Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Il est défavorable.
D’abord, le débat a permis d’écarter des comparaisons infondées. Ainsi, tel est le cas de la comparaison entre la cession des autoroutes et celle des actifs de l’État dans Aéroports de Paris.
Ensuite, il a montré que nous vous proposons une opération originale, dans laquelle toutes les garanties d’encadrement par l’État sont apportées.
En effet, le contrat de régulation économique définit les tarifs aéroportuaires sous le contrôle de l’État, ce qui, monsieur Bourquin, rassurera les compagnies aériennes, que la situation actuelle ne tranquillise pas. L’autorité de régulation indépendante est renforcée, et le cahier des charges qui encadre l’opération sera revu tous les dix ans. Enfin, il est garanti que cet actif, que vous jugez stratégique, reviendra dans soixante-dix ans dans le giron de l’État, alors que si le statu quo est maintenu, il resterait à 49,6 % la possession d’acteurs privés. (M. Rachid Temal s’exclame.)
D’autre part, mesdames, messieurs les sénateurs, demandons-nous quels sont aujourd’hui les défis auxquels nous sommes confrontés.
Le premier de ces défis, c’est l’innovation et la souveraineté technologique. Voulons-nous que, dans vingt-cinq ans, nos enfants vivent dans une société où les technologies clés de l’intelligence artificielle, du stockage des données, de la voiture autonome ou de la batterie électrique seront françaises et européennes, ou abandonnons-nous ce combat ? Et nous répondons à ce défi dans ce projet de loi,…
M. Marc Daunis. Avec 250 millions d’euros, vraiment ?
M. Bruno Le Maire, ministre. … en redéfinissant les rôles respectifs de l’État et de l’entreprise dans la société française. Je l’assume : à mes yeux, le rôle de l’État n’est pas de gérer à 73 % le développement international d’Aéroports de Paris, des boutiques ou des hôtels. Le rôle de l’État est de garantir la sécurité de nos frontières et d’investir dans l’avenir de nos enfants.
Mesdames, messieurs les sénateurs, si vous approuvez la cession des actifs de l’État dans Aéroports de Paris, vous permettrez à l’État de se concentrer sur ses missions essentielles, la protection des Français et l’investissement dans l’avenir de nos enfants, et vous laisserez à un opérateur privé, sous le contrôle étroit de l’État, le soin de développer nos infrastructures aéroportuaires !
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.
M. Arnaud Bazin. Après avoir écouté patiemment tous les éléments du débat, j’en évoquerai deux dont il n’a pas été question, après être revenu rapidement sur un troisième abordé une seule fois, par François Bonhomme.
Avec lui, je m’étonne qu’une matière aussi importante soit traitée par notre assemblée, en deux heures, à la faveur de l’examen d’une demi-poignée d’articles, de surcroît dans le cadre de la discussion d’un projet de loi faisant l’objet de la procédure accélérée. Si l’on avait voulu faire un travail de fond et convaincre les sénatrices et les sénateurs, il aurait fallu consacrer un peu de temps à cette question qui aurait dû faire l’objet d’un texte en soi.
Je veux surtout vous parler, mes chers collègues, de personnes ignorées jusqu’à présent : les riverains, ceux qui vivent sous les trajectoires des aéronefs.
On tient pour acquis que la fréquentation des aéroports va augmenter considérablement : j’avais en tête que le nombre de passagers à Roissy pourrait passer de 72 à 110 millions, une hausse déjà très importante – 40 % environ –, et voilà qu’on évoque maintenant un doublement. Vous rendez-vous compte de ce que cela représente pour les riverains ?
Je trouve particulièrement malvenu de débattre de la privatisation des aéroports, en particulier de Roissy-Charles-de-Gaulle, avec une telle perspective d’augmentation du trafic, alors même qu’une procédure de concertation vient juste de commencer pour la construction d’un quatrième terminal, qui conditionnera cette hausse. C’est se moquer des habitants qui auront à subir une augmentation considérable des nuisances que de délibérer sur une privatisation sans avoir recueilli leur avis sur la perspective de hausse du trafic !
Enfin, on nous parle d’un désendettement à hauteur de 10 milliards d’euros. Un peu gros, alors qu’on vient de nous proposer un budget en déficit de 100 milliards d’euros, déficit que le Président de la République a aggravé de 10 à 12 milliards d’euros en treize minutes par un beau soir de décembre… (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) D’un point de vue comptable, certes, il y a désendettement via quelques ressources, mais, franchement, il n’est pas très sérieux d’utiliser cet argument quand on aggrave la dette de 110 milliards d’euros tous les ans !
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Arnaud Bazin. Je terminerai en saluant le travail du rapporteur, qui a essayé d’améliorer le texte. Le dilemme, nous le connaissons tous : plus que sur les enjeux d’amélioration, je pense qu’il nous faut nous prononcer sur le fond.
Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.
M. Rachid Temal. Je remercie M. le ministre de sa leçon de libéralisme : au moins, il assume le choix idéologique qu’est cette privatisation !
S’agissant du fonds d’innovation, 250 millions d’euros représentent deux années de dividendes d’Aéroports de Paris. Sans compter qu’avec les recettes d’un ISF rétabli, on pourrait alimenter de nombreux fonds d’innovation… Il faut lever les recettes là où l’on peut les dégager ! Ce n’est pas le choix du Gouvernement.
Sur le désendettement de l’État, je rejoins M. Bazin. Ce qu’on vient de nous raconter pendant une demi-heure, c’est une fable, une histoire pour enfants !
Quant à l’argument du champion, je rappelle qu’Aéroports de Paris est déjà un champion mondial : c’est même la première entreprise dans le domaine de la conception, de la réalisation et de la gestion d’aéroports. Depuis quelques mois, l’aéroport de Hong Kong est de nouveau géré par ADP : preuve qu’il n’y a pas de problème de développement.
En outre, les utilisateurs, c’est-à-dire les compagnies aériennes, sont opposés à la privatisation. Ainsi, l’AITA, l’association qui les regroupe, a présenté une étude sur les six aéroports les plus efficaces en termes de services : cinq sont publics ! Une gestion publique est donc capable de fournir un service de grande qualité, pour les compagnies comme pour les passagers, sans oublier les riverains.
Comme M. Bazin, je représente le Val-d’Oise, où se trouve Roissy. En matière de prévention du bruit, nous qui avons les avions qui passent au-dessus de nos têtes, nous préférons avoir pour interlocuteur l’État. Je crois plus en la parole de l’État qu’en celle d’une société, car personne ne nous garantit l’absence de toute pression pour augmenter le nombre de vols.
La volonté de privatiser est, en réalité, idéologique. Monsieur le ministre, vous êtes en train de nous faire payer deux additions : votre décision de ne pas réaliser Notre-Dame-des-Landes et votre politique économique et sociale, que vous proposez de financer, encore une fois, en vendant les bijoux de famille ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nelly Tocqueville, pour explication de vote.
Mme Nelly Tocqueville. Je reviendrai sur un enjeu évoqué par Martial Bourquin et qui n’a pas beaucoup attiré l’attention : les conséquences de la privatisation d’ADP pour notre compagnie nationale, Air France, lesquelles plaident pour la suppression de l’article 44.
Pour que l’État puisse vendre ADP à un très bon prix, il faut qu’il puisse faire espérer au futur acquéreur privé des résultats en croissance. Pour cela, il faudrait qu’il dérégule les redevances aéroportuaires qu’il fixe aux compagnies aériennes et aux passagers. Or s’il acceptait d’augmenter ces taxes, Air France pourrait en souffrir, puisque quasiment tout son trafic passe par les aéroports parisiens.
Ainsi, l’alternative est simple : soit l’État continue à réguler l’augmentation des redevances, au risque de faire une mauvaise opération en vendant à bas prix ; soit il lâche du lest, mais ce sont les passagers et Air France qui en souffriront.
De plus, lors de son audition par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, M. Benjamin Smith, nommé directeur général d’Air France en août dernier, a exprimé une réserve et une inquiétude polies – je pense qu’il ne pouvait pas faire autrement – au sujet de la perspective de privatisation, à laquelle Alexandre de Juniac était fortement opposé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Angèle Préville, pour explication de vote.
Mme Angèle Préville. Je voterai les amendements identiques de suppression, car je suis contre la privatisation d’ADP.
À mon sens, on ne doit pas permettre à une entreprise privée d’exercer un monopole sur une infrastructure stratégique. Les infrastructures stratégiques, comme les ports maritimes, certains aérodromes civils et les sites de production, de réseau et de distribution d’énergie électrique, doivent demeurer incessibles. En effet, il paraît logique et responsable de garder la main sur ce qui est d’un intérêt national supérieur, car c’est une question de souveraineté.
C’est un principe de base, un principe fort, un principe républicain : la finance ne peut pas prévaloir sur tout !
Permettez-moi de souligner une conséquence de la privatisation des autoroutes pour vous donner un exemple concret de ce que signifie perdre la main, mes chers collègues.
Nous avons voté, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2018, la gratuité des péages d’autoroute pour les véhicules d’intérêt général prioritaires en opération, c’est-à-dire les véhicules de police, de gendarmerie, de pompiers et du SAMU, notamment. Le décret d’application n’ayant pas été publié, j’ai posé une question écrite sur le sujet.
Voici ce qui m’a été répondu : « L’exonération de péage pour les véhicules d’intérêt général prioritaires en opération constitue une rupture d’égalité des usagers devant le péage. […] Il s’agit, pour les sociétés concessionnaires, d’une charge nouvelle qui leur est imposée et pour laquelle elles ne pourraient être compensées par une hausse des tarifs de péage. […] Les sociétés concessionnaires pourraient donc se prévaloir d’un préjudice devant le juge du contrat, comme elles l’ont déjà indiqué à l’État. »
Les pertes de recettes pour les sociétés concessionnaires, qui devraient être indemnisées sur fonds publics, étant estimées à plusieurs dizaines de millions d’euros, le décret ne sera jamais publié. Bref, nous avons voté dans la loi une mesure de gratuité qui ne pourra pas être appliquée. Voilà à quels effets pervers conduit la privatisation ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, puisque je suis saisie de nouvelles demandes de parole, je vous préviens que je suspendrai la séance à vingt heures quarante-cinq. Si les différents orateurs veulent bien faire un effort de concision, le scrutin public sur les amendements identiques pourra se tenir avant la suspension de nos travaux.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Ce serait en effet préférable.
Mme la présidente. Dans le cas contraire, le scrutin devra être reporté à la reprise de la séance.
La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Je vais essayer d’être concise, madame la présidente.
Monsieur le rapporteur, je veux vous rassurer : je trouve que nous jouons très bien notre rôle de parlementaires en ayant ce débat de fond sur les dangers de la privatisation. Je me réjouis que, sur toutes les travées, nous avancions des arguments communs pour combattre la privatisation d’ADP.
Monsieur le ministre, vous prétendez que nos arguments relatifs aux dividendes seraient erronés et nous assurez que, dans soixante-dix ans, l’État récupérera la mise. Ainsi qu’on vous l’a déjà demandé, pourquoi n’utilisez-vous pas les dividendes pour le financement de l’innovation, puisque tel est, selon vous, le but de la privatisation ?
Les parlementaires que nous sommes ne sont pas seuls à trouver qu’il n’est pas bon de privatiser. Puisqu’on parle beaucoup de la Cour des comptes, voici ce qu’elle écrit sur le sujet : « Les aéroports […] se sont révélés être des actifs profitables pour les court, moyen et long termes, et des investissements peu risqués, compte tenu de la conjoncture et des perspectives favorables du trafic aérien. » Tout cela plaide pour que l’État ne se désengage pas.
De plus, privatiser ADP serait prendre des risques en matière d’emploi. Songez qu’ADP représente 5 % du PIB régional, 1,4 % du PIB national et 8 % de l’emploi salarié francilien, emplois directs et induits confondus.
L’augmentation du trafic aérien et du nombre de passagers devrait impliquer un renforcement des métiers d’ADP. Or, aujourd’hui, les salariés et leurs syndicats dénoncent une envolée de la sous-traitance et une perte de salaire et d’emplois, notamment des départs à la retraite non remplacés. Ils craignent à juste titre que la privatisation n’aggrave leurs conditions de vie et de travail.
Enfin, élue du Val-de-Marne, je veux parler aussi d’environnement : pense-t-on vraiment que la privatisation d’ADP aidera les riverains ?
Mme la présidente. Ma chère collègue, vous avez épuisé votre temps de parole.
Mme Laurence Cohen. Pas tout à fait, madame la présidente : il me reste de quoi ajouter que je pense à la limitation annuelle des mouvements et au couvre-feu à Orly.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte, pour explication de vote.
M. Jean-Michel Houllegatte. Monsieur le ministre, je n’ai pas été convaincu par vos arguments et je regrette que le débat ait été un peu pris à l’envers.
Ainsi donc, la motivation première qui devrait nous conduire à privatiser serait le financement d’un fonds d’investissement au service de l’innovation. Même si l’objectif est louable, on est dans une logique d’opportunité.
Il aurait été préférable de débattre de la vision stratégique du transport aérien et de l’avenir des plateformes aéroportuaires : est-on dans un modèle de gigantisme comme à Istanbul, où va être construit le plus grand aéroport du monde ? Va-t-on, pendant soixante-dix ans, perdre la main sur la plateforme aéroportuaire ? Arrivera-t-on à un modèle d’aéroport pivot, et avec quelle organisation et quelles complémentarités en matière de plateformes aéroportuaires à l’échelon national ?
Un certain nombre d’États sont en train de reprendre la main. Ainsi, au Canada, le gouvernement Trudeau a ajourné l’examen d’une éventuelle privatisation des aéroports. En Australie et en Nouvelle-Zélande, des débats sur la privatisation des aéroports ont également lieu.
Enfin, comme l’a souligné Rachid Temal voilà quelques instants, les aéroports les plus performants au monde, ceux de Hong Kong, Séoul, Singapour, Dubaï et Amsterdam-Schiphol, sont sous gestion publique. Preuve que, dans un monde en pleine évolution où le transport aérien va exploser dans les années qui viennent, une prise en main de la part de l’État est nécessaire ! (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Monsieur le ministre, vous nous avez tous renvoyés à nos responsabilités. Il est vrai que tout le monde n’a pas connu une évolution idéologique aussi rapide que la vôtre… (Sourires.) C’est peut-être cela qui a joué en notre défaveur !
Sur le désendettement, tout a été dit : beaucoup d’autres solutions existaient, et celle que vous choisissez, la privatisation, est sous-optimale.
En ce qui concerne le fonds pour l’innovation de rupture, pensez-vous sérieusement que 250 millions d’euros permettront de concurrencer, par exemple, les recherches d’Alphabet, la maison-mère de Google, sur l’intelligence artificielle ? La solution ne serait-elle pas plutôt d’investir dans notre recherche publique, qui, au quotidien, fait déjà des travaux et des découvertes ? Mais encore faut-il y consacrer les moyens nécessaires.
Enfin, monsieur le ministre, je regrette encore une fois votre dogmatisme et votre manière de considérer que, de toute façon, le vote est acquis à l’Assemblée nationale, en sorte que nous, sénateurs, servons uniquement de variable d’ajustement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Chain-Larché, pour explication de vote.
Mme Anne Chain-Larché. Nos discussions montrent que le Sénat a probablement plus d’ambition que le Gouvernement pour ADP !
Cette question aurait pu faire l’objet d’un projet de loi à part entière – l’animation de nos débats le montre –, mais ce que je regrette surtout, c’est le manque d’ambition du Gouvernement.
Au cours d’une audition de M. de Romanet, nous lui avons demandé si les investissements devant être réalisés pouvaient être financés par ADP. Il nous a répondu par l’affirmative.
Cette entreprise stratégique, de la plus haute importance pour notre pays aux yeux du monde entier, aurait pu faire l’objet d’une ambition particulière de la part de l’État.
Par ailleurs, pour ce qui concerne les Franciliens, quelles garanties pouvons-nous apporter s’agissant des spéculations foncières inévitables que l’on peut redouter sur les territoires alentour ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.
M. Dominique de Legge. Premièrement, sur la méthode, je rejoins tout à fait le propos de mon collègue Longuet : ce sujet méritait une loi à lui seul. Comment notre rapporteur peut-il s’exprimer en deux minutes et demie sur un sujet aussi important ?
Monsieur le ministre, il serait peut-être temps que le Gouvernement veuille bien considérer que le Parlement est là pour légiférer, et pas simplement pour vous écouter… Cessez de nous présenter des textes qui n’en finissent plus, avec autant d’articles, car cela nous mène à des situations de confusion comme celle-ci !
Deuxièmement, je vous ai entendu nous dire votre préoccupation d’écouter le Sénat précédemment, et je vous en donne acte. C’est bien, mais, avec l’engagement de la procédure accélérée, quelles garanties nous apportez-vous ? Il n’y a pas de navette. Vous pouvez toujours nous dire que les apports de la commission spéciale sont intéressants, mais si vous voulez vraiment que le Sénat joue son rôle, il faut aller au fond des choses et permettre la navette.
Concernant le fond, vous nous expliquez que cette privatisation vise à préparer l’avenir parce qu’il faut investir. Vous seriez plus crédible, permettez-moi de le dire aussi simplement, si le budget de 2019 s’était traduit par une moindre dépense publique et une moindre augmentation de la dette.
Enfin, vous nous expliquez que cette privatisation revient à voir très loin. Je vous félicite, monsieur le ministre, vous voyez très loin, à soixante-dix ans. Songez simplement que, dans soixante-dix ans, vous n’aurez pas loin de cent vingt ans ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Ce n’est pas le jour et la nuit. L’important est d’avoir des équipes qui savent gérer correctement un aéroport stratégique tel que celui-là, qu’il soit privé, comme c’est le cas actuellement, ou aux mains d’un autre concessionnaire à l’avenir, par le biais d’une DSP.
Ce qui me chagrine, monsieur le ministre, c’est qu’il faut parvenir à équilibrer la DSP sur soixante-dix ans. Il peut y avoir des accidents d’avion – on ne les souhaite pas bien entendu –, des valises qui explosent. On va séparer l’activité cargo de l’activité passagers, prévoir des vols différents ; un autre gouvernement interdira les vols la nuit, et la DSP ne sera plus respectée ; il n’y aura plus d’équilibre. En plus, avec la double caisse, l’État continuera à payer pour parvenir à l’équilibre si jamais un drame survient, tandis que le concessionnaire privé continuera à toucher des dividendes.
M. Martial Bourquin. Voilà !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. En effet !
M. René-Paul Savary. L’existence même de la double caisse est une contre-indication à la privatisation.
Compte tenu de vos arguments, je voterai contre cette privatisation. (Très bien ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour explication de vote.
M. Vincent Capo-Canellas. Tout d’abord, je souhaite que le débat sur les conditions de cette cession du capital ait lieu. Aussi, je ne suis pas favorable aux amendements identiques de suppression. C’est faire œuvre législative, me semble-t-il, que de renforcer les conditions dans lesquelles l’État pourrait être amené à céder ses parts du capital.
Ensuite, le travail engagé par Jean-François Husson, la commission spéciale est considérable, et la position de M. le ministre a beaucoup évolué – je veux lui en donner acte et l’en remercier.
Jean-François Husson, le ministre et moi-même en tant que rapporteur de la commission des finances avions entamé le débat sur la question de la régulation. L’apport considérable du Sénat est attendu par toutes les compagnies aériennes, qui ont passé six mois à participer aux assises nationales du transport aérien. J’ai modestement été l’un des rapporteurs et l’un des présidents des groupes de travail en vue d’installer un régulateur. Le Sénat propose cette possibilité, que le ministre accepte : c’est un élément majeur. Or on en parle très peu. Je ne voudrais pas que cela passe à la trappe, car ce serait bien dommage. Les compagnies aériennes nous ont alertés, affirmant que, même dans le système actuel public, elles n’avaient pas de garanties, et qu’elles en auraient plus avec le système de demain.
On a beaucoup fait parler Alexandre de Juniac et Ben Smith.
Alexandre de Juniac, de l’Association internationale du transport aérien, IATA – International Air Transport Association – a simplement rappelé publiquement que, parfois, les pratiques du privé ne lui convenaient pas. Il est venu s’exprimer devant le groupe d’études Aviation civile que j’ai le plaisir de présider et dont beaucoup d’entre vous, mes chers collègues, sont membres. Il a tenu des propos très clairs : si l’opération est privée, il faut bien l’encadrer. Il n’a pas dit : je refuse le privé. Nous avons passé une heure avec lui – nous étions sept ou huit – et nous avons eu une discussion extrêmement fouillée. Ne lui faisons donc pas dire des choses qu’il n’a pas forcément dites !
Concernant Ben Smith, une de mes collègues a cité ses propos. Mais alors, il faut aller jusqu’au bout de la citation. Il a indiqué devant la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable – l’audition était publique – qu’il invitait le Sénat à encadrer cette privatisation et à installer un régulateur fort. Il l’a dit tel quel. J’ai posé la question pour en avoir le cœur, et sa réponse figure au compte rendu. Les choses sont donc très claires.
Pour conclure, je veux indiquer que nous sommes même allés plus loin que ce que le ministre souhaitait puisque, comme le rapporteur l’a dit, un amendement relatif à la double caisse a été adopté par la commission spéciale, afin d’aménager celle-ci en faisant en sorte qu’une partie des profits des commerces finance les travaux d’infrastructures. Voilà pourquoi je désire que le débat ait lieu.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. L’État a besoin de capitaux pour développer et moderniser ADP, car le nombre de passagers va doubler en vingt ans. La commission spéciale et le ministre nous ont rassurés en garantissant le contrôle de l’État.
Le travail de la commission spéciale a été fructueux dans la mesure où le cahier des charges de la DSP – je rappelle qu’une DSP n’est pas une privatisation – fera l’objet d’une évaluation tous les dix ans, mais avec une durée de concession de soixante-dix ans. L’État va donc céder le contrôle de ce monopole stratégique pendant soixante-dix ans, ce qui semble beaucoup aux yeux de certains, malgré le travail de la commission spéciale pour renforcer le contrôle.
Bien sûr, nous comprenons aussi que l’État ait besoin de financer l’innovation pour créer des emplois dans les entreprises et financer les défis auxquels notre pays sera confronté.
Les membres de mon groupe sont partagés : certains voteront pour les amendements identiques de suppression, tandis que d’autres voteront contre, et suivront l’avis de la commission. (M. Joël Guerriau applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour explication de vote.
M. Olivier Jacquin. Monsieur le ministre, je reviendrai rapidement sur un seul point, à savoir la capacité de contrôle que vous prétendez acquérir avec l’outil législatif que vous sollicitez.
Notre pays a bien des qualités, mais il n’a que très peu de capacités de contrôle et de régulation – je suis un régulateur, je le déplore.
Les faits vous donnent tort. Récemment encore, concernant les autoroutes, le droit du contrat était plus fort que le droit des politiques, qui estiment qu’il serait nécessaire, au nom de l’intérêt général, de le revoir. L’accord récemment obtenu par la ministre Mme Borne n’est que le résultat d’une négociation commerciale.
Vous avez affirmé avoir plus confiance dans le pouvoir législatif que dans le pouvoir réglementaire et vous avez dit que ce projet permettrait d’accroître ce pouvoir. Je suis désolé, mais le Conseil constitutionnel rend régulièrement des décisions en faveur du droit d’entreprendre, contre l’intérêt général. Notre culture administrative n’est pas portée sur le contrôle, comme peuvent l’être les économies libérales de type anglo-saxon, qui se dotent véritablement de moyens de contrôle.
J’ai visité les entreprises ferroviaires britanniques. Lorsqu’il a été décidé de privatiser les transports – cela n’a d’ailleurs pas été une bonne opération ! –, le ministère des transports a recruté des centaines d’agents pour effectuer un contrôle effectif. Sur ce point, je ne suis donc absolument pas rassuré, d’autant que nous n’avons pas toutes les données du problème : pas de contrat de régulation, pas de cahier des charges. Vous nous demandez un blanc-seing. Moi, je n’ai vraiment pas confiance ! (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.