Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier, sur l’article.
M. Bernard Jomier. Nous sommes tous satisfaits de l’évolution du déficit de l’assurance maladie : de 900 millions d’euros en 2018, il devrait s’établir à 500 millions d’euros en 2019, avec une perspective de retour à l’équilibre, à partir de 2020, puis d’excédent.
Cette embellie cache toutefois des fragilités sérieuses.
Premièrement, les perspectives de retour à l’équilibre sont en fait très corrélées à la conjoncture et, si l’activité économique se révélait, dans les années à venir, moins favorable que prévu, le risque qu’une dette sociale ne se reconstitue serait important.
Deuxièmement, si la situation s’améliore, c’est en réalité au prix de contraintes importantes qui pèsent sur les hôpitaux, dont le déficit s’est dramatiquement creusé – il s’élevait à 900 millions d’euros l’année dernière et atteindra probablement entre 1,3 milliard et 1,5 milliard d’euros cette année.
D’ailleurs, l’Académie de médecine, dans un avis exprimé à la fin du mois d’octobre, qualifie la hausse de l’ONDAM, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, de « faux-semblant » et dénonce un jeu de vases communicants qui ne fait que transférer du déficit de la sécurité sociale vers des hôpitaux déjà en grande tension.
Par ailleurs, la fragilité de la situation financière de l’assurance maladie et la soutenabilité sur le long terme de notre système de santé sont de plus en plus préoccupantes, au regard de la transition épidémiologique, qui conjugue un accroissement des maladies chroniques avec le vieillissement de la population.
Je veux attirer l’attention sur le fait que nous ne répondrons pas à l’enjeu tendanciel de la hausse des dépenses sans réformes structurelles. Deux d’entre elles sont particulièrement absentes du présent projet de loi de financement de la sécurité sociale.
La première est la prévention et l’éducation à la santé. L’année dernière, le PLFSS comprenait des mesures sur la vaccination, la hausse de la fiscalité sur le tabac, ou encore le dépistage, mesures que nous avons toutes soutenues. En revanche, le PLFSS pour 2019 en est dépourvu. Et nous sommes toujours dans l’attente de mesures fortes sur les enjeux de santé environnementale, dont nous savons l’importance qu’ils sont en train de prendre.
La seconde réforme, celle du système de soins en faveur d’une prise en charge plus adaptée à la transition épidémiologique, de la réorganisation de l’hôpital, d’un renforcement des complémentarités entre médecine hospitalière et médecine de ville et d’une réflexion sur les parcours, qui figurait parmi les engagements que le Président de la République a affirmés au mois de septembre dernier et que nous approuvons, ne peut se passer d’investissements dédiés. Or le présent PLFSS en est très clairement dépourvu.
Monsieur le ministre, comment afficher un retour au vert des comptes de la sécurité sociale et transférer les excédents vers le budget de l’État quand l’hôpital va aussi mal et quand les réformes nécessaires pour transformer nos systèmes de santé exigent des investissements qui ne sont pas au rendez-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l’article.
M. Yves Daudigny. Au-delà des mouvements financiers, l’article 19 pose deux questions. Quelle protection sociale pour le XXIe siècle ? Quel nouveau paradigme pour la sécurité sociale ?
Quatre décisions concourent, à mon sens, à une perte d’autonomie financière et décisionnelle de la sécurité sociale : la désindexation, la non-compensation des pertes de recettes, le remplacement de cotisations sociales par la CSG et la nouvelle trajectoire tracée pour les années 2020 à 2022.
Il est vrai que cette autonomie n’est aujourd’hui que relative : si nous recevons bien le président de la CNAV ou celui de la CAF, lorsque nous auditionnons la CNAM, c’est le directeur général qui est notre interlocuteur.
Par ailleurs, l’ONDAM fixe un cadre financier et la négociation conventionnelle entre la CNAM et les organisations professionnelles établit les règles de fonctionnement de la médecine de ville, mais les dispositions prévues pour 2019 me semblent aller beaucoup plus loin. Elles dessinent une double évolution : une interpénétration financière quasi totale, avec une fongibilité entre les comptes de l’État et ceux de la sécurité sociale, et une transformation de la sécurité sociale en une sorte de service public national de protection sociale comme, par exemple, l’éducation nationale ou la défense – je caricature exprès pour bien me faire comprendre –, qui serait régi par les décisions annuelles du budget de l’État, le budget de la sécurité sociale devenant, comme les autres budgets, une variable d’ajustement.
Vous le savez tous, mes chers collègues, la sécurité sociale, c’est une histoire et une autre ambition. C’est la volonté d’apporter une réponse de qualité aux accidents de la vie, dont le plus menaçant est, certainement, la maladie. C’est la volonté de construire cette réponse sur des critères qui ne sont pas seulement financiers, tels que l’efficacité, l’attente des patients, ou encore les progrès scientifiques.
La sécurité sociale n’a pas seulement pour objet de répondre aux besoins des plus démunis. Nous sommes en phase avec Mme la ministre des solidarités et de la santé, qui insiste régulièrement sur l’évolution des minima sociaux, mais la sécurité sociale a une ambition beaucoup plus vaste. Elle est aujourd’hui le ciment de notre cohésion sociale, et l’avenir de notre démocratie serait en grand danger s’il y était porté atteinte.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, sur l’article.
M. Jean-Noël Cardoux. En complément des propos que vient de tenir Yves Daudigny, je veux citer certains chiffres : en 2019, les recettes de la sécurité sociale seront assurées à hauteur de 52 % par des cotisations et de 45 % par des recettes fiscales, en particulier la CSG.
Le régime assurantiel, qui implique que l’on ait cotisé pour bénéficier de prestations, se dirige donc à grande vitesse vers un régime universel, dans lequel les recettes de la sécurité sociale seront assurées par des dispositions fiscales. C’est un glissement insidieux auquel nous assistons.
J’en prends pour preuve deux éléments ponctuels – on pourrait en citer d’autres : la volonté du Gouvernement de ne pas baisser les cotisations de l’assurance accidents du travail-maladies professionnelles, alors que les efforts de prévention sensibles ont fait diminuer les prestations, et la réforme en cours de l’assurance chômage. Pour ce qui concerne cette dernière, il a été clairement affiché que ce serait quasiment la fin du paritarisme et que les recettes de l’assurance chômage seraient assurées par la fiscalité. Voilà où nous en sommes.
Jusqu’à présent, les parlementaires pouvaient déceler cette évolution insidieuse dans les positions du Gouvernement, mais elle n’était pas clairement assumée.
Or, avant-hier, nous vous avons entendu dire ici même, monsieur le ministre, que le modèle de 1945 et le principe de base de la sécurité sociale, à savoir la cotisation en fonction des ressources et la perception de prestations en fonction des besoins, étaient totalement dépassés. Surtout, vous avez déclaré que nous allions passer d’un régime assurantiel à un régime universel. Telle est la feuille de route que vous nous adressez désormais et que vous assumez pleinement.
J’estime que, compte tenu de cette évolution, qui devient désormais à peu près claire, nous ne pouvons pas nous contenter de débats fragmentaires à l’occasion de l’examen de tel ou tel texte de loi. Il faut que ce changement de modèle de société, qui, me semble-t-il, conduira à une irresponsabilité accrue de nos citoyens, soit débattu par le Parlement et fasse l’objet d’une réflexion dans le cadre de la réforme constitutionnelle. (M. Michel Savin applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, sur l’article.
M. René-Paul Savary. Effectivement, nous assistons à une évolution de notre modèle social.
Celui-ci doit évidemment être transformé et adapté au XXIe siècle. Il n’empêche qu’il faut peut-être en conserver certains fondamentaux et certaines bases.
L’évolution est insidieuse ; elle a commencé voilà déjà un certain nombre d’années. Je rappelle que l’accord national interprofessionnel, l’ANI, la création des réseaux de soins ou même le CICE ont contribué à la transformation de notre modèle, en faisant reposer le financement sur l’impôt plus que sur les cotisations.
L’évolution du financement pose le problème de la solidarité en France. Or, monsieur le ministre, vous n’envoyez pas un bon signe aujourd’hui en remettant en cause l’examen différencié entre le PLFSS et le PLF et en annonçant, pour demain, un schéma tout à fait nouveau, dont découlerait, pour l’examen des dépenses sociales, sanitaires et médico-sociales, une vision beaucoup plus tournée vers les recettes, avec une mainmise de Bercy bien plus que du ministère des solidarités et de la santé !
Certes, notre modèle social mérite d’être changé – nous ne l’avons jamais nié. Cependant, les dispositions qui vont être prises montrent que cette évolution est inéluctable.
La réforme systémique des retraites en est un exemple : le système actuel, dans lequel les cotisations correspondent à des prestations, deviendra, demain, un système à cotisations définies. Celui-ci impliquera une universalité, mais il faudra, dans ce nouveau modèle de financement, repenser la solidarité.
Cette évolution est peut-être inéluctable. Quoi qu’il en soit, elle mérite d’être considérée sous un angle différent de celui que vous nous proposez aujourd’hui.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Dériot, rapporteur de la commission des affaires sociales pour les accidents du travail et les maladies professionnelles. Je veux insister, en tant que rapporteur de la branche AT-MP, ou accidents du travail-maladies professionnelles, sur le siphonnage de cette branche au bénéfice de l’assurance maladie, que Jean-Noël Cardoux vient d’évoquer.
Cette méthode est tout à fait inadmissible. Si elle existe depuis un certain nombre d’années, elle atteint désormais son paroxysme.
Bien sûr, l’argument de la sous-déclaration des accidents du travail peut se justifier, mais l’estimation de ce phénomène doit garder des proportions limitées. Or nous en sommes aujourd’hui à transférer 1 milliard d’euros de la branche accidents du travail-maladies professionnelles à la branche maladie ! C’est inacceptable, puisque, au final, ce sont les cotisations des entreprises qui permettent d’équilibrer le pseudo-excédent de la branche maladie de la sécurité sociale.
M. le rapporteur général a rappelé la formule que les services de Bercy ont inventée pour essayer de calculer au mieux les cotisations des indépendants. Cela prouve bien qu’il est possible de trouver des solutions ! Pour ma part, je fais tout à fait confiance aux services de Bercy pour inventer une formule compréhensible. Pour le moment, c’est une simple commission qui se réunit tous les trois ans pour décider au doigt mouillé d’une fourchette de transfert, comprise entre 700 000 ou 800 000 euros et 1,5 milliard d’euros. Avouez tout de même, monsieur le ministre, que ces écarts sont tout à fait incompréhensibles !
Les pratiques actuelles doivent être encadrées et leur ampleur revue à la baisse, puisque ce sont finalement les entreprises elles-mêmes qui assurent un léger excédent à l’assurance maladie. Tant mieux pour celle-ci, mais ce n’est pas tout à fait normal !
Il faut vraiment faire quelque chose. On ne saurait continuer ainsi ! (M. Michel Savin applaudit.)
MM. Antoine Lefèvre et Bruno Sido. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno, sur l’article.
M. Olivier Henno. Voilà un débat intéressant. Ce débat n’est, à mon sens, ni technique ni financier : il est véritablement politique et philosophique.
Si l’on fait preuve d’honnêteté intellectuelle, force est de reconnaître qu’il ne date pas d’aujourd’hui. Je rappelle qu’il fut un temps, pas si lointain, où le Parlement ne discutait même pas du budget de la sécurité sociale : c’était le rôle des seuls partenaires sociaux.
Il est évident que nous avons avancé sur cette question à petits pas, sans véritable débat national. C’est d’ailleurs si vrai que l’on parle souvent, aujourd’hui, de « tuyauterie » du PLFSS.
Les chiffres de la répartition à parts presque égales entre la logique assurantielle et celle de la solidarité universelle financée par l’impôt qui ont été avancés tout à l’heure démontrent que nous sommes arrivés au bout de la méthode consistant à avancer à petits pas.
Je ne me résous pas à cette inéluctabilité, parce que je suis attaché au dialogue social, au paritarisme et aux corps intermédiaires. Au point où on en est, et au-delà des débats propres au projet de loi de financement de la sécurité sociale, cette question mérite un vrai et grand débat national. À titre personnel, ma religion n’est pas totalement faite sur le sujet. En tout état de cause, il faut un grand débat national pour donner un cap au pays sur cette problématique.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Amiel, sur l’article.
M. Michel Amiel. Le sujet est d’importance et, comme vient de le dire M. Henno, on est en droit de se poser la question de savoir si l’on peut répondre à une telle question au détour de l’examen d’un article de texte législatif, fût-ce le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il faudrait évidemment conduire une réflexion globale et dédiée.
Il s’agit en fait de choisir le modèle de sécurité sociale que l’on veut : préfère-t-on un système paritaire fondé pour l’essentiel sur des cotisations ou un système étatique reposant sur la fiscalité, avec pour corollaire, sans doute, la fusion annoncée entre projet de loi de finances et projet de loi de financement de la sécurité sociale, au moins en matière de recettes ?
Cette dialectique entre cotisations et fiscalité est certainement au cœur du problème, du moins en matière financière. Mais, au-delà de ce sujet, se profile bien sûr la question du système de santé que nous voulons véritablement : système assurantiel ou système étatique ?
Certes, les choses ont changé, puisque nous ne sommes plus en 1946 au moment où la sécurité sociale a été créée par Ambroise Croizat mais, de toute façon, sans même évoquer les aspects techniques, l’État intervient aujourd’hui très massivement dans le champ de la sécurité sociale. Par exemple, l’ONDAM, dont certains dénoncent la dictature (M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, et M. Martin Lévrier sourient.), est-il le bon outil ? Sinon, par quoi le remplacer ?
En même temps, si l’on regarde en détail le nombre d’actes inutiles ou redondants, qui seraient à hauteur de 20 % – je parle de la branche maladie – selon des chiffres de l’OCDE, on est en droit de se dire qu’il existe un véritable gisement d’économies. Encore faudrait-il amorcer des réformes de structure. Certaines me paraissent déjà engagées ; je pense en particulier, puisque j’évoque les actes inutiles ou redondants, au dossier médical partagé, le fameux DMP, vieux serpent de mer dont on commence à voir l’ébauche.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.
Mme Laurence Cohen. Je suis très intéressée par les interventions de mes collègues, parce qu’elles posent de nouveau la question que nous avions soulevée au travers de notre motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Je suis satisfaite d’entendre un certain nombre de choses, et je ne comprends pas pourquoi nos collègues n’ont pas voté notre motion et nos amendements. On touche là aux contradictions de chacun et de chacune.
Finalement, l’article 19 polarise le débat sur ce que doit être notre conception du système de protection sociale.
Il prévoit bien les différents transferts entre la sécurité sociale et l’État pour tirer les conséquences des multiples exonérations et abaissements de cotisations sociales patronales que nous n’avons pas cessé de dénoncer.
Par exemple, il prévoit la perte de 22,6 milliards d’euros pour la branche maladie du régime général, qui est compensée par l’État via le transfert d’une partie des recettes de la TVA. Quand on sait que la TVA est l’impôt le plus injuste pour nos concitoyennes et nos concitoyens, le transfert de ses recettes vers la sécurité sociale est un moyen supplémentaire de justifier le maintien de taxes, sous prétexte qu’elles sont indispensables, notamment au financement des hôpitaux.
Surtout, l’article 19 met fin au principe de compensation intégrale des exonérations de cotisations patronales par l’État. Sur les 38,4 milliards d’euros d’exonérations et d’abaissements de cotisations, seuls 36,3 milliards d’euros seront compensés. Donc 2,1 milliards d’euros ne seront pas compensés en 2019. Alors, en définitive, qui va payer la différence ? Ce sont les assurés eux-mêmes !
Cet article prolonge les politiques de l’État qui ont été mises en œuvre – il faut quand même le dire – avec les précédentes lois de financement de la sécurité sociale, et qui aboutissent progressivement à confondre le budget de la sécurité sociale avec celui de l’État. Je pense à la fiscalisation des recettes de la sécurité sociale avec la suppression des cotisations sociales et le financement par l’impôt, la non-compensation des pertes de la sécurité sociale par l’État, et l’affectation des excédents de la sécurité sociale au budget de l’État.
Je l’ai déjà dit, il s’agit finalement d’une manne assez extraordinaire que la santé. En fait, on s’aperçoit qu’il s’agit d’un budget de sous-financement qui porte un coup terrible à notre modèle social et au service public, d’une manière générale.
Monsieur le ministre, vous demandez plus à ceux qui ont moins. Les exonérations pleuvent au nom de l’emploi, alors que chacun sait qu’elles ont prouvé leur inefficacité en la matière. Je rappelle avec force que la sécurité sociale doit garantir à chacune et à chacun le même niveau élevé de droits. Ce n’est pas ce que vous proposez avec le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Après toutes ces prises de parole, je vous confirme que l’article 19, qui fait suite au rapport de MM. Charpy-Dubertret, est effectivement un article important.
Mme la ministre des solidarités et de la santé et moi-même avons déjà dit un mot sur le sujet lors de la discussion générale. Nous en avons également parlé au moment de l’examen de l’article 4, me semble-t-il.
Je me propose donc de répondre aux questions de principe, qui sont importantes, avant de m’exprimer peut-être plus rapidement sur les amendements qui visent à corriger, voire à supprimer les principes que le Gouvernement défend.
Plusieurs points ont été abordés. Il s’agit évidemment d’un débat – je rejoins en cela le sénateur Henno – très politique, mais c’est aussi, on ne peut pas l’oublier, un débat technique. Nous aurons d’ailleurs l’occasion de le démontrer tout à l’heure lorsque nous aborderons la discussion d’un certain nombre de dispositions.
D’abord, je veux vous rassurer, monsieur le sénateur Savary : je vous ai donné, non pas mon avis personnel, mais l’avis d’un homme politique, ce que vous êtes également.
Il est quand même assez étonnant qu’un débat public puisse avoir lieu à la fois sur le déficit, la dette publique, le taux des prélèvements obligatoires et le taux des dépenses publiques de notre pays, et que l’on me conteste le droit de raisonner sur 50 % de ces dépenses publiques – ce sont les dépenses de santé, qui font l’objet de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale – « toutes administrations publiques confondues ». (M. René-Paul Savary fait la moue.)
C’est pourtant ainsi que le rapporteur général de la commission des finances raisonne ; c’est ainsi que les candidats aux élections raisonnent ; c’est ainsi que la presse raisonne ; c’est ainsi que la Cour des comptes raisonne aussi. C’est également sur le fondement des dépenses « toutes administrations publiques confondues » que la politique du Gouvernement est jugée par la Commission européenne ou l’opinion publique.
Monsieur le sénateur, vous avez parlé de Bercy. Il me semble contradictoire de considérer que Bercy, qui est un peu le bouc émissaire moderne, serait le ministère devant régler tous les problèmes, celui du déficit, celui de la dette, ceux de la dépense publique et du taux des prélèvements obligatoires, tout en me contestant le droit de toucher à 50 % des dépenses publiques.
Ce sont en effet les mêmes (M. le ministre se tourne vers la droite de l’hémicycle) qui me demandent à chaque fois de dépenser moins, de baisser les prélèvements obligatoires, de diminuer plus rapidement le déficit ou la dette, et qui me disent aujourd’hui que je n’ai pas le droit de toucher à 50 % de l’ensemble, parce qu’il s’agirait du champ de la sécurité sociale. (M. René-Paul Savary fait un geste de dénégation.)
Chacun doit en avoir conscience : sur les 100 % de dépenses publiques toutes administrations publiques confondues, on attribue 20 % des dépenses aux collectivités locales, 30 % à l’État, voire même un tout petit peu moins, et un peu plus de 50 % à la sécurité sociale.
Un ministre du budget qui ne serait pas ministre des comptes publics ne pourrait utiliser que 30 % des crédits publics, sachant en outre que vous nous demandez en ce moment même de ne pas toucher aux collectivités locales, opinion que je peux partager et que le Gouvernement dans son ensemble partage d’ailleurs, puisqu’aucune économie ne sera faite aux dépens des collectivités locales. Il ne resterait donc plus que 30 % des crédits pour atteindre les objectifs politiques que vous nous demandez d’atteindre.
J’ajoute que l’État a déjà fait énormément d’efforts. S’il peut encore en faire quelques-uns, je vous l’accorde, c’est bien entendu sur les 50 % de dépenses publiques dont nous débattons aujourd’hui.
Affirmer cela, ce n’est pas nier l’autonomie de la sécurité sociale, ce n’est pas nier le paritarisme. C’est simplement dire que l’on ne peut pas baisser la dépense publique, les prélèvements obligatoires, le déficit ou la dette si l’on ne parle pas également de ce que l’on peut économiser dans le champ de la sécurité sociale au sens large.
La moitié de ces 50 % de dépenses publiques est dévolue aux retraites. Par conséquent, si l’on veut diminuer les dépenses publiques ou changer de paradigme en matière de comptes publics, il faut proposer une réforme des retraites.
Certains ont proposé une réforme de bon gré, comme le président Chirac. D’autres l’ont fait contre leur gré : je rappelle que le président Sarkozy n’avait pas prévu la réforme des retraites qu’il a finalement déposée sur le bureau des assemblées, et qui a fait reculer l’âge légal de départ à la retraite. Il l’a fait parce qu’il fallait réaliser des économies.
C’est aussi le cas du président Hollande qui se refusait à mener une telle réforme et qui a finalement dû se résoudre à augmenter le montant des cotisations, confronté qu’il était au paradigme des comptes publics dont je vous parle. C’est enfin le cas du président Macron, qui a mis de côté la réforme de l’âge de départ à la retraite pour mettre en avant un système de retraite par points.
En vérité, la question de la dépense publique, du déficit public et du taux des prélèvements obligatoires relève aussi évidemment du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Ce que j’évoque, monsieur le sénateur, ce n’est pas la fusion des textes budgétaires, puisque le conseil des ministres ne l’a pas décidé et que ce n’est pas non plus ce que propose le Gouvernement dans le cadre de la future révision constitutionnelle. Ce que je veux dire – et je ne suis pas le premier à le faire, car on en débat depuis très longtemps déjà –, c’est que l’on pourrait peut-être avoir une discussion commune sur les recettes, avant d’aborder des questions différentes en matière de dépenses.
Le volet des dépenses est le second point que je veux évoquer : oui, le Gouvernement a toujours dit qu’il souhaitait passer progressivement d’un système assurantiel à un système universel. De ce point de vue, nous avons sans doute des opinions différentes, notamment avec le côté gauche de l’hémicycle.
En tout cas, l’important est non pas la fusion entre projet de loi de financement de la sécurité sociale et projet de loi de finances ou la fusion entre sécurité sociale et budget de l’État, mais de savoir comment on peut financer la solidarité sociale. Et ce n’est pas très grave de la financer par l’impôt plutôt que par les cotisations !
Mme Laurence Cohen. Mais si, c’est grave !
Mme Laurence Cohen. Oui, je l’avais remarqué !
M. Gérald Darmanin, ministre. Nous considérons, sans porter de jugement de valeur sur le système de l’époque, que le système a changé depuis 1945. Il n’y a plus le même rapport entre le nombre d’actifs et le nombre de retraités. Le montant des pensions a évolué. L’espérance de vie a augmenté. La pénibilité du travail a changé. Le taux de croissance ou le taux de chômage ne sont plus les mêmes non plus.
Aujourd’hui, vous connaissez bien le problème : il y a de moins en moins de personnes qui cotisent par rapport aux personnes à la retraite.
Il y a aussi la question de l’assurance maladie. À ce propos, je veux bien tout entendre et, de ce point de vue, je dois reconnaître que le groupe CRCE est particulièrement cohérent, mais je signale tout de même aux sénateurs du groupe Les Républicains qu’ils ont déposé une vingtaine d’amendements pour proposer des exonérations de charges.
Soit on considère que l’impôt peut effectivement contribuer à faire baisser le coût du travail via des exonérations de charges – c’est ce que nous défendons et c’est pourquoi nous proposons la transformation du CICE en allégements de charges –, soit on estime que les cotisations assurantielles doivent continuer d’être le mode de financement du système, mais, dans ce cas-là, on ne doit pas déposer vingt-trois amendements visant à créer des exonérations de charges !
M. Bruno Sido. Bien sûr !
M. Gérald Darmanin, ministre. Sinon, on risque de rencontrer un petit problème en termes de financement ! Il faut rester cohérent et, pour le coup, je reconnais bien volontiers de nouveau que le groupe CRCE est le plus cohérent de tous à propos des modalités de financement des dépenses sociales.
Qu’entend-on par dépenses sociales ? Il s’agit bien sûr des dépenses de la sécurité sociale, mais il ne s’agit pas que de cela : la prime d’activité est aussi une dépense sociale, même si elle relève des crédits de l’État ! Quand on dédouble les classes de CP et CE1 dans les quartiers prioritaires et, demain, dans les zones rurales – vous êtes les premiers à dire qu’il s’agit de dépenses sociales –, on agit en direction de personnes qui ont des difficultés sociales. Or il s’agit là encore de crédits de l’État !
Monsieur le sénateur, vous disiez que l’essentiel de notre système serait financé demain par les charges patronales. Mais enfin, si ces charges patronales, les masses salariales grâce auxquelles on collecte des cotisations ou la CSG existent, c’est bien parce que l’on a encouragé le travail et l’entreprise en supprimant des impôts d’État !
Nous avons baissé l’impôt sur les sociétés : cela nous permet de récupérer davantage d’impôts sociaux. Quand nous décidons de supprimer l’ISF – c’est aussi un point sur lequel on pourrait débattre, mais je ne veux pas le faire aujourd’hui –, nous pensons que cette mesure peut aider les PME, les ETI et les grandes entreprises à embaucher davantage et donc à accroître les recettes. Ne faisons pas semblant de croire que ce que fait l’État d’un côté, en diminuant sa fiscalité et en creusant son propre déficit, ne permet pas à la sécurité sociale, de l’autre, de percevoir davantage de recettes. Ce serait une contre-vérité que de ne pas le reconnaître.
La question à se poser à ce stade n’est pas de savoir comment on répartit la manne des enfants d’Israël se levant le matin. On est bien d’accord sur le fait que beaucoup d’efforts ont été faits précédemment pour parvenir aux 700 millions d’euros d’excédents de la sécurité sociale aujourd’hui.
Il faut le dire : on doit ce résultat aux réformes des retraites, d’abord la réforme Woerth, puis la réforme menée lors du précédent quinquennat, lesquelles ont permis de récupérer davantage de cotisations. On le doit aussi à l’hôpital public, qui a fait des efforts très importants, notamment ses personnels de santé. On le doit peut-être aussi à une bonne gestion plus générale du système et, avouons-le également, à l’augmentation de la CSG.
Après tout, tout le monde nous reproche aujourd’hui de ne pas avoir décalé la hausse de la CSG et des cotisations l’an dernier, mais cela a permis d’encaisser des recettes supplémentaires, même si elles sont en partie destinées à l’État !
L’ensemble des gouvernements ont pris des mesures courageuses, parfois impopulaires, qui n’étaient pas toujours prévues dans le programme du Président de la République de l’époque, mais qui ont permis de parvenir au résultat que nous observons aujourd’hui.
Il existe un léger excédent, mais une dette sociale importante, qui s’élève encore à 126 milliards d’euros, persiste aussi. Par ailleurs, nous avons une dette publique très élevée que, du fait de l’évolution des taux d’intérêt, nous devons essayer de réguler de façon notable.
Ce que propose le Gouvernement, à la suite de la remise du rapport de MM. Charpy et Dubertret, c’est de garantir une solidarité, mais une solidarité qui ne nie pas la nécessaire extinction de la dette sociale. Surtout, la question – des sénateurs de tous bords ont posé – est de savoir comment on peut faire pour garantir la protection sociale de demain, notamment et, indépendamment de ce que nous connaissons aujourd’hui, la dépendance, sujet sur lequel Mme la ministre travaille beaucoup.
Nous savons que nous avons l’obligation juridique d’affecter des impôts sociaux au champ social, et nous le ferons. Nous devons aussi éteindre cette dette sociale de 126 milliards d’euros : c’est pourquoi il faut continuer à faire des efforts et pas simplement reporter les réformes.
Alors, l’ONDAM est-il le bon instrument de mesure ? Je ne suis pas assez qualifié pour répondre à cette question. En tout cas, il faut bien que l’on en ait un. On peut toujours casser le thermomètre pour déclarer que l’on n’a pas de fièvre, mais la vérité, c’est que l’on dispose d’un instrument de mesure. Vous savez bien que la différence fondamentale est celle qui sépare l’ONDAM de ville et l’ONDAM de l’hôpital, sujet essentiel sur lequel Mme la ministre travaille beaucoup là encore.
Comment prendre en compte les besoins des professionnels de santé et ceux de la population tout en régulant les dépenses publiques ? Cette problématique est évidemment importante.
Pour en terminer et répondre ainsi à M. le sénateur Henno, je dirai que le débat n’est pas tant de connaître les tuyauteries du système, de savoir qui de l’État ou de la sécurité sociale le finance, ou de savoir si celui-ci est plutôt universel ou assurantiel, mais, à partir du moment où l’on sait aujourd’hui que la sécurité sociale va conserver son autonomie et que les comptes de celle-ci deviennent excédentaires, de réfléchir aux enjeux à venir en matière de protection sociale, et de trouver la meilleure manière de refaire 1945 en 2019, si je peux m’exprimer ainsi.
L’un des enjeux les plus importants dans le futur est sans doute celui de la dépendance. Comment financera-t-on la dépendance ?