Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, pour le programme « Patrimoines ». Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’année 2018 marquera un tournant dans le financement de la protection du patrimoine.
Comme rapporteur de ce budget, j’ai connu des années difficiles et d’autres plus heureuses ; cette année est incontestablement positive, après quelques exercices marqués par une grande inquiétude liée, d’une part, à la baisse des crédits de l’État, et, d’autre part, aux difficultés des collectivités territoriales, grands financeurs du patrimoine de tradition. Les départements, notamment, ont dû bien souvent se retirer de l’exercice de cette compétence, devant l’importante augmentation des dépenses sociales.
Je salue la mise en place du fonds pour les monuments historiques dans les petites communes à faible potentiel fiscal, qui a non seulement apporté un ballon d’oxygène à ces communes, mais a, de surcroît, incité les régions à s’impliquer dans le financement du patrimoine. La région Grand Est a été la première à le faire, à l’époque où notre ancien collègue Philippe Richert en était le président. J’ai moi-même la responsabilité du patrimoine au sein de son conseil régional et je peux dire que le complément apporté par la région au financement du patrimoine joue un rôle de levier considérable. C’est important, quand on sait les difficultés que rencontrent les entreprises spécialisées dans la restauration des monuments historiques et les risques que leur disparition ferait peser sur le maintien de savoir-faire irremplaçables et sur l’offre de formation.
En 2019, la revalorisation de l’enveloppe budgétaire, en même temps que le financement apporté par le loto du patrimoine, permettront de combler une partie du retard accumulé au cours des dernières années.
J’ajoute qu’une commission d’enquête du Sénat animée par Philippe Richert et moi-même avait suggéré, voilà une quinzaine d’années, la création d’un loto du patrimoine. Il nous avait été répondu à l’époque qu’il s’agissait d’une très heureuse idée, mais techniquement impossible à mettre en application. Pourtant, un tel dispositif existait en Allemagne, en Italie, en Grande-Bretagne…
Je me félicite, avec tous ceux qui s’intéressent ici au patrimoine, que la décision de créer ce loto ait été prise et que celui-ci ait rencontré un réel succès. L’intégralité des 21 millions d’euros a été débloquée, ce qui contribuera à faire face à des besoins considérables et évitera que les joueurs ne soient choqués de voir une partie importante de leurs mises ne pas être consacrée au patrimoine.
Les besoins de financement sont en effet énormes : on les estime à 2,5 milliards d’euros, pour quelque 2 000 sites en péril. La recette du loto du patrimoine permettra de compenser deux phénomènes que je déplore : la disparition de la réserve parlementaire, d’une part, qui contribuait à la sauvegarde du petit patrimoine dans les communes rurales ; l’effondrement des dons des particuliers, d’autre part, en raison de certaines décisions d’ordre fiscal, certes légitimes, mais qui mettent en péril le mécénat.
J’évoquerai très rapidement une source d’inquiétude : les deux grands dossiers qu’a évoqués Vincent Éblé, ceux du château de Villers-Cotterêts et du Grand Palais, pourraient mettre en péril le financement du petit patrimoine.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, la commission de la culture a donné un avis favorable à l’adoption des crédits du programme « Patrimoines ». (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur pour avis.
Mme Sylvie Robert, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, pour les programmes « Création et transmission des savoirs » et « Démocratisation de la culture ». Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est difficile de ne pas souscrire aux trois priorités assignées à la mission « Culture » pour 2019 – le renforcement de l’équité territoriale, l’accès de la jeunesse à la culture et la promotion de la diversité culturelle –, tant la culture et l’éducation apparaissent, dans les temps troublés auxquels nous sommes confrontés, comme des vecteurs incontournables de cohésion sociale. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle notre commission avait si ardemment défendu l’inscription des droits culturels dans la loi NOTRe puis dans la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Très bien !
Mme Sylvie Robert, rapporteur pour avis. J’aimerais que l’on en parle un peu plus et que l’on commence à leur donner une véritable traduction concrète.
S’il est vrai que les crédits sont globalement préservés, voire, dans quelques cas, confortés, le projet de budget qui nous est soumis manque un peu de lisibilité. Pourquoi ajuster certains crédits au plus près des dépenses des années précédentes dans un souci de sincérité budgétaire tout en annonçant qu’un certain nombre de priorités seront financées sur la base de crédits dégagés en gestion au cours de l’exercice budgétaire ?
Je pense à la création du Centre national de la musique, le CNM, qui revêt une importance particulière pour la filière musicale et devrait permettre enfin d’engager le travail d’observation qui nous fait aujourd’hui cruellement défaut.
Je pense également à la revalorisation du statut des enseignants des écoles d’art territoriales, qui est fondamentale pour ces établissements en vue d’éviter le décrochage par rapport aux écoles nationales.
Concernant le Pass culture, je regrette de ne pas avoir obtenu davantage de précisions sur la manière dont sera utilisée l’enveloppe, pourtant considérable, de 34 millions d’euros qui lui sera consacrée en 2019. Cela ne m’empêche pas de me féliciter, monsieur le ministre, de la reprise en main que le ministère semble vouloir opérer sur ce dossier, avec une réelle volonté d’éviter les écueils sur lesquels le projet pourrait achopper. Compte tenu des moyens qui lui sont alloués, il est indispensable que ce nouvel outil soit mis au service d’une réelle ambition culturelle et ne profite pas seulement à quelques entreprises du numérique ou vienne renforcer les inégalités culturelles entre les territoires.
Je constate d’ailleurs que les collectivités territoriales sont de plus en plus mises à contribution. Ce sont, en effet, des partenaires incontournables dans le domaine culturel, mais le plafonnement des dépenses des collectivités territoriales à 1,2 % vient encore limiter leurs marges de manœuvre. C’est un vrai sujet !
C’est pourquoi la commission de la culture entend jouer l’an prochain un rôle important de suivi et de contrôle de la mise en œuvre de ces différentes priorités budgétaires, afin de garantir que les actions entreprises permettront de lutter effectivement contre les inégalités territoriales et sociales en matière culturelle et ne viendront pas, au contraire, les accroître.
J’aurais pu évoquer la sécurité ou les emplois aidés, mais, en tant que rapporteur pour avis, je ne dispose que de trois minutes de temps de parole et ces questions seront sans doute abordées par mes collègues. Ce qui est clair, monsieur le ministre, c’est qu’un certain nombre de facteurs exogènes viennent fragiliser le secteur culturel. La vigilance est donc de mise.
Sous ces réserves, nous donnons un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Culture ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. Très bien !
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, j’entends la satisfaction quasi générale de nos rapporteurs, qui se félicitent du niveau relativement stable des crédits de la mission « Culture ».
Vous me permettrez de tempérer ce contentement rassuré d’une représentation nationale qui craignait le pire par des inquiétudes relatives au défaut de provisions de ce projet de budget. Autrement dit, je crains que le financement à peu près préservé du fonctionnement courant du ministère n’ait été obtenu qu’au prix d’une sous-évaluation des investissements nécessaires pour assurer la pérennité et le développement de grands équipements ou la restauration de monuments importants, voire de la renonciation à de tels investissements.
Je pense, par exemple, à la Bibliothèque nationale de France, qui doit impérativement trouver une solution pour étendre ses réserves, lesquelles seront saturées en 2023. Je regrette, par ailleurs, que nous ne disposions d’aucun bilan sur l’achèvement des travaux de rénovation du site de Richelieu, sur son affectation future et sur les moyens qui lui seront alloués pour assurer son fonctionnement.
Sur le même front patrimonial, je rappelle ici que nos deux éminents collègues Vincent Éblé et André Gattolin avaient considéré, dans un rapport remis au Sénat l’an passé, qu’il était absolument impératif de mettre en chantier rapidement une extension du centre des Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine pour accueillir les quatre-vingt-dix kilomètres linéaires d’archives du site de Fontainebleau et les dix-sept kilomètres linéaires de versements annuels.
Nos deux estimables collègues considéraient que la première tranche des travaux devait être réalisée en 2023, pour un montant qu’ils évaluaient à quelque 75 millions d’euros. Je n’ai pas trouvé, dans le projet de loi de finances pour 2019, de programmation budgétaire pour ces travaux, et c’est même l’absence de nouveau projet à Pierrefitte-sur-Seine qui vous permet d’expliquer, monsieur le ministre, la forte baisse, de près de 18 %, des crédits des archives…
Outre ces impasses budgétaires, il faut souligner, à la suite du rapporteur spécial Vincent Éblé, l’absence de financement du schéma directeur du centre Pompidou, de la rénovation des toitures du Mont-Saint-Michel, de la façade du Panthéon, etc.
Dans ces conditions budgétaires au mieux imprévoyantes, au pire d’une sincérité amendable, on peut se demander s’il était raisonnable, pour le ministère de la culture, de se lancer dans la restauration très coûteuse du château de Villers-Cotterêts et la future installation dans ses murs d’un centre de la francophonie, qui exigera des moyens de fonctionnement supplémentaires. Je partage l’ambition présidentielle de consacrer plus de moyens à la défense et illustration de la langue française. Néanmoins, il serait fâcheux qu’elles s’accompagnassent (Exclamations amusées et applaudissements.) d’un repli de son usage, notamment dans la communication gouvernementale, au profit d’un sabir empruntant ses formules à l’anglais de la technocratie. Près d’un quart de siècle après la promulgation de la loi relative à l’emploi de la langue française, dite « loi Toubon », il serait utile de dresser un bilan de ses usages dans les administrations, la science et l’entreprise.
Le château de Villers-Cotterêts devrait devenir un centre de promotion de la langue française. À cet égard, j’aimerais souligner que, en matière de francophonie, nous devons agir avec humilité. Le français, en effet, n’est pas seulement notre langue, mais la cinquième langue la plus parlée dans le monde, avec 274 millions de locuteurs. En 2050, l’Afrique regroupera, à elle seule, 85 % des francophones ! Le futur centre devra donc être ouvert à toutes les cultures francophones.
Soucieux de la cohérence du discours adressé à celles et ceux qui souhaitent poursuivre leurs études du français et en français, je ne comprends pas, monsieur le ministre, le message très négatif que vous venez de leur envoyer en annonçant la hausse des frais d’inscription pour les étudiants extérieurs à l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Marie-Pierre Monier applaudit également.)
L’une des grandes opérations de mécanique administrative pour l’année 2019 consiste dans le transfert de la gestion des emplois à trois opérateurs : le Centre des monuments nationaux, l’établissement public du domaine national de Versailles et l’établissement public du musée d’Orsay.
Je signale que l’absence de compensation de l’augmentation de la CSG et du GVT, le glissement vieillesse technicité, aurait coûté 2,2 millions d’euros à la Bibliothèque nationale pour maintenir sa masse salariale. Dans l’impossibilité de trouver ces financements, elle a été obligée de baisser ses effectifs, ce qui risque de dégrader le service.
Comme je suppose que le transfert de la gestion du personnel à ces trois nouveaux établissements publics se fera dans les mêmes conditions budgétaires, je crains vivement qu’il ne produise les mêmes effets… Cette façon de reporter sur les opérateurs la responsabilité des suppressions d’emplois est politiquement discutable et, malheureusement, compromet gravement les conditions du dialogue social à l’intérieur des établissements.
Une cinquantaine d’emplois seront transférés de l’administration centrale vers les DRAC. Si l’on ne peut s’opposer au renforcement des capacités de gestion et d’action des services déconcentrés du ministère de la culture, monsieur le ministre, la séquence difficile au cours de laquelle les moyens juridiques de l’architecte des bâtiments de France ont été considérablement amoindris, sous le regard passif de votre ministère, a montré qu’il était indispensable qu’une instance nationale continue d’assurer l’homogénéité des modes de gestion du patrimoine sur tout le territoire. Or je doute que l’administration centrale de votre ministère ait encore les moyens de cette politique.
Pour toutes ces raisons, et afin de vous alerter sur les risques qui pèsent sur votre ministère, nous ne voterons pas les crédits de la mission « Culture » ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce budget s’inscrit dans la continuité des orientations de la politique du ministère, dont l’effort en faveur de l’éducation artistique et culturelle, ainsi que de la restauration du patrimoine, mérite d’être souligné.
La moitié des crédits du programme « Patrimoines » sont destinés aux grandes institutions muséales et patrimoniales, ainsi qu’à l’Institut national de recherches archéologiques préventives. Deux grands chantiers de restauration, l’aménagement du Grand Palais et celui du château de Villers-Cotterêts, expliquent une hausse de plus de 100 millions d’euros des autorisations d’engagement. Nous veillerons à ce que calendriers et financements soient respectés.
Le loto du patrimoine a été pérennisé pour trois années, mais je m’interroge sur ses conditions de mise en œuvre. S’il a connu un réel succès de participation, avec 7 millions de tickets vendus, il existe un risque de rupture de confiance. En effet, les contributeurs ont été surpris de découvrir que, sur les quinze euros dépensés par ticket, 1,52 euro seulement bénéficierait réellement au patrimoine.
De fait, comme nos rapporteurs l’ont fait observer, sur les 200 millions d’euros de fonds collectés, seuls 21 millions d’euros reviendront à la Fondation nationale du patrimoine, compte tenu des contraintes légales et financières de l’opération.
Dès lors, monsieur le ministre, je m’interroge : ne serait-il pas plus efficace pour atteindre le but visé – financer la sauvegarde de notre patrimoine – d’encourager nos concitoyens à consentir des dons directement à des associations de gestion du patrimoine ?
J’en viens au programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ». Il est doté de 1,2 milliard d’euros, un budget en hausse de 2 millions d’euros par rapport à cette année. L’action en faveur de la démocratisation et de l’éducation artistique et culturelle voit, elle, ses crédits progresser de 17 %, ce qui est très positif.
De cette action, le pass culture est une mesure emblématique. Cinq millions d’euros ont été consacrés cette année à la phase d’étude de son pilotage informatique. Le volet expérimentation mobilise désormais 34 millions d’euros, sans toutefois que l’on sache comment ces crédits seront ventilés.
En régime plein, le pass culture pourrait concerner jusqu’à 820 000 jeunes, pour un coût annuel de 400 millions d’euros. La question de son financement et des conditions de sa mise en œuvre à l’horizon de 2022 reste non tranchée à ce jour. Mon groupe veillera à ce que, sans dérive des coûts, le pass culture facilite l’accès réel de tous les jeunes à la culture, dans sa grande diversité.
En matière d’éducation artistique et culturelle, nous serons très attentifs à ce que la cible de 100 % soit atteinte en 2020. La part des enfants scolarisés ayant bénéficié d’une action subventionnée par le ministère a quasiment doublé entre 2016 et 2018, passant de 45 % à près de 80 %, ce qui est déjà très encourageant.
En ce qui concerne le programme « Créations », qui m’intéresse particulièrement en ma qualité de présidente du groupe d’études sur les arts de la scène, de la rue et des festivals en région, il sera doté de 782 millions d’euros. Malgré la stabilité du budget de ce programme, les signaux envoyés à la filière ne paraissent pas vraiment opportuns. Ainsi, aucun crédit n’est alloué au Centre national de la musique, pourtant annoncé depuis dix ans ; je voterai l’amendement que la rapporteur pour avis de la commission de la culture a déposé pour y remédier.
Par ailleurs, afin de continuer à favoriser la diversité culturelle, il est nécessaire de rétablir le crédit d’impôt sur le spectacle vivant dans sa version initiale.
Mme Maryvonne Blondin. Tout à fait !
Mme Françoise Laborde. S’agissant de l’emploi dans la création, la baisse des contrats aidés et des crédits du Fonds national pour l’emploi pérenne dans le spectacle fragilise le secteur artistique.
Le Gouvernement compte beaucoup sur le mécénat pour contribuer au financement de la culture. Or la Cour des comptes, dans un rapport récent, épingle les services de l’État pour leur « gestion trop passive de cette dépense fiscale », se demandant même si « l’intérêt général reste la caractéristique majeure de l’engagement des mécènes », par rapport à des intérêts plus particuliers. En effet, 44 % des crédits bénéficient à seulement vingt-quatre très grosses entreprises. (Mme Sonia de la Provôté approuve.)
Ces critiques, sérieuses, doivent conduire à encadrer davantage le dispositif et à contrôler les entreprises mécènes. Cette évaluation doit être menée l’année prochaine ; elle fera l’objet de toute notre attention.
Monsieur le ministre, les surcoûts élevés liés à la nécessaire sécurisation des spectacles vivants et la prochaine disparition du Fonds d’urgence sont source d’inquiétudes. Je vous rappelle l’engagement pris de verser 300 000 euros aux cirques traditionnels pour compenser la chute de fréquentation et de chiffre d’affaires qui les a frappés après les attentats : j’espère qu’il sera tenu avant la fin de l’exercice 2018.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, compte tenu de la pérennisation du budget de la culture dans le projet de loi de finances pour 2019, l’ensemble des membres du groupe du RDSE votera les crédits de cette mission ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Claudine Kauffmann applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sonia de la Provôté.
Mme Sonia de la Provôté. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission de la culture, mes chers collègues, si le budget de la mission « Culture » sera en 2019 stable par rapport à 2018, il appelle, comme l’a justement fait observer la rapporteur pour avis de notre commission, Sylvie Robert, un certain nombre de remarques.
Sur la forme, tout d’abord, on constate des ajustements à la baisse, en ce qui concerne, par exemple, les bourses, l’enseignement supérieur culturel et le Fonds national pour l’emploi pérenne dans le spectacle. Cela répond au souhait d’atteindre une plus grande sincérité budgétaire.
Dès lors, la contradiction est forte avec le fait qu’un certain nombre de dépenses prévisibles, mais encore peu précises, soient envisagées sur des crédits de gestion – Centre national de la musique, statut des enseignants des écoles d’art territoriales. N’apparaissant pas dans le budget, ces crédits échappent au contrôle parlementaire. Vous conviendrez, monsieur le ministre, que ce procédé doit rester exceptionnel.
Sur le fond, ensuite, certains points de vigilance évoqués lors de l’examen du budget 2018 restent en suspens. Parmi eux figure le pass culture, pour lequel 5 millions d’euros prévus cette année n’ont pas été dépensés. La dotation prévue pour 2019 est de 34 millions d’euros : il est difficile de mesurer et de comprendre la réalité du déploiement de cette somme.
Nous serons particulièrement attentifs à l’offre, pour garantir la diversité culturelle, à l’articulation avec les territoires, à la nature du contrat avec les partenaires privés – on nous parle désormais des banques – et à la nécessaire équité entre les jeunes, quels que soient leur lieu d’habitation et leur situation.
Le pass culture peut être un outil au service de la démocratisation et de l’équité culturelles, comme il peut en être le fossoyeur. Il est bien plus qu’une promesse de campagne ; c’est pour cela qu’il ne doit pas toujours être ramené à la promesse tenue, mais dépasser les contraintes politiques et de calendrier.
Le Centre national de la musique peine à voir le jour, après moult rapports. Il est pourtant vital pour la filière. Or, alors qu’il doit démarrer cette année, on ne voit pas de financements à la hauteur de ce grand projet.
C’est pourquoi, compte tenu des incertitudes pesant sur le pass culture, la commission de la culture a déposé un amendement visant à transférer 5 millions d’euros vers le CNM, dont la réussite dépendra de sa mise en route avec des fonds suffisants pour qu’il soit opérationnel.
S’agissant du plan « Conservatoires », nous avons déjà alerté sur l’insuffisance des crédits d’État à destination de ces lieux de référence, de ressources et d’excellence dans leur domaine. Ni les plans « Chorale » et « Orchestre à l’école » ni la volonté croissante d’ouvrir ces structures vers les territoires ne devraient nuire à leur mission première. Diversifier les actions nécessitera un effort budgétaire, faute duquel nous risquons de voir les missions se dégrader.
En ce qui concerne le budget 2019, de nouvelles interrogations se font jour.
La première porte sur les arts visuels et la place qui leur est réservée dans la politique culturelle. Peu de crédits sont dévolus au soutien à la production et à la diffusion des arts visuels – moins de 10 % des crédits du programme 131. Les arts visuels sont pourtant un secteur de forte créativité et d’attraction. La fréquentation des FRAC, par exemple, est en hausse ces dernières années.
Alors que les arts visuels jouent un rôle majeur dans les territoires, ils ne sont pas cités parmi les exemples relevant de l’enseignement artistique et culturel. Quant au Conseil national des arts visuels, il ne s’est pas réuni…
On le voit bien : les tiers lieux et les lieux alternatifs de création, très liés à cette discipline, n’ont jamais été aussi nombreux. C’est une marque de la vitalité créative de ces artistes et de ces collectifs. Monsieur le ministre, il est désormais nécessaire d’expliciter la feuille de route de cette discipline, comme c’est le cas pour les autres.
Une seconde interrogation concerne la déclinaison territoriale des politiques culturelles. Je formulerai plusieurs constats.
Tout d’abord, les territoires ne sont pas égaux face à la culture : de grandes disparités existent d’une région à l’autre, d’une DRAC à l’autre, et entre les territoires au sein même d’une région. Rapportées au nombre d’habitants, les dépenses culturelles varient du simple au double d’une région à l’autre !
Ensuite, tous les territoires ne sont pas en mesure de répondre aux appels à projets lancés par le ministère, faute d’information, de budget, d’ingénierie ou, tout simplement, de temps. Comme on dit communément, dans l’appel à projets, il faut entendre l’appel. Ce sujet est un fort facteur de discrimination entre les territoires.
Par ailleurs, la nouvelle donne budgétaire des collectivités territoriales, avec la contractualisation et le plafonnement des dépenses, vaut aussi pour les budgets culturels régionaux. Nous vous alertons sur la contradiction entre cette situation et la demande croissante de l’État de coconstruction avec les collectivités territoriales. Certes, celles-ci sont la clé pour que les droits culturels soient une réalité ; mais faut-il encore qu’elles en aient les moyens et que l’on les y autorise.
Enfin, on constate une certaine incohérence dans les crédits destinés à la politique territoriale. Ainsi, l’action Soutien à la démocratisation et à l’éducation artistique et culturelle voit ses crédits baisser de 8,3 millions d’euros, alors que ceux-ci sont censés financer le plan « Culture près de chez vous ».
Voyez-vous, monsieur le ministre, il est essentiel de clarifier la politique culturelle territoriale et ses critères de choix, car la fracture culturelle est avant tout une fracture citoyenne.
J’en viens à l’éducation artistique et culturelle, qui mobilise aussi le ministère de l’éducation nationale. Doté de 198 millions d’euros, ce budget doit faire l’objet d’une clarification de sa répartition entre les deux ministères.
L’éducation artistique et culturelle est une des clés de la réussite du pass culture : c’est elle qui construit le chemin de la connaissance et de l’appétence pour la diversité culturelle. Elle est un outil majeur pour fabriquer des citoyens éclairés.
Nous souhaitons que ce grand défi se traduise budgétairement l’année prochaine, pour chacun des axes de l’éducation artistique et culturelle, car nous considérons – vous en serez certainement d’accord, monsieur le ministre – que ni la culture ni l’éducation ne prédomine : solidaires, les deux dimensions doivent l’être aussi en montants budgétaires.
S’agissant, enfin, du patrimoine, Philippe Nachbar, rapporteur pour avis, et moi-même ne pouvons que nous réjouir de le voir sortir des années de disette.
Le patrimoine suscite un engouement de la société civile, et chacun a pu s’en emparer. C’est une mobilisation citoyenne, comme en témoigne le succès du loto du patrimoine et de la mission de Stéphane Bern, ainsi que celui des Journées du patrimoine. À ce propos, monsieur le ministre, nous vous demandons de maintenir la disposition issue de l’amendement de la commission des finances voté à l’unanimité par notre assemblée mercredi dernier, afin de diriger les ressources fiscales du loto vers le patrimoine. Cela évitera les acrobaties de fin d’exercice que nous avons vues cette année…
Dans le même temps, le discours de l’État sur le patrimoine est pour le moins ambigu. Songeons, par exemple, à la discussion sur la loi ÉLAN en ce qui concerne le rôle des architectes des bâtiments de France. La politique patrimoniale s’est effacée devant d’autres considérations. Nous le regrettons d’autant plus vivement qu’elle est une politique d’attractivité, de lien social, d’aménagement et de revitalisation du territoire. Elle ne saurait être une variable d’ajustement !
Pour cela, elle doit être équitablement déclinée sur tous les territoires. Nous nous félicitons donc de la pérennisation du fonds incitatif créé pour les petites communes à faible potentiel financier. Louable, l’effort de diffusion vers les territoires n’en reste pas moins inférieur aux besoins. Il manque une visibilité, un calendrier, une cartographie, nous permettant de nous projeter sur un plan d’action sur tout le territoire français.
La déconcentration des crédits est nécessaire, partout où les besoins existent, car le patrimoine, c’est aussi le plus petit patrimoine, classé ou non : celui qui est le fruit de notre histoire et fait la valeur, l’image de nos communes.
Classés ou inscrits, 2 000 sites patrimoniaux sont en péril. Les protéger coûterait 2,5 milliards d’euros. Et que dire du patrimoine non inscrit, dont la valeur est intimement liée au territoire auquel il appartient ? Inventorier et hiérarchiser, c’est donner une vision claire du champ du patrimoine à accompagner, donc des ressources nécessaires.
Monsieur le ministre, le présent budget, s’il est plutôt positif, invite à franchir une nouvelle étape cruciale pour permettre à la culture et au patrimoine d’accompagner de façon équitable les territoires et les citoyens. Un gros travail doit accompagner les choix budgétaires, pour garantir leur redistribution juste et efficace sur le terrain. Les territoires, voilà l’enjeu !
Ces remarques formulées, le groupe de l’Union centriste votera les crédits de la mission « Culture ». (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain. – M. André Gattolin applaudit également.)