M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Les deux amendements qui sont identiques visent à supprimer l’article, mais pas pour les mêmes raisons : l’un, celui qui a été présenté par Mme Apourceau-Poly, pour des raisons de fond et l’autre, celui qu’a proposé M. le rapporteur général, pour des raisons de forme, si j’ose dire.
Sur le fond, vous ne vous étonnerez pas, madame la sénatrice, que nous ayons des différences d’appréciation. Nous pensons, au contraire de vous, que les dispositions fiscales que nous présentons ici et qui sont le miroir de la loi PACTE de Bruno Le Maire, sont tout à fait bénéfiques pour les salariés et les ouvriers, dans la nouvelle manière dont on pourrait imaginer le lien entre le capital et le travail, une vieille idée gaulliste mais pas seulement.
Nous avons un désaccord de fond et vous ne serez pas vexée si je donne un avis défavorable à votre amendement, qui vise à supprimer la disposition en tant que telle pour ne plus jamais la revoir.
Monsieur le rapporteur général, je suis quelque peu embêté par votre proposition de forme, même si je suis sensible à vos arguments sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
D’abord, vous voulez tout regrouper dans un même article, alors qu’il s’agit de deux dispositions différentes. C’est un peu dommage pour nos débats.
Ensuite, si l’on devait supprimer ces dispositions – on voit bien, d’ailleurs, que les suppressions ne se font pas toujours pour les bonnes raisons, en tout cas pas pour les mêmes motifs… – et ne pas les voir revenir à l’article 11 ter, nous supprimerions une mesure très importante du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour les ouvriers et employés de notre pays.
Monsieur le rapporteur général, je vous propose soit de retirer votre amendement, soit de faire d’ores et déjà le débat que nous pourrions avoir à l’article 11 ter. À moins que vous ne puissiez m’assurer – le rapporteur général n’est toutefois pas toujours suivi par sa majorité, comme j’ai pu le constater depuis le début de nos débats, même si on peut parfois le déplorer – que votre avis positif pour rétablir, à l’article 11 ter, les dispositions supprimées de cet article 8 bis sera bien suivi…
Dans cette attente, il serait préférable de rejeter votre amendement pour que le Sénat puisse confirmer cette disposition fiscale favorable aux salariés et aux ouvriers.
M. le président. Monsieur le rapporteur général, l’amendement n° 56 est-il maintenu ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Monsieur le ministre, notre amendement visant à rédiger l’article 11 ter reprend les dispositions que nous voulons supprimer à l’article 8 bis.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Je suis bien d’accord.
Pour le moment, nous proposons la suppression de l’article 8 bis. Je rappelle qu’il s’agit de l’avis de la commission ; le Sénat se prononcera après.
Puisque la simplification est le but du Gouvernement, la commission propose de simplifier les dispositifs sur le forfait social pour les entreprises. C’est ce que nous avons essayé de faire, en complément des efforts que vous avez déjà réalisés dans ce domaine. Nous tentons d’aller à votre rencontre !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. L’objet de notre amendement est non pas de s’opposer à vos propositions, mais de trouver un point de compromis qui soit favorable aux entreprises, à l’actionnariat salarié et à la participation.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Nous verrons ce que dit le Sénat et puis nous nous adapterons.
Nous maintenons donc notre amendement.
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le ministre, vous avez totalement raison : nos deux visions de la société s’opposent complètement.
Vous taxez les plus pauvres ; pour notre part, nous préférons taxer les grosses entreprises. Ce sont bien deux visions qui s’opposent.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 56 et 493.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l’article 8 bis est supprimé, et l’amendement n° 385 rectifié n’a plus d’objet.
L’amendement n° 385 rectifié, présenté par MM. Daudigny et Kanner, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin, Meunier et Rossignol, M. Tourenne, Mmes Van Heghe et Blondin, M. Fichet, Mme Guillemot, M. Magner, Mmes S. Robert et Monier, MM. Kerrouche, Tissot, Antiste, J. Bigot, P. Joly, Mazuir et Jacquin, Mme Bonnefoy, M. Duran et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Dans la mesure où l’amendement n° 385 rectifié concerne des dispositions déplacées à l’article 11 ter, la logique voudrait qu’il soit examiné lors de la discussion de ce même article plutôt que considéré comme sans objet.
M. le président. Monsieur Daudigny, l’article 8 bis ayant été supprimé, il vous faudra redéposer cet amendement sous la forme d’un sous-amendement à l’amendement de la commission lors de l’examen de l’article 11 ter.
Article 8 ter (nouveau)
L’article 16 de la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018 est ainsi modifié :
1° Le I est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, la date : « 30 avril 2018 » est remplacée par la date : « 31 mars 2019 » ;
b) Au second alinéa, la date : « 31 octobre 2018 » est remplacée par la date : « 30 juin 2019 » ;
2° À la fin de la deuxième phrase du premier alinéa du II, la date : « 1er novembre 2018 » est remplacée par la date : « 1er juillet 2019 » ;
3° Le III est ainsi modifié :
a) Après la première phrase du premier alinéa, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Pour les employeurs du régime général et du régime agricole et les travailleurs indépendants et exploitants agricoles des collectivités d’outre-mer de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy qui justifient d’une baisse de leur chiffre d’affaires majeure et durable directement imputable aux événements climatiques exceptionnels survenus entre le 5 septembre et le 7 septembre 2017, au titre de leur activité réalisée sur ces deux territoires, ce plan peut comporter un abandon, qui est total ou partiel selon l’ampleur de la baisse et sa durée, des cotisations et contributions sociales dues par les employeurs pour la période comprise entre le 1er août 2017 et le 31 décembre 2018 ou à titre personnel par les travailleurs indépendants ou les exploitants agricoles au titre des exercices 2017 et 2018. » ;
b) Sont ajoutés trois alinéas ainsi rédigés :
« Le bénéfice de l’abandon des créances de cotisations et contributions sociales est ouvert aux employeurs et travailleurs indépendants qui adressent à l’organisme chargé du recouvrement des cotisations et contributions, au plus tard le 30 avril 2019, une demande conforme à un modèle fixé par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale et, le cas échéant, en cas d’interruption totale d’activité sur une période, une attestation sur l’honneur ou tout élément probant. Les organismes chargés du recouvrement des cotisations de sécurité sociale sont habilités à vérifier, dans le cadre des contrôles auprès des demandeurs ou dans le cadre notamment des échanges avec l’administration fiscale qu’ils réalisent, la réalité des déclarations.
« Le bénéfice d’un abandon total ou partiel des créances est subordonné au fait, pour l’employeur, d’être à jour de ses obligations déclaratives, de ses obligations de paiement à l’égard de l’organisme de recouvrement pour les cotisations salariales dues au titre de la période comprise dans le champ de l’abandon prévu au quatrième alinéa du présent III, ainsi que pour les cotisations dues au titre des périodes qui ne sont pas comprises dans ce champ.
« La condition de paiement est considérée comme remplie dès lors que l’employeur, d’une part, souscrit et respecte un plan d’apurement des cotisations restant dues et, d’autre part, acquitte les cotisations en cours à leur date normale d’exigibilité. » ;
4° Au IV, la date : « 31 décembre 2018 » est remplacée par la date : « 31 août 2019 » ;
5° Au dernier alinéa du VII, après le mot : « partielle », sont insérés les mots : « ou totale ». – (Adopté.)
Article 9
Le II de l’article L. 131-6-4 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° À la troisième phrase du deuxième alinéa, après la référence : « 50-0 », est insérée la référence : « ou de l’article 64 bis » ;
2° À la première phrase du dernier alinéa, après la référence : « L. 613-7 », sont insérés les mots : « du présent code ou relevant du régime prévu à l’article L. 722-1 du code rural et de la pêche maritime » et, après la référence : « 50-0 », est insérée la référence : « , 64 bis ». – (Adopté.)
Article additionnel après l’article 9
M. le président. L’amendement n° 242 rectifié ter, présenté par Mme Jasmin, M. Lurel, Mme Conconne, M. Cabanel, Mmes G. Jourda et Conway-Mouret, M. Duran, Mme Monier, M. Kerrouche, Mme Ghali et MM. Vaugrenard et Antiste, est ainsi libellé :
Après l’article 9
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À compter du 1er janvier 2020 au 1er janvier 2029, un arrêté des ministres chargés de la santé et des outre-mer fixe chaque année, les dispositions de l’article L. 758-1 du code de la sécurité sociale, après concertation avec les parlementaires et les employeurs locaux concernés.
La parole est à Mme Victoire Jasmin.
Mme Victoire Jasmin. Cet amendement portant article additionnel concerne les filières canne, sucre, rhum, mais aussi la prévention que souhaite Mme la ministre. Il vise à favoriser le dialogue et la concertation entre les différents acteurs.
Comme vous le savez, les filières canne, sucre, rhum, bagasse sont confrontées, comme d’autres, à des mises aux normes en matière de protection de l’environnement – la plupart des usines et des distilleries ont été contraintes de mettre en place des méthaniseurs et il a aussi été question de traitement des effluents –, ce qui engendre des surcoûts.
Ces mises en conformité visent, certes, à leur permettre de conserver leur caractère d’excellence, mais ces secteurs demeurent fragiles.
L’absence de préparation et de concertation avec les acteurs concernés me gêne considérablement. Étant moi-même professionnelle de santé, je sais combien il est important de faire de la prévention.
Toutefois, les mesures que vous préconisez et les réponses que vous avez apportées à l’Assemblée nationale sont-elles adaptées à la situation économique et sociale de nos territoires ? Entre le vieillissement de la population et le taux de chômage élevé, beaucoup de nos jeunes sont obligés de venir dans l’Hexagone. Seules les filières agricoles retiennent encore quelques jeunes saisonniers.
Il faut donc mener une réflexion sur ces questions. C’est pourquoi je vous propose, madame la ministre, ainsi qu’à Mme la ministre des outre-mer, de prendre les dispositions nécessaires pour mener une concertation et aboutir à un consensus avant toute mesure unilatérale qui contribuerait encore davantage à l’exode – je dis bien à l’exode ! – de nos jeunes vers les banlieues de métropole, vers le Canada ou vers d’autres contrées. Ce n’est plus supportable.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Madame Jasmin, vous proposez de renvoyer au Gouvernement le soin de fixer le montant de cette contribution par voie de concertation.
Il me semble dommage de renoncer à cette compétence législative.
Par ailleurs, l’adoption de l’amendement du Gouvernement visant à l’alignement progressif en six ans de la fiscalité ultramarine sur les alcools forts ménage, à mon sens, suffisamment de temps aux entreprises de la filière sucrière pour s’adapter.
La commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. Madame la sénatrice Jasmin, la concertation a eu lieu au moment du Livre bleu sur les outre-mer et ce sujet a été largement partagé.
En outre, il s’agit d’une taxation, ce qui relève du domaine de la loi.
Le Gouvernement vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
M. le président. Madame Jasmin, l’amendement n° 242 rectifié ter est-il maintenu ?
Mme Victoire Jasmin. Non, monsieur le président.
Je souhaite vraiment que le Gouvernement travaille avec les opérateurs et toutes les personnes concernées avant d’aller plus loin. Il me semblait important de signifier que cette façon de faire ne convenait pas forcément.
Nous allons revenir sur cette question dans quelques instants : j’ai déposé un autre amendement, que je maintiendrai…
Mais je retire celui-ci.
M. le président. L’amendement n° 242 rectifié ter est retiré.
Article 9 bis (nouveau)
I. – À l’article L. 758-1 du code de la sécurité sociale, le montant : « 0,04 euro » est remplacé par le montant : « 0,088 € ».
II. – À compter du 1er janvier 2020, à l’article L. 758-1 du code de la sécurité sociale, le montant : « 0,088 € » est remplacé par le montant : « 0,136 € ».
III. – À compter du 1er janvier 2021, à l’article L. 758-1 du code de la sécurité sociale, le montant : « 0,136 € » est remplacé par le montant : « 0,184 € ».
IV. – À compter du 1er janvier 2022, à l’article L. 758-1 du code de la sécurité sociale, le montant : « 0,184 € » est remplacé par le montant : « 0,232 € ».
V. – L’article L. 758-1 du code de la sécurité sociale est abrogé le 1er janvier 2023.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Conconne, sur l’article.
Mme Catherine Conconne. Que les choses soient claires : il n’est pas question que mon propos soit caricaturé en une vision manichéenne. Il ne s’agit pas d’opposer les bons, les vertueux « anti-alcool », aux mauvais, aux suppôts de Bacchus « pro-alcool » (Sourires.) dont je ferais partie. Que l’on se garde de me faire ce mauvais coup !
Comme l’écrivait Maupassant, le regard moderne sait voir la gamme infinie des nuances. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido. Oh là là !
Mme Catherine Conconne. La France a protégé sa production viticole, son vin, qu’elle taxe très faiblement pour des raisons que l’on comprend. J’ai du respect pour les viticulteurs. La France, c’est le vin ; dans nos pays, c’est le rhum. Nous tenons à cette protection patrimoniale.
J’ai diffusé largement aux différentes catégories socioprofessionnelles et à tous les gens de mon pays un amendement voté récemment par l’Assemblée nationale : ce fut un tollé !
Comme moi, ils se sont tous demandé de quel pays il était question. Comment était-il possible de parler de nous dans des termes aussi atroces : addiction, alcoolisme… Vous-même, madame la ministre, comment avez-vous pu dire qu’il était nécessaire d’augmenter très vite les taxes pour éviter l’alcoolisation fœtale, les violences faites aux femmes, les violences routières, les cirrhoses, les cancers…
Vous dites aussi avoir entendu les députés ultramarins expliquant qu’il s’agit d’une monoculture dans certains territoires, comprendre qu’on ne peut changer toute une économie locale en une ou deux années et qu’il faut modifier les pratiques. Mais qui, madame la ministre, vous a dit que nous voulions arrêter la production de canne à sucre ? (Mme Nathalie Goulet et M. Roger Karoutchi applaudissent.)
Il manque 2 000 hectares, madame, à mon seul pays. Il manque 2 000 hectares en Martinique : le rhum est exporté à 80 % dans une centaine de pays et seuls 8 % sont consommés par la population locale. Et on veut me faire croire que, de l’autre côté de l’Atlantique, tous les Martiniquais sont couchés sous des cocotiers, boivent du rhum toute la journée (Rires sur quelques travées du groupe Les Républicains.) – plus que les Français ne boivent de vin ! – et que nous sommes victimes de toutes les pathologies et de toutes les dérives comportementales liées à l’alcoolisation.
Madame la ministre, si j’avais une suggestion à vous faire, ce serait d’augmenter la taxe sur le vin, ce qui permettrait à la sécurité sociale d’empocher des milliards et des milliards d’euros, et de me donner le conseiller parlementaire qui vous a suggéré une telle intervention. Je pars derechef avec lui en mission pour lui expliquer ce que vous méconnaissez tellement : la réalité de nos pays ! (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, sur l’article.
M. Bernard Jomier. Le sujet qui nous préoccupe est important : s’il est bien un patrimoine que nous partageons tous, quel que soit l’endroit où l’on se trouve, c’est notre population.
La question est de savoir quels ravages commet l’alcool sur nos différents territoires et comment lutter contre ce fléau. Pour y répondre, il faut partir de la réalité des faits : la consommation quotidienne d’alcool fort est deux fois plus élevée dans les DOM qu’en métropole. La réalité, c’est que l’Agence nationale de santé publique constate les dégâts en termes de santé sur la population.
Je ne vais pas en dresser la liste complète. Je reprendrai simplement le rapport de l’Agence sur le syndrome d’alcoolisation fœtale, publié en septembre dernier : les enfants à naître sont cinq fois plus touchés à La Réunion qu’en métropole et ce syndrome est en hausse forte en Guadeloupe.
Soit on décide que ces enfants à naître sont un patrimoine perdu, soit on regarde les choses de près et on cherche comment lutter contre l’alcoolisation fœtale.
Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que la santé publique se construit à partir des taxes, mais il est clair aussi qu’il s’agit d’un outil à notre disposition. Mme la ministre en a souligné les résultats dans la lutte contre le tabac. Bien évidemment, cet outil doit s’insérer dans une politique globale. Il faut lancer un plan de prévention.
À cet égard, on ne peut que saluer la campagne d’information lancée par Santé publique France après la publication de ces données sur le syndrome d’alcoolisation fœtale. Il s’agit d’une campagne particulièrement bien conçue présente dans les médias et sur internet et s’appuyant sur les professionnels de santé.
À l’Assemblée nationale, le Gouvernement a amendé, nous en reparlerons dans le cours de la discussion, l’article 38 relatif au fonds sur les addictions en prévoyant des actions spécifiques pour l’outre-mer. Il faudra que l’investissement soit à la hauteur.
Il est clair qu’on ne peut en rester à cette taxation dix fois moins importante qui met, à faibles coûts, les alcools forts à la disposition directe de la population.
La proposition du Gouvernement qui vise à étaler la convergence tarifaire sur six ans – en fait, plutôt sur sept ou huit ans – me paraît raisonnable : elle tient compte des intérêts économiques des filières tout en préservant le cap de santé publique, raison pour laquelle je la soutiendrai.
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, sur l’article.
M. Victorin Lurel. Cette affaire a été introduite à l’Assemblée nationale par un amendement quelque peu tardif et, là encore – c’est décidément la marque de votre gouvernement –, sans concertation.
On peut comprendre le problème, voire approuver la solution proposée. C’est la méthode et le délai qui posent problème. Il me semble que votre ADN, c’est principalement la défense des entreprises.
Il s’agit ici d’entreprises productrices d’alcool fort. Mais enfin, passer de 40 euros par hectolitre d’alcool pur à 557 euros, c’est tout de même beaucoup !
Vous vous êtes rendu compte de la brutalité de la mesure et, après que votre collègue des outre-mer a proposé dix ans et vous-même quatre, vous proposez maintenant un étalement sur six ans. Je ne vous cacherai que je proposerai la même durée dans un amendement de repli, mais les socioprofessionnels espèrent revenir à la première proposition de dix ans.
Il s’agit de petites distilleries : une dizaine en Guadeloupe, treize en Martinique sans compter celles de Guyane et de La Réunion. En sus de la TVA, il y a les droits d’accises, les cotisations sociales, mais aussi l’octroi de mer. Aujourd’hui, les régions peuvent décider, avec l’agrément de l’Europe, d’une exonération sur dix ans pour la production locale. Mais la fiscalité s’accumule.
Monsieur Jomier, je ne cherche pas à excuser une consommation frénétique d’alcool, mais on consomme moins d’alcools forts, et en particulier moins de rhum, en Guyane, en Guadeloupe, à la Martinique et à La Réunion qu’en métropole. La Réunion rencontre un problème plus spécifique de syndrome d’alcoolisation fœtale, qui commence à apparaître également en Guadeloupe. Chez les jeunes de 17 ans, l’usage régulier d’alcool concerne 5 % des Réunionnais, 7 % des Guadeloupéens, 9 % des Martiniquais et 12 % des Hexagonaux. Ces chiffres datent de 2014.
Les épisodes d’ivresse sont moins fréquents qu’en métropole et les étudiants et jeunes de 17 ans s’alcoolisent moins fréquemment que leurs alter ego de l’Hexagone.
Bien sûr, les phénomènes de violences sexuelles évoqués par Catherine Conconne sont une réalité. Peut-on concilier les deux ?
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Victorin Lurel. Le premier réflexe des ministres de mettre en place un lissage sur dix ans me semblait pertinent.
Nous attendons toujours le rapport promis dans la loi relative à l’égalité réelle outre-mer sur la remise à plat de la fiscalité. De même, lors des assises de l’outre-mer, le Gouvernement avait décidé de créer un fonds de financement pour lutter contre les addictions : nous ne voyons rien venir…
Il me semble que cette mesure s’apparente davantage à une mesure de rendement qu’à une mesure de fiscalité comportementale. (Mme Catherine Conconne applaudit.)
M. le président. Je demanderai aux orateurs de bien vouloir respecter leur temps de parole, et ce d’autant qu’ils pourront encore intervenir sur les amendements en discussion.
La parole est à M. Michel Magras, sur l’article.
M. Michel Magras. La question que pose l’augmentation de la fiscalité sur les alcools outre-mer me semble être celle du juste équilibre entre, d’une part, l’impératif de santé publique de prévention et de traitement des addictions et, d’autre part, la préservation d’un secteur économique stratégique pour nos économies locales. Madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, je suis certain que vous en conviendrez également.
L.es producteurs de rhum sont bien conscients des effets ravageurs et des addictions alcooliques qu’implique leur production. Pour cette raison, ils se sont unanimement – tout du moins ceux qui m’ont contacté – prononcés pour une contribution au financement des mesures de prise en charge des effets pervers de l’alcool dans le rhum.
Toutefois, si la fiscalité pouvait, à elle seule, prévenir toutes les formes de consommation excessive, nous n’aurions pas ce débat, même s’il est certain qu’un prix trop accessible ne contribue pas à les enrayer. En d’autres termes, si les taxes permettaient de lutter contre l’alcoolisme ou le tabagisme, cela se saurait.
Il s’agit en effet d’aligner la fiscalité locale sur celle de la métropole qui n’a pourtant pas permis – est-ce bien utile de le préciser ? – d’éradiquer l’alcoolisme.
Partant de ce constat, la motivation de santé publique justifie que le surplus de la taxe soit affecté à un fonds dédié au financement de la prévention de l’alcoolisme et de la prise en charge de ses conséquences outre- mer.
La place stratégique du rhum dans les économies ultramarines n’est plus à exposer. C’est dans cet esprit que j’évoquais l’idée d’un équilibre, ce qui nous amène à la problématique de l’étalement du surplus de la fiscalité.
Un échelonnement sur dix ans permettrait en effet à la production de contribuer dès 2020, tout en bénéficiant d’un temps d’adaptation suffisamment long pour ajuster son modèle économique qui n’avait sans doute pas intégré la suppression d’une différenciation fiscale visant notamment à garantir un avantage comparatif au rhum.
Cette question de temporalité m’amène d’ailleurs, madame la ministre, à vous interroger sur l’amendement que vous allez présenter et dont la rédaction me laisse penser que vous proposez un étalement sur cinq ans. Pouvez-vous me confirmer que telle est bien votre intention ? Je vous remercie par avance de votre réponse.
M. le président. La parole est à Mme Nassimah Dindar, sur l’article.
Mme Nassimah Dindar. La commission des affaires sociales s’est montrée plutôt favorable à l’amendement du Gouvernement qui permet de concilier le devoir d’aide avec nos obligations en matière de santé.
Les chiffres ont été rappelés ; il s’agit de réalités vécues à La Réunion. À Saint-Louis, avec Anne-Marie Payet, alors sénatrice de l’île, nous avons eu l’honneur d’accueillir Simone Weil, ancienne ministre de la santé, qui fut la marraine d’un projet de lutte contre l’alcoolisation fœtale.
Autre réalité : neuf affaires pénales sur dix et neuf affaires de violences faites aux femmes sur dix sont liées à l’excès d’alcool, souvent en lien avec d’autres addictions, notamment ce que nous appelons le « zamal », c’est-à-dire le haschich. Il est donc important d’envoyer un signal fort contre les addictions.
Ce matin, en commission, nous avons voté l’ouverture à l’ensemble des DOM du fonds contre les addictions – dont j’avoue que j’ignorais l’existence. Il s’agit d’un fonds assez important. Cette mesure me semble d’assez bon augure et témoigne d’une vision un peu plus globale en matière de santé publique, de lutte contre les addictions et de tout ce qui touche à la prévention.
À La Réunion aussi nous avons été alertés sur les enjeux économiques qu’évoquait M. Magras. Les alcooliers n’ont pas été suffisamment préparés à cette mesure et demandent du temps. L’amendement du Gouvernement qui vise à étaler cet alignement sur six ans permettrait de concilier leurs attentes avec la nécessaire lutte contre les addictions, l’alcoolisme et les violences qui en découlent. (Mme Catherine Deroche applaudit.)