes sont aujourd’hui versées aux collectivités, est l’un des éléments qui doivent permettre d’y arriver.
Madame la présidente, madame la rapporteure, monsieur le sénateur Gilles, mesdames, messieurs les sénateurs, je pense très sincèrement que le sujet dont nous débattons cet après-midi est absolument crucial pour nos concitoyens. Contrairement à ce que l’on pense, le fléau des marchands de sommeil est en augmentation dans notre pays. Il faut donc, de manière complètement déterminée, prendre l’ensemble des dispositions qui permettent de lutter contre lui ; tel était le sens de la loi ÉLAN, et, je peux vous l’assurer, nous y allons très fort dans sa mise en œuvre, dans son exécution.
Nous devons également défendre l’exigence d’un habitat où l’on peut vivre en bonne santé, où l’on peut élever ses enfants en pleine sécurité. Je peux vous l’assurer, je continuerai de travailler avec vous, dans le même état d’esprit, pour déterminer l’ensemble des dispositions qui peuvent compléter le dispositif, tout en concentrant beaucoup d’énergie à mettre en œuvre l’ensemble des nouvelles actions que nous avons définies depuis bientôt deux ans, au travers tant du plan Action cœur de ville que de la lutte contre les copropriétés dégradées et contre, en vertu de la loi ÉLAN, les marchands de sommeil.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – Mme Christine Bonfanti-Dossat applaudit également.)
Mme Nadia Sollogoub. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, si ce qui s’est passé à Marseille est fort heureusement exceptionnel, cet événement n’en demeure pas moins révélateur d’une situation indigne de la France. Aussi, je tiens à remercier notre collègue Bruno Gilles de son volontarisme et à l’assurer de la mobilisation du groupe Union Centriste sur ce sujet.
Les communes sont en première ligne dans la lutte contre l’habitat indigne ou dangereux. Les problématiques de l’habitat insalubre semblent essentiellement associées aux banlieues dégradées, aux grandes agglomérations, aux tours et aux barres des années 1970, dont les besoins sont légitimes et urgents. Nous ne devons néanmoins pas oublier que ce mal sévit également en dehors des zones urbaines. Mme la rapporteure l’a très justement souligné dans son rapport, l’habitat indigne et insalubre est bien un phénomène touchant tous nos territoires.
Les marchands de sommeil existent en effet partout : je pense à Imphy, une commune de la Nièvre connue pour ses aciéries historiques, dont la municipalité m’a récemment interpellée, car elle se sentait totalement désarmée, démunie, face au phénomène spéculatif. Reconversion de cités minières ou industrielles, transformation expéditive de bâtiments anciens en quelques appartements de fortune, voilà quelle est la réalité quotidienne.
En zone rurale, nombreuses sont, par ailleurs, les situations, souvent anciennes, de dégradation progressive ; cela concerne en grande partie des personnes âgées, occupant des logements vétustes, voire dangereux. L’identification et le traitement de ces zones dégradées sont particulièrement difficiles ; la typologie des occupants est très particulière, certains d’entre eux considérant même que leur logement n’est pas objectivement dégradé.
Le niveau de ressources, le sentiment de ne pas être éligible à des subventions, une culture qui ne porte pas à solliciter des aides, une forme de pudeur, la difficulté à se projeter dans des travaux qui bousculeront son quotidien ou à quitter un logement dans lequel on a toujours vécu empêchent d’atteindre cet objectif de rénovation de l’habitat insalubre.
Puis, il existe le stade suivant, dont je n’ai pas entendu parler, celui de la ruine inoccupée, dans le bourg, que les élus voient lentement se dégrader, tout en faisant le constat de leur impuissance. Il s’agit aussi, réellement, d’un habitat dangereux ; je pense ainsi à M. le maire de Saint-Saulge qui, le jour de ma visite dans sa commune, a dû faire déguerpir une bande d’adolescents qui, ne croyant pas mal faire, jouait dans une maison menaçant de s’effondrer.
Quels sont, en tel cas, les recours de la municipalité ? Certains bâtiments doivent purement et simplement être détruits. Or voici ce que prévoit la loi : le maire qui a connaissance de tels faits peut, sur sa propre initiative, engager une procédure de péril ; il doit saisir le tribunal administratif afin que celui-ci désigne un expert chargé, dans les vingt-quatre heures, de constater ou non le péril imminent. Tout cela semble d’une simplicité enfantine, mais, je vous le demande, monsieur le ministre : qui prend en charge la rémunération de cet expert ?
Je vais vous parler de celui que j’ai rencontré, l’été dernier, à Cessy-les-Bois. Sur le territoire de cette commune, une bâtisse menaçait ruine et présentait un réel danger. Il s’agit d’une commune de 104 habitants. La propriétaire du bâtiment en question était une dame anglaise injoignable, mais il aurait pu tout aussi bien s’agir d’une succession dont on ne retrouve pas les héritiers, d’une copropriété dont les différents membres ne s’entendent pas, des suites d’un divorce dans lequel chacun des conjoints renvoie l’affaire à l’autre, de propriétaires insolvables ou qui, simplement, comme à Neuvy-sur-Loire, refusent de payer ; bref, qui paie l’expert permettant d’initier la procédure ?
À Cessy-les-Bois, à Saint-Saulge, à Neuvy-sur-Loire et dans tant d’autres communes de France, on économise sur chaque dépense de fonctionnement ; et, s’il faut choisir entre des travaux dans l’école et l’expertise d’une ruine dont le propriétaire est défaillant, le choix sera simple.
Aussi, monsieur le ministre, je profite de l’occasion qui m’est donnée dans cette discussion générale pour appeler votre attention sur le fait qu’il faut impérativement prévoir un fonds, un mécanisme, une prise en charge de ces frais d’expertise. Si l’État souhaite réellement éradiquer, sur l’ensemble du territoire national, l’habitat devenu trop dangereux pour être occupé ou pour être reconverti, alors il faut prévoir un mécanisme qui permette de travailler aussi sur les bâtiments en péril. Il ne peut laisser les élus de proximité seuls face à ces lourdes responsabilités. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Amiel.
M. Michel Amiel. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, alors que le Gouvernement s’est pleinement saisi, depuis le début du quinquennat, de la lutte contre l’habitat indigne, le terrible effondrement du 5 novembre dernier, rue d’Aubagne à Marseille, nous a rappelés à une triste réalité ; l’habitat indigne perdure, et c’en est trop.
L’État, les élus locaux que nous sommes ou, en tout cas, que nous avons été et les collectivités souhaitent pouvoir agir de manière plus sévère, plus efficace, plus rapide et, surtout, plus coordonnée. En effet, le manque de lisibilité des compétences respectives fait que, trop souvent, chacun se renvoie la balle.
Aussi me paraît-il nécessaire de rappeler, à l’instar de M. Bruno Gilles, les différences, qui ne sont pas toujours bien comprises, entre habitat indécent, habitat insalubre et habitat dangereux. Le pouvoir de police générale du maire s’articule avec les pouvoirs de police spéciale d’une façon qui n’est pas toujours claire, d’autant que l’insalubrité relève de la compétence de l’État, même si la mairie, en tout cas pour les plus importantes, possède parfois un service communal d’hygiène et de santé. Il en résulte des difficultés à définir qui fait quoi, et dans quels délais.
Je comprends donc la démarche de mon collègue marseillais, Bruno Gilles, et les avancées qu’il a voulu mettre en place pour lutter contre l’habitat indigne afin d’atténuer les difficultés que je viens d’esquisser. Cette proposition de loi vise à renforcer les capacités de contrôle et d’intervention des collectivités territoriales, à accélérer les délais de réponse des pouvoirs publics face aux situations d’insalubrité et de dangerosité et, enfin, à aggraver les sanctions contre les marchands de sommeil.
Un des points les plus pertinents qu’elle contient est la volonté d’actionner des leviers de prévention, au moyen de l’introduction de sanctions contre l’inaction d’un propriétaire, et de prévenir le passage des habitations d’une insalubrité remédiable à une insalubrité irrémédiable, afin de résorber au mieux les situations avant qu’elles ne deviennent trop critiques.
Le Gouvernement connaît l’ampleur du problème et a d’ailleurs fait de la lutte contre l’habitat indigne une priorité ; j’en profite pour saluer, monsieur le ministre, votre action lors de votre venue à Marseille, à laquelle j’étais associé. Je sais l’attachement du Gouvernement à protéger les plus vulnérables, pour offrir à chacun un logement respectueux de la dignité.
Je veux revenir sur trois faits parlants.
D’abord, dans la lignée de la loi ALUR, la loi ÉLAN, adoptée en fin d’année dernière, a habilité le Gouvernement à prendre, par voie d’ordonnance, des mesures concrètes pour simplifier les mécanismes de lutte contre l’habitat indigne, en permettant, par exemple, un meilleur repérage des bailleurs indélicats. Cette ordonnance a également pour objectif de favoriser le regroupement des compétences et procédures afin de rendre l’action publique plus efficiente en la matière.
Ensuite – dernier exemple en date –, une circulaire a été publiée le 8 février dernier afin, justement, d’améliorer la coordination de l’action des services de l’État et de renforcer l’efficacité de la réponse pénale. Le manque de coordination, la multiplicité d’acteurs jouent en effet, selon la Cour des comptes, en défaveur des politiques du logement. Aussi, cette circulaire rappelle l’importance de l’action des pôles départementaux de lutte contre l’habitat indigne, les PDLHI, qui devront établir, avant le début de juin 2019, un plan départemental pluriannuel, et elle incite à la mise en place de groupes locaux de traitement de la délinquance liée à l’habitat indigne.
Enfin, à l’occasion d’une question d’actualité au Gouvernement posée à la suite du drame de la rue d’Aubagne, vous avez rappelé, monsieur le ministre, la nécessité de travailler sur les délais pour favoriser l’action des maires et vous avez souligné les difficultés actuelles de relogement.
Notre pays compte près de 450 000 habitats indignes ou insalubres ; près de 1,3 million de personnes sont touchées par ce drame quotidien de la pauvreté. Cela comprend, on l’entend, d’abord, les composantes matérielles, mais le mal-logement prend aussi souvent la forme d’une suroccupation.
La commission a eu l’occasion d’en discuter, la qualité du travail de M. Gilles sur ce sujet important qu’est l’habitat indigne et les pistes explorées par cette proposition de loi vont dans le bon sens. Celle-ci cherche à parfaire les mécanismes de la loi ALUR en cernant avec davantage d’acuité le profil des marchands de sommeil, mais elle vise aussi à donner de nouvelles marges de manœuvre aux collectivités locales chargées de lutter contre l’habitat indigne.
Ce combat ne peut se concevoir que dans une politique globale du logement et, disons-le clairement, de lutte contre la pauvreté et la fragilité sociale. En effet, les locataires mais aussi des propriétaires en situation de précarité n’osent pas toujours entreprendre des démarches, faute de moyens pour les seconds, par peur de représailles pour les premiers. Le travail des pouvoirs publics face aux marchands de sommeil s’en trouve d’autant plus compliqué.
Toutefois, le sujet appelle à un peu plus de temps de réflexion. Ce délai me paraît nécessaire, notamment au vu de la mission confiée par le Premier ministre à deux députés, dont la députée marseillaise Alexandra Louis, sur le sujet, et dont les conclusions devraient être rendues d’ici à la fin de mai 2019.
Aussi, le groupe LaREM votera pour la motion de renvoi en commission, un vote bienveillant, qui nous laissera le temps d’évaluer et d’élaborer au mieux de nouveaux outils pour lutter contre ce véritable fléau qui touche les zones urbaines comme rurales, les locataires comme les propriétaires.
Cette proposition de loi, qui nous concerne tous et dont la réflexion doit s’inscrire dans une vision plus large, dans une vision politique de logement juste et pérenne, fera, je l’espère, l’objet de discussions plus nourries au début de l’été. (M. Daniel Chasseing applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, cette proposition de loi de Bruno Gilles nous permet d’évoquer un sujet important pour nos concitoyens, d’autant qu’il est souvent leur premier poste de dépenses, celui du logement et, plus particulièrement, du droit à un logement décent.
Même si la loi ÉLAN prévoit des mesures pour renforcer la lutte contre l’habitat indigne, beaucoup reste à faire concrètement sur le terrain, et l’actualité récente nous l’a rappelé à plusieurs reprises.
Au travers de cette question du logement, de nombreuses problématiques se font jour : enjeux économiques, territoriaux, sanitaires, sociétaux. Selon un récent rapport de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, le mal-logement coûte aux pays de l’Union européenne près de 194 milliards d’euros par an, en coûts directs et indirects. Si on compare cette somme aux 295 milliards d’euros d’investissements nécessaires pour la remise à niveau du parc immobilier en Europe, on constate que la rentabilité d’un tel investissement serait rapide pour l’État, pour ses entreprises et pour les Français.
En France, les chiffres parlent d’eux-mêmes ; si le taux de logement insalubre est, à Marseille, supérieur à la moyenne, avec environ 40 000 logements, soit 35 % du parc, le chiffre reste élevé dans beaucoup de régions de France, avec, par exemple, 10 % dans le nord de la France. C’est toujours trop.
La Fondation Abbé Pierre évalue à 3,8 millions le nombre de personnes mal logées, mais elle estime en outre que 12 millions de personnes sont susceptibles de basculer dans cette catégorie, au vu de la cherté des loyers et des charges. Au total, plus de 15 millions de personnes seraient touchées par la crise du logement, soit près d’un Français sur quatre, principalement dans les grandes villes et les centres-villes.
Face à ce constat, il est primordial d’agir à la fois sur le volet répressif – c’est l’objet de la présente proposition de loi –, mais également sur le volet préventif, non traité dans ce texte. En effet, pour agir efficacement, la prévention est essentielle. Les logements insalubres doivent être mieux identifiés. Pour cela, le travail de repérage sur le terrain, fondé principalement sur des signalements d’occupants ou de propriétaires, est essentiel.
À la suite de ces signalements, les services de l’État et ceux des communes peuvent réagir et décider si des travaux permettront de remédier à la situation d’insalubrité constatée.
Les moyens octroyés aux agences régionales de santé –bras armés de l’État pour identifier les logements insalubres – doivent être renforcés ; les réduire reviendrait à vouloir lutter contre la délinquance en supprimant des effectifs dans la police…
Si le nombre de logements indignes a diminué, passant de 600 000 à 400 000 au cours des dix dernières années, il est maintenant nécessaire de réduire le délai entre le temps du signalement et le temps de l’intervention, pour éviter des drames comme celui de Marseille.
Il convient également de se préoccuper de l’insalubrité des logements dans les zones périurbaines, essentiellement peuplées de propriétaires occupants. Pour ce faire, il est notamment nécessaire communiquer davantage et mieux sur les aides à la rénovation disponibles.
Le grand débat national nous permet de constater, à chaque réunion, que l’éloignement de la chose publique entraîne non seulement une méconnaissance forte des institutions et du modèle social français, mais aussi une ignorance des possibilités qu’offrent les dispositifs mis en place par l’État ou par les collectivités. Cela est notamment vrai pour les aides aux travaux d’isolation et de rénovation, le rapport coût-avantages étant, en outre, compliqué à appréhender pour les ménages.
Ainsi, selon le baromètre « habitat sain 2018 », les deux tiers du parc ont été construits avant l’entrée en vigueur des premières réglementations thermiques, en 1979, et seuls 10 % des logements sont classés, sur le plan énergétique, en catégorie A ou B. Parallèlement, de 1 % à 2 % seulement du parc immobilier est rénové chaque année.
Pour lutter efficacement contre l’habitat insalubre, il faut, plutôt que d’être dans la réaction à des situations dramatiques, privilégier l’anticipation et la prévention constructives.
Concernant le volet répressif, certaines mesures de la proposition de loi vont dans le bon sens. Il convient de renforcer les capacités de contrôle et d’intervention des collectivités locales, d’accélérer les procédures et, surtout, de les simplifier.
Sous l’égide de grands principes ou de politiques nationales, et avec l’appui d’administrations et d’agences, c’est bien aux collectivités qu’il revient de piloter ces volets de l’action publique territoriale. J’espère d’ailleurs que la mission confiée au député Guillaume Vuilletet contribuera à simplifier et à harmoniser le dispositif législatif et réglementaire actuel non seulement pour le rendre plus efficace et simplifier la vie des collectivités locales, mais aussi pour assurer une meilleure appréhension par les habitants des possibilités offertes par les politiques publiques en la matière. La proximité est une donnée essentielle en matière de logement. Elle pourra être incarnée par les collectivités territoriales.
Mais ce renforcement des sanctions ne sera pertinent que s’il est accompagné de contrôles plus importants et des moyens humains et financiers adéquats. L’État ne pourra se défausser sur les territoires : le nouveau cadre devra prévoir la répartition des moyens humains et financiers appropriés.
Le groupe Les Indépendants soutiendra la motion tendant au renvoi de la proposition de loi à la commission présentée par la rapporteure afin de permettre un examen plus approfondi de ce texte et d’étoffer les mesures proposées.
L’existence de logements insalubres en France est un fléau qu’il faut combattre de façon déterminée au moyen d’une politique publique volontariste, en mettant l’accent sur les volets répressif et préventif. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – M. Charles Revet applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Bruno Gilles fait bien évidemment suite au drame survenu à Marseille le 5 novembre dernier. La France entière a alors pris conscience de l’ampleur du problème du mal-logement et de l’habitat insalubre et de ses conséquences les plus atroces, pouvant aller jusqu’à la perte de vies humaines. Il y aura un avant et un après 5 novembre.
Comme l’a rappelé Mme la rapporteure, nous ne devons pas oublier que la question du logement indigne se pose aujourd’hui dans tous les territoires, tant urbains que ruraux.
Cette proposition de loi répond à une urgence, sans se borner à une réponse émotive suscitée par le drame de Marseille. Elle comporte des mesures concrètes, dont certaines ont déjà été débattues ici même, notamment lors de l’examen du projet de loi ÉLAN.
La commission a procédé à un certain nombre d’auditions et a effectué des déplacements sur le terrain, en Seine-Saint-Denis, avec Fabien Gay, ou à Marseille. Je tiens à remercier la commission d’avoir organisé ces déplacements : si nous avons tous, en tant qu’élus, une expérience personnelle en matière de logement, il est des réalités qu’il faut voir.
À cet égard, ce que nous avons vu à Marseille est édifiant, soit dit sans stigmatiser cette ville. Les logements indignes ne sont pas forcément à faible loyer : le manque de logements est tel, dans notre pays, que des locataires en sont réduits à accepter de payer cher pour vivre dans des appartements insalubres. Beaucoup n’ont pas d’autre choix, sauf à dormir dans la rue.
Il revient à la puissance publique, aux collectivités territoriales mais aussi à l’État, de prendre le problème à bras-le-corps. Nous n’allons pas rouvrir ici les débats que nous avons eus lors de l’élaboration de la loi ÉLAN, mais nous estimons, monsieur le ministre, que les ambitions de ce texte sont en deçà du nécessaire. Lors de nos déplacements, la nécessité d’accroître le nombre de logements disponibles pour résoudre la question du logement indigne était invariablement soulignée, par les élus comme par les associations de locataires. Or qui est mieux à même que les acteurs du logement social de relever ce défi ? En les mettant à mal, on fragilise les possibilités de construction et de rénovation de logements.
Il est inacceptable, indigne de notre République, que des personnes vivent dans des logements insalubres où le taux d’humidité est tel qu’il favorise l’apparition de maladies respiratoires chroniques mettant en danger leur vie à plus ou moins long terme.
Pour traiter ces problématiques du logement indigne, il nous faut redonner aux élus locaux les moyens d’agir, avec le soutien financier de l’État. Aujourd’hui, le financement de l’ANAH n’est pas suffisant. Les bailleurs sociaux ont plus besoin d’être accompagnés que d’être fusionnés et mis à l’amende.
Le groupe CRCE votera la motion tendant au renvoi de ce texte à la commission, car il convient d’approfondir la réflexion. Il ressort en effet de nos auditions et de nos déplacements qu’il importe de trouver les dispositifs les plus efficaces pour répondre à l’urgence et améliorer des conditions de logement parfois indignes de notre République, au XXIe siècle. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Samia Ghali.
Mme Samia Ghali. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, je crois aux signes, à ceux qui nous rappellent le sens des choses.
Nous sommes aujourd’hui le 5 mars. Voilà quatre mois, huit Marseillais ont perdu la vie, 2 000 personnes ont été déplacées. Certains ne retrouveront jamais leur logement, et seront obligés de vivre dans des quartiers qu’ils n’ont pas choisis. Des enfants, des personnes âgées ou malades vivent toujours à l’hôtel.
C’est cette situation de chaos, à Marseille, qui nous conduit à débattre aujourd’hui.
La commission, dont je salue la sagesse et le sens du devoir, a décidé de retravailler cette proposition de loi présentée par notre collègue Bruno Gilles.
En effet, le mal-logement est un drame du quotidien, un drame qui est un problème politique et une cause humanitaire ; nous n’avons pas le droit à l’erreur.
Le drame de la rue d’Aubagne doit guider nos consciences, car il est la conclusion tragique des combats que la ville de Marseille et la majorité municipale ont refusé de mener : le combat contre la pauvreté, qui touche plus de 200 000 Marseillais ; l’aide aux 12 000 sans-abri que compte la ville ; la lutte contre le logement insalubre, qui concerne 100 000 personnes.
Pour être utile, cette discussion doit faire émerger des vérités ; sinon, elle ne servira à rien.
L’habitat insalubre est un fléau national. Pourtant, les moyens financiers et les outils législatifs existent. Des villes comme Créteil ou Paris ont eu des résultats en prenant leurs responsabilités, ce que d’autres n’ont pas fait : la différence est là.
À Marseille, malgré le rapport Nicol de 2015, les alertes lancées par Marie-Noëlle Lienemann lorsqu’elle était ministre du logement et par moi-même au conseil municipal, la ville n’a rien fait ; vous le savez bien, monsieur le ministre.
Sur le plan budgétaire, Marseille a engagé, en 2017, 16 000 euros pour lutter contre le mal-logement, quand la ville de Lille mobilisait 200 000 euros. Quelle honte !
Le permis de louer, qui existe depuis 2014, vient juste d’être mis en place par la métropole, en ne ciblant qu’un microquartier…
M. François Bonhomme. On voit que les municipales approchent !
Mme Samia Ghali. On voit bien qu’il s’agit là d’une absence de volonté politique.
J’ai travaillé, comme vous le savez, monsieur le ministre, pour que la lutte contre le logement insalubre à Marseille devienne une cause nationale, parce que nous avons atteint un point de non-retour.
À ce titre, je voudrais vous remercier, monsieur le ministre, de votre engagement sans relâche et de votre soutien aux Marseillais et à Marseille, immédiatement après la catastrophe, quand d’autres restaient dans le silence, voire dans le déni.
Je veux saluer la création de la société publique locale d’aménagement d’intérêt national, la SPLA-IN, que j’appelais de mes vœux au Sénat.
M. François Bonhomme. Le temps de parole est écoulé !
Mme Samia Ghali. Nous ne pouvons plus attendre que des événements tragiques se produisent pour trouver des solutions: La caisse d’allocations familiales est aujourd’hui en mesure de bloquer le versement des allocations aux propriétaires véreux, dont certains appartiennent à la majorité municipale… (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Samia Ghali. Nous devons lutter contre les vacances de logements de longue durée grâce à l’ordonnance de 1945. Jacques Chirac l’avait fait quand il était maire de Paris. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Il faut vraiment conclure, madame Ghali !
Mme Samia Ghali. Je conclus, madame la présidente, mais d’autres orateurs ont dépassé leur temps de parole.
Comme le disait Jacques Chirac, « la réquisition, ce n’est pas du vol ». (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Je m’arrête là, mes chers collègues. Je comprends que mes propos aient pu faire mal aux oreilles de certains d’entre vous !
M. Vincent Segouin. Applaudissements nourris !
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer l’initiative de notre collègue Bruno Gilles et le travail mené avec ténacité, comme à l’habitude, par Mme Estrosi-Sassone.
Cette proposition de loi aborde un sujet essentiel qui concerne un droit fondamental, le droit de chacun à vivre dignement.
L’habitat insalubre est en France un véritable fléau, dont l’ampleur a de quoi interpeller. On estime en effet à 600 000 le nombre de logements indignes et insalubres en France et à plus de 1 million le nombre de personnes concernées.
Or l’habitat indigne rend malade, isole, exclut et peut aussi tuer, comme on l’a vu récemment à Marseille. Un tel drame peut aussi arriver ailleurs, car c’est l’ensemble de notre territoire, en métropole comme dans les outre-mer, qui est concerné par l’habitat indigne ou dangereux.
Il faut rappeler que plus de 20 % de ces logements se situent dans les territoires ruraux – ce chiffre m’a frappé. Ces territoires ne doivent pas être oubliés, la crise actuelle nous le rappelle.
Face à ce constat, ce texte propose des réponses, notamment en matière de lutte contre les marchands de sommeil, en visant à compléter et à renforcer des dispositions de la loi ALUR, de la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté et de la loi ÉLAN, ce qui va évidemment dans le bon sens. Il prévoit en particulier le durcissement des dispositifs du permis de louer et du permis de diviser ou le renforcement de la possibilité, pour les associations, de se porter parties civiles.
Mais il faut aller plus loin encore. Le groupe du RDSE est favorable au renvoi de ce texte à la commission, qui nous permettra de poursuivre la réflexion sur ce sujet éminemment technique et complexe, mais aussi profondément humain. S’il est urgent d’agir, il faut également, devant des enjeux d’une telle gravité, prendre le temps d’approfondir la réflexion pour gagner, à terme, en efficacité.
Mais il faut aussi replacer ce sujet dans un contexte global de crise du logement. En effet, de nombreuses personnes se trouvent conduites à accepter des logements indignes faute d’une offre de logement social suffisante. S’il faut sanctionne les marchands de sommeil, il faut aussi prévenir les difficultés, grâce à une offre de logement adaptée aux possibilités des personnes précaires et en difficulté.
Selon la Fondation Abbé Pierre, l’explosion du coût des loyers dans le parc privé décent et le déficit de logements sociaux amènent le parc privé dégradé à jouer le rôle d’un parc social de fait pour des ménages contraints d’y vivre.
Dans ce cadre, les dispositions budgétaires récemment adoptées sont à déplorer, notamment la baisse des APL ou la disparition de l’APL accession, qui permettait à un public fragile de financer des travaux.
De même, on peut s’inquiéter de certaines mesures de la loi ÉLAN relatives à la vente de logements sociaux, à la fusion des organismes d’HLM ou encore au recul de l’encadrement des loyers.
Se pose également la question des moyens pour financer la lutte contre l’habitat indigne. Mettre en place un arsenal juridique, notamment des mesures répressives, ne suffit pas : il faut des moyens pour mener cette politique de manière ambitieuse.
En particulier, les moyens de l’Agence nationale de l’habitat doivent être renforcés. La Fondation Abbé Pierre estime que les objectifs de cette agence, à savoir la rénovation de 10 000 à 15 000 logements par an, sont bien trop peu ambitieux au regard du stock des 600 000 logements indignes identifiés.
Le financement de ces actions pose, selon moi, la question de la fiscalité carbone. Je le sais, cette fiscalité n’a pas aujourd’hui bonne presse. Le contexte pousse d’ailleurs fortement à éviter le sujet. Je ne suis pas d’accord : la mise en place d’une fiscalité carbone lisible, juste et efficace, destinée à financer des mesures favorisant une véritable justice sociale, est plus que nécessaire et urgente. C’est un outil qui doit nous permettre de répondre aux enjeux de la transition écologique et sociale, notamment dans le domaine du logement. En effet, la lutte contre l’habitat indigne est aussi une lutte contre la précarité énergétique, véritable fléau qui touche aujourd’hui 5,6 millions de foyers.
Là encore, il nous faut consacrer bien plus de moyens et faire preuve de bien davantage d’ambition pour la rénovation thermique des bâtiments. En renforçant les plans de rénovation énergétique, nous créerions des milliers d’emplois dans ce secteur. C’est grâce à ce type de mesures, alliant justice sociale et impact économique et environnemental vertueux, que nous pourrons concilier les demandes légitimes de progression du pouvoir d’achat avec la nécessité de limiter notre consommation énergétique.
Il nous faut, eu égard à l’urgence sociale et environnementale, lancer un grand programme d’investissements publics écologiques, dont le coût ne serait pas pris en compte au titre des 3 % de déficit budgétaire autorisés par l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Jean-François Husson. C’est un rêve !
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, quatre mois jour pour jour après que huit Marseillais ont perdu la vie dans l’effondrement de leur immeuble situé à quelques centaines de mètres du Vieux-Port, et donc de la mairie centrale, nous sommes invités à nous prononcer sur une proposition de loi visant à lutter contre l’habitat indigne dans notre pays.
La France, qui serait l’un des pays les plus riches du monde, compte près de 450 000 logements insalubres, dont 40 000 à Marseille !
À ces élus marseillais et marseillaises qui cherchent à se racheter une virginité politique à Paris, je rappellerai que j’avais déposé sur le bureau du Sénat, dès le mois de novembre dernier, une proposition de résolution visant à la création d’une commission d’enquête pour faire toute la lumière sur les responsabilités des élus phocéens, rappelant fortement ce que l’on appelle le « front républicain », dans ce drame de la rue d’Aubagne. Je vous invite à la soutenir ; elle aurait dû être un préalable à toute discussion sereine sur le sujet.
Le texte qui nous est présenté vise à inverser la tendance en matière de permis de louer : après deux mois sans réponse de la commune, le permis serait désormais automatiquement refusé.
Soit dit sans vouloir faire de généralités, quand on connaît la difficulté des services à assurer leurs missions quotidiennes, parier sur une telle réactivité relève du rêve, au regard de l’ampleur du phénomène de l’habitat indigne, sauf à embaucher de nombreux agents, de préférence compétents. À cet égard, je rappelle que le service communal d’hygiène et de santé de la ville de Marseille ne comprenait que quatre agents jusqu’en 2016, l’agence régionale de santé affirmant qu’ils n’étaient même pas formés !
Alors que vous proposez, mon cher collègue, de combattre les marchands de sommeil par plus de contrôle et plus de répression – il faut le faire –, la hausse des refus de permis de louer entraînera inévitablement une hausse des locations clandestines, via ce que l’on appelle communément les marchands de sommeil. Les familles en recherche urgente de logement, nombreuses à Marseille, n’auront d’autre recours que d’accepter une location sans bail, avec toutes les dérives que cela peut impliquer.
Je voudrais rappeler que nombre de petits propriétaires ne peuvent plus assumer les travaux nécessaires, faute de percevoir les loyers de locataires mauvais payeurs, squatteurs ou clandestins. Protéger les locataires, oui, mais n’oublions pas les difficultés des petits propriétaires.
Je tiens également à rappeler que le premier marchand de sommeil reste l’État : la réduction drastique de ses dotations aux communes ne permet pas aux villes les plus pauvres, à l’instar de Marseille, d’assumer la totalité de leurs charges, surtout quand, localement, les choix financiers calamiteux se succèdent. Et si la municipalité n’a pas été à la hauteur, où sont les millions promis à Marseille par les marchands de sommeil, et accessoirement Premiers ministres, Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls ?
Il n’est jamais bon de prendre des décisions dans la précipitation, dans un contexte encore marqué par l’émotion. Le renvoi du texte à la commission semble donc opportun. Je vous mets en garde, mon cher collègue et voisin marseillais, contre les effets pervers que la mise en œuvre de vos propositions pourrait, en définitive, engendrer. Il ne faudrait pas que la thérapie aggrave l’état du malade. Un malade, Marseille, qui ne souffre pas seulement de l’indignité de trop nombreux logements, mais aussi de l’insalubrité de ses écoles. Après avoir été mise sous surveillance par l’État pour son habitat indigne, Marseille est désormais sous contrôle du ministre pour l’insalubrité de ses établissements scolaires. J’en viens à me demander s’il ne serait pas plus pertinent, plutôt que de changer la loi, de changer le personnel politique qui est aujourd’hui censé l’appliquer ! (Mme Claudine Kauffmann applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, madame la rapporteure, mes chers collègues, habitat dégradé, indécent, indigne, insalubre ou dangereux : les termes ne manquent pas pour décrire la situation que vivent plusieurs millions de nos concitoyens en France, au XXIe siècle…
Les drames comme celui de Marseille nous rappellent, au prix de vies humaines, combien nos politiques publiques sont peu efficaces pour résorber ces situations.
Pourquoi ? Voilà bien la question que nous devons nous poser. Les rapports ne manquent pas, entre celui sur le mal-logement rendu chaque année par la Fondation Abbé Pierre et ceux commandés par les collectivités territoriales ou les services de l’État, tel le rapport de l’IAU, l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région d’Île-de-France, remis en décembre dernier.
On parle de 450 000 logements indignes ou insalubres recensés en France, mais leur nombre serait plutôt, en réalité, de 1 à 2 millions. Nous savons qu’il est très difficile de détecter ces situations, que beaucoup de propriétaires dissimulent lorsqu’ils ne respectent pas la loi, tandis que certains locataires n’osent pas les dénoncer, craignant de perdre le seul logement qu’ils aient pu trouver.
Ces situations sont donc difficiles à détecter, mais elles sont surtout bien trop longues à traiter : voilà où le bât blesse. Lors d’une visite de terrain de la commission des affaires économiques en Seine-Saint-Denis, à Aubervilliers, à laquelle je participais, Mme la maire nous a fait visiter une copropriété ayant fait l’objet d’un premier signalement en 1999, voilà vingt ans. Depuis, malgré quelques travaux, essentiellement sur la façade, le bâti a continué de se dégrader, au point que certains immeubles sont devenus inhabitables, le reste de la copropriété étant toujours occupé. Au bout de vingt ans, le problème n’est toujours pas résolu ; la situation s’est au contraire aggravée, devenant même dangereuse aujourd’hui !
Les causes de ces délais incroyablement longs, nous les connaissons : impécuniosité des propriétaires, biens en déshérence, syndics défaillants, procédures trop longues et trop complexes, difficulté à se substituer aux propriétaires, mais aussi, monsieur le ministre, faiblesse des moyens de nos tribunaux, particulièrement en Seine-Saint-Denis. Les contentieux en matière d’urbanisme sont parfois, dans ce département, relégués très loin dans la file d’attente…
Cependant, au cours des dix dernières années, nous avons fait évoluer notre droit dans le bon sens. La question posée par notre collègue Bruno Gilles est de savoir s’il faut encore le modifier. Peut-être, ai-je envie de répondre, mais je voudrais tout de même souligner que la difficulté principale tient aux moyens.
On demande à nos collectivités locales d’en faire toujours plus dans ce domaine : permis de louer, permis de diviser, recrutement d’agents pour aller vérifier la salubrité des appartements… Tout cela suppose des moyens. Or, dans le même temps, vous demandez aux collectivités territoriales de limiter l’augmentation de leurs dépenses de fonctionnement à 1,2 % au maximum : il y a là une incohérence. Dès lors, monsieur le ministre, peut-être faudrait-il exempter la politique publique du logement, si importante, de l’application de cette toise que vous imposez à l’ensemble des collectivités.
Concernant les moyens que la puissance publique met sur la table, je voudrais aussi évoquer le programme national de requalification des quartiers anciens dégradés, le PNRQAD. Associant l’ANAH, l’ANRU et l’État, il était doté de 380 millions d’euros et devait permettre, grâce à l’effet de levier, de mobiliser 1,5 milliard d’euros. Pour 1 million de logements à traiter, cela représentait 150 euros par logement… Mes chers collègues, il ne faut pas se payer de mots : on n’y arrivera pas.
Si l’on veut réaliser pour 20 000 euros de travaux dans un million de logements, il faut trouver 20 milliards d’euros.
Je sais que les choses ne sont pas simples sur le plan budgétaire, particulièrement dans la période actuelle, monsieur le ministre. Vous avez évoqué une somme de 18 milliards d’euros, en incluant, si j’ai bien compris, les budgets de l’ANRU, qui ne traite pas particulièrement de ces sujets, et de l’ANAH. On n’y est pas !
Le seul moyen de parvenir à régler dans des délais raisonnables un problème d’une telle ampleur serait, à mon sens, de mettre sur pied quelque chose qui ressemblerait à l’ANRU 1 de Jean-Louis Borloo, qui avait bien compris qu’il fallait intervenir massivement dans les délais les plus courts possible. Mes chers collègues, je ne dis pas que c’est facile, mais si nous ne le faisons pas, nous aurons beau modifier tous les textes que nous voudrons, nous ne serons pas plus efficaces pour autant. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
6
Souhaits de bienvenue à de jeunes citoyens en tribune
Mme la présidente. Mes chers collègues, je salue la présence dans notre tribune des membres du conseil municipal des jeunes de la commune de Le Soler, dans les Pyrénées-Orientales. Qu’ils soient les bienvenus ! (Applaudissements.)
7
Lutte contre l’habitat insalubre ou dangereux
Suite de la discussion d’une proposition de loi
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi visant à améliorer la lutte contre l’habitat insalubre ou dangereux.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Sylvie Vermeillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Sylvie Vermeillet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il devrait être impossible, inconcevable de se faire de l’argent au détriment de vies, en logeant des personnes dans des conditions indignes et dangereuses pour leur santé. Et pourtant, en France, la location de logements insalubres est encore, en 2019, un marché dont profitent les marchands de sommeil et qui fait des victimes. En 2013, encore 10 % du parc de logements présentait au moins trois des « défauts graves » identifiés par l’Insee. La crise du logement n’est pas une raison suffisante pour qu’une partie de nos concitoyens en soit réduite à se loger dans des conditions indécentes.
Le groupe Union Centriste et moi-même sommes heureux d’avoir l’occasion d’étudier cette proposition de loi, qui a pour objet d’améliorer les dispositifs en vigueur pour lutter contre ce fléau d’un autre âge. Je tiens à remercier notre collègue Bruno Gilles pour son précieux travail d’identification des carences actuelles et ses propositions ambitieuses.
Je souhaite appeler l’attention sur l’amendement que j’ai déposé avec plusieurs de mes collègues, visant à insérer un article additionnel après l’article 4, dont l’objet est de renforcer les capacités d’intervention des collectivités territoriales en matière de logements insalubres ou dangereux.
La question qui sous-tend cet article est celle du non-enclenchement des procédures lorsqu’il est avéré que des personnes vivent dans un logement s’apparentant à une « mine de salpêtre » ou à un « château de cartes ». En effet, comment de petites communes pourraient-elles se substituer à des propriétaires défaillants si elles n’ont pas la capacité financière de déconstruire ou de démolir un habitat présentant un risque de péril ? Sur 2,8 millions de logements présentant au moins trois défauts graves, un cinquième, soit 560 000 logements, se trouvent dans des communes rurales ! Les territoires urbains n’ont donc pas l’exclusivité des logements à l’état préoccupant.
Soit nous assumons le fait que des communes rurales doivent se résoudre à ne pas engager de procédure, faute de certitude en matière de financement, soit nous dédions à ces opérations de déconstruction ou de démolition une part des crédits de la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DETR, attribués dans les départements. Tel est l’objet de notre amendement, qui vise à consacrer 5 % de cette dotation à la lutte contre l’habitat insalubre ou dangereux. L’État ne doit pas fermer les yeux sur la détérioration de ces logements. Il doit être cohérent, et allouer les moyens nécessaires à ces enjeux, les réponses devant être adaptées, comme l’a très justement rappelé Mme la rapporteure, aux territoires.
Nous estimons en outre qu’il serait bon de ne pas se cantonner à l’intervention de l’ANAH, qui ne vise que les immeubles à usage de logement. En effet, nous considérons que davantage doit être fait en matière de financement de la déconstruction ou de la démolition de l’habitat en péril, pour répondre à une situation particulière à laquelle les autorités locales en milieu rural sont de plus en plus fréquemment confrontées. Davantage de certitudes quant aux moyens financiers disponibles, c’est l’assurance d’une action tangible de nos collectivités, même les plus petites d’entre elles.
Si le mal-logement a considérablement reculé en France ces dernières décennies, trop de foyers français vivent encore dans des conditions dignes de l’époque des Rougon-Macquart. Le drame de Marseille ne doit plus se reproduire. Nous ne pouvons pas abandonner nos communes, grandes ou petites, dans leur action en faveur de ce droit essentiel qu’est l’accession à un habitat décent. Nous soutiendrons toutes les mesures allant en ce sens et voterons la motion tendant au renvoi du texte à la commission, afin de permettre à celle-ci de travailler de manière plus approfondie. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Calvet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Claude Luche applaudit également.)
M. François Calvet. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui, sur l’initiative de mon cher collègue Bruno Gilles, un texte de circonstance, qui fait suite au drame survenu rue d’Aubagne, à Marseille, le 5 novembre 2018.
Les logements insalubres ou dangereux ne sont pas l’exclusivité de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, tous les maires ou présidents d’EPCI pouvant être confrontés à un drame tel que celui de Marseille, avec l’effondrement d’immeubles ou de bâtiments menaçant ruine.
Ainsi, à Perpignan, dans mon département des Pyrénées-Orientales, l’effondrement en 2006 d’une partie de l’îlot de la place du Puig a fait un mort et plusieurs blessés. Plus récemment, en 2014, toujours au cœur de la capitale catalane, dans le quartier historique de Saint-Jacques, un immeuble s’est écroulé, ce qui a déclenché une prise de conscience et une série de décisions de la part des autorités pour prendre en compte la situation de ces logements insalubres ou dangereux. Ainsi, la mairie de Perpignan, en partenariat avec la direction de l’hygiène et de la santé, a dressé un bilan de ces habitats et a procédé à un nombre record d’interventions en 2018 : 218 visites de contrôle ont donné lieu à la prise de dix arrêtés de péril imminent !
Au regard de cet inquiétant constat, je salue cette proposition de loi, qui va dans le bon sens pour améliorer la lutte contre l’habitat indigne ou dangereux. En effet, force est de constater que l’arsenal juridique important inscrit dans le code de la santé publique, le code général des collectivités territoriales, le code de la construction et de l’habitation et le code de la sécurité sociale ne suffit pas à traiter de manière cohérente, efficiente et efficace l’ensemble des situations que nous rencontrons aujourd’hui.
Je pense en particulier à la prise en compte de la dignité humaine. L’habitat indigne est un secteur lucratif et, bien souvent, ce sont des familles en grande précarité qui vivent dans ces logements et se trouvent confrontées à des propriétaires « marchands de sommeil » sans scrupules, qui contournent la réglementation.
À cet égard, je souhaiterais souligner la nécessité de mener une réflexion sur la question des aides au logement versées par les CAF et les caisses de la Mutualité sociale agricole. Dans certains cas, malheureusement, ces aides alimentent la rentabilité de la location de logements indignes, voire encouragent celle-ci. En effet, les propriétaires de ces logements minimisent le risque locatif en alignant le loyer sur le niveau des aides au logement et en sollicitant le versement direct de ces aides à leur profit, ce qui entretient un système délétère.
En ce qui concerne l’aspect humain et social, l’article 3 du texte vise à ouvrir aux associations la possibilité de saisir la justice, en permettant aux locataires concernés de se constituer parties civiles. Cela permettra de rééquilibrer le rapport de force avec les propriétaires « marchands de sommeil ».
De même, les dispositions tendant à encadrer la délivrance du « permis de louer », avec l’instauration d’une décision implicite de refus en l’absence de réponse au bout de deux mois après le dépôt de la demande, ou à renforcer les sanctions contre les « marchands de sommeil », avec la possibilité de consulter le casier judiciaire d’une personne sollicitant un « permis de louer » ou un « permis de diviser », permettront d’améliorer le dispositif réglementaire et inciteront certainement les maires ou les présidents d’EPCI à recourir à ce mécanisme.
Certes, cette proposition de loi ne réglera pas la question du traitement des quartiers insalubres ou dangereux nécessitant une réhabilitation, car menaçant péril. Comme je le disais en commission, en cas d’insalubrité, faut-il rénover ou tout raser ?
À court terme et très concrètement, ce texte permettra néanmoins de faire cesser certains comportements abusifs en prenant le problème à la racine. Il amorcera ainsi les changements indispensables qu’exigent, d’une part, la rénovation urbaine, notamment par la simplification de l’expropriation prévue à l’article 4, et, d’autre part, l’effectivité du droit, pour les familles en situation de précarité, de se loger dignement.
Je soutiendrai la motion tendant au renvoi du texte à la commission, afin de permettre à celle-ci d’approfondir la réflexion. Par ailleurs, je vous invite, madame le rapporteur, à venir à Perpignan, où l’habitat indigne présente la spécificité de s’inscrire sur une trame moyenâgeuse. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Guillemot. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Annie Guillemot. Madame la présidente, madame la rapporteure, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà quatre mois, jour pour jour, l’effondrement de plusieurs immeubles à Marseille causait la mort de huit personnes et obligeait de nombreuses autres à quitter leur logement. Samia Ghali l’a dit avec son cœur : des enfants ont perdu leur histoire, des jeunes qui préparaient le baccalauréat ont perdu leurs cours, des personnes ont perdu leurs photos et, plus largement, tout ce qui fait leur intimité, car le logement, ce n’est pas seulement un toit. Monsieur le ministre, je pense vraiment que Marseille a besoin de la solidarité nationale.
En France, l’habitat insalubre représente de 450 000 à 600 000 logements, dont 70 000 sont situés en outre-mer. Ce sont donc plus d’un million de nos concitoyens, bien souvent les plus fragiles d’entre eux, qui y sont confrontés. Ce phénomène nous concerne tous. Il affecte tous les territoires et tous les types de logements. Le renforcement de la lutte contre l’habitat insalubre ou dangereux constitue donc un impératif national et exige que l’on puisse apporter des réponses plus rapides et plus efficaces. C’est pourquoi nous partageons les objectifs sous-tendant le texte de notre collègue Bruno Gilles, tout comme nous approuvons les trois séries d’actions qu’il propose, à savoir le renforcement des capacités de contrôle et d’intervention des collectivités territoriales et de leurs groupements, l’accélération des réponses données aux situations d’insalubrité et de dangerosité des immeubles et le renforcement de l’efficacité des sanctions pouvant être prises contre les marchands de sommeil.
Néanmoins, nous voterons la motion présentée par Mme la rapporteure. En effet, même si l’arsenal législatif de lutte contre l’habitat indigne et dangereux et contre les marchands de sommeil a été renforcé à l’occasion de l’élaboration des trois derniers textes relatifs au logement – la loi ALUR, la loi relative à l’égalité et la citoyenneté et la loi ÉLAN –, il reste des « trous dans la raquette » ! Je pense notamment à la notion de gouvernance, dont l’efficacité est pénalisée du fait de la multiplicité des responsabilités et compétences. À ce titre, je pense aux maires, qui doivent assurer la protection des personnes mais se trouvent confrontés à la problématique du relogement alors que, bien souvent, les victimes n’ont plus accès au logement social et que la pénurie de logements est criante, comme c’est le cas à Marseille. Les maires, qui ne sont pas responsables de tout, doivent également faire face aux délais de nomination d’un expert – souvent de six à huit mois – puis de production d’un rapport…
Le sujet est très complexe. Songeons par exemple qu’un tribunal a récemment jugé une affaire dans laquelle une famille payait à la fois l’hôtel et le loyer de son logement. En effet, lorsque le maire prend un arrêté de péril, la suspension des effets du bail n’est pas toujours ordonnée, même en cas de logement impropre à l’habitation. Elle intervient bien souvent plusieurs mois après la prise en charge du dossier par les services compétents. Pour les intéressés, c’est la double peine !
Par ailleurs, des locataires réglant leur loyer en espèces se sont vus condamnés et expulsés pour loyer impayé. Des marchands de sommeil ont ainsi réussi à faire expulser leurs locataires ! Au cours des auditions que nous avons menées, des associations nous ont indiqué que le renforcement de la législation avait conduit les marchands de sommeil à exercer une pression accrue sur leurs victimes pour faire respecter la loi du silence.
Songeons qu’il existe aussi, à côté des marchands de sommeil, des propriétaires qui n’ont pas les moyens d’effectuer les réparations nécessaires. Le cas des copropriétés dégradées, que je connais bien, échappe souvent à notre vigilance : il est très difficile d’établir des constats d’insalubrité dans une copropriété dégradée.
Nous avons, en commission des affaires économiques, déjà entendu de nombreux acteurs ministériels, locaux ou associatifs. D’autres auditions sont à venir. Par ailleurs, certains membres de la commission se sont rendus à Aubervilliers, à Montfermeil ou à Marseille. L’ensemble de ces travaux et déplacements ont enrichi notre réflexion et nos analyses, ce dont je me félicite.
Pour autant, il paraît indispensable de contextualiser ce texte au regard d’une paupérisation grandissante, de la suppression du dispositif de l’APL accession, de la baisse des crédits alloués aux offices d’HLM, de l’évolution des moyens consacrés aux réhabilitations. Traiter de l’habitat insalubre dans un contexte de crise du logement nécessite de prendre du recul, afin de pouvoir parvenir à un texte abouti, au regard notamment des impératifs de simplification et de faisabilité. Cela est particulièrement important alors que le nombre de permis de construire délivrés a diminué de 7 % en 2018 et que les mises en chantier ont connu un recul du même ordre, la contraction étant de 18,3 % par rapport au même trimestre de 2017. Il en va de même pour les logements collectifs, avec une baisse de 7,5 % sur l’année 2018.
Comme nous l’avons dit lors des travaux en commission, le groupe socialiste et républicain considère que la protection des occupants de logements indignes doit être renforcée, notamment par la création d’un nouveau chapitre dédié. Ces occupants peuvent rester dans un grand dénuement et sous l’emprise de propriétaires qui n’hésitent pas à exercer diverses pressions. Il convient également de permettre aux maires de prendre des mesures conservatoires pour protéger, le cas échéant, les occupants et d’inscrire dans la loi DALO une présomption de bonne foi des occupants, afin d’éviter la résiliation du bail pour impayés, qui les prive de leur droit à relogement ou de recours à indemnisation. Il s’agit enfin de mettre le propriétaire à contribution : en cas d’interdiction définitive d’habiter, il devrait présenter trois offres de relogement, au lieu d’une seule actuellement.
Le groupe socialiste et républicain votera la motion de renvoi du texte à la commission présentée par Mme la rapporteure. Avant de conclure, je voudrais revenir sur le pacte social et écologique qui a été présenté aujourd’hui par dix-neuf associations, ONG et syndicats, conduits notamment par Laurent Berger et Nicolas Hulot. Sa première proposition est de garantir l’accès à un logement digne, d’encadrer les loyers dans les zones tendues, d’en finir avec les logements indignes et les passoires énergétiques. Voilà de quoi alimenter, monsieur le ministre, le grand débat national, dont le logement est malheureusement le grand absent… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Martial Bourquin. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Dufaut. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Dufaut. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes amenés aujourd’hui à examiner cette proposition de loi déposée par notre collègue marseillais Bruno Gilles en raison de l’effondrement tragique de plusieurs immeubles de la rue d’Aubagne, à Marseille, le 5 novembre dernier, voilà donc quatre mois jour pour jour.
Permettez-moi tout d’abord d’avoir une pensée émue pour les huit victimes de ce drame et leurs familles, sans oublier le désarroi des 1 500 personnes qu’il a fallu reloger et dont certaines vivent encore à l’hôtel.
Ce qui s’est passé à Marseille pourrait, hélas ! se reproduire dans d’autres villes, le problème de l’habitat insalubre ou dangereux découlant bien souvent du fait qu’on laisse se dégrader un habitat indigne, jusqu’à ce qu’il devienne en péril.
J’ai moi-même été, durant un mandat de six ans, adjoint aux travaux et à l’urbanisme et responsable d’un secteur classé DSQ – développement social des quartiers – dans le cadre de la politique de la ville des années quatre-vingt. Je me suis alors aperçu, avec la pratique, que les procédures mises à la disposition des élus afin de lutter contre ce type de logements étaient non seulement insuffisantes, mais aussi, le plus souvent, inadaptées.
Aussi ne puis-je que me réjouir d’être enfin appelé à examiner un texte de nature à renforcer les capacités de contrôle et, surtout, d’intervention des collectivités locales concernées.
Cette proposition de loi vise à offrir aux acteurs locaux une capacité d’accélération pour exiger, à compter du moment où sont déclarées l’insalubrité et la dangerosité d’un immeuble, la remise en état de celui-ci. Si le propriétaire ne se résout pas à effectuer les travaux nécessaires, la justice pourra être rapidement saisie et il encourra des sanctions aggravées. Ces mesures vont aussi dans le bon sens.
Dans la majorité des cas, la difficulté, pour le maire, réside dans la méconnaissance de l’insalubrité et de la dangerosité d’un immeuble. En effet, cet état n’apparaît pas toujours au seul examen de la façade. Aussi est-il important qu’il puisse envoyer un agent sur place en moins d’un mois, si un citoyen, le plus souvent un voisin ou un locataire, saisit le maire ou le préfet de l’état d’insalubrité d’un immeuble.
Dans mon département de Vaucluse, la communauté d’agglomération de Cavaillon a décidé, voilà une semaine, d’instaurer à titre expérimental un permis de location, pour lutter contre la situation fortement dégradée de 942 résidences principales, où logent 2 200 personnes, sachant que 58 % de ces habitations ont été construites avant 1949.
Enfin, comment ne pas sanctionner avec plus de rigueur ceux qui louent ces logements insalubres, les « marchands de sommeil », et ne pas exiger d’eux qu’ils protègent leurs locataires contre les risques d’effondrement, d’incendie ou de panique ?
À ce sujet, il convient, comme le prévoit ce texte, de simplifier les différents systèmes de police de l’habitat concernés, d’autant que cette réforme, prévue dans le code de la santé publique, serait déjà prête.
Sur ce point, pour compléter les mesures figurant déjà dans les lois ALUR et ÉLAN, il convient d’être beaucoup plus sévère avec les « marchands de sommeil », lesquels ne sévissent pas uniquement dans les zones urbaines. À cet égard, les articles 7 et 8 de la présente proposition de loi vont dans le bon sens, en prévoyant de sanctionner beaucoup plus sévèrement l’absence de déclaration de mise en location ou de permis de louer.
En fait, pour lutter contre le fléau de l’habitat insalubre, il faut impérativement une mobilisation forte et coordonnée des pouvoirs publics, ainsi qu’un déploiement de moyens humains et financiers à la hauteur de l’enjeu. Sur ce point, je rejoins les propos de Philippe Dallier.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Alain Dufaut. En effet, l’éradication de l’habitat insalubre est l’affaire de tous. La mobilisation des acteurs locaux, des collectivités locales et de l’État est nécessaire pour identifier cet habitat, engager les procédures administratives appropriées pour y remédier et, enfin et surtout, pouvoir suivre rigoureusement l’application des mesures qui auront été prescrites. C’est ce triple défi que le texte que nous allons voter devra permettre de relever. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi à la commission.
Demande de renvoi à la commission
Mme la présidente. Je suis saisie par Mme Dominique Estrosi Sassone, au nom de la commission, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires économiques la proposition de loi visant à améliorer la lutte contre l’habitat insalubre ou dangereux (n° 229, 2018-2019).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à Mme le rapporteur, pour la motion.
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur de la commission des affaires économiques. J’ai déjà exposé, lors de mon intervention liminaire, les raisons pour lesquelles la commission des affaires économiques demande le renvoi à la commission de la proposition de loi de notre collègue Bruno Gilles visant à améliorer la lutte contre l’habitat insalubre ou dangereux.
Je remercie la plupart des orateurs qui se sont exprimés d’avoir compris le sens de la démarche que nous avons voulu mettre en œuvre au sein de la commission des affaires économiques et approuvé le renvoi à la commission de ce texte.
Un grand nombre des intervenants, ainsi que M. le ministre, ont estimé que cette proposition de loi allait dans le bon sens. Ce que nous souhaitons, c’est continuer à enrichir le texte de notre collègue Bruno Gilles. Comme l’a observé M. le ministre, certains articles semblent d’ores et déjà pouvoir faire consensus entre l’auteur du texte, la rapporteure et le Gouvernement. Sur d’autres points, en revanche, nous souhaitons pouvoir approfondir notre analyse, afin d’étudier ce qui est ou non juridiquement faisable et d’envisager les moyens de renforcer et de perfectionner, le cas échéant, l’important arsenal législatif déjà existant, mais aussi de mieux le mettre en œuvre.
Il reste des auditions à conduire, et les déplacements sur le terrain n’ont commencé que la semaine dernière. Or il nous semble intéressant, au vu du caractère protéiforme de l’habitat insalubre, de compléter les visites que nous avons effectuées en Seine-Saint-Denis et à Marseille par un déplacement dans le monde rural, certainement en Picardie, pour y analyser le phénomène de l’habitat insalubre ou dangereux tel qu’il se manifeste dans la ruralité, où il touche plus spécifiquement des propriétaires-occupants impécunieux de bonne foi, qui n’ont pas les moyens de remettre leur logement aux normes actuelles de confort et de dignité. Avec l’accord de Mme la présidente de la commission, nous nous rendrons également en outre-mer : l’habitat insalubre, indigne ou dangereux y est, là aussi, un véritable sujet.
Pour toutes ces raisons, nous avons pensé que nous donner quelques semaines supplémentaires de réflexion nous permettrait d’approfondir le travail déjà réalisé, de le rendre plus efficient et plus pertinent.
Ce laps de temps pourra également nous permettre d’envisager la mise en œuvre de dispositifs relevant davantage de la prévention. En effet, si le volet curatif paraît déjà important, le volet préventif laisse peut-être à désirer. Comment faire en sorte d’endiguer le phénomène de l’habitat insalubre ou dangereux en agissant plus en amont ?
Il paraît nécessaire, en outre, d’œuvrer à la simplification, même si – nous l’avons noté, monsieur le ministre – la loi ÉLAN habilite déjà le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour réformer et simplifier les treize polices prévues par le code de la santé publique. Cette réforme est absolument nécessaire, et je suis heureuse de vous avoir entendu dire que le délai de dix-huit mois que nous nous étions donné lors de la CMP est en fait beaucoup trop long et qu’il convient d’accélérer les choses. Il nous faudra aussi être attentifs au contenu du rapport de Guillaume Vuilletet, qui a été directement mandaté par le Premier ministre pour travailler sur ce sujet ô combien important, même si la remise de ce rapport interviendra un peu tardivement eu égard à notre calendrier.
En conclusion, je pense que le renvoi de la proposition de loi à la commission sera bénéfique en vue du travail que nous souhaitons continuer à mener, ici au Sénat, pour faire de la lutte contre l’habitat insalubre, indigne et/ou dangereux une véritable priorité nationale et l’affaire de tous, collectivités territoriales, État, associations. Si la problématique qui nous occupe n’est pas réductible à celle des marchands de sommeil, on voit combien la misère humaine est importante, combien elle est exploitée. Il s’agit de nous donner les moyens d’être toujours plus pertinents et efficients pour apporter une vraie réponse aux besoins et aux attentes de nos concitoyens mal logés, qu’ils soient locataires ou propriétaires-occupants. Cela nécessite de mobiliser tout l’arsenal législatif déjà existant, mais aussi de l’améliorer ; tel est l’objet de notre travail, auquel je vous remercie, monsieur le ministre, d’accorder une attention bienveillante. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Le Gouvernement émet un avis favorable sur cette motion, madame la présidente.
Je voudrais saluer la qualité de ces débats, tout en évoquant le chemin qu’il nous reste à parcourir. Nous avons déjà beaucoup fait, cela a été dit, en lançant de vastes politiques de rénovation urbaine ou de lutte contre les copropriétés dégradées. La loi ÉLAN comporte ainsi de nombreuses dispositions, mais le chemin est encore long, vu l’ampleur des besoins et celle de fléaux qui ne cessent de croître, comme il a été dit à propos des marchands de sommeil. À ce titre, je suis plus que favorable à la poursuite des travaux engagés sur l’initiative de M. le sénateur Gilles. En la matière, je ferai toujours preuve de la même écoute et du même désir de travailler pour aller plus loin dans la recherche des bonnes solutions.
Je voudrais insister sur deux éléments qui ont été soulignés par certains d’entre vous, notamment par M. le sénateur Dallier et Mme la sénatrice Ghali.
Aujourd’hui, la loi telle que nous l’avons écrite et les projets de réforme tels que nous les avons conçus visent surtout à donner de nouveaux outils juridiques aux collectivités territoriales et à simplifier leur travail. Cela me semble essentiel, car les procédures actuelles sont soit kafkaïennes, soit beaucoup trop longues. Qu’il faille vingt ans pour traiter un problème qui peut affecter jusqu’à l’intégrité physique de nos concitoyens est insupportable et intolérable !
Nous avons entrepris de changer cette situation. Les choses ne vont pas suffisamment vite, madame la rapporteure, vous avez raison, mais vous connaissez ma détermination : nous allons tout faire pour raccourcir les délais.
M. le sénateur Dallier et Mme la sénatrice Ghali ont insisté sur la question du portage. Monsieur Dallier, vous avez mille fois raison : le constat fait par Jean-Louis Borloo lorsqu’il a lancé l’ANRU est toujours valable aujourd’hui. (M. Philippe Dallier approuve.) En ma qualité de ministre du logement et de la ville, j’ai renforcé l’ANAH et l’ANRU, et mis de surcroît en place une nouvelle politique via le plan Action cœur de ville ou la lutte contre les copropriétés dégradées. Plusieurs politiques répondant d’une manière ou d’une autre à cette problématique du logement indigne viennent donc aujourd’hui s’emboîter les unes dans les autres.
Concernant Marseille, nous nous sommes rendu compte, après quatre mois de travail, que créer une SPLA-IN – une telle structure, la Soreqa, la société de requalification des quartiers anciens, avait déjà été mise en place en Île-de-France pour éradiquer l’insalubrité – s’avère aujourd’hui une solution de portage très pertinente. Elle sera chargée de procéder à la fois à l’acquisition, au réaménagement et à la revente des logements, en prenant en compte l’ensemble des difficultés auxquelles sont confrontés les élus locaux.
C’est sur une telle formule que nous avons travaillé pour Marseille, notamment avec les collectivités territoriales. Pour ma part, je crois beaucoup au portage en appui aux collectivités. Il s’agit également d’un des moyens d’apporter une réponse au constat que vous avez dressé à juste titre, monsieur Dallier. Peut-être faut-il même aller encore plus loin.
En tout cas, je souhaite vraiment que nous profitions de ces quelques mois pour réfléchir à de nouveaux sujets à inclure dans le champ de la proposition de loi, tels que celui du portage. Au début des années 2000, Jean-Louis Borloo fit, lorsqu’il créa l’ANRU, le même constat que celui que nous faisons aujourd’hui. On a poussé les feux sur certains outils ; la question est de savoir s’il faut les globaliser : je suis tout à fait partant pour prolonger la réflexion avec vous.
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant au renvoi à la commission.
(La motion est adoptée.)
M. Charles Revet. Belle unanimité !
Mme la présidente. En conséquence, le renvoi de la proposition de loi à la commission est ordonné.
La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.
8
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 6 mars 2019 :
À quatorze heures trente : nomination des vingt-sept membres de la mission d’information sur le thème « Gratuité des transports collectifs : fausse bonne idée ou révolution écologique et sociale des mobilités ? ».
De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :
(Ordre du jour réservé au groupe La République En Marche)
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, en faveur de l’engagement associatif (texte de la commission n° 335, 2018-2019).
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, pour la protection des activités agricoles et des cultures marines en zone littorale (texte de la commission n° 328, 2018-2019).
De dix-huit heures trente à vingt heures et de vingt et une heures trente à minuit :
(Ordre du jour réservé au groupe socialiste et républicain)
Explications de vote puis vote sur la proposition de loi relative au renforcement de la sécurité des sapeurs-pompiers, présentée par M. Patrick Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain (texte de la commission n° 352, 2018-2019).
Proposition de loi visant à lutter contre toutes les violences éducatives ordinaires, présentée par Mme Laurence Rossignol et les membres du groupe socialiste et républicain (texte de la commission n° 344, 2018-2019).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-sept heures trente-cinq.)
nomination d’un membre d’une commission
Le groupe du Rassemblement démocratique et social européen a présenté une candidature pour la commission des lois.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Josiane Costes est membre de la commission des lois.
Direction des comptes rendus
ÉTIENNE BOULENGER