M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les présidents, mes chers collègues, si les questions migratoires et de sécurité intérieure occupent la majeure partie des points à l’ordre du jour du Conseil européen, celui-ci est avant tout décisif pour la poursuite des négociations relatives au Brexit. Il sera également l’occasion de réunir un sommet de la zone euro dans une configuration ouverte à l’ensemble des États membres.
Ces deux points sont des sujets capitaux pour la commission des finances.
Premièrement, alors que l’automne de 2018 avait toujours été présenté comme la date butoir pour parvenir à un accord sur le retrait britannique, ce Conseil européen s’ouvre malheureusement sur l’échec des négociations.
La rencontre de dimanche dernier entre le négociateur en chef pour l’Union européenne, Michel Barnier, et le ministre britannique chargé du Brexit, Dominic Raab, n’a pas permis une percée suffisante des négociations. La question persistante de la frontière irlandaise empêche la conclusion d’un accord, alors même que la Première ministre, Theresa May, apparaît contestée au sein de sa propre formation politique.
Un accord pourrait certes encore être conclu, mais le calendrier presse en raison des délais de ratification. Or la sécurisation rapide de nos relations futures avec le Royaume-Uni est d’une importance capitale pour notre économie et notre secteur financier.
Le Conseil européen de mars dernier a confirmé l’inclusion des services financiers dans le futur accord de libre-échange. Le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, a déjà évoqué par le passé la mobilisation des régimes d’équivalence existants.
Comme le rapporteur général de notre commission, Albéric de Montgolfier, l’a rappelé à plusieurs reprises dans le cadre de nos travaux sur la compétitivité des places financières, nous avons estimé qu’il était nécessaire de renforcer l’exigence des régimes d’équivalence.
Madame la ministre, pourriez-vous faire le point sur l’avancée des discussions relatives aux services financiers dans le cadre du Brexit ? Plus largement, quels leviers comptez-vous mobiliser à court terme pour assurer la compétitivité de la place financière de Paris ?
Plus le blocage des négociations perdure, plus la perspective d’un retrait sans accord devient réaliste. À ce titre, je tiens à souligner l’union sans faille des vingt-sept États membres, qui, depuis le début des négociations, sont parvenus à s’exprimer d’une seule voix pour défendre l’intégrité du marché unique.
Les institutions européennes, tout comme le gouvernement français, doivent se préparer à l’éventualité d’un échec des négociations. C’est chose faite pour la France, avec le projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnance les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. Ce projet de loi d’habilitation contient des dispositions relatives à la continuité de l’utilisation des conventions-cadres en matière de services financiers, indispensables pour la sécurisation de l’exécution de contrats conclus avant la perte du passeport européen par les établissements financiers britanniques.
Madame la ministre, le Conseil d’État a émis des réserves sur ce projet de loi et rappelé la nécessité d’indiquer au Parlement le champ de l’habilitation avec précision. Pouvez-vous nous apporter des éléments de réponse à ce sujet ?
J’en viens à présent au sommet de la zone euro, qui traitera, une nouvelle fois, de l’approfondissement de l’Union économique et monétaire.
Après la publication de la feuille de route franco-allemande, le sommet de la zone euro de juin dernier n’avait malheureusement pas tenu toutes ses promesses. Par conséquent, la gouvernance du Mécanisme européen de stabilité, destiné à servir de filet de sécurité au Fonds de résolution unique, ne sera discutée qu’au Conseil européen de décembre, en raison de la persistance de blocages entre les États membres.
Pourtant, le renforcement de l’union économique et monétaire est une priorité pour assurer la stabilité de l’Union européenne. Si le Fonds monétaire international, ou FMI, a relevé en avril dernier les prévisions de croissance de la zone euro pour 2018, il a aussi alerté sur les perspectives de long terme, ce qui nous oblige à « réparer le toit de l’Europe tant qu’il fait beau », selon les termes de Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne.
À ce titre, l’achèvement de l’union bancaire, annoncée depuis de longs mois, doit enfin être concrétisé. La réduction et le partage des risques vont de pair. L’augmentation du ratio de fonds propres des banques et la réduction du taux de prêts non performants au sein de la zone euro témoignent des progrès accomplis pour stabiliser notre système financier. Toutefois, il nous faudra rester vigilants en matière de créances douteuses, notamment dans les bilans des banques italiennes ou chypriotes.
De plus, comme l’a indiqué la commission des finances dans une proposition de résolution européenne adoptée il y a bientôt deux ans, la mise en place du système européen de garantie des dépôts ne doit pas se traduire par un effort contributif des banques françaises qui pèserait sur leur compétitivité.
Voici, madame la ministre, les deux observations que je souhaitais formuler sur l’approfondissement de l’Union économique et monétaire et sur l’union bancaire. Dans quelle mesure, selon vous, le Conseil européen de décembre permettra-t-il de parvenir à un accord et de finaliser rapidement ces réformes ?
Enfin, je souhaiterais mentionner les défis à venir pour le budget européen. Alors que le commissaire européen au budget et aux ressources humaines, M. Oettinger, a appelé les États membres à faire du prochain cadre financier pluriannuel une priorité pour le Conseil européen de décembre, nous pouvons légitimement nous demander pourquoi ce point n’est pas inscrit à l’ordre du jour de demain.
La suppression de la contribution britannique au budget de l’Union européenne, ainsi que les désaccords affichés entre les États membres sur les priorités politiques à financer pour la période 2021-2027 font peser des incertitudes sur les orientations budgétaires de l’Union.
Comme l’a souligné notre rapporteur spécial Patrice Joly dans ses travaux de contrôle consacrés au cadre financier pluriannuel, l’Union doit se doter de moyens budgétaires à la hauteur de ses ambitions. Il nous faut être vigilants pour que les nouvelles priorités de l’Union européenne ne conduisent pas à remettre en cause la politique agricole commune, ou PAC, et la politique de cohésion.
Madame la ministre, pourriez-vous nous présenter un état des lieux des négociations relatives au prochain cadre financier pluriannuel ? Alors que l’examen du projet de loi de finances pour 2019 commencera prochainement, pouvez-vous nous indiquer les perspectives d’évolution de la contribution de la France au budget de l’Union européenne d’ici à 2027 ?
Par ailleurs, les propositions de la Commission européenne en matière de ressources pour le prochain cadre financier pluriannuel n’ont pas retenu la taxation des entreprises du secteur numérique, alors même que celle-ci pourrait constituer une ressource budgétaire pérenne pour l’Union.
Madame la ministre, la France a été un moteur dans l’élaboration de cette proposition de la Commission européenne. Êtes-vous optimiste quant à son adoption prochaine ? De quels leviers disposons-nous pour convaincre nos partenaires européens sur ce sujet ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste. – M. Bruno Sido applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Anne-Catherine Loisier applaudit également.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les présidents, mes chers collègues, ce Conseil européen va se réunir autour de trois questions majeures : le Brexit, la crise migratoire et la sécurité intérieure. Ces trois questions portent la marque de l’ampleur des défis que l’Europe doit relever.
En premier lieu sera discuté le Brexit. C’est l’occasion pour moi de rendre une nouvelle fois hommage au travail inlassable du négociateur en chef de l’Union, notre compatriote Michel Barnier. Malheureusement, en dépit de progrès réels, la conclusion d’un accord de retrait semble toujours buter sur le problème de l’Irlande.
Au travers de son groupe de suivi commun aux commissions des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et des affaires européennes, le Sénat a toujours plaidé pour un retrait ordonné du Royaume-Uni. Il a souhaité qu’une relation étroite puisse être maintenue avec ce grand pays.
Le Sénat a aussi lucidement identifié les priorités que l’Union européenne devait impérativement défendre dans la négociation, à savoir le caractère indissociable des quatre libertés de circulation – des biens, des personnes, des capitaux et des services. Celles-ci sont la contrepartie de l’accès au marché intérieur, un marché unique – on ne le répétera jamais assez –, qui est devenu au fil des ans le premier marché économique mondial.
Il ne saurait être envisagé de contourner l’indissociabilité des quatre libertés en segmentant par secteur l’accès au marché unique, tant dans l’accord de retrait que dans un accord fixant le cadre des relations futures entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Les « difficultés » de l’heure démontrent précisément que nos amis d’outre-Manche n’ont pas tout à fait observé cette indissociabilité.
Le groupe de suivi avait aussi clairement indiqué que le Royaume-Uni ne pouvait avoir une position plus favorable en dehors de l’Union que dedans.
En juillet dernier, nous avons tiré la sonnette d’alarme. Le groupe de suivi a pointé le risque de ne pas arriver à conclure dans les temps un accord de sortie ordonnée du Royaume-Uni de l’Union. Faute d’une position de négociation britannique crédible, nous avions fait valoir que l’Union européenne pouvait se retrouver le dos au mur. En particulier, le plan de Chequers s’apparente à un marché unique à la carte, inacceptable pour l’Union.
Malheureusement, notre analyse lucide semble se concrétiser. Le risque pour l’Union est bien que celle-ci se retrouve confrontée au choix entre un no deal et une remise en cause inacceptable de ses lignes rouges, au premier rang desquelles – j’y insiste –, l’intégrité du marché unique.
L’Irlande apparaît toujours comme le nœud gordien de l’accord de sortie. Faute de solution de rechange sérieuse de la part du Royaume-Uni, le filet de sécurité proposé par l’Union semble la solution la plus crédible pour éviter un retour à une frontière physique entre les deux Irlande. La commission spéciale du Sénat examinera avec vigilance et responsabilité le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour faire face à la situation qui résultera des négociations.
Je m’associe aux propos du président Cambon concernant l’attitude de nos amis irlandais, qui nous manifestent une grande fidélité et nourrissent de grandes attentes vis-à-vis de la position de la France. Je crois que nous ne les décevrons pas.
Le dossier migratoire est un autre sujet particulièrement difficile. Nos collègues Jean-Yves Leconte, Olivier Henno et André Reichardt présenteront demain à la commission des affaires européennes un rapport d’information sur l’espace Schengen. Leur rapport nourrira le débat de contrôle qui aura lieu le 30 octobre prochain, à la demande de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et de la commission des affaires européennes.
Ce dossier est au cœur des réactions de nos opinions publiques. Il nourrit les populismes et témoigne malheureusement de la difficulté pour l’Union d’apporter des réponses rapides et coordonnées, alors même que des intérêts essentiels sont en cause.
L’Europe est attendue sur sa capacité à protéger ses frontières. Faute d’y parvenir, elle s’expose à de grands risques, qui pourraient se manifester dès les prochaines élections européennes. Certes, les flux ont sensiblement baissé par rapport au pic de 2015, mais on ne peut qu’être frappé par la lenteur du processus de décision. L’Europe s’inscrit dans le temps long des alliances, des accords, des compromis, ce qui, sur ce sujet, est extrêmement difficile.
Quand les 10 000 gardes-frontières supplémentaires seront-ils opérationnels ? Nous vous posons la question, madame la ministre. Où en est-on concrètement du projet de centres européens contrôlés et des plateformes de débarquement dans des pays tiers ? Peut-on espérer des progrès dans la réforme du système européen d’asile, qui est enlisée ?
Redisons-le : l’Europe ne peut être plus longtemps l’otage de réseaux criminels. Le secours en mer, qui constitue malheureusement un autre aspect de ce sujet, est une exigence humanitaire incontournable et un devoir au regard du droit international, mais l’Union européenne doit aussi agir contre les réseaux de passeurs.
Nous devons souligner une nouvelle fois l’urgence de partenariats ambitieux entre les pays d’origine et de transit dans l’esprit du sommet de La Valette. Soyons créatifs au travers de nouveaux mécanismes, à l’image du plan Juncker d’investissements pour l’Europe. En retour, l’Europe doit pouvoir compter sur la coopération active de ces pays en matière de réadmission.
C’est un autre sujet, qui sera abordé à un autre moment, mais la politique africaine de l’Union est en cours de réflexion et d’élaboration. Nous devons anticiper les flux migratoires qui risquent, demain, d’emporter l’Union. Comme l’a souligné le président Cambon, le continent africain pourrait voir sa population passer à 2,5 milliards d’habitants en seulement trente ans…
La sécurité intérieure est un autre domaine où la plus-value européenne doit se manifester. Nous l’avons dit au Sénat après les attaques terroristes qui ont frappé la France. Face à des menaces de plus en plus hybrides, la réponse européenne doit d’abord être opérationnelle et intégrer les nouveaux défis, comme la cybersécurité. Il est crucial de renforcer l’échange d’informations et d’assurer l’interopérabilité des systèmes d’information.
Peut-on admettre plus longtemps que 85 % des données d’Europol proviennent de cinq pays, dont la France ? Europol doit jouer tout son rôle pour promouvoir la coopération policière européenne. De même, nous appuyons pleinement l’initiative de la Commission européenne tendant à étendre les compétences du parquet européen aux crimes terroristes à dimension transfrontalière.
Madame la ministre, tous mes vœux vous accompagnent pour ce difficile dîner de conciliation avec le Premier ministre Theresa May. Je pense que vous aurez le souci de protéger le marché unique européen, qui reste le premier marché économique mondial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Simon Sutour applaudit également.)
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.
Je vous rappelle que chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes maximum. S’ils sont sollicités, la commission des affaires européennes ou le Gouvernement pourront répondre pour deux minutes également.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans son invitation adressée au chef d’État, le président du Conseil européen, Donald Tusk, a affirmé que l’absence d’accord était un scénario plus probable que jamais.
La question de la frontière entre l’Irlande et l’Irlande du Nord est bien entendu le point le plus délicat des négociations. En mars dernier, l’Union européenne et le Royaume-Uni s’étaient mis d’accord pour inclure dans l’accord une clause de sauvegarde, sorte de filet de sécurité pour garantir qu’aucune frontière ne soit réintroduite entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande.
Nous sommes favorables à cette option. D’une part, la restauration d’une frontière remettrait en question l’accord de paix du Vendredi saint de 1998, ce qui représente une menace pour la paix en Europe. D’autre part, elle compliquerait la vie des 30 millions d’Irlandais qui traversent la frontière chaque jour.
Nous souhaitons un mécanisme de contrôle administratif souple et non intrusif centré sur les marchandises. Ces contrôles pourraient être exercés loin de la frontière, dans les entrepôts ou en mer. Des solutions technologiques existent pour rendre ces contrôles légers, mais efficaces, et il serait souhaitable d’élargir ce type de contrôle souple, pour ne pas léser les entreprises. J’ai cru comprendre que des pays voisins et amis s’y prépareraient.
Ma question est donc la suivante, madame la ministre : quelle position le gouvernement français défendra-t-il dans les négociations relatives à l’Irlande du Nord ? La France est souvent présentée comme la voix la plus dure de ces négociations. Comment espérons-nous fédérer autour d’un compromis ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, madame Mélot, la position de la France, qui est aussi celle des Vingt-Sept, est portée par Michel Barnier, qui a reçu mandat des chefs d’États et de gouvernements pour négocier avec le Royaume-Uni.
Sur la question précise de la frontière irlandaise, nous souhaitons évidemment éviter une frontière dure – nous nous y sommes engagés – et, pour autant, nous protégeons l’intégrité du marché intérieur, puisque la frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande est la seule frontière terrestre qui existera entre un Royaume-Uni sorti de l’Union européenne et le marché intérieur.
Le backstop a ainsi été décliné par Michel Barnier de la manière la moins intrusive et la plus facilitatrice possible. Je rappelle que la Première ministre, Mme May, avait accepté le principe du backstop en décembre dernier ; c’est d’ailleurs ce qui nous avait permis de dire que des progrès significatifs avaient été faits sur l’accord de retrait et que nous pouvions envisager la relation future.
Par ailleurs, il n’est pas exact de dire que la France a la position la plus dure dans la négociation du Brexit. Aucun pays, et certainement pas la France, ne souhaite punir Londres pour une décision que nous regrettons, mais que nous respectons. Lors du conseil des affaires générales qui s’est tenu hier, les Vingt-Sept étaient parfaitement unis sur ce qui était acceptable et ce qui ne le serait pas, à la fois sur le retrait et sur la relation future avec le Royaume-Uni. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot, pour la réplique.
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, a publié la semaine dernière un rapport assez retentissant sur les impacts qu’aurait une progression du réchauffement climatique de 1,5 degré Celsius par rapport à l’aire préindustrielle.
Au rythme actuel d’émissions de gaz à effet de serre, ce niveau risque d’être atteint dès 2030. Le tableau que dresse le GIEC des conséquences de cette probable augmentation est des plus alarmants. Il s’en tient pourtant à un niveau de progression relativement réduit, car un autre enseignement important et inquiétant de ce rapport est que, à défaut d’un rehaussement de l’ambition des pays signataires de l’accord de Paris et de la mise en œuvre immédiate des mesures nécessaires, le réchauffement climatique pourrait atteindre 3 % d’ici à la fin du siècle, engendrant une situation pratiquement invivable pour la moitié de la planète.
Pour éviter un tel scénario catastrophe, le GIEC juge désormais absolument impérative une réduction d’au moins 45 % de nos émissions à horizon de 2030 par rapport au niveau de 2010. Un tel objectif, il faut le dire, se situe bien au-delà des engagements pris par l’Union européenne et ses États membres à la suite de la conférence de Paris sur le climat de décembre 2015.
La préparation de la prochaine Conférence des parties, ou COP, qui se tiendra à Katowice au tout début du mois de décembre étant à l’ordre du jour du Conseil européen qui s’ouvre aujourd’hui, pourriez-vous nous indiquer, madame la ministre, quelles initiatives la France entend prendre auprès de ses partenaires pour replacer l’Union européenne en position de leadership dans la lutte contre le réchauffement climatique ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur Gattolin, vous avez raison, le rapport du GIEC nous alerte. Nous devons faire encore plus que ce à quoi nous nous sommes engagés.
C’est vrai pour l’ensemble du monde comme pour l’Union européenne, même si je rappelle que l’Union européenne a dépassé ses engagements. Nous avons en effet d’ores et déjà atteint les moins 20 % d’émissions de gaz à effet de serre que nous devions atteindre en 2020, puisque, dès 2016, nous étions à moins 23 %. La Commission suit régulièrement le décompte de nos engagements.
L’Union européenne a pris l’engagement d’être à moins 40 % d’émissions d’ici à 2030. Comme je l’annonçais dans mon propos liminaire, dans le cadre de la préparation de la COP24 de Katowice, nous proposons d’accélérer et d’augmenter nos engagements de réduction d’émissions pour 2030, afin de les porter à moins 45 % comme le recommande le GIEC.
Nous disposons des instruments pour le faire. Nous avons un marché européen des quotas de CO2, ou marché ETS, que nous essayons d’améliorer. Nous sommes favorables à la fixation d’un prix plancher du carbone et à la prise en compte de la fiscalité écologique dans le prochain budget européen – nous sommes d’ailleurs favorables à la création d’une taxe carbone à l’entrée dans l’Union européenne –, bref, nous réfléchissons à tous les moyens d’aller encore plus vite et plus loin dans nos engagements.
Par ailleurs, je rappelle que, lors du conseil des ministres de l’environnement de l’Union européenne de la semaine dernière, nous nous sommes mis d’accord sur une baisse des émissions de CO2 des véhicules neufs de moins 35 % d’ici à 2030. C’est un peu en dessous de ce que nous souhaitions a priori, mais c’est bien plus que ce que souhaitaient par exemple les Allemands.
Il s’agit d’un compromis, mais l’histoire n’est pas terminée, puisque le Parlement européen a demandé que nous descendions à moins 40 % et que les trilogues commencent.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la sortie prochaine du Royaume-Uni de l’Union européenne impose de s’interroger de nouveau sur le sens de la construction européenne. Les réponses apportées à ce questionnement essentiel déterminent les objectifs de la négociation en cours. Ce débat sur le projet n’est pas sans rapport avec le déclenchement, contre la Hongrie, de la procédure prévue à l’article 7 du traité sur l’Union européenne.
En effet, si l’Union est réduite à un marché unique, à une union douanière ou à une association économique, il est alors possible de concevoir une sortie du Royaume-Uni de l’Europe qui préserve l’essentiel des relations commerciales entre les deux entités. De la même façon, si nous acceptons que les valeurs démocratiques constitutives de l’Union soient bafouées par des États membres, alors il faudra se résoudre à accepter que ces pays s’engagent dans d’autres aventures sécessionnistes, renforcés qu’ils seront par la certitude de pouvoir gagner, in fine, eux aussi, un statut qui préserve leurs intérêts économiques essentiels.
Jusqu’à présent, l’Union européenne s’est construite sur une logique économique libérale qui a eu pour conséquence de détruire les solidarités sociales et nationales, sans jamais les remplacer par des formes supranationales de cohésion sociale, lesquelles auraient pu lui donner une légitimité politique. Ce double processus de dissociation économique et politique aboutit aujourd’hui à une crise majeure des démocraties européennes qui risque de les mener à l’abîme. Nous ne sauverons pas l’Europe sans le remettre radicalement en cause.
Dans l’immédiat, il faut tout mettre en œuvre pour protéger les accords du Vendredi saint et protéger la paix fragile qui règne dans l’île d’Irlande et ne pas oublier les démocrates de la Hongrie et d’ailleurs, qui ont besoin de l’Europe pour défendre leur État de droit. Épargner à l’Europe de nouveaux conflits et de nouvelles crises démocratiques : tels sont les enjeux humanistes que notre pays doit défendre.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Ouzoulias, vous avez raison, l’Union européenne, c’est avant tout un socle de valeurs communes. Ceux qui ont fondé l’Union européenne tournaient le dos à la barbarie, ceux qui l’ont rejointe tournaient le dos à la dictature. Nous ne devons jamais l’oublier.
Nous devons également garder en mémoire, lorsque nous parlons de la frontière irlandaise et des accords du Vendredi saint, que la paix a été possible en Irlande du Nord parce que le Royaume-Uni et la République d’Irlande appartenaient à la même Union européenne et parce que l’Union européenne a accompagné la mise en œuvre de ces accords. (M. le président de la commission des affaires européennes opine.) C’est une des raisons pour lesquelles nous sommes si attentifs et si attachés à la préservation desdits accords.
Vous m’interrogez ensuite sur la dérive de certains États membres de l’Union européenne, sur leurs violations ou leurs menaces de violations de l’État de droit. Ceux qui ont rédigé le traité de Lisbonne n’imaginaient pas que nous aurions un jour à traiter de cette question à l’intérieur même de l’Union européenne. Pour ma part, je n’imaginais pas, en prenant mes fonctions, que cette question reviendrait aussi souvent au sein du conseil Affaires générales.
Hier, nous entendions à nouveau la Pologne sur ses réformes de la justice et nous lui rappelions nos préoccupations, au moment où la Commission a saisi la Cour de justice de l’Union européenne sur la réforme de la Cour suprême polonaise. Par ailleurs, nous avions un point d’information sur la situation des valeurs fondamentales de l’Union en Hongrie. Il est évident et essentiel que le Conseil se saisisse de ces sujets et qu’il dialogue. L’objectif est non pas de sanctionner ces pays juste pour les sanctionner, mais de les ramener vers les valeurs fondamentales de l’Union européenne, sans lesquelles il ne peut pas de toute façon y avoir de coopération de qualité, que ce soit en matière de police ou de justice, ou tout simplement de sécurité pour les acteurs économiques qui veulent travailler dans ces pays. Tout cela est rappelé de manière régulière.
Si nous pointons du doigt les violations ou les risques de violations de certains pays, c’est l’attitude de leurs gouvernements que nous déplorons, certainement pas celle des peuples, qui, pour la plupart, restent profondément attachés à l’Union européenne et savent ce qu’ils lui doivent, notamment en matière de politique de cohésion et de solidarité.
À cet égard, pardonnez-moi d’être en désaccord avec vous, monsieur le sénateur : l’Union européenne, c’est d’abord un immense mécanisme de solidarité entre les régions les plus riches et les régions plus pauvres, y compris au sein de pays riches comme le nôtre.