Sommaire
Présidence de M. David Assouline
Secrétaires :
M. Guy-Dominique Kennel, Mme Mireille Jouve.
2. Candidature à un office parlementaire
3. Lutte contre la fraude. – Adoption des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire
Discussion générale :
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics
Clôture de la discussion générale.
Texte élaboré par la commission mixte paritaire
Amendement n° 1 du Gouvernement. – Adoption.
Vote sur l’ensemble
Adoption du projet de loi dans le texte de la commission mixte paritaire, modifié.
4. Programmation 2018-2022 et réforme pour la justice – Renforcement de l’organisation des juridictions. – Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi et d’un projet de loi organique dans les textes de la commission
Discussion générale commune :
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice
M. François-Noël Buffet, corapporteur de la commission des lois
M. Philippe Bas, président de la commission des lois
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux
M. Philippe Bas, président de la commission des lois
Clôture de la discussion générale commune.
Suspension et reprise de la séance
projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice
Mme Marie-Pierre de la Gontrie
Amendement n° 310 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 205 du Gouvernement. – Devenu sans objet.
Amendement n° 317 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 331 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 332 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 318 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 336 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 319 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 337 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 338 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 320 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 339 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 321 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 322 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 323 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 324 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 325 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 326 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 327 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 333 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 334 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 328 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 329 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 330 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 335 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’ensemble de l’article 1er et du rapport annexé, modifié.
Amendement n° 206 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 311 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Article 1er ter (nouveau) – Adoption.
Amendement n° 272 rectifié bis de Mme Josiane Costes. – Rejet.
Amendement n° 273 rectifié de Mme Josiane Costes. – Rejet.
Amendement n° 207 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 50 rectifié bis de M. Laurent Duplomb. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 312 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 274 rectifié de Mme Josiane Costes. – Adoption.
Amendement n° 15 rectifié bis de M. Olivier Cigolotti. – Rejet.
Amendement n° 313 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 276 rectifié de Mme Josiane Costes. – Retrait.
Amendement n° 208 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 314 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 122 rectifié de Mme Monique Lubin. – Rejet.
Amendement n° 47 rectifié bis de Mme Anne-Catherine Loisier. – Retrait.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
5. Demande d’inscription d’un débat à l’ordre du jour
6. Création de trois commissions spéciales
7. Programmation 2018-2022 et réforme pour la justice. – Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Amendement n° 209 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 123 de M. Jacques Bigot. – Rejet.
Amendement n° 124 de M. Jacques Bigot. – Retrait.
Amendement n° 125 de M. Jacques Bigot. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 88 de Mme Sophie Joissains. – Rejet.
Amendement n° 126 de M. Jacques Bigot. – Rejet.
Amendement n° 127 de M. Jacques Bigot. – Rejet.
Amendement n° 128 de M. Jacques Bigot. – Rejet.
Amendement n° 129 de M. Jacques Bigot. – Rejet.
Amendement n° 130 de M. Jacques Bigot. – Rejet.
Amendement n° 210 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 18 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 19 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 211 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 212 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 213 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 215 du Gouvernement. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Article additionnel après l’article 9
Amendement n° 214 du Gouvernement. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Articles 10 et bis (nouveau) – Adoption.
Amendement n° 315 de la commission. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 278 rectifié de Mme Josiane Costes. – Retrait.
L’article demeure supprimé.
Articles additionnels après l’article 12
Amendement n° 5 rectifié de M. André Reichardt. – Rejet.
Amendement n° 6 rectifié de M. André Reichardt. – Rejet.
Amendement n° 8 rectifié de M. André Reichardt. – Rejet.
Amendement n° 20 rectifié de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 279 rectifié de Mme Josiane Costes. – Rejet.
Amendement n° 281 rectifié de Mme Josiane Costes. – Rejet.
Amendement n° 282 rectifié de Mme Josiane Costes. – Retrait.
Amendement n° 217 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article.
Renvoi de la suite de la discussion.
Nomination d’un membre d’un office parlementaire
compte rendu intégral
Présidence de M. David Assouline
vice-président
Secrétaires :
M. Guy-Dominique Kennel,
Mme Mireille Jouve.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 3 octobre 2018 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Candidature à un office parlementaire
M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
3
Lutte contre la fraude
Adoption des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude (texte de la commission n° 15, rapport n° 14).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État – manifestement, nous avons encore un gouvernement… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) –, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude. Je note que ce texte a été examiné en premier par le Sénat, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. Espérons que cela augurera la saisine de notre assemblée en premier sur d’autres textes…
Avec nos collègues de l’Assemblée nationale, nous sommes parvenus à un accord sur ce texte, un peu plus de six mois après sa présentation devant le conseil des ministres et à la suite d’une première lecture ayant permis aux deux chambres d’enrichir considérablement le texte initial. En effet, ce projet de loi, qui était composé de onze articles au moment de son dépôt sur le bureau du Sénat, en compte désormais trente-huit.
L’accord en commission mixte paritaire a été obtenu à une très large majorité, puisqu’il y a eu seulement deux abstentions. Cela témoigne de notre détermination commune à lutter contre la fraude, qu’elle soit fiscale, sociale ou douanière. Nous aboutissons ainsi à un texte comportant plusieurs avancées notables, en particulier la fin de la procédure dite du « verrou de Bercy », sujet qui ne figurait pas dans le texte initial et sur lequel je reviendrai.
Lors de son examen en première lecture, le Sénat s’est inscrit dans une démarche constructive, face à un texte initial qui restait de portée finalement assez modeste. Certes, l’Assemblée nationale a ensuite supprimé neuf des dix-huit articles additionnels issus de nos travaux, ce que nous ne pouvons que regretter. Toutefois, plusieurs mesures issues de notre assemblée ont aussi été adoptées conformes ou avec des modifications à la marge.
Vous aussi, monsieur le secrétaire d’État, vous pouvez vous réjouir : l’ensemble des dispositions initiales du projet de loi sont restées dans le texte issu de la commission mixte paritaire, même si elles ont parfois été amendées pour être améliorées ou complétées. Notre collègue Nathalie Delattre y reviendra certainement dans son intervention, seul l’article 1er, qui crée une police fiscale à Bercy, ne nous a pas pleinement convaincus. Dans un souci de compromis, nous ne sommes pas revenus sur ce point en commission mixte paritaire. Nous verrons en pratique si le fonctionnement de cette police nous rassure et si, comme vous le défendez, son action complétera utilement celle de la BNRDF, la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale.
Concernant les dix-neuf articles additionnels insérés par l’Assemblée nationale et, plus globalement, l’ensemble des amendements qu’elle a adoptés, peu d’entre eux soulevaient de réelles difficultés. Il s’agissait surtout de mesures permettant d’améliorer techniquement des procédures existantes. Bien sûr, comme c’est toujours le cas en commission mixte paritaire, quelques compromis ont cependant été nécessaires…
Les mesures adoptées en commission mixte paritaire ont été principalement guidées par notre volonté de sécuriser juridiquement les procédures prévues, soit en les complétant – je pense à l’article 6, qui concerne la publication des sanctions administratives, dite procédure name and shame –, soit en ne retenant pas certaines dispositions qui nous paraissaient fragiles juridiquement.
Mes chers collègues, nous pouvons toujours regretter que telle ou telle mesure issue notamment des travaux du Sénat ne figure plus dans le texte final. Néanmoins, en votant ce projet de loi, le Sénat fait œuvre utile et montre aussi toute sa détermination à lutter contre la fraude.
Surtout, notre assemblée a profondément enrichi le texte proposé.
En premier lieu, nous avons proposé, alors que cela ne figurait pas dans le texte initial, une réforme du dépôt de plaintes pour fraude fiscale, permettant ainsi d’ouvrir ce que l’on nomme communément le « verrou de Bercy ». Le Sénat a ainsi instauré une transmission automatique au procureur des cas de fraudes les plus graves, dans des conditions transparentes et objectives. Pour respecter l’exigence posée par le Conseil constitutionnel de ne renvoyer devant la justice pénale que les affaires ayant un caractère de gravité suffisante, la transmission automatique est prévue pour les dossiers remplissant trois critères cumulatifs : pénalités d’au moins 80 %, montant supérieur à un certain seuil fixé par décret et faits réitérés ou comportements aggravants.
Finalement, nous nous sommes ralliés à la rédaction proposée par l’Assemblée nationale, qui a introduit une procédure dont l’esprit est proche de celle que nous avions adoptée. Elle élargit toutefois les critères retenus pour sélectionner les dossiers, critères qui restent suffisamment contraignants pour répondre aux exigences du Conseil constitutionnel, rappelées dans deux QPC célèbres, mais aussi pour éviter d’encombrer la justice.
Contrairement à ce que certains diront, il s’agit là d’une véritable avancée, avec une réelle réforme des modalités de dépôt de plainte pénale en matière de fraude fiscale, l’administration étant liée par des critères légaux pour transmettre les dossiers les plus graves. En outre – certains ont tendance à l’oublier –, l’administration conservera toute latitude pour adresser au procureur de la République d’autres cas qui n’entreraient pas dans le champ de la transmission automatique, mais qui doivent également être traités au niveau pénal, notamment par souci d’exemplarité.
Outre le sujet du « verrou de Bercy », le Sénat a adopté plusieurs dispositifs qui ont été conservés dans le texte qui vous est aujourd’hui soumis. Je pense au rétablissement de la faculté transactionnelle de l’administration fiscale en cas de poursuites pénales. C’est une avancée, puisque, jusqu’à maintenant, lorsque l’administration envoie un dossier à la justice pénale, elle ne peut recouvrer les droits et pénalités, ce qui revient à se priver de recettes. Je pense également à la possibilité, proposée par la commission des lois, de conclure une convention judiciaire d’intérêt public en matière de fraude fiscale. Je citerai aussi l’interdiction faite à l’Agence française de développement, l’AFD, sur l’initiative de Mme Taillé-Polian et d’autres de nos collègues, de financer des projets avec un cofinanceur établi dans un État ou territoire non coopératif. Je citerai enfin les dispositifs visant à renforcer les moyens de lutte contre la contrebande de tabac, dont l’initiative revient à notre collègue Jean-Pierre Grand et au Gouvernement.
Surtout, monsieur le secrétaire d’État, le Sénat a complété votre projet de loi sur un point qui nous semblait un peu absent… En effet, comment peut-on faire un projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale en oubliant la TVA ? Cet impôt, qui, selon la Commission européenne, est le plus « fraudé », est notre principale recette fiscale ! Le Sénat a donc introduit des dispositions en matière de lutte contre la fraude à la TVA, notamment pour ce qui concerne les ventes en ligne sur internet. Ainsi, la commission mixte paritaire a rétabli le régime de responsabilité solidaire des plateformes en ligne en matière de TVA.
M. Philippe Dallier. Bonne idée !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Absolument ! D’autant que c’est un dispositif bien connu de la commission des finances du Sénat, que nous proposons chaque année dans le cadre du projet de loi de finances. Il vise à faire en sorte que les vendeurs indélicats respectent leurs obligations grâce aux plateformes qui les hébergent, qui seront éventuellement responsables solidairement du paiement de la TVA.
Ce dispositif est une avancée considérable, déjà employé, notamment, par les Britanniques et qui leur a permis de faire entrer des recettes. Je me réjouis que la commission mixte paritaire ait retenu ce régime de responsabilité solidaire des plateformes. Je le répète, un projet de loi relatif à la lutte contre la fraude qui aurait omis la fraude à la TVA sur internet aurait été très incomplet.
Ne l’oublions pas, l’article 4 du projet de loi, relatif à l’obligation de déclaration automatique des revenus par les plateformes, a pour origine un amendement que nous avions présenté et adopté au Sénat au cours des dernières années, dans le cadre de nos travaux sur l’économie collaborative. Nous reviendrons bien évidemment sur ce sujet, qui est loin d’être épuisé – je pense notamment au paiement scindé –, car ce n’est pas le dernier texte financier que nous examinons. Nous aurons sans doute l’occasion de reparler dans quelques jours de la fraude fiscale, qui doit être aussi vieille que l’impôt !
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte issu de la commission mixte paritaire est parvenu à un équilibre qui permet à la fois à l’Assemblée nationale et au Sénat d’être satisfaits. Il est le fruit d’un travail constructif dont on ne peut que se féliciter et qui, je l’espère, se reproduira pour d’autres textes examinés par les commissions des finances.
Je veux ajouter un mot concernant la procédure d’examen des textes. Nous sommes en effet parfois confrontés à un certain encombrement de l’ordre du jour, ce que nous regrettons – le président du Sénat s’en fait à chaque fois l’écho auprès du ministre chargé des relations avec le Parlement –, mais aussi à des périodes de moindre activité. Pour mieux réguler l’activité du Parlement, sans doute faudrait-il davantage faire confiance au Sénat en lui confiant en premier l’examen de certains textes. Nous ferions ainsi œuvre utile.
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Quoi qu’il en soit, le sujet de la fraude fiscale n’est pas clos, l’avancée constituée par ce texte n’épuisant pas le sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la réussite de la commission mixte paritaire sur ce projet de loi, qui fait suite à l’adoption du texte à l’unanimité au Sénat et à une très large majorité à l’Assemblée nationale, traduit le large consensus qu’il a su fédérer. J’y vois la preuve que son ambition, à savoir la modernisation de nos outils de lutte contre la fraude pour les adapter aux fraudes du XXIe siècle, fait l’objet d’un large consensus de la part de la représentation nationale. Aussi cette tribune sera-t-elle pour moi l’occasion de redire l’ampleur du travail mené par le Sénat, en particulier par son rapporteur, pour y parvenir.
De fait, la discussion parlementaire a considérablement enrichi le texte présenté par le Gouvernement, qui comportait onze articles. Le Sénat en a ajouté dix-huit, dont l’Assemblée nationale a conservé la moitié, concernant notamment la répression du délit de blanchiment douanier, les obligations déclaratives pour les comptes détenus à l’étranger, l’extension de la convention judiciaire d’intérêt public à la fraude fiscale, la lutte contre les trafics sur le tabac ou encore le rétablissement de la faculté transactionnelle de l’administration fiscale en cas de poursuites pénales. Ces apports majeurs ont largement contribué à ce qu’un accord soit trouvé entre les deux chambres.
Parmi les sujets moins consensuels figure l’article 1er, supprimé par le Sénat, créant le nouveau service de police fiscale rattaché directement à Bercy. Pour répondre aux inquiétudes que vous avez soulevées, mesdames, messieurs les sénateurs, sachez que ce service agira, je le redis, en complément de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, en fonction de la nature des dossiers. Ce seront les parquets qui choisiront le service enquêteur le plus approprié. De ce point de vue, je crois que les engagements du Gouvernement ont été clairs, s’agissant notamment de la bonne coordination entre les deux services, pour faire suite aux réserves émises par le Conseil d’État. Aussi suis-je heureux de voir que votre assemblée s’est ralliée à la création de ce nouveau service, que l’Assemblée nationale a souhaité renforcer par un alignement des prérogatives des officiers fiscaux judiciaires sur celles des officiers des douanes judiciaires.
De la même manière, je me réjouis du pragmatisme dont a su faire preuve le Sénat s’agissant de la réforme de la procédure pénale applicable à la fraude fiscale, autrement dit du « verrou de Bercy ». De ce point de vue, l’Assemblée nationale a utilement complété le travail de votre rapporteur en définissant précisément les critères objectifs de gravité conduisant à une dénonciation automatique des dossiers au parquet. Surtout, l’article 13 tel qu’il est issu de vos travaux permettra indéniablement une meilleure collaboration entre l’autorité judiciaire et l’administration fiscale, comme cela se pratique dans nombre de pays. J’aurai l’occasion de revenir sur ce sujet, si vous le souhaitez, pour vous présenter la circulaire d’application que la garde des sceaux, Gérald Darmanin et moi-même sommes en train de préparer.
Je me réjouis par ailleurs que le Sénat accueille avec bienveillance plusieurs apports bienvenus nés du dialogue entre le Gouvernement et l’Assemblée nationale. Je pense ici aux initiatives conjointes des groupes communistes, socialistes, Modem et France insoumise, afin de prévoir à l’article 11 la possibilité d’inclure des États de l’Union européenne dans la liste des États et territoires non coopératifs.
J’évoquerai également un autre article, issu d’un amendement déposé par le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, pour moderniser la procédure d’autorisation d’accès aux données de connexion par l’Autorité des marchés financiers, la direction générale des finances publiques et la direction générale des douanes et droits indirects.
L’examen des conclusions de la commission mixte paritaire est également pour moi l’occasion de saluer les avancées obtenues dans ce texte concernant les plateformes d’économie collaborative. Je sais l’attachement de votre assemblée, en particulier de votre commission des finances, à une meilleure appréhension de la fraude susceptible d’en résulter. Je pense tout d’abord à l’article 4, qui précise, comme le Parlement y invitait le Gouvernement depuis plusieurs années, les obligations fiscales et sociales imposées aux plateformes d’économie collaborative. J’évoquerai également l’article 4 ter, qui prévoit, à compter de 2020, un régime transitoire de responsabilité solidaire des plateformes en ligne en matière de TVA due par les vendeurs et prestataires, dans l’attente de la transposition de la directive adoptée à Bruxelles en fin d’année dernière.
Concrètement, lorsqu’existent des présomptions qu’une personne se livrant à des activités en France par l’intermédiaire d’une plateforme en ligne se soustrait à ses obligations en matière de TVA, l’administration pourra mettre en demeure l’opérateur de la plateforme de prendre les mesures permettant à la personne en cause de régulariser sa situation. En l’absence de régularisation, la plateforme est solidairement tenue au paiement de la TVA due par cette personne. Il s’agit d’une avancée majeure, qu’il convient de souligner.
Enfin, le texte issu de la commission mixte paritaire démontre utilement, me semble-t-il, la vigilance dont a su faire preuve le Sénat, pour conjuguer lutte contre la fraude et pragmatisme économique. Cela permet que notre détermination absolue à lutter contre ce phénomène ne se fasse pas au détriment de la compétitivité de notre économie. Vous me permettrez ici de donner trois exemples.
Le premier concerne le dispositif de publication des sanctions administratives prévu à l’article 6. Le texte issu de la commission mixte paritaire en revient aux équilibres initiaux du projet de loi, en restreignant la possibilité de publication aux personnes morales et en ajoutant l’obligation de publier toute décision contentieuse favorable au contribuable, lorsque celle-ci intervient après la publication des résultats d’un contrôle ayant donné lieu à redressement et sanctions.
Le deuxième exemple a trait à l’article 7 relatif aux prestations fournies par certains conseils entraînant des comportements abusifs.
Votre assemblée avait initialement souhaité réserver la sanction de l’intermédiaire à une condamnation pénale ou à une sanction définitive du contribuable abusivement conseillé. Je me réjouis, à la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire, que cette disposition, qui aurait privé la mesure de toute efficacité et l’aurait détournée de son objectif, n’ait pas été retenue. Rappelons-le, cet article n’a pas pour objet dissimulé de mettre à mal la profession d’avocat ni celle d’expert-comptable. Il ne constitue pas une atteinte au secret professionnel, ce dernier restant applicable, sauf si le client le lève. En réalité, cet article vise non pas tant les professions réglementées, qui disposent déjà de leurs propres règles déontologiques, que toutes les officines qui, en dehors de tout cadre réglementé, fournissent des solutions pour échapper purement et simplement à l’impôt. La liste des prestations donnant lieu à sanction, définies dans cet article de façon restrictive, rassure tous ceux qui exercent leur profession de conseil honnêtement : ils pourront continuer à le faire sans crainte d’être inquiétés.
Dernier exemple : la commission mixte paritaire a fait preuve de pragmatisme en choisissant de conserver l’amendement de l’Assemblée nationale qui prévoit d’élargir le contenu du rapport extrafinancier des entreprises cotées, pour qu’il aborde également la lutte contre l’évasion fiscale, mais en supprimant l’obligation de communiquer aux représentants du personnel la documentation sur les prix de transfert, qui restera bien évidemment à la disposition de l’administration en cas de contrôle fiscal.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte contre la fraude est un objectif que nous partageons tous – cela a été rappelé tout au long des débats. Son ampleur est immense, mais nous avons la faiblesse de croire que, en dotant l’administration et la justice de nouveaux outils adaptés aux fraudes actuelles, ce texte contribuera à lutter contre des comportements frauduleux de plus en plus retors et dangereux. La contribution de votre assemblée à son enrichissement a été décisive. Je me réjouis de son adoption par la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en ces jours de commémoration du soixantième anniversaire de la Constitution de la Ve République, j’ai envie de faire référence à Georges Pompidou.
M. Philippe Dallier. Très bien !
Mme Nathalie Delattre. Ce dernier évoquait déjà durant les trente glorieuses le fléau de la fraude fiscale : « La fraude est à l’impôt ce que l’ombre est à l’homme. »
Les propos de l’ancien Président de la République n’ont jamais cessé d’être d’actualité. Nous y répondons aujourd’hui par un texte que l’on pourrait qualifier de « bélier », fruit d’un débat parlementaire riche, qui illustre bien, s’il le fallait encore, que le bicamérisme est un impératif démocratique pour notre pays.
Je me réjouis que la commission mixte paritaire, à laquelle j’ai eu l’honneur de participer en tant que représentante du groupe du RDSE, soit parvenue à l’adoption d’un texte commun.
Après la promulgation cet été de la loi pour un État au service d’une société de confiance, ce texte représente le volet « répressif » des nouvelles relations entre l’État et les citoyens que le Gouvernement souhaite engager. Son objet est simple : permettre de mieux détecter, de mieux appréhender et de mieux sanctionner les différentes formes de fraude, qui sont autant d’entorses à notre contrat social.
Je le rappelle, la fraude fiscale coûte entre 60 milliards et 80 milliards d’euros par an, soit près de 20 % des recettes fiscales brutes de notre pays. Ce sont autant de ressources en moins pour financer les politiques publiques et réduire nos déficits. Ce sont autant d’efforts en plus que nous demandons à nos concitoyens pour combler ce manque à gagner.
L’examen parlementaire a considérablement enrichi le texte du Gouvernement, qui, de onze articles dans sa version initiale, est passé à trente-huit.
En tant que rapporteur pour avis au nom de la commission des lois, j’avais proposé en première lecture, conformément à l’avis du Conseil d’État, la suppression de l’article 1er, auquel faisait référence M. le rapporteur. Celui-ci apparaissait en effet redondant avec les dispositifs existants de lutte contre la fraude fiscale au sein du ministère de l’intérieur. Je comprends la nécessité pour la commission mixte paritaire de parvenir à un compromis, mais je regrette le maintien de cet article, qui revient à créer un nouveau service de police fiscale au sein du ministère des comptes publics, à côté de la brigade nationale de répression de la délinquance financière. Cela risque de se traduire, au mieux, par un jeu à somme nulle, au pire, par une guerre des polices.
Je salue en revanche le maintien de l’article 9 bis, que j’avais défendu. Il concerne la convention judiciaire d’intérêt public, une « transaction pénale » ouverte en matière de fraude fiscale. Ce nouvel outil permettra de renforcer l’efficacité des modes de poursuite, tout en assurant la publicité et la transparence pour ce qui concerne la fraude effectuée. Je regrette toutefois que les députés aient supprimé l’article 9 ter, qui aurait permis d’inscrire dans la loi la jurisprudence Talmon, laquelle précise que le « verrou de Bercy » ne s’applique pas au délit de blanchiment de fraude fiscale. En effet, le risque évoqué par nos collègues et la Chancellerie d’interprétation a contrario me semble limité, dans la mesure où nos travaux ont bien indiqué que telle n’était pas l’intention. À mon sens, c’est un raté.
S’agissant de l’une des innovations du projet de loi, à savoir la généralisation du name and shame, je regrette que nous devions en arriver à une telle pratique, celle de la dénonciation et du blâme public. Il n’est pas dans notre culture d’utiliser ainsi la presse pour rendre publiques des infractions. Cela dit, je conçois parfaitement que notre droit évolue en ce sens pour les seules personnes morales, étant entendu que la fraude fiscale a atteint un degré d’acceptabilité sociale particulièrement bas.
C’est également le sens qu’il faut donner à l’évolution des pouvoirs de l’Autorité des marchés financiers en matière de lutte contre les abus de marché, adoptée par la commission mixte paritaire. Il s’agit d’anticiper une inconstitutionnalité qui devait prendre effet à la fin de l’année.
J’en viens à la réforme du « verrou de Bercy », point majeur de ce texte, auquel les médias ont consacré une attention peut-être disproportionnée au regard des autres dispositions.
Il est revenu à la Haute Assemblée de poser les bases du débat, de façon transpartisane, en instaurant des critères rendant obligatoire la transmission au parquet des dossiers de fraudes fiscales les plus graves, supérieures à 100 000 euros. L’Assemblée nationale a complété notre texte en renforçant le dispositif et la gravité des sanctions, notamment pour les élus.
De timides avancées avaient été réalisées en 2013 et 2016, avec les lois visant à lutter contre la délinquance économique et financière et la loi Sapin II, qui concernait la lutte contre la corruption. À l’échelle internationale, l’accord multilatéral de 2016 sur l’échange de déclarations pays par pays et la convention multilatérale de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, ratifiée par la Haute Assemblée le 19 avril dernier, ont représenté une petite avancée.
Même si le texte que nous examinons aujourd’hui n’est pas encore exemplaire dans son aboutissement, il est significatif. C’est à ce titre que mon groupe le soutiendra et votera en faveur de l’adoption des conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Sylvie Vermeillet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens en préambule à féliciter les rapporteurs, qui ont contribué à l’aboutissement de ce texte. Ses avancées sont nombreuses et significatives.
Les discours sur la répression de la fraude fiscale ont souvent été incantatoires, faute d’être accompagnés, comme il se devait, par un renforcement de l’arsenal législatif. Animés ici d’un même volontarisme politique visant à réprimer les comportements frauduleux et, ce faisant, consolider le pacte fiscal et social qui relie entre eux chacun de nos concitoyens, Sénat et Assemblée nationale sont intelligemment parvenus à trouver des compromis sur les quarante-trois articles qui restaient encore en discussion.
M. Jean-François Husson. Ça arrive !
Mme Sylvie Vermeillet. Le groupe Union Centriste se réjouit de l’issue conclusive de cette commission mixte paritaire. Le Sénat aura pesé de tout son poids dans la discussion, démontrant une nouvelle fois par la rigueur de ses travaux et la qualité de son expertise à quel point il est indispensable à la vitalité du débat démocratique.
Certes, nous pouvons déplorer la suppression par l’Assemblée nationale de neuf des dix-huit articles additionnels insérés par la Haute Assemblée. Mais nous pouvons surtout nous satisfaire de l’adoption en termes identiques de nombreuses dispositions, tel le renforcement, notamment sur l’initiative du groupe Union Centriste, à l’article 2 bis, du régime de répression du délit douanier de blanchiment.
De même, nous pouvons, à l’issue des travaux de la commission mixte paritaire, nous satisfaire du rétablissement à l’article 12 de la faculté transactionnelle de l’administration fiscale en cas de poursuites pénales, ou encore du rétablissement de l’article 6 dans la rédaction adoptée par le Sénat, qui permet d’écarter les personnes physiques du dispositif de publication des sanctions, en parfaite conformité avec le droit au respect de la vie privée.
Le Sénat aura globalement veillé à garantir la sécurité juridique et l’efficacité des régimes de sanctions et des procédures fiscales contenues dans le projet de loi.
Par ailleurs, comment ne pas se féliciter du rétablissement de l’article 4 ter, qui introduit un régime de responsabilité solidaire des plateformes en ligne en cas de non-paiement de la TVA par les vendeurs ? La commission des finances du Sénat et son rapporteur général l’ont souligné : depuis que nos voisins Britanniques ont mis en place ce système, la fraude à la TVA sur internet a reculé, tandis que les recettes fiscales afférentes à cet impôt ont augmenté. L’enjeu n’est pas mince, mes chers collègues, la TVA fournissant à elle seule la moitié des recettes budgétaires de l’État.
J’aimerais enfin saluer l’action décisive du Sénat s’agissant du « verrou de Bercy ».
Supprimant le monopole de l’administration fiscale, l’article 13 permettra, demain, l’automaticité de la transmission des dossiers de fraudes les plus graves, le procureur décidant seul de l’opportunité des poursuites. Réserver un traitement différencié pour les élus et hauts fonctionnaires, comme certains l’exigeaient, eût été fouler aux pieds les principes constitutionnels les plus élémentaires. Si nul ne doit être au-dessus de la loi, la réciproque est aussi vraie : nul ne doit être en dessous !
L’État de droit nous fournit un cadre solide et exigeant où affichage et démagogie politiques n’ont pas leur place.
Grâce à l’implication constructive de chacun, et des rapporteurs en particulier, nous sommes aujourd’hui en mesure d’adopter un texte attaquant effectivement la fraude fiscale. Il constitue aussi un signal. Nous souhaitons que ses dispositions influent dès à présent sur les comportements. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes heureux que la CMP ait abouti à un accord. C’est suffisamment rare, par les temps qui courent, pour être souligné.
M. Jean-François Husson. Eh oui !
M. Emmanuel Capus. C’est le signe que nos deux assemblées peuvent se retrouver sur des positions communes, au service de l’intérêt supérieur de la Nation.
De fait, y a-t-il un intérêt supérieur à celui de s’assurer que l’impôt, qui se trouve au cœur du lien civique, est levé conformément à la loi ? Nous touchons ici au cœur de l’État.
Le texte issu de la CMP est sensiblement différent du texte d’origine. Il est d’abord beaucoup plus important, puisqu’il a triplé de volume. Nous qui nous interrogeons sur la façon de mieux légiférer, convenons qu’il y a là, peut-être, un peu d’inflation législative…
Il a également été le support d’une réforme d’envergure. Cela a été évoqué, le « verrou de Bercy » est considérablement desserré, sur l’initiative du législateur.
Beaucoup de fantasmes entourent cette procédure, qui n’avait pourtant qu’un but : rendre à César ce qui appartient à César, c’est-à-dire faciliter le recouvrement des sommes dues par le fraudeur à l’administration fiscale.
La tentation était grande – et certains y ont succombé – de voir dans l’autorité judiciaire un parangon de vertu et dans l’administration le bras armé du copinage et du renoncement.
Vous le savez, mes chers collègues, je ne partage pas cette vision des choses. Je ne partage pas non plus la vision selon laquelle la nécessaire exemplarité des élus et des fonctionnaires justifierait de les placer « en dessous » de la loi, comme vient de le dire ma collègue Sylvie Vermeillet. Exemplarité ne doit pas rimer avec chasse aux sorcières et soupçon généralisé.
Ne pas fixer de seuil pour le montant des droits éludés pour les seuls élus et fonctionnaires aurait ainsi posé une sérieuse question de constitutionnalité. Je félicite M. le rapporteur d’avoir proposé de fixer un seuil égal à la moitié du montant prévu pour les autres contribuables. Cela me paraît plus raisonnable et parfaitement compréhensible par nos concitoyens.
Pour ce qui concerne les autres sujets abordés par ce projet de loi, plusieurs dispositions me semblent aller dans le bon sens.
Le name and shame voulu par le Gouvernement, s’il est utilisé avec mesure et à propos, peut être un outil redoutable dans la lutte contre la fraude. La commission mixte paritaire a fait preuve de discernement devant le texte proposé par l’Assemblée nationale. Un amendement du groupe La France insoumise étendait cette publicité aux personnes physiques : cette disposition était manifestement incompatible avec le droit au respect de la vie privée, protégé par des principes constitutionnels et issu de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
La proposition de la CMP de publier des décisions qui donnent raison au contribuable est la bienvenue, car elle renforce les garanties de la procédure.
Je me félicite également que le Sénat ait obtenu gain de cause au sujet de la fraude à la TVA sur les plateformes en ligne. L’instauration d’une responsabilité solidaire des plateformes est une proposition récurrente de notre commission des finances. Elle complètera utilement la prochaine directive TVA, qui entrera en vigueur en 2021.
Enfin, la suppression de l’inscription de la jurisprudence Talmon dans le texte évitera d’ouvrir une boîte de Pandore au préjudice de la sécurité juridique. Les magistrats y étaient eux-mêmes opposés, tant sa légalisation présentait plus d’inconvénients que d’avantages.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants – République et territoires se félicite qu’une position de compromis ait pu être trouvée sur ce texte, qui se prêtait à tous les excès et à toutes les caricatures.
La lutte contre la fraude fiscale est un objectif de première importance, mais elle ne doit pas conduire à éluder d’autres principes tout aussi importants : respect de la présomption d’innocence et des libertés individuelles, nécessité de recouvrer l’impôt, équilibre entre le rôle de l’administration et celui du juge…
La tentation est grande, en matière de morale, de vouloir déchaîner l’appareil administratif et judiciaire contre les fraudeurs. La tentation est grande, comme le rappelait notre collègue Gérard Longuet lors de l’examen du texte en première lecture, d’y voir une occasion de « clouer les bourgeois au pilori ».
Je crois, au contraire, que c’est la force de notre République de punir avec justice et mesure, de prévenir avec fermeté et efficacité, de légiférer avec tempérance et souci de l’intérêt collectif. C’est ce que nous faisons aujourd’hui. Je ne peux que le souligner et l’approuver. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et sur des travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, l’Assemblée nationale et le Sénat sont parvenus à un accord sur un texte important pour permettre aux entreprises et aux Françaises et aux Français de se réaliser, en supprimant des contraintes ou en transformant l’administration tout en responsabilisant les acteurs économiques et nos compatriotes.
Ce texte est important parce qu’il intervient comme une réponse pragmatique à une question clé dans le respect de notre pacte républicain. Gardienne d’un temps long au bénéfice de l’intérêt général, notre assemblée doit se réjouir de mesures qui n’ont été prises ni dans l’émotion ni dans la réaction.
La fraude fiscale bafoue nos principes républicains les plus essentiels. Elle mine les finances publiques, à hauteur de 30 milliards à 80 milliards d’euros selon les années – autant d’argent non investi au service des Françaises et des Français.
Face à cet enjeu, nos deux assemblées ont été efficaces. À cet égard, je tiens à saluer le travail de M. le rapporteur et de Mme la rapporteur pour avis de la commission des lois. Ce texte montre l’utilité du travail des deux chambres. Nous pouvons nous féliciter d’aboutir en définitive à un enrichissement du projet de loi.
Sur le plan comptable, le projet de loi initial comportait onze articles. Le Sénat en a ajouté dix-huit et a supprimé l’article 1er. L’Assemblée nationale a adopté conformes cinq articles, en a modifié vingt et supprimé neuf. Elle a conservé des ajouts utiles du Sénat, comme la répression du délit de blanchiment douanier, les obligations déclaratives pour les comptes détenus à l’étranger, l’extension de la convention judiciaire d’intérêt public en matière de fraude fiscale, la lutte contre les trafics sur le tabac ou encore le rétablissement de la faculté transactionnelle de l’administration fiscale en cas de poursuites pénales.
Je veux revenir sur les points principaux du texte final.
Tout d’abord, l’article 1er, réintroduit dans le projet de loi par l’Assemblée nationale, donnera de nouveaux moyens pour détecter et sanctionner les fraudes les plus complexes. La France se dote ainsi d’un service de police rattaché au ministère de l’économie et des finances, comme la plupart de ses voisins européens. La suppression de cet article en première lecture interpelle. D’une part, les agents de la police fiscale disposeront, pour l’accomplissement de leurs missions, des mêmes pouvoirs que les officiers de police judiciaire ou des douanes judiciaires. D’autre part, cette police fiscale est un moyen supplémentaire de lutte contre la fraude : ni les moyens de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, la BNRDF, ni les effectifs mis aujourd’hui à disposition des juges ne diminueront.
Cela répond à ce qui est, me semble-t-il, l’objectif essentiel de ce projet de loi : apporter des réponses pragmatiques à des comportements frauduleux.
L’article 2 renforce les moyens de lutte des agents des douanes contre les logiciels conçus pour permettre ou organiser la fraude. Cette mesure de bon sens répond à un besoin des agents des douanes. Le projet de loi rend par ailleurs plus effectif le droit de communication, au bénéfice de la recherche de la fraude douanière et de l’établissement de l’assiette des impositions douanières.
Tout aussi pragmatique est l’introduction par le Sénat, sur l’initiative de M. le rapporteur, d’une responsabilité solidaire des plateformes en ligne dans le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée due par les vendeurs et prestataires recourant à ces plateformes pour leur activité. Certes, l’enjeu est européen, mais le dispositif proposé constitue une réponse à court terme aux abus et aux fraudes à la TVA.
La discussion entre le Sénat et l’Assemblée nationale a également permis d’aboutir à un article équilibré concernant les obligations déclaratives des plateformes. Il est équilibré en ce qu’il dispense de l’obligation de transmission les plateformes dont les revenus sont exonérés par nature, comme celles de mise en relation pour du covoiturage ou de publication d’annonces pour la vente de biens d’occasion entre particuliers, et en ce qu’il instaure un seuil de 3 000 euros – un seuil que le Sénat connaît bien –…
M. Philippe Dallier. Ah ça oui !
M. François Patriat. … en deçà duquel les revenus tirés de la vente de biens d’occasion ou du partage de frais ne feront pas l’objet d’une transmission à l’administration fiscale. Le dispositif est complété d’un critère cumulatif de fréquence de vingt transactions par plateforme.
Ce texte est pragmatique, mais il n’est pas que cela. En réalité, le pragmatisme et l’exemplarité en sont les deux caractères.
Je pense à l’introduction du name and shame en droit français, à l’article 6, ou encore à l’automaticité de la peine complémentaire de publication en cas de fraude fiscale. Ce sont là deux mesures nécessaires et complémentaires au regard de la confiance accordée aux entreprises et aux particuliers. Ceux qui travaillent en respectant les règles ne peuvent supporter que des comportements déloyaux bénéficient de l’impunité.
Enfin, mes chers collègues, je ne peux pas ne pas évoquer l’article 13, relatif au verrou de Bercy, tant il tient une place importante dans le texte issu des travaux du Sénat et de l’Assemblée nationale. Durant les dernières décennies, le sujet du verrou de Bercy a été régulièrement évoqué, quelle que soit la majorité en place. Nous appelons « verrou de Bercy » le monopole, en matière de fraude fiscale, du dépôt de plainte après avis de la commission des infractions fiscales accordé à l’administration fiscale. Actuellement, sur 4 000 dossiers répressifs, environ un millier sont transmis à la commission des infractions fiscales et 90 % font l’objet d’une plainte. Les sanctions pénales s’ajoutent alors aux pénalités administratives infligées en cas de manquement intentionnel, la possibilité de ce cumul étant strictement encadrée par le Conseil constitutionnel.
Le dispositif proposé par notre collègue députée Émilie Cariou est simple : l’administration devra informer le parquet des manquements fiscaux au-delà de 100 000 euros de droits rappelés et ayant donné lieu aux pénalités les plus importantes – 100 % et 80 % ou 40 % en cas de réitération.
Ces critères sont assortis d’une souplesse pour l’administration fiscale, qui pourra transmettre les dossiers n’y répondant pas strictement. Par ailleurs, l’avis préalable de la commission des infractions fiscales pour les dossiers de présomption caractérisée est supprimé. L’administration pourra ainsi déposer plainte directement pour ces dossiers de suspicion de fraude fiscale, ce qui permettra au parquet d’étendre plus rapidement ses investigations lorsqu’il découvrira une fraude fiscale connexe à une infraction sur laquelle il enquête déjà.
Mes chers collègues, je salue une nouvelle fois le travail accompli par les deux chambres, mais aussi l’écoute dont le Gouvernement a fait preuve à l’égard de tous les parlementaires et la volonté de coconstruction qui a guidé l’action du ministre, sur ce texte comme sur d’autres. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au lendemain de l’ouverture du procès de la banque suisse UBS, ce projet de loi de lutte contre la fraude prend tout à coup un visage quelque peu pâlichon. En effet, ce procès de toutes les démesures illustre à nouveau l’ampleur et la complexité de l’industrie de l’évasion fiscale.
À l’occasion des premières annonces relatives à ce texte, il fut fait grand cas de la création d’une police fiscale, disposition majeure du projet de loi consistant à placer quelques agents sous l’autorité d’un magistrat… Mais, dans le même temps, le Gouvernement annonce la suppression l’an prochain de 2 130 postes au sein de la direction générale des finances publiques. Or on constate depuis quelques années un recul du contrôle fiscal : selon certaines sources syndicales internes, en 2008, une entreprise soumise à la TVA faisait l’objet d’une vérification de comptabilité tous les quatre-vingt-quatre ans en moyenne – et tous les cent trente ans aujourd’hui…
S’agissant des particuliers, le nombre des contrôles de fond réalisés sur place est passé de 4 166 en 2008 à 3 613 en 2017. Ils ont ainsi concerné 0,011 % des contribuables en 2008 et 0,009 % en 2016. Ce sont pas moins de 3 100 emplois qui ont été supprimés dans les services de contrôle fiscal depuis 2010.
Rappelons que le procès de l’UBS qui s’est ouvert hier se tient, il faut le rappeler, grâce à l’action des lanceurs d’alerte qui avertirent dès 2009 les autorités de contrôle des pratiques illicites de leur banque. La discussion du présent projet de loi aurait dû être l’occasion de renforcer la protection des lanceurs d’alerte et de reconnaître leur rôle au sein des entreprises. La République devrait a posteriori leur apporter son soutien et leur témoigner sa reconnaissance, leur action permettant à l’État de récupérer des sommes considérables.
Le cas de l’UBS est aussi emblématique du fait qu’il s’agit d’une banque suisse. Ce projet de loi prévoyait une révision de la liste française des paradis fiscaux, qui comporte sept États : Brunei, Nauru, Niue, le Panama, les Îles Marshall, le Guatemala et le Botswana, point final ! Force est de constater que la Suisse n’y figure pas… On nous dit que le secret bancaire y est mort de sa belle mort. Pourtant, à la fin du mois de juillet dernier, au cœur de l’été, on a appris que le tribunal administratif fédéral de Saint-Gall, en Suisse, donnait raison à la banque UBS, qui refuse de répondre à la demande d’assistance administrative lancée par notre pays. A-t-on fait appel de cette décision, comme la loi nous y autorise ? Et l’on nous dit que la Suisse n’est plus un paradis fiscal…
Dès 2014, la banque UBS a tenté d’obtenir une « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ». Sans succès.
En 2016, la loi a institué un nouvel outil de négociation inspiré du système américain, la convention judiciaire d’intérêt public, ou CJIP, qui permet de négocier une amende sur reconnaissance des faits mais sans condamnation. C’est la négation même du name and shame anglo-saxon.
En 2017, HSBC, pour éviter un procès, toujours dommageable pour la réputation d’une honorable banque, a accepté de payer une amende de 300 millions d’euros, après avoir reconnu une fraude de 1,6 milliard d’euros ! À l’heure où nos concitoyens doutent de plus en plus de l’action publique et de son exemplarité, ne pensez-vous pas, mes chers collègues, que ces dispositifs sont de nature à accréditer l’idée que la justice n’est pas la même pour tous ? Selon que vous serez puissant ou misérable, disait le fabuliste…
Le déroulement de cette CMP nous laisse aussi un goût amer au regard de la suppression d’un amendement qui avait été adopté à l’Assemblée nationale, contre l’avis du Gouvernement il est vrai. Cet amendement portait sur la délicate question des prix de transfert au sein des entreprises. Les représentants du personnel jouant un rôle essentiel dans le combat contre la fraude, l’évasion et l’optimisation fiscales, il s’agissait de permettre leur information et leur consultation sur la politique de prix de transfert retenue par l’entreprise et les cessions d’actifs au sein du groupe. Nous ne pouvons que déplorer que cet amendement ait été supprimé lors de la CMP, jeudi dernier. Il constituait, aux yeux de beaucoup, une réelle plus-value pour le texte et la marque d’une volonté forte d’avancer sur les questions de transparence. Cette suppression est un échec incompréhensible.
La CMP fut l’occasion d’un nouveau débat intense sur le fameux dispositif du « verrou de Bercy ». Rappelons que le ministre de l’action et des comptes publics, M. Darmanin, déclarait il y a quelques mois qu’il ne voulait pas entendre parler d’une suppression du verrou de Bercy, mais seulement d’un aménagement.
Ce débat eut lieu au Sénat au printemps dernier, sans réel succès, puis en juillet à l’Assemblée nationale. La lumière jaillit soudain : un nouvel amendement accepté par le Gouvernement allait être adopté et venir enfin supprimer, nous disait-on, le fameux verrou de Bercy. Depuis, il y a eu sur le sujet une communication intense ; nous reconnaissons volontiers qu’elle fut d’une efficacité redoutable auprès de l’opinion publique.
Il nous faut, à ce stade, y regarder d’un peu plus près.
Oui, le verrou est desserré, mais il n’est pas supprimé complètement. Avec l’adoption de cet amendement, le fisc sera obligé de transmettre les dossiers les plus graves à la justice, selon des critères inscrits dans la loi : montant fraudé supérieur à 100 000 euros, pénalités de 80 % ou de 100 %, ou de 40 % s’il y a récidive. Mais pour tous les autres dossiers, le « verrou de Bercy » demeure.
Le nombre des dossiers fiscaux qui seront transmis de façon automatique à la justice pourrait doubler, passant d’un millier aujourd’hui à environ 2 000 demain. C’est oublier que 4 000 dossiers sont considérés par l’administration fiscale comme relevant de fraudes graves…
Ces avancées sont à prendre en compte, mais elles sont notoirement insuffisantes, timides, au dire de nombreux observateurs.
Nous prenons acte de la création de sanctions contre les intermédiaires dans ce texte. De fait, on ne peut jamais s’évader sans un peu d’aide… Cette proposition figurait d’ailleurs dans les rapports des commissions d’enquête.
Nous prenons également acte de la clarification opérée concernant les plateformes de l’économie collaborative.
Cela étant, nous restons très nettement sur notre faim. Le compte n’y est pas. Le déroulement de la CMP a été particulièrement éclairant et a permis de jauger la réalité des intentions.
Aussi, au terme de ce débat parlementaire, nous ne pouvons nous associer aux conclusions de la commission, et nous émettrons un vote négatif sur ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, la lutte contre la fraude fiscale est un combat de longue haleine, qui nous mobilise régulièrement. C’est l’un des plus grands défis du moment que de trouver les moyens d’en finir avec ce fléau, qui nuit à l’équilibre du budget des États et contrevient au pacte social en vertu duquel chacun contribue à hauteur de ses moyens au financement des politiques publiques et de la solidarité nationale.
Par conséquent, nous nous félicitons qu’un texte traite de ce sujet, dans la continuité des lois de 2013 et de 2016, et nous notons avec satisfaction un certain nombre d’avancées, comme la mise en œuvre de dispositifs pour encadrer l’activité des plateformes internet – sur le fondement d’ailleurs de propositions construites par le Sénat, notamment sous l’impulsion du rapporteur général du budget. Nous saluons également la mise à disposition de l’administration de Bercy de nouveaux outils tels que le name and shame, la responsabilité des intermédiaires ou la création de la police fiscale.
Cependant, au-delà de ces avancées notables, indiscutables, ce projet de loi représente, à notre sens, une série d’occasions manquées.
Pour ce qui concerne, d’abord, le verrou de Bercy, le texte présente finalement des propositions bien moindres que celles qui avaient été préconisées à l’unanimité par la mission parlementaire. Certes, la transmission automatique des dossiers les plus graves constitue une avancée réelle, mais nous considérons que c’est un simple « pied dans la porte » et que le texte ne va pas assez loin. En effet, nous estimons que davantage de dossiers devraient être transmis directement au parquet, notamment ceux qui ont donné lieu à une pénalité administrative de 40 % : de tels cas nous semblent déjà relativement graves et susceptibles d’être examinés par un juge.
Manque également, dans cette nouvelle version du verrou de Bercy, seulement assoupli, la possibilité pour les juges d’ouvrir une information judiciaire de leur propre initiative, sans avoir obtenu l’aval préalable du ministère de l’économie et des finances, sur des affaires connexes issues d’une procédure non strictement fiscale – je pense par exemple à des enquêtes sur des faits de corruption ou des délits financiers.
Le projet de loi représente également une occasion manquée en ce qui concerne la jurisprudence Talmon, comme notre collègue Nathalie Delattre l’a fort bien souligné. Il nous semblait important d’inscrire dans la loi cette jurisprudence, qui a permis d’ouvrir le procès UBS mais qui reste fragile et a d’ailleurs été attaquée lors de l’audience d’hier. On nous dit que l’inscrire dans la loi la fragiliserait encore davantage : cette subtilité échappe à bon nombre d’entre nous ! Nous restons sur notre faim.
Pour ce qui concerne les lanceurs d’alerte, on aurait pu aller plus loin, de même qu’en matière de lutte contre l’optimisation et l’évasion fiscales. L’optimisation fiscale est marquée par des pratiques souvent agressives, en tout cas ne respectant pas l’esprit de la loi : les niches fiscales sont alors utilisées sans dessein économique, uniquement pour éviter l’impôt. D’ailleurs, certains députés de la majorité partagent notre avis : j’ai lu ce matin, dans Le Monde, que des députés du groupe La République en Marche – sans doute minoritaires – allaient déposer des amendements visant à remettre en cause un certain nombre de niches qui favorisent l’évasion fiscale. Si le Gouvernement voulait nous montrer qu’il est en pointe dans la lutte contre l’optimisation et l’évasion fiscales, il ferait en sorte de resserrer ces niches fiscales, afin de ne pas laisser prospérer certaines pratiques. Mais nous pensons que, malheureusement, l’objectif principal du Gouvernement en matière de politique fiscale est d’aider les entreprises coûte que coûte, quitte à réduire les dépenses sociales pour équilibrer le budget.
Le projet de loi est aussi une occasion manquée au regard de la transposition de la cinquième directive européenne anti-blanchiment. On me répondra qu’elle vient d’être inscrite par voie d’amendement dans le projet de loi PACTE relatif à la croissance et la transformation des entreprises, mais nous aurions gagné quelques mois si elle l’avait été dans le présent texte, comme nous l’avions proposé.
Au-delà de ces rendez-vous manqués, nous ne partageons pas la philosophie selon laquelle la fraude fiscale ne serait pas un délit comme un autre, qu’elle ne serait pas si grave et qu’il faut privilégier la négociation pour que l’État rentre dans ses fonds. C’est oublier que peu d’entreprises sont contrôlées, mais aussi qu’il y a là une faute morale grave de la part des entreprises ou des particuliers en cause. Pour notre part, nous souhaitons que l’on mette en place une véritable logique de dissuasion, sans pour autant lancer une chasse aux sorcières. Les nouveaux outils juridiques du plaider coupable et de la convention judiciaire d’intérêt public inscrits dans ce projet de loi relèvent de la philosophie que nous dénonçons. Nous n’y sommes pas favorables.
Mon collègue Thierry Carcenac reviendra sur les nombreuses interrogations que nous inspirent les moyens qui seront mis à disposition de l’administration fiscale.
En conclusion, je dirai que l’expérience nous apprend qu’il y a deux sortes de lois contre la fraude : celles qui interviennent après de grands scandales et celles dont l’objet est de compenser une politique fiscale très avantageuse pour les plus favorisés. Manifestement, ce texte s’inscrit dans la seconde catégorie ; c’est pourquoi nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Éric Bocquet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jérôme Bascher. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, madame la rapporteur pour avis, mes chers collègues, ce texte a été présenté en conseil des ministres voilà six mois : son examen n’a donc pas traîné. Nous en partageons tous l’objectif, à savoir lutter contre la fraude fiscale. Il est bon que sa discussion soit intervenue après l’adoption de la loi pour un État au service d’une société de confiance : dans mon esprit, il eût été quelque peu illogique de renforcer encore les sanctions tant que perdurait dans l’administration fiscale une tendance à toujours douter de la bonne foi du contribuable.
La fraude fiscale est mise en lumière par de nombreux scandales financiers. Éric Bocquet a excellemment évoqué le procès de l’UBS. En 2012, le Sénat avait évalué entre 30 milliards et 50 milliards d’euros le préjudice pour les finances publiques. Pis encore, selon la dernière estimation, il s’élèverait, en raison notamment du développement mal maîtrisé et mal contrôlé de l’économie numérique, à près de 100 milliards d’euros… (MM. Charles Revet et Bruno Sido s’exclament.) Voilà où nous en sommes arrivés, monsieur le secrétaire d’État, faute de nous être emparés assez tôt du sujet de l’économie numérique !
L’explosion des scandales de fraude fiscale a dévoilé l’enjeu sociétal du consentement à l’impôt. Si la fraude fiscale est une offense faite à ceux qui ne paient pas d’impôts, elle représente d’abord une injustice à l’égard de ceux qui en paient. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Cependant, je le dis très nettement, la meilleure méthode de lutte contre la fraude fiscale consisterait, dans ce pays, à abaisser le taux des prélèvements obligatoires. On ne peut pas à la fois être les champions du monde des prélèvements obligatoires et se plaindre que certains tentent de s’y soustraire.
Mme Sophie Taillé-Polian. En disant cela, vous justifiez la fraude !
M. Jérôme Bascher. Le premier élément de la lutte contre la fraude fiscale, c’est la baisse des impôts.
Nous n’avons pas épuisé le sujet de l’évasion fiscale, comme l’a admirablement expliqué Albéric de Montgolfier tout à l’heure, mais on peut, dans ce domaine, constater des avancées. Je pense à l’affaire des Panama Papers. Sait-on assez que Panama a commencé, le 3 octobre dernier, à diffuser l’information fiscale en direction d’un certain nombre de pays, dont la France ? Je regrette que l’on parle si peu des bonnes nouvelles… Cependant, il faut lutter encore et toujours contre l’évasion fiscale. De ce point de vue, nous pouvons être d’accord avec Éric Bocquet.
Le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire n’est pas aussi bon que celui qu’avait voté le Sénat, forcément,…
M. Bruno Sido. Hélas !
M. Jérôme Bascher. … mais, comme nous sommes très attachés au bicamérisme, nous avons bien voulu consentir à quelques accommodements avec le travail réalisé par l’Assemblée nationale, qui a elle aussi apporté des améliorations au texte.
Monsieur le secrétaire d’État, nous n’avions pas voulu de la police fiscale, mais, en CMP, nous avons bien voulu concéder sa création. Il faudra en évaluer les conséquences, pour écarter le risque d’une inédite guerre des polices fiscales.
Le Sénat avait par ailleurs proposé d’instaurer un abattement forfaitaire de 3 000 euros applicable aux revenus perçus par des particuliers via des plateformes en ligne et déclarés automatiquement par celles-ci. Grosso modo, il s’agit du marché des objets de seconde main, qui donne à certains la possibilité d’arrondir leurs fins de mois. Cette disposition n’avait pas été retenue par l’Assemblée nationale, contre l’avis du Gouvernement. Je me réjouis que le Sénat, là encore, ait été précurseur, sachant que, à l’occasion de la discussion à l’Assemblée nationale du projet de loi PACTE, cette idée a été reprise à son compte par le Gouvernement et la majorité qui le soutient. Ce que nous voulions, c’est que ceux qui font du commerce sur le marché secondaire et sont clairement des fraudeurs soient sanctionnés, mais pas les particuliers honnêtes.
Nous regrettons vivement que l’interdiction de l’usage des cartes prépayées sur les plateformes en ligne n’ait pas été retenue. L’anonymat permet le blanchiment, et bien pire encore, comme l’a montré une tragique affaire survenue à Strasbourg, où un criminel s’est servi de l’une de ces cartes prépayées pour attirer sa proie. C’est donc un vrai sujet ! Je ne vois pas en quoi l’anonymat se justifie aujourd’hui pour ce mode de paiement. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Nous nous félicitons néanmoins de toutes les améliorations apportées au texte, notamment par notre rapporteur, Albéric de Montgolfier, dont je tiens à saluer le travail, en particulier sur les plateformes de vente en ligne. Sans ce travail, nous serions passés à côté d’une forme moderne de fraude fiscale. C’était le paradoxe du projet de loi initial : nous arrivant d’un « nouveau monde », il négligeait un champ essentiel, celui de l’économie numérique, où se développe aujourd’hui la fraude fiscale ! La fraude à la TVA sur ces plateformes représente tout de même plusieurs dizaines de milliards d’euros, mais le sujet n’était pas traité : quelle erreur ! Heureusement, la CMP a rétabli les très bonnes dispositions introduites sur l’initiative d’Albéric de Montgolfier et que nos partenaires européens ont également mises en place, comme nous avons pu le constater lors d’un déplacement de la commission des finances. Le problème majeur des « carrousels de TVA » mérite d’être traité sans délai : c’est un sujet du XXe siècle !
De la même façon, la commission mixte paritaire est revenue sur la version du texte votée par les députés, afin que le name and shame ne concerne pas les personnes physiques. En effet, une personne ayant été sanctionnée par l’administration fiscale peut ensuite être reconnue innocente par le juge : il était donc hors de question que son nom puisse être affiché sur la place publique. Je remercie la commission mixte paritaire d’avoir modifié le texte sur ce point.
Le Sénat était également attaché à ce que l’on autorise le recours à la convention judiciaire d’intérêt public en matière de fraude fiscale, sans plus le réserver au seul blanchiment de cette infraction. C’est désormais chose faite, et c’est heureux.
Créée par la loi Sapin 2, cette convention permet de régler rapidement un litige par le biais d’une transaction entre le procureur de la République et la personne mise en cause, la transaction étant ensuite homologuée par un juge. Elle implique le versement au Trésor public d’une amende d’intérêt public et la mise en œuvre d’un plan de mise en conformité sous la tutelle de l’Agence française anticorruption. Un tel dispositif répond à une nécessité.
Notre commission des finances peut se réjouir d’avoir su convaincre l’Assemblée nationale, ainsi que le Gouvernement, de lever enfin le verrou de Bercy. Le verrou de Bercy, c’était d’abord un symbole, mais, dans les temps de transparence et de modernité qui sont les nôtres, il était nécessaire qu’il sautât. L’efficacité n’a rien à y voir, il s’agit avant tout de l’expression d’une défiance à l’égard des services fiscaux que je déplore pour ma part. Certains auraient voulu aller plus loin, mais il fallait se conformer à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Je salue le travail accompli par les rapporteurs Émilie Cariou et Albéric de Montgolfier pour trouver, une fois n’est pas coutume, un accord en CMP. L’avenir nous dira, madame Taillé-Polian, si cette réforme du verrou de Bercy suffit.
Notre groupe se réjouit de ces avancées et du caractère conclusif de la CMP. Je voudrais aussi remercier le président Éblé, qui a beaucoup aidé. Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je ne vous parlerai pas de la vraie-fausse suppression du « verrou de Bercy ». En revanche, je voudrais attirer votre attention sur les difficultés liées à la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire, qui a notamment supprimé l’article 1er B, que le Sénat avait introduit en première lecture via l’adoption d’amendements du groupe Union Centriste. Cet article encadrait les délais et fixait la procédure en cas de questions préjudicielles, de façon à éviter les conflits de juridictions.
Étant donné la rédaction de l’article 8 du projet de loi, le juge pénal va maintenant être obligé de surseoir à statuer le temps que le juge de l’impôt, qui est souvent le juge administratif, fixe le montant des impôts fraudés ; désormais, en effet, l’amende pénale pour fraude fiscale sera proportionnelle au montant des impôts fraudés. Or la jurisprudence de la Cour de cassation impose que le juge pénal recherche et détermine avec exactitude le montant des impôts fraudés servant de base de calcul aux pénalités proportionnelles. Cela résulte notamment d’un arrêt de la Cour de cassation du 24 octobre 1994, qui fait jurisprudence.
En matière fiscale, c’est principalement le juge administratif qui détermine le montant des impôts fraudés.
Avec le texte voté par la commission mixte paritaire, nous venons de créer, sans doute à l’insu de notre plein gré, une obligation systématique de sursis à statuer dans les dossiers pénaux de fraude fiscale, sans organiser ces renvois, monsieur le secrétaire d’État. C’était là justement l’objet de l’article 1er B adopté par le Sénat, qui encadrait les délais et la procédure.
On imagine aisément que le Conseil d’État, juge administratif suprême, ne prendrait pas très bien que le juge pénal, sous le contrôle de la Cour de cassation, fixe lui-même le montant des redressements fiscaux : comme la décision du juge pénal s’impose au juge administratif, ce dernier serait alors totalement dessaisi du contentieux fiscal d’assiette dans les dossiers transmis au pénal.
Le cumul de la suppression de l’article 1er B et de la rédaction de l’article 8 telle qu’issue des travaux de la commission mixte paritaire crée une innovation juridique qui complexifie la procédure sans apporter aucune précision ni aucune garantie aux justiciables.
Cette créativité va faire le bonheur des cabinets d’avocats fiscalistes. Je pense qu’il faudra revoir, monsieur le secrétaire d’État, la rédaction de cet article 8. En l’état, il est, me semble-t-il, totalement inapplicable, et sa mise en œuvre créera des difficultés extrêmement importantes.
Voilà ce qui arrive, monsieur le secrétaire d’État, en l’absence de navette, quand on légifère un peu vite, sans prendre le temps ! Vous allez vous heurter à des difficultés pratiques, et j’attends avec impatience le décret que vous avez évoqué : vous verrez que cet article 8 est absolument inapplicable et qu’il ne donne aux justiciables aucune garantie, au contraire. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Carcenac. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Thierry Carcenac. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici parvenus au terme de l’examen du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale, après une CMP conclusive.
Sophie Taillé-Polian a déjà exposé la position du groupe socialiste et républicain sur ce texte, en notant notamment les avancées, certes toujours insuffisantes, qu’il comporte en matière de lutte contre la fraude fiscale, mais aussi sa frilosité. L’ingéniosité des fraudeurs est sans limite, et leurs pratiques se renouvellent sans cesse.
Ce texte vient contrebalancer l’adoption de la loi pour un État au service d’une société de confiance, qui consacre notamment le droit à l’erreur, et rétablir un certain équilibre, après la mise en œuvre de l’échange de données entre administrations fiscales et la suppression du secret bancaire.
Je ne retiendrai que deux points : la création d’une police fiscale et une avancée notable s’agissant des plateformes de commerce en ligne et de l’économie collaborative avec la reconnaissance du travail du Sénat et la publicité sur internet des sanctions fiscales pour les personnes morales.
Notre groupe avait, en première lecture, défendu la création d’une police fiscale placée sous le contrôle d’un magistrat. Nous sommes conscients de l’avancée que représente le ralliement de la majorité sénatoriale à cette proposition.
Je ne partage pas la crainte, exprimée par certains, de voir apparaître une « guerre des polices ». L’exemple de la création, en 2010, de la police douanière, sous un gouvernement dont le ministre chargé du budget était M. Woerth, est de nature à apaiser une telle crainte.
La baisse du nombre des contrôles fiscaux ces dernières années peut être interprétée comme le signe d’un affaiblissement de la lutte contre la fraude fiscale, alors que le montant estimé de celle-ci – entre 60 milliards et 80 milliards d’euros –, lui, ne faiblit pas.
Par ailleurs, la suppression de postes au sein de la direction générale des finances publiques pose question s’il s’agit, là comme ailleurs, de pratiquer la politique du rabot de manière indifférenciée, quels que soient les services.
En tant que rapporteur spécial de la mission budgétaire « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », j’ai eu l’occasion de démontrer l’inégalité de traitement des entreprises selon les territoires, le tissu économique ayant connu une forte évolution, marquée par une concentration des sièges sociaux dans quelques départements. Le délai moyen entre deux vérifications peut varier en fonction de l’implantation historique des brigades départementales de contrôle et du tissu économique. Notre collègue Éric Bocquet a évoqué ce point tout à l’heure, indiquant que la moyenne était de quatre-vingt-quatre ans.
Certes, les méthodes évoluent, avec l’introduction du contrôle à distance, qui tend à se développer, et avec un ciblage des contrôles sur des dossiers sélectionnés par algorithmes, grâce au data mining.
J’aurai l’occasion, monsieur le secrétaire d’État, de revenir sur ce point lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2019, à propos de l’évolution prévisible de la DGFiP au regard de l’introduction du numérique et de la dématérialisation de toutes les procédures.
Je souhaite que la lutte contre la fraude fiscale reste une priorité et que, s’agissant des fautes les plus graves, les droits élargis prévus à l’article 13 du projet de loi permettent de sanctionner plus efficacement les fraudeurs, même si nous eussions pu aller plus loin.
Dès lors, la suppression de postes au sein de la DGFiP, encore lourdement frappée cette année, ne doit pas se faire au détriment du contrôle fiscal, de même que la création de la police fiscale. Les effectifs du contrôle fiscal devraient être sanctuarisés.
Nous examinerons la montée en puissance dans le temps et la réalité de l’efficacité de cette police qui – je n’en doute pas – saura se montrer à la hauteur des missions qui lui seront confiées par les magistrats et trouver toute sa place.
Monsieur le secrétaire d’État, je réitère mes propos de première lecture : notre groupe se montrera toujours favorable à la mise en œuvre de mesures permettant de sanctionner la fraude fiscale, laquelle fausse injustement la concurrence entre entreprises et nuit au consentement à l’impôt ainsi qu’à la justice fiscale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Éric Bocquet applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, aucun amendement n’est recevable, sauf accord du Gouvernement ; en outre, le Sénat étant appelé à se prononcer avant l’Assemblée nationale, il statue sur les éventuels amendements, puis, par un seul vote, sur l’ensemble du texte.
projet de loi relatif à la lutte contre la fraude
TITRE IER
RENFORCER LES MOYENS ALLOUÉS À LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE FISCALE, SOCIALE ET DOUANIÈRE
Articles 1er A et 1er B
(Suppressions maintenues)
Article 1er
La seconde phrase du III de l’article 28-2 du code de procédure pénale est supprimée.
Article 1er bis
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa du IV de l’article 28-2 est complété par les mots : « , y compris lorsque ces prérogatives et obligations sont confiées à des services ou unités de police ou de gendarmerie spécialement désignés » ;
2° À la première phrase du troisième alinéa de l’article 41-5, les mots : « de l’administration des douanes » sont remplacés par les mots : « placés sous l’autorité du ministre chargé du budget » ;
3° À la première phrase du troisième alinéa de l’article 99-2, les mots : « de l’administration des douanes » sont remplacés par les mots : « placés sous l’autorité du ministre chargé du budget » ;
4° Le premier alinéa de l’article 230-10 est ainsi modifié :
a) À la première phrase, après les mots : « des douanes », sont insérés les mots : « et les agents des services fiscaux » ;
b) À la fin, les mots : « et des douanes » sont remplacés par les mots : « , des douanes et des services fiscaux » ;
5° Au premier alinéa de l’article 230-20, les mots : « national de douane judiciaire » sont remplacés par les mots : « placé sous l’autorité du ministre chargé du budget chargé d’effectuer des enquêtes judiciaires » ;
6° À l’article 695-9-31, les mots : « et de la direction des douanes et droits indirects » sont remplacés par les mots « , de la direction générale des douanes et droits indirects et de la direction générale des finances publiques ».
Article 2
I. – Le code des douanes est ainsi modifié :
1° Le paragraphe 2 de la section 3 du chapitre IV du titre II est complété par un article 65 quater ainsi rédigé :
« Art. 65 quater. – Les personnes qui conçoivent ou éditent des logiciels de gestion ou de comptabilité ou des systèmes de caisse ou interviennent techniquement sur les fonctionnalités de ces produits affectant directement ou indirectement la tenue des écritures, la conservation ou l’intégrité des documents originaux nécessaires aux contrôles de l’administration des douanes sont tenus de présenter aux agents de cette administration, sur leur demande, tous codes, données, traitements ou documentation qui s’y rattachent.
« Pour l’application du premier alinéa, les codes, données, traitements ainsi que la documentation doivent être conservés jusqu’à l’expiration de la troisième année suivant celle au cours de laquelle le logiciel ou le système de caisse a cessé d’être diffusé. » ;
2° La section 1 du chapitre VI du titre XII est ainsi modifiée :
a) (Supprimé)
b) Après l’article 416, sont insérés des articles 416 bis A et 416 bis B ainsi rédigés :
« Art. 416 bis A. – I. – Les personnes mentionnées à l’article 65 quater qui mettent à disposition les logiciels ou les systèmes de caisse mentionnés au même article 65 quater sont passibles d’une amende lorsque ces logiciels, systèmes ou interventions techniques sont conçus pour permettre la commission de l’un des délits mentionnés aux articles 414, 415 et 459, en modifiant, supprimant ou altérant de toute autre manière un enregistrement stocké ou conservé au moyen d’un dispositif électronique, sans préserver les données originales.
« L’amende prévue au premier alinéa du présent I s’applique également aux distributeurs de ces produits qui savaient ou ne pouvaient ignorer que ces produits présentaient les caractéristiques mentionnées au même premier alinéa.
« L’amende encourue est de 15 % du chiffre d’affaires provenant de la commercialisation de ces logiciels ou systèmes de caisse ou des prestations réalisées, correspondant à l’année au cours de laquelle l’amende est prononcée et aux cinq années précédentes.
« L’application de l’amende prévue au présent I exclut celles prévues aux articles 1770 undecies et 1795 du code général des impôts à raison des mêmes logiciels, systèmes ou interventions et du même chiffre d’affaires.
« II. – Les personnes mentionnées au I sont solidairement responsables du paiement des droits rappelés correspondant à l’utilisation de ces logiciels et systèmes de caisse mis à la charge des entreprises ayant commis les délits mentionnés aux articles 414, 415 et 459 et qui se sont servis de ces produits dans le cadre de leur exploitation.
« Art. 416 bis B. – Est passible d’une amende de 10 000 € par logiciel, application ou système de caisse vendu ou par client pour lequel une prestation a été réalisée dans l’année tout manquement aux obligations prévues à l’article 65 quater. »
II. – Le titre II du livre des procédures fiscales est ainsi modifié :
1° (Supprimé)
2° L’article L. 96 J est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le premier alinéa du présent article est également applicable en cas de demande des agents des douanes portant sur des logiciels de gestion, de comptabilité ou des systèmes de caisse, affectant, directement ou indirectement, la conservation ou l’intégrité des documents originaux nécessaires aux contrôles de cette administration. »
III. – L’article 1795 du code général des impôts est ainsi rétabli :
« Art. 1795. – I. – Les personnes mentionnées à l’article L. 96 J du livre des procédures fiscales qui mettent à disposition les logiciels ou les systèmes de caisse mentionnés au même article L. 96 J sont passibles d’une amende lorsque ces logiciels, systèmes ou interventions techniques sont conçus pour permettre la réalisation de l’un des faits mentionnés au 1° de l’article 1743 du présent code, à l’article 1791 ter, aux 3° et 5° de l’article 1794, à l’article 1797 et aux 3°, 8° et 10° de l’article 1810 en modifiant, supprimant ou altérant de toute autre manière un enregistrement stocké ou conservé au moyen d’un dispositif électronique, sans préserver les données originales.
« L’amende prévue au premier alinéa du I du présent article s’applique également aux distributeurs de ces produits qui savaient ou ne pouvaient ignorer qu’ils présentaient les caractéristiques mentionnées au même premier alinéa.
« Cette amende est de 15 % du chiffre d’affaires provenant de la commercialisation de ces logiciels ou systèmes de caisse ou des prestations réalisées, correspondant à l’année au cours de laquelle l’amende est appliquée et aux cinq années précédentes.
« L’application de l’amende prévue au présent I exclut celles prévues à l’article 1770 undecies du présent code et à l’article 416 bis A du code des douanes à raison des mêmes logiciels, systèmes ou interventions et du même chiffre d’affaires.
« II. – Les personnes mentionnées au I sont solidairement responsables du paiement des droits rappelés correspondant à l’utilisation de ces logiciels et systèmes de caisse mis à la charge des entreprises qui ont commis les faits mentionnés au même I qui se servent de ces produits dans le cadre de leur exploitation. »
IV. – A. – Le I est applicable dans les îles Wallis et Futuna.
B. – À Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, l’amende prévue à l’article 416 bis B du code des douanes est prononcée en francs CFP compte tenu de la contrevaleur dans cette monnaie de l’euro.
V. – A. – Le 1° du I et le 2° du II s’appliquent aux droits de communication exercés à compter du lendemain de la publication de la présente loi.
B. – L’amende et la solidarité de paiement prévues au 2° du I et au III s’appliquent au chiffre d’affaires réalisé et aux droits rappelés correspondant à l’utilisation des produits à compter du lendemain de la publication de la présente loi.
C. – (Supprimé)
Article 2 bis A
I. – Le c du III de l’article L. 47 A du livre des procédures fiscales est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le premier alinéa du présent c n’est pas applicable, si l’administration envisage des traitements informatiques prévus au II, elle peut, quelle que soit l’option choisie par le contribuable, consulter la copie des fichiers, mentionnée au a du présent III, qu’elle a conservée et la comparer aux fichiers, copies de fichiers nécessaires à la réalisation des traitements et résultats de traitements réalisés mis à disposition ou remis par le contribuable. Le résultat de cette comparaison est opposable au contribuable. »
II. – Le I s’applique aux avis de vérification remis à compter du lendemain de la publication de la présente loi.
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Article 3
I. – Le II de la section II du chapitre III du titre II du livre des procédures fiscales est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 134 C, il est inséré un article L. 134 D ainsi rédigé :
« Art. L. 134 D. – Pour les besoins de l’accomplissement de leurs missions de contrôle et de recouvrement portant sur les infractions prévues à l’article L. 114-16-2 du code de la sécurité sociale :
« 1° Les agents des organismes mentionnés aux articles L. 211-1, L. 212-1, L. 215-1, L. 222-1-1, L. 752-4 du même code et ceux mentionnés à l’article L. 724-7 du code rural et de la pêche maritime, individuellement désignés et dûment habilités selon des modalités fixées par décret, disposent d’un droit d’accès direct aux informations contenues dans les déclarations prévues à l’article 1649 ter du code général des impôts ;
« 2° Les agents des organismes mentionnés aux articles L. 212-1, L. 752-4 du code de la sécurité sociale et ceux mentionnés à l’article L. 5312-1 du code du travail et à l’article L. 724-7 du code rural et de la pêche maritime, individuellement désignés et dûment habilités selon des modalités fixées par décret, disposent d’un droit d’accès direct aux données relatives aux mutations à titre onéreux ou gratuit et aux actes relatifs aux sociétés ainsi qu’aux informations mentionnées à l’article L. 107 B du présent livre. » ;
2° L’article L. 135 ZC est complété par les mots : « , aux données relatives aux mutations à titre onéreux ou gratuit et aux actes relatifs aux sociétés ainsi qu’aux informations mentionnées à l’article L. 107 B du présent livre » ;
3° Sont ajoutés des articles L. 135 ZJ à L. 135 ZL ainsi rédigés :
« Art. L. 135 ZJ. – Pour les besoins de l’accomplissement de leurs missions, les assistants spécialisés détachés ou mis à disposition par l’administration fiscale en application de l’article 706 du code de procédure pénale disposent d’un droit d’accès direct aux informations contenues dans les fichiers tenus en application des articles 1649 A et 1649 ter du code général des impôts, aux données relatives aux mutations à titre onéreux ou gratuit et aux actes relatifs aux sociétés ainsi qu’aux informations mentionnées à l’article L. 107 B du présent livre.
« Art. L. 135 ZK. – Pour les besoins de l’accomplissement de leurs missions de contrôle et de recouvrement portant sur les infractions prévues à l’article L. 8211-1 du code du travail, les agents de contrôle de l’inspection du travail mentionnés à l’article L. 8112-1 du même code, les agents des organismes mentionnés aux articles L. 213-1 et L. 752-4 du code de la sécurité sociale et ceux mentionnés à l’article L. 724-7 du code rural et de la pêche maritime, individuellement désignés et dûment habilités selon des modalités fixées par décret, disposent d’un droit d’accès direct aux informations contenues dans les fichiers tenus en application des articles 1649 A et 1649 ter du code général des impôts, aux données relatives aux mutations à titre onéreux ou gratuit et aux actes relatifs aux sociétés ainsi qu’aux informations mentionnées à l’article L. 107 B du présent livre.
« Art. L. 135 ZL. – Pour les besoins de l’accomplissement de leurs missions de contrôle et de recouvrement, les agents des douanes individuellement désignés et dûment habilités selon des modalités fixées par décret disposent d’un droit d’accès direct aux informations contenues dans les fichiers tenus en application de l’article 1649 ter du code général des impôts. »
I bis. – (Supprimé)
II. – Le chapitre III du titre II du code des douanes est ainsi modifié :
1° À l’article 59 octies, les mots : « des transferts transfrontaliers de déchets et de contrôle des substances et produits chimiques » sont remplacés par les mots : « des conditions de traitement des déchets et de leurs transferts transfrontaliers, de contrôle des substances et produits chimiques et de lutte contre la fraude fiscale » ;
2° Sont ajoutés des articles 59 terdecies et 59 quaterdecies ainsi rédigés :
« Art. 59 terdecies. – Pour les besoins de l’accomplissement de leurs missions, les assistants spécialisés détachés ou mis à disposition par l’administration des douanes et droits indirects en application de l’article 706 du code de procédure pénale disposent d’un droit d’accès direct aux informations contenues dans les fichiers tenus en application des réglementations européenne et nationale relatives aux obligations de déclaration de transfert de capitaux ainsi qu’aux données relatives au droit annuel de francisation et de navigation.
« Art. 59 quaterdecies. – Les agents des douanes, les agents placés sous l’autorité du ministre chargé de l’agriculture, les agents de l’établissement national des produits de l’agriculture et de la mer et les agents de l’Office de développement de l’économie agricole d’outre-mer sont autorisés, pour les besoins de leurs missions de contrôle des produits de l’agriculture, à se communiquer, spontanément ou sur demande, tous les renseignements et documents détenus ou recueillis dans l’exercice de leurs missions respectives. »
III. – Après le 5° de l’article L. 114-12-1 du code de la sécurité sociale, il est inséré un 6° ainsi rédigé :
« 6° Sous réserve d’être individuellement désignés et dûment habilités, dans le cadre de leurs missions, les agents de contrôle de l’inspection du travail mentionnés à l’article L. 8112-1 du code du travail, les officiers et agents de police judiciaire, les agents des douanes et des services fiscaux, y compris ceux habilités à effectuer des enquêtes judiciaires en application des articles 28-1 et 28-2 du code de procédure pénale, les agents du service à compétence nationale prévu à l’article L. 561-23 du code monétaire et financier. »
Article 3 bis
I. – À la première phrase du deuxième alinéa de l’article 1649 A du code général des impôts, après le mot : « ouverts, », il est inséré le mot : « détenus, ».
II. – Le I du présent article entre en vigueur à une date fixée par décret et, au plus tard, le 1er janvier 2019.
Article 3 ter A
L’article L. 114-19 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Au 3°, les mots : « de contrôle » et les mots : « à des tiers » sont supprimés ;
2° Au début des deux derniers alinéas, sont ajoutés les mots : « Le silence gardé ou » ;
3° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Ces montants sont doublés en cas de récidive de refus ou de silence gardé du tiers dans le délai de cinq ans à compter de l’expiration du délai de trente jours octroyé au tiers pour faire droit à la première demande de l’organisme de sécurité sociale. »
Article 3 ter B
À la deuxième phrase du quatrième alinéa de l’article L. 169 du livre des procédures fiscales, les mots : « est inférieur à 50 000 € au 31 décembre » sont remplacés par les mots : « n’a pas excédé 50 000 € à un moment quelconque ».
Article 3 ter
(Suppression maintenue)
Article 4
I. – Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° L’article 242 bis est ainsi rédigé :
« Art. 242 bis. – L’entreprise, quel que soit son lieu d’établissement, qui en qualité d’opérateur de plateforme met en relation à distance, par voie électronique, des personnes en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un bien ou d’un service est tenue :
« 1° De fournir, à l’occasion de chaque transaction, une information loyale, claire et transparente sur les obligations fiscales et sociales qui incombent aux personnes qui réalisent des transactions commerciales par son intermédiaire. Elle est également tenue de mettre à disposition un lien électronique vers les sites des administrations permettant de se conformer, le cas échéant, à ces obligations ;
« 2° D’adresser par voie électronique aux vendeurs, aux prestataires ou aux parties à l’échange ou au partage d’un bien ou service qui ont perçu, en qualité d’utilisateur d’une plateforme, des sommes à l’occasion de transactions réalisées par son intermédiaire et dont elle a connaissance, au plus tard le 31 janvier de l’année suivant celle au titre de laquelle les informations sont données, un document mentionnant, pour chacun d’eux, les informations suivantes :
« a) Les éléments d’identification de l’opérateur de la plateforme concerné ;
« b) Les éléments d’identification de l’utilisateur ;
« c) Le statut de particulier ou de professionnel indiqué par l’utilisateur de la plateforme ;
« d) Le nombre et le montant total brut des transactions réalisées par l’utilisateur au cours de l’année civile précédente ;
(Supprimé)
« e) Si elles sont connues de l’opérateur, les coordonnées du compte bancaire sur lequel les revenus sont versés ;
« 3° D’adresser par voie électronique à l’administration fiscale, au plus tard le 31 janvier de l’année suivant celle au titre de laquelle les informations sont données, un document récapitulant l’ensemble des informations mentionnées au 2° du présent article.
« Par exception, l’opérateur de plateforme est dispensé de l’obligation prévue au premier alinéa du présent 3°, dans le cas où les conditions mentionnées au dernier alinéa du présent 3° sont réunies, lorsque les transactions dont il a connaissance portent sur la vente entre particuliers de biens mentionnés au II de l’article 150 UA ou sur une prestation de services dont bénéficie également le particulier qui la propose, sans objectif lucratif et avec partage de frais avec les bénéficiaires.
« La dispense de l’obligation mentionnée au deuxième alinéa du présent 3° s’applique lorsque le total des montants perçus par un même utilisateur n’excède pas un montant annuel fixé par arrêté des ministres chargés du budget et de la sécurité sociale ou lorsque le nombre de transactions réalisées dans l’année est inférieur à un seuil fixé par le même arrêté.
« Un arrêté des ministres chargés du budget et de la sécurité sociale précise le contenu des obligations prévues aux 1°, 2° et 3°.
« Les obligations prévues aux mêmes 1°, 2° et 3° s’appliquent à l’égard des utilisateurs de plateforme résidant en France ou qui réalisent des ventes ou des prestations de service en France au sens des articles 258 à 259 D. » ;
2° L’article 1731 ter est ainsi rédigé :
« Art. 1731 ter. – Le non-respect, constaté à l’occasion d’un contrôle, de l’une des obligations prévues au 1° de l’article 242 bis est sanctionné par une amende forfaitaire globale fixée dans la limite d’un plafond de 50 000 €. » ;
3° et 4° (Supprimés)
II. – L’article L. 114-19-1 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Les mots : « au I de » sont remplacés par le mot : « à » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Le document mentionné au 3° de l’article 242 bis du code général des impôts est adressé par l’administration fiscale à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale au plus tard le 31 janvier de l’année suivant celle au titre de laquelle les informations sont données. Les données ainsi obtenues peuvent faire l’objet d’une interconnexion avec les données des organismes mentionnés à l’article L. 213-1 du présent code au titre de l’accomplissement de leurs missions de contrôle et de lutte contre le travail dissimulé. »
II bis. – Après le mot : « onéreux, », la fin du III de l’article 1736 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, est ainsi rédigée : « 241, s’agissant des droits d’auteur imposés suivant les règles applicables aux bénéfices non commerciaux et des droits d’inventeur, et par les 2° et 3° de l’article 242 bis. »
III. – Le chapitre 0000I ter du titre Ier de la troisième partie du livre Ier du code général des impôts est abrogé.
IV. – Le titre II du livre des procédures fiscales est ainsi modifié :
1° Le chapitre Ier septies est abrogé ;
2° Le chapitre II est ainsi modifié :
a) Après le 1° de la section I, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :
« 1° bis : Opérateurs de plateforme
« Art. L. 82 AA. – Les opérateurs de plateforme mentionnés à l’article 242 bis du code général des impôts communiquent à l’administration fiscale, sur sa demande, les informations mentionnées au 2° du même article 242 bis. » ;
b) L’article L. 102 AD est abrogé.
V. – Les I, II, II bis et IV s’appliquent aux revenus perçus à compter de la date d’entrée en vigueur de l’arrêté mentionné à l’avant-dernier alinéa de l’article 242 bis du code général des impôts, dans sa rédaction résultant du présent article, et au plus tard le 1er juillet 2019.
Article 4 bis
(Suppression maintenue)
Article 4 ter
I. – Après l’article 283 du code général des impôts, il est inséré un article 283 bis ainsi rédigé :
« Art. 283 bis. – I. – Sont soumis aux dispositions du présent article, quel que soit leur lieu d’établissement, les opérateurs de plateforme en ligne au sens du 2° du I de l’article L. 111-7 du code de la consommation, dont l’activité dépasse le seuil de nombre de connexions défini au premier alinéa de l’article L. 111-7-1 du même code.
« II. – Lorsqu’il existe des présomptions qu’un assujetti, quel que soit son lieu d’établissement, son domicile ou sa résidence habituelle, qui effectue ou fournit à destination ou au profit de personnes non assujetties, par l’intermédiaire d’une plateforme en ligne, des livraisons de biens ou des prestations de service dont le lieu d’imposition est situé en France en application des articles 258 à 259 D du présent code, se soustrait à ses obligations en matière de déclaration ou de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, l’administration peut signaler cet assujetti à l’opérateur de la plateforme en ligne, afin que celui-ci puisse prendre les mesures de nature à permettre à cet assujetti de régulariser sa situation.
« L’opérateur de plateforme en ligne notifie à l’administration les mesures prises au titre du présent II.
« III. – Si les présomptions persistent après un délai d’un mois à compter de la notification prévue au second alinéa du II ou, à défaut d’une telle notification, à compter du signalement prévu au premier alinéa du même II, l’administration peut mettre en demeure l’opérateur de plateforme en ligne de prendre des mesures supplémentaires ou, à défaut, d’exclure l’assujetti concerné de la plateforme en ligne.
« L’opérateur de plateforme en ligne notifie à l’administration les mesures prises au titre du présent III.
« IV. – En l’absence de mise en œuvre des mesures ou de l’exclusion mentionnées au III après un délai d’un mois à compter de la notification prévue au second alinéa du III ou, à défaut d’une telle notification, à compter de la mise en demeure prévue au premier alinéa du même III, la taxe dont est redevable l’assujetti mentionné au II est solidairement due par l’opérateur de plateforme en ligne.
« V. – Les modalités d’application du présent article sont définies par arrêté du ministre chargé du budget. »
II. – La section VIII du chapitre Ier du titre II de la première partie du livre premier du code général des impôts est complétée par un article 293 A ter ainsi rédigé :
« Art. 293 A ter. – I. – Sont soumis aux dispositions du présent article, quel que soit leur lieu d’établissement, les opérateurs de plateforme en ligne au sens du 2° du I de l’article L. 111-7 du code de la consommation, dont l’activité dépasse le seuil de nombre de connexions défini au premier alinéa de l’article L. 111-7-1 du même code.
« II. – Lorsqu’il existe des présomptions qu’une personne, quel que soit son lieu d’établissement, son domicile ou sa résidence habituelle, qui exerce son activité par l’intermédiaire d’une plateforme en ligne se soustrait à ses obligations en matière de déclaration ou de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée due en application de l’article 293 A, l’administration peut signaler cette personne à l’opérateur de la plateforme en ligne, afin que celui-ci puisse prendre les mesures de nature à permettre à cette personne de régulariser sa situation.
« L’opérateur de plateforme en ligne notifie à l’administration les mesures prises au titre du présent II.
« III. – Si les présomptions persistent après un délai d’un mois à compter de la notification prévue au second alinéa du II ou, à défaut d’une telle notification, à compter du signalement prévu au premier alinéa du même II, l’administration peut mettre en demeure l’opérateur de plateforme en ligne de prendre des mesures supplémentaires ou, à défaut, d’exclure la personne concernée de la plateforme en ligne.
« L’opérateur de plateforme en ligne notifie à l’administration les mesures prises au titre du présent III.
« IV. – En l’absence de mise en œuvre des mesures ou de l’exclusion mentionnées au III après un délai d’un mois à compter de la notification prévue au second alinéa du III ou, à défaut d’une telle notification, à compter de la mise en demeure prévue au premier alinéa du même III, la taxe dont est redevable la personne mentionnée au II est solidairement due par l’opérateur de plateforme en ligne.
« V. – Les modalités d’application du présent article sont définies par arrêté du ministre chargé du budget. »
III. – Le présent article est applicable à compter du 1er janvier 2020.
Il n’est pas applicable aux livraisons de biens soumises aux dispositions de l’article 14 bis de la directive 2006/112 du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive 2017/2455 du Conseil du 5 décembre 2017, et sous réserve de leur transposition.
Articles 4 quater à 4 sexies
(Suppressions maintenues)
Article 4 septies
(Supprimé)
Article 4 octies
I. – L’article L. 16-0 BA du livre des procédures fiscales est ainsi modifié :
1° Le I est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, la référence : « et L. 80 F » est remplacée par les références : « , L. 80 F et L. 80 Q » et la référence : « 170 » est remplacée par les références : « 87-0 A, 170 » ;
b) Après le 1°, sont insérés des 1° bis et 1° ter ainsi rédigés :
« 1° bis L’absence du respect d’au moins deux des obligations déclaratives prévues aux articles 87-0 A, 170, 172, 223 et 287 du code général des impôts, au titre de la dernière période échue ;
« 1° ter L’absence réitérée du respect d’au moins une des obligations déclaratives prévues aux articles 87-0 A, 170, 172 et 223 et au 3 de l’article 287 du code général des impôts, durant les deux dernières périodes échues ; »
c) À la première phrase de l’avant-dernier alinéa, après le mot : « contribuable, », sont insérés les mots : « son représentant ou la personne recevant les agents de l’administration des impôts, » ;
2° Au premier alinéa du I bis, la référence : « 170 » est remplacée par les références : « 87-0 A, 170 » ;
3° À la première phrase du deuxième alinéa du I ter, après le mot : « contribuable, », sont insérés les mots : « son représentant ou la personne recevant les agents de l’administration des impôts, » ;
4° La deuxième phrase du deuxième alinéa du IV est complétée par les mots : « , son représentant ou la personne recevant les agents de l’administration des impôts » ;
5° Le V est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, le mot : « huit » est remplacé par le mot : « quinze » ;
b) Le troisième alinéa est ainsi modifié :
– à la première phrase, après le mot : « référé », sont insérés les mots : « ou du tribunal administratif » et les mots : « tribunal administratif » sont remplacés par les mots : « président de la cour administrative d’appel ou le magistrat qu’il désigne à cet effet » ;
– au début de la seconde phrase, les mots : « Le tribunal » sont remplacés par les mots : « Le président ou le magistrat désigné » ;
c) Au début du dernier alinéa, les mots : « La décision du juge du référé ou du tribunal administratif » sont remplacés par les mots : « La décision du juge du référé, du tribunal administratif, du président de la cour administrative d’appel ou du magistrat désigné ».
II. – Le II de l’article L. 252 B du livre des procédures fiscales est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, le mot : « huit » est remplacé par le mot : « quinze » ;
2° Le troisième alinéa est ainsi modifié :
a) À la première phrase, après les mots : « du juge du référé », sont insérés les mots : « ou du tribunal administratif » et les mots : « tribunal administratif » sont remplacés par les mots : « président de la cour administrative d’appel ou le magistrat qu’il désigne à cet effet » ;
b) Au début de la seconde phrase, les mots : « Le tribunal » sont remplacés par les mots : « Le président ou le magistrat désigné » ;
3° Au début du dernier alinéa, les mots : « La décision du juge du référé ou du tribunal administratif » sont remplacés par les mots : « La décision du juge du référé, du tribunal administratif, du président de la cour administrative d’appel ou du magistrat désigné ».
Article 4 nonies
Après l’article L. 621-10-1 du code monétaire et financier, il est inséré un article L. 621-10-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 621-10-2. – Pour la recherche des abus de marché définis par le règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission, les enquêteurs peuvent se faire communiquer les données conservées et traitées par les opérateurs de télécommunication, dans les conditions et sous les limites prévues à l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, et par les prestataires mentionnés aux 1 et 2 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.
« La communication des données mentionnées au premier alinéa fait l’objet d’une autorisation préalable par un contrôleur des demandes de données de connexion.
« Le contrôleur des demandes de données de connexion est, en alternance, un membre du Conseil d’État, en activité ou honoraire, élu par l’assemblée générale du Conseil d’État, puis un magistrat de la Cour de cassation, en activité ou honoraire, élu par l’assemblée générale de ladite Cour. Son suppléant, issu de l’autre juridiction, est désigné selon les mêmes modalités. Le contrôleur des demandes de données de connexion et son suppléant sont élus pour une durée de quatre ans non renouvelable.
« Il ne peut être mis fin aux fonctions du contrôleur des demandes de données de connexion que sur sa demande ou en cas d’empêchement constaté, selon le cas, par le vice-président du Conseil d’État ou par le premier président de la Cour de cassation ou le procureur général près ladite Cour, sur saisine du ministre chargé de l’économie.
« Le contrôleur des demandes de données de connexion ne peut recevoir ou solliciter aucune instruction de l’Autorité des marchés financiers ni d’aucune autre autorité dans l’exercice de sa mission. Il est tenu au secret professionnel dans les conditions prévues à l’article L. 621-4 du présent code.
« Il est saisi par demande motivée du secrétaire général ou du secrétaire général adjoint de l’Autorité des marchés financiers. Cette demande comporte les éléments de nature à en justifier le bien-fondé.
« L’autorisation est versée au dossier d’enquête.
« Les enquêteurs utilisent les données communiquées par les opérateurs de télécommunication et les prestataires mentionnés au premier alinéa exclusivement dans le cadre de l’enquête au titre de laquelle ils ont reçu l’autorisation.
« Les données de connexion relatives aux faits faisant l’objet de notifications de griefs par le collège de l’Autorité des marchés financiers sont détruites à l’expiration d’un délai de six mois à compter de la décision définitive de la commission des sanctions ou des juridictions de recours. En cas de composition administrative, le délai de six mois court à compter de l’exécution de l’accord.
« Les données de connexion relatives à des faits n’ayant pas fait l’objet d’une notification de griefs par le collège de l’Autorité des marchés financiers sont détruites à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la décision du collège.
« En cas de transmission du rapport d’enquête au procureur de la République financier ou en cas de mise en mouvement de l’action publique par le procureur de la République financier en application des III et IV de l’article L. 465-3-6, les données de connexion sont remises au procureur de la République financier et ne sont pas conservées par l’Autorité des marchés financiers.
« Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État. »
Article 4 decies
I. – Le paragraphe 2 de la section 3 du chapitre IV du titre II du code des douanes est ainsi modifié :
1° Le i du 1° de l’article 65 est abrogé ;
2° Il est ajouté un article 65 quinquies ainsi rédigé :
« Art. 65 quinquies. – Dans le but de constater les délits mentionnés aux articles 414, 415 et 459, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs, les complices ainsi que ceux qui y ont participé comme intéressés au sens de l’article 399, les agents des douanes ayant au moins le grade de contrôleur et spécialement habilités par le directeur du service auquel ils sont affectés peuvent se faire communiquer les données conservées et traitées par les opérateurs de communications électroniques dans le cadre de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques ainsi que par les prestataires mentionnés aux 1 et 2 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.
« La mise en œuvre du droit de communication prévu au premier alinéa du présent article est préalablement autorisée par le procureur de la République près le tribunal de grande instance du lieu de la direction des douanes dont dépend le service chargé de la procédure.
« L’autorisation du procureur de la République, qui peut être donnée par tout moyen, est mentionnée ou versée au dossier de la procédure.
« La communication des données mentionnées au premier alinéa fait l’objet d’un procès-verbal de constat, qui est versé au dossier de la procédure. Une copie de ce procès-verbal est transmise au procureur de la République qui a autorisé la mise en œuvre du droit de communication ainsi qu’aux opérateurs et prestataires mentionnés au même premier alinéa, au plus tard dans les cinq jours suivant son établissement.
« Les données communiquées sont détruites à l’extinction de l’action pour l’application des sanctions fiscales.
« Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article. »
II. – Le I entre en vigueur le 1er janvier 2019.
Article 4 undecies
I. – Le chapitre II du titre II du livre des procédures fiscales est ainsi modifié :
1° Après le mot : « professionnel », la fin de l’article L. 83 est supprimée ;
2° L’article L. 96 G est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est remplacé par quatre alinéas ainsi rédigés :
« I. – Pour les besoins de la recherche ou de la constatation des infractions mentionnées au c du 1 et au 5 de l’article 1728, aux articles 1729 et 1729-0 A, au 2 du IV et au IV bis de l’article 1736, au I de l’article 1737 et aux articles 1758 et 1766 du code général des impôts, des agents de l’administration des impôts ayant au moins le grade de contrôleur et spécialement habilités par le directeur du service auquel ils sont affectés ou son adjoint peuvent, dans les conditions prévues au II du présent article, se faire communiquer les données conservées et traitées par les opérateurs de communications électroniques dans le cadre de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques et par les prestataires mentionnés aux 1 et 2 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique dans les conditions prévues au même article 6.
« II. – La mise en œuvre du droit de communication mentionné au I est préalablement autorisée, par tout moyen dont il est conservé une trace écrite, par le procureur de la République près le tribunal de grande instance du siège de la direction dont dépend le service chargé de la procédure, sur demande écrite et motivée du directeur de cette dernière ou de son adjoint.
« Les informations communiquées à l’administration sont détruites au plus tard à l’issue d’un délai d’un an à compter de leur réception, à l’exception de celles utilisées dans le cadre de l’une des procédures prévues au présent titre qui sont détruites à l’expiration de toutes les voies de recours.
« Les modalités d’application du I et du présent II sont fixées par décret en Conseil d’État. » ;
b) Le second alinéa est ainsi modifié :
– au début, est ajoutée la mention : « III. – » et les mots : « Ils peuvent également » sont remplacés par les mots : « Les agents de l’administration des impôts peuvent » ;
– après la première occurrence du mot : « prévus », la fin est ainsi rédigée : « au d du 2 de l’article 7 du règlement d’exécution (UE) n° 282/2011 du Conseil du 15 mars 2011 portant mesures d’exécution de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée. »
II. – Le I entre en vigueur le 1er janvier 2019.
TITRE II
RENFORCEMENT DES SANCTIONS DE LA FRAUDE FISCALE, SOCIALE ET DOUANIÈRE
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Article 5 bis
I. – La section 2 du chapitre VI du titre XII du code des douanes est complétée un paragraphe 4 ainsi rédigé :
« Paragraphe 4
« Affichage et diffusion des décisions
« Art. 433 bis. – Pour le délit prévu au 1 bis de l’article 459, la juridiction ordonne l’affichage de la décision prononcée et la diffusion de celle-ci dans les conditions prévues aux articles 131-35 ou 131-39 du code pénal. Elle peut toutefois, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas ordonner l’affichage de la décision prononcée et la diffusion de celle-ci, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. »
II. – Le I est applicable dans les îles Wallis et Futuna.
Article 6
I. – Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° (Supprimé)
2° Le c du 1 du B de la section I du chapitre II du livre II est complété par un article 1729 A bis ainsi rédigé :
« Art. 1729 A bis. – I. – Les amendes ou majorations appliquées à l’encontre de personnes morales à raison de manquements graves caractérisés par un montant de droits fraudés d’un minimum de 50 000 € et le recours à une manœuvre frauduleuse, au sens des b et c de l’article 1729, peuvent faire l’objet d’une publication, sauf si ces manquements ont fait l’objet d’un dépôt de plainte pour fraude fiscale par l’administration.
« Cette publication porte sur la nature et le montant des droits fraudés et des amendes et majorations appliquées, la dénomination du contribuable ainsi que, le cas échéant, l’activité professionnelle et le lieu d’exercice de cette activité.
« La décision de publication est prise par l’administration après avis conforme et motivé de la commission prévue au II de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales qui apprécie, au vu des manquements et des circonstances dans lesquels ils ont été commis, si la publication est justifiée. La décision de publication prise par l’administration est notifiée au contribuable.
« La publication ne peut être effectuée avant l’expiration d’un délai de soixante jours à compter de la notification de la décision de publication.
« La publication est effectuée sur le site internet de l’administration fiscale pendant une durée qui ne peut excéder un an.
« II. – Lorsque la commission prévue au II de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales est saisie, une copie de la saisine est adressée au contribuable, qui est invité à présenter à la commission ses observations écrites dans un délai de trente jours.
« Les recours portant sur les impositions et les amendes ou majorations correspondantes présentés avant l’expiration du délai mentionné au deuxième alinéa du présent II ont pour effet de suspendre la publication tant que les impositions et les amendes ou majorations ne sont pas devenues définitives. En cas de recours portant sur les impositions et les amendes ou majorations présentés après l’expiration de ce même délai, la publication est retirée du site internet de l’administration fiscale tant que n’est pas intervenue une décision juridictionnelle confirmant de manière définitive le bien-fondé de la décision de publication.
« L’administration est tenue de rendre publique sur son site internet toute décision juridictionnelle revenant sur les impositions et les amendes ou majorations ayant fait l’objet d’une publication.
« III. – Un décret en Conseil d’État précise les conditions d’application du présent article. »
II. – (Supprimé)
Article 7
I. – La section I du chapitre II du livre II du code général des impôts est ainsi modifiée :
1° L’intitulé du 9 du B est ainsi rédigé : « Sanctions à l’égard des tiers » ;
2° Le même 9 est complété par un article 1740 A bis ainsi rédigé :
« Art. 1740 A bis. – I. – Lorsque l’administration fiscale a prononcé à l’encontre du contribuable une majoration de 80 % sur le fondement du c du 1 de l’article 1728, des b ou c de l’article 1729 ou de l’article 1729-0 A, toute personne physique ou morale qui, dans l’exercice d’une activité professionnelle de conseil à caractère juridique, financier ou comptable ou de détention de biens ou de fonds pour le compte d’un tiers, a intentionnellement fourni à ce contribuable une prestation permettant directement la commission par ce contribuable des agissements, manquements ou manœuvres ainsi sanctionnés est redevable d’une amende dans les conditions prévues au II.
« La prestation mentionnée au premier alinéa du présent I consiste à :
« 1° Permettre au contribuable de dissimuler son identité par la fourniture d’une identité fictive ou d’un prête-nom ou par l’interposition d’une personne physique ou morale ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l’étranger ;
« 2° Permettre au contribuable de dissimuler sa situation ou son activité par un acte fictif ou comportant des mentions fictives ou par l’interposition d’une entité fictive ;
« 3° Permettre au contribuable de bénéficier à tort d’une déduction du revenu, d’un crédit d’impôt, d’une réduction d’impôt ou d’une exonération d’impôt par la délivrance irrégulière de documents ;
« 4° Ou réaliser pour le compte du contribuable tout acte destiné à égarer l’administration.
« II. – L’amende est égale à 50 % des revenus tirés de la prestation fournie au contribuable. Son montant ne peut être inférieur à 10 000 €.
« Cette amende est établie selon les modalités prévues à l’article L. 80 D du livre des procédures fiscales.
« En cas de désaccord portant sur les agissements, manquements ou manœuvres du contribuable mentionnés au I, les garanties et voies de recours qui lui sont offertes bénéficient également à la personne contre laquelle l’amende mentionnée au premier alinéa du présent II a été prononcée.
« Lorsque les majorations mentionnées au I du présent article font l’objet d’un dégrèvement ou d’une décharge pour un motif lié à leur bien-fondé, l’amende qui a été prononcée à l’encontre du tiers fait l’objet d’une décision de dégrèvement.
« L’amende n’est pas applicable en cas de poursuites engagées contre le professionnel sur le fondement de l’article 1742.
« III. – La personne sanctionnée par l’amende prévue au II n’est pas admise à participer aux travaux des organismes institués aux articles 1650 à 1652 bis, 1653 A, 1653 C et 1653 F ni à ceux de la commission prévue au II de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales. » ;
3° À l’article 1753, la référence : « et 1653 A » est remplacée par les références : « , 1653 A, 1653 C et 1653 F ».
II. – À l’article L. 80 E du livre des procédures fiscales, la référence : « et 1735 ter » est remplacée par les références : « , 1735 ter et 1740 A bis ».
III. – Après l’article L. 114-18 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 114-18-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 114-18-1. – I. – Lorsque les organismes mentionnés aux articles L. 213-1 et L. 752-1 notifient à un cotisant des rectifications sur le fondement de l’article L. 243-7-2 ou lorsque les caisses de mutualité sociale agricole notifient à un cotisant des rectifications sur le fondement de l’article L. 725-25 du code rural et de la pêche maritime, toute personne physique ou morale qui, dans l’exercice d’une activité professionnelle de conseil à caractère juridique, financier ou comptable ou de détention de biens ou de fonds pour le compte d’un tiers, a intentionnellement fourni à ce cotisant une prestation ayant directement contribué à la commission des actes constitutifs de l’abus de droit en cause ou à la dissimulation de ces actes est redevable d’une amende.
« II. – L’amende est égale à 50 % des revenus tirés de la prestation fournie au cotisant. Son montant ne peut être inférieur à 10 000 €.
« En cas de désaccord portant sur les actes du cotisant ou la dissimulation de ces actes mentionnés au I, les garanties et voies de recours qui sont offertes au cotisant bénéficient également à la personne contre laquelle l’amende mentionnée au premier alinéa du présent II a été prononcée.
« Lorsque les rectifications mentionnées au I du présent article font l’objet d’un dégrèvement ou d’une décharge pour un motif lié à leur bien-fondé, l’amende qui a été prononcée à l’encontre du tiers fait l’objet d’une décision de dégrèvement.
« La prescription applicable à l’amende prévue au même I est acquise à la fin de la quatrième année suivant celle au cours de laquelle la prestation sanctionnée a été fournie.
« III. – Le directeur de l’organisme de recouvrement ou de la caisse de mutualité sociale agricole lésé notifie les faits reprochés à la personne en cause et le montant envisagé de la pénalité, afin qu’elle puisse présenter ses observations écrites. Après avoir répondu auxdites observations, le directeur de l’organisme ou de la caisse prononce, le cas échéant, la pénalité et la notifie à l’intéressé par une mise en demeure adressée par tout moyen donnant date certaine à sa réception, en lui indiquant les voies et délais de recours applicables. »
IV. – Le présent article s’applique aux prestations fournies à compter du lendemain de la publication de la présente loi.
Article 7 bis
La première phrase du premier alinéa du III de l’article L. 225-102-1 du code de commerce est complétée par les mots : « et l’évasion fiscale ».
Article 7 ter
(Supprimé)
Article 7 quater
I. – Le I de l’article 109 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 est ainsi modifié :
1° Au début du premier alinéa, les mots : « À titre expérimental et pour une durée de deux ans, » sont supprimés ;
2° Au début de la première phrase du dernier alinéa, les mots : « Chaque année » sont remplacés par les mots : « Tous les deux ans ».
II. – Le I entre en vigueur le 1er janvier 2019.
Article 7 quinquies
Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnance, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, les mesures relevant du domaine de la loi propres à transposer la directive (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration.
Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance mentionnée au premier alinéa.
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Article 9 bis
Au premier alinéa du I de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale, les mots : « le blanchiment des infractions prévues aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts, ainsi que pour des infractions connexes, à l’exclusion de celles prévues aux mêmes articles 1741 et 1743 » sont remplacés par les mots : « les délits prévus aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts et leur blanchiment, ainsi que pour des infractions connexes ».
Article 9 ter
(Suppression maintenue)
Article 10
I. – Le chapitre VI du titre XII du code des douanes est ainsi modifié :
1° L’article 413 bis est ainsi rédigé :
« Art. 413 bis. – Est passible d’une amende de 3 700 € :
« 1° Toute infraction aux dispositions du a du 1 de l’article 53 ;
« 2° Tout refus de communication des documents et renseignements demandés par les agents des douanes dans l’exercice du droit de communication prévu à l’article 65 ou tout comportement faisant obstacle à la communication. Cette amende s’applique par demande, dès lors que tout ou partie des documents ou renseignements sollicités ne sont pas communiqués. Une amende de même montant est applicable en cas d’absence de tenue de ces documents ou de leur destruction avant les délais prescrits.
« L’amende est applicable en cas de refus de communication au titre de l’article 65 quinquies ;
« 3° Toute infraction aux dispositions du b de l’article 69, de l’article 71, du 1 de l’article 87 et du 2 de l’article 117. » ;
2° Le premier alinéa de l’article 431 est ainsi modifié :
a) Les mots : « 92 ci-dessus » sont remplacés par les mots : « 65 quinquies » ;
b) Le montant : « 1,50 euro » est remplacé par le montant : « 150 € ».
I bis. – (Supprimé)
II. – A. – Le I est applicable dans les îles Wallis et Futuna.
B. – À Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, l’amende prévue à l’article 413 bis du code des douanes et l’astreinte prévue à l’article 431 du même code sont prononcées en francs CFP compte tenu de la contrevaleur dans cette monnaie de l’euro.
Article 10 bis
Au début du III de la section I du chapitre IV du titre III de la première partie du livre Ier du code général des impôts, il est rétabli un article 575 İ ainsi rédigé :
« Art. 575 İ. – Est réputée détenir des tabacs manufacturés à des fins commerciales au sens du 4° du 1 du I de l’article 302 D toute personne qui transporte dans un moyen de transport individuel affecté au transport de personnes plus de :
« 1° Huit cents cigarettes ;
« 2° Quatre cents cigarillos, c’est-à-dire de cigares d’un poids maximal de trois grammes par pièce ;
« 3° Deux cents cigares, autres que les cigarillos ;
« 4° Un kilogramme de tabac à fumer.
« Le 4° du présent article s’applique également à toute personne qui transporte ces quantités à bord d’un moyen de transport collectif. »
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Article 10 quater
Le 7 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi modifié :
1° Avant le dernier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les personnes mentionnées aux 1 et 2 informent leurs abonnés de l’interdiction de procéder en France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer à des opérations de vente à distance, d’acquisition, d’introduction en provenance d’un autre État membre de l’Union européenne ou d’importation en provenance de pays tiers de produits du tabac manufacturé dans le cadre d’une vente à distance, ainsi que des sanctions légalement encourues pour de tels actes. » ;
2° Au dernier alinéa, les mots : « et cinquième alinéas » sont remplacés par les mots : « , cinquième et avant-dernier alinéas du présent 7 ».
Article 10 quinquies
I. – Le titre Ier du livre V de la troisième partie du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° L’article L. 3512-23 est ainsi rédigé :
« Art. L. 3512-23. – I. – Les unités de conditionnement de produits du tabac fabriqués en France, importés d’un État non membre de l’Union européenne ou provenant d’un État membre de l’Union européenne ou destinés à l’exportation vers un État non membre de l’Union européenne ou un État membre de l’Union européenne ou placés sous un régime fiscal ou douanier tel que l’avitaillement ou les comptoirs de vente, sont revêtus d’un identifiant unique, imprimé ou apposé de façon inamovible et indélébile. Cet identifiant unique n’est ni dissimulé, ni interrompu et permet d’accéder à des données relatives à la fabrication et aux mouvements de ces produits du tabac.
« L’identifiant unique, conforme aux dispositions du règlement d’exécution (UE) 2018/574 de la Commission du 15 décembre 2017 relatif aux normes techniques pour la mise en place et le fonctionnement d’un système de traçabilité des produits du tabac, est apposé sur chaque unité de conditionnement par les fabricants et les importateurs, selon les modalités prévues par le même règlement.
« Un code identifiant est également fourni pour chaque opérateur économique, chaque installation depuis le lieu de fabrication jusqu’au point de vente au détail ainsi que chaque machine en application des articles 15, 17 et 19 dudit règlement.
« II. – Les identifiants prévus au I sont délivrés par l’entité de délivrance des identifiants uniques répondant aux conditions de l’article 35 du règlement d’exécution (UE) 2018/574 de la Commission du 15 décembre 2017 précité. Lorsque l’État n’est pas l’entité de délivrance des identifiants uniques, le ministre chargé des douanes désigne une entité de délivrance des identifiants uniques dans les conditions prévues au 6° de l’article L. 3512-26.
« III. – L’entité de délivrance des identifiants uniques ne peut recourir qu’à des sous-traitants indépendants au sens de l’article 35 du règlement d’exécution (UE) 2018/574 de la Commission du 15 décembre 2017 précité. Le fournisseur d’identifiant unique est tenu de fournir, préalablement à sa désignation, au ministre chargé des douanes l’identité des sous-traitants auxquels il a l’intention de recourir.
« Ces sous-traitants sont soumis aux mêmes obligations que le fournisseur d’identifiant unique pour ce qui concerne la délivrance des identifiants.
« IV. – La livraison physique des identifiants uniques, telle que prévue au 4 de l’article 9 du règlement d’exécution (UE) 2018/574 de la Commission du 15 décembre 2017 précité, est autorisée dans les cas définis dans les conditions prévues au 6° de l’article L. 3512-26.
« V. – Pour ce qui concerne les codes identifiants prévus au dernier alinéa du I que l’entité de délivrance des identifiants uniques mentionnée au II est tenue de fournir aux opérateurs en application des articles 15, 17 et 19 du règlement d’exécution (UE) 2018/574 de la Commission du 15 décembre 2017 précité, le ministre chargé des douanes peut exiger de ce fournisseur qu’il désactive un code identifiant opérateur économique, un code identifiant installation ou un code identifiant machine, dans des cas précisés par décret en Conseil d’État.
« VI. – Les personnes concernées par le commerce des produits du tabac, du fabricant ou de l’importateur au dernier opérateur avant le premier détaillant, enregistrent l’entrée de toutes les unités de conditionnement en leur possession ainsi que tous les mouvements intermédiaires et la sortie définitive des unités de conditionnement, conformément aux dispositions des articles 32 à 34 du règlement d’exécution (UE) 2018/574 de la Commission du 15 décembre 2017 précité.
« Les personnes qui interviennent dans la chaîne d’approvisionnement des produits du tabac conservent un relevé complet et précis de toutes les opérations concernées.
« Ces personnes sont astreintes au respect des dispositions les concernant prévues par la décision d’exécution (UE) 2018/576 de la Commission du 15 décembre 2017 concernant les normes techniques nécessaires pour les dispositifs de sécurité appliqués aux produits du tabac, notamment par ses articles 7, 8 et 9.
« VII. – Les fabricants et importateurs de produits du tabac fournissent gratuitement à toutes les personnes concernées par le commerce de ces produits, du fabricant au dernier opérateur avant le premier détaillant, y compris les importateurs, entrepôts et sociétés de transport, l’équipement nécessaire pour enregistrer les produits du tabac achetés, vendus, stockés, transportés ou soumis à toute autre manipulation. Cet équipement permet de lire les données enregistrées et de les transmettre sous forme électronique à l’installation de stockage de données mentionnée à l’article L. 3512-24.
« VIII. – Afin de veiller à ce que l’application des identifiants uniques au niveau de l’unité de conditionnement soit directement suivie par la vérification de l’application et de la lisibilité correcte de ces identifiants uniques, les fabricants et les importateurs sont tenus de se faire fournir et d’installer un dispositif anti-manipulation par un tiers indépendant répondant aux conditions prévues à l’article 35 du règlement d’exécution (UE) 2018/574 de la Commission du 15 décembre 2017 précité.
« Le tiers indépendant chargé de fournir et d’installer ce dispositif transmet au ministre chargé des douanes et à la Commission européenne une déclaration attestant que le dispositif installé répond aux exigences énoncées à l’article 7 du même règlement. » ;
2° L’article L. 3512-24 est ainsi modifié :
a) À la fin du premier alinéa du I, les mots : « mentionnée au III de l’article L. 3512-23 » sont remplacés par les mots : « dans le respect des dispositions prévues par le règlement délégué (UE) 2018/573 de la Commission du 15 décembre 2017 relatif aux éléments essentiels des contrats de stockage de données devant être conclus dans le cadre d’un système de traçabilité des produits du tabac et le règlement d’exécution (UE) 2018/574 de la Commission du 15 décembre 2017 relatif aux normes techniques pour la mise en place et le fonctionnement d’un système de traçabilité des produits du tabac » ;
b) À la fin de la première phrase du II, les mots : « de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés » sont remplacés par les mots : « prévues par le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE » ;
c) Le III est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Un fournisseur, désigné par la Commission européenne conformément au B de l’annexe I au règlement d’exécution (UE) 2018/574 de la Commission du 15 décembre 2017 précité parmi les fournisseurs des entrepôts primaires de stockage des données qui ont été approuvés conformément au A de la même annexe I, est chargé de la gestion de l’entrepôt secondaire de stockage des données aux fins de l’exécution des services prévus au chapitre V du même règlement. » ;
3° L’article L. 3512-25 est ainsi rédigé :
« Art. L. 3512-25. – I. – Outre l’identifiant unique mentionné à l’article L. 3512-23, les unités de conditionnement de produits du tabac fabriqués, importés d’un État non membre de l’Union européenne ou provenant d’un État membre de l’Union européenne, comportent un dispositif de sécurité infalsifiable, comportant au moins cinq types d’éléments authentifiants, dont au moins un élément apparent, un élément semi-apparent et un élément non apparent. Au moins un de ces éléments doit être fourni par un tiers indépendant, satisfaisant aux obligations définies à l’article 8 de la décision d’exécution (UE) 2018/576 de la Commission du 15 décembre 2017 concernant les normes techniques nécessaires pour les dispositifs de sécurité appliqués aux produits du tabac.
« La combinaison d’éléments authentifiants qui doit être utilisée par les fabricants ou les importateurs dans les dispositifs de sécurité appliqués aux unités de conditionnement des produits du tabac est déterminée par arrêté du ministre chargé des douanes. Toute modification de la combinaison d’éléments authentifiants est déterminée par arrêté du ministre chargé des douanes, six mois avant la date prévue pour son entrée en vigueur.
« II. – Le dispositif de sécurité est imprimé ou apposé ou imprimé et apposé de façon inamovible et indélébile. Il n’est ni dissimulé, ni interrompu et doit :
« 1° Permettre l’identification et la vérification de l’authenticité d’une unité de conditionnement de produits du tabac pendant toute la durée de la mise sur le marché du produit du tabac concerné ;
« 2° Empêcher son remplacement, sa réutilisation ou sa modification de quelque manière que ce soit.
« III. – Le ministre chargé des douanes peut :
« 1° Décider de mettre en œuvre ou de retirer un système de rotation des dispositifs de sécurité ;
« 2° Exiger le remplacement d’un dispositif de sécurité lorsqu’il a des raisons de croire que l’intégrité de ce dispositif est compromise ;
« 3° Définir des orientations ou des prescriptions officielles relatives à la sécurité des procédures de production et de distribution, concernant par exemple l’utilisation d’équipements et d’autres composants sécurisés, les audits, les instruments de contrôle des quantités produites et les expéditions sécurisées, afin de prévenir, d’empêcher, de déceler et de réduire la production et la distribution illicites ainsi que le vol de dispositifs de sécurité et des éléments authentifiants qui les composent.
« Les équipements nécessaires à la détection des éléments authentifiants sont fournis gratuitement par les fabricants et importateurs aux agents des administrations chargées de les contrôler. » ;
4° Le 6° de l’article L. 3512-26 est ainsi rédigé :
« 6° Les caractéristiques que doit revêtir l’identifiant unique, les conditions de désignation du fournisseur d’identifiant unique et les cas de livraison physique des identifiants uniques, mentionnés à l’article L. 3512-23 ainsi que les autres conditions d’application des articles L. 3512-24 et L. 3512-25 en matière de traçabilité et de dispositif de sécurité. » ;
5° L’article L. 3515-4 est ainsi modifié :
a) Au début du premier alinéa, est ajoutée la mention : « I. – » ;
b) Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – Sont punies d’une amende de 1 000 à 5 000 €, d’une pénalité de une à cinq fois la valeur des tabacs sur lesquels a porté la fraude, sans préjudice de la confiscation des tabacs, les infractions aux articles L. 3512-23 à L. 3512-25 et à leurs dispositions d’application, autres que celles prévues aux 3°, 4° et 5° du I du présent article.
« Lorsque les infractions prévues au premier alinéa du présent II sont commises en bande organisée, les amendes et pénalités prévues au même premier alinéa sont doublées et une peine d’un an d’emprisonnement est encourue.
« Les infractions prévues aux deux premiers alinéas du présent II sont recherchées, constatées et poursuivies comme en matière de contributions indirectes.
« Ces infractions peuvent être recherchées et constatées par les officiers de police judiciaire agissant conformément aux dispositions du code de procédure pénale. »
II. – (Supprimé)
III. – Au premier alinéa du I de l’article L. 80 N du livre des procédures fiscales, après le mot : « tabac », sont insérés les mots : « et les infractions aux articles L. 3512-23 à L. 3512-25 du code de la santé publique et à leurs dispositions d’application » et à la fin du même alinéa, les mots : « code de la santé publique » sont remplacés par les mots : « même code ».
IV. – Après le 6° du I de l’article 28-1 du code de procédure pénale, il est inséré un 6° bis ainsi rédigé :
« 6° bis Les infractions prévues aux articles L. 3512-23 à L. 3512-25 du code de la santé publique et à leurs textes d’application ; ».
Article 11
I. – Le code général des impôts est ainsi modifié :
A. – L’article 238-0 A est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa du 1, les mots : « non membres de la Communauté européenne » sont supprimés ;
2° Le 2 est ainsi modifié :
a) (Supprimé)
b) Le dernier alinéa est supprimé ;
3° Après le même 2, sont insérés des 2 bis et 2 ter ainsi rédigés :
« 2 bis. Nonobstant le 2, sont inscrits sur la liste mentionnée au 1 les États et territoires, autres que ceux de la République française, figurant à la date de publication de l’arrêté mentionné au même 1 sur l’annexe I, le cas échéant actualisée, relative à la liste de l’Union européenne des pays et territoires non coopératifs à des fins fiscales, des conclusions adoptées par le Conseil de l’Union européenne le 5 décembre 2017, pour l’un des motifs suivants :
« 1° Ils ne respectent pas le critère, défini à l’annexe V des conclusions du Conseil de l’Union européenne citées ci-dessus, relatif aux États ou territoires facilitant la création de structures ou de dispositifs extraterritoriaux destinés à attirer des bénéfices qui n’y reflètent pas une activité économique réelle ;
« 2° Ils ne respectent pas au moins un des autres critères définis à la même annexe V ;
« 2 ter. L’arrêté des ministres chargés de l’économie et du budget modifiant la liste indique le motif qui, en application du 2 et des 1° ou 2° du 2 bis, justifie l’ajout ou le retrait d’un État ou territoire. » ;
4° Au premier alinéa du 3, les mots : « relatives aux États ou territoires non coopératifs s’appliquent à ceux qui sont ajoutés à cette liste, par arrêté pris en application du 2, » sont remplacés par les mots : « et du livre des procédures fiscales relatives aux États ou territoires non coopératifs s’appliquent à ceux qui sont ajoutés à cette liste par arrêté pris en application des 2 et 2 bis » ;
B. – Le dernier alinéa du 5 de l’article 39 terdecies est ainsi modifié :
1° Après les mots : « non coopératif », sont insérés les mots : « au sens de l’article 238-0 A du présent code autre que ceux mentionnés au 2° du 2 bis du même article 238-0 A » ;
2° Sont ajoutés les mots : « , sauf si la société de capital-risque apporte la preuve que les opérations de la société établie hors de France dans laquelle est prise la participation correspondent à des opérations réelles qui ont principalement un objet et un effet autres que de permettre la localisation de bénéfices dans un État ou territoire non coopératif » ;
C. – Le deuxième alinéa du II bis de l’article 125-0 A est complété par les mots : « autre que ceux mentionnés au 2° du 2 bis du même article 238-0 A, sauf si le débiteur apporte la preuve que les opérations auxquelles correspondent ces revenus et produits ont principalement un objet et un effet autres que de permettre la localisation de ces revenus et produits dans un État ou territoire non coopératif au sens dudit article 238-0 A » ;
D. – Le VI de l’article 182 A bis est ainsi modifié :
1° Après la référence : « article 238-0 A », sont insérés les mots : « autre que ceux mentionnés au 2° du 2 bis du même article 238-0 A » ;
2° Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Cette retenue est libératoire de l’impôt sur le revenu et n’est pas remboursable. » ;
E. – La première phrase du V de l’article 182 A ter est complétée par les mots : « autre que ceux mentionnés au 2° du 2 bis du même article 238-0 A, sauf si le débiteur apporte la preuve que ces avantages ou gains correspondent à des opérations réelles qui ont principalement un objet et un effet autres que de permettre leur localisation dans un État ou territoire non coopératif » ;
F. – Le III de l’article 182 B est ainsi rédigé :
« III. – Le taux de la retenue est porté à 75 % lorsque les sommes et produits, autres que les salaires, mentionnés au I sont payés à des personnes domiciliées ou établies dans un État ou territoire non coopératif au sens de l’article 238-0 A autre que ceux mentionnés au 2° du 2 bis du même article 238-0 A, sauf si le débiteur apporte la preuve que ces sommes correspondent à des opérations réelles qui ont principalement un objet et un effet autres que de permettre leur localisation dans un État ou territoire non coopératif. Cette retenue est libératoire de l’impôt sur le revenu et n’est pas remboursable. » ;
G. – Le premier alinéa de l’article 244 bis est complété par les mots : « autre que ceux mentionnés au 2° du 2 bis du même article 238-0 A, sauf s’ils apportent la preuve que les opérations auxquelles correspondent ces profits ont principalement un objet et un effet autres que de permettre leur localisation dans un État ou territoire non coopératif » ;
H. – Le deuxième alinéa de l’article 244 bis B est complété par les mots : « autre que ceux mentionnés au 2° du 2 bis du même article 238-0 A, sauf s’ils apportent la preuve que les opérations auxquelles correspondent ces profits ont principalement un objet et un effet autres que de permettre leur localisation dans un État ou territoire non coopératif » ;
İ. – Au c du 2 de l’article 39 duodecies, au premier alinéa du III de l’article 125 A, au d du 6 de l’article 145, au premier alinéa du 3 de l’article 150 ter, au premier alinéa du 1 et au dernier alinéa du 2 du II de l’article 163 quinquies C, au premier alinéa de l’article 163 quinquies C bis, au 2 de l’article 187, au premier alinéa du a sexies-0 ter du I de l’article 219 et au dernier alinéa du 2 du II de l’article 792-0 bis, après la référence : « 238-0 A », sont insérés les mots : « autre que ceux mentionnés au 2° du 2 bis du même article 238-0 A » ;
J. – Le cinquième alinéa du 2 de l’article 119 bis est complété par les mots : « autre que ceux mentionnés au 2° du 2 bis du même article 238-0 A ».
II. – Le 4° de l’article L. 62 A du livre des procédures fiscales est complété par les mots : « autres que ceux mentionnés au 2° du 2 bis du même article 238-0 A, sauf si le redevable apporte la preuve que les opérations auxquelles correspondent ces sommes ont principalement un objet et un effet autres que de permettre leur localisation dans un État ou territoire non coopératif ».
II bis. – Le Gouvernement informe chaque année les commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat compétentes en matière de finances et d’affaires étrangères de l’évolution de la liste des États et territoires non coopératifs mentionnée à l’article 238-0 A du code général des impôts. Cette information peut faire l’objet d’un débat.
III. – Les I et II du présent article s’appliquent à compter du premier jour du deuxième mois qui suit la publication de la présente loi.
Article 11 bis B
I. – Au deuxième alinéa de l’article 238 A du code général des impôts, les mots : « plus de la moitié » sont remplacés par les mots : « 40 % ou plus ».
II. – Le I entre en vigueur le 1er janvier 2020.
Article 11 bis C
L’article 6 de la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires est ainsi modifié :
1° (Supprimé)
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Ce débat porte également sur l’application au sein de l’Union européenne des dispositions du code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises présenté dans les conclusions du Conseil ECOFIN du 1er décembre 1997 en matière de politique fiscale ainsi que sur les recommandations de la Commission européenne dans le cadre du semestre européen et de son analyse annuelle de la situation économique et sociale dans les États membres. »
Article 11 bis
L’Agence française de développement et les sociétés ou établissements publics qui lui sont liés au sens du 12 de l’article 39 du code général des impôts ne peuvent participer au financement d’un projet si l’actionnaire de contrôle est immatriculé dans un État ou territoire considéré comme non coopératif au sens de l’article 238-0 A du même code, sauf si cet actionnaire établit que son immatriculation est justifiée par un intérêt économique réel dans l’État ou le territoire concerné ou lorsque le projet financé est réalisé dans l’État ou le territoire concerné.
Article 12
Le chapitre III du titre III de la première partie du livre des procédures fiscales est ainsi modifié :
1° Les trois derniers alinéas de l’article L. 247 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :
« L’administration ne peut transiger lorsque le contribuable met en œuvre des manœuvres dilatoires visant à nuire au bon déroulement du contrôle. »
2° L’article L. 251 A est ainsi modifié :
a) La première phrase est complétée par les mots : « , qui mentionne le nombre, le montant total, le montant médian et le montant moyen des remises accordées, répartis par type de remise accordée et par imposition concernée, pour les personnes morales et pour les personnes physiques » ;
b) (Supprimé)
TITRE III
RÉFORME DE LA PROCÉDURE DE POURSUITE PÉNALE DE LA FRAUDE FISCALE
Article 13
I. – Le livre des procédures fiscales est ainsi modifié :
1° A Après l’article L. 142, il est inséré un article L. 142 A ainsi rédigé :
« Art. L. 142 A. – Les agents des finances publiques sont déliés du secret professionnel à l’égard du procureur de la République avec lequel ils peuvent échanger des informations couvertes par ce secret indépendamment de l’existence d’une plainte ou d’une dénonciation déposée en application de l’article L. 228 ou d’une procédure judiciaire en cours. » ;
1° L’article L. 228 est ainsi rédigé :
« Art. L. 228. – I. – Sans préjudice des plaintes dont elle prend l’initiative, l’administration est tenue de dénoncer au procureur de la République les faits qu’elle a examinés dans le cadre de son pouvoir de contrôle prévu à l’article L. 10 qui ont conduit à l’application, sur des droits dont le montant est supérieur à 100 000 € :
« 1° Soit de la majoration de 100 % prévue à l’article 1732 du code général des impôts ;
« 2° Soit de la majoration de 80 % prévue au c du 1 de l’article 1728, aux b ou c de l’article 1729, au I de l’article 1729-0 A ou au dernier alinéa de l’article 1758 du même code ;
« 3° Soit de la majoration de 40 % prévue au b du 1 de l’article 1728 ou aux a ou b de l’article 1729 dudit code, lorsqu’au cours des six années civiles précédant son application le contribuable a déjà fait l’objet lors d’un précédent contrôle de l’application des majorations mentionnées aux 1° et 2° du présent I et au présent 3° ou d’une plainte de l’administration.
« L’administration est également tenue de dénoncer les faits au procureur de la République lorsque des majorations de 40 %, 80 % ou 100 % ont été appliquées à un contribuable soumis aux obligations prévues à l’article L.O. 135-1 du code électoral et aux articles 4 et 11 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, sur des droits dont le montant est supérieur à la moitié du montant prévu au premier alinéa.
« L’application des majorations s’apprécie au stade de la mise en recouvrement. Toutefois, lorsqu’une transaction est conclue avant la mise en recouvrement, l’application des majorations s’apprécie au stade des dernières conséquences financières portées à la connaissance du contribuable dans le cadre des procédures prévues aux articles L. 57 et L. 76 du présent livre.
« Lorsque l’administration dénonce des faits en application du présent I, l’action publique pour l’application des sanctions pénales est exercée sans plainte préalable de l’administration.
« Les dispositions du présent I ne sont pas applicables aux contribuables ayant déposé spontanément une déclaration rectificative.
« II. – Sous peine d’irrecevabilité, les plaintes portant sur des faits autres que ceux mentionnés aux premier à cinquième alinéas du I et tendant à l’application de sanctions pénales en matière d’impôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d’affaires, de droits d’enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre sont déposées par l’administration à son initiative, sur avis conforme de la commission des infractions fiscales.
« La commission examine les affaires qui lui sont soumises par le ministre chargé du budget. Le contribuable est avisé de la saisine de la commission qui l’invite à lui communiquer, dans un délai de trente jours, les informations qu’il jugerait nécessaires.
« Le ministre est lié par les avis de la commission.
« Un décret en Conseil d’État fixe les conditions de fonctionnement de la commission.
« Toutefois, l’avis de la commission n’est pas requis lorsqu’il existe des présomptions caractérisées qu’une infraction fiscale a été commise pour laquelle existe un risque de dépérissement des preuves et qui résulte :
« 1° Soit de l’utilisation, aux fins de se soustraire à l’impôt, de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d’organismes établis à l’étranger ;
« 2° Soit de l’interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l’étranger ;
« 3° Soit de l’usage d’une fausse identité ou de faux documents au sens de l’article 441-1 du code pénal, ou de toute autre falsification ;
« 4° Soit d’une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l’étranger ;
« 5° Soit de toute autre manœuvre destinée à égarer l’administration.
« Cette commission est également chargée de donner un avis à l’administration lorsque celle-ci envisage de rendre publiques des sanctions administratives, en application de l’article 1729 A bis du code général des impôts. » ;
2° (Supprimé)
2° bis Après l’article L. 228 B, il est inséré un article L. 228 C ainsi rédigé :
« Art. L. 228 C. – Lorsque l’administration a déposé une plainte tendant à l’application de sanctions pénales en matière d’impôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d’affaires, de droits d’enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre ou dénoncé les faits au procureur de la République, l’action publique peut être exercée sans nouvelle plainte ou dénonciation en cas de découverte de faits de fraude fiscale concernant le même contribuable et portant sur d’autres impôts ou taxes ou sur une période différente. » ;
3° et 4° (Supprimés)
I bis. – L’article L. 228 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction résultant du présent article, s’applique aux contrôles pour lesquels une proposition de rectification a été adressée à compter de la publication de la présente loi.
II et III. – (Supprimés)
IV. – À l’article L. 188 B du livre des procédures fiscales, au 8° du II de l’article 131-26-2 du code pénal, au deuxième alinéa du I de l’article 28-2, au 5° de l’article 705 et au 2° de l’article 706-1-1 du code de procédure pénale, après les références : « aux 1° à 5° », est insérée la référence : « du II ».
Article 14
Au premier alinéa de l’article L. 229 du livre des procédures fiscales, après le mot : « assiette », sont insérés les mots : « , du contrôle ».
Article 15
I. – Le I de l’article 128 de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le document relatif à la politique mentionnée au 21° précise notamment les outils fiscaux en vigueur contre la fraude, l’évasion et l’optimisation fiscales en faisant état de leur utilisation, de leur rendement individuel et des modifications susceptibles d’être apportées pour améliorer leur performance. Le document précise également les moyens humains et techniques affectés à la lutte contre la fraude, l’évasion et l’optimisation fiscales aux niveaux national et international. »
II. – (Supprimé)
M. le président. Nous allons maintenant examiner l’amendement déposé par le Gouvernement.
articles 1er A à 5 bis
M. le président. Sur les articles 1er A à 5 bis, je ne suis saisi d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…
Le vote est réservé.
article 6
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Remplacer les mots :
au deuxième alinéa du présent II
par les mots
à l’avant-dernier alinéa du I
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Il s’agit d’un amendement de coordination, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. Sur les articles 7 à 15, je ne suis saisi d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…
Le vote est réservé.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l’ensemble du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, dans la rédaction du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par l’amendement du Gouvernement.
(Le projet de loi est adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures cinquante.)
M. le président. La séance est reprise.
4
Programmation 2018-2022 et réforme pour la justice – Renforcement de l’organisation des juridictions
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi et d’un projet de loi organique dans les textes de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (projet n° 463 [2017-2018], texte de la commission n° 13, rapport n° 11, tomes I et II) et du projet de loi organique relatif au renforcement de l’organisation des juridictions (projet n° 462 [2017-2018], texte de la commission n° 12, rapport n° 11, tomes I et II).
La procédure accélérée a été engagée sur ces textes.
Il a été décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, faire de la justice une priorité : c’est l’engagement qu’avait pris le Président de la République en 2017 devant les Français. Le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice ainsi que le projet de loi organique qui l’accompagne témoignent du respect de cet engagement par le Gouvernement.
Le constat est ancien ; il est clair, il est partagé. La société française se transforme, l’État redéfinit ses missions, les services publics se modernisent, et celui de la justice n’échappe évidemment pas à ces mutations. Pour rendre le meilleur service possible aux citoyens, la justice doit se renforcer et s’adapter.
Pour se renforcer, il lui faut des moyens. Or nous devons, en la matière, rattraper un retard cruel. Le Gouvernement répond donc à cette nécessité en décidant de consacrer un budget très important à la justice. Cette augmentation budgétaire est bien entendu absolument nécessaire ; elle ne saurait pourtant à elle seule suffire à relever les défis qui sont devant nous : il nous faut aussi adapter la justice aux besoins des justiciables et gagner en efficacité. Des réformes s’imposent donc.
Depuis que m’a été confiée la responsabilité du ministère de la justice, je me suis évertuée à aller à la rencontre des magistrats, des greffiers, des agents, des professionnels du droit et des justiciables, partout en France. Lors de mes nombreux déplacements et au travers des échanges que j’ai pu avoir en ces occasions, j’ai été frappée par la confiance que nos concitoyens ont en l’indépendance de la justice, mais aussi par le fait qu’ils la jugent trop complexe et trop lente. Ils ont raison.
Mon ambition est simple ; elle peut paraître modeste, mais je la crois au contraire essentielle : je souhaite que les Français se sentent protégés, écoutés, pris en considération par leur justice. J’ai la conviction profonde que la justice sera plus crédible si elle est rendue avant tout compréhensible pour les citoyens et si elle apporte des solutions en temps utile aux problèmes quotidiens qu’ils rencontrent. C’est cette conviction qui donne au projet que je vous présente ses caractéristiques propres et un contenu ambitieux.
Le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice est caractérisé par trois traits : la réforme proposée est globale et concrète ; elle a été construite pour les justiciables ; elle consacre des moyens importants à la justice.
Dès mon entrée à la Chancellerie, j’ai fait un choix : celui d’une réforme globale et concrète. Globale, parce que le texte qui vous est présenté conjugue des moyens – c’est une loi de programmation – et des évolutions relatives aux procédures, aux méthodes et à l’organisation – c’est une loi de réforme de la justice. Concrète, cette réforme entend l’être, car elle s’appuie de manière pragmatique sur des propositions venues du terrain, dans le respect de principes indépassables, telle la garantie des droits.
Je n’ai pas tenu compte, dans l’élaboration de la réforme que je vous propose, de considérations idéologiques dont notre justice a parfois trop souffert par le passé. Ma volonté est simplement de mettre en action des principes qui auront un effet direct et rapide au quotidien. C’est ce souci qui a dicté la méthode que j’ai voulu mettre en œuvre pour construire cette loi de programmation et de réforme.
Cette réforme a été construite avec les acteurs du droit et pour le justiciable. J’ai organisé une grande consultation, les chantiers de la justice, d’octobre 2017 à janvier 2018. Cette consultation m’a permis d’entendre tous les acteurs et de faire remonter des propositions issues du terrain.
Des concertations ont ensuite été menées avec toutes les parties prenantes. J’ai voulu écouter les propositions, comprendre les arguments et y répondre, sans jamais abandonner mes ambitions pour la justice.
Une réforme, bien entendu, suscite toujours des réactions, surtout dans notre pays. Certains expriment des craintes face au changement ; d’autres ont des aspirations nouvelles, qu’ils font valoir. Ces craintes et ces aspirations sont loin d’être toujours convergentes, selon que l’on se place du point de vue des avocats, du point de vue des magistrats ou du point de vue des élus. Pour ma part, je n’ai qu’une seule boussole : l’intérêt des justiciables, c’est-à-dire, au fond, l’intérêt général.
C’est dans cet esprit que les deux projets de loi que je vous présente ont été déposés sur le bureau du Sénat. Ce choix, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, n’est pas dû au hasard : je sais le travail accompli par votre commission des lois sur ces questions. Je salue d’ailleurs ce travail, qui nourrira nos débats.
M. Jean-François Husson. Très bien !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. La réforme consacre des moyens pour la justice. Il s’agit, je l’ai indiqué, d’une priorité gouvernementale. Nous avons besoin de moyens pour investir et pour recruter, afin d’assurer une justice de qualité. C’est tout l’intérêt d’une loi de programmation sur cinq ans, qui offre une visibilité indispensable. Les moyens mis en jeu sont considérables.
Une première étape a été franchie avec la loi de finances pour 2018, comportant une hausse de 3,9 % du budget de la justice et la création de 1 100 emplois. Une deuxième étape est intervenue avec le budget pour 2019 : l’augmentation de nos moyens s’accélère, avec une hausse des crédits de 4,5 % et la création de 1 300 emplois.
Le présent projet de loi de programmation prévoit des moyens dont l’importance doit être mesurée à la hauteur de la discipline budgétaire à laquelle le Gouvernement s’astreint par ailleurs. Le budget de la justice augmentera de 1,6 milliard d’euros en cinq ans, passant de 6,7 milliards d’euros à 8,3 milliards d’euros hors pensions, soit une hausse de 24 %. Cela nous permettra d’engager le recrutement de 6 500 emplois. On peut évidemment vouloir toujours plus et proposer des chiffres encore plus élevés ; tout est toujours possible, mais on ne peut s’abstraire d’un contexte financier et budgétaire global, et je crois qu’il ne faut pas nier le caractère positif de la mise en jeu de tels moyens au service de la justice.
De l’utilisation de ces moyens, on peut attendre une amélioration des conditions de travail des magistrats et des personnels, une résorption des vacances de postes – elle a déjà commencé – et la possibilité de constituer de véritables équipes autour des magistrats.
Ce budget va aussi nous permettre de passer de l’ère de l’informatique à l’ère du numérique. Il s’agit pour moi d’un élément stratégique : c’est « le » défi qu’il nous faut relever pour que la justice soit vraiment à la hauteur de l’attente des justiciables. À cette fin, nous allons engager plus d’un demi-milliard d’euros pour mener la révolution numérique.
Enfin, ces moyens se déploieront naturellement dans le secteur pénitentiaire, avec la construction de 15 000 places de prison, dont 7 000 seront livrées et 8 000 engagées d’ici à 2022. Le texte comporte d’ailleurs des dispositions permettant d’accélérer la construction des établissements pénitentiaires par l’allégement de certaines procédures. Votre commission des lois les a en partie écartées, ce que je regrette.
J’ajoute que le projet de loi de programmation prévoit la création de vingt centres d’éducation fermés. Ils constitueront l’une des réponses envisageables, parmi une gamme de propositions, à la question des jeunes mineurs délinquants.
Mais, au-delà des moyens, il s’agit d’abord d’un texte de réforme, comme le Conseil d’État l’a souligné dans son avis.
Le contenu ambitieux du projet de loi de programmation et de réforme pour la justice se dessine autour de six axes.
Le premier a trait à la procédure civile. Celle-ci concerne la justice de tous les jours, de la vie quotidienne, peu spectaculaire, mais pourtant essentielle. Mon projet est simple : il faut simplifier les procédures, faciliter la vie des gens, recentrer le juge sur son cœur de métier, tout en maintenant une justice humaine, protectrice et proche des justiciables, c’est-à-dire une justice de meilleure qualité. Tel est le sens des dispositions du projet de loi.
Simplifier les procédures passe, par exemple, par la réduction des modes de saisine de la juridiction civile ou par l’instauration d’une procédure de divorce plus fluide, en divisant par deux la durée des divorces contentieux, qui dépasse aujourd’hui deux ans.
Faciliter la vie des gens, c’est supprimer les formalités inutiles en matière de protection des majeurs vulnérables, tout en renforçant encore leurs droits fondamentaux, notamment l’exercice de leur droit de suffrage. La dématérialisation des petits litiges du quotidien est une voie à explorer et une faculté nouvelle à offrir à nos concitoyens pour plus de simplicité. La dématérialisation des injonctions de payer permettra d’obtenir une ordonnance plus rapidement.
Recentrer le juge sur son cœur de métier nécessite de développer les règlements amiables des différends, comme nous le proposons. Cela suppose aussi que nous prenions en considération les outils nouveaux que sont les plateformes juridiques, mais en les encadrant avec un haut niveau de garanties pour les utilisateurs.
Assurer une justice de meilleure qualité, c’est par exemple proposer d’étendre le périmètre de la représentation obligatoire par avocat. Cela s’appliquera non pas aux litiges inférieurs à 10 000 euros, mais à certains contentieux complexes, permettant d’assurer une justice de meilleure qualité.
Grâce à ces mesures et à de nombreuses autres, l’expertise de l’avocat sera plus fine et mieux dirigée dans l’intérêt du client. Le travail du juge sera facilité : il sera recentré sur son office et la résolution des litiges ne passera plus nécessairement par le juge, afin de pacifier et de responsabiliser la société.
Je dois constater que votre commission des lois envisage de revenir sur la plupart des mesures proposées en matière de procédure civile, en les vidant bien souvent de leur substance. Je le regrette. Je ne partage pas les préventions de votre commission des lois quant au recours au numérique et à la dématérialisation. Ces préventions m’ont d’ailleurs étonnée, je dois l’avouer. Je crois que de telles évolutions constituent au contraire un grand progrès si les garanties nécessaires sont apportées et si la justice demeure humaine. C’est le cas dans le projet que je porte et il ne saurait en aller autrement.
Je ne souhaite pas pour ma part renoncer à l’ambition de cette réforme. Comme je l’ai souligné à plusieurs reprises, le statu quo n’est pas acceptable. Mais nous en débattrons.
Le deuxième axe concerne la procédure pénale. Je ne veux pas céder ici au fantasme du « grand soir » de la procédure pénale. J’ai au contraire voulu construire des solutions pratiques nées des constats issus du terrain, grâce à un travail conduit en commun avec le ministère de l’intérieur pour la phase d’enquête.
La procédure pénale s’est complexifiée ces dernières années, à l’occasion de réformes qui se sont succédé, empilées, parfois sans cohérence. Cela nuit à l’action de l’autorité judiciaire et des enquêteurs. Parallèlement, la criminalité prend des formes nouvelles qui imposent davantage de réactivité et de simplicité dans l’action.
Nous devons donc nous adapter pour mieux protéger les Français. Mon objectif est d’atteindre plus d’efficacité tant pour les justiciables que pour les acteurs de la justice, cela sans sacrifier la garantie des droits.
À cette fin, il faut simplifier le travail des acteurs, mieux protéger les victimes, lutter contre la délinquance du quotidien.
Simplifier le travail des acteurs, qu’ils soient enquêteurs ou magistrats, est bien une priorité. C’est la raison pour laquelle je souhaite une numérisation complète des procédures. C’est aussi pour cela que le texte prévoit toute une série d’harmonisations, concernant par exemple les seuils de déclenchement de certaines procédures. Plus de clarté dans les textes et de simplicité dans les procédures, c’est naturellement une action pénale plus simple au bénéfice final des justiciables.
Mieux protéger les victimes est aussi une de mes grandes préoccupations. Le dépôt de plainte en ligne constituera un réel progrès, notamment pour les victimes de violences sexuelles ou conjugales, qui hésitent parfois à franchir le seuil des commissariats pour porter plainte. Dans le même esprit, je propose l’expérimentation du tribunal criminel départemental, afin notamment d’éviter la correctionnalisation de certains crimes, par exemple les viols. Votre commission des lois a suivi le Gouvernement sur ce point, et c’est important.
Lutter contre la délinquance du quotidien est également une nécessité. L’instauration des amendes forfaitaires pour l’usage de stupéfiants ou l’extension de l’interdiction de comparaître constituent des exemples à cet égard. La commission des lois a approuvé cette démarche.
J’ai vu certains professionnels du droit s’exprimer récemment dans la presse dans des termes souvent bien différents de ceux employés lors des réunions de travail que j’ai pu tenir avec eux,…
M. Jean-François Husson. Comment est-ce possible ? (Sourires.)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. … pour dénoncer les atteintes qui seraient prétendument portées à la garantie des droits. J’ai d’ailleurs entendu en même temps et d’un autre côté que ce texte offrait trop de garanties, au risque d’entraver le travail des enquêteurs… Tout cela est excessif et me semble infondé. Ce sont des postures. Je souhaite que nos débats soient l’occasion de clarifier les choses.
Les garanties constitutionnelles sont bien là. J’y ai veillé. Le Conseil d’État l’a amplement confirmé dans son avis. Au renforcement des pouvoirs des enquêteurs répond le contrôle des magistrats du parquet et du siège, notamment par l’intermédiaire du juge des libertés et de la détention, sur les actes d’enquête. Je rappelle que les magistrats du parquet sont avant tout des magistrats, indépendants et garants à ce titre également de la liberté individuelle. Quant aux juges des libertés et de la détention, je ne crois pas que les contrôles qu’ils exercent soient de nature formelle. Par l’intervention de ce juge statutaire, la garantie des droits est bien assurée.
Je dois l’avouer, je m’interroge sur la position adoptée par votre commission des lois, qui a très sensiblement modifié ce texte dans un sens qui me semble parfois éloigné des besoins réels des juridictions, des enquêteurs et des justiciables. J’évoquerai ici quelques exemples.
Votre commission des lois a supprimé la procédure de comparution différée. Or, il faut en avoir conscience, à l’heure actuelle, faute de disposer de cette procédure, les parquets se voient fréquemment contraints d’ouvrir des informations judiciaires, afin de solliciter le placement d’un suspect en détention provisoire pour éviter sa fuite, et ce alors que l’enquête est pourtant sur le point d’aboutir. Cette procédure de comparution différée pourrait épargner demain des mois de détention provisoire à ces suspects en sollicitant du juge des libertés et de la détention une détention provisoire de seulement quelques jours dans l’attente du retour des actes de procédures manquants.
De même, prévoir, comme le souhaite votre commission, le droit pour les suspects d’être assistés par un avocat lors d’une perquisition créera des difficultés opérationnelles majeures pour les enquêteurs sur le terrain.
Il faut être clair : sur ce plan, le texte de la commission des lois peut apparaître comme en retrait pour ce qui est de l’efficacité des enquêtes et en contradiction avec le constat dressé récemment par la mission d’information, qui appelait à « vaincre le malaise des forces de sécurité intérieure »… Mais, là encore, nous en débattrons plus en détail.
Le troisième axe est de redéfinir le sens et l’efficacité de la peine. Notre objectif est ici de mieux réprimer les infractions, de mieux protéger la société et de mieux réinsérer. C’est un chantier essentiel ; il doit s’envisager en lien avec le plan pénitentiaire que j’ai récemment eu l’occasion de présenter.
Il faut d’abord remettre de l’ordre dans notre droit de la peine. Le postulat de base est simple : ceux qui doivent aller en prison doivent s’y rendre réellement ; ceux qui n’ont rien à y faire doivent être sanctionnés, mais d’une autre manière.
C’est pourquoi je propose une nouvelle échelle des peines, considérant que toute infraction mérite sanction : en dessous d’un mois, je propose que les peines d’emprisonnement ferme soient interdites ; entre un et six mois, la peine s’exécutera par principe en dehors d’un établissement de détention ; entre six mois et un an, le tribunal aura la possibilité d’imposer que la peine s’exécute en détention, mais il pourra aussi orienter vers un aménagement de peine ; au-delà d’un an, les peines d’emprisonnement seront exécutées sans aménagement ab initio. Le seuil d’aménagement des peines d’emprisonnement sera ainsi abaissé de deux ans à un an par une modification de l’article 723-15 du code de procédure pénale.
Mon objectif est de mettre fin aux emprisonnements de courte durée, très souvent inutiles, désocialisants, qui nourrissent la récidive. Mais il faut aussi assurer une exécution effective des peines prononcées. Aujourd’hui, l’inexécution des peines de prison rend incompréhensible notre justice pénale, aussi bien pour les victimes que pour les délinquants. Il faut que les peines prononcées en lieu et place de la prison soient des peines réelles, utiles et autonomes, qu’il s’agisse des travaux d’intérêt général ou de la détention à domicile sous surveillance électronique – c’est le « bracelet électronique » –, que nous proposons de développer.
L’efficacité ne consiste pas à invoquer la prison comme un mantra ou une martingale.
M. Jean-François Husson. C’est vous qui aviez promis 15 000 places !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Ce n’est pas non plus vouloir vider les prisons au nom d’une vision irénique de la société. J’appelle à sortir de ces schémas tout faits, qui nous empêchent de voir la réalité telle qu’elle est.
Je constate que votre commission des lois, si elle partage les objectifs globaux que je propose, a adopté un point de vue opérationnel différent, en particulier sur les plus courtes peines. La prison demeure pour elle un outil, une forme d’horizon pour les plus petits délits. Pour notre part, nous proposons une approche par paliers, afin de moduler davantage la réponse et de renforcer son individualisation. Elle ne souhaite pas faire du placement sous bracelet électronique une véritable peine. Ce n’est pourtant pas une commodité, mais bien une mesure coercitive, qui permet, comme l’affirmait Dominique Perben en 2004, d’« éviter la désocialisation […] et le contact parfois préjudiciable avec le milieu carcéral ». Pour les courtes peines, il me semble préférable que la juridiction de jugement prononce dès le départ le placement sous bracelet électronique, le placement en semi-liberté ou un placement extérieur. Il faut assumer que ces modalités d’exécution sont plus efficaces qu’une incarcération.
Si je propose par ailleurs un sursis probatoire, mêlant la contrainte pénale et le sursis avec mise à l’épreuve, c’est dans un souci d’efficacité et de souplesse, pour surmonter les difficultés rencontrées dans l’application de la peine de contrainte pénale depuis sa création. Là encore, nous partageons le même objectif, mais je crains que la peine de probation proposée par votre commission des lois ne permette pas de remédier aux lourdeurs actuelles. Nous avons là un point de divergence, que j’assume au nom de l’efficacité de la sanction et de la lutte contre la récidive.
Le quatrième axe de la réforme a trait à l’évolution de l’organisation judiciaire. Il s’agit de réformer sans brutaliser. Comme je l’ai précisé devant votre commission des lois, je n’ai pas dessiné de carte ; j’ai voulu proposer une méthode.
Mon projet est fondé sur deux préoccupations. D’abord, la proximité : le justiciable doit avoir un accès simple à la justice ; cela passe par une proximité physique, mais aussi par le développement du numérique. Ensuite, la qualité du service public de la justice : la dispersion des moyens, l’absence de spécialisation pour certains contentieux complexes ne me semblent pas être le gage d’une justice efficace.
Dès l’ouverture des chantiers de la justice, j’ai affirmé qu’il n’y aurait aucune fermeture de lieux de justice. Je tiens parole. Mais il faut aussi améliorer notre organisation. Cela passe par trois évolutions principales.
Le texte prévoit tout d’abord la fusion des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance. L’organisation de la première instance sera ainsi plus simple pour le justiciable, qui ne connaîtra plus qu’un seul tribunal,…
Mme Éliane Assassi. Mais loin de chez lui !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. … avec une seule procédure de saisine.
Tous les sites seront maintenus, je le redis clairement, afin d’assurer une justice de proximité pour les contentieux du quotidien. J’ai également décidé, à la suite de la concertation que j’ai menée, de maintenir un juge des contentieux de la protection, qui sera chargé des tutelles, du surendettement, des crédits à la consommation et des baux d’habitation. Ce juge spécialisé statutaire traitera des contentieux ainsi identifiés comme relevant des problématiques de vulnérabilité sociale ou économique. Pour optimiser le traitement des contentieux et s’adapter au mieux à la situation de chaque ressort, les chefs de cour pourront, dans les villes où il n’existe actuellement qu’un tribunal d’instance, confier à celui-ci des contentieux autres que ceux pouvant y être actuellement jugés. La justice s’adaptera ainsi au plus près à la réalité des besoins des justiciables.
Une deuxième évolution concerne les départements dans lesquels il existe plusieurs tribunaux de grande instance, qui sont tous maintenus. Les chefs de cour pourront également, après concertation locale, proposer de créer dans chacun de ces tribunaux des pôles de compétences qui jugeront, pour l’ensemble du département, certains contentieux spécialisés, techniques et de faible volume. L’idée est de permettre de renforcer les compétences des magistrats là où c’est utile et d’améliorer en conséquence les délais de jugement.
Enfin, le projet de loi prévoit d’expérimenter dans deux régions comportant plusieurs cours d’appel l’exercice par l’une d’elles de fonctions d’animation et de coordination, ainsi que la spécialisation des contentieux selon le modèle que je viens d’évoquer.
Le projet de loi organique tire les conséquences de la loi ordinaire quant à la fusion entre tribunaux d’instance et tribunaux de grande instance.
J’observe que la position de votre commission des lois sur ces questions a évolué. Vous étiez partis de l’idée d’un tribunal départemental imposé par la loi. C’était une réforme qui ne me semblait pas acceptable par les territoires. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai proposé une méthode plus concrète, partant des projets territoriaux, en concertation avec les acteurs, pour conjuguer proximité et qualité de la justice. Votre méthode prévoit, certes, la création de tribunaux de première instance, mais sans que soit ouverte la possibilité de mieux adapter au plus près du terrain les compétences de chaque juridiction pour améliorer la qualité de la justice. Là encore, je le regrette.
J’en terminerai en évoquant deux axes de la réforme un peu moins centraux.
Le cinquième axe de la réforme concerne la diversification du mode de prise en charge des mineurs délinquants. Outre la création de vingt centres éducatifs fermés, que j’ai annoncée précédemment, le texte permet de mieux préparer la sortie progressive des jeunes de ces structures, notamment le retour en famille, pour en atténuer les effets déstabilisants. Il sera aussi institué à titre expérimental une mesure éducative d’accueil de jour, troisième voie entre le placement et le milieu ouvert.
Je sais le travail mené dans la Haute Assemblée par Catherine Troendlé et Michel Amiel sur ces questions, et je ne doute pas que nous évoquerons ces sujets de manière plus approfondie lors de nos débats.
Le sixième axe concerne la procédure devant les juridictions administratives. Le projet de loi prévoit en effet le recrutement de juristes assistants pour renforcer les équipes autour des magistrats. Il prévoit aussi de renforcer l’exécution des décisions par des injonctions et des astreintes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est bien une réforme ambitieuse que je porte. Le Gouvernement vous proposera d’ailleurs de l’enrichir, notamment par des dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, avec la création d’un parquet national spécialement dédié, dispositions qui ont été soumises à votre commission des lois.
Mon objectif est à la fois simple et complexe : il s’agit de mieux servir les justiciables et la justice. Je suis certaine que nous le partageons.
Sur certains points, nous avons une approche différente. Sur d’autres, au contraire, nous nous rejoignons. Mais, ce qui nous réunit, c’est la volonté de faire que la justice de ce pays sorte enfin de l’état dans lequel elle se trouve. Cher Philippe Bas, vous vous étiez fixé comme objectif de « redresser » la justice. Je ne sais pas s’il faut la redresser, car elle me semble droite, en dépit de ses faiblesses ; ce dont je suis certaine, c’est qu’il faut la soutenir et la réformer. J’espère – je suis même convaincue – qu’ensemble nous trouverons les voies et moyens de promouvoir une réelle et belle réforme de la justice. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le corapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. François-Noël Buffet, corapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, mes chers collègues, avec son accord, j’interviendrai également au nom d’Yves Détraigne, corapporteur des deux textes.
Madame le garde des sceaux, le Sénat n’est pas réactionnaire en matière civile ni opposé, en matière pénale, à l’utilisation de nouveaux moyens technologiques dans les enquêtes. Il souhaite que l’on donne des moyens budgétaires importants à la justice, considérant, notamment depuis la remise du rapport du président Bas d’avril 2017, que ce ministère régalien manque encore de personnels – magistrats, greffiers, médiateurs… – ainsi que d’outils numériques et informatiques. Certains tribunaux, bien qu’équipés de matériels assez récents, utilisent encore des logiciels datant de 2008…
C’est pourquoi ce texte n’est, à nos yeux, qu’à mi-chemin de ce qu’il faudrait faire. Nous pensons qu’il faut plus de moyens. En matière civile, le justiciable ne saurait se trouver empêché d’avoir accès à son juge. Il n’est pas acceptable que le juge puisse ne pas être le garant des décisions rendues dans des procédures civiles relevant tout particulièrement d’affaires personnelles – je pense à la conciliation dans les divorces, à la fixation des pensions alimentaires ou aux actes de notoriété – et que cette responsabilité puisse être confiée à d’autres que des magistrats.
Nous ne sommes pas d’accord pour que le plus faible, celui qui ne dispose pas de l’outil informatique ou de la capacité de s’en servir, ne puisse plus avoir accès au juge.
Notre conviction profonde est qu’une justice qui fonctionne, c’est une justice qui est accessible partout sur le territoire et qui participe à l’aménagement du territoire.
En matière pénale, François Pillet l’a encore rappelé dans un ouvrage récent, nous sommes, ici au Sénat, les garants absolus des libertés publiques et individuelles. Si, demain, le procureur de la République bénéficie de moyens d’enquête supplémentaires très importants empruntés aux outils technologiques du renseignement, très performants mais aussi très intrusifs, il faut que le justiciable – chacun d’entre nous peut être un jour un justiciable ! – ait toujours la capacité de se défendre et de faire valoir son point de vue. La qualité de notre justice et, au-delà, le respect de celle-ci par nos concitoyens en dépendent.
Si nous pouvons approuver une partie des évolutions pénales que vous proposez, nous ne pouvons transiger sur le fait que le justiciable soit toujours informé de la procédure et en mesure de se défendre. Cela, nous y tenons fermement. C’est la raison pour laquelle la commission des lois a pris un certain nombre de mesures que je détaillerai rapidement.
Le Gouvernement a ajouté dans ce texte par voie d’amendement la création du parquet national antiterroriste et celle d’un juge chargé de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme. La commission des lois en délibérera demain matin et j’ignore ce qu’elle décidera. À ce stade, j’insisterai sur quelques points.
La commission des lois demande un effort budgétaire à la hauteur des enjeux du redressement. Cette demande est issue d’un travail important effectué par la commission des lois en 2017, qui nous amène à souhaiter une hausse des crédits de 5 % par an en moyenne. C’est la seule trajectoire budgétaire qui nous permettra de relever un défi à la fois technologique et humain. Des magistrats sont venus renforcer depuis les effectifs, mais il en faut d’autres. Nous avons aussi besoin de greffiers, de médiateurs et de conciliateurs.
La problématique budgétaire concerne également le volet pénitentiaire et la construction de places de prison. De ce point de vue, c’est la déception : la parole donnée par le Président de la République à cet égard ne sera pas respectée. (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Ce n’est pas la seule !
M. François-Noël Buffet, corapporteur. Il s’était engagé à créer 15 000 places de prison. Le projet de loi prévoit la construction de 7 000 places à l’horizon de 2022 – nous verrons si nous sommes capables de les produire – et de 8 000 autres au cours du prochain mandat. En fait, l’engagement est réduit de moitié alors même que, nous le savons tous, la surpopulation carcérale est totalement inadmissible.
M. Roland Courteau. Exactement !
M. François-Noël Buffet, corapporteur. Les conditions dans lesquelles un certain nombre de détenus sont regroupés ne sont pas acceptables dans une démocratie telle que la nôtre !
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. François-Noël Buffet, corapporteur. La fermeté n’empêche pas le respect des personnes. Nous souhaitons que les nouvelles places de prison puissent être construites dans le délai prévu. C’est un point de désaccord majeur entre la commission et le Gouvernement.
En matière civile, la commission des lois a essayé d’améliorer la rapidité et l’efficacité des procédures. Je me bornerai à citer quelques exemples à cet égard.
La commission a renforcé l’encadrement des services en ligne de résolution amiable des litiges, en l’étendant aux services d’aide à la saisine des juridictions. Elle a supprimé ou restreint certaines déjudiciarisations. Elle a conservé la phase de conciliation dans les procédures de divorce contentieux. Elle a veillé à ce que la dématérialisation des procédures ne se fasse pas au détriment de l’accès au juge pour tous les justiciables. Elle a relevé le niveau de protection de la vie privée dans l’open data des décisions de justice, comportant l’anonymisation des magistrats. Elle a veillé au maintien d’un contrôle effectif des comptes de gestion des personnes sous tutelle.
Nous avons aussi veillé à ce que les garanties soient protégées dans la procédure pénale. La commission a ainsi veillé à ce que l’accroissement des prérogatives du parquet, sous le contrôle souvent trop formel du juge des libertés et de la détention, et des services d’enquête, ainsi que la simplification de la procédure pénale, ne portent pas une atteinte excessive aux libertés. Nous avons limité l’extension à de nouvelles infractions de l’emploi de techniques d’enquête intrusives dans la vie privée – IMSI catchers, sonorisation –, veillé à ne pas marginaliser le juge d’instruction et maintenu la collégialité des travaux de la chambre de l’instruction. La commission a garanti la présence de l’avocat lors des perquisitions.
Nous avons maintenu l’obligation de présentation au procureur de la République pour la prolongation de la garde à vue et l’accord de la personne mise en cause pour la visioconférence. Nous avons supprimé la procédure de comparution à effet différé, qui permet de placer quelqu’un en détention pour quelques jours, alors que la population carcérale est déjà surabondante : il n’est pas possible de jouer avec la liberté des personnes ! Si le dossier n’est pas prêt, l’information judiciaire doit être ouverte. Saisir le tribunal correctionnel d’un dossier incomplet, c’est prendre un risque insupportable !
En matière d’exécution des peines et d’échelle des peines, la philosophie de la commission des lois est la suivante : nous voulons que les magistrats à l’audience correctionnelle puissent disposer de tous les outils possibles - la détention, bien sûr, mais pas seulement. Ils doivent pouvoir recourir à toute la panoplie des moyens de probation, comme Jacques Bigot et moi-même l’avions souligné dans notre rapport sur la nature des peines, leur efficacité et leur mise en œuvre, en ayant pour seul objectif que la peine prononcée à l’audience du tribunal correctionnel soit exécutée effectivement et rapidement. L’enjeu, c’est la crédibilité et donc le respect de notre justice ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et le projet de loi organique relatif au renforcement de l’organisation des juridictions. Ce n’est pas la première fois que nous sommes saisis d’un projet de loi visant à réformer la justice. La dernière fois, c’était il y a deux ans seulement, avec la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle…
Alors que le diagnostic est connu depuis longtemps, de même que les pistes de réforme possibles, la situation de la justice ne s’améliore pas, car le problème de fond est bien évidemment celui des moyens.
Oui, notre justice est dans un état critique aujourd’hui, car elle souffre d’un manque d’investissement prolongé, qui n’est pas du seul fait de ce gouvernement. Cette situation résulte d’une accumulation de réformes déstabilisantes souvent sous-financées, de délais de jugement qui s’allongent, d’un encombrement des juridictions civiles et pénales, d’une situation chronique de sous-effectif liée aux vacances de postes, d’un système illisible d’exécution des peines, qui conduit à ce que, souvent, la peine exécutée ne soit pas la peine prononcée, d’une surpopulation carcérale chronique, nos prisons comptant 70 164 détenus pour 59 875 places au 1er septembre 2018.
Ce constat de la situation très dégradée de la justice, je le connais bien en ma qualité de rapporteur pour avis des crédits de l’administration pénitentiaire, tout comme la commission des lois, puisqu’il a été dressé de façon très complète dans le rapport, présenté le 4 avril 2017, de la mission d’information sur le redressement de la justice présidée par Philippe Bas.
Les différentes pistes de réforme, en dehors de la seule hausse des moyens, sont connues également. Ces dernières années, de nombreuses préconisations claires et précises sur l’organisation des juridictions, le rôle du juge ou la réforme de la procédure civile, de la procédure pénale ou du droit des peines ont été faites.
Dans ces conditions, nous ne pouvons que regretter que le Gouvernement ait attendu le 20 avril 2018 pour nous présenter le projet de loi de programmation pour les années 2018 à 2022 et de réforme pour la justice, ainsi que le projet de loi organique relatif au renforcement de l’organisation des juridictions qui en est l’accessoire.
Les textes qui nous sont proposés portent sur cinq grands thèmes : la programmation budgétaire, la justice civile, la procédure pénale, l’exécution des peines et l’organisation judiciaire.
Sur l’initiative de ses rapporteurs, dont je tiens à saluer à cette tribune la qualité des travaux, la commission des lois a modifié les projets de loi ordinaire et organique afin de reprendre les mesures déjà adoptées par le Sénat en octobre 2017, y compris en matière budgétaire.
La commission des lois a adopté plus de 150 amendements sur ces deux textes.
Ainsi, en matière budgétaire, la commission a demandé un effort plus important, à la hauteur des enjeux du redressement de la justice.
En matière de justice civile, elle a amélioré l’efficacité et la rapidité des procédures, tout en veillant à la protection des personnes vulnérables, par la suppression ou l’encadrement de certaines mesures.
En matière de procédure pénale, elle a été soucieuse de maintenir l’équilibre entre l’efficacité des enquêtes et la garantie des libertés, mises en danger par un renforcement excessif des prérogatives du parquet.
En matière d’organisation judiciaire, la commission a clarifié la réforme, avec la création du tribunal de première instance, tout en veillant au maillage territorial et à la proximité de l’institution judiciaire.
Enfin, la commission a ajouté des mesures supplémentaires de réforme, issues de ses travaux antérieurs.
Je m’attarderai en particulier sur les travaux réalisés par la commission en matière d’exécution des peines, qui ont amélioré l’efficacité et la lisibilité du système, en renforçant le rôle de la juridiction de jugement et en créant une peine autonome de probation.
Les règles actuelles de l’aménagement des peines conduisent à ce que les peines exécutées soient trop rarement les peines prononcées.
Afin de remédier à cet état de fait, la commission a voulu donner à la juridiction de jugement la responsabilité de décider s’il y aura ou non aménagement de la peine qu’elle prononce par le juge de l’application des peines, voire de l’aménager elle-même, mais également la capacité de mieux évaluer la personnalité du condamné afin d’individualiser davantage la sanction prononcée, conformément aux conclusions de la mission d’information sur la nature des peines, leur efficacité et leur mise en œuvre.
Je me félicite que la commission ait ainsi restauré la crédibilité du prononcé et de l’exécution des peines, en supprimant tout examen obligatoire des peines d’emprisonnement aux fins d’aménagement.
La commission a également supprimé la peine de détention à domicile sous surveillance électronique, en raison de la confusion qu’elle induit, et conservé le placement sous surveillance électronique.
Elle a fait de la probation une peine autonome, permettant au juge de la prononcer le cas échéant en complément d’une peine d’emprisonnement.
Je me réjouis enfin que la commission ait supprimé le caractère automatique de la libération sous contrainte aux deux tiers de la peine.
Je ne peux que déplorer l’abandon du plan de construction de 15 000 places de prison supplémentaires d’ici à 2022, qui traduisait un engagement du Président de la République, même si l’on nous dit que cet engagement sera intégralement tenu au terme du prochain mandat… L’ambition a été ramenée à 7 000 places, mais, aucun chantier n’étant engagé à ce jour, nous pouvons malheureusement douter que même cet objectif plus modeste puisse être atteint.
Madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de l’adoption de ces deux textes ainsi modifiés et enrichis par notre commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Merci beaucoup !
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, à titre liminaire, permettez-moi de me réjouir que ce projet de loi de programmation et de réforme pour la justice et ce projet de loi organique de renforcement de l’organisation des juridictions aient été inscrits en première lecture d’abord à l’ordre du jour du Sénat. Une fois n’est pas coutume, dit-on généralement : j’espère néanmoins que cela ouvre une ère nouvelle.
En effet, cette attention notable témoigne d’une véritable reconnaissance, par le Gouvernement, de l’intérêt soutenu et constant de la Haute Assemblée pour la justice de notre pays.
La situation dans laquelle la justice se trouve nous amène régulièrement à nous réunir. La justice française est jugée trop lente et trop complexe par les justiciables. Ce diagnostic est partagé sur toutes les travées de notre assemblée. La nécessité d’améliorer son fonctionnement dans l’intérêt des justiciables, des citoyens et de ceux qui rendent la justice fait tout autant l’unanimité.
Faire de la réforme de la justice un chantier prioritaire, c’est une volonté forte qui a été exprimée par le Président de la République et par le Premier ministre, qui en a fait d’ailleurs l’un des points essentiels de son discours de politique générale de juillet 2017.
C’est la raison pour laquelle vous avez, madame la ministre, engagé dès le mois d’octobre 2017, lors des chantiers de la justice, de nombreuses consultations qui ont mené à la rédaction du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et du projet de loi organique relatif au renforcement de l’organisation des juridictions, textes que nous examinons aujourd’hui.
Des concertations ont suivi, et elles n’ont jamais cessé jusqu’à la discussion de ces deux textes au Sénat. Elles ont permis de mettre en évidence la nécessité d’améliorer la lisibilité de certaines dispositions.
Je m’étonne, madame la ministre, qu’il vous soit reproché, paradoxalement, de ne pas avoir pris la mesure de l’urgence de cette réforme, d’avoir trop tardé et, dans le même temps, d’aller beaucoup trop vite en ayant engagé la procédure accélérée.
Une chose est certaine : le renvoi de l’examen de ces textes du printemps 2017 à l’automne 2018 aura permis de retravailler certains points qui avaient cristallisé les mécontentements des avocats et des magistrats. Je pense, notamment, à la suppression de l’obligation de causer le divorce au moment de l’introduction de la procédure, sur laquelle la commission a pourtant décidé de revenir. Je pense également au regroupement des contentieux techniques par volume ou encore à la suppression du recours hiérarchique devant le procureur général en matière de plainte avec constitution de partie civile. Cela démontre bien que l’urgence ne doit pas empêcher d’agir avec méthode et pragmatisme.
Les deux textes déposés sur le bureau de notre assemblée, bien que perfectibles, engagent un vaste mouvement de dématérialisation, de simplification et de réorganisation du service public de la justice.
Pour mettre en œuvre cette réforme, des moyens budgétaires et humains supplémentaires ont été dégagés. Le projet de loi de programmation prévoyait initialement une augmentation de 24 % du budget de la justice pour les cinq prochaines années et la création de 6 500 emplois. Là encore, après que l’on eut reconnu qu’il s’agissait là d’un effort « notable », « très important », supérieur à ceux des derniers quinquennats, il a finalement été considéré qu’il n’était pas à la hauteur des enjeux du redressement de la justice.
Je tiens à dire aux rapporteurs et au président de la commission des lois que la priorité donnée au budget de la justice dans le contexte général de redressement des finances publiques que nous connaissons doit être soulignée et que cette augmentation a le mérite d’être pragmatique.
Hormis cette différence – certes de taille, l’argent étant le nerf de la guerre –, il existe entre nous, fort heureusement, des points de convergence, que ce soit sur les objectifs généraux ou sur des mesures concrètes, telles que la mise en place d’un mode de saisine unique en matière civile, la fusion des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance et l’expérimentation du tribunal criminel départemental.
Néanmoins, nous vous soumettrons des amendements. Sans entrer dans le détail, je vous en présenterai brièvement les grandes lignes.
Nous proposerons le rétablissement de certaines mesures, telles que la possibilité, pour le juge aux affaires familiales ou pour le parent qui y a un intérêt, de demander au procureur de la République de requérir le concours de la force publique pour faire exécuter une décision judiciaire, une convention homologuée par le juge ou une convention de divorce par consentement mutuel enregistrée au rang des minutes d’un notaire, fixant les modalités d’exercice de l’autorité parentale.
Nous demanderons également le rétablissement de la peine de détention à domicile sous surveillance électronique, la suppression de l’obligation de causer le divorce au moment de l’introduction de la procédure ou encore l’automaticité de la libération sous contrainte aux deux tiers de l’exécution des peines inférieures ou égales à cinq ans, sauf décision spécialement motivée du juge de l’application des peines.
Compte tenu de l’importance de ces amendements, et d’autres présentés par le Gouvernement, le groupe La République en Marche conditionnera son vote à leur adoption. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, chers collègues, tribunaux engorgés, lenteur des procédures, inégalités territoriales pour les justiciables : telle est la réalité de notre système judiciaire, laissé exsangue après plusieurs années pendant lesquelles maints textes sont venus restreindre l’accès au juge et les libertés individuelles.
Préalablement à la rédaction de ce projet de loi, madame la ministre, vous avez mené une vaste consultation auprès des professionnels du droit, récoltant leurs doléances, leur promettant une justice « plus rapide, plus efficace et plus moderne, au service des justiciables ».
La concertation a vite montré ses limites. Elle a, de fait, donné lieu à des mobilisations de professionnels de la justice partout en France. Ce texte justifie, hélas ! les craintes exprimées alors par beaucoup. Encore aujourd’hui, à midi, le personnel de la justice manifestait devant le Sénat.
Dématérialisation des dépôts de plainte, privatisation et déjudiciarisation de nombreuses procédures dont le juge se trouvera dépossédé au profit des notaires et de plateformes en ligne : tout est bon pour réaliser des économies sur un budget de la justice déjà famélique, qui place aujourd’hui la France parmi les plus mauvais élèves de l’Union européenne en la matière.
Ces dématérialisations font par ailleurs fi de nombreuses réalités humaines et sociales, notamment l’existence de déserts numériques en France. Dans la justice du « nouveau monde », la justice de proximité disparaît avec l’absorption par les tribunaux de grande instance des tribunaux d’instance, devenant des « chambres détachées ». Pour apaiser l’opposition des professionnels de la justice, les implantations locales seront conservées, mais elles seront vidées de leur mission ; ces tribunaux commenceront par être dévitalisés au profit d’économies substantielles et au détriment de l’accès au droit.
Sur ce dernier point, le texte prévoit le dessaisissement du juge du contentieux des pensions alimentaires, désormais traité par des organismes de droit public, les caisses d’allocations familiales. Éloigner le mineur et la famille monoparentale du juge aux affaires familiales, éloigner le majeur protégé vulnérable du juge des tutelles, voilà ce que prévoit, entre autres mesures, le volet civil de ce projet de loi !
C’est l’ensemble de notre justice que cette réforme met à mal : son volet pénal illustre tout autant cette réalité. Ainsi, pour ce qui concerne la lutte antiterroriste, vous faites entrer dans le droit commun un grand nombre de mesures relevant du régime d’exception. « Nous passons d’une justice de liberté à une justice de sûreté », disait à ce sujet Robert Badinter, l’un de vos illustres prédécesseurs. De telles mesures sont aujourd’hui appliquées par des régimes autoritaires, ce qui devrait nous inciter à une certaine prudence. Comme le disait Montesquieu, « il n’y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l’on exerce à l’ombre des lois et avec les couleurs de la justice ».
Nous ne le répéterons jamais assez, l’état d’urgence est un état d’exception ; il ne saurait devenir perpétuel.
Enfin, comment ne pas mentionner votre choix du « tout carcéral » en matière de politique pénitentiaire ? Beaucoup d’entre nous ont lu les rapports annuels d’Adeline Hazan, qui dénoncent un taux de surpopulation des prisons de 115 % et qui auraient dû nous inciter à conduire plutôt une politique de « déflation carcérale ».
M. François Bonhomme. C’est ça…
Mme Esther Benbassa. Comment comprendre la fin de la systématisation de l’aménagement des courtes peines, sinon comme l’expression d’une volonté de rompre avec vingt ans de politiques en faveur de la réinsertion sociale des personnes condamnées ?
M. François Bonhomme. Quel succès !
Mme Esther Benbassa. Prenons un autre exemple, celui de la prévention. Le Gouvernement lui préfère clairement la répression. En atteste la création d’une amende forfaitaire délictuelle à l’encontre des consommateurs de stupéfiants. Elle est dénuée de tout bon sens en matière de santé publique, alors que la consommation de cannabis est en France en nette augmentation. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
Madame la ministre, on reconnaît une démocratie souffrante au délitement de son système judiciaire. En instaurant une justice privée, en substituant un état d’urgence perpétuel à l’État de droit, en sacrifiant l’intérêt supérieur de l’enfant et des justiciables les plus précaires sur l’autel du libéralisme économique, le Gouvernement semble s’engager dans une voie plutôt hasardeuse, loin des promesses de renforcement de l’efficience et de l’efficacité du système judiciaire. Notre justice mérite pourtant mieux que de se transformer en une énième branche de la start-up Nation d’Emmanuel Macron… (Mme Laurence Cohen applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jacques Bigot. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous abordons ce débat sur la réforme de la justice après un grand travail préalable entamé voilà maintenant deux ans, voire avant puisque nous avons examiné des textes présentés par le précédent gouvernement, en particulier la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle.
Monsieur le président de la commission des lois, la mission que vous avez présidée a abouti à l’élaboration d’un rapport très étayé et apprécié dans le monde judiciaire. La position de notre groupe s’inscrit dans l’esprit de ce rapport. Dans notre contribution, nous avons souligné que nous approuvions une grande partie de ses préconisations : poursuite de l’effort soutenu en matière de recrutement de magistrats et de personnels de greffe, meilleure prise en compte des possibilités de la révolution numérique et de la dématérialisation des procédures, développement de l’équipe entourant le juge, mise en œuvre d’une organisation plus opérationnelle.
Nous avions des désaccords sur la question de l’aide juridictionnelle ; nous reviendrons sur ce sujet, que le projet de loi passe totalement sous silence.
Nous avions des réserves sur la question de l’exécution des peines. Le travail que nous avons accompli avec François-Noël Buffet, présenté à la commission le 12 septembre dernier, a permis d’éclaircir les choses et de donner des orientations très transversales pouvant rejoindre pour partie les vôtres, madame la ministre.
Nous sommes tous d’accord : l’idéal est d’avoir un plan financier pluriannuel ambitieux. Vous nous objecterez que l’amendement présenté par nos rapporteurs est trop ambitieux. Je rappellerai à certains de nos collègues que l’antépénultième gouvernement avait largement diminué le nombre de magistrats et que nous en subissons encore les conséquences aujourd’hui. Je rappellerai aussi que la réforme de la carte judiciaire avait causé beaucoup de déboires, suscité de nombreux débats et coûté beaucoup d’argent !
En tout état de cause, l’essentiel est que nous parvenions à faire front ensemble pour défendre la justice, car la tâche n’est pas facile. J’imagine bien que, pour un ministre de la justice, quel que soit son bord politique, il n’est pas simple d’obtenir des crédits dans un contexte budgétaire tendu.
Cependant, votre texte, madame la garde des sceaux, ne peut que m’inspirer des inquiétudes. En même temps que vous faites une annonce assez ambitieuse en termes de moyens financiers, qui devrait permettre de remédier en partie aux difficultés de la justice, vous proposez des réformes dictées essentiellement par le souci de réaliser des économies et de limiter le recours à la justice.
M. Jean-Luc Fichet. Exactement !
M. Jacques Bigot. Cette méthode ne me paraît pas la bonne dans la mesure où elle conduit à une déjudiciarisation, à une déshumanisation et à un manque de proximité de la justice. Nous serons amenés à revenir sur tous ces sujets au cours du débat.
La numérisation du monde de la justice relève moins du décret ou même du règlement que de l’organisation et des méthodes. Le rapport de la mission d’information le soulignait et chacun en est conscient : l’organisation de l’informatisation des juridictions connaît un retard phénoménal. Aucun des premiers présidents de cour d’appel que j’ai rencontrés ne m’a dit le contraire !
L’idée de développer la conciliation et la médiation est intéressante, à condition qu’elle soit bien mise en œuvre. Il ne doit pas s’agir de renvoyer à des médiations obligatoires et à des systèmes privés coûteux. La conciliation peut être une bonne solution, mais alors comment comprendre, madame la garde des sceaux, que vous proposiez de la supprimer dans le divorce contentieux ?
Certes, il est très rare que des juges aux affaires familiales réconcilient des époux, mais ce préalable de la tentative de conciliation, que vous imposez, madame la garde des sceaux, dans d’autres procédures civiles, est le moment où le juge aux affaires familiales entend les époux, qui doivent être présents, discute avec eux des mesures provisoires et les fixe. C’est un moment important, et sa suppression procède d’une forme de déshumanisation de la justice. Les justiciables, dans ces périodes difficiles, ont besoin de rencontrer un juge.
Ensuite, sans doute pour permettre sans doute aux juges de mieux travailler, vous développez la représentation obligatoire. Or, cela représente un coût, et vous ne prévoyez pas de moyens supplémentaires pour l’aide juridictionnelle, sauf à ce que vous nous les annonciez aujourd’hui. Les corapporteurs le savent, nous ne sommes bien entendu pas favorables au rétablissement du droit de timbre. Cela reviendrait à faire payer par certains l’accès à la justice. Les moyens ne sauraient être augmentés que via le budget de l’État.
Comme nous l’indiquions dans le rapport sur la proposition de loi adoptée en octobre dernier, nous partageons votre idée de regrouper tribunaux d’instance et tribunaux de grande instance. Mes chers collègues, en tant que représentants des collectivités locales, il nous appartient de relayer les inquiétudes exprimées par les élus dans les territoires.
Vous avez dit, madame la garde des sceaux, que les hautes juridictions ne disparaîtraient pas. Il faudrait que les locaux des anciens tribunaux d’instance puissent rester des lieux de justice, où d’autres juges viendraient entendre les justiciables. Par exemple, si, dans le ressort d’un ancien tribunal d’instance, le nombre de dossiers relevant de sa compétence le justifie, pourquoi un juge des enfants ne pourrait-il pas aller y tenir des audiences ?
M. Jacques Bigot. Je ne suis pas certain que les magistrats soient prêts à assumer cette proximité, je vous le concède, mais peut-être faudrait-il leur donner quelques indications à cet égard.
Vous avez dit, lors de votre audition, que ce texte ne marquera pas le Grand Soir de la justice pénale. Nous vous ferons part de nos inquiétudes quant à l’extension du recours à des technologies dont nous avions accepté l’utilisation dans le cadre de l’élaboration des lois contre le terrorisme et le crime organisé. Nos rapporteurs présenteront des amendements qui vont moins loin que ce que prévoit le projet de loi. Il conviendrait, à mon sens, d’être plus restrictif encore, mais nous aurons l’occasion d’en débattre.
Nous le savons tous, nos prisons sont engorgées. Or, alors que les personnes en détention préventive représentent déjà 40 % de la population carcérale, vous voulez accroître encore le recours à la détention préventive, par la comparution à effet différé.
Il faudrait en fait limiter le recours aux comparutions immédiates ; il sera peut-être moins nécessaire le jour où il y aura davantage de magistrats. Aujourd’hui, des procureurs nous expliquent qu’ils préfèrent ordonner une comparution immédiate plutôt que de renvoyer l’audience à douze ou dix-huit mois en citant à comparaître.
La comparution immédiate contribue puissamment à remplir nos maisons d’arrêt, que les magistrats visitent d’ailleurs relativement peu souvent, comme nous avons pu le constater sur le terrain avec François-Noël Buffet et le président Bas. Cette situation est assez regrettable.
Finalement, je sais gré à nos rapporteurs d’avoir su élaborer une synthèse habile, sous forme de probation, entre le sursis avec mise à l’épreuve, qui n’était pas très satisfaisant, et la contrainte pénale, qui n’a pas marché. Si nous trouvons sur ce sujet un accord législatif, il restera à voir comment le dispositif pourra s’appliquer sur le terrain de manière efficace.
Faire de la détention à domicile une peine principale serait sans doute une solution trop compliquée à mettre à œuvre. Nous aurons l’occasion d’en débattre.
Madame la ministre, je forme le vœu que nous ayons un véritable débat. À la suite de Thani Mohamed Soilihi, je salue le fait que le Sénat, qui a déjà beaucoup travaillé sur les questions de justice, ait été saisi en premier de ces textes. Je souhaite que nous puissions accomplir un travail de coconstruction législative et que l’Assemblée nationale ne se borne pas à reprendre les dispositions que vos services, et derrière eux, sans doute, ceux de Bercy, ont préparées dans l’objectif de faire des économies budgétaires. Il importe d’engager une véritable réforme de la justice, qui soit à la hauteur des attentes de nos concitoyens.
Madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la justice, je le rappelle, est rendue au nom du peuple français. Il nous incombe à nous, représentants du peuple, de doter la justice de moyens et d’une organisation qui soient à la hauteur des attentes de nos concitoyens, mais pas nécessairement de celles de tous les professionnels du monde judiciaire, dans lequel certains corporatismes sont parfois une réalité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes.
Mme Josiane Costes. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, mon propos sera contrasté, car je souhaite d’abord insister sur la situation très dégradée de la justice en France, puis exposer, dans une perspective plus rassurante, les raisons d’espérer une amélioration.
Il me semble que tous les signes du désastre sont réunis aujourd’hui et que, si nous demeurons aveugles, cela tient soit aux grands efforts déployés par les agents du ministère dans les juridictions et les prisons pour prévenir le risque de déraillement, soit à l’éloignement géographique du milieu carcéral, par essence installé à la marge de notre société et tenu, de ce fait, à l’abri de notre regard.
Tous les acteurs du droit que nous avons rencontrés pour préparer l’examen de ce projet de loi nous ont dit leur lassitude, voire leur épuisement, devant une succession de réformes n’ayant pas permis d’adapter les institutions judiciaires et pénitentiaires au besoin de justice de notre société contemporaine. Nous entendons aujourd’hui la colère des avocats et des magistrats, et nous avons toujours à l’esprit la révolte des agents pénitentiaires de l’an dernier.
À l’inverse, il est rassurant de constater qu’il s’est formé un consensus au Sénat pour conduire les réformes nécessaires à la transformation de nos juridictions et au renforcement du sens de la peine. La grande qualité du rapport de MM. Détraigne et Buffet, ainsi que le travail produit en amont par MM. Buffet et Bigot, nous ont conduits à concentrer nos amendements sur quelques sujets bien ciblés que j’évoquerai plus tard.
Il est également satisfaisant d’observer que le Gouvernement a fait de ce sujet une priorité budgétaire, alors que ce projet de loi de programmation est le premier présenté pour la justice depuis 2002. Madame la garde des sceaux, nous mettons cet effort à votre crédit, et nous vous en remercions.
Au-delà de l’intention positive de réforme, le champ des textes que vous soumettez aujourd’hui à notre examen est très vaste, puisqu’ils balayent le droit civil, le droit et la procédure pénale, ainsi que l’organisation judiciaire… Si les objectifs sont clairs et louables – désengorger les juridictions, réduire la population carcérale, adapter la carte judiciaire –, la philosophie sous-tendant les modifications proposées est, en revanche, parfois moins lisible.
Nous considérons que la plupart des modifications introduites par nos deux rapporteurs permettent de clarifier les logiques retenues et de lever, ici et là, quelques incohérences ou effets paradoxaux.
C’est le cas notamment des modifications introduites dans le volet pénal, qui visent à restaurer le sens des peines prononcées par nos juridictions, en rapprochant les peines exécutées des peines prononcées et en réduisant l’automaticité, qui nuit à l’individualisation des décisions. Mais il ne s’agit là que du point de départ d’une réflexion qui devra être conduite sur le long terme. La marginalisation de la peine d’emprisonnement au sein de l’échelle correctionnelle des peines est également une évolution souhaitable.
La commission des lois de la Haute Assemblée a également joué son rôle de protection des libertés individuelles en encadrant davantage l’extension des possibilités d’utilisation des nouvelles techniques d’enquête, le recours à la vidéo-audience et la dématérialisation des procédures.
Le recours aux nouvelles technologies doit être un outil au service du justiciable, et non pas un obstacle : c’est dans cet esprit que nous avons déposé des amendements visant à garantir l’accès au juge pour les justiciables les plus vulnérables et à rappeler l’importance de la dimension humaine dans l’action de rendre justice. Nous ne sommes pas absolument opposés au développement de services en ligne qui seront peut-être utiles à certains de nos concitoyens, mais il nous paraît plutôt audacieux de miser sur lui pour éteindre leur soif de justice.
Nous pensons également que la crise que traverse l’institution judiciaire et le recul de la collégialité à des fins de régulation contentieuse doivent nous inciter à repenser en profondeur le rôle du juge, en relation avec les autres acteurs qui l’entourent. Le juge unique ne doit pas être un juge solitaire.
Nous sommes donc très favorables au renforcement des cabinets des magistrats – sur le modèle de ce que l’on observe dans certains pays étrangers, par exemple en Italie –, qui viendrait pallier l’affaiblissement de la collégialité. On pourrait ainsi imaginer que, en plus du greffier, un magistrat soit entouré de juristes assistants, et éventuellement d’un conciliateur. La contrepartie évidente à une telle évolution doit être une meilleure valorisation des fonctions des personnels entourant le juge, greffiers comme juristes assistants. Des voies facilitant l’accès aux concours de magistrats judiciaires et administratifs doivent être prévues pour ces derniers. En outre, les propositions de nos rapporteurs visant à instaurer des formes de tutorat entre magistrats expérimentés et auditeurs de justice nous paraissent particulièrement intéressantes.
En ce qui concerne la surpopulation carcérale, notre collègue Nathalie Delattre a déposé deux amendements qui, je l’espère, permettront d’engager un débat sur la place des personnes atteintes de troubles psychiques dans notre système répressif. Les représentants des familles qu’elle a rencontrés lui ont soumis des pistes pour prévenir l’incarcération de ce public aujourd’hui surreprésenté en prison. Près de 30 % des places de prison pourraient être libérées si les personnes nécessitant des soins psychiatriques étaient admises dans des établissements adaptés. Mais ce débat dépasse votre seule compétence, madame la ministre, une révision du parcours de soins de ces personnes étant nécessaire. Le débat mérite cependant d’être ouvert.
Enfin, notre plus grande crainte demeure la désertification géographique de la justice et sa concentration dans les grandes métropoles. Alors que la carte judiciaire devrait évidemment contribuer à un aménagement plus équilibré du territoire, elle se borne aujourd’hui à accélérer le déclin de l’activité dans nos territoires ruraux, déjà très éprouvés par le recul des services publics. Les modifications du texte introduites en commission des lois représentent à ce titre de maigres consolations, qui ne nous satisfont guère.
Ces textes apportent des évolutions souhaitables, et nous les abordons de façon positive. Mais nous gardons également à l’esprit qu’ils resteront lettre morte s’ils ne s’accompagnent pas d’efforts budgétaires importants et soutenus à destination des juridictions et des services pénitentiaires, en particulier pour l’insertion et la probation. Notre groupe attend beaucoup des débats qui vont suivre. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Joissains.
Mme Sophie Joissains. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, à la lecture de l’intitulé des deux textes qui nous sont présentés, il était légitime d’être enthousiaste : une réforme de la justice, doublée d’une programmation budgétaire pluriannuelle…
Le problème est effectivement principalement financier. Le tableau de bord de la justice publié par le Conseil de l’Europe classe notre pays à la vingt-troisième place en termes de pourcentage du PIB consacré à la justice.
Malheureusement, la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 a déjà été adoptée et il n’y a donc pas de surprise. Une augmentation, tout de même notable, de près de 4 % par an du budget de la justice est certes prévue, ainsi que la création de 6 500 postes. Le Sénat prévoyait une hausse de 5 % et, surtout, la création de 13 700 emplois… La commission a, heureusement, rétabli cette ambition.
Il peut paraître curieux que j’évoque en premier lieu le budget. En fait, à la lecture des projets de loi, si un effort indéniable a été fait en vue d’une plus grande efficacité, une certitude se dessine : ces réformes ont été conçues selon un prisme d’abord gestionnaire, au détriment des intérêts du justiciable et, de fait, des principes d’une bonne administration de la justice : accessibilité, qualité, impartialité, protection des libertés, prise en considération des plus vulnérables…
Vous en conviendrez avec moi, la justice est un service public, une administration, certes, mais aussi et surtout l’incarnation d’un pilier de la démocratie, du « troisième pouvoir » décrit par Montesquieu, qui, malmené, mal équilibré, faute d’effectifs suffisants ou de respect vigilant de certains principes, peut broyer des vies. Il importe donc de se montrer particulièrement vigilant, parallèlement et de manière équilibrée, quant à son efficacité et aux garanties entourant les libertés individuelles.
La diversité, la technicité de ces deux projets de loi et le temps qui m’est imparti limitent mon propos. La discussion des articles nous permettra d’entrer dans le détail et d’approfondir.
J’évoquerai tout d’abord le large mouvement de déjudiciarisation opéré par cette réforme. Nous n’avons pas d’objection de principe en la matière. Que certains actes ou certaines missions soient transférés à d’autres acteurs que l’institution judiciaire ne nous pose pas difficulté. Mais il existe malgré tout un inconvénient à cet exercice : l’augmentation du coût pour le justiciable, qui perdle bénéfice de la gratuité de certains actes. Le fait que les tarifs soient réglementés limite certes le préjudice qui sera le sien, mais il ne l’annule pas : c’est là une atteinte au principe d’égalité des citoyens devant la loi. La commission des lois a supprimé certains de ces transferts, d’autres amendements de suppression ont été déposés.
Pour ce qui concerne le volet pénal, l’article 40 du projet de loi étend la compétence de la formation à juge unique du tribunal correctionnel.
Depuis 1972, un nombre considérable d’affaires correctionnelles font l’objet d’un jugement rendu à juge unique, mais il s’agit des délits les plus mineurs. Le projet de loi prévoit l’introduction de près de 170 délits dans le champ de compétence du juge unique ! Une telle évolution paraît dangereuse, sur le plan tant de la qualité que de l’impartialité de la justice rendue.
La collégialité est une garantie en matière d’échanges, d’ajustements, d’examen plus détaillé des cas d’espèce, de prise en considération du justiciable. Nous savons tous combien, particulièrement dans le domaine pénal, une affaire apparemment simple peut se révéler complexe. Nous savons aussi que les juges sont surchargés et que, à l’évidence, leur attention ne peut être aussi aiguë à la vingtième ou trentième affaire de la journée qu’à la première.
N’occultons pas le fait que ce qui justifie avant tout le basculement de près de 170 délits dans le champ de compétence du juge unique, ce sont des raisons budgétaires, et sûrement pas l’amélioration des garanties pour le justiciable… Je rappelle ici que, si la commission l’a amendé sur ce point sur l’initiative de nos corapporteurs, le projet de loi initial permettait aussi que l’appel puisse être jugé dans cette formation. Une justice expéditive, comme une justice inégalitaire du reste, ne mérite plus le nom de justice.
Une autre évolution majeure opérée par le texte ne fait, elle aussi, qu’accentuer un phénomène qui semble inéluctable depuis plusieurs années : je veux parler de l’inflation des missions dévolues au parquet.
Le tableau de bord du Conseil de l’Europe désigne nettement la surcharge des procureurs comme responsable de l’allongement des procédures.
De fait, le projet de loi réduit de moitié l’augmentation des effectifs prévue par le Sénat. En revanche, il déjudiciarise, dématérialise à tour de bras, il simplifie la procédure pénale en renforçant de manière excessive et dangereuse les prérogatives du parquet, par une réduction notable de la place du juge d’instruction. Avec ce texte, la logique inquisitoire se substitue insidieusement à la logique accusatoire…
La commission des lois a accompli un véritable travail de rééquilibrage. Pour n’en citer que les principaux points, elle a limité l’extension à la grande majorité des délits des techniques d’enquête intrusives dans la vie privée. Elle a veillé à ce que le juge d’instruction ne soit pas marginalisé dans la procédure pénale. Elle a maintenu la collégialité des travaux de la chambre de l’instruction de la cour d’appel, garanti la présence de l’avocat lors des perquisitions, maintenu l’obligation de présentation au procureur pour la prolongation de la garde à vue, supprimé la procédure de comparution à effet différé et modéré l’extension du champ des procédures pénales transactionnelles.
Accroître les pouvoirs du parquet, c’était aussi occulter le fait que, quelles que soient les compétences et la valeur professionnelle de ses membres, le parquet ne constitue pas une « autorité judiciaire » au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cet état de fait a déjà entraîné plusieurs condamnations de la France, et la situation ne pourra s’améliorer tant que des garanties supplémentaires d’indépendance statutaire n’auront pas été apportées par une révision constitutionnelle. Le Sénat avait d’ailleurs voté cette modification dès 2013 !
Tant qu’une telle révision de l’article 65 de la Constitution n’aura pas été adoptée, il ne sera pas raisonnable de continuer à confier au parquet des pouvoirs toujours plus importants, surtout lorsqu’il s’agit des techniques d’enquête les plus intrusives dans la vie privée.
Notre commission des lois a fait, sur ce volet du texte, un important travail, fidèle à la tradition de défense des libertés individuelles à laquelle la Haute Assemblée est si attachée. Le texte proposé par nos collègues François-Noël Buffet et Yves Détraigne permet de préserver un équilibre entre l’efficacité dans la recherche des auteurs d’infraction, d’une part, les libertés et les droits de la défense, d’autre part.
On vient de le voir, la vague de rationalisation opérée par ce texte a préservé certains acteurs du monde judiciaire. D’autres, en revanche, ont été balayés par cette même vague : le juge d’instruction, mais aussi les jurés des cours d’assises.
Cela a été rappelé, le texte prévoit la création d’un tribunal criminel qui serait compétent pour juger les personnes accusées d’un crime puni de quinze ans ou de vingt ans de réclusion criminelle. Je comprends l’intérêt de cette mesure par rapport à la correctionnalisation. Néanmoins, était-il nécessaire de supprimer les jurés d’assises ?
Ce tribunal serait composé exclusivement de magistrats professionnels. Pourquoi vouloir se priver d’un jury citoyen ? On pourrait penser que c’est par souci d’économie, mais, si l’on s’en réfère à l’étude d’impact, il n’en est rien. On invoquera l’engorgement des cours d’assises. Mais en quoi la disparition des jurés populaires améliorerait-elle les choses ?
En ces temps d’incertitude et de défiance, ne faudrait-il pas plutôt rapprocher nos concitoyens de l’institution judiciaire ? La justice n’est-elle pas rendue au nom du peuple français ? Au nom de quoi celui-ci devrait-il être écarté ? Il ne s’agit, pour le moment, que d’une expérimentation, mais on peut malgré tout s’interroger.
J’ai en mémoire, mes chers collègues, la loi du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, qui, au lieu de réduire le nombre de jurés d’assises, prévoyait au contraire d’intégrer des jurés populaires dans certaines formations du tribunal correctionnel !
Enfin, je souhaite revenir sur l’article 53, qui prévoyait initialement la fusion des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance, pour faire du tribunal de grande instance la seule juridiction compétente en matière civile en première instance.
Cette évolution entraînerait deux conséquences.
La première, immédiate, c’est la disparition des tribunaux d’instance, dont beaucoup se sont émus.
La seconde, plus lointaine, suscite néanmoins une vive inquiétude : la création de ces chambres détachées ne sera-t-elle pas, de fait, la première étape vers la disparition effective de certains lieux de justice ?
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Sophie Joissains. Sous réserve des observations que je viens de formuler, nous estimons que les deux textes élaborés sous l’égide de la commission des lois comportent de véritables avancées. Je tiens à saluer, encore une fois, le travail rigoureux et ambitieux accompli par nos deux rapporteurs sur ces textes. Une majorité des membres du groupe Union centriste les votera. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi de programmation pour la justice que nous examinons embrasse un grand nombre de sujets. Je me contenterai, en tant que rapporteur spécial des crédits de la mission « Justice », d’en évoquer les principaux aspects budgétaires.
Je note tout d’abord avec satisfaction que le projet de loi respecte le triennal prévu par la loi de programmation des finances publiques. La trajectoire du budget du ministère de la justice est ambitieuse : elle prévoit une augmentation des crédits de 9,6 % entre 2018 et 2020, contre 2,7 % pour l’ensemble des autres ministères sur la même période. Autrement dit, ce ministère prioritaire devrait bénéficier d’une augmentation très significative de ses moyens d’ici à 2020. Nous verrons dans quelques semaines dans quelle mesure le projet de loi de finances pour 2019 s’inscrit dans cette tendance.
Au-delà du triennal 2018-2020, la commission des lois propose, pour les années 2021 et 2022, d’augmenter les moyens du ministère de la justice davantage encore que ne le prévoit le projet initial du Gouvernement. Je comprends cette volonté de garantir une hausse du budget de la justice sur le moyen terme afin d’assurer le « redressement de la justice », pour reprendre des termes des intitulés des deux propositions de loi de notre excellent collègue Philippe Bas que le Sénat a adoptées.
Il me semble toutefois qu’il convient d’être prudent : nos finances publiques s’inscrivent nécessairement dans un contexte économique et financier, et les marges de manœuvre budgétaires dont nous disposons ne sont pas illimitées, particulièrement lorsque la croissance est dégradée.
Surtout, si nous partageons tous le constat que la justice française manque cruellement de moyens, il faut également reconnaître qu’elle a besoin de se réformer. Vos projets de loi y contribuent, me direz-vous, madame la ministre.
Mais je souhaiterais insister sur un domaine particulier, dans lequel il est urgent que les projets avancent réellement : je veux parler de la transformation numérique. Elle est cruciale dans une institution comme la justice. Certes, elle est en cours, mais quel chantier ! Des applications obsolètes, des réseaux indigents, des données maintes et maintes fois saisies à la main, ce qui multiplie les tâches administratives sans valeur ajoutée, ainsi que les risques d’erreur. J’étais hier au tribunal de grande instance de Laon : son personnel passe son temps à attendre que les applications démarrent, à patienter pour télécharger des documents, car le débit est limité à 2 mégaoctets. On lui avait promis 20 mégaoctets pour cet été : ne l’oubliez pas, madame la ministre !
Une part significative des moyens supplémentaires dont le ministère de la justice bénéficiera dans les prochaines années devrait prioritairement servir à doter les justiciables, comme les professionnels de la justice et du droit, d’outils numériques fiables et modernes. Vous en avez parlé, madame la garde des sceaux, comme du défi majeur devant être relevé grâce à votre réforme.
Outre cet indispensable investissement dans le numérique, les moyens dégagés pourront bien sûr permettre de réduire les vacances de postes, de créer des emplois là où c’est nécessaire, et donc de diminuer les délais de jugement. Par ailleurs, ces moyens devraient permettre de rénover des établissements pénitentiaires ou d’en construire de nouveaux, pour que les conditions de détention ne soient pas indignes et que, en même temps, les conditions de travail des agents pénitentiaires soient acceptables. J’ai eu l’occasion, hier également, de rencontrer des représentants des organisations syndicales de l’administration pénitentiaire. Il semble urgent d’améliorer les conditions de travail des personnels, car créer des postes, c’est bien, mais les pourvoir, c’est mieux !
Je pense bien sûr ici aux difficultés de recrutement rencontrées par l’administration pénitentiaire, alors même que des milliers de places supplémentaires doivent être créées et qu’il faudra compenser les nombreux départs à la retraite à venir.
Je pense aussi à la situation des greffes de certaines juridictions, notamment en région parisienne. De jeunes diplômés de l’École nationale des greffes renoncent au bénéfice de leur concours quand ils apprennent leur affectation au TGI de Bobigny, par exemple !
L’amélioration du fonctionnement de l’institution judiciaire passe probablement par une meilleure répartition des moyens humains sur le territoire, afin d’éviter que de jeunes professionnels, tout juste sortis d’école, ne soient affectés dans les juridictions les plus à la peine.
Ce projet de loi de programmation fixe un cap. C’est une étape, mais il est désormais temps, madame la ministre, que la promesse tant de fois réitérée de « redresser » ou, à tout le moins, de réformer la justice trouve sa traduction sur le terrain, pour les justiciables comme pour les professionnels. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je suis heureux de voir enfin discutés ces projets de loi qui encadrent l’action du Gouvernement en matière de justice sur la durée du quinquennat.
Je suis également heureux que le Sénat ait été saisi en premier, ce qui est suffisamment rare pour être relevé.
Je prends acte, par ailleurs, de la volonté du Gouvernement d’aller dans le sens d’une remise à niveau progressive – à notre sens insuffisante, il est vrai – des moyens de la justice et de réformer les procédures et les méthodes.
Nous avons fait le constat de l’embolie des tribunaux et de la sous-capacité carcérale. Nous mesurons aussi les difficultés d’accès à la justice. Nous avons constaté, en outre, la stagnation du recours aux alternatives à l’incarcération et aux peines de prison au cours des six dernières années. Nous mesurons la difficulté de la tâche, pour nous être plongés dans cette matière pendant de longs mois.
Nous avons fait, je le répète, le constat de l’embolie de la justice : 1,2 million de nouvelles affaires pénales et 2,7 millions de nouvelles instances civiles chaque année. Pour réunir une cour d’assises, il faut plus de quarante mois. Le délai moyen d’obtention d’un jugement pour des affaires civiles est passé en deux ans de onze à douze mois.
Quant aux prisons, chacun connaît la situation actuelle : il y a un peu moins de 60 000 places, pour un peu plus de 70 000 détenus. Après l’interruption du plan de construction de places de prison lancé par Michel Mercier en 2011, aucun nouveau chantier n’a été ouvert au cours des années récentes.
D’où la nécessité d’un fort redressement des moyens et de réformes profondes, l’un n’allant pas sans les autres. L’idée est que la justice doit être l’objet d’une politique constante et durable, au-delà des alternances, comme c’est déjà le cas depuis longtemps pour la politique de défense et la politique étrangère. C’est d’ailleurs dans cet esprit que le Sénat travaille depuis plusieurs années. Nous avons établi notre propre constat et élaboré nos propres propositions au sein d’une mission transpartisane, qui a conduit un travail approfondi, avec de multiples auditions et de nombreux déplacements en France.
Ce travail a débouché sur l’adoption, le 24 octobre dernier, de deux propositions de loi que le Gouvernement n’a malheureusement pas souhaité modifier à l’Assemblée nationale, préférant élaborer son propre texte, quitte à prendre davantage de temps. En effet, ce texte ne pourra pas être adopté avant 2019, alors qu’il a vocation à traiter de l’effort de redressement de la justice pour les cinq années du mandat.
La programmation budgétaire proposée suscite de profondes interrogations, malgré un effort pluriannuel dont nous prenons acte. L’année 2018 s’achève, et 2019 sera engagée avant l’adoption de cette loi, qui constitue donc un objet législatif singulier, à savoir une loi de programmation rétrospective à hauteur de 40 %, les années 2018 et 2019 n’étant pas budgétairement dotées.
Or, si l’on rapproche la programmation proposée des besoins recensés dans notre rapport intitulé « Cinq ans pour sauver la justice », mais aussi du budget voté sur l’initiative de Jean-Jacques Urvoas pour la dernière année du quinquennat socialiste – un budget supérieur à celui prévu par le gouvernement actuel pour les années 2018 et 2019 –, on se rend compte que l’effort proposé par le Gouvernement, même s’il est réel, reste malheureusement insuffisant pour permettre une remise à niveau du service public de la justice. La commission des lois a donc rétabli sa propre trajectoire budgétaire, adoptée par le Sénat en 2017, qui comporte une hausse des crédits de 5 % par an en moyenne, tandis que celle prévue par le Gouvernement est en deçà de 4 %.
En ce qui concerne la justice du quotidien, la commission des lois considère qu’elle ne fait pas l’objet d’une priorité suffisante. Au contraire, le texte organise son repli par des mesures éparses de déjudiciarisation. C’est la justice des personnes les plus vulnérables qui risque ainsi d’être fragilisée. Certaines mesures transfèrent des compétences du juge à d’autres services publics : la commission les a supprimées ou strictement encadrées. D’autres vont plus loin encore en supprimant purement et simplement l’intervention du juge, sans aucun transfert de compétences judiciaire : la commission les a aussi supprimées.
Dans la même veine, l’absence de toute prise en considération de la situation de l’aide juridictionnelle nous inquiète. La mission judiciaire de soutien aux plus fragiles est ainsi affaiblie. Le projet de loi comporte, selon nous, une grave lacune de ce point de vue, alors que, chaque année, un million de personnes ont recours à l’aide juridictionnelle. La proposition de loi d’orientation et de programmation pour le redressement de la justice que nous avions présentée visait à réformer en profondeur l’aide juridictionnelle et à assurer la pérennité de son financement. Il nous semble que l’on ne peut pas laisser de côté cette question dans une loi de programmation pour la justice.
La commission veut aussi que la protection des libertés dans la procédure pénale soit renforcée par rapport à ce que prévoit le texte du Gouvernement. M. Buffet s’étant longuement exprimé sur ce point, je n’y reviens pas, mais c’est la vocation même du Sénat que d’être attentif au respect de la vie privée et à la garantie des droits fondamentaux de nos citoyens. L’efficacité des enquêtes est une cause que nous défendons dans la limite où elle ne met pas en péril les droits fondamentaux et les libertés fondamentales. La commission a ainsi veillé à ne pas marginaliser le juge d’instruction et a maintenu la collégialité des travaux de la chambre d’instruction.
J’en viens enfin à la politique pénitentiaire et à l’exécution des peines. La situation de nos prisons, mise en lumière par l’important mouvement social du début de cette année, n’est pas digne d’une grande démocratie. Au cours des six dernières années, le recours aux solutions alternatives à l’emprisonnement a stagné ou reculé, contrairement à ce que voudraient donner à croire les discours officiels. Les peines prononcées ne sont pas correctement exécutées, et elles ne le sont pas non plus dans des délais acceptables. Les condamnés ne sont pas suffisamment préparés à la réinsertion, ce qui aggrave les risques de récidive et l’insécurité pour la société française.
La sous-capacité carcérale n’est plus traitée depuis l’abandon, en 2012, du programme de construction de places voté en 2011. Au cours de la campagne présidentielle de 2017, l’engagement de construire 15 000 places de prison en cinq ans a été pris devant les Français par plusieurs candidats, dont Emmanuel Macron. L’une des principales informations apportées par ce projet de loi, c’est l’abandon de cet engagement. La programmation ramène en effet l’objectif à 7 000 places d’ici à 2022. De plus, la commission des lois a mis en évidence qu’il n’y avait pratiquement aucune chance que cet objectif réduit de plus de moitié par rapport aux engagements qui avaient été pris soit atteint. En effet, à ce jour, aucun site n’a été officiellement désigné pour la construction de ces 7 000 places.
Par ailleurs, la réforme de l’exécution des peines nous paraît insuffisamment lisible. La commission des lois a supprimé le caractère automatique de la libération sous contrainte aux deux tiers de la peine.
Madame la garde des sceaux, il y a matière à renforcer les ambitions de ce texte. Nous voulons le faire en bonne collaboration avec vous, car nous avons en réalité les mêmes objectifs. C’est ce que la commission des lois s’est attachée à faire. Je salue à cet égard le travail considérable accompli par les deux rapporteurs, qui comptent parmi les meilleurs spécialistes français de la justice. Je suis confiant dans notre capacité de progresser avec le Gouvernement dans cette voie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les propos tenus par les différents orateurs sont extrêmement précieux, qu’ils m’amènent à réagir de manière assez vive ou qu’ils témoignent au contraire que nous convergeons sur le constat ou, parfois, sur un certain nombre de mesures.
Monsieur le rapporteur Buffet, vous estimez que, avec ce projet de loi, je suis restée à mi-chemin de ce qu’il faudrait faire. Voyez-vous, je préfère avoir emprunté le chemin que marcher à rebours ! Je continuerai à aller de l’avant.
Il est inacceptable, dites-vous, d’empêcher un justiciable d’avoir accès à son juge. Mais je suis parfaitement d’accord, monsieur le rapporteur ! Il reste à savoir à quoi sert un juge. L’intervention d’un juge, me semble-t-il, doit apporter une plus-value. Or, dans un certain nombre de cas, nous constatons que les juges sont sollicités pour simplement enregistrer une décision ou constater un accord. Quelle est alors la plus-value ? Il est vrai que, dans un certain nombre d’hypothèses, nous proposons d’autres solutions. Mais nous prévoyons, pour l’ensemble des situations, des recours qui permettent à tous les citoyens d’avoir accès au juge.
Si vous entendiez affirmer que la numérisation des procédures empêcherait l’accès au juge dans tel ou tel désert numérique – Mme Benbassa, me semble-t-il, a évoqué ce sujet –, je rappellerai ici ce que j’ai déjà eu l’occasion d’indiquer à de nombreuses reprises : notre résolution à développer la numérisation des procédures ne nous amènera en aucun cas à empêcher les procédures « papier » de subsister. Par ailleurs, nous souhaitons mettre en place dans tous les tribunaux un service unique d’accueil du justiciable. En effet, il est essentiel que les justiciables puissent avoir un accès physique à leur justice.
Vous avez souligné, comme l’ont fait après vous un certain nombre d’autres orateurs, notamment M. le président de la commission des lois, que le Sénat est le garant des libertés individuelles. J’espère que l’Assemblée nationale l’est aussi ! En tout cas, soyez certain que le Gouvernement l’est tout autant… (Sourires.)
J’ai veillé, en élaborant ce projet de loi, à respecter les exigences constitutionnelles et conventionnelles qui s’imposent à nous. En aucune manière, nous ne portons atteinte aux libertés individuelles. Lorsque nous renforçons le pouvoir des enquêteurs, nous veillons à le placer toujours sous le contrôle d’un juge, celui des libertés et de la détention, qui est un magistrat statutaire. Je ne vois donc pas, monsieur le rapporteur, pourquoi vous avez évoqué un rôle « formel » du juge des libertés et de la détention. Il me semble qu’il y a là une forme de prévention qui ne se justifie pas, mais nous aurons l’occasion d’en discuter plus avant.
Monsieur le rapporteur, vous avez en outre insisté sur l’équilibre des droits dans la procédure pénale, en indiquant qu’il ne fallait pas marginaliser le juge d’instruction. Mais je ne crois pas que le projet que je porte aille en ce sens ! Il n’y a pas de rupture par rapport à la situation actuelle du juge d’instruction, dont je voudrais rappeler ici qu’il ne traite aujourd’hui que 3 % des poursuites. On ne peut donc pas dire que le texte que je vous soumets marginalise son rôle : au contraire, nous le recentrons sur les dossiers les plus lourds, à savoir les crimes, la criminalité organisée, les infractions économiques et financières, les atteintes graves aux personnes. Je le redis, nous entendons non pas marginaliser le juge d’instruction, mais recentrer son action sur son cœur de métier.
Monsieur le rapporteur, si vous m’y autorisez, je terminerai par un petit clin d’œil. Vous avez indiqué que vous n’étiez pas favorable au développement de la vidéo-audience. Pourtant, vous avez été, me semble-t-il, rapporteur du projet de loi Immigration et asile, qui prévoyait que l’on puisse passer outre le refus de l’étranger pour la tenue d’une vidéo-audience devant le tribunal administratif et le juge des libertés et de la détention. Je ne crois pas me souvenir que vous ayez déposé d’amendement visant à supprimer ou à modifier les dispositions en cause…
M. François-Noël Buffet, corapporteur. Je m’en expliquerai !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Au contraire, votre rapport, rédigé au nom de la commission des lois, saluait l’adaptation bienvenue que constituait la vidéo-audience.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ce n’est pas le même cas ici !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Lors de la séance du 21 juin 2018, vous avez indiqué à Mme Benbassa que « le recours à la vidéo-audience est justifié par la particularité du contentieux et par des motifs d’intérêt général. […] Par ailleurs, il est assorti de garanties appropriées pour le demandeur que je tiens à rappeler : confidentialité de la transmission, aménagement spécial de la salle, double publicité et double procès-verbal, salle d’audience relevant du ministère de la justice et non du ministère de l’intérieur », etc. Monsieur le rapporteur, je vous propose la même chose !
M. François-Noël Buffet, corapporteur. Pas tout à fait !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur Marc, vous avez évoqué un manque d’investissements et un sous-effectif. J’aurai l’occasion de revenir sur ce sujet longuement, aussi me permettrez-vous de m’en tenir, pour l’heure, à ce que j’ai indiqué dans mon propos introductif.
Vous avez par ailleurs souhaité que la peine de détention à domicile sous surveillance électronique que nous introduisons soit supprimée et que l’on en revienne à la proposition de la commission des lois. Nous croyons important que cette peine soit prononcée comme une véritable peine, une peine autonome. Il ne faut pas que l’on continue à prononcer des condamnations à des peines de prison, avant finalement de placer les personnes concernées sous bracelet électronique. Agir ainsi relève, selon moi, d’une forme d’hypocrisie, or je suis pour que l’on dise la réalité des choses ! C’est la raison pour laquelle j’estime que la détention à domicile sous surveillance électronique, la DDSE, doit être considérée comme une peine autonome. Elle concerne aujourd’hui 11 000 personnes, et nous souhaitons développer le recours à cette mesure.
Par ailleurs, monsieur le sénateur, comme nombre de vos collègues, vous avez évoqué la création de 15 000 places de prison. Je comprends que ce sujet puisse être exploité, faire l’objet d’un jeu…
M. François Bonhomme. Non, c’est dans le programme du candidat Macron !
M. François Bonhomme. Je l’ai ici, c’est écrit noir sur blanc !
M. François Bonhomme. C’est notre bible ! (Sourires.)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. C’est très bien, je transmettrai !
Dans ce programme, il est fait mention de 15 000 places.
M. François Bonhomme. Précisément !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, 15 000 places de prison ne se construisent pas d’un claquement de doigts, et vous le savez très bien !
M. François Bonhomme. Nous n’avons pas écrit ce programme !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je livrerai 7 000 places d’ici à 2022 et j’engagerai la construction des 8 000 autres d’ici à cette date. Vous savez très bien, en tant qu’élu du territoire, qu’il n’est pas simple de trouver des terrains, qu’il y a des procédures à respecter, des analyses de terrain à effectuer, des dossiers à monter ! Pour cela, il faut du temps ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, un peu de calme, s’il vous plaît ! Laissez Mme la garde des sceaux s’exprimer !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je maintiens que 15 000 places de prison seront livrées, dont 7 000 d’ici à 2022 ; la construction des 8 000 autres aura commencé à cette échéance.
Monsieur Mohamed Soilihi, je vous remercie d’avoir salué notre méthode de travail. À vous qui avez, comme d’autres orateurs, insisté sur les moyens humains, je veux dire que le travail que nous conduisons vise précisément à les accroître, aussi bien dans l’administration pénitentiaire que dans la magistrature. Je citerai simplement quelques chiffres : en 2008, il y avait 8 164 magistrats ; aujourd’hui, ils sont 8 400 et ils seront 8 500 l’année prochaine. L’effectif de magistrats augmentera chaque année. Nous pourrons ainsi améliorer la position de la France dans le classement européen réalisé par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice, la CEPEJ. Notre pays n’est effectivement pas bien classé aujourd’hui, mais le travail que nous conduisons vise à améliorer cette situation ; je vous remercie de l’avoir relevé.
Vous avez également fait part, monsieur le sénateur, de votre intérêt pour la libération sous contrainte, qui est l’une des peines à propos desquelles la commission des lois a émis une proposition différente. Nous tenons à cette peine parce qu’elle répond un objectif de fond : éviter les sorties sèches de prison. Bien entendu, c’est en rendant obligatoire ce type de dispositif que nous pourrons éviter ces dernières, et donc la récidive.
Madame Benbassa, selon vous, le projet de loi sacrifierait l’intérêt supérieur des justiciables les plus fragiles sur « l’autel du libéralisme économique ». Ce n’est pas du tout le cas, et vous le savez bien : en effet, nous renforçons la justice de proximité.
Vous dites que nous dévitalisons les tribunaux de proximité. C’est exactement l’inverse ! Nous les maintenons tous, ainsi que les contentieux qui y sont jugés. Nous créons même la possibilité, pour les juges et les chefs de cour qui le souhaiteraient, d’intégrer aux tribunaux de proximité des juges aux affaires familiales, si cela correspond à un besoin du territoire. Vous le voyez, nous densifions, au contraire, les tribunaux de proximité, parce que c’est dans leur ressort que se nouent les contentieux du quotidien. (Mme Éliane Assassi proteste.) Nous en discuterons, madame Assassi, et j’espère que j’arriverai à vous convaincre. Rien, dans ce texte, ne va dans le sens du libéralisme économique.
Madame Benbassa, vous avez également critiqué la forfaitisation, qui relèverait, selon vous, d’une volonté d’être plus sévère. Ce n’est pas le cas : il s’agit simplement d’être plus efficace, au bénéfice de la santé publique.
Monsieur Bigot, je vous remercie d’avoir souligné que notre plan pluriannuel est ambitieux, même si vous estimez que, sur un certain nombre d’aspects, il pourrait l’être davantage.
Vous avez notamment indiqué que la numérisation que j’appelle de mes vœux relève davantage de l’organisation et des méthodes que de la loi. Vous avez absolument raison ! C’est pourquoi j’ai installé une gouvernance très serrée au sein de mon ministère sur ce sujet, avec un calendrier et des objectifs, afin que nous puissions déployer cette numérisation qui, me semble-t-il, sera l’une des conditions de l’amélioration du travail des magistrats, des personnels de greffe et également des avocats, avec lesquels nous travaillons en permanence.
Vous avez soulevé la question du coût de la représentation obligatoire, en relevant qu’il n’y avait rien sur l’aide juridictionnelle dans le projet de loi. C’est d’ailleurs un reproche qui m’a également été adressé par d’autres sénatrices et sénateurs. Il n’y a aucune disposition relative à l’aide juridictionnelle, je l’admets. Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que je souhaite pouvoir dialoguer avec les avocats et construire avec eux un système qui soit pérenne et stable. C’est la raison pour laquelle il eût été précipité d’inscrire des dispositions définitives dans ce texte. Elles figureront sans doute dans la prochaine loi de finances, mais le financement est assuré, y compris celui de la représentation obligatoire. Pour vous donner un chiffre, monsieur le sénateur, dans le projet de loi de finances pour 2019, les crédits de l’aide juridictionnelle augmentent de près de 28 millions d’euros par rapport à 2018. Cela permettra de financer la représentation obligatoire.
Vous vous êtes félicité d’avoir fait voter en commission la suppression de l’extension de la possibilité de recourir aux techniques spéciales d’enquête, les TSE, aux crimes de droit commun. Aujourd’hui, le recours aux TSE est effectivement réservé aux crimes et délits commis en bande organisée et au terrorisme. Nous avons prévu de l’étendre aux crimes de droit commun, car cela peut, me semble-t-il, être extrêmement utile dans des affaires telles que celles qui, récemment, ont choqué la population. Une telle extension ne me semble pas radicalement inacceptable. Je vous proposerai donc de la rétablir, sachant que les TSE seront évidemment toujours utilisées sous le contrôle du juge des libertés et de la détention.
Enfin, monsieur le sénateur, vous avez conclu votre intervention en affirmant que les services de Bercy auraient « préparé des dispositions dans l’objectif de faire des économies budgétaires ». Je ne peux vraiment pas laisser dire cela ! Je n’ai pas le moindre contact avec Bercy, sauf lorsque je négocie mon budget. Du reste, dès lors qu’il existe une loi de programmation, la discussion dure assez peu… Bercy ne me parle jamais, absolument jamais, des questions qui ont trait à la justice !
M. Yves Détraigne, corapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Ne vous fâchez pas !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Nous allons essayer de vous réconcilier !
M. François-Noël Buffet, corapporteur. Nous allons organiser une médiation ! (Sourires.)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Gratuite, alors ! (Nouveaux sourires.)
Madame Costes, je partage votre constat, notamment sur l’épuisement des magistrats et des personnels, lié à la fois à la succession des réformes et aux difficultés de travail. Vous avez raison. J’ai essayé de répondre au travers de ce projet de loi, qui témoigne d’un certain pragmatisme, à un certain nombre de demandes et d’attentes exprimées lors des consultations que j’ai menées sur le terrain.
Nous mettons ainsi en place des équipes qui épauleront les magistrats. Vous le savez, cela répond à une demande forte. On compte aujourd’hui 356 juristes assistants ; nous allons en créer 50 de plus par an durant le quinquennat, ainsi que 102 assistants spécialisés et 250 greffiers assistants. Prendre en compte les difficultés de travail est indispensable.
Vous avez également évoqué un autre sujet qui me touche beaucoup, celui des détenus en difficulté psychiatrique. Je vais le prendre en compte dans le cadre du plan pénitentiaire que j’aurai l’occasion de présenter prochainement. J’ai mis en place avec ma collègue Agnès Buzyn un groupe de travail sur cette question. Néanmoins, comme vous le savez, nous peinons à recruter des médecins psychiatres ou pédopsychiatres ; c’est une véritable difficulté, que je ne puis résoudre seule.
Enfin, nous consentons les efforts budgétaires importants pour l’insertion et la probation que vous appelez de vos vœux, puisque je propose la création de 1 500 conseillers d’insertion et de probation supplémentaires durant le quinquennal.
Madame Joissains, je ne répéterai pas ce que j’ai dit à propos de Bercy : ce projet de loi a été conçu non pas selon un « prisme gestionnaire », mais selon un prisme d’efficacité et de simplicité. Cela m’amène à recentrer chacun des acteurs de la procédure – les enquêteurs, les procureurs, les magistrats du siège – sur son cœur de métier. Le mouvement de déjudiciarisation, quand il existe, porte sur certains points sur lesquels il me semble que l’intervention d’un magistrat n’apporte pas de plus-value.
Vous avez évoqué, ainsi que le président Bas, la question du juge unique. J’y suis moi aussi très sensible. C’est la raison pour laquelle je présenterai un amendement relatif à la collégialité en appel, suivant ainsi les propositions de la commission des lois.
Enfin, sur l’important sujet du tribunal criminel départemental, pourquoi supprimer les jurés populaires, avez-vous demandé, alors même que la justice est rendue au nom du peuple français ? Madame la sénatrice, que je sache, tous nos magistrats professionnels, et pas uniquement les jurés d’assises, rendent la justice au nom du peuple français ! La procédure entièrement orale des cours d’assises permet une justice de grande qualité, mais elle est extrêmement chronophage. La procédure que nous proposons d’instaurer pour le tribunal criminel départemental permettra aux magistrats d’auditionner tous témoins utiles, mais également de disposer du dossier écrit. Ainsi, la procédure sera sans doute un peu plus simple, et donc plus rapide. Quant aux appels, ils continueront de relever exclusivement de la compétence des cours d’assises, ainsi que les crimes punis de plus de vingt ans d’emprisonnement.
M. le sénateur Lefèvre a évoqué un sujet important. Améliorer la répartition des moyens humains sur le territoire est effectivement l’une des difficultés auxquelles nous nous heurtons. Certaines fonctions peuvent apparaître moins attractives que d’autres : je pense notamment à celles des surveillants pénitentiaires ou des personnels de greffe. Nous allons mettre en place, pour les surveillants pénitentiaires, des concours déconcentrés à affectation locale, ce qui permettra de résoudre cette difficulté. Nous instaurons en outre des primes de fidélisation, et nous accroissons les moyens consacrés à la prise en charge sociale du personnel.
Monsieur le président Bas, je suis largement d’accord avec les constats que vous dressez. Vous les aviez d’ailleurs déjà établis lors des travaux que vous avez conduits et sur lesquels je me suis appuyée. En revanche, je ne pose pas toujours le même diagnostic et nous divergeons parfois quant aux solutions à mettre en œuvre, mais j’ai, comme vous, confiance dans notre capacité à progresser ensemble au cours de ce débat.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Je remercie Mme le garde des sceaux du soin qu’elle prend toujours à répondre avec précision et dans le détail à chacune de nos interventions.
Mme Françoise Laborde. C’est vrai !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Cela permet effectivement de faire progresser le dialogue entre nous.
Madame le garde des sceaux, je dois dire que j’ai été vivement impressionné par vos propos sur les engagements du Président de la République en matière de création de places de prison. En effet, si ces engagements portent sur dix ans, cela signifie qu’il enjambe allègrement l’échéance du renouvellement éventuel de son mandat, en 2022… (Sourires.)
Mme Françoise Laborde. Ce ne serait pas le premier à le faire…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Quelque peu surpris de vos propos, j’ai voulu revenir à la source, à savoir le programme du candidat Emmanuel Macron, très facilement accessible sur internet. Il y est écrit : « nous construirons 15 000 places de prison supplémentaires sur le quinquennat » – et non pas sur le décennat.
Je tenais à apporter cette précision, car si le Président de la République n’est pas en mesure de tenir ses engagements, il suffit qu’il nous le dise en toute sincérité, en toute franchise. Du reste, je considère comme fondé votre argument selon lequel construire des places de prison prend beaucoup de temps. C’est d’ailleurs tellement vrai que vous aurez du mal à atteindre votre nouvel objectif de créer 7 000 places de prison d’ici à 2022, sachant que le foncier nécessaire n’a pas encore été réservé et que nous n’en sommes qu’à l’amorce du plan. J’entends bien que vous souhaitez faciliter les acquisitions, à l’instar de ce qui a été fait pour l’organisation des jeux Olympiques, et assouplir les réglementations régissant ces constructions. Je sais aussi que vous comptez diversifier les structures de détention, ce qui est une très bonne chose, mais je vous souhaite bon courage pour réussir à construire 7 000 places de prison à l’échéance annoncée en commençant en 2019. Soyez assurée de tout notre soutien, mais nous tenons à vous mettre en garde contre les difficultés que vous rencontrerez. Vous aurez du mal à atteindre votre objectif, même ramené à 7 000 places ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale commune est close.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à dix-huit heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous passons à la discussion du texte de la commission sur le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice
TITRE Ier
DISPOSITIONS RELATIVES AUX OBJECTIFS DE LA JUSTICE ET À LA PROGRAMMATION FINANCIÈRE
Article 1er
Le rapport définissant les orientations et la programmation des moyens de la justice pour la période 2018-2022, annexé à la présente loi, est approuvé.
Les crédits de paiement de la mission « Justice », hors charges de pensions, exprimés en milliards d’euros courants, évolueront comme suit :
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
6,98 |
7,29 |
7,65 |
8,20 |
8,99 |
Les créations nettes d’emplois du ministère de la justice s’élèveront à 13 728 équivalents temps plein et s’effectueront selon le calendrier suivant :
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
1 100 |
2 987 |
3 095 |
3 213 |
3 333 |
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l’article.
Mme Éliane Assassi. Notre groupe se réjouit de l’effort budgétaire consenti en faveur de l’administration de la justice. Toutefois, permettez-nous, madame la garde des sceaux, de relever les limites et les impasses d’une telle programmation financière.
Tout d’abord, cette hausse du budget, qui atteindra 1,3 milliard d’euros par an en 2022 par rapport au budget de 2018, est exprimée en euros courants, c’est-à-dire sans prendre en compte l’inflation. On sait que le Gouvernement est passé maître dans l’art de manier budget et comptabilité, mais, si l’on retient un taux d’inflation de 1,4 % par an pour ces quatre années, on se rend compte que l’augmentation budgétaire réelle en 2022 s’élèvera non plus à 1,3 milliard d’euros comme annoncé, mais à seulement 900 millions d’euros.
En outre, cette faible augmentation sera allouée très majoritairement aux services de l’administration pénitentiaire, et non aux services judiciaires. L’étude d’impact est explicite : cette hausse doit permettre la construction de 7 000 places de prison et l’amélioration de l’entretien du parc existant. Aussi l’administration judiciaire bénéficiera-t-elle de seulement 500 équivalents temps plein, ou ETP, sur les 6 500 dont la création est prévue. Autrement dit, cette hausse budgétaire a minima n’aura aucune incidence sur le service public de la justice rendu à nos concitoyens et sur cette justice du quotidien asphyxiée et défaillante, d’autant que le reste du texte vise dans sa globalité à éloigner davantage la justice des justiciables.
Enfin – c’est le point central –, ce choix budgétaire n’est pas contraint ; il est éminemment politique. Songeons que, en début d’année, le Gouvernement a décidé une baisse de l’impôt sur la fortune de 4,5 milliards d’euros par an, pour le plus grand profit d’un peu plus de 400 000 ménages. Or ce montant correspond à peu près au budget annuel de la justice hors administration pénitentiaire. Il aurait donc été tout à fait possible de doubler d’un coup le budget de la justice, au bénéfice, cette fois, de tous nos concitoyens ; mais ce n’est pas ce choix qui a été fait.
Le Sénat propose, au travers du texte de la commission des lois, d’augmenter ce budget – c’est tout à son honneur –, mais, hélas, les orientations choisies ne sont pas contestées et les carences ne sont pas comblées. En 2018, il manquait 13 000 postes pour que la France puisse rejoindre la moyenne européenne ; dès lors, la création de 6 500 postes d’ici à quatre ans proposée par le Gouvernement semble bien dérisoire… Bien que plus réaliste, celle de 13 728 ETP prévue par la commission reste bien en deçà du défi à relever par la France, qui, consacrant 1,8 % de son budget public à la justice, se classe au vingt-troisième rang sur vingt-huit à l’échelon européen. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, sur l’article.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Madame la garde des sceaux, nous examinons là un article clef, le chiffrage et le financement de vos propositions constituant évidemment un élément majeur.
Je passe sur le fait que cette loi de programmation présente un intérêt essentiellement politique, puisque c’est lors de chaque débat budgétaire annuel que nous pourrons vérifier si vos engagements sont tenus.
Nous nous trouvons aujourd’hui dans une curieuse situation, madame la garde des sceaux. En effet, vous avez incontestablement une réelle ambition de remettre la justice à un niveau décent, y compris sur le plan budgétaire, même si vos propos de tout à l’heure sur votre absence de dialogue avec Bercy m’ont laissée tout à fait perplexe – il s’agissait, je l’espère, d’une formule imagée. Cependant, au fond, ce projet de loi marque une forme de renoncement : les augmentations annuelles du budget que vous prévoyez pour les cinq prochaines années peuvent sembler à première vue extrêmement ambitieuses, mais elles ne le sont que de manière relative, puisqu’elles sont moindres – je remercie le président Bas de l’avoir rappelé – que celles de M. Urvoas sous le quinquennat de François Hollande. Parce que vous ne pouvez pas faire mieux, vous avez décidé de raboter les crédits de toutes les missions qui permettaient de rapprocher le justiciable de son juge.
La commission des lois a proposé, à juste titre, d’accentuer cet effort budgétaire. Lorsque l’on examine un texte de ce genre, l’étude d’impact est très utile. Or celle-ci, concernant l’article 1er, fait preuve d’une pudeur assez exceptionnelle, puisqu’elle indique en quelques mots, sans proposer, en réalité, la moindre analyse, que les moyens supplémentaires accordés permettront de financer rien de moins que « la construction de 7 000 places de prison », « l’amélioration de l’entretien » du parc existant, « le développement des alternatives à la détention », « l’accompagnement des personnes placées sous main de justice », « le renforcement de la sécurité des établissements » pénitentiaires, « l’amélioration des conditions de travail » du personnel, l’ouverture « de vingt centres éducatifs fermés », « les moyens accordés à l’accès au droit et à l’aide aux victimes » et « la remise à niveau des infrastructures informatiques »…
Dès lors, on le voit bien, les moyens prévus par le Gouvernement sont totalement insuffisants. Vous ne pourrez manifestement pas atteindre les objectifs que vous avez fixés, madame la garde des sceaux.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Bien que la commission des lois ait considérablement amélioré le profilage budgétaire, celui-ci reste très insuffisant au regard de l’ambition affichée.
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, sur l’article.
M. Jacques Bigot. Madame la garde des sceaux, au-delà de la programmation budgétaire, il faut aussi se pencher sur l’organisation de la dépense et les méthodes mises en place.
Monsieur le président de la commission des lois, beaucoup des magistrats que nous avons rencontrés lors des nombreux déplacements que nous avons faits ensemble, notamment des présidents de tribunal de grande instance et des premiers présidents de cour d’appel, se sont plaints d’une hypercentralisation de la gestion budgétaire. Si nous voulons faire en sorte que la justice fonctionne mieux au quotidien, il faut ménager des assouplissements dans son organisation.
Cela ne relève certes pas du domaine de la loi, mais le fait qu’une évolution de l’organisation des services du ministère de la justice et une forme de déconcentration des pouvoirs ne soient nulle part évoquées dans le texte n’est pas rassurant. Des présidents de juridiction nous ont indiqué avoir manqué l’occasion de réaliser des investissements nécessaires étant donné l’état de leurs locaux parce qu’ils n’avaient été prévenus qu’au dernier moment de l’ouverture d’une ligne budgétaire : ils n’avaient donc pu anticiper et passer commande des travaux selon les règles des marchés publics. Si une amélioration fonctionnelle n’intervient pas à cet égard, Bercy aura beau jeu de conclure qu’il n’y a pas lieu d’augmenter les crédits, puisque ceux disponibles ne sont pas tous consommés… C’est d’ailleurs ce que ses services nous ont déjà opposé lors des auditions auxquelles a procédé la mission d’information.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 310, présenté par MM. Détraigne et Buffet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 1
Remplacer l’année :
2018
par l’année :
2019
II. – Alinéa 3, tableau, première colonne
Supprimer cette colonne.
III. – Alinéa 4
Remplacer le nombre :
13 728
par le nombre :
12 628
IV. – Alinéa 5, tableau, première colonne
Supprimer cette colonne.
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Le présent amendement tend à rendre crédible le calendrier de la programmation budgétaire adopté par le Parlement.
En effet, le Gouvernement ayant tardé à déposer et à faire examiner son projet de loi de programmation des moyens pour la justice, la loi de finances pour 2018 est déjà en cours d’exécution ; adopter une programmation budgétaire pour 2018 est donc un exercice inutile.
En conséquence, nous proposons que l’on s’en tienne à la programmation budgétaire pour les années 2019 à 2022 retenue par la commission des lois, qui reprenait celle votée par le Sénat le 24 octobre 2017, 2022 étant l’année cible pour la remise à niveau des moyens de la justice, avec un budget évalué à 8,99 milliards d’euros, hors dépenses de pensions, contre 8,3 milliards d’euros dans le projet gouvernemental.
Pour ce qui concerne les emplois, dans la même perspective, il est proposé de s’en tenir à la programmation retenue par la commission des lois pour la période 2019-2022, prévoyant la création de 12 628 emplois.
M. le président. L’amendement n° 205, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 3 à 5
Remplacer ces alinéas par quatre alinéas ainsi rédigés :
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
7,0 |
7,3 |
7,7 |
8,0 |
8,3 |
Les créations nettes d’emplois du ministère de la justice s’élèveront à 6 500 équivalents temps plein et s’effectueront selon le calendrier suivant :
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
1 100 |
1 300 |
1 620 |
1 260 |
1 220 |
La présente programmation fera l’objet d’actualisations, dont l’une sera mise en œuvre avant la fin de l’année 2021. Ces actualisations permettront de vérifier la bonne adéquation entre les objectifs fixés dans le rapport annexé à la présente loi, les réalisations et les moyens consacrés.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je vous propose, mesdames, messieurs les sénateurs, de rétablir la programmation budgétaire du projet de loi initial, afin de maintenir une trajectoire des crédits et des créations d’emplois en adéquation avec les objectifs fixés dans le rapport annexé au présent texte. Cet amendement tend ainsi à prévoir une progression des crédits de 24 % à l’horizon de 2022 et la création de 6 500 emplois.
Madame de La Gontrie, vous avez fait état d’une augmentation des crédits supérieure sous la majorité précédente. Je ne crois pas que ce soit le cas.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Mais si !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Si mes chiffres sont exacts, entre 2012 et 2017, la hausse des crédits votée s’est établie à 838 millions d’euros.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Je parle de la dernière année !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Dans le testament qu’il a laissé après avoir quitté le ministère de la justice, M. Urvoas prévoyait une augmentation d’un milliard d’euros en cinq ans. Pour ma part, je vous propose d’augmenter de 1,6 milliard d’euros le budget de la justice. C’est là une hausse de grande ampleur, mais sa soutenabilité est garantie par sa cohérence avec la loi de programmation des finances publiques ; ce n’est pas le cas pour la proposition de votre commission des lois.
La trajectoire que vous avez retenue, messieurs les rapporteurs, ne me semble pas réaliste, puisqu’elle prévoit, notamment, la construction et la livraison de 15 000 places de prison d’ici à 2022. C’est irréaliste,…
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Dites-le au Président de la République !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. … tant du point de vue immobilier, du fait du manque de foncier disponible et des délais techniques de construction, bien que nous les réduisions grâce aux dispositions de l’article 51 du projet de loi, que du point de vue de notre capacité à recruter du personnel pénitentiaire. Monsieur le président Bas, les premières nouvelles places de prison du programme « 13 200 » lancé en 2002 par Dominique Perben n’ont été livrées qu’en 2008, et les dernières ne l’ont été qu’en 2015…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Tout à fait, conformément à ce qui était prévu.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le programme du Président de la République prévoit effectivement la construction de 15 000 places ; c’est bien ce que nous ferons, en construisant 7 000 places de prison supplémentaires et en créant 2 300 ETP pour armer ces nouveaux établissements d’ici à 2022, d’une part, et en lançant la réalisation de 8 000 autres places supplémentaires, toujours d’ici à 2022, d’autre part. La trajectoire du Gouvernement confirme les engagements présidentiels ; elle est tout à la fois ambitieuse et réaliste.
Cette trajectoire intègre une réforme des peines qui a vocation à réduire le placement en détention au profit d’autres peines et donc, à terme, à diminuer le besoin en places de prison.
Cette programmation permettra également, de manière plus volontariste que vous ne le proposez, de conduire un vaste plan de transformation numérique doté de 530 millions d’euros de crédits d’investissement et de 260 emplois supplémentaires.
La programmation financière n’oublie pas la protection judiciaire de la jeunesse, puisqu’elle prévoit non seulement la création de vingt centres éducatifs fermés, mais également les moyens de diversifier et d’individualiser la prise en charge des mineurs par une réponse plus diversifiée et plus efficace.
Enfin, ce budget donne les moyens d’une réforme globale de la justice alliant réformes des procédures civiles et de la procédure pénale, développement des modes alternatifs de règlement des litiges, adaptation de l’organisation judiciaire pour plus d’efficacité et de lisibilité, accompagnement des plus démunis par des dispositifs d’accès au droit.
L’amélioration des conditions de travail dans les juridictions sera réelle. Nous constatons d’ailleurs, après l’exécution du budget 2018 et avec le budget 2019 à venir, qu’elle commence déjà à se faire sentir grâce aux moyens prévus pour la résorption des vacances d’emploi, à la constitution des équipes entourant le magistrat que j’évoquais tout à l’heure, à un haut niveau de moyens de fonctionnement et à un effort immobilier sans précédent pour les juridictions.
Pour ces raisons, le Gouvernement propose de rétablir la programmation du projet de loi initial et émet, par cohérence, un avis défavorable sur l’amendement n° 310 de la commission.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 205 ?
M. Yves Détraigne, corapporteur. La commission est défavorable à l’amendement du Gouvernement. Nous ne sommes pas sur les mêmes courbes.
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. Madame la ministre, vous nous indiquez que prévoir la construction de 15 000 places de prison d’ici à 2022 ne serait pas réaliste. Il s’agit là d’un point nodal, que je voudrais clarifier une fois pour toutes.
J’ai profité de la suspension de séance de tout à l’heure pour consulter ma bible, à savoir le programme 2017-2022 du candidat Emmanuel Macron. (L’orateur brandit le document.) Au chapitre intitulé « Un État qui protège », il est, écrit noir sur blanc : « Nous construirons 15 000 nouvelles places de prison », et non « Nous lancerons leur construction ».
Aujourd’hui, vous nous dites un peu vigoureusement que nous devrions savoir que construire des prisons prend du temps, compte tenu des délais, des procédures à respecter et autres difficultés à surmonter. Je ne le conteste pas, madame la ministre. Je constate simplement que vous avez attendu d’être confrontée aux difficultés inhérentes à l’exercice du pouvoir pour revenir sur un engagement présidentiel fort en révisant votre programme de construction à la baisse et en modifiant le calendrier. Cela mérite d’être souligné ! Les objectifs du programme présidentiel ont été divisés par deux. Ce n’est pas être désagréable à votre endroit et vous mettre en cause que de relever que le Président de la République s’est aperçu, depuis son élection, de la difficulté de la tâche…
Par ailleurs, vous nous avez dit vouloir consentir un effort exceptionnel, mais les moyens budgétaires et législatifs nécessaires au lancement d’un chantier véritablement prioritaire n’ont pas été mobilisés. On aurait pu s’attendre à ce que soit mis en place un programme analogue à celui qui a été établi en vue de la tenue des jeux Olympiques de 2024, pour enfin accélérer les choses, mais tel n’est pas le cas.
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour explication de vote.
M. Thani Mohamed Soilihi. Bien évidemment, je soutiens l’amendement du Gouvernement, non pas parce que celui-ci en est l’auteur (Sourires.), mais pour les raisons de cohérence avec la loi de programmation des finances publiques dans un contexte budgétaire contraint rappelées tout à l’heure par Mme la ministre. La proposition de la commission a également sa cohérence, mais je préfère celle, plus globale, de l’amendement du Gouvernement.
Par ailleurs, cet amendement tient compte des mesures du texte qui permettront de libérer des places de prison et du développement de la numérisation de la justice, qui est de nature à simplifier les choses et à engendrer des économies.
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour explication de vote.
M. Alain Marc. L’amendement de la commission des lois prévoit la création de 12 628 postes au sein du ministère de la justice, un chiffre qui paraît beaucoup plus réaliste que celui annoncé par le Gouvernement, à savoir 13 728. En effet, l’attractivité des métiers de l’administration pénitentiaire est très faible et l’on ne parvient pas à pourvoir tous les postes mis au concours.
Cela devrait d’ailleurs nous inciter à revoir les rémunérations de ces personnels et à envisager des aides au logement : la première affectation est souvent en région parisienne, et certains nouveaux fonctionnaires en sont réduits à dormir dans leur voiture, faute d’autre solution…
Madame la garde des sceaux, je souhaiterais donc que nous nous penchions ensemble sur cette question de l’attractivité des métiers.
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Avec son amendement, Mme la garde des sceaux ne fait que reprendre l’idée développée au travers de la proposition de loi que nous avons adoptée voilà un an. C’est sans doute la raison pour laquelle il s’agit d’une programmation annuelle rétroactive. Mme la garde des sceaux veut sans doute vous montrer ainsi, monsieur le président de la commission des lois, qu’elle se rallie à votre démarche, avec des chiffres différents.
Nous verrons bien si la programmation proposée sera respectée, si tous les crédits inscrits pour 2018 ont été dépensés. Cela étant, nous le savons, du fait de l’annualisation budgétaire, cette programmation pluriannuelle constitue un engagement très formel, une simple indication. Il faudra la rappeler, quel que soit le gouvernement en place.
Nous ne voterons pas l’amendement n° 205 et nous abstiendrons sur l’article 1er tel qu’issu des travaux de la commission. L’essentiel est que nous nous battions chaque année, tous ensemble, lors du débat budgétaire, pour donner à la justice les moyens dont elle a besoin.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je voudrais répondre à M. Bonhomme, qui a relu le programme du Président de la République, ce dont je ne peux que me réjouir…
Effectivement, le candidat Macron avait écrit : « Nous construirons 15 000 nouvelles places de prison ».
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Sur le quinquennat !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, vous savez très bien que l’action de construire consiste à assembler différents éléments… (Rires.)
M. François Bonhomme. Voilà qui est subtil !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. On peut donc en être à divers stades de l’assemblage, selon les sites ! En 2022, nous aurons construit et livré 7 000 places et engagé la construction de 8 000 autres. Monsieur le sénateur, il n’est pas écrit, dans le programme présidentiel, que 15 000 nouvelles places seront livrées en 2022. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Au-delà de la sémantique, je rappellerai simplement que nous allons consacrer 1,7 milliard d’euros à ces constructions, une somme loin d’être négligeable.
M. le président. En conséquence, l’amendement n° 205 n’a plus d’objet.
RAPPORT ANNEXÉ
1. Vers une justice simple, efficace, moderne, proche des gens
1.1. État des lieux
1.2. Une réforme d’ensemble de l’institution judiciaire est devenue nécessaire
1.2.1. Simplifier la procédure pénale pour faciliter l’action des services enquêteurs et de la justice, tout en veillant au respect des libertés fondamentales
1.2.2. Harmoniser la procédure civile et la rendre plus accessible pour le justiciable
1.2.3. Un recentrage de la justice sur ses missions premières : trancher les conflits et protéger les droits et libertés des citoyens
1.2.4. Un développement des modes alternatifs de règlement des litiges
1.2.5. Une transformation numérique de la justice
1.2.6. Une organisation judiciaire adaptée à ces évolutions conjuguant proximité et compétence
1.2.7. Une justice plus prévisible
1.3. Cette réforme doit redonner du souffle au fonctionnement de l’institution
1.3.1. La conjonction de toutes ces réformes permet de redéployer des emplois
1.3.2. Un renouveau des méthodes de travail
1.3.3. Des moyens humains et matériels pour améliorer la qualité de l’environnement de travail et l’accueil du justiciable
1.3.4. Une recherche déterminée de l’efficacité de gestion
1.4. Améliorer la qualité et l’efficacité de la justice administrative
2. Un service public de la justice plus protecteur et attentif aux plus démunis et aux personnes en souffrance
2.1. Promouvoir l’accès au droit
2.2. Une aide juridictionnelle rationalisée et permettant à chacun d’avoir une défense de qualité
2.3. Accompagner les victimes
3. Un engagement sans faille pour mieux prévenir la radicalisation et lutter contre le terrorisme
3.1. Mieux prévenir la radicalisation dans les établissements pénitentiaires
3.2. Renforcer la prise en charge éducative des jeunes radicalisés et des mineurs de retour de Syrie
4. Des peines plus efficaces et mieux adaptées, des personnels confortés dans leurs missions
4.1. Renforcer l’efficacité des peines
4.2. Conforter la sécurité et l’autorité des personnels et mieux reconnaître leurs métiers et leurs missions
4.3. Donner aux détenus des conditions d’emprisonnement dignes
4.4. Développer des alternatives à l’incarcération et favoriser le suivi des PPSMJ
5. La diversification et l’individualisation de la prise en charge des mineurs
6. Une stratégie ministérielle de ressources humaines pour accompagner ces réformes
Projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice
Trait d’union indispensable entre liberté et sécurité, la justice fonde le contrat social et forge l’esprit républicain. De son bon fonctionnement dépend le caractère harmonieux de la régulation sociale. La justice est en conséquence au centre des préoccupations du Gouvernement.
La présente loi de programmation, annoncée par le Premier ministre dès son discours de politique générale du 4 juillet 2017, garantit à la justice, dans la durée, des moyens pour lui permettre d’accomplir les réformes nécessaires à l’amélioration du service dû à nos concitoyens.
La progression des crédits, inscrite dans la loi de programmation, de 24 % à horizon 2022 par rapport à la loi de finances pour 2017, traduit de manière concrète la priorité donnée par le Gouvernement à la modernisation de la justice. Dès 2018, les crédits augmentent de 3,9 % et un effort significatif, à la hauteur des enjeux, est initié en matière de recrutements. Il se concrétise, sur la période 2018-2022, par la création de plus de 6 500 emplois.
Cette trajectoire ambitieuse est néanmoins soutenable pour les finances publiques. Partant du cadrage budgétaire global de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, la présente loi de programmation pour la justice précise l’effort supplémentaire requis par la nécessaire modernisation du service public de la justice, et en sécurise les moyens. D’ici à 2022, la progression des crédits se décline comme suit :
Moyens de la mission justice HT2 + T2HCAS |
|||||
En milliards d’€ et en crédits de paiement |
|||||
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
|
Mission justice |
7,0 |
7,3 |
7,7 |
8,0 |
8,3 |
La traduction en emplois de cet investissement sans précédent s’échelonne de la manière suivante sur la période considérée :
En équivalents temps plein (ETP) |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
Création d’emplois de la mission justice |
1 100 |
1 300 |
1 620 |
1 260 |
1 220 |
Disposer d’une trajectoire budgétaire sécurisée sur cinq ans permettra au ministère de la justice de conduire résolument et sans à-coups les investissements d’ampleur indispensables, tant dans les domaines informatique qu’immobilier et d’accompagnement en matière de ressources humaines, pour évoluer vers un service public moderne, davantage attentif aux besoins des justiciables qu’il accueille et plus respectueux encore des personnes qui lui sont confiées.
Grâce à ces moyens en forte augmentation, le ministère s’engage dans des réformes puissantes afin de redonner confiance au citoyen dans la capacité de la justice à rendre des jugements de qualité, dans des délais maîtrisés, et à réinsérer les personnes qu’elle condamne.
Les réformes portées ici par le Gouvernement intéressent tout à la fois les procédures, les organisations et les outils du ministère. Les plus structurantes de ces réformes sont le fruit des « chantiers de la justice », lancés par le Premier ministre et la garde des sceaux le 6 octobre 2017. Au nombre de cinq, ces chantiers ont traité de la transformation numérique, de l’amélioration et de la simplification des procédures civile d’une part, pénale, d’autre part, de l’adaptation du réseau des juridictions, du sens et de l’efficacité des peines. Deux référents ont été désignés sur chaque chantier afin de conduire une intense concertation avec les acteurs concernés. Plusieurs centaines d’auditions, l’envoi de questionnaires, une consultation numérique ont donné aux référents une matière riche pour faire des propositions d’évolution souvent ambitieuses, toujours en réponse aux attentes des acteurs consultés. Ce projet de loi de programmation met ainsi en œuvre les propositions de niveau législatif qui ont été retenues pour concrétiser les ambitions d’une justice rénovée. Il sera complété des textes réglementaires nécessaires à la conduite des réformes ainsi initiées.
Le projet de loi s’est également attaché à promouvoir la diversification des modes de prise en charge des mineurs auteurs d’infractions pénales en accompagnant la création de 20 centres éducatifs fermés et en promouvant de nouveaux modes de réponses pénales.
Il intègre également une autre priorité annoncée dans le programme du Président de la République : la mise en œuvre d’un « plan pénitentiaire » permettant, notamment, la création de nouvelles places de prison afin, notamment, de répondre à terme à l’objectif d’encellulement individuel.
L’ensemble de ces évolutions fortes, résultat d’une démarche de concertation de plus de cinq mois, permettra d’aller vers une justice simple, efficace, moderne, proche des gens (I), de rendre le service public de la justice plus protecteur et attentif aux plus démunis et aux personnes en souffrance (II), de consacrer un engagement sans faille pour mieux prévenir la radicalisation et lutter contre le terrorisme (III), de prononcer des peines plus efficaces et mieux adaptées tout en confortant les personnels dans leurs missions (IV), de diversifier et d’individualiser la prise en charge des mineurs délinquants (V). Une stratégie ministérielle des ressources humaines est définie pour accompagner tous les personnels du ministère dans cette transformation (VI).
1. Vers une justice simple, efficace, moderne, proche des gens
1.1. État des lieux
Le constat d’une justice qui fonctionne de moins en moins bien est connu de tous et partagé. Les délais de jugement ne cessent de s’allonger en dépit de la mobilisation des magistrats et fonctionnaires. Ils sont, en 2016, à plus de 11 mois pour les affaires civiles dans les tribunaux de grande instance, à près de 14 mois en appel dont plus de 18 mois dans les chambres sociales, à 17 mois dans les conseils de prud’hommes.
La justice apparaît souvent au justiciable comme un labyrinthe, avec une organisation à la lisibilité incertaine, des procédures difficilement intelligibles et des décisions qui peuvent parfois sembler peu prédictibles voire difficilement compréhensibles. L’organisation judiciaire, en décalage avec celle des autres administrations de l’État, pose également question pour la conduite de la politique publique de la justice qui nécessite une interaction étroite avec les services de la police et de la gendarmerie ainsi qu’avec les préfets, les autres administrations de l’État et les collectivités territoriales.
Les juridictions se plaignent souvent d’un manque de moyens. Des efforts importants ont été faits dans le budget 2018 pour augmenter de 9 % les crédits de fonctionnement desdites juridictions. Les charges à payer ont été significativement réduites en 2017. Toutefois, un effort de long terme, au travers d’une action structurelle, est indispensable pour améliorer durablement la situation des juridictions.
L’amélioration du quotidien de travail est une attente très forte des magistrats et des fonctionnaires. La mise à disposition d’équipements et d’applications informatiques modernes, répondant aux besoins de mobilité et permettant de gagner en efficacité, constitue une demande récurrente, également remontée de la consultation numérique réalisée auprès des agents du ministère dans le cadre du chantier relatif à la transformation numérique. Le besoin de formation et d’un soutien informatique renforcé est aussi affirmé.
La dématérialisation s’impose comme un besoin pour les justiciables et les partenaires de la justice qui souhaitent saisir et communiquer avec elle en ligne, comme ils le font désormais avec la plupart des services publics. Le ministère doit s’engager résolument dans la démarche de l’État-plateforme, tout en garantissant aux publics éloignés du numérique un accès proche et de qualité.
Face à ces constats, la réforme est urgente car la confiance du citoyen dans la justice, instance privilégiée de régulation des relations sociales et pilier déterminant de la démocratie, est émoussée. La lassitude des magistrats et fonctionnaires, soucieux de rendre un service public de qualité, s’exprime de plus en plus vivement.
1.2. Une réforme d’ensemble de l’institution judiciaire est devenue nécessaire
La loi de programmation pour la justice prévoit une véritable remise à niveau des moyens des juridictions. 832 emplois seront créés et les gains d’emplois dégagés par les réformes seront intégralement redéployés vers les juridictions.
Mais les moyens ne constituent pas à eux seuls une réponse suffisante et ne sont légitimes, dans un contexte budgétaire contraint, que s’ils permettent une transformation de la justice.
La loi de programmation développe cette ambition en simplifiant tout à la fois la procédure pénale et la procédure civile, en organisant la déjudiciarisation des demandes dont la satisfaction sera plus rapide et certaine par des services administratifs ou des professions réglementées (tout en maintenant la possibilité d’une contestation devant le juge), en développant des modes alternatifs de règlement des litiges, en donnant les moyens d’une véritable transformation numérique de la justice et en proposant une approche modernisée de l’organisation du travail judiciaire.
1.2.1. Simplifier la procédure pénale pour faciliter l’action des services enquêteurs et de la justice, tout en veillant au respect des libertés fondamentales
Afin de répondre aux légitimes attentes de nos concitoyens qui aspirent à une justice plus accessible, plus proche et plus rapide dans le traitement de leurs requêtes ou de leur situation, il a été décidé de faciliter le travail quotidien de tous les acteurs de la chaîne pénale. Il s’agit ici d’amplifier l’effort de simplification déjà engagé mais dont les résultats paraissent encore insuffisants.
Ont ainsi été retenues dans le projet de loi de programmation des mesures concrètes, dont l’objectif n’est pas de réformer en profondeur l’architecture de notre procédure pénale mais de faciliter l’action des magistrats, des fonctionnaires de justice, des services enquêteurs, sans jamais porter atteinte aux exigences conventionnelles et constitutionnelles.
Les simplifications proposées concernent les différentes phases de la procédure pénale, qu’il s’agisse de la phase d’investigation (enquête et instruction) ou de ses suites judiciaires (alternatives aux poursuites, poursuites et jugement).
Les simplifications envisagées pour la phase d’investigation portent notamment sur l’uniformisation du recours aux interceptions téléphoniques et aux autres techniques spéciales d’enquête, sur la suppression d’autorisations préalables à certaines actions des officiers de police judiciaire ou sur la possibilité de les déléguer à des agents de police judiciaire, ainsi que sur l’information judiciaire.
Il est également prévu de modifier les règles relatives à la garde à vue afin d’en rendre le traitement moins lourd. Le projet de loi de programmation pour la justice ne modifie pas l’économie du régime actuel de la garde à vue et maintient des garanties strictes en termes de protection des libertés.
Les simplifications des suites judiciaires proposées par le projet de loi s’effectuent au travers de la fusion de la transaction et de la composition pénales, de l’extension de la forfaitisation d’un certain nombre de délits dont l’usage de stupéfiants, de l’extension de l’ordonnance pénale et des décisions pouvant intervenir dans le cadre de la procédure de comparution avec reconnaissance préalable de culpabilité, de l’extension de la compétence du juge unique, de la rationalisation de la procédure devant la cour d’assises et de la possibilité de regrouper toutes les procédures en cours visant un même prévenu devant le tribunal correctionnel.
Afin d’accroître plus encore la qualité et la célérité du jugement, est également prévue la création d’une procédure de comparution différée. Procédure intermédiaire entre la comparution immédiate et l’information judiciaire, elle permet le recours à des mesures coercitives préalables fixées par le juge des libertés et de la détention (détention provisoire, contrôle judiciaire, assignation à résidence avec surveillance électronique), pendant un temps limité (deux mois maximum) afin de permettre le retour des résultats d’investigations déjà ordonnées, ainsi que, pour les parties, la possibilité de solliciter une demande d’acte.
Enfin, il est prévu d’expérimenter dans plusieurs ressorts pendant trois ans un tribunal criminel départemental, qui jugera en premier ressort les crimes commis par des majeurs et punis d’une peine de 20 ans de réclusion criminelle au plus, en substitution de la cour d’assises. Ce tribunal composé uniquement de magistrats permettra un audiencement plus rapide des affaires tout en garantissant la qualité des débats.
1.2.2. Harmoniser la procédure civile et la rendre plus accessible pour le justiciable
Il existe actuellement une multiplicité de procédures en matière civile, différentes entre le tribunal de grande instance et le tribunal d’instance, variables selon la nature du contentieux. Ces procédures sont en outre portées par des systèmes d’information séparés, souvent très anciens, et reposant sur des bases locales. En dépit des efforts d’information déjà entrepris avec la création du site internet justice.fr et du développement dans les tribunaux de services d’accueil unique du justiciable (SAUJ), la procédure civile reste inaccessible pour la plupart des justiciables du fait de sa complexité et de son absence de dématérialisation.
La simplification, pour les justiciables, de ces modes et procédures distincts de saisine doit être recherchée.
L’objectif est donc d’évoluer progressivement vers deux types de procédure selon la nature du contentieux : une procédure orale sans représentation obligatoire pour les contentieux les plus simples, une procédure écrite avec représentation obligatoire pour les autres contentieux. Le contentieux traité actuellement dans les tribunaux d’instance doit rester sans représentation obligatoire pour faciliter l’accès au juge. L’orientation retenue consiste à étendre la représentation obligatoire à certains contentieux devant le tribunal de grande instance et la cour d’appel pour assurer un meilleur conseil au justiciable, à l’exception de certains contentieux dits de proximité concernant souvent les publics les plus fragiles (surendettement, instances modificatives en matière familiale, baux d’habitation, crédit à la consommation, sécurité sociale).
Le seuil de 10 000 € en-dessous duquel il est possible de saisir le juge d’instance sans avocat est maintenu. En revanche, la représentation obligatoire devant le juge de l’exécution serait étendue lorsque le litige est supérieur à ce même seuil. Il en va de même pour l’ensemble des appels, sauf contentieux particuliers tenant par exemple au surendettement ou aux appels prud’homaux. Enfin, la représentation obligatoire serait encore étendue à plusieurs contentieux complexes ou très sensibles comme les baux ruraux ou les litiges relatifs aux élections professionnelles.
La simplification des procédures se traduit également dans les mesures du projet de loi de programmation pour la justice relatives à la convergence de la procédure de divorce vers le droit commun, avec l’abandon de l’audience de conciliation, la possibilité d’exécution forcée par le parquet des décisions du juge aux affaires familiales. La création d’une juridiction nationale de traitement dématérialisé des injonctions de payer est prévue pour dématérialiser complètement ce contentieux simple et non contradictoire mais de masse (près de 500 000 requêtes par an) et les demandes portant sur les délais de paiement
Les modalités de ces procédures devront être harmonisées avec un acte de saisine unique, en ligne (sauf pour les justiciables ne disposant pas d’outil de communication numérique), la généralisation de la signification par acte d’huissier, ce qui déchargera les greffes des tâches de convocation, le développement de la procédure de mise en état participative, la possibilité de statuer sans audience avec l’accord des parties.
La plupart de ces évolutions sont de niveau réglementaire et ne nécessitent pas de disposition dans ce projet de loi. En revanche, le calendrier de leur mise en œuvre sera déterminé en lien avec celui de l’évolution de l’organisation judiciaire et celui du développement des applications informatiques associées.
1.2.3. Un recentrage de la justice sur ses missions premières : trancher les conflits et protéger les droits et libertés des citoyens
Depuis plusieurs années, la tendance est à l’octroi de nouvelles compétences au juge. Cette tendance s’inscrit en partie dans une dynamique de meilleure protection des droits et libertés des justiciables. Mais il s’agit aussi souvent d’une facilité pour le législateur quand il a besoin de l’intervention d’un tiers de confiance dans une procédure. La loi relative à la modernisation de la justice du XXIème siècle a réalisé une première œuvre utile de recentrage du juge sur ses missions principales en ouvrant notamment la possibilité de divorcer par acte d’avocat quand les parties en sont d’accord.
Le projet de loi de programmation pour la justice s’attaque pour sa part à un autre domaine emblématique : la réforme de la protection juridique des majeurs protégés, dont le rapport de la Cour des comptes de 2016 a montré la trop faible efficience. Le rôle extensif du juge et du greffe en matière de tutelle, au lieu de garantir une protection élevée des personnes sous tutelle, l’empêche de concentrer son action là où elle serait vraiment utile et laisse toute une partie du travail de contrôle sans effectivité. Il est donc envisagé d’étendre le recours à l’habilitation familiale, d’alléger le contrôle a priori du juge sur les actes de gestion patrimoniale et d’externaliser la vérification des comptes de gestion auprès des professions habilitées (experts-comptables, huissiers de justice, notaires) quand le patrimoine le justifie.
Au-delà de la réforme des tutelles, d’autres voies innovantes de déjudiciarisation sont poursuivies : une expérimentation pourrait confier aux organismes débiteurs des prestations familiales ou à des officiers publics ministériels la fixation de la révision des pensions alimentaires ; les modalités de délivrance des apostilles doivent être modernisées pour décharger les parquets généraux d’une tâche purement administrative. La répartition des fonds versés par l’employeur dans le cas des saisies des rémunérations pourrait être transférée à la Caisse des dépôts et consignations, favorisant une gestion plus professionnelle et efficace de ces fonds et une diminution des sommes maniées par les régies d’avances et de recettes des tribunaux. La suppression de l’homologation des changements de régime matrimonial en présence d’enfants mineurs est proposée.
1.2.4. Un développement des modes alternatifs de règlement des litiges
Les modes alternatifs de règlement des litiges doivent continuer à se développer pour alléger l’activité des juridictions mais, surtout pour favoriser des modalités plus apaisées et plus rapides de règlement des différends pour les citoyens. La loi relative à la modernisation de la justice du XXIème siècle a d’ores et déjà rendu systématique le recours préalable au conciliateur pour les litiges de moins de 4 000 euros. La loi de finances pour 2016, mise en application par le décret n° 2016-1876 du 27 décembre 2016, a solvabilisé le recours à la médiation pour les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle en créant une aide à la médiation, en cas de médiation judiciaire ou de médiation conventionnelle homologuée par le juge, et en étendant la rétribution des avocats en cas de médiation. La loi de programmation pour la justice va plus loin en proposant d’étendre l’obligation d’une tentative préalable de règlement amiable à tout litige, avec des exceptions qui seront fixées par décret en Conseil d’État au regard de la nature ou du montant du litige. Le juge pourra également plus largement enjoindre de rencontrer un médiateur pour une information sur l’objet et le déroulement d’une médiation.
L’expérimentation de tentative de médiation familiale préalable obligatoire introduite par la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle sera poursuivie, avant le cas échéant d’être généralisée à partir de 2020, si ses résultats sont concluants.
Pour promouvoir le recours aux modes alternatifs de règlement des litiges, il est nécessaire d’étendre l’offre en la matière tout en veillant à sa qualité. Il convient à cet effet d’encadrer les obligations pesant sur les prestataires offrant en ligne des services d’aide à la résolution amiable du litige, de prévoir les sanctions pénales applicables en cas d’inobservation de ces obligations et d’organiser leur contrôle.
Cette promotion des modes alternatifs de règlement des litiges s’appuiera sur une progression des moyens dédiés à la médiation et aux espaces de rencontre sur le quinquennat, la montée en puissance de l’aide à la médiation introduite par décret en 2016, et le recrutement de conciliateurs, mieux rétribués pour leurs interventions.
1.2.5. Une transformation numérique de la justice
Pour bâtir, avant 2022, un véritable service public numérique de la justice, qui permette à l’ensemble des usagers de gérer en ligne leurs procédures et leurs démarches, et aux magistrats et agents du ministère de bénéficier d’applicatifs et d’outils de travail adaptés, réduisant les tâches répétitives et de faible valeur ajoutée, un effort inégalé sera engagé, qui portera sur trois axes indissociables.
L’adaptation du socle technique : le renforcement des réseaux du ministère doit permettre de les sécuriser et de tripler, au minimum, les débits offerts, en commençant dès 2018 et en couvrant la totalité des sites d’ici 2020, tout en poursuivant la migration vers la téléphonie IP ; les magistrats et agents bénéficieront d’outils répondant aux exigences de leur métier, en matière de téléphonie sécurisée ou d’outils de communication mobiles, en veillant désormais à homogénéiser le parc d’équipements et ses modalités de renouvellement ; les juridictions et services du ministère seront dotés d’outils permettant le développement d’échanges sécurisés (mise en service dès 2018 d’une plateforme d’échange de documents volumineux, dispositif permettant l’envoi de LRAR par voie électronique, consolidation du dispositif de visio-conférence) et facilitant le travail quotidien au profit des magistrats et agents comme des justiciables eux-mêmes (poursuite du déploiement des centres d’appel permanence parquet, outils de prise de rendez-vous en ligne et de signalétique dynamique dans les juridictions…).
Les applications du ministère évolueront pour permettre une généralisation de la communication électronique et de la gestion en ligne des procédures et des démarches. Dès 2018, le déploiement du portail des SAUJ et du portail des justiciables permettra de connaître, en ligne, l’état d’avancement des procédures aussi bien pénales que civiles, quelle que soit la juridiction territorialement compétente ; l’opportunité de saisir la juridiction en ligne, pour certains contentieux dans un premier temps, sera effective à la fin de l’année 2018 ; le travail des juridictions sera facilité, notamment par la poursuite du déploiement de l’application Cassiopée aux juridictions d’appel et le déploiement d’outils industrialisés à partir d’expérimentations locales ; les demandes d’extraits de casier judiciaire seront totalement gérées en ligne.
En 2019, une nouvelle application permettra également de gérer en ligne l’ensemble de la procédure d’aide juridictionnelle et les possibilités de communication électronique seront étendues à la totalité des juridictions.
Le déploiement de nouvelles applications, à compter de 2020, en matière civile (projet Portalis) comme en matière pénale (projet Procédure pénale numérique, conduit conjointement avec le ministère de l’intérieur), développées en intégrant les exigences de l’État-plateforme et d’interopérabilité avec l’ensemble des partenaires du service public de la justice, permettra une gestion entièrement numérique des procédures, où chacun des acteurs de celle-ci pourra accéder, en fonction de ses droits, à un dossier numérique partagé. Les applications du ministère seront décloisonnées, dans le respect des principes de confidentialité propre à chacun des domaines concernés, favorisant ainsi le suivi et la gestion des parcours individuels, tout en allégeant les tâches des agents. Ces évolutions concerneront les juridictions, mais également la protection judiciaire de la jeunesse (programme Parcours) et l’administration pénitentiaire (gestion des détenus, numérique en détention, renseignement pénitentiaire…).
Le soutien aux utilisateurs et l’accompagnement du changement : le dispositif de soutien aux utilisateurs internes au ministère sera substantiellement renforcé et rationalisé et le déploiement d’applications nouvelles s’accompagnera d’actions de formation et d’appui à la conduite du changement à la mesure de l’importance des évolutions programmées et de la place désormais conférée aux applications informatiques dans le travail quotidien. La mise en place d’un véritable service public numérique de la justice devra également s’accompagner d’une assistance aux usagers de ce service public, y compris en veillant à l’accueil, dans le réseau des juridictions et de l’accès au droit, mais aussi en partenariat avec l’ensemble des acteurs mobilisables à cet effet, des usagers les plus éloignés du numérique.
La transformation numérique offre l’opportunité unique de rendre notre justice accessible très simplement, à tous, de rendre des décisions plus rapidement, de réduire les distances géographiques, d’introduire de la transparence sur l’avancée des procédures. La réussite de cette transformation, qui irrigue toutes les structures et toutes les activités du service public de la justice, conditionne en bonne partie le succès des autres réformes.
C’est pourquoi le pilotage de la transformation numérique est renforcé, placé sous l’égide d’un comité stratégique présidé par la ministre. L’accroissement substantiel des moyens consacrés au virage numérique sera de la sorte dirigé, orienté et suivi à haut niveau. Il convient, en effet, d’encadrer strictement et d’être en capacité de rendre compte du caractère optimal des choix d’utilisation des crédits d’investissement spécifiquement dévolus au plan de transformation numérique, qui s’élèveront à 530 millions d’euros sur la période 2018-2022.
Afin de doter le service des systèmes d’information et de communication du secrétariat général des capacités de conduire et de mettre en œuvre opérationnellement cette révolution numérique, 260 recrutements supplémentaires seront réalisés sur cette même période. Cet effort sur le programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice » s’ajoute aux moyens par ailleurs consacrés à cette priorité par chacun des autres programmes de la mission justice.
1.2.6. Une organisation judiciaire adaptée à ces évolutions conjuguant proximité et compétence
L’organisation judiciaire doit être plus lisible et plus efficace et s’adapter aux réformes de simplification des procédures engagées et à la transformation numérique engagée. Il est devenu nécessaire de repenser l’organisation des juridictions tant la répartition des contentieux entre les juridictions, notamment en première instance, est devenue illisible pour les citoyens.
Pour conduire la réflexion en ce domaine, la démarche adoptée a été celle de la concertation. Une mission a été confiée à Dominique Raimbourg et Philippe Houillon qui ont auditionné plus de 200 personnes. La concertation menée par les référents a permis de montrer que cette adaptation était nécessaire mais qu’elle devait accompagner une évolution portée par les acteurs de terrain.
Toutes les implantations judiciaires actuelles seront maintenues pour répondre au besoin de proximité et d’accessibilité de la justice.
Afin d’améliorer la lisibilité de la répartition des contentieux en première instance et pour répondre aux besoins de spécialisation des magistrats dans les domaines les plus complexes, le projet de loi prévoit que le contentieux civil des actuels tribunaux d’instance relève de la compétence du tribunal de grande instance qui deviendra ainsi la juridiction de droit commun en première instance.
Pour garantir un maillage territorial répondant aux besoins de proximité et garantissant l’accès de tous à la justice, le tribunal de grande instance pourra comprendre en dehors de son siège une ou plusieurs chambres, correspondant à la localisation des actuels tribunaux d’instance, dont les compétences seront fixées par décret pour répondre au mieux au besoin de justice dans chacun des territoires concernés. Au-delà d’un socle de compétence commun à l’ensemble de ces chambres, les chefs de cours, après avis conjoint des chefs de juridictions, présidents et procureurs de la République, pourront leur attribuer un ou plusieurs contentieux supplémentaires afin de prendre en compte la réalité des bassins économique et sociologique de leur ressort, renforçant ainsi la justice de proximité.
Il n’y aura donc aucun éloignement de la justice du quotidien pour le justiciable et aucune désertification du territoire.
Dans les départements dans lesquels sont implantés plusieurs tribunaux de grande instance, la multiplicité des interlocuteurs judiciaires vis-à-vis des services et administrations de l’État peut nuire à l’efficacité des politiques menées, notamment en matière pénale et affaiblir la position de l’institution judiciaire dans la conduite de politiques partenariales. Pour remédier à cette situation, tout en préservant l’implantation actuelle des tribunaux de grande instance, il est envisagé d’offrir la possibilité au procureur général de désigner un des procureurs de la République du département pour représenter, sous son autorité, l’ensemble des parquets dans le cadre de leurs relations avec les autorités administratives du département et d’assurer la coordination des activités s’y rapportant.
Dans ces mêmes départements, certains tribunaux de grande instance pourraient se voir confier par décret, sur proposition des chefs de cour et après avis des chefs de juridictions concernés, des contentieux spécialisés pour l’ensemble du ressort. En matière pénale, il est prévu la possibilité de regrouper au sein d’une seule juridiction du département certains magistrats spécialisés, juge de l’application des peines et juges d’instruction. Ces évolutions nécessaires permettront de garantir une justice de qualité pour les citoyens, notamment en garantissant une meilleure spécialisation des juges dans les matières les plus complexes.
Elles faciliteront également l’harmonisation de la jurisprudence sur le ressort d’un département en matière civile comme en matière pénale, offrant plus de prévisibilité pour les justiciables. Enfin, elles visent à remédier à l’isolement de certains juges, intervenant ponctuellement dans des domaines complexes sans capacité d’échange sur les pratiques et la jurisprudence et sans équipe autour de lui dédiée au traitement de certains contentieux.
L’association des chefs de juridiction et des chefs de cours au plus près des réalités judiciaires de leur ressort est essentielle pour garantir une parfaite adéquation entre les besoins de justice et la répartition des spécialisations et il leur appartiendra en ce domaine de proposer à la garde des Sceaux l’organisation judiciaire la plus efficace dans chacun des départements concernés.
En appel, le besoin de proximité doit s’appréhender différemment au regard notamment de la représentation obligatoire des justiciables. Cependant, il est nécessaire d’éviter un trop fort éloignement des auxiliaires de justice et des justiciables des cours d’appel. Ainsi, l’ensemble des implantations actuelles des cours sera préservé.
Pour garantir la visibilité et l’efficacité de l’institution judiciaire face à ses interlocuteurs institutionnels, dont certains ont adapté leur organisation sur celle des régions administratives, une coordination plus efficace des politiques menées par chacune des cours doit être mise en œuvre tout en préservant le maillage actuel des cours sur le territoire.
Procéder par expérimentation en ce domaine permettra d’évaluer, avant toute généralisation, l’efficacité d’un dispositif de coordination et d’animation sur un ressort élargi à plusieurs cours et le périmètre des compétences à attribuer, par voie réglementaire, à certains des chefs de cours désignés dans ces nouvelles fonctions. La concertation locale, tant interne à l’institution judiciaire qu’avec les partenaires institutionnels de l’autorité judiciaire et les auxiliaires de justice doit permettre de mesurer au plus près des réalités locales l’efficacité d’une réforme de la gouvernance des cours au sein d’une région déterminée.
De la même manière, et pour répondre aux besoins de justice et de spécialisation dans certaines matières, il appartiendra, dans le cadre de cette expérimentation aux chefs de cours désignés de proposer une répartition des contentieux répondant au mieux aux attentes des justiciables.
Pour accompagner ces évolutions, une enveloppe de plus de 400 M€ sera consacrée aux investissements immobiliers, à l’amélioration du fonctionnement des juridictions, à la réforme des TASS et des TCI et aux mesures d’accompagnement des réorganisations qui découleront de l’adaptation du réseau des juridictions.
1.2.7. Une justice plus prévisible
Il convient en premier lieu de donner une portée concrète aux dispositions de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, prévoyant la mise à disposition du public, à titre gratuit, des décisions de justice, dans le respect de la vie privée des personnes et en prévenant les risques de ré-identification. Conformément aux préconisations du rapport remis à la garde des Sceaux, le 9 janvier 2018, par la mission d’étude et de préfiguration de l’open data des décisions de justice, cette mise à disposition devra respecter un principe d’une occultation des éléments d’identification des personnes mentionnées dans la décision et sera confiée aux cours suprêmes de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire. Elle devra s’accompagner d’une régulation des algorithmes qui exploitent les données issues de décisions, afin d’assurer une transparence sur les méthodologies mises en œuvre.
Le service public de la justice doit également mettre en capacité l’ensemble de ses usagers, mais aussi de ses acteurs, de mieux mesurer l’évolution de son activité et de la qualité du service rendu. Le système d’information décisionnel du ministère évoluera pour fournir, au niveau national comme au niveau local, des outils efficaces d’analyse et de pilotage de l’activité. Les usagers devront pouvoir accéder en ligne à une information pratique nourrie, enrichissant ce qui figure déjà sur le site Justice.fr (accessibilité des juridictions, pédagogie des procédures, simulateurs…), mais aussi, par exemple, à des indicateurs de délai de procédure devant la juridiction qu’ils envisagent de saisir, ou encore à des barèmes ou à des référentiels jurisprudentiels indicatifs. La qualité du service rendu sera également mesurée par le biais d’enquêtes de satisfaction auprès des usagers, avec des indicateurs adaptés aux spécificités du service public de la justice.
1.3. Cette réforme doit redonner du souffle au fonctionnement de l’institution
1.3.1. La conjonction de toutes ces réformes permet de redéployer des emplois
Simplification de procédure, déjudiciarisation, dématérialisation des processus, organisation adaptée, compte tenu de la concertation locale, de la première instance, toutes ces réformes vont transformer en profondeur l’activité des magistrats et des fonctionnaires des services judiciaires, et redonner de la force de travail au profit de la qualité et de la célérité des jugements.
Sur la période 2018-2022, il est ainsi prévu de redéployer les emplois dans le but d’optimiser le traitement des litiges. À l’effet des mesures législatives contenues dans cette loi de programmation s’ajoutent celui de dispositions de niveau réglementaire, qui entraîneront également un gain de temps important pour les personnels. C’est le cas particulièrement de l’acte unique de saisine dématérialisée, de l’assignation du défendeur par huissier, du développement des procédures participatives pour la mise en état.
Le plan de transformation numérique, dont ce n’est cependant pas l’objet premier, contribuera aussi à dégager temps et ressource humaine au profit des activités du cœur de métier des juridictions. En effet, la dématérialisation de toutes les procédures, tant pénales que civiles, avec la constitution d’un dossier unique numérique, limitera considérablement les actes de saisie et de traitement sur support papier.
Ces différentes évolutions permettent, dans le même mouvement, de renforcer le taux d’encadrement des juridictions et d’étoffer les missions d’appui et de soutien. En outre, ces redéploiements autorisent le renfort des équipes autour du magistrat, au siège et au parquet, notamment pour le traitement des contentieux les plus spécialisés.
1.3.2. Un renouveau des méthodes de travail
Ces possibilités de redéploiement ouvrent la perspective d’une véritable amélioration de la situation des juridictions, au sein desquelles le malaise des agents est aujourd’hui patent. S’y ajouteront 832 créations nettes d’emplois sur le quinquennat.
La résorption des vacances d’emploi est en effet une priorité, car elles pèsent lourdement sur les conditions de travail des agents exerçant dans les services concernés, soumis à la pression de l’urgence et du retard dans le traitement des dossiers. Toutes les vacances d’emplois de magistrats seront notamment résorbées d’ici la fin du quinquennat.
Il conviendra de ne plus ajouter de charges nouvelles pour la justice sans en évaluer au préalable la pertinence et l’impact. Un effort particulier sera ainsi fait sur les prochaines années pour adapter les emplois de juge des libertés et de la détention à l’élargissement de leurs missions.
Ces possibilités de redéploiement vont encore conduire à une redéfinition de la structure d’emplois, en tenant compte des conséquences de la réforme de l’adaptation du réseau des juridictions, de la transformation numérique et de la mise en œuvre des nouveaux modèles d’organisation à travers les équipes de magistrats et fonctionnaires.
En effet, la constitution d’équipes autour du magistrat permet de concentrer le temps de travail des magistrats sur leur cœur d’activité et de les appuyer quand le contentieux nécessite des compétences spécialisées. La création de juristes assistants est d’ores et déjà un succès dans les juridictions et permet de créer un nouveau vivier pour de futurs magistrats. 248 emplois de juristes assistants seront créés au cours du quinquennat. Les greffiers assistants du magistrat seront étendus au sein du Parquet, avec la création de 250 emplois. Le recrutement d’assistants de justice et d’assistants spécialisés sera poursuivi. Des interprètes seront recrutés à plein temps, en substitution de collaborateurs occasionnels du service public là où le besoin le justifie.
La transformation numérique va changer très profondément les méthodes de travail des magistrats et fonctionnaires. Conjuguée aux évolutions de procédure qui sont envisagées, elle va rendre nécessaire bien plus qu’une formation aux nouveaux outils, un accompagnement fort de la conduite du changement. Des emplois seront ainsi créés pour accompagner cette transformation et des efforts de redéploiements internes seront accomplis. C’est cette nouvelle allocation des ressources qui permet de créer des emplois de correspondants locaux informatiques, dont l’utilité pour le plein déploiement de la réforme numérique est certaine. Enfin, la transformation numérique impliquera des actions de formation afin que chacun puisse s’approprier les nouvelles méthodologies de travail induites par ces changements.
Par ailleurs, la formation des magistrats, tant initiale que continue, devra s’adapter à ces évolutions pour que les magistrats, au-delà de leur expertise juridique, acquièrent davantage la dimension liée au management, à la gestion budgétaire et administrative afin, notamment de mieux prendre en compte, dans le respect de leur indépendance juridictionnelle, l’impact financier de leur activité en optimisant davantage les frais de justice. La formation des fonctionnaires s’adaptera aussi à ces nouveaux outils et le travail en équipe devra être valorisé, tant pour les magistrats que pour les fonctionnaires au sein des deux écoles de formation. La formation des juges consulaires sera mise en œuvre par l’école nationale de la magistrature qui devra donc assumer l’augmentation du public à former.
1.3.3. Des moyens humains et matériels pour améliorer la qualité de l’environnement de travail et l’accueil du justiciable
L’amélioration des moyens de fonctionnement a été une priorité du budget 2018 avec une hausse de 9 % des crédits hors masse salariale des juridictions. Le maintien de dotations suffisantes au cours du quinquennat est indispensable pour assurer de manière structurelle le bon fonctionnement des juridictions. Ainsi les économies rendues possibles par la dématérialisation (économies d’affranchissement notamment) seront redéployées. L’équipement en ultraportable des magistrats et fonctionnaires qui en ont besoin pour leur activité sera poursuivi en 2019.
La remise à niveau des infrastructures et des équipements informatiques précédemment évoqué améliorera très sensiblement les conditions de travail des magistrats et fonctionnaires. Le renforcement du réseau des correspondants locaux informatiques, avec la création pérenne d’emplois et une professionnalisation de leur formation, participera du confort de travail des fonctionnaires comme des magistrats. Un renfort encore plus important est prévu jusqu’en 2022 pour accompagner les transformations en cours et l’adaptation du réseau judiciaire.
L’investissement immobilier accompagnera l’adaptation du réseau judiciaire, dans les cas où il nécessitera des travaux, afin de donner aux agents des conditions de travail de qualité. Les crédits dédiés aux opérations classiques conduites par les délégations interrégionales du secrétariat général seront maintenus autour de 70 M€ sur toute la période. Les opérations conduites par l’APIJ (Aix, Lisieux, Lille, Mont-de-Marsan, Perpignan) conservent toute leur pertinence et seront poursuivies. La restructuration de l’Ile de la Cité sera également une priorité immobilière suite au départ du tribunal de grande instance de Paris, à la fois pour assurer la remise aux normes techniques du bâtiment et permettre le regroupement des services de la cour de cassation et de la cour d’appel, facilitant de la sorte leur travail tout en étant source d’importantes économies de loyer. L’amélioration de la situation immobilière outre-mer sera poursuivie avec l’achèvement des opérations en cours à Pointe-à-Pitre, Saint -Martin et Basse-Terre et le lancement de la construction d’un tribunal judiciaire à Saint-Laurent du Maroni, en Guyane.
L’attention à la situation des agents des services judiciaires sera une préoccupation forte dans cette période d’intense évolution. Il est ainsi prévu de renforcer le réseau des assistants de prévention. La création d’un emploi de psychologue du travail et d’un infirmier du travail dans chaque DRHAS viendra également améliorer le suivi de la santé au travail des agents du ministère.
1.3.4. Une recherche déterminée de l’efficacité de gestion
Le niveau élevé des charges à payer et le risque de reconstitution de retards de paiement dans les juridictions, préjudiciables à la bonne conduite des procédures pénales, font de la maîtrise de l’évolution des dépenses de frais de justice un enjeu budgétaire majeur pour le ministère de la justice. Le ministère mène, depuis plusieurs années, une action résolue de maîtrise des frais de justice qui va se poursuivre sur les années 2018-2022. Il met notamment en œuvre les recommandations de la revue des dépenses réalisée par l’IGJ et le CGEFI en 2015.
Les économies sur les interceptions judiciaires montent en puissance avec la mise en œuvre effective de l’obligation d’usage de la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ), qui assure désormais plus de 90 % des prestations annexes et des interceptions judiciaires, et la baisse des tarifs des opérateurs de communication électronique (OCE). Dans les années à venir, ces économies vont s’accroître grâce à l’extension du périmètre de la PNIJ (prise en compte dès 2018 de la géolocalisation des terminaux en temps réel) et la poursuite des baisses de tarifs des OCE. D’ici à 2022, ce sont 50 M€ par an qui seront économisés grâce à la PNIJ.
Atteindre cette cible implique de continuer à améliorer la performance de la PNIJ, de l’adapter en permanence aux évolutions technologiques et de travailler d’ores et déjà à la conception d’une plateforme de nouvelle génération, qui succédera à l’actuelle plateforme, lorsque celle-ci sera frappée d’obsolescence et favorisera une internalisation du dispositif. Un budget d’environ 30 M€ par an est ainsi prévu pour poursuivre l’évolution technologique de la PNIJ et des nouvelles techniques d’enquête.
Des travaux sont par ailleurs en cours avec le ministère de l’intérieur pour la mise en œuvre des nouvelles techniques d’enquête (balises de géolocalisation, IMSI catcher, captation de données informatiques…).
Le ministère cherche également à rendre plus efficiente la gestion des scellés en agissant sur trois leviers : limitation de l’entrée des scellés dans les juridictions, rationalisation de la gestion des scellés et fluidification des mécanismes de sortie des scellés. Parmi les actions les plus significatives, des plans d’apurement des scellés (automobiles, scellés biologiques) adossés à un mécanisme d’intéressement des juridictions sur leurs crédits de fonctionnement permettent de réaliser des économies très significatives (5 M€ d’économies supplémentaires en 2018). La dématérialisation de la gestion des scellés est par ailleurs inscrite dans le plan de transformation numérique, avec le déploiement du module « scellés » de Cassiopée et le développement d’un outil de gestion des scellés, qui sera utilisé dans un premier temps par le tribunal de grande instance de Paris.
La professionnalisation du traitement des dépenses et des achats sera poursuivie dans tous les domaines de frais de justice, dans le respect de l’indépendance de prescription des magistrats. Ainsi au plan organisationnel, la direction des services judiciaires s’est engagée dans le processus visant à la mise en place, à l’issue d’une phase expérimentale, de services centralisateurs régionaux des frais de justice en charge du traitement des mémoires et de la certification sur l’ensemble du ressort de la cour d’appel. Des évolutions importantes sont en cours sur chaque grand pan de dépenses. La direction des services judiciaires, à travers plusieurs cycles de négociations avec les prestataires et notamment les experts de justice, a consolidé, segment par segment, des stratégies d’achat utilisant des leviers efficaces comme la tarification (analyse toxicologique), l’appel d’offre (analyse génétique des individus – fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG)) ou l’instauration de barèmes (expertise informatique).
Un logiciel de traduction automatisée est en cours d’acquisition pour tester la possibilité de limiter l’intervention de traducteurs personnes physiques. Une cellule opérationnelle intervient en soutien des juridictions pour des affaires importantes pour réaliser des mises en concurrence, négocier des devis.
Les efforts d’économies des services judiciaires ne s’arrêtent pas aux frais de justice. La performance de gestion est recherchée également pour le fonctionnement des juridictions. L’effort de dématérialisation va permettre de réaliser d’importants gains sur l’affranchissement (14 M€ prévus en 2022).
1.4. Améliorer la qualité et l’efficacité de la justice administrative
La juridiction administrative doit faire face à une augmentation constante du contentieux dans un cadre budgétaire contraint.
Depuis 15 ans, les recours ont augmenté en moyenne de 3,8 % par an devant les tribunaux administratifs (112 700 affaires en 2002, 197 000 en 2017). À cette augmentation tendancielle du nombre de recours, s’ajoutent :
- la charge d’un nombre toujours croissant de contentieux de l’urgence et de contentieux sous délai de jugement contraint qui pèse sur l’organisation des juridictions ;
- en 2019, le transfert aux tribunaux administratifs d’une partie des contentieux d’aide sociale actuellement traités par les commissions départementales d’aide sociale en application de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle ;
- en 2020, le transfert aux tribunaux administratifs du contentieux des pensions militaires d’invalidité actuellement traité par des juridictions spécialisées (projet de loi de programmation pour la défense).
S’agissant du Conseil d’État, malgré les très importantes réformes opérées dans le but de le recentrer sur son rôle de juridiction suprême, le nombre des entrées n’est pas descendu en - dessous du niveau élevé de 9 000 à 10 000 affaires par an constaté depuis 30 ans. Il est aujourd’hui ce qu’il était avant la création des cours administratives d’appel.
Le contentieux s’est en outre alourdi, car la stabilité globale des entrées recouvre une diminution des requêtes simples affectées aux juridictions subordonnées (appel des reconduites à la frontière, recours contre les refus de visas d’entrée en France, affaires individuelles dont le Conseil d’État connaissait en premier ressort) entièrement compensée par des affaires plus difficiles, en premier ressort et en cassation. De nouvelles procédures génératrices de contentieux supplémentaires, comme la question prioritaire de constitutionnalité et le contentieux du renseignement, se sont en outre ajoutées.
Les recours en cassation sur les contentieux de masse traités par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) (les recours devant la CNDA ont crû de 34 % en 2017 ; 61 000 sont attendus en 2018) et la nouvelle commission du contentieux du stationnement payant (CCSP) (qui devrait enregistrer au minimum 100 000 requêtes par an) pourraient peser à l’avenir sur les missions juridictionnelles du Conseil d’État.
Cette augmentation continue du contentieux ne saurait être absorbée par une augmentation proportionnelle du nombre de magistrats. Le budget pluriannuel 2018-2022 prévoit des créations de postes de magistrats pour les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, mais en augmentation bien moindre que l’augmentation moyenne du contentieux, de 3,8 % constatée depuis 15 ans. Certains de ces postes devront, au demeurant, être affectés à la CNDA et à la CCSP.
L’amélioration de la performance et l’équilibre à moyen terme de la juridiction administrative ne pourront être trouvés, compte tenu de la croissance nécessairement limitée du nombre de magistrats, que dans l’augmentation de l’aide à la décision, c’est-à-dire de la collaboration apportée aux magistrats par des assistants juristes, et dans une redéfinition de l’office du juge administratif, de telle sorte que ce juge ne soit pas systématiquement et directement saisi de toutes les difficultés résultant de l’activité des services publics.
Les mesures législatives proposées visent à permettre aux juridictions administratives de faire face à leur charge croissante. Elles permettent ainsi de recentrer les magistrats sur leur cœur de métier en élargissant les possibilités de recours aux magistrats honoraires, en autorisant le recrutement de juristes assistants et en tenant compte de l’intérêt du service public de la justice pour apprécier les mérites d’une demande de maintien en activité des magistrats administratifs et membres du Conseil d’État au-delà de la limite d’âge. Elles réduisent également le nombre de litiges soumis au juge en allongeant la durée d’expérimentation de la procédure de médiation préalable obligatoire pour certains contentieux. Au-delà, il convient de réexaminer et de simplifier en profondeur les procédures qui engendrent des contentieux systématiques sans gain réel pour le justiciable.
L’amélioration de l’efficacité et la qualité de la justice rendue est par ailleurs recherchée avec l’ouverture de la possibilité de statuer en formation collégiale pour les référés précontractuels et contractuels et l’accroissement de l’effectivité des décisions de justice en renforçant les pouvoirs d’injonction du juge.
2. Un service public de la justice plus protecteur et attentif aux plus démunis et aux personnes en souffrance
2.1. Promouvoir l’accès au droit
Dans un contexte de profonde évolution de l’institution judiciaire, les dispositifs d’accès au droit seront essentiels pour que le justiciable ne soit pas désorienté. Ils devront s’adapter à l’organisation judiciaire et à la répartition des contentieux telles qu’issues de la concertation locale pour que le maillage de l’accès au droit soit optimisé, favoriser le développement des modes alternatifs de règlement des litiges et accompagner la transformation numérique.
Pour la plupart des citoyens, l’accès au droit sera en effet facilité avec la dématérialisation progressive des procédures de justice, la possibilité de saisir en ligne la justice, le développement de l’offre en ligne de résolution amiable des différends, l’open data. Mais il conviendra de veiller à ce que les personnes les plus éloignées du numérique trouvent également une réponse dans les points d’accès au droit et soient accompagnées dans leurs contacts avec la justice pour que la dématérialisation ne devienne pas, pour elle, un obstacle vers le juge et la justice.
2.2. Une aide juridictionnelle rationalisée et permettant à chacun d’avoir une défense de qualité
Depuis 2015, l’État a entrepris une réforme progressive de l’aide juridictionnelle visant principalement à mieux rétribuer les avocats, à trouver des ressources nouvelles et à mieux protéger les plus démunis en relevant les plafonds de ressources. Les moyens consacrés à l’aide juridictionnelle ont ainsi augmenté de près de 40 % entre 2014 et 2018. L’unité de valeur servant de référence pour le calcul de la rétribution des avocats a fortement progressé, passant de 22,5 € hors taxes à 32 €. Le plafond de ressources pour une personne seule atteint désormais 1 017 € contre 941 € en 2015.
Les crédits prévus sur le quinquennat confortent ces avancées et permettent d’accompagner les réformes de la loi de programmation qui renchérissent le coût de l’aide juridictionnelle, comme l’extension des contentieux pour lesquels la représentation par un avocat est obligatoire afin de garantir au justiciable une défense de meilleure qualité pour les contentieux concernés.
Il est également nécessaire de simplifier l’accès à l’aide juridictionnelle qui fait l’objet d’un million de demandes par an. Elle sera accessible en ligne, dans une version simplifiée, au plus tard le 31 décembre 2019. Elle sera numérisée de bout en bout, de la demande initiale à l’instruction et l’attribution, pour les justiciables comme pour les auxiliaires de justice.
Une mission en cours, conduite conjointement par l’Inspection Générale des Finances et l’Inspection Générale de la Justice, expertise par ailleurs des solutions d’organisation nouvelle comme la mise en place au sein des barreaux de structures spécifiquement destinées à l’aide juridictionnelle, notamment en matière pénale.
Elle étudie aussi les pistes d’une meilleure prise en charge de la rémunération de l’avocat par les assurances de protection juridique. Les conclusions et préconisations que cette mission rendra seront transcrites en mesures et dispositifs adéquats, accompagnant les évolutions induites par la loi de programmation de la justice, pour protéger davantage les plus démunis de nos concitoyens et garantir leur accès à la justice.
2.3. Accompagner les victimes
Les crédits en faveur de la politique d’aide aux victimes continueront à progresser au cours du quinquennat pour atteindre près de 30 M€ en fin de période, soit trois fois plus qu’en 2012. Ils permettent un véritable soutien dans la durée des associations d’aide aux victimes, qui peuvent ainsi mettre en place des actions de long terme et recruter des personnels, sans crainte d’une restriction non anticipée des financements. Il s’agit ainsi d’améliorer :
- le maillage territorial en augmentant la présence de permanences notamment au sein des commissariats, des brigades de gendarmerie, et des hôpitaux ;
- la qualité des prises en charge par le renforcement des effectifs et le développement des compétences spécialisées pour les victimes particulièrement vulnérables comme les victimes mineures ou les plus gravement traumatisées ;
- la capacité du réseau associatif à se mobiliser en urgence et à prendre en charge, dans ces conditions, des victimes, en particulier les plus gravement traumatisées, ou leurs proches, notamment en cas d’événement de grande ampleur, ce qui implique une grande disponibilité des associations, voire l’organisation de permanences ou d’astreintes.
Ces moyens permettent également de financer des actions ciblées sur l’accompagnement des victimes de terrorisme et d’accidents collectifs comme la professionnalisation du réseau référents associatifs « victimes d’actes de terrorisme », le renforcement des moyens des associations d’aide chargées d’accompagner les victimes lors de procès hors normes (accidents collectifs, attentats) ou à l’occasion de faits commis à l’étranger, la participation des associations aux comités locaux d’aide aux victimes.
Le dispositif de téléphone « grave danger », qui a montré son utilité pour la prévention de la récidive dans les violences faites aux femmes, sera étendu, notamment en outre-mer.
L’amélioration du dispositif d’aide aux victimes passe également par la concrétisation d’une coordination interministérielle renforcée, sous l’égide de la délégation interministérielle à l’aide aux victimes placée auprès de la garde des sceaux, par le développement de schémas départementaux d’aide aux victimes et une optimisation de la conduite et du pilotage de la politique d’aide aux victimes. Un système d’information interministériel sur les victimes d’attentats et de catastrophes (SIVAC) sera construit afin de doter les différents acteurs publics d’un outil de travail informatisé pour conduire les actions nécessitées par des évènements générant de nombreuses victimes (acte de terrorisme, accidents collectifs, catastrophes). En orchestrant les échanges d’informations utiles, au travers d’un « hub » d’échange de données, le SIVAC évitera aux opérationnels des tâches de manipulation des données et leur permettra ainsi de se concentrer sur les actes au cœur de leur métier.
3. Un engagement sans faille pour mieux prévenir la radicalisation et lutter contre le terrorisme
3.1. Mieux prévenir la radicalisation dans les établissements pénitentiaires
Le ministère de la justice a été très impliqué dans la conception du plan national de prévention de la radicalisation. Pour la mise en œuvre des mesures annoncées par le Premier ministre lors du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation du 23 février 2018, la direction de l’administration pénitentiaire doublera en 2018 les capacités d’évaluation des détenus terroristes et radicalisés dans les quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER) et créera deux nouveaux quartiers de prise en charge des détenus radicalisés les plus prosélytes (QPR).
En outre, dans la suite du relevé de conclusions du 29 janvier 2018, elle créera 450 places de détention étanches pour le regroupement des terroristes et radicalisés d’ici à la fin de l’année 2018 et poursuivra un objectif de 1 500 places dans des quartiers étanches du reste des détentions. Ces structures dédiées aux détenus radicalisés et violents seront implantées dans près de 80 établissements pénitentiaires, au sein desquels, par ailleurs, seront étendus les programmes de prévention de la radicalisation violente. Enfin, la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) créera en province trois centres de prise en charge individualisée des personnes radicalisées suivies en milieu ouvert sur le modèle du dispositif RIVE, à Paris.
La montée en puissance du renseignement pénitentiaire sera poursuivie. Une centaine de personnels dédiés au renseignement seront recrutés sur les cinq années. En parallèle, l’administration pénitentiaire se dote d’un système d’information dédié au renseignement. Une première version sera mise à disposition de l’ensemble des agents du réseau d’ici à la fin de l’année 2018.
3.2. Renforcer la prise en charge éducative des jeunes radicalisés et des mineurs de retour de Syrie
La prise en charge des mineurs radicalisés constitue également une politique publique à part entière, assumée par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse. Elle a dû adapter ses modalités de prise en charge à ce nouveau public particulièrement complexe pour être capable d’intervenir rapidement et de façon adaptée. Les crédits dédiés à la lutte contre le terrorisme permettent de former les personnels à la prévention de la radicalisation et de faire vivre le réseau des référents laïcité. La direction de la protection judiciaire de la jeunesse étudie également des dispositifs de prise en charge innovants pour ces publics. Depuis fin 2016, elle expérimente ainsi le dispositif d’accueil spécialisé et individualisé (DASI), qui propose une prise en charge éducative individuelle renforcée et thérapeutique en faveur de jeunes filles et garçons poursuivis pour des faits d’association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste ou en situation de radicalisation.
La DPJJ va également être confrontée à un nouveau public nécessitant une prise en charge éducative adaptée : les mineurs de retour de zone de guerre irako-syrienne. Leur nombre est estimé à plus de 400, la moitié d’entre eux étant âgés de moins de cinq ans. La protection judiciaire de la jeunesse voit ses moyens renforcés à compter de 2019 pour systématiser les mesures judiciaires d’investigation éducative à destination des mineurs de retour de Syrie ou en voie de radicalisation.
4. Des peines plus efficaces et mieux adaptées, des personnels confortés dans leurs missions
4.1. Renforcer l’efficacité des peines
Un double objectif doit être poursuivi : assurer le prononcé de peines efficaces et adaptées aux infractions sanctionnées et garantir leur exécution effective.
Ce double objectif est, cependant, loin d’être atteint aujourd’hui. Près de 90 000 peines prononcées sont des courtes peines d’emprisonnement, de moins de six mois. Elles ne permettent pas un réel travail de prévention de la récidive. En leur sein, près de 10 000 sont d’une durée inférieure ou égale à un mois. Elles se révèlent particulièrement désocialisantes. Cette inefficacité est renforcée par la situation actuelle de surpopulation carcérale qui atteint, en moyenne, 140 % dans les maisons d’arrêt.
Dans le même temps, depuis dix ans, dans une simple perspective de gestion des flux de la population dans les établissements pénitentiaires, s’est développé un système d’examen automatique d’aménagement des peines de moins de deux ans. Cette procédure a été introduite à l’article 723-15 du code de procédure pénale par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Elle a été modifiée par la loi pénitentiaire de 2009 pour en prévoir l’application à toutes les personnes non incarcérées condamnées à des peines dont la durée est inférieure ou égale à deux ans.
Ce système crée une véritable complexité dans l’exécution des peines d’emprisonnement. Plus profondément, il dénature le sens de la peine en prévoyant le prononcé d’une peine d’emprisonnement qui peut ensuite être totalement transformée par un juge d’application des peines.
Dans le cadre des chantiers de la justice, un certain nombre de propositions ont été formulées, à la fois pour favoriser le prononcé de peines plus efficaces que les courtes peines d’emprisonnement et pour assurer la pleine exécution des peines d’emprisonnement effectivement prononcées.
La présente loi propose une refondation puissante de l’économie du dispositif de sanction et de l’échelle des peines. L’objectif est de rendre effective l’incarcération dès lors que la peine de prison est retenue et de développer les alternatives à cette même incarcération lorsque d’autres solutions s’avèrent préférables en vue de prévenir la récidive, particulièrement pour les courtes peines.
Ainsi, le projet de loi prévoit que les peines de prison inférieures ou égales à un mois ferme soient prohibées, comme cela est déjà le cas chez certains de nos voisins européens, à l’instar de l’Allemagne.
Le principe d’une exécution hors établissement pénitentiaire fermé est posé pour les peines comprises entre 1 et 6 mois. Il est assorti d’une systématisation d’un suivi socio-éducatif renforcé, le juge conservant toutefois la possibilité de prononcer une peine d’emprisonnement ferme de courte durée s’il considère qu’aucune autre sanction n’est davantage adaptée.
Il est prévu de créer une peine autonome de détention à domicile sous surveillance électronique d’une durée maximale d’un an pour permettre au juge correctionnel de prononcer une peine de détention qui s’exécute hors établissement pénitentiaire et sans intervention préalable d’un juge d’application des peines.
Le dispositif de l’article 723-15 du code de procédure pénale, permettant à ce jour des aménagements des peines allant jusqu’à deux ans, connaîtra une double limitation pour le contenir aux seules peines comprises entre six mois et un an. De la sorte, l’exécution en établissement pénitentiaire des peines supérieures à un an deviendra systématique.
La possibilité pour les peines de plus 6 mois de décerner un mandat de dépôt à effet différé, avec convocation devant le procureur de la République sous un mois, offrira également au juge correctionnel une alternative pour placer en détention un condamné comparaissant libre plutôt que de le renvoyer devant le juge d’application des peines, quand le mandat de dépôt à l’audience n’est pas adapté.
La contrainte pénale, dispositif novateur et spécialement intéressant en vue d’individualiser la peine, s’avère peu utilisée (1 200 contraintes pénales prononcées) en raison de la trop grande complexité des conditions de sa mise en œuvre et de l’impossibilité de principe qu’elle pose de prononcé d’une peine mixte, de prison et de suivi.
Le sursis mise à l’épreuve (SME) fait l’objet d’un recours plus intensif puisque 80 000 sont infligés par an. Toutefois cette mesure ne bénéficie pas des modalités de suivi de la contrainte pénale, qui garantissent une évaluation renforcée par le service pénitentiaire d’insertion et de probation. Il est donc proposé de fusionner la contrainte pénale et le SME en étendant les larges possibilités d’adaptation et de suivi de la première au second. Cette mesure dynamique induit un renforcement de l’activité des services pénitentiaires d’insertion et de probation, pour nourrir les enquêtes de personnalité et surtout au travers de la systématisation d’un suivi socio-éducatif de qualité dont le rôle est majeur pour la prévention de la récidive.
La libération sous contrainte aux deux tiers de la peine sera érigée en principe, pour les peines n’excédant pas cinq ans.
De façon globale et dans un but de prévention de la récidive, une intervention renforcée des services d’insertion et de probation est recherchée, tant en présentenciel, pour aider les magistrats dans la recherche de la sanction la plus adaptée, au travers d’enquêtes de personnalité abouties, que dans l’exécution de la peine.
Rendant le dispositif des sanctions plus lisible, facilitant pour le juge la possibilité de prononcer des peines adaptées et favorables à la réinsertion, renforçant la certitude de l’exécution de la peine décidée, cette réforme est essentielle pour asseoir la confiance du citoyen dans la justice. Elle permet, de manière secondaire, de lutter contre la surpopulation carcérale en maison d’arrêt en évitant le prononcé de peines conduisant à l’incarcération lorsqu’elle n’est pas la meilleure solution de réparation.
La mise en œuvre de cette politique pénale refondée est, en conséquence, prise en compte dans le programme immobilier nécessaire pour garantir que l’objectif d’encellulement individuel soit atteint.
4.2. Conforter la sécurité et l’autorité des personnels et mieux reconnaître leurs métiers et leurs missions
Afin de sécuriser les établissements pénitentiaires et leurs abords, des crédits complémentaires sont prévus. Ils vont permettre d’assurer la sécurisation périmétrique des établissements pénitentiaires : face à l’accroissement des saisies de matériels illicites (33 521 portables découverts en 2016), des systèmes de détection de nouvelle génération et plus performants pour les produits illicites ou dangereux seront déployés dans les établissements pour permettre d’améliorer significativement leur dépistage, notamment celui des téléphones portables. En parallèle, le déploiement d’un système de brouillage des communications est prévu, échelonné au regard de son coût important sur une période de cinq ans. L’objectif est de couvrir tous les établissements sensibles à l’horizon 2022. De plus, l’administration pénitentiaire se dote d’un système de lutte contre les drones malveillants. En effet, les intrusions des drones sur des sites sensibles se multiplient : une quinzaine de survols ont été constatés sur des établissements pénitentiaires en 2016 ; certains drones ont été retrouvés échoués sur des domaines ou des chemins de ronde.
Dans le but de prévenir les actes de violence contre les personnels, les systèmes de vidéo-surveillance des établissements pénitentiaires seront rénovés. Afin de renforcer la protection des personnels, les dotations seront complétées par des tenues redéfinies en fonction des missions (tenues pares coups, vêtements anti-coupures, gants adaptés pour tous…) et les équipements de sécurité seront améliorés (passe-menottes, arrêtoirs de portes…).
Plus de 80 M€ sont donc consacrés sur la période 2018-2022 à la sécurité des sites pénitentiaires et du personnel qui y travaille.
En outre, des équipes locales de sécurité pénitentiaire dans les établissements les plus exposés seront créées.
L’amélioration des conditions de travail du personnel, au-delà de la résorption de la surpopulation carcérale, requiert la réalisation des effectifs à la hauteur de l’armement théorique des structures. Les vacances de postes nombreuses qui sont aujourd’hui constatées correspondent à l’écart entre les effectifs cibles et les effectifs affectés en établissements ; elles baissent au moment des sorties de promotions de l’école nationale d’administration pénitentiaire (ENAP) pour remonter chaque mois au gré des départs en retraite, détachements et disponibilités. La réactivité pour combler les départs est aujourd’hui très faible car soumise au cadencement des sorties de formation. À partir de 2019, le cadencement des formations de surveillants sera rationalisé en revoyant le rythme des sorties de promotions. Cela permettra une réactivité plus grande par rapport aux départs qui se réalisent tout au long de l’année et une meilleure prise en charge par l’ENAP des promotions dont le volume correspond davantage aux capacités d’accueil de l’école. Le pic des vacances, qui est actuellement atteint plusieurs mois après la dernière arrivée de stagiaires, devrait baisser sensiblement.
Le relevé de conclusions signé le 29 janvier 2018 prévoit une accélération du comblement des vacances à hauteur de 1 100 postes sur 4 ans (100 en 2018, 400 en 2019, 300 en 2020 et 2021).
La reprise par le ministère de la justice de la compétence en matière d’extractions judiciaires des forces de sécurité intérieure à la direction de l’administration pénitentiaire, décidée en 2010, s’est traduite par le transfert de 1 200 emplois du ministère de l’intérieur. En outre, 450 emplois supplémentaires ont été recrutés à ce titre grâce au second volet du plan de lutte antiterroriste.
Malgré ces emplois supplémentaires, la reprise de ces missions reste délicate et fortement consommatrice de ressources pour les services de l’administration pénitentiaire. Ces difficultés se traduisent par un niveau important d’annulation ou de recours aux forces de sécurité intérieure. La cause en est double : d’une part un sous-dimensionnement initial des emplois nécessaires à la reprise totale, d’autre part une organisation territoriale des services pénitentiaires en charge des extractions judiciaires qui ne permet pas une gestion optimale des missions à réaliser.
Pour répondre à cette dernière difficulté, la direction de l’administration pénitentiaire met en œuvre, dès 2018, des extractions judiciaires de proximité, dites extractions vicinales, qui permettent le renforcement du maillage territorial. Pour réaliser cette réorganisation et ainsi limiter à un nombre résiduel les impossibilités de faire, 150 surveillants supplémentaires, dédiés à ces missions, seront recrutés entre 2018 et 2020, portant à 1 800 les recrutements à ce titre depuis la reprise de la mission.
L’amélioration des conditions d’exercice du personnel pénitentiaire passe encore par la reconnaissance de ses métiers, de leurs spécificités et des contraintes qui y sont associées. Ainsi, les réformes statutaires engagées pour la filière de surveillance seront poursuivies.
La filière dite de commandement sera revalorisée, avec la création d’un corps de catégorie A et un important plan de requalification, afin de mieux mettre en cohérence le statut et les missions exercées et renforcer l’encadrement des établissements.
Des mesures complémentaires concerneront également le corps d’encadrement et d’application (CEA) afin de redynamiser l’ensemble de la filière de surveillance : modernisation de ses modalités de recrutement, de classement et d’avancement, visant à la fois à accroître son attractivité ainsi qu’à fidéliser davantage les agents exerçant au sein d’établissements pénitentiaires jugés « difficiles ».
S’y ajoutent les mesures issues du relevé de conclusions du 29 janvier 2018 qui a entendu reconnaître les contraintes particulières et la pénibilité dans l’exercice des métiers de surveillance à travers plusieurs améliorations indemnitaires, au bénéfice des agents du corps d’encadrement et d’application et des officiers : la prime de sujétion spéciale (PSS) sera revalorisée progressivement de 2 points, d’ici à 2020 ; le taux de base de l’indemnité pour charges pénitentiaires est porté de 1 000 € à 1 400 € annuels ; la prime des dimanches et jours fériés est revalorisée de 26 € à 36 € ; une prime d’attractivité et de fidélisation est créée, afin d’inciter les lauréats des concours à rejoindre les établissements qui connaissent les situations les plus tendues en matière d’effectifs.
4.3. Donner aux détenus des conditions d’emprisonnement dignes
Le Président de la République a pris l’engagement d’augmenter les capacités nettes du parc pénitentiaire afin d’atteindre notamment l’objectif de l’encellulement individuel dans les maisons d’arrêt où la très importante surpopulation carcérale dégrade fortement la prise en charge des détenus et les conditions de travail des personnels pénitentiaires.
La résorption de la sur-occupation des détentions est urgente afin de restaurer l’attractivité du métier de surveillant, de rendre effectif l’objectif de réinsertion sociale de la peine privative de liberté en permettant la mise en œuvre d’activités et d’améliorer la prise en charge sanitaire et psychologique des personnes détenues. Elle doit aussi permettre de garantir la dignité des conditions de détention, d’améliorer la sécurité et de mieux lutter contre la radicalisation violente.
Les projections de population pénale à dix ans ont permis d’objectiver les nouvelles implantations de maisons d’arrêt. Le calibrage intègre en outre l’impact de la réforme pénale projetée, notamment la réduction du recours à la détention provisoire et la limitation des peines d’emprisonnement de courte durée.
La programmation proposée, qui s’étend sur la période 2018-2027, prévoit d’optimiser le nombre de places livrées au cours des cinq prochaines années dans le but d’obtenir un résultat assez rapide dans la lutte contre la surpopulation et pour pouvoir calibrer et mieux répartir l’effort sur les dix ans.
L’objectif est de pouvoir créer 7 000 places de prison supplémentaires d’ici fin 2022, principalement au sein de maisons d’arrêt mais également de structures avec un niveau de sécurité adapté à la fois à des peines de durée peu importante ou pour préparer la sortie de détenus dont le potentiel de réinsertion est avéré. Ces structures permettront l’exécution de fin de peines ou de courtes peines traditionnellement effectuées en maison d’arrêt, au sein d’un environnement plus favorable à l’aménagement des peines et à l’engagement des démarches vers la réinsertion. Elles accueilleront aussi des personnes condamnées à de courtes peines dont le potentiel de réinsertion justifie un suivi socio-éducatif, tourné vers la société ouverte, plus aisé à mettre en œuvre dans de tels établissements qu’au sein de maisons d’arrêt fermées.
La suite du programme immobilier sera affinée en fonction des effets constatés de la réforme issue du chantier sur le sens et l’efficacité des peines et de la nécessaire rénovation d’une partie du parc pénitentiaire, dont la dégradation a été accélérée par l’insuffisance des moyens consacrés à la maintenance normale comme aux réhabilitations lourdes. Elle permettra d’échelonner d’autres livraisons jusqu’en 2027, dans la limite maximale de 15 000 places.
Dans l’immédiat, les besoins les plus urgents sont concentrés en Ile-de-France, dans la région lyonnaise, sur le pourtour méditerranéen et dans les grandes agglomérations. En outre-mer, le programme devra répondre notamment aux situations tendues des Antilles et de la Guyane.
L’armement en ressources humaines des nouvelles structures dont le délai de livraison est raccourci requiert près de 2 300 créations d’emplois sur le quinquennal, afin de permettre l’arrivée de la ressource à bonne date par rapport à celle de livraison et de mise en service des nouvelles structures.
Cet effort conséquent ainsi que la refondation du dispositif de sanction et de l’échelle des peines sont de nature, en réduisant la surpopulation carcérale, à contribuer fortement à l’amélioration des conditions de détention. C’est aussi une nécessité pour favoriser les actions de lutte contre la récidive, dont le développement des activités en détention. À cet égard et afin de conférer toute leur efficacité aux dispositions de l’article 27 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, aux termes duquel toutes les personnes détenues condamnées doivent exercer au moins l’une des activités qui leur sont proposées par l’administration pénitentiaire dans les champs visés par l’article R.57-9-1 du code de procédure pénale, le volume et la diversité des activités offertes seront enrichis grâce au développement de programmes d’insertion. Un peu plus de 14 M€, entre 2019 et 2022, seront dédiés au développement des activités dans des détentions plus adaptées pour les mettre en œuvre, car moins soumises à des phénomènes de surpopulation.
En parallèle, des crédits sont dégagés (plus de 4 M€ par an à compter de 2019) afin de tirer, pour la rémunération horaire des détenus affectés au service général, toutes les conséquences de l’article 717-3 du code de procédure pénale. De fait, ce dernier prévoit de rémunérer les personnes détenues selon un taux horaire fixé par décret et indexé sur le SMIC.
L’administration pénitentiaire mettra également en chantier un nouveau service visant à moderniser le fonctionnement des établissements : le numérique en détention. Il s’agit de la création d’un portail destiné à dématérialiser les commandes de cantines, la gestion du pécule des détenus ou les échanges entre les personnes détenues et l’administration sur le suivi des requêtes formulées par les détenus. Ce service a donc également vocation à décharger le personnel de tâches répétitives dont la lenteur de réalisation est souvent source de conflit avec la population carcérale. À terme, ce portail permettra d’accéder à des modules pédagogiques numériques.
4.4. Développer des alternatives à l’incarcération et favoriser le suivi des PPSMJ
La lutte contre la récidive requiert la meilleure individualisation des sanctions compte tenu, entre autre, du profil des personnes condamnées. Dès lors que cela est adapté, une alternative à l’incarcération doit être recherchée. L’accompagnement des personnes placées sous main de justice (PPSMJ) vers la sortie de la délinquance repose sur la qualité de l’intervention des personnels en service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). Les recrutements prévus en accompagnement de la refondation du dispositif de sanction et de l’échelle des peines s’élèvent à 1.500 ETP, soit une progression des effectifs du corps des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation d’environ 30 %.
Les conseillers de probation et d’insertion intégreront la catégorie A à compter du 1er février 2019, marquant ainsi la reconnaissance du niveau de responsabilité qu’implique l’exercice de leurs missions.
Compte tenu des hypothèses d’impact de ces différentes mesures, prenant notamment en considération la limitation de l’article 723-15 du code de procédure pénale, plus de 3.500 détenus pourraient être placés sous surveillance électronique.
Par ailleurs, le réinvestissement des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation en présententiel, afin d’accroître la connaissance du public sous main de justice, doit augmenter les alternatives à la détention provisoire (700 assignations à résidence sous surveillance électronique ARSE supplémentaires escomptées).
Le placement extérieur sera développé. Il est prévu qu’environ 1 500 détenus pourraient bénéficier à terme d’un placement extérieur.
Enfin, 4 000 personnes supplémentaires pourraient bénéficier d’un travail d’intérêt général (TIG) grâce à l’extension des possibilités pour le juge de prescrire des TIG ainsi qu’à la création de l’agence nationale des TIG. L’action de cette agence permettra de développer l’offre de TIG et de faciliter l’accès du juge à l’offre, qui pourra ainsi prononcer plus aisément l’exécution d’un TIG. Une expérimentation d’extension du périmètre des personnes morales pouvant accueillir un TIG aux personnes morales de droit privé relevant de l’économie sociale et solidaire et poursuivant un but d’utilité sociale sera également réalisée.
Le coût de ces mesures d’aménagement de peines et d’alternatives à l’incarcération sera compensé par l’économie induite par un moindre flux d’entrée en détention.
5. La diversification et l’individualisation de la prise en charge des mineurs
La diversification de l’offre de prise en charge permet de mieux s’adapter à chaque situation individuelle. Elle favorise la continuité du parcours du mineur, évitant ainsi les ruptures et les interruptions de l’accompagnement éducatif qui constituent des obstacles à la sortie définitive de la délinquance. Elle est source d’efficience de la politique publique en réduisant le risque de récidive et en adaptant la prise en charge au plus près des besoins du mineur. Elle sera mise en œuvre au cours du quinquennat à travers :
- la création de vingt centres éducatifs fermés (CEF) pour répondre aux situations les plus aigües et fournir une alternative crédible à l’incarcération des mineurs multirécidivistes, multiréitérants ou ayant commis des faits d’une particulière gravité. Cinq CEF seront créés dans le secteur public et quinze seront confiés au secteur associatif habilité, portant ainsi à 73 le nombre de CEF. Ces établissements devront se répartir sur l’ensemble du territoire pour favoriser le rétablissement des liens familiaux ou permettre un éloignement temporaire, en fonction des situations individuelles. 133 emplois seront créés pour armer les CEF du secteur public. 35 M€ sont consacrés au cours du quinquennat à la construction des CEF publics et au financement des CEF du secteur associatif habilité (SAH). Il convient également d’assouplir leur fonctionnement en rendant possible le passage progressif vers un autre type de placement ou vers un retour en famille dans la dernière phase de l’accueil, au moment de la préparation à la sortie, afin de faciliter la reprise d’une scolarité ou d’une formation, voire l’obtention d’un emploi. Il s’agit également d’autoriser un accueil temporaire du jeune hors du CEF. La loi de programmation autorise ainsi un placement séquentiel pour les jeunes en centre éducatif fermé.
- la diversification des modes de placement en accroissant le recours aux familles d’accueil et en reconfigurant et rénovant le réseau des unités éducatives d’hébergement collectif. Cette orientation impliquera notamment de sécuriser le cadre juridique d’intervention des familles d’accueil. La diversification des modes de placement doit permettre d’optimiser la dépense tout en améliorant la prise en charge des mineurs, en offrant à chacun le dispositif de suivi le plus adapté.
- une plus grande pluridisciplinarité de l’intervention en milieu ouvert afin d’adapter l’intensité et les techniques de prise en charge à chaque situation, en fonction des besoins du jeune et des ressources du territoire et d’offrir aux jeunes les plus en difficulté une prise en charge plus complète (insertion scolaire et professionnelle mais aussi état de santé, relations familiales, …). Un accueil de jour plus organisé et encadré, sous mandat judiciaire, tenant compte de l’ensemble de ces enjeux, devra être développé. La loi de programmation autorise ainsi l’expérimentation pendant trois ans d’une mesure éducative d’accueil de jour, troisième voie entre le placement et le milieu ouvert, garantissant à des mineurs sortant de CEF ou nécessitant un suivi éducatif renforcé une continuité de prise en charge en journée, intensive et pluridisciplinaire, pour leur permettre d’accéder le plus rapidement possible aux dispositifs de droit commun. Cette mesure éducative plus englobante permet d’éviter des placements par nature plus coûteux.
Un programme de rénovation du parc immobilier sans précédent sera également lancé pour améliorer les conditions d’accueil des jeunes.
Pour accompagner ces évolutions, il convient de mieux reconnaître les métiers de la protection judiciaire de la jeunesse. La réforme du statut des directeurs de service entrée en vigueur au 1er janvier 2017 et le passage des éducateurs en catégorie A au 1er février 2019 sont l’occasion pour la PJJ de revoir les modalités de recrutement et les contenus des formations statutaire et continue, qui se doit d’être un vecteur pour accompagnement les nouvelles orientations. Une attention particulière est portée à la fonction de responsables d’unité éducative, premier niveau d’encadrement des équipes éducatives et porteurs auprès de ces équipes des évolutions de la prise en charge des jeunes, qui doit faire l’objet d’une reconnaissance statutaire.
Enfin, l’insertion professionnelle et sociale des jeunes repose en partie sur le corps de professeurs techniques, dont l’action permet l’inclusion sociale vers des dispositifs de droit commun. Une évolution statutaire, pour accompagner l’évolution et le renforcement des missions et pour garantir l’attractivité de ce corps, sera conduite au profit des professeurs techniques.
6. Une stratégie ministérielle de ressources humaines pour accompagner ces réformes
Le succès des réformes ambitieuses contenues dans la loi de programmation repose, outre les moyens matériels et budgétaires qui doivent y être consacrés, en premier lieu sur les femmes et les hommes qui œuvrent au quotidien dans les directions et services du ministère. L’ampleur des réformes à conduire pour rendre un service public de la justice plus en cohérence avec les besoins de nos concitoyens requiert un accompagnement des professionnels aujourd’hui en fonction et de ceux que le ministère sera conduit à recruter.
L’ampleur des réformes à conduire appelle la mise en œuvre de nouvelles pratiques de ressources humaines (RH) pour attirer, motiver, fidéliser, développer les compétences des agents. La stratégie « RH » devra accompagner les enjeux auxquels doit faire face le ministère et construire dans la durée une politique « RH » exemplaire, reposant sur les besoins spécifiques du ministère, liés à ses métiers et à la nécessité de renforcer son attractivité, tout en tenant compte des objectifs interministériels et des meilleures pratiques existant au sein de l’État.
Elle tiendra compte des orientations issues de la concertation engagée par le Gouvernement avec les représentants des agents et des employeurs publics sur les quatre chantiers annoncés lors du Comité interministériel de la transformation publique du 1er février 2018.
La vocation de cette stratégie « RH » ainsi définie se concrétise au travers de plusieurs axes :
- les réformes statutaires, indiciaires et indemnitaires annoncées seront menées à bien, et les nouveaux outils de la politique indemnitaire seront complètement déployés. La mise en œuvre des évolutions indiciaires issues de l’accord « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR) sera ainsi poursuivie pour tous les corps du ministère. Le déploiement du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (RIFSEEP) sera achevé pour tous les corps concernés. Il sera évidemment tenu compte des chantiers engagés par le Gouvernement, au fil de leur avancée et en fonction des moyens qui leurs seront dédiés, pour mieux reconnaître l’investissement, collectif comme individuel. Un corps de psychologues ministériel sera également créé ;
- la politique de recrutement s’appuiera sur le développement de la gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences (GPEEC), une valorisation des métiers, une professionnalisation des pratiques, ainsi qu’une gestion ministérielle harmonisée des contractuels ;
- l’accompagnement des parcours professionnel sera développé et la politique de l’encadrement, public clef pour la réussite de toute réforme d’ampleur, permettra de mieux appuyer les encadrants pour conduire le changement ;
- le ministère de la justice s’attachera à offrir aux fonctionnaires des corps à statut interministériel des perspectives de mobilité, organisées et en cohérence avec les besoins des services du département de la justice, par une gestion plus harmonisée entre les différents réseaux et en coordination avec la direction générale de l’administration et de la fonction publique ;
- l’amélioration de la qualité de vie au travail s’appuiera sur un accord à négocier avec les organisations syndicales, destiné à favoriser l’autonomie et la reconnaissance des agents et à leur proposer des conditions de travail renouvelées (organisation du temps de travail, télétravail, nouveaux modes de travail…).
Une attention particulière sera portée à la prévention des violences faites aux agents et au développement de la politique de santé et de sécurité au travail ;
- la politique d’action sociale sera rénovée et renforcée pour mieux contribuer à la qualité de vie et à la fidélisation des agents (soutien à la parentalité, facilitation de l’accès au logement, amélioration de l’accès à la restauration administrative…) ;
- L’exemplarité sera recherchée dans la mise en œuvre de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, dans la reconnaissance de la diversité et la lutte contre les discriminations. Le recrutement et le maintien en fonctions des personnes en situation de handicap seront en outre poursuivis.
Le ministère de la justice s’engagera dans le processus de labellisation Diversité et Égalité professionnelle (dispositif Alliance). Cette démarche d’amélioration continue valorisera ainsi les engagements des services vers plus d’exemplarité.
La mise en œuvre de cette stratégie ministérielle en matière de ressources humaines donnera lieu à un suivi concerté et régulier avec les organisations syndicales représentatives au sein du comité technique ministériel. Elle sera, selon des modalités clairement définies, évaluée en fin de période.
M. le président. L’amendement n° 317, présenté par M. Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
A. – Alinéa 4
1° Première phrase
Remplacer le taux :
24 %
par le taux :
33,8 %
2° Troisième phrase
a) Remplacer l’année :
2018
par l’année :
2019
b) Supprimer les mots :
plus de
c) Remplacer le nombre :
6 500
par le nombre :
12 628
C. – Alinéa 5
1° Deuxième phrase
Remplacer l’année :
2018
par l’année :
2019
2° Tableau, deuxième colonne
Supprimer cette colonne.
D. – Alinéa 6, tableau, deuxième colonne
Supprimer cette colonne.
E. – Alinéa 22, seconde phrase
Remplacer les mots :
832 emplois seront créés
par les mots :
2 328 emplois seront créés sur la période 2019-2022
F. – Alinéa 59, troisième phrase
a) Remplacer les mots :
qui s’élèveront :
par les mots :
dont les autorisations d’engagement s’élèveraient
b) Remplacer l’année :
2018
par l’année :
2019
G. – Alinéa 83, première phrase
Remplacer l’année :
2018
par l’année :
2019
H. – Alinéa 87, seconde phrase
Remplacer les mots :
832 créations nettes d’emplois sur le quinquennat
par les mots :
2 328 emplois sur la période 2019-2022
I. – Alinéa 88, seconde phrase
Après les mots :
magistrats
insérer les mots :
et de greffiers
J. – Alinéa 100, deuxième phrase
Remplacer l’année :
2018
par l’année :
2019
K. – Alinéa 101
1° Deuxième phrase
Remplacer le mot :
vont
par le mot :
devraient
2° Dernière phrase
Après l’année :
2022,
rédiger ainsi la fin de cette phrase :
l’économie espérée grâce à la PNIJ est estimée à 50 millions d’euros par an sur l’enveloppe allouée aux frais de justice.
L. – Alinéa 127
Rédiger ainsi cet alinéa :
Les crédits prévus sur le quinquennat progressent de façon modérée, afin de financer l’augmentation structurelle de l’aide juridictionnelle, tout en prévoyant des mesures de rationalisation de ces dépenses et en incluant la perspective de nouvelles recettes.
M. – Alinéa 188
1° Supprimer les mots :
dont le délai de livraison est raccourci
2° Remplacer le nombre :
2 300
par le nombre :
8 000
3° Après le mot :
emplois
insérer les mots :
de surveillants pénitentiaires
4° Remplacer le mot :
sur le quinquennal
par les mots :
entre 2019 et 2022
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination avec les modifications apportées à l’article 1er sur la programmation budgétaire.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Nous sommes en désaccord sur la trajectoire budgétaire. Par cohérence, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 331, présenté par MM. Buffet et Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 11
Après le mot :
notamment,
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
d’atteindre d’ici décembre 2022 un taux de 80 % d’encellulement individuel.
II. - Alinéa 165
Compléter cet alinéa par les mots :
d’ici décembre 2022
III. - Alinéa 181
Après le mot :
atteindre
insérer les mots :
d’ici décembre 2022
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. Cet amendement et les suivants sont de conséquence et de mise en cohérence avec les dispositions que nous venons d’adopter.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet amendement porte sur l’affichage de l’objectif de l’encellulement individuel à l’horizon 2022.
Dans la mesure où je n’aurai pas livré 15 000 nouvelles places de prison en 2022, mais seulement 7 000, la construction de 8 000 autres étant engagée, il sera difficile d’atteindre cet objectif de l’encellulement individuel à cette échéance.
Par cohérence et réalisme, le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 332, présenté par MM. Buffet et Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 29
Supprimer les mots :
sur l’uniformisation du recours aux interceptions téléphoniques et aux autres techniques spéciales d’enquête,
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. C’est un amendement de cohérence.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 318, présenté par MM. Détraigne et Buffet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 32
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. Il s’agit toujours d’un amendement de cohérence, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 336, présenté par MM. Buffet et Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 38
1° Dernière phrase
Supprimer les mots :
les baux ruraux ou
2° Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :
En revanche, l’absence de représentation obligatoire par avocat serait maintenue devant les tribunaux paritaires des baux ruraux, tout comme devant les conseils de prud’hommes. De surcroît, le principe de la libre représentation des parties devant le tribunal de commerce serait consacré dans la loi.
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. C’est un amendement de cohérence, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 319, présenté par M. Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 39, première phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. Amendement de cohérence.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 337, présenté par MM. Buffet et Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 39, seconde phrase
Remplacer cette phrase par trois phrases ainsi rédigées :
Un tribunal de grande instance à compétence nationale serait également spécialement désigné pour assurer le traitement des requêtes en injonction de payer, à l’exception de celles relevant du tribunal de commerce. Le créancier pourrait saisir cette juridiction nationale par la voie dématérialisée, sans que cela soit obligatoire. Le débiteur disposerait également de la faculté de faire opposition par voie dématérialisée, dès lors que l’opposition tendrait exclusivement à l’obtention de délais de paiement.
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. Il s’agit là encore d’un amendement de cohérence, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 338, présenté par MM. Buffet et Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 44
1° Première phrase
Remplacer les mots :
la trop faible efficience
par les mots :
les dysfonctionnements
2° Deuxième et troisième phrases
Remplacer ces phrases par cinq phrases ainsi rédigées :
En outre, la charge de travail pesant sur les juridictions ne permet pas aux magistrats et aux greffiers d’assurer toute la plénitude de la mission de contrôle des mesures de protection juridique qui leur est conféré par la loi. En conséquence, plusieurs mesures seraient envisagées. En premier lieu, il s’agirait d’alléger le contrôle du juge sur certains actes de gestion patrimoniale (partage judiciaire et acception pure et simple d’une succession échue à la personne protégée). En deuxième lieu, il s’agirait de faciliter le recours à l’habilitation familiale, en étendant son champ d’application à l’assistance, et en créant une passerelle avec les mesures de protection judiciaire. En troisième et dernier lieu, il s’agirait de garantir un contrôle effectif de la gestion du budget de la tutelle, en permettant un contrôle gradué de la transmission de l’inventaire, d’une part, et en maintenant un contrôle des comptes de gestion de toutes les personnes sous tutelle, d’autre part, qui serait assuré par défaut par le directeur des services de greffe judiciaires sous le contrôle du juge.
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. Amendement de cohérence.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 320, présenté par M. Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 45, première phrase
1° Supprimer les mots :
ou à des officiers publics ministériels
2° Après le mot :
alimentaires
insérer les mots :
lorsque cette révision fait l’objet d’un accord des parties
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. Amendement de cohérence, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 339, présenté par MM. Buffet et Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 45, deuxième phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. Il s’agit de nouveau d’un amendement de cohérence.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 321, présenté par M. Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 45, dernière phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. Au risque de lasser, il s’agit d’un amendement de cohérence.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 322, présenté par M. Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 47, quatrième et dernière phrases
Remplacer les mots :
proposant d’étendre l’obligation d’une tentative préalable de règlement amiable à tout litige, avec des exceptions qui seront fixées par décret en Conseil d’État au regard de la nature ou du montant du litige. Le juge pourra également
par les mots :
prévoyant que le juge pourra
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. Amendement de cohérence.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 323, présenté par M. Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
A. – Alinéa 65
Compléter cet alinéa par les mots :
, sous la nouvelle dénomination plus intelligible de tribunal de première instance
B. – Alinéa 66
1° Première phrase
Remplacer le mot :
grande
par le mot :
première
2° Seconde phrase
Remplacer les mots :
après avis conjoint
par les mots :
sur proposition conjointe
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. Amendement de cohérence.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 324, présenté par M. Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 69, première phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. Il s’agit une nouvelle fois d’un amendement de cohérence.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 325, présenté par M. Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéas 73 à 75
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. C’est toujours un amendement de cohérence.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 326, présenté par M. Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 78, deuxième phrase
Après le mot :
décision
insérer les mots :
, y compris les magistrats et les fonctionnaires de greffe,
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. Amendement de cohérence, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet amendement porte sur l’open data pour les décisions de justice.
La commission des lois a retravaillé l’article 19 du projet de loi : il pourrait s’agir là d’une piste à creuser, peut-être au cours de la navette. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée sur ce sujet complexe qu’il conviendra d’approfondir.
M. le président. L’amendement n° 327, présenté par M. Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 130, seconde phrase
Après le mot :
adéquats,
rédiger ainsi la fin de cette phrase :
complétant les mesures introduites dans la loi de programmation pour la justice, telles que le rétablissement, en première instance, du « droit de timbre » pour la partie qui introduit l’instance, modulable de 20 à 50 euros ou la mise en place d’une consultation préalable au dépôt d’une demande d’aide juridictionnelle auprès d’un avocat, financée sur le budget de l’aide juridictionnelle, afin de vérifier le bien-fondé de l’action.
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination avec les mesures relatives à l’aide juridictionnelle introduites dans le projet de loi.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 333, présenté par MM. Buffet et Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. - Alinéas 155 à 158
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
Il est prévu de donner aux juridictions de jugement la pleine responsabilité d’aménager elles-mêmes ou de décider, pour les peines d’une durée inférieure ou égale à un an, s’il y aura ou non aménagement par le juge de l’application des peines : tout examen automatique des peines d’emprisonnement aux fins d’aménagement par le juge de l’application de peines est supprimé.
II. - Alinéa 183, seconde phrase
Supprimer les mots :
et la limitation des peines d’emprisonnement de courte durée
III. - Alinéa 195
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination avec la rédaction de l’article 45 du projet de loi, qui prévoit de supprimer tout examen obligatoire des peines d’emprisonnement aux fins d’aménagement par le juge de l’application des peines et de donner à la juridiction de jugement le choix entre une exécution immédiate de la peine prononcée, un aménagement ab initio par elle-même, un mandat d’arrêt différé ou un renvoi devant le juge de l’application des peines afin de mieux préciser les modalités d’un éventuel aménagement de peine.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Notre philosophie diffère sur cette question. Nous aurons l’occasion d’en reparler dans la suite de la discussion : avis défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Que l’on me pardonne cette question de débutante, monsieur le président, mais j’aimerais comprendre la logique qu’il y a à se prononcer sur des amendements qui tirent les conséquences, dans un rapport annexé, de dispositions que le Sénat n’a pas encore examinées. Nous souhaitons modifier un certain nombre de dispositions issues des travaux de la commission des lois avec lesquelles nous sommes en désaccord. Il y a là, me semble-t-il, un problème de procédure : n’aurait-il pas fallu réserver l’examen de ces amendements ?
M. le président. Peut-être auriez-vous dû présenter ces remarques en commission, puisque c’est à elle de demander la réserve, ce qu’elle n’a pas fait…
La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Mme de la Gontrie a amené sa question avec beaucoup d’humilité, en se prévalant d’une qualité de débutante qui ne me paraît nullement avérée au regard de la pertinence de ses interventions… (Sourires.)
Nous avions pris des contacts informels avec le Gouvernement, qui n’a pas souhaité que l’on réserve l’article 1er. Pour cette raison, nous n’avons pas fait de demande formelle en ce sens.
Par conséquent, nous sommes tenus d’examiner dès à présent l’ensemble de ces amendements portant sur le rapport annexé. Toutefois, si nous modifions les articles concernés dans la suite du débat, nous serons obligés d’y revenir. C’est la meilleure méthode. Nous aboutirons au terme de la discussion à un texte cohérent ; je m’y engage.
M. le président. Si nécessaire, madame de la Gontrie, il y aura une seconde délibération.
Je mets aux voix l’amendement n° 333.
(L’amendement est adopté.)
M. le président. L’amendement n° 334, présenté par MM. Buffet et Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 159
Supprimer les mots :
pour les peines de plus de 6 mois
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. Il s’agit d’un amendement de cohérence.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 328, présenté par MM. Détraigne et Buffet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 161, troisième phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Il est donc proposé de fusionner la contrainte pénale et le SME pour créer une peine autonome de probation, qui préserve la possibilité de mettre en place un suivi renforcé et évolutif adapté à la situation du condamné.
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. Même chose : amendement de cohérence.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 329, présenté par MM. Détraigne et Buffet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 162
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. Il s’agit de nouveau d’un amendement de cohérence.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 330, présenté par MM. Détraigne et Buffet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 163
Après les mots :
et de probation
insérer les mots :
ou des associations habilitées
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. Amendement de cohérence.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 335, présenté par MM. Buffet et Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 184
Supprimer cet alinéa.
II. - Alinéa 185, première phrase
Remplacer le nombre :
7 000
par le nombre :
15 000
III. - Alinéa 186
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. Il s’agit du dernier amendement de cohérence de la série.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’ensemble constitué de l’article 1er et du rapport annexé, modifié.
(L’article 1er et le rapport annexé sont adoptés.)
Article 1er bis (nouveau)
La progression du nombre de conciliateurs de justice, entre 2018 et 2022, s’effectuera selon le calendrier suivant :
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
||
Nombre de conciliateurs de justice |
2 220 |
2 520 |
2 820 |
3 120 |
3 420 |
M. le président. L’amendement n° 206, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le Gouvernement demande la suppression de l’article 1er bis tel qu’issu des travaux de la commission.
Nous souhaitons en effet promouvoir la conciliation comme mode de règlement apaisé et efficace des litiges. Nous sommes particulièrement engagés sur ce sujet : une campagne de recrutement de 600 conciliateurs de justice supplémentaires a été lancée au début de l’année 2017. L’effectif des conciliateurs de justice est passé de 1 958 à la fin de l’année 2016 à 2 229 aujourd’hui. Il s’agit d’une augmentation importante.
Je tiens à souligner le caractère bénévole de cette fonction. Le ministère de la justice a porté une attention particulière à l’amélioration des indemnités versées à ces collaborateurs. En témoigne la revalorisation du montant annuel de leurs indemnités pour menues dépenses, porté à 450 euros par an et pouvant atteindre, sur autorisation des chefs de cour, 928 euros.
Ce travail de recrutement de conciliateurs de justice a vocation à s’accélérer dans les prochains mois. Notre ambition est de porter leur nombre à 2 400 au 31 décembre 2019. Cet effectif sera ensuite renforcé chaque année, de 2020 à 2022, de 100 nouveaux conciliateurs.
Cette ambition nous semble réaliste, au contraire de l’objectif affiché sans évaluation préalable par la commission des lois de recruter 1 200 conciliateurs de justice en quatre ans, sachons que nous rencontrons des difficultés à en trouver en nombre.
L’objectif retenu par la commission des lois se comprend d’autant moins qu’elle a supprimé l’article 2 du présent projet de loi, qui étend le recours obligatoire à la tentative préalable de conciliation pour les litiges portant sur de faibles montants et sur les conflits de voisinage.
Devant ce manque de cohérence, le Gouvernement vous demande, mesdames, messieurs les sénateurs, de bien vouloir supprimer l’article 1er bis.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, corapporteur. La commission est bien sûr défavorable à cet amendement tendant à supprimer la programmation du recrutement de conciliateurs de justice pour la période 2018-2022 qu’elle a introduite. L’article prévoit le recrutement de 1 500 conciliateurs de justice supplémentaires entre 2018 et 2022 par rapport à 2017, pour atteindre l’effectif de 3 420 au terme de la période.
Ce besoin de recrutement a été évalué par la mission d’information du Sénat eu égard à l’extension des missions confiées aux conciliateurs de justice par la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.
Il nous paraît important de fixer cet objectif dans la loi. Peut-on trouver véhicule plus approprié pour ce faire qu’un projet de loi de programmation de la justice ?
M. le président. L’amendement n° 311, présenté par MM. Détraigne et Buffet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 1
Remplacer l’année :
2018
par l’année :
2019
II. – Alinéa 2, tableau, deuxième colonne
Supprimer cette colonne.
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. Le présent amendement, par coordination avec la modification de la période de programmation opérée au travers de l’amendement précédent, tend à prévoir la progression du nombre de conciliateurs de justice à compter de l’année 2019, et non plus de l’année 2018. La trajectoire de progression du nombre de conciliateurs adoptée par la commission des lois permettrait d’atteindre l’objectif de recrutement de 1 500 conciliateurs de justice au cours du quinquennat 2018-2022.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Par cohérence avec la position qu’il a exprimée, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er bis, modifié.
(L’article 1er bis est adopté.)
Article 1er ter (nouveau)
Jusqu’en 2022, le Gouvernement présente chaque année au Parlement, préalablement au débat sur les orientations des finances publiques, un rapport sur l’exécution de la présente loi. – (Adopté.)
TITRE II
SIMPLIFIER LA PROCÉDURE CIVILE ET ADMINISTRATIVE
SOUS-TITRE IER
REDÉFINIR LE RÔLE DES ACTEURS DU PROCÈS
Chapitre Ier
Développer la culture du règlement amiable des différends
Article 2
I. – La loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative est ainsi modifiée :
1° (Supprimé)
2° Le début du deuxième alinéa de l’article 22-1 est ainsi rédigé : « En tout état de la procédure, y compris en référé, lorsqu’il estime qu’une résolution amiable du litige est possible, le juge peut… (le reste sans changement). » ;
3° Le début de la dernière phrase du dernier alinéa de l’article 22-2 est ainsi rédigé : « Lorsque la médiation est ordonnée en cours d’instance, celle-ci est… (le reste sans changement). » ;
4° L’article 22-3 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le présent article n’est pas applicable lorsque le juge ordonne la médiation dans la décision statuant définitivement sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale. »
II. – (Supprimé)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 272 rectifié bis, présenté par Mme Costes, MM. Arnell et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli et Collin, Mme N. Delattre, MM. Gabouty, Guérini et Guillaume, Mmes Jouve et Laborde et MM. Menonville, Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :
Au début,
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
… - La section 2 du chapitre Ier du titre II de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative est ainsi modifiée :
1° Dans l’intitulé, les mots : « médiation judiciaire » sont remplacés par le mot : « conciliation »;
2° À la première phrase de l’article 22, à la fin de la seconde phrase du second alinéa de l’article 22-1, au premier alinéa et à la première phrase du troisième alinéa de l’article 22-2, au premier alinéa et à la fin de la première phrase du second alinéa de l’article 22-3, le mot : « médiation » est remplacé par le mot : « conciliation »;
3° À la première phrase de l’article 22, au premier alinéa et à la première phrase du second alinéa de l’article 22-1, aux première et deuxième phrases du dernier alinéa de l’article 22-2 et à la seconde phrase du second alinéa de l’article 22-3, le mot : « médiateur » est remplacé par le mot : « conciliateur ».
La parole est à Mme Josiane Costes.
Mme Josiane Costes. Lors des auditions que nous avons conduites pour préparer l’examen de ce projet de loi, nombre de nos interlocuteurs ont souligné la confusion existant aujourd’hui entre les termes « médiation » et « conciliation ». Malgré cela, il est régulièrement proposé d’étendre le champ d’application de ces deux modes de règlement amiable des différends ; c’est encore le cas avec le présent projet de loi.
L’appellation « médiation judiciaire », mentionnée dans la loi du 8 février 1995, nous paraît particulièrement ambiguë. C’est la raison pour laquelle nous proposons d’envisager une simplification des modes alternatifs de règlement des différends, en fusionnant, par exemple, la médiation judiciaire et la conciliation, avec pour critère distinctif le lien avec la procédure judiciaire.
M. le président. L’amendement n° 273 rectifié, présenté par Mme Costes, MM. Arnell et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Collin, Gabouty, Guérini et Guillaume, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rétablir le 1° dans la rédaction suivante :
1° L’article 22 est ainsi rédigé :
« Art. 22. – Le juge peut désigner, par une décision spécialement motivée constatant son impossibilité de procéder à une conciliation, et après avoir recueilli l’accord des parties, un médiateur pour procéder à une médiation, en tout état de la procédure, y compris en référé. Cet accord est recueilli dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État. » ;
La parole est à Mme Josiane Costes.
Mme Josiane Costes. Depuis la loi de 1995 que j’évoquais à l’instant, le législateur tente de désengorger les tribunaux en encourageant le recours aux modes alternatifs de règlement des différends.
Ces incitations législatives n’ont, semble-t-il, pas permis d’y parvenir. En effet, pour la plupart de nos concitoyens, l’autorité du juge est difficilement substituable.
Si ces solutions non juridictionnelles doivent exister, puisqu’elles s’avèrent utiles dans certains domaines du droit, il paraît en revanche illusoire d’espérer qu’elles soient transposables à toutes les matières.
Le présent amendement vise donc à souligner que, dès lors qu’un juge a été saisi par un justiciable et qu’il a instruit le dossier au point de considérer qu’une médiation serait possible, il pourrait permettre au justiciable de réaliser un gain de temps en procédant lui-même à une conciliation et à l’homologation de l’accord.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, corapporteur. L’amendement n° 272 rectifié bis vise à remplacer le terme de « médiation » par celui de « conciliation ». Ces deux notions ne sont pourtant pas synonymes. Il ne nous semble pas opportun de faire disparaître la notion de « médiation », d’autant qu’elle est utilisée de manière générale par le droit communautaire. La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
Quant à l’amendement n° 273 rectifié, il est partiellement satisfait par le 2° du I de l’article 2, qui permettra au juge, « en tout état de la procédure, y compris en référé », d’enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur, « lorsqu’il estime qu’une résolution amiable du litige est possible ». La commission souhaite donc le retrait de cet amendement, faute de quoi son avis sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il est identique à celui de la commission : défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 272 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 207, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Rétablir le II dans la rédaction suivante :
II. – L’article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle est ainsi rédigé :
« I. – Lorsque la demande tend au paiement d’une somme n’excédant pas un certain montant ou est relative à un conflit de voisinage, la saisine du tribunal de grande instance doit, à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou de procédure participative, sauf :
« 1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ;
« 2° Lorsque l’exercice d’un recours préalable est imposé auprès de l’auteur de la décision ;
« 3° Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime, notamment l’indisponibilité de conciliateurs de justice dans un délai raisonnable ;
« 4° Si le juge doit, en vertu d’une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation.
« II. – Un décret en Conseil d’État définit les modalités d’application du I, notamment les matières entrant dans le champ des conflits de voisinage ainsi que le montant en deçà duquel les litiges sont soumis à l’obligation mentionnée au I. Toutefois, cette obligation ne s’applique pas aux litiges relatifs à l’application des dispositions mentionnées à l’article L. 314-26 du code de la consommation. »
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le présent amendement vise au rétablissement des dispositions qui étendent la tentative de résolution amiable préalable aux petits litiges et aux conflits de voisinage.
Le présent projet de loi, tel que déposé par le Gouvernement, contient des dispositions visant à encourager résolument le recours aux modes alternatifs de règlement des différends.
Son article 2 contenait, outre la mesure destinée à multiplier les possibilités de recourir à la médiation, une disposition étendant les tentatives obligatoires de médiation et de résolution amiable préalables aux litiges dorénavant portés devant le tribunal de grande instance, lorsque la demande n’excède pas un montant qui sera défini par décret en Conseil d’État ou lorsqu’elle a trait à un conflit de voisinage. Au choix des parties, la tentative de résolution amiable consistera en une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative.
Votre commission des lois a supprimé cette disposition. Il me semble pourtant que les citoyens ont tout intérêt à recourir aux modes amiables de résolution des conflits. En effet, les solutions obtenues par le biais de la justice amiable sont généralement plus pérennes, comme on peut le constater en se rendant dans un tribunal d’instance où des conciliateurs officient, ou encore dans toute autre juridiction.
La variété des modes amiables qui sont admis permet de considérer que l’offre de conciliateurs de justice, de médiateurs et d’auxiliaires de justice pouvant assister les parties dans le cadre d’une convention de procédure participative sera suffisante pour que cette obligation soit respectée.
Pour répondre à une interrogation justifiée de votre commission, le présent amendement tend à rappeler explicitement que l’indisponibilité des conciliateurs de justice, qu’on ne saurait évidemment opposer au justiciable, constituera un motif légitime de dispense de l’obligation.
Loin de constituer une atteinte à l’accès au juge, cette disposition permettra un règlement en amont des litiges les moins contentieux, de façon à ce que les juges se concentrent sur les affaires les plus contentieuses.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, corapporteur. Cet amendement important est contraire à la position de la commission, qui a souhaité supprimer l’extension du champ de l’obligation de tentative de règlement amiable des différends préalable à la saisine du juge.
Si l’on ne peut que souscrire à l’objectif du Gouvernement – « développer les modes alternatifs de résolution des différends afin que ne soient portées devant le juge que les affaires les plus contentieuses, pour lesquelles les parties n’ont pas pu trouver ensemble de solution amiable, et afin d’apaiser autant que possible les échanges entre les parties » –, le dispositif prévu ne nous semble pas abouti.
En premier lieu, la rédaction retenue entraînerait une restriction des modes de règlement des litiges admis, en énumérant seulement la conciliation par un conciliateur de justice, la médiation et la procédure participative, alors que les parties peuvent actuellement justifier avoir rempli leur obligation de tentative de règlement amiable de leur litige en justifiant d’autres diligences entreprises, par exemple dans le cadre d’une assurance de protection juridique, ou encore en faisant appel à un huissier de justice.
En deuxième lieu, le champ d’application du dispositif nous semble imprécis. Seraient concernées par cette obligation les demandes tendant au paiement d’une somme n’excédant pas un certain montant ainsi que les litiges concernant les conflits de voisinage. Qu’entendre par « demandes tendant au paiement d’une somme n’excédant pas un certain montant » ? Que recouvre exactement la notion de « conflits de voisinage » ? Aucune définition n’en est donnée par les textes législatifs en vigueur ; la jurisprudence, quant à elle, reconnaît seulement la notion de « trouble anormal de voisinage ».
En troisième lieu, le dispositif mis en place par la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle est trop récent pour avoir produit tous ses effets et n’a pas encore été évalué. À quoi bon proposer une extension de ce dispositif, si l’on ne peut affirmer avec certitude qu’il a eu un effet positif sur le nombre de saisines des tribunaux d’instance ?
En dernier lieu, le nombre de 2 400 conciliateurs nécessaire pour absorber la réforme de 2016, selon les évaluations du gouvernement de l’époque, n’a toujours pas été atteint, puisque seuls 2 021 conciliateurs sont actuellement en fonction. Or, selon le Gouvernement, s’il est difficile de quantifier les effets exacts de l’extension du dispositif, une augmentation significative de l’activité des conciliateurs est à prévoir.
Il est donc prématuré, selon nous, d’envisager d’étendre le dispositif créé en 2016, sous peine de porter atteinte au droit à un recours effectif devant un juge, droit constitutionnellement garanti, faut-il le rappeler ?
La solution envisagée par le Gouvernement dans cet amendement, qui consiste à prévoir que les parties pourront s’exonérer de leur obligation en cas d’absence de conciliateur disponible dans un délai raisonnable, ne peut être jugée satisfaisante et conforte le constat que le dispositif n’est pas prêt à être étendu, faute d’un nombre suffisant de conciliateurs pour absorber le surcroît d’activité qui résulterait de cette extension.
L’avis de la commission sur cet amendement est donc défavorable.
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Nous voterons contre cet amendement, madame la garde des sceaux. En effet, par votre projet de loi, comme je l’ai fait remarquer dans la discussion générale commune, vous faites montre d’une volonté d’extraire de la justice des dossiers lourds, compliqués et coûteux.
Je suis d’accord avec vous, et avec beaucoup de magistrats : certes, ce n’est pas dans une décision de justice qu’on trouve l’apaisement nécessaire à des conflits de voisinage ; c’est sans doute par la médiation que l’on peut espérer l’obtenir. Pour autant, cette médiation ne s’impose pas : aujourd’hui, comme la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle le prévoit, un juge peut parfaitement orienter les gens dans cette voie. En revanche, vouloir imposer la conciliation et, en l’absence de conciliateur, orienter les parties vers des systèmes de médiation privatisés et coûteux me paraît extrêmement dangereux et révélateur de cet esprit que je dénonçais.
Une mésentente entre deux voisins, c’est vieux comme le monde ! Ils ont le droit d’aller voir Saint Louis sous son chêne et de lui demander de trouver une solution. Si le magistrat n’a pas le temps, il peut désigner un médiateur, qu’il choisit en fonction de ses talents de médiation et de diplomatie. En effet, il passera beaucoup de temps à sa tâche, car ce sont des contentieux difficiles, les pires qui existent, et le mieux est de réussir à concilier des voisins.
En somme, les conflits de voisinage, ou encore les troubles de voisinage, ne peuvent être simplement soustraits à l’examen de la justice, alors que ces litiges du quotidien empoisonnent nos concitoyens et qu’ils ont le droit de voir leur juge pour les aider à les résoudre.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur Bigot, bien entendu, nos concitoyens ont le droit de voir leur juge ! Cela dit, si vous allez devant un tribunal d’instance – je sais que vous en fréquentez –, que se passe-t-il ? Le juge lui-même, qui a la plupart du temps le conciliateur à son côté, lorsqu’il s’agit de petits litiges, demande aux parties d’aller d’abord voir le conciliateur. Il me semble que nous avons tout intérêt à adopter cette mesure, qui est attendue par tout le monde.
Quant au flou relevé par M. le corapporteur au sujet des litiges qui pourraient être soumis à ce type de procédure de médiation et de conciliation, actuellement, le montant en dessous duquel le dispositif s’applique est de 4 000 euros. Nous envisageons de le porter à 5 000 euros, mais cela relève du décret et non pas de la loi, ce pour quoi nous ne le préciserons que plus tard ; je souhaitais simplement vous donner une idée globale de ce que nous envisageons de faire.
Je puis en tout cas vous assurer, mesdames, messieurs les sénateurs, que cette mesure est à la fois attendue et utile. Ce serait dommage de nous en priver. Nous constatons, lorsque nous allons sur le terrain, que cette mesure sera vraiment très utile.
M. Jacques Bigot. Que les juges veuillent se décharger de ces litiges, j’en suis convaincu !
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Lherbier, pour explication de vote.
Mme Brigitte Lherbier. À la maison de justice et du droit de Tourcoing, des conciliateurs viennent régulièrement pour « séparer » des voisins qui ne s’entendent pas. Pour aller dans le sens de M. Bigot, je peux vous assurer que leur travail est extrêmement difficile. Je revois ces voisins quinze jours plus tard : le conciliateur n’a pas trouvé de solution, me disent-ils, parce qu’il n’a pas l’autorité du juge. Seul le juge peut dire : « C’est comme ça et pas autrement ! »
M. le président. L’amendement n° 50 rectifié bis, présenté par MM. Duplomb, Cigolotti et J.M. Boyer, Mmes Berthet et Bonfanti-Dossat, MM. Bonhomme, Brisson, Cardoux, Chaize et Charon, Mme Chauvin, MM. Cuypers et Dallier, Mmes Deroche, Deromedi et Deseyne, M. Gremillet, Mme Gruny, MM. Houpert et Huré, Mme Imbert, MM. Joyandet, Kennel et Laménie, Mmes Lamure et Lassarade, MM. D. Laurent, Lefèvre, H. Leroy et Magras, Mme Micouleau, MM. Mouiller, Perrin, Poniatowski, Raison, Savary et Longeot, Mme Joissains, MM. Lafon, Moga et Le Nay, Mme Férat, M. Laugier, Mmes Guidez et C. Fournier, MM. Delahaye, Kern et Delcros, Mmes Billon et Gatel et MM. Cazabonne, Canevet et Pointereau, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 7
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
… – Au premier alinéa de l’article 710–1 du code civil, le mot : « juridictionnelle » est remplacé par le mot : « judiciaire ».
La parole est à M. Jean-Marc Boyer.
M. Jean-Marc Boyer. Cet amendement a pour objet de simplifier la publicité foncière de l’acte matérialisant l’accord des parties à la suite d’une médiation judiciaire relative à des problématiques de limites de propriétés ou de servitudes.
En effet, actuellement, afin de publier leur accord au fichier immobilier, les justiciables doivent solliciter un nouvel acte, ce qui allonge le délai de formalisation de leur accord et entraîne un coût supplémentaire pour les parties.
Nous proposons donc, par cet amendement, de modifier l’article 710–1 du code civil afin que cette étape supplémentaire soit simplifiée pour les justiciables. En substituant la notion de « décision judiciaire » à celle de « décision juridictionnelle », une inscription directe au fichier immobilier à la suite de l’homologation du juge serait rendue possible.
Cela serait particulièrement pertinent dans le cas d’un conflit de voisinage pour une petite surface de terrain, litige qui survient régulièrement en milieu rural. Or le coût de la formalité empêche souvent la résolution du conflit.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, corapporteur. Aux termes de cet amendement, les décisions « judiciaires » pourraient donner lieu à publicité foncière. L’objectif de ses auteurs est de permettre la publicité foncière des accords intervenus en médiation dès lors qu’ils seraient homologués par le juge.
La Chancellerie a confié une mission de réflexion sur le droit de la publicité foncière au professeur Laurent Aynès. Ses propositions seront rendues publiques, si nous sommes bien informés, dans les jours qui viennent. Il n’est donc pas opportun, à nos yeux, de modifier ce droit au détour d’un amendement.
Par ailleurs, sur le fond, cet amendement pose quelques difficultés, dans la mesure où il tend à permettre la publication au fichier immobilier des actes homologués alors même que, lorsque le juge homologue un accord de médiation ou de conciliation, il n’opère qu’un contrôle restreint. Le risque est donc de permettre la publicité d’actes entachés de vices ou difficiles à interpréter.
Il apparaît donc pertinent de limiter la publicité foncière aux décisions juridictionnelles, pour lesquelles le juge opère un contrôle approfondi, et de refuser celle des décisions d’homologation, dans lesquelles il intervient de manière allégée.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Article 3
Après l’article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, sont insérés des articles 4-1, 4-1-1, 4-1-2, 4-1-3, 4-1-4 et 4-2 ainsi rédigés :
« Art. 4-1. – Les personnes proposant, de manière rémunérée ou non, un service en ligne de conciliation ou de médiation ou tout autre mode de résolution amiable des litiges sont soumises aux obligations relatives à la protection des données à caractère personnel et, sauf accord des parties, de confidentialité. Le service en ligne garantit un accès direct aux informations relatives au processus de résolution amiable.
« Art. 4-1-1. – Les personnes proposant, de manière rémunérée ou non, un service en ligne d’arbitrage sont soumises aux obligations relatives à la protection des données à caractère personnel et, sauf accord des parties, de confidentialité. Le service en ligne garantit un accès direct aux informations relatives au processus d’arbitrage.
« La sentence arbitrale peut être rendue sous forme électronique.
« Art. 4-1-2. – Les services en ligne mentionnés aux articles 4-1 et 4-1-1 ne peuvent résulter exclusivement d’un traitement algorithmique ou automatisé. Lorsque ce service est proposé à l’aide d’un tel traitement, les parties doivent en être informées par une mention explicite et doivent expressément y consentir. Les règles définissant ce traitement, dont le responsable doit s’assurer de la maîtrise et de ses évolutions, ainsi que les principales caractéristiques de sa mise en œuvre sont communiquées à toute partie qui en fait la demande.
« Art. 4-1-3. – Les personnes proposant, de manière rémunérée ou non, un service en ligne d’aide à la saisine des juridictions sont soumises aux obligations relatives à la protection des données à caractère personnel et de confidentialité. Le service en ligne délivre une information sur les conséquences de toute action judiciaire.
« Les personnes mentionnées au premier alinéa ne peuvent réaliser, de quelque manière que ce soit, aucun acte d’assistance ou de représentation au sens de l’article 4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques sans le concours d’un avocat.
« Art. 4-1-4. – Les personnes qui concourent à la fourniture ou au fonctionnement des services en ligne mentionnés aux articles 4-1, 4-1-1 et 4-1-3 accomplissent leur mission avec diligence et compétence, en toute indépendance et impartialité, dans le cadre d’une procédure efficace et équitable.
« Elles sont soumises au secret professionnel dans les conditions de l’article 226-13 du code pénal.
« Art. 4-2. – Pour pouvoir être proposés au public, les services mentionnés aux articles 4-1, 4-1-1 et 4-1-3 doivent être certifiés par le garde des sceaux, ministre de la justice. La certification est accordée après vérification du respect des exigences mentionnées aux articles 4-1 à 4-1-4.
« Par exception, la certification est accordée de plein droit aux conciliateurs de justice, aux médiateurs qui justifient de leur inscription sur la liste prévue à l’article L. 615-1 du code de la consommation au titre de leur activité de médiation de consommation ainsi qu’aux personnes inscrites, dans le ressort d’une cour d’appel, sur la liste des médiateurs prévue à l’article 22-1 A de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative.
« Un décret en Conseil d’État précise les procédures de délivrance et de retrait de la certification pour les services mentionnés au premier alinéa du présent article. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 17 est présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 87 est présenté par Mme Joissains.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 17.
Mme Éliane Assassi. Ces dispositions ouvrent un nouveau marché au monde du logiciel et des startupeurs du numérique. On a tendance, me semble-t-il, à oublier au passage l’essence même de la justice, qui est là pour assurer l’équilibre de l’ordre public. Or ce genre de réforme et, particulièrement, l’article 3 de ce projet de loi donne l’impression que l’on considère la justice non plus comme un service public XXL, si j’ose dire – et vous savez, mes chers collègues, combien nous sommes attachés au service public –, mais comme un service public parmi d’autres.
Quel est l’objectif de cet article ? Il est de mesurer un rapport qualité-prix en se souciant surtout du prix, comme le dénonçait en commission mon collègue Pierre-Yves Collombat. Cet article apparaît comme l’illustration parfaite de ce modèle : après avoir instauré une obligation de conciliation, on en délègue la gestion à des acteurs de droit privé, dans l’unique et seul but de désengorger les tribunaux et d’alléger la tâche des magistrats.
Des sites en ligne proposeront donc désormais des services de règlement de litiges rapides et – on en doute – efficaces. Quand même, un maximum de profit sera garanti, car ceux qui paieront le plus seront bien entendu ceux qui seront les mieux servis.
Voici donc le nouveau monde que l’on nous propose, dans tout ce qu’il représente de plus pernicieux pour nos services publics, qui se retrouvent dévitalisés et remplacés insidieusement par le monde de l’entreprise. Du service public défaillant au service privé efficace, il n’y a qu’un pas, que ce texte franchit. Écoutez, madame la ministre : pour notre part, ce monde, nous n’en voulons pas !
M. le président. La parole est à Mme Sophie Joissains, pour présenter l’amendement n° 87.
Mme Sophie Joissains. Comme le règlement à l’amiable de ces litiges ne sera pas effectué par un service public, certaines garanties d’impartialité, de fait, n’existeront pas. De surcroît, le justiciable ne sera pas soumis aux mêmes conditions financières. Cela me paraît incompatible avec l’appartenance indéniable du règlement des litiges au domaine de la justice.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, corapporteur. Les amendements nos 17 et 87 visent à supprimer l’article 3. Cet article, en prévoyant des garanties pour les justiciables, instaure un cadre juridique plus contraignant pour les plateformes en ligne de résolution amiable des litiges et d’aide à la saisine des juridictions.
Si l’on adoptait ces amendements, qui sont contraires à la position de la commission, ces sites, qui existent déjà, pourraient prospérer sans aucun cadre juridique, ce qui n’est sans doute pas dans l’intention des auteurs des amendements.
Mme Éliane Assassi. Mais non, on n’en veut pas !
M. Yves Détraigne, corapporteur. L’avis de la commission sur ces amendements est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. L’objectif du Gouvernement n’est pas de faire baisser le nombre de saisines des juridictions – vous ne l’avez pas dit, madame Assassi, mais vos propos pouvaient s’inscrire dans une préoccupation d’ensemble que je sais être la vôtre –, mais au contraire d’apporter de la sécurité et de la confiance sur le marché des plateformes de résolution en ligne des litiges, marché qui, qu’on le veuille ou non, se développe.
Ce serait selon moi une erreur que de se voiler la face et de faire comme si ce marché n’existait pas. Il existe parce que la médiation n’est pas une activité réglementée et que nos concitoyens – là aussi, qu’on le veuille ou non – recherchent parfois des solutions alternatives.
Il est néanmoins essentiel à nos yeux d’énoncer des obligations positives qui pèseront sur l’ensemble des plateformes qui présentent leur activité sous diverses appellations : tantôt conciliation, tantôt médiation, tantôt arbitrage.
Parmi les obligations que nous proposons figurent celles de diligence, de compétence, d’indépendance et d’impartialité. Nous nous donnons ainsi les moyens de garantir à nos concitoyens des services de qualité en faisant la distinction entre des opérateurs qui sont vertueux et compétents et d’autres qui ne le seraient pas. C’est tout l’objet de cet article.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements.
Mme Sophie Joissains. Je retire l’amendement n° 87, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 87 est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 17.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 312, présenté par M. Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
A. – Alinéa 2, seconde phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Le service en ligne délivre une information détaillée sur les modalités selon lesquelles la résolution amiable est réalisée.
B. – Alinéa 3, seconde phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Le service en ligne délivre une information détaillée sur les modalités selon lesquelles l’arbitrage est rendu.
C. – Alinéa 5, première phrase
1° Remplacer les mots :
résulter exclusivement d’un
par les mots :
avoir pour seul fondement un
2° Compléter cette phrase par les mots :
de données à caractère personnel
D. – Alinéa 5, dernière phrase
1° Supprimer les mots :
, dont le responsable doit s’assurer de la maîtrise et de ses évolutions,
2° Après le mot :
communiquées
insérer les mots :
par le responsable de traitement
E. – Alinéa 5
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Le responsable de traitement s’assure de la maîtrise du traitement et de ses évolutions afin de pouvoir expliquer, en détail et sous une forme intelligible, à la partie qui en fait la demande la manière dont le traitement a été mis en œuvre à son égard.
F. – Alinéa 6, seconde phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Le service en ligne délivre une information détaillée sur les conséquences des actions en justice qu’il permet de réaliser.
G. – Alinéa 9
Rédiger ainsi cet alinéa :
« L’article L. 226-13 du code pénal leur est applicable.
H. – Alinéa 12
Après le mot :
certification
supprimer la fin de cet alinéa.
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. Il s’agit d’un amendement de précision et de clarification rédactionnelle, concernant notamment l’usage des traitements algorithmiques de données personnelles dans le cadre des services en ligne de résolution amiable des litiges, sur la base des dispositions de l’article 10 de la loi n° 78–17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, dans la rédaction qui résulte de la loi n° 2018–493 du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il est favorable, car cet amendement me semble bienvenu : il apporte de la clarté et donc de la confiance.
M. le président. L’amendement n° 274 rectifié, présenté par Mme Costes, MM. Arnell et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli et Collin, Mme N. Delattre, MM. Gabouty, Guérini et Guillaume, Mmes Jouve et Laborde et MM. Menonville, Requier, Roux, Vall et Dantec, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par les mots :
, sauf opposition de l’une des parties
La parole est à Mme Josiane Costes.
Mme Josiane Costes. Dans l’esprit des amendements déjà adoptés en commission, celui-ci vise à encadrer les procédures numérisées d’arbitrage en permettant aux parties concernées de s’opposer à la voie numérique.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, corapporteur. Il est favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 15 rectifié bis, présenté par MM. Cigolotti, Duplomb et Longeot, Mmes Loisier et Joissains, MM. Lafon, Moga, Le Nay et Laugier, Mmes Férat, C. Fournier et Guidez, MM. Kern, Delahaye, Delcros et Cazabonne, Mmes Billon, Gatel, Berthet et Bonfanti-Dossat, MM. Bonhomme, J.M. Boyer, Brisson, Cardoux et Chaize, Mme Chauvin, MM. Cuypers et Dallier, Mme Deroche, M. Gremillet, Mme Gruny, MM. Houpert et Huré, Mme Imbert, MM. Joyandet, Kennel et Laménie, Mmes Lamure et Lassarade, MM. D. Laurent et Magras, Mme Micouleau et MM. Mouiller, Perrin, Poniatowski, Raison, Savary et H. Leroy, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Le consentement de chacun des intéressés pour un traitement par algorithme ou automatisé visé à l’alinéa précédent ne peut être formulé qu’après rencontre effective d’un médiateur ou d’un conciliateur selon les modalités mises en place au sein de la juridiction locale dont il relève. Les modalités de ces rencontres sont organisées par le ou les conseils départementaux de l’accès au droit dont relèvent les parties.
La parole est à Mme Sophie Joissains.
Mme Sophie Joissains. Un véritable mode amiable de résolution suppose l’intervention d’un tiers neutre et indépendant. Nous estimons quant à nous qu’il est important de recueillir le consentement de chacun des intéressés à un traitement par algorithme ou automatisé de ses données personnelles.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, corapporteur. Cet amendement nous semble en contradiction avec l’objet même du projet de loi, qui encadre les plateformes de résolution amiable des litiges en ligne. On ne comprend pas à quoi serviraient ces outils s’il faut également rencontrer un médiateur ou un conciliateur dans une juridiction.
L’avis de la commission sur cet amendement est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 313, présenté par M. Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 7
A. – Rédiger ainsi le début de cet alinéa :
« Art. 4-1-3-1. – Les personnes mentionnées aux articles 4-1, 4-1-1 et 4-1-3 ne peuvent…
B. – Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Elles ne peuvent donner des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privé qu’à la condition de respecter les obligations résultant de l’article 54 de la même loi.
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. Le présent amendement vise à affirmer plus clairement que les plateformes en ligne d’aide à la saisine des juridictions et de résolution amiable des litiges, quel que soit le mode de résolution, ne peuvent réaliser des actes d’assistance et de représentation sans le concours d’un avocat ni réaliser des consultations juridiques sans respecter les garanties et exigences de qualification prévues par la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.
La certification de ces plateformes supposera une vérification du respect de ces obligations.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet amendement est tout à fait bienvenu : il vise à ajouter à cet article une référence à l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971, qui fixe les conditions dans lesquelles l’activité de consultation juridique et de rédaction d’actes sous seing privé peut être exercée. Cette disposition est par ailleurs rendue applicable tant aux services d’aide à la saisine en ligne qu’à ceux de résolution des litiges. La protection du périmètre du droit est une condition de la qualité des professions juridiques et judiciaires, et un gage de sécurité juridique. Nous en avons donc besoin.
L’avis du Gouvernement sur cet amendement est donc favorable.
M. le président. L’amendement n° 276 rectifié, présenté par Mme Costes, MM. Arnell et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli et Collin, Mme N. Delattre, MM. Gabouty, Guérini et Guillaume, Mmes Jouve et Laborde et MM. Menonville, Requier, Roux, Vall et Dantec, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Leur identité figure expressément sur le site du service en ligne le cas échéant.
La parole est à Mme Josiane Costes.
Mme Josiane Costes. L’article dont nous débattons permet le développement de services en ligne de résolution de différends et interdit à ces sites internet d’offrir un service de rédaction d’actes sans la collaboration effective de professionnels habilités à rédiger ces actes.
Afin de prémunir les futurs consommateurs de ces services contre un risque d’escroquerie et de préserver les intérêts de ces professionnels, nous proposons que les sites internet vendant de tels services de production d’actes fassent explicitement mention du nom des professionnels collaborant à leurs services, ceci dans un souci de transparence et de meilleure protection.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, corapporteur. La portée de cet amendement ne nous semble pas parfaitement claire, compte tenu de la rédaction de l’alinéa qu’il vise à compléter. Faudrait-il mentionner les noms des avocats sur les sites internet d’aide à la saisine des juridictions ? Certains éléments doivent être précisés. En l’état, je vous demande donc, ma chère collègue, de bien vouloir retirer cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il est identique à celui de la commission. Autant il peut paraître pertinent qu’un service d’aide à la saisine en ligne qui offre le concours d’avocats fasse connaître leurs noms, autant cette précision ne me paraît pas indispensable si le service d’aide se limite à la saisine, sans autre intervention intellectuelle. La rédaction manque de précision ; je vous demande donc également, madame la sénatrice, le retrait de votre amendement.
M. le président. Madame Costes, l’amendement n° 276 rectifié est-il maintenu ?
Mme Josiane Costes. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 276 rectifié est retiré.
L’amendement n° 208, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 10, première phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Les services mentionnés aux articles 4-1, 4-1-1 et 4-1-3 peuvent faire l’objet d’une certification par un organisme accrédité.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, les travaux de votre commission des lois ont permis, comme nous venons de le constater, d’affiner le dispositif de régulation des plateformes de résolution des conflits en ligne que le Gouvernement entend mettre en place.
Pour assurer la confiance de nos concitoyens – je répète ce mot à dessein –, il est nécessaire d’énoncer un certain nombre d’obligations positives qui s’imposeront aux plateformes opérant dans le secteur innovant de résolution en ligne des litiges.
Cependant, à la différence de la commission des lois, le Gouvernement considère que la certification doit rester facultative : dans un environnement concurrentiel, cela valorisera les opérateurs vertueux. Je rappelle que les cas où une certification est obligatoire sont aujourd’hui très rares : ils se justifient soit par des considérations de sécurité ou de santé publique, soit par le fait que la certification conditionne l’allocation de financements publics, soit par la protection des données de santé.
De plus, en pratique, une certification généralisée de l’ensemble des opérateurs préalablement à la mise en service de ce dispositif paraît illusoire. À titre d’exemple, le ministère de la justice n’aura aucun moyen de contrôler un site qui serait domicilié à l’étranger et qui ne demanderait pas de certification.
C’est pourquoi je vous propose, conformément au projet de loi initial, de donner un caractère facultatif à la certification des plateformes de résolution extrajudiciaire des conflits. Les utilisateurs pourront ainsi choisir, parmi les différents acteurs du marché, ceux qui sont certifiés et les autres.
Je précise enfin que cette certification sera assurée par un organisme accrédité par le Comité français d’accréditation ou COFRAC, aux frais des plateformes qui le solliciteront.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, corapporteur. La commission souhaite rendre obligatoire la certification des plateformes en ligne.
Sur le fond, si ce caractère obligatoire peut porter atteinte à la liberté d’entreprendre, il serait justifié par un objectif d’intérêt général de protection des justiciables. La résolution amiable des litiges peut s’apparenter à un démembrement d’une prérogative de puissance publique consistant à trancher des litiges, ce qui nécessite un cadre juridique précis et protecteur.
Pour cette raison, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Madame la garde des sceaux, vous affirmez que vous souhaitez développer les plateformes. Pour notre part, ce n’est pas ce que nous souhaitons. Nous constatons qu’elles existent et qu’elles peuvent avoir leur utilité, mais il faut absolument protéger les usagers.
Par ailleurs, dans les articles précédents, vous avez voulu imposer le recours à la conciliation ou à la médiation, y compris ce type de médiation, avant l’accès aux juges. Vous envisagez que l’obligation de se soumettre à une médiation puisse se faire avec des organismes qui n’auraient pas besoin de demander de certification.
Certes, dans l’absolu, on peut considérer qu’il appartient au justiciable de vérifier si l’organisme en ligne est certifié et quelle est sa qualité, mais vous commettez là une erreur : il faut protéger le justiciable. Je comprends que la Chancellerie, en l’état, n’en ait pas les moyens ; c’est sans doute pour cela qu’il faut lui donner plus de moyens financiers.
Toutefois, si l’on veut que ces services puissent exister tout en apportant des garanties aux justiciables, l’État a pour obligation de vérifier et de certifier. Pour exercer les professions judiciaires, il faut avoir un diplôme et s’inscrire à un barreau – c’est la loi de 1971 –, il peut en être de même pour ces organismes.
Je ne comprends pas, par conséquent, que la Chancellerie, parce qu’elle concède que ce sera difficile, accepte de laisser faire et laisse chacun choisir la qualité du service auquel il aura affaire ; dans les faits, il choisira la qualité du service auquel il aura l’obligation d’avoir affaire.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je ne suis pas un fanatique des sites : j’ai même failli tout à l’heure voter l’amendement communiste, ce qui a été un grand moment d’émotion ! (Sourires.)
Mme Éliane Assassi. Vous filez un mauvais coton ! (Nouveaux sourires.)
M. Roger Karoutchi. Je me range à l’avis du Gouvernement et de la commission sur le développement des sites de médiation.
Cependant, madame le garde des sceaux, je ne comprends pas cet amendement du Gouvernement. Selon vous, le ministère de la justice ne peut pas certifier des sites qui se trouvent à l’étranger.
De deux choses l’une : ou bien l’on se rend sur ces sites en confiance et les opérations que l’on y effectue ont valeur de médiation, ou bien ces sites ne sont pas sûrs, parce qu’ils sont à l’étranger ou parce qu’ils n’ont pas de certification, et vous créez alors une confusion dans l’esprit des utilisateurs.
Soit tous les sites sont certifiés et ceux qui les consultent considèrent avoir une sorte de garantie, soit ces sites ne le sont pas et ils disparaîtront, car les usagers s’en détourneront. Pour ma part, je ne consulterai pas un site qui n’a pas de certification, ce serait absurde !
Il faut un peu de cohérence : si vous considérez qu’il faut développer ces sites, vous leur donnez la garantie de la certification – à partir de là, on peut avancer –, dans le cas contraire, vous mettriez tout le monde en péril !
Je ne comprends pas très bien le sens de cet amendement. Si ces sites doivent se développer, il faut qu’ils soient certifiés.
Mme Éliane Assassi. Absolument ! Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Lherbier, pour explication de vote.
Mme Brigitte Lherbier. La certification des sites, c’est aussi la certification des personnes qui se trouvent derrière.
Dans la mesure où il s’agit de répondre aux justiciables, il me paraît plus que nécessaire de garantir le niveau de qualification : cela relève du bon sens ! Pour s’assurer qu’ils seront bien accueillis et bien renseignés, il faut leur donner un minimum de certitudes à l’égard de l’interlocuteur qui répondra à leurs questions – je pense, par exemple, à son niveau d’études. Or on pourrait imaginer que ce genre de site recrute des personnes de niveau bac + 2, voire moins. Sans certification, on ne connaît pas la qualification des intervenants de ces sites.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Sans doute me suis-je mal exprimée : ce que je propose, c’est bien la certification des plateformes, mais celle-ci ne devra pas être obligatoirement demandée par l’ensemble des plateformes.
Mme Éliane Assassi. Elle est donc facultative !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je vous rappelle que la liberté d’entreprendre est un principe en France. Sur internet apparaîtront clairement pastillés les sites de conciliation certifiés par l’organisme que nous accréditerons à cette fin.
Mme Éliane Assassi. Quel est-il ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Théoriquement – monsieur Karoutchi, je comprends parfaitement votre préoccupation –, le bon grain permettra de chasser les sites qui ne répondraient pas aux exigences des utilisateurs.
Mme Éliane Assassi. Par l’argent !
Mme Éliane Assassi. Par qui ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je vous l’ai précisé tout à l’heure : par un organisme mis en place par le COFRAC et permettant les labellisations de l’ensemble des plateformes. (Mme Éliane Assassi s’exclame.) Vous savez très bien qu’il s’agit d’un organisme officiel.
Mme Éliane Assassi. Je n’en sais rien !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cette certification permettra de connaître les sites habilités, qui répondent aux conditions que nous aurons labellisées, que vous avez évoquées, madame Lherbier, et que j’ai décrites : formation, déontologie, etc.
Ainsi, nous respecterons la liberté d’entreprendre et nous indiquerons aux usagers les sites qui méritent la certification.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Cet échange est utile et susceptible de faire évoluer le point de vue de Mme la ministre.
La position du Gouvernement est très étrange. Il ouvre une piste pour que les justiciables puissent trouver une issue assez pratique, simple d’accès et peut-être peu coûteuse à un contentieux ou un précontentieux. Cependant, pour cela, il faut de la qualité et de la sécurité. Considérer qu’une certification facultative suffirait conduira à la floraison de sites en tous genres.
Nous en avons tous fait l’expérience : lorsque nous organisons un voyage, achetons un appareil d’électroménager, que sais-je encore, nous consultons une multitude de sites et essayons de connaître l’avis des autres consommateurs ; en d’autres termes, nous procédons à une évaluation par nos propres moyens du produit que nous cherchons à acheter sans aucune sécurité.
La différence, c’est que l’on parle ici de droit.
Que se passera-t-il ? Nombre de justiciables ne seront pas familiers avec ce process. La labellisation est bonne pour des praticiens ou pour ceux qui, pour des raisons qui m’échappent, auraient régulièrement affaire à ce type de prestation – en principe, ce type de démarche s’impose une ou deux fois dans une vie. L’information sur l’existence de sites labellisés n’atteindra pas les personnes concernées.
Se posera ensuite la question du prix. J’imagine que les sites qui ne seront pas labellisés auront comme force de conviction une force commerciale, clamant qu’ils sont moins chers que les autres. Nombre de justiciables peu aguerris et peu expérimentés tomberont dans ce piège.
Madame la ministre, alors même que certains sont réticents face à cette démarche et à un accès au juge en quelque sorte désincarné – nous en sommes ; mais admettons, ainsi va le monde désormais –, nous devons quoi qu’il en soit assurer une forme de sécurité aux personnes qui se tourneront vers ces sites et qui seront sans doute les plus vulnérables. En effet, les autres continueront à consulter des professionnels – avocats, conseils juridiques… – et n’auront sans doute pas recours aux plateformes en ligne.
Nous sommes un certain nombre à essayer de vous convaincre que ce n’est pas grave si ces plateformes se développent plus lentement à cause du processus de certification. Certes, ce sera une charge pour l’organisme certificateur, mais c’est le prix de la confiance.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Conconne, pour explication de vote.
Mme Catherine Conconne. Je viens ajouter ma voix à ce débat.
Nous allons tomber dans le charlatanisme, madame la ministre ! Lorsqu’un citoyen se tourne vers un site ou un médiateur pour demander conseil, c’est bien souvent parce qu’il est dans la détresse, qu’il est affolé ou au bord du drame pour une affaire qui l’affecte et le touche. Et on l’enverrait sur internet, pensant qu’il saura trier le bon grain de l’ivraie ?
Madame la ministre, il faut redescendre sur terre et voir à qui l’on s’adresse : souvent, ce sont des gens très peu lettrés, qui n’ont pas l’habitude des procédures, qui sont perdus devant le maquis judiciaire et administratif et la traditionnelle paperasserie à remplir.
La République doit protection et sécurité aux citoyens. C’est un principe fondamental que nous ne devons pas détourner pour des raisons de rapidité ou au nom de je ne sais quelle efficacité érigée au rang de vertu sacrée et qui semble présider à tout depuis quelque temps. Il faut protéger les citoyens et ne pas donner à tous ces charlatans qui traînent aujourd’hui sur internet et qui viennent ajouter de l’escroquerie à l’escroquerie l’occasion de fleurir et d’exploiter la misère et les drames humains. Ceux qui s’adresseront à eux sont très éloignés du droit et des procédures et agiront dans l’affolement parce qu’ils sont perdus.
S’il faut plus de temps pour que ces sites aient des certifications, prenons-le ! Sinon, nous continuerons à voir de tout sur internet, du marabout au charlatan, en passant par les sites de rencontres, tout cela au nom du libéralisme et du profit.
Protégeons nos citoyens. Il y va de notre devoir, il y va du devoir de la République. (Mme Michèle Vullien applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le corapporteur.
M. François-Noël Buffet, corapporteur. Madame la ministre, il ne faudrait pas confondre la liberté d’entreprendre et la légitime sécurité juridique que nous devons à nos concitoyens.
Mme Éliane Assassi. Voilà !
Mme Françoise Férat. Tout à fait !
M. François-Noël Buffet, corapporteur. En réalité, il ne s’agit que de cela.
Nous sommes tous favorables ici à ce que chacun puisse exercer librement une activité, ce n’est pas le problème. D’ailleurs, dans le cadre de ses auditions, la commission a reçu plusieurs acteurs qui se sont engagés dans ce dispositif. Ce qu’elle souhaite toutefois, c’est que la certification émane du ministère de la justice, car c’est un gage de qualité et un gage de sérieux.
Mme Éliane Assassi. Oui !
M. François-Noël Buffet, corapporteur. Nos concitoyens qui utiliseront ce dispositif sauront que les structures existantes ont reçu le label du ministère. Il faut un minimum de garanties. Il ne s’agit que de cela.
Si nous voulons que le système fonctionne – et nous y sommes favorables –, il faut que cette certification soit obligatoire, ni plus ni moins.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Ce débat est très intéressant. En parlant de certification facultative, nous concilions et la liberté d’entreprendre – je ne vois d’ailleurs pas comment nous pourrons interdire à un site de se créer –…
M. François-Noël Buffet, corapporteur. Bien sûr !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. … et la sécurité juridique dont vous parliez, madame la sénatrice.
La sécurité juridique résultera des sites qui auront reçu la labellisation, laquelle garantit telle qualité ou caractéristique précise.
Il ne faut pas se leurrer : un grand nombre de nos concitoyens réalisent aujourd’hui des achats sur internet – cela se développe de plus en plus, parfois au détriment des petits commerçants. Si un contentieux naît à la suite de cet achat, l’acheteur s’adresse à un site internet de résolution des litiges. Cela se fait déjà.
Pour notre part, nous certifierons les sites qui satisfont à des obligations déontologiques, professionnelles, de niveau de formation, etc. Les autres continueront à vivre ou à ne pas vivre. La certification distinguera les sites que nous garantissons.
Ce faisant, nous concilions et la sécurité juridique et la liberté d’entreprendre.
M. le président. L’amendement n° 314, présenté par M. Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Remplacer les mots :
qui justifient de leur inscription
par le mot :
inscrits
La parole est à M. le corapporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. Il s’agit d’un amendement de précision rédactionnelle.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote sur l’article.
M. Jérôme Durain. Monsieur le président, madame la ministre, nous avons eu un débat à la hauteur des enjeux de cet article.
L’article 3 nous est arrivé un peu famélique et il a été heureusement complété et consolidé par le travail de la commission. L’ensemble des enjeux qui relèvent de cet article tiennent à deux exigences contradictoires : d’une part, rendre la justice plus efficace ; d’autre part, lui conserver son humanité, sa proximité, le lien social, l’empathie et la proximité des justiciables.
Le développement de ces plateformes, que l’on peut souhaiter encourager ou simplement constater – c’est l’un de nos points de divergence – entraînera un certain nombre de risques qui ont été relevés par les auteurs des différents amendements examinés : le risque du coût, c’est-à-dire le risque d’une justice inégalitaire et onéreuse pour certains, le risque de l’impartialité, du défaut de compétence et d’indépendance, que vous avez souligné, madame la ministre, la question de l’égalité de traitement et le risque de défaut de familiarité des justiciables avec ces outils numériques.
L’enfer numérique est pavé de bonnes intentions. Nombre d’innovations apparaissent très séduisantes, mais, sans être particulièrement technophobe, on se rend compte à l’usage qu’elles ne sont pas sans péril ; je pense notamment aux réserves qui ont été émises sur les algorithmes et leur transparence.
Le groupe socialiste et républicain est plutôt favorable à cet article, tel qu’il a été consolidé par le travail de la commission.
Il y a une forme de pari, parce que les risques sont présents, comme vient de le montrer le débat autour de l’amendement du Gouvernement. Il y a aussi une forme de réalisme, parce que, vous l’avez souligné, madame la ministre, ces sites existent et sont sur le marché. Il y a enfin une forme de confiance, parce que nous pensons que les arguments que nous avons fait valoir pendant le débat sur ces amendements, notamment sur le vôtre, madame la ministre, nous permettront de poursuivre le travail parlementaire et d’apporter la sécurité juridique à laquelle notre groupe est particulièrement attaché.
M. le président. Je mets aux voix l’article 3, modifié.
(L’article 3 est adopté.)
Chapitre II
Étendre la représentation obligatoire
Article 4
I. – (Supprimé)
II. – Après l’article 4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, il est inséré un article 4-1 ainsi rédigé :
« Art. 4-1. – Par dérogation au premier alinéa de l’article 4, dans certaines matières, en raison de leur nature, ou en considération de la valeur du litige, les parties peuvent se défendre elles-mêmes ou se faire assister ou représenter devant le tribunal de grande instance, outre par un avocat, par :
« 1° Leur conjoint ;
« 2° Leur concubin ou la personne avec laquelle elles ont conclu un pacte civil de solidarité ;
« 3° Leurs parents ou alliés en ligne directe ;
« 4° Leurs parents ou alliés en ligne collatérale jusqu’au troisième degré inclus ;
« 5° Les personnes exclusivement attachées à leur service personnel ou à leur entreprise.
« Sous réserve des dispositions particulières, l’État, les régions, les départements, les communes et les établissements publics peuvent se faire représenter ou assister par un fonctionnaire ou un agent de leur administration.
« Un décret en Conseil d’État définit les critères mentionnés au premier alinéa du présent article qui dispense de la représentation obligatoire par ministère d’avocat.
« Le représentant, s’il n’est avocat, doit justifier d’un pouvoir spécial. »
II bis (nouveau). – Au début du chapitre III du titre V du livre IV de la première partie du code du travail, il est inséré un article L. 1453-1 A ainsi rédigé :
« Art. L. 1453-1 A. – Par dérogation au premier alinéa de l’article 4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, les parties peuvent se défendre elles-mêmes ou se faire assister ou représenter devant le conseil de prud’hommes, outre par un avocat, par :
« 1° Les salariés ou les employeurs appartenant à la même branche d’activité ;
« 2° Les défenseurs syndicaux ;
« 3° Leur conjoint, leur partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou leur concubin.
« L’employeur peut également se faire assister ou représenter par un membre de l’entreprise ou de l’établissement fondé de pouvoir ou habilité à cet effet.
« Le représentant, s’il n’est avocat, doit justifier d’un pouvoir spécial. Devant le bureau de conciliation et d’orientation, cet écrit doit l’autoriser à concilier au nom et pour le compte du mandant, et à prendre part aux mesures d’orientation. »
II ter (nouveau). – Après la section 1 du chapitre II du titre II du livre VII du code de commerce, est insérée une section 1 bis ainsi rédigée :
« Section 1 bis
« De l’assistance et de la représentation
« Art. L. 722-5-1. – Par dérogation au premier alinéa de l’article 4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, les parties peuvent se défendre elles-mêmes ou se faire assister ou représenter, devant le tribunal de commerce, outre par un avocat, par toute personne de leur choix.
« Le premier alinéa du présent article est également applicable devant le tribunal de grande instance dans les matières prévues par le livre VI de la partie législative du présent code.
« Le représentant, s’il n’est avocat, doit justifier d’un pouvoir spécial. »
III. – Le chapitre III du titre XII du code des douanes est ainsi modifié :
1° La division et l’intitulé du paragraphe 4 sont supprimés ;
2° Après l’article 363, il est rétabli un article 364 ainsi rédigé :
« Art. 364. – En première instance et en appel, l’instruction est verbale sur simple mémoire et la procédure est sans frais de justice à répéter de part ni d’autre. » ;
3° Le paragraphe 1 de la section 5 est ainsi modifié :
a) Le A est abrogé ;
b) La division et l’intitulé du B sont supprimés.
IV. – L’article L. 121-4 du code des procédures civiles d’exécution est ainsi rédigé :
« Art. L. 121-4. – Les parties ont la faculté de se faire assister ou représenter devant le juge de l’exécution selon les règles applicables devant le tribunal de grande instance dans les matières où le ministère d’avocat n’est pas obligatoire devant celui-ci :
« 1° Lorsque la demande est relative à l’expulsion ;
« 2° Lorsqu’elle a pour origine une créance ou tend au paiement d’une somme qui n’excède pas un montant déterminé par décret en Conseil d’État.
« Le 2° ne préjudicie pas aux dispositions particulières applicables à la saisie des immeubles, navires, aéronefs et bateaux de navigation intérieure d’un tonnage égal ou supérieur à vingt tonnes. »
V. – Le 2° du I de l’article 12 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle est ainsi modifié :
1° Au début du trente-cinquième alinéa, sont ajoutés la mention et les mots : « “ I. – En première instance ” » ;
2° Après le quarante-deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« “ II. – En appel et devant la cour d’appel spécialement désignée mentionnée à l’article L. 311-16 du code de l’organisation judiciaire, les organismes de sécurité sociale peuvent être représentés, outre par un avocat, par un administrateur ou un employé de l’organisme partie à l’instance ou un employé d’un autre organisme de sécurité sociale ”. »
VI. – Au quatre-vingt-unième alinéa du 2° du II de l’article 12 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, les mots : « et en appel » sont supprimés.
M. le président. L’amendement n° 122 rectifié, présenté par Mme Lubin, MM. Kerrouche, J. Bigot et Sueur, Mme de la Gontrie, MM. Kanner, Durain, Leconte, Fichet et Houllegatte, Mmes Préville, Meunier, Jasmin et Blondin, MM. Jeansannetas, Cabanel et Montaugé, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Monier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Au début de cet article
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
… – À l’article 83 de la loi n° 90-85 du 23 janvier 1990 complémentaire à la loi n° 88-1202 du 30 décembre 1988 relative à l’adaptation de l’exploitation agricole à son environnement économique et social après le mot : « solidarité » sont insérés les mots : « ou par un juriste de la chambre d’agriculture ».
La parole est à M. Jacques Bigot.
M. Jacques Bigot. Cet amendement, qui a été soumis ce matin à la commission des lois, vise à permettre aux juristes des chambres d’agriculture d’assister les justiciables et de les représenter devant les tribunaux paritaires des baux ruraux.
Ce projet de loi prévoit de rendre la représentation obligatoire et de ne pas permettre la représentation par des tiers. Nous y sommes plutôt favorables. Si j’ai bien compris ce qui m’a été dit ce matin en commission, les chambres d’agriculture peuvent déjà assurer cette mission.
Cela ne me paraît pas tout à fait certain, dans la mesure où l’article 83 de la loi du 23 janvier 1990 mentionne les organisations syndicales. Il semblerait que, par extension, devant certains tribunaux paritaires, on admette que les chambres d’agriculture puissent intervenir, mais ce n’est pas automatique. Inversement, dans certains départements, les syndicats agricoles n’ont ni les moyens ni les juristes nécessaires pour accompagner les justiciables et préfèrent que les chambres d’agriculture puissent le faire.
Cet amendement a donc pour objet de clarifier cette possibilité de représentation, dans la mesure où nous sommes globalement favorables à des représentations par des tiers.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, corapporteur. Cet amendement tend à inclure les juristes des chambres d’agriculture dans la liste des personnes pouvant représenter une partie devant le tribunal paritaire des baux ruraux. Ce dispositif est satisfait par le droit en vigueur, qui prévoit que les parties peuvent se faire assister ou représenter dans le tribunal paritaire des baux ruraux par un membre ou salarié d’une organisation professionnelle agricole.
Les chambres d’agriculture, dont nous avons d’ailleurs consulté l’assemblée permanente pour préparer notre rapport, font partie desdites organisations professionnelles agricoles aux côtés des syndicats, mais aussi des coopératives ou de tout autre groupement de personnes physiques ou morales défendant les intérêts des agriculteurs.
Le code rural et de la pêche maritime, en son livre V intitulé « Organismes professionnels agricoles », définit les missions des chambres d’agriculture. Ainsi, des juristes des chambres d’agriculture interviennent fréquemment pour défendre les agriculteurs devant le tribunal paritaire des baux ruraux.
Dans l’objet de cet amendement, mes chers collègues, vous semblez regretter le manque de moyens de certains syndicats agricoles ou chambres d’agriculture pour mettre en place un tel service. Si, au regard de leur utilité, je ne peux que vous rejoindre sur ce point, nous ne pouvons pas résoudre ce problème par la loi.
Par conséquent, la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Bigot, l’amendement n° 122 rectifié est-il maintenu ?
M. Jacques Bigot. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 47 rectifié bis, présenté par Mmes Loisier et Férat, MM. Louault et Janssens, Mme Vermeillet, MM. Le Nay et Kern, Mme Goy-Chavent, MM. Maurey, Henno, Moga et Médevielle, Mmes Billon et Létard, MM. Cazabonne, Cigolotti, Canevet et Delahaye, Mmes N. Goulet et Guidez, M. Bockel et Mme Morin-Desailly, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 11
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation à la même disposition, les parties peuvent, pour les litiges relatifs au droit de la consommation, se faire assister par une association de consommateurs. »
La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. La représentation obligatoire demeure, en pratique, un frein financier pour les justiciables. En effet, bien souvent, en matière de consommation, le montant des litiges en jeu est plus faible que la somme à débourser pour s’attacher les services d’un avocat. Cette difficulté est renforcée dès lors qu’il s’agit de trouver un avocat en droit de la consommation, cette spécialisation étant rare, paraît-il.
Cette proposition s’inspire d’autres matières pour lesquelles d’autres professionnels que les avocats sont déjà reconnus par la loi, notamment des représentants syndicaux ou associatifs, et peuvent intervenir devant plusieurs autres juridictions spécialisées de première instance, comme les tribunaux des affaires de la sécurité sociale, les conseils de prud’hommes et les tribunaux de commerce.
Cet amendement s’inspire d’un rapport sénatorial d’information du mois d’avril 2017 intitulé Cinq ans pour sauver la justice ! qui rappelait la nécessité de « rendre la justice plus proche et plus accessible ».
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, corapporteur. Cet amendement tend à prévoir l’assistance des parties par une association de consommateurs en matière de droit de la consommation.
Le droit de la consommation n’est pas une matière contentieuse en tant que telle. D’ailleurs, pour les litiges de moins de 10 000 euros ou pour ceux qui sont relatifs au crédit à la consommation, les parties bénéficieront déjà d’une dérogation à la représentation obligatoire par avocat. Nul n’est besoin, nous semble-t-il, de l’étendre davantage encore.
Par conséquent, la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. L’article 4 du projet de loi prévoit d’étendre la représentation obligatoire, sauf en ce qui concerne certaines matières en raison de leur nature ou bien en deçà d’un certain montant, cela vient d’être évoqué. À ce titre, le Gouvernement n’entend pas étendre la représentation obligatoire aux contentieux qui relevaient jusqu’à présent de la compétence du tribunal d’instance.
Ainsi, les actions portant sur les crédits à la consommation, qui représentent la majorité des contentieux du droit de la consommation et qui sont, en l’état, du ressort du tribunal d’instance, ne seront pas concernées par une extension de la représentation obligatoire par avocat. Les justiciables, qui connaissent déjà une situation financière délicate, n’auront donc pas à subir un surcoût qui serait lié aux honoraires d’avocat.
Pour la même raison, il ne peut être envisagé d’autoriser les associations de consommateurs à assister les parties devant le tribunal de grande instance. En effet, ces associations de consommateurs disposent déjà de la possibilité d’exercer des actions dans l’intérêt collectif des consommateurs, des actions en représentation conjointe, voire des actions de groupe. Lorsque ces actions sont engagées devant le tribunal de grande instance, ces associations sont tenues d’avoir recours au ministère d’avocat.
Je n’entends pas revenir sur cet équilibre. L’objectif est d’étendre avec discernement le périmètre de la représentation par avocat, non de créer de nouvelles dérogations. J’ajoute que, en matière de droit de la consommation, le juge a l’obligation de relever d’office les moyens qui relèvent de l’ordre public, permettant ainsi d’accorder une protection aux parties, y compris lorsqu’elles ne sont ni représentées ni assistées.
Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme Françoise Férat. Je retire cet amendement, monsieur le président !
M. le président. L’amendement n° 47 rectifié bis est retiré.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
5
Demande d’inscription d’un débat à l’ordre du jour
Mme la présidente. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, M. Hervé Marseille, président du groupe Union Centriste, a demandé de compléter l’ordre du jour réservé à son groupe du jeudi 25 octobre 2018 par un débat portant sur le thème de « la scolarisation des enfants en situation de handicap ».
Acte est donné de cette demande.
6
Création de trois commissions spéciales
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, en application de l’article 16, alinéa 2, du règlement, la proposition de création de trois commissions spéciales chargées d’examiner le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, le projet de loi portant suppression de surtranspositions des directives européennes en droit français et le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises, sous réserve de sa transmission.
Je soumets donc cette proposition au Sénat.
Il n’y a pas d’opposition ?…
Il en est ainsi décidé.
Conformément à la décision de la conférence des présidents, la désignation des trente-sept membres de chacune de ces commissions spéciales aura lieu en séance publique, demain, à quatorze heures trente.
7
Programmation 2018-2022 et réforme pour la justice
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
Dans la discussion du texte de la commission, nous poursuivons, au sein du sous-titre Ier du titre II, l’examen du chapitre II.
TITRE II (suite)
SIMPLIFIER LA PROCÉDURE CIVILE ET ADMINISTRATIVE
SOUS-TITRE IER (SUITE)
REDÉFINIR LE RÔLE DES ACTEURS DU PROCÈS
Chapitre II (suite)
Étendre la représentation obligatoire
Article 4 (suite)
Mme la présidente. L’amendement n° 209, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 19 à 24
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Devant le tribunal de commerce, les parties peuvent se représenter elles-mêmes ou faire appel à tout mandataire de leur choix, qu’il s’agisse de leur conjoint, d’un concubin, d’un huissier de justice, d’un fondé de pouvoir.
La commission des lois du Sénat a entendu donner valeur législative au principe de libre représentation des parties devant le tribunal de commerce. Or cela ne me paraît pas respecter ce qui relève du domaine du règlement. De telles dispositions sont en effet antérieures à la loi de 1971, qui donne aux avocats un monopole d’assistance et de représentation en justice. Le Conseil constitutionnel a estimé que les dérogations au monopole de représentation par avocat antérieures à la loi de 1971 ont vocation à rester réglementaires. Je souhaite donc que ces dispositions puissent demeurer de nature réglementaire.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, corapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Cet amendement tend à revenir sur la valeur législative du principe de libre représentation des parties devant le tribunal de commerce, telle qu’elle a été adoptée par la commission des lois. Dans le droit actuel, les parties peuvent non seulement se défendre elles-mêmes, mais aussi se faire assister ou représenter par toute personne de leur choix devant le tribunal de commerce. Ce principe est défini par l’article 853 du code de procédure civile.
Toutefois, dans la mesure où il s’agit d’une dérogation manifeste au principe de représentation obligatoire par avocat prévu à l’article 4 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, nous estimons indispensable de conférer valeur législative à ces dispositions pour les sécuriser. En effet, alors qu’elles relèvent manifestement du domaine législatif, elles pourraient, en l’état actuel du droit, être abrogées par le Conseil d’État s’il était saisi d’un recours en annulation.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 123, présenté par MM. J. Bigot et Sueur, Mme de la Gontrie, MM. Kanner, Durain, Kerrouche, Leconte, Fichet et Houllegatte, Mmes Préville, Meunier, Jasmin, Lubin et Blondin, MM. Jeansannetas, Cabanel et Montaugé, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 40
Compléter cet alinéa par les mots :
ou par un défenseur social
La parole est à Mme Angèle Préville.
Mme Angèle Préville. L’article 4 rend obligatoire la représentation par un avocat lors d’une procédure en appel, avec une exception pour les caisses de sécurité sociale, les conseils départementaux et les maisons départementales des personnes handicapées concernant le contentieux de l’aide sociale et le contentieux technique.
Les personnes handicapées, malades, accidentées ou invalides devront en revanche être représentées par un avocat pour faire reconnaître leurs droits. Cette mesure pénaliserait indéniablement des publics qui, en raison de leur situation, ne disposent pas toujours de ressources suffisantes pour engager des contentieux. S’ajoute à cela qu’aucune mesure ne prévoit la prise en charge du coût du recours à un avocat.
La représentation obligatoire pour ces contentieux en appel conduirait aussi à exclure des associations qui, comme la FNATH, la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés, œuvrent pour l’accès au droit des personnes fragilisées, en leur apportant la technicité et l’appui qu’implique la complexité des procédures juridiques.
Cet amendement vise à créer un « défenseur social ». Ce serait une garantie considérable pour tous les justiciables du contentieux social, puisque ceux-ci pourraient être défendus par des professionnels spécialisés. Notre proposition s’appuie sur le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire des contentieux du travail. Nous entendons consacrer en appel le rôle essentiel de ce défenseur social, à l’image du défenseur syndical, institué par ledit décret.
Comme pour les juridictions sociales, il s’est agi d’induire des changements fondamentaux, puisque le législateur a institué le passage d’une procédure sans représentation obligatoire, où le principe de l’oralité régnait, à la procédure commune d’appel, écrite, avec représentation obligatoire. Le décret précité énumère limitativement les représentants des parties au litige devant la cour d’appel : soit un avocat, soit le défenseur syndical, seul ce dernier devant alors justifier d’un pouvoir spécial.
Dans la mesure où des dérogations existent déjà dans le projet de loi, nous souhaitons voir renforcé l’accès au droit. Il s’agirait, je l’ai dit, d’une garantie considérable pour tous les justiciables du contentieux social, puisque ceux-ci pourraient alors être défendus par des professionnels spécialisés.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, corapporteur. Les auteurs de cet amendement souhaitent permettre aux parties d’être défendues en appel, dans les contentieux de la sécurité sociale et de l’admission à l’aide sociale, par un défenseur social, dont ils précisent le statut aux amendements suivants, nos 124 et 125.
Pour mémoire, je rappellerai que l’organisation judiciaire en cette matière va être profondément revue au 1er janvier 2019, puisque des pôles sociaux seront créés dans les tribunaux de grande instance, les TGI, en lieu et place des tribunaux des affaires de sécurité sociale, des tribunaux du contentieux de l’incapacité et des commissions départementales d’aide sociale. Il pourra être fait appel des décisions rendues par le TGI en ces matières devant une cour d’appel spécialement désignée.
Le projet de loi étend la représentation obligatoire par avocat à ces contentieux de la sécurité sociale et de l’admission à l’aide sociale, mais seulement en appel.
La problématique n’est pas la même en appel qu’en première instance. En effet, dès lors qu’une partie aura pu se défendre librement en première instance, et ce sera le cas en matière sociale, mais qu’elle n’aura pas eu gain de cause, il me paraît opportun et rationnel qu’elle soit tenue de constituer avocat en appel pour assurer une meilleure représentation de ses causes.
Je m’inscris d’ailleurs dans la continuité de ce que le Sénat avait adopté dans le cadre du projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle. Je précise en outre que le dispositif proposé dans cet amendement ne me semble pas correspondre à son objet, car son adoption reviendrait à permettre aux organismes de sécurité sociale d’être défendus en appel, outre par un avocat, par un défenseur social. Or les auteurs de l’amendement doivent sans doute viser toutes les parties au litige.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 123.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. M. le rapporteur vient de le préciser, l’article 4 du présent projet de loi vise à introduire la représentation obligatoire par avocat en appel et devant la cour d’appel spécialement désignée pour les litiges qui relèvent du contentieux de la sécurité sociale. Cette extension se justifie par la complexité de la matière, pour laquelle l’intervention d’un spécialiste du droit nous semble bénéfique pour le justiciable en raison du conseil juridique qui lui est apporté.
Je n’ignore évidemment pas le rôle qu’assurent actuellement les associations de personnes handicapées, accidentées, malades ou invalides, qui pourront bien entendu continuer à exercer leurs missions de conseil et de soutien. Néanmoins, la possibilité de représentation des parties par un défenseur social ne répond pas à l’objectif de protection du justiciable dans le cadre d’une instance d’appel, qui doit être concentrée, je le rappelle, sur les questions de droit. Ces dernières supposent suffisamment d’expertise pour justifier la présence d’un avocat. De même, devant la cour qui connaît en premier et dernier ressort du contentieux de la tarification de l’assurance des accidents du travail et qui oppose exclusivement les employeurs aux caisses, l’intervention d’un défenseur social me semble sans objet.
L’objectif est pour nous d’étendre avec discernement le périmètre de la représentation par avocat et non de créer une nouvelle dérogation.
Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable sur l’amendement n° 123.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Je ne devrais pas le dire, d’où je viens, mais la qualité de ces associations, sur le plan technique, à propos de questions juridiques très complexes et particulières, est souvent bien meilleure que celle d’avocats non spécialisés. Leur intervention peut être plus intéressante pour les personnes qu’elles ont souvent accompagnées, y compris en première instance.
Dans notre idée, l’intervention du défenseur social s’inscrirait dans le même cadre que celle du défenseur syndical devant les prud’hommes. S’agissant, en plus, de procédures complexes pour des personnes qui ont souvent des difficultés économiques, au vu du peu d’efforts faits en matière d’aide juridictionnelle, je ne sais pas dans quelles conditions ces personnes pourront réellement être défendues.
J’ai pris note de l’avis de la commission, mais la proposition que nous faisons est conforme à un état d’esprit global. En réalité, les arguments que vous développez, madame la ministre, ne sont pas tout à fait compréhensibles par ceux qui revendiquent de pouvoir assister les personnes handicapées, invalides ou accidentées du travail dans leur lutte pour faire valoir leurs droits.
Mme la présidente. L’amendement n° 124, présenté par MM. J. Bigot et Sueur, Mme de la Gontrie, MM. Kanner, Durain, Leconte, Kerrouche, Fichet et Houllegatte, Mmes Préville, Meunier, Lubin, Jasmin et Blondin, MM. Jeansannetas, Cabanel et Montaugé, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 40
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Un défenseur social exerce des fonctions d’assistance ou de représentation devant la cour d’appel spécialement désignée mentionnée à l’article L. 311-16 du code de l’organisation judiciaire. Il est mandaté par le président d’une association de mutilés et invalides du travail inscrite sur une liste arrêtée par le ministère de la justice. L’association doit être reconnue d’utilité publique, être représentée sur tout le territoire français, constituée depuis cinq au moins pour œuvrer dans les domaines des droits économiques et sociaux des usagers ainsi que dans ceux de l’insertion et de la lutte contre l’exclusion et la pauvreté. »
La parole est à M. Jacques Bigot.
M. Jacques Bigot. Madame la présidente, je vous propose, pour alléger les débats, de considérer que cet amendement ainsi que l’amendement suivant, n° 125, qui, de toute façon, vont être rejetés, sont tous les deux retirés.
Mme la présidente. L’amendement no 124 est retiré.
L’amendement n° 125, présenté par MM. J. Bigot et Sueur, Mme de la Gontrie, MM. Kanner, Durain, Leconte, Kerrouche, Fichet et Houllegatte, Mmes Préville, Meunier, Lubin, Jasmin et Blondin, MM. Jeansannetas, Cabanel et Montaugé, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 41
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
VI. – Après le vingt-septième alinéa du 2° du II de l’article 12 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 précitée, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Un défenseur social exerce des fonctions d’assistance ou de représentation devant la cour d’appel. Il est mandaté par le président d’une association de mutilés et invalides du travail inscrite sur une liste arrêtée par le ministère de la justice. L’association doit être reconnue d’utilité publique, être représentée sur tout le territoire français, constituée depuis cinq au moins pour œuvrer dans les domaines des droits économiques et sociaux des usagers ainsi que dans ceux de l’insertion et de la lutte contre l’exclusion et la pauvreté. »
Cet amendement vient d’être retiré.
Je mets aux voix l’article 4.
(L’article 4 est adopté.)
Chapitre III
Repenser l’office des juridictions
Article 5
I. – L’article 317 du code civil est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, les mots : « juge du tribunal d’instance du lieu de naissance ou de leur domicile » sont remplacés par le mot : « notaire » ;
2° Le deuxième alinéa est ainsi modifié :
a) Les mots : « , si le juge l’estime nécessaire » sont supprimés ;
b) Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « L’acte de notoriété est signé par le notaire et par les témoins. » ;
3° Le dernier alinéa est supprimé.
II. – L’article 46 du code civil est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :
« Jusqu’à ce que la reconstitution ou la restitution des registres ait été effectuée, il peut être suppléé par des actes de notoriété à tous les actes de l’état civil dont les originaux ont été détruits ou sont disparus par suite d’un sinistre ou de faits de guerre.
« Ces actes de notoriété sont délivrés par un notaire.
« L’acte de notoriété est établi sur la foi des déclarations d’au moins trois témoins et de tout autre document produit qui attestent de l’état civil de l’intéressé. L’acte de notoriété est signé par le notaire et par les témoins.
« Les requérants et les témoins sont passibles des peines prévues à l’article 441-4 du code pénal. »
III. – La loi du 20 juin 1920 ayant pour objet de suppléer par des actes de notoriété à l’impossibilité de se procurer des expéditions des actes de l’état civil dont les originaux ont été détruits ou sont disparus par suite de faits de guerre est abrogée.
IV. – Le premier alinéa de l’article 4 de la loi n° 68-671 du 25 juillet 1968 relative à l’état civil des Français ayant vécu en Algérie ou dans les anciens territoires français d’outre-mer ou sous tutelle devenus indépendants est ainsi rédigé :
« Les actes mentionnés aux articles 1er et 2 sont établis, soit par reproduction des registres originaux, soit au vu de copies ou extraits d’actes de l’état civil, soit, à défaut, au vu de tous documents judiciaires ou administratifs ou même sur actes de notoriété dressés en application de l’article 46 du code civil. »
V. – L’ordonnance n° 62-800 du 16 juillet 1962 facilitant la preuve des actes de l’état civil dressés en Algérie est ainsi modifiée :
1° L’article 1er est complété par les mots : « régis par l’article 46 du code civil. » ;
2° L’article 2 est abrogé.
VI et VII. – (Supprimés)
Mme la présidente. L’amendement n° 88, présenté par Mme Joissains, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Sophie Joissains.
Mme Sophie Joissains. Par principe, je ne suis pas du tout opposée à la déjudiciarisation. Mais les nouvelles mesures prévues à l’article 5 vont contribuer à rendre payant un service qui ne l’était pas. Ce n’est pas juste à l’égard des justiciables les plus fragiles.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, corapporteur. Cet amendement a pour objet de supprimer le transfert aux notaires de la compétence pour établir certains actes de notoriété. Il est contraire à la position de la commission, qui s’est prononcée en faveur d’un tel transfert s’agissant des actes de notoriété constatant la possession d’état en matière de filiation, ainsi que des actes de notoriété suppléant les actes de l’état civil dont les originaux ont été détruits ou ont disparu par la suite d’un sinistre ou de faits de guerre.
La commission a estimé qu’un tel transfert s’inscrivait dans une logique d’uniformisation des règles de compétence applicables à la délivrance des actes de notoriété. En effet, le code civil prévoit deux autres hypothèses dans lesquelles des actes de notoriété peuvent être délivrés par les notaires. Il s’agit de la preuve de la qualité d’héritier et de l’hypothèse dans laquelle il est impossible, pour l’un des futurs époux, de fournir un extrait avec indication de la filiation de son acte de naissance.
C’est donc un avis défavorable que nous émettons sur l’amendement n° 88.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Madame Joissains, l’acte de notoriété est un mode de preuve élaboré dans l’ancien droit par la pratique notariale. Il s’agit d’un acte dans lequel l’autorité compétente constate que les témoins qui comparaissent devant elle affirment qu’à leur connaissance personnelle tel fait est notoire.
L’esprit du projet de loi de programmation pour la justice est, j’ai eu l’occasion de le dire précédemment, de recentrer l’office du juge sur les tâches qui appellent incontestablement une intervention judiciaire et pour lesquelles le juge apporte une réelle plus-value, ce qui n’est pas le cas des actes de notoriété.
Il s’agit également d’uniformiser les règles de compétence régissant les différents actes de notoriété établis dans diverses matières. En effet, le code civil prévoit déjà quatre autres dispositions relatives à des actes de notoriété tous dressés par des notaires : les actes de notoriété dressés pour la constitution du dossier de mariage, en matière successorale, en matière d’indivision, ainsi qu’en matière de prescription acquisitive immobilière.
Je n’ignore pas la question du coût de la délivrance d’un tel acte, que vous avez relevée. Je souligne toutefois que ce coût sera limité, puisque les émoluments des notaires sont réglementés. En l’occurrence, l’émolument fixe s’élèvera à 57,69 euros. Par ailleurs, j’insiste sur le fait que le nombre de ces actes de notoriété se limite à une dizaine par an.
Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur votre amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.
M. Jérôme Durain. Nous sommes favorables à cet amendement. Sophie Joissains l’a dit, l’article 5 aboutit à rendre payant ce qui est gratuit. C’est un moyen par lequel on peut éloigner la justice des justiciables, notamment les plus vulnérables. Nous avons nous-mêmes déposé des amendements similaires, que je présenterai juste après et qui visent à décliner, alinéa par alinéa, la proposition de notre collègue.
Mme la présidente. L’amendement n° 126, présenté par MM. J. Bigot et Sueur, Mme de la Gontrie, MM. Kanner, Durain, Leconte, Kerrouche, Fichet et Houllegatte, Mmes Préville, Meunier, Lubin, Jasmin et Blondin, MM. Jeansannetas, Cabanel et Montaugé, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 1 à 6
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Il ne s’agit pas de nous opposer, par principe, à la déjudiciarisation. Néanmoins, en l’espèce, celle-ci se fait en faveur d’acteurs privés et emporte un coût pour l’usager et une forme d’appropriation lucrative du service public.
Nous nous opposons donc à ce qui apparaît comme le moyen par lequel on rend payant un service aujourd’hui gratuit, ce qui va peser nécessairement sur les plus vulnérables et peut-être leur interdire le recours à certains services ou l’exercice de certains droits.
Par cet amendement n° 126, nous nous opposons aux dispositions consistant à confier aux notaires différents actes non contentieux, en l’occurrence les actes de notoriété constatant la possession d’état en matière de filiation.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, corapporteur. L’amendement n° 126, ainsi que les amendements suivants, nos 127 à 130, visent à supprimer, bloc d’alinéas par bloc d’alinéas, le transfert aux notaires de l’établissement des actes de notoriété. Ils sont contraires à l’avis de la commission, qui n’est pas favorable à la suppression d’une telle disposition introduite dans plusieurs textes différents par coordination.
C’est donc un avis défavorable que la commission émet sur cet amendement n° 126, ainsi que sur les amendements nos 127 à 130.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le Gouvernement émet également un avis défavorable, et ce pour deux raisons. En matière de filiation, la déjudiciarisation de l’acte de notoriété s’inscrit déjà dans la continuité de missions actuelles confiées aux notaires, lesquels sont aujourd’hui compétents pour les actes de reconnaissance en matière de filiation. Par ailleurs, cette déjudiciarisation s’opère au bénéfice des notaires et il faut ici les considérer comme des officiers publics et ministériels, qui exercent un service public notarial. Ce sont, certes, des professions libérales, mais qui ont la charge d’un service public.
Mme la présidente. L’amendement n° 127, présenté par MM. J. Bigot et Sueur, Mme de la Gontrie, MM. Kanner, Durain, Leconte, Kerrouche, Fichet et Houllegatte, Mmes Préville, Meunier, Lubin, Jasmin et Blondin, MM. Jeansannetas, Cabanel et Montaugé, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 7 à 11
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Madame la présidente, je vous propose de grouper la présentation de l’ensemble des amendements visant à supprimer le transfert des actes mentionnés précédemment et de considérer que tous sont défendus.
Mme la présidente. Sur cet amendement, la commission s’est déjà exprimée.
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Même avis défavorable sur l’amendement n° 127, ainsi que sur les amendements suivants.
Mme la présidente. L’amendement n° 128, présenté par MM. J. Bigot et Sueur, Mme de la Gontrie, MM. Kanner, Durain, Leconte, Kerrouche, Fichet et Houllegatte, Mmes Préville, Meunier, Lubin, Jasmin et Blondin, MM. Jeansannetas, Cabanel et Montaugé, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Supprimer cet alinéa.
Cet amendement a été défendu.
La commission et le Gouvernement se sont déjà exprimés.
Je le mets aux voix.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° 129, présenté par MM. J. Bigot et Sueur, Mme de la Gontrie, MM. Kanner, Durain, Leconte, Kerrouche, Fichet et Houllegatte, Mmes Préville, Meunier, Lubin, Jasmin et Blondin, MM. Jeansannetas, Cabanel et Montaugé, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 13 et 14
Supprimer ces alinéas.
Cet amendement a été défendu.
La commission et le Gouvernement se sont déjà exprimés.
Je le mets aux voix.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° 130, présenté par MM. J. Bigot et Sueur, Mme de la Gontrie, MM. Kanner, Durain, Leconte, Kerrouche, Fichet et Houllegatte, Mmes Préville, Meunier, Lubin, Jasmin et Blondin, MM. Jeansannetas, Cabanel et Montaugé, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 15 à 17
Supprimer ces alinéas.
Cet amendement a été défendu.
La commission et le Gouvernement se sont déjà exprimés.
Je le mets aux voix.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° 210, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 18
Rétablir les VI et VII dans la rédaction suivante :
VI. – Au premier alinéa de l’article 311-20 du code civil, les mots : « au juge ou » sont supprimés.
VII. – Au dernier alinéa de l’article L. 2141-10 du code de la santé publique, les mots : « au juge ou » sont supprimés.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet amendement vise à rétablir, dans l’article 5, les dispositions qui confient exclusivement au notaire le recueil du consentement du couple ayant recours à une assistance médicale à la procréation, ou AMP, nécessitant l’intervention d’un tiers donneur. Il s’agit, dans la situation actuelle, d’un couple hétérosexuel devant faire face à un problème médical d’infertilité et qui a le choix entre le notaire ou le juge pour donner son consentement.
Cette intervention du notaire est adaptée, car il s’agit d’informer le couple sur les règles de filiation dérogatoires qui s’appliquent dans le cadre de l’AMP avec tiers donneur. L’intervention du juge, en revanche, ne se justifie pas : il n’exerce là aucune fonction juridictionnelle, se contentant de recueillir un consentement.
La modification proposée dans le code civil et dans le code de la santé publique est donc une mesure d’administration de la justice, qui s’inscrit dans la démarche globale de simplification des procédures qui anime ce projet de loi. Confier ainsi exclusivement le recueil du consentement au seul notaire ne pose aucune question éthique et a donc davantage sa place dans le projet de loi de programmation pour la justice que dans un projet de loi de révision des lois de bioéthique.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, corapporteur. Cet amendement vise à rétablir une disposition supprimée par la commission. Les dispositions sur le consentement et ses conséquences en matière d’établissement du lien de filiation de l’enfant à l’égard de l’époux ou du concubin de la mère de l’enfant étant susceptibles d’évoluer dans le cadre de la future réforme des lois de bioéthique, il n’était pas selon nous pertinent de les modifier dès à présent, même à la marge. C’est pour cette raison que la commission a émis un avis défavorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 5.
(L’article 5 est adopté.)
Article 6
À titre expérimental et pour une durée de trois ans à compter de la publication du décret en Conseil d’État prévu pour la mise en œuvre du présent article, dans les départements dont la liste est fixée par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, et du ministre chargé de la sécurité sociale, les organismes débiteurs des prestations familiales, dans le respect des garanties de compétence et d’impartialité, peuvent délivrer des titres exécutoires portant exclusivement sur la modification du montant d’une contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants, lorsque les conditions suivantes sont cumulativement réunies :
a) La contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants a antérieurement fait l’objet d’une fixation par l’autorité judiciaire, d’une convention homologuée par elle, ou d’une convention de divorce par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocats et déposé au rang des minutes d’un notaire ou d’une décision d’un organisme débiteur des prestations familiales prise sur le fondement de l’article L. 582-2 du code de la sécurité sociale ;
b) La modification du montant de la contribution fait l’objet d’un accord des parties, qui saisissent conjointement l’organisme compétent ;
c) Le montant de la contribution, fixé en numéraire, est supérieur ou égal au montant prévu par un barème national ;
d) La demande modificative est fondée sur l’évolution des ressources des parents ou sur l’évolution, par accord des parties, des modalités d’exercice du droit de visite et d’hébergement ;
e) La demande modificative est accompagnée de documents ou pièces permettant à l’organisme compétent d’apprécier la réalité de ces évolutions ;
f) La demande modificative est formée dans le département où l’une des parties a élu domicile ;
g) Aucune instance portant sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale à l’égard des enfants concernés par la contribution à l’entretien et à l’éducation n’est pendante devant le juge aux affaires familiales.
La décision rendue par l’organisme compétent peut être contestée par l’une des parties devant le juge aux affaires familiales.
Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article.
Mme la présidente. L’amendement n° 18, présenté par Mmes Benbassa et Assassi, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Le présent article tend à mettre en œuvre une expérimentation de déjudiciarisation des révisions des pensions alimentaires, désormais confiées à des organismes homologués à l’échelon du département. Nous contestons ce nouveau dispositif, non seulement injuste, mais également de nature à créer une certaine confusion chez le justiciable.
Injuste, car, dans le droit positif, les décisions de révision des pensions sont le fait du contentieux judiciaire, plus précisément du juge aux affaires familiales. Le dispositif actuellement en vigueur, bien qu’imparfait, permet l’évaluation in concreto des situations par le juge : par un réexamen sur le fond des situations sociales et financières des deux parents, ainsi que des besoins de l’enfant, on parvient à faire respecter au mieux l’intérêt supérieur de celui-ci.
Avec la déjudiciarisation des révisions des pensions proposée par le Gouvernement, on entre dans l’ère de la non-individualisation des décisions confiées à un organe administratif, qui ne présente pas les mêmes garanties d’impartialité et d’indépendance que le juge aux affaires familiales. On peut craindre que les révisions ne fassent désormais l’objet d’une barémisation.
Enfin, comment expliquer rationnellement que le juge aux affaires familiales sera toujours compétent en matière de fixation des droits de visite, de placement des enfants et de leur hébergement lorsqu’il sera destitué des contentieux ayant trait à la pension alimentaire ?
Alors que le Gouvernement se targue de procéder à une simplification de notre système judiciaire, un tel dispositif va à l’encontre de cet objectif, en le complexifiant par un procédé inique pour les familles les plus instables et précaires.
Pour cette raison, nous demandons la suppression de l’article 6.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, corapporteur. Cet amendement vise à supprimer l’article 6, relatif à l’expérimentation de la révision des pensions alimentaires par les caisses d’allocations familiales, les CAF.
La commission a entièrement réécrit cet article pour encadrer étroitement l’expérimentation, en limitant son application aux seules hypothèses où les parties sont d’accord sur le nouveau montant de la pension.
Dans ces conditions, j’émets un avis défavorable sur cet amendement de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. L’expérimentation envisagée par le Gouvernement conduirait à transférer aux directeurs des caisses d’allocations familiales la révision des pensions alimentaires. Il s’agit d’élaborer un dispositif permettant d’adapter au plus vite le montant d’une pension alimentaire à l’évolution de la situation des parents.
La délivrance par les CAF et par les caisses de la Mutualité sociale agricole, la MSA, d’un titre exécutoire portant sur la révision de la pension alimentaire permettra, selon nous, de les adapter plus rapidement, au bénéfice des enfants, mais aussi des parents.
Pour déterminer le montant modifié de la pension alimentaire, les organismes débiteurs de prestations familiales pourront s’appuyer, d’une part, sur le barème déjà utilisé par les juridictions et les avocats, ce qui sera source d’une meilleure prévisibilité pour les parents et, d’autre part, sur les documents échangés contradictoirement par les parents.
Ce nouveau système ne sera pas injuste, mais au contraire beaucoup plus juste, me semble-t-il.
Je rappelle enfin qu’une possibilité de recours au juge sera en toute hypothèse conservée et que les droits des parties seront respectés.
Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Madame la ministre, nous ne pouvons en aucun cas être favorables à la proposition initiale du Gouvernement, qui suggérait que l’on ne puisse plus saisir un juge pour la révision d’une pension alimentaire.
La pension alimentaire est fixée par le juge en fonction d’une situation donnée – besoins des enfants, revenus du père et de la mère. Si cette situation évolue, un nouveau débat judiciaire doit s’ouvrir entre les parties.
Si les parties sont d’accord et concluent une convention, il peut paraître logique, plutôt que de faire homologuer celle-ci par un juge, de demander à un organisme qui s’occupe aussi des prestations familiales de prendre acte de la convention et de lui donner force exécutoire. C’est d’ailleurs déjà ce que prévoit la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 : pour les parents non mariés exerçant une autorité parentale conjointe et ayant trouvé un accord sur le montant de la pension alimentaire, la CAF peut homologuer la convention. C’est aussi ce qu’a prévu M. le corapporteur, et cela me paraît satisfaisant – je le dis notamment à mes collègues du groupe CRCE –, car cela répond à une attente des parents.
En revanche, la proposition initiale du Gouvernement consistait à transférer à un organisme non judiciaire une mission purement judiciaire. Si l’on ajoute le recours aux barèmes, cela veut dire que, demain, tout se fera par informatique. Je pense qu’on ne peut pas vous suivre sur cette voie d’une déshumanisation de la justice, dans laquelle je vois aussi une volonté de faire des économies ou de reporter des crédits sur un autre budget que celui de la justice.
Mme la présidente. L’amendement n° 19, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Après le mot :
impartialité,
insérer les mots :
et sur décision du juge des affaires familiales,
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. L’article 6 consacre une banalisation des mesures de fixation de la modification du montant d’une contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants.
Cette déjudiciarisation est plus qu’inquiétante, puisqu’elle aboutit à une atteinte d’une exceptionnelle gravité aux droits de l’enfant et des parents, dans des situations souvent complexes et conflictuelles. La protection du mineur et la bonne fixation de ces contributions doivent être la priorité.
L’objectif du Gouvernement est annoncé : réduire le temps de procédure de révision, pour obtenir plus rapidement l’actualisation d’une pension alimentaire. On peut certes entendre cet argument : avec l’engorgement de nos tribunaux, le règlement des litiges ayant trait à la revalorisation des pensions se fait dans un délai qui excède souvent six mois, et qui tend à s’accroître ces dernières années. Bien que nous en réprouvions le mécanisme, l’automatisation des révisions au moyen d’un barème devrait en effet permettre de fluidifier le processus de décision.
Cet amendement de repli vise toutefois à ériger un garde-fou, en conditionnant la mise en œuvre de cette disposition à une décision préalable du juge aux affaires familiales, gardien des libertés. Son action étant guidée par l’intérêt supérieur des enfants, il nous semble naturel qu’il ait a priori un droit de regard sur les cas pouvant faire l’objet d’une barémisation.
Je profite enfin de cette présentation, madame la ministre, pour vous faire part de l’avis des membres du barreau de Paris sur cet aspect de votre projet de loi : « C’est une atteinte grave à la démocratie et au principe de la séparation des pouvoirs. Dans un État de droit, il est impossible qu’une décision définitive d’un juge judiciaire soit modifiée par le directeur d’une CAF. Cela se ferait nécessairement au détriment des Français les moins riches, car les CAF ne connaissent pas l’intégralité des revenus des plus aisés, qu’ils proviennent de l’étranger ou des capitaux, notamment. Cette réforme créerait une inégalité entre les Français, alors que la pension alimentaire constitue un élément essentiel de l’équilibre d’un divorce. Il est intolérable de laisser le pouvoir remettre en question cet équilibre décidé par un juge à une autorité administrative. »
Je partage cet avis, madame la ministre.
M. Jacques Bigot. Très bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, corapporteur. Cet amendement prévoit une décision du juge aux affaires familiales pour autoriser les caisses d’allocations familiales à réviser les pensions alimentaires. Ce faisant, il prive le dispositif prévu à l’article 6 de tout effet.
Si le juge doit intervenir pour autoriser la CAF à réviser une pension qui fait l’objet d’un accord des parties, autant que le juge homologue directement cet accord.
L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 211, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 1
1° Remplacer les mots :
la publication
par les mots :
l’entrée en vigueur
2° Après les mots :
des enfants,
insérer les mots :
sur la base d’un barème national
II. – Alinéas 3 et 4
Supprimer ces alinéas.
III. – Alinéa 6
Compléter cet alinéa par les mots :
, les documents ou pièces produites devant être portés à la connaissance de chacune des parties
IV. – Alinéa 7
Rédiger ainsi cet alinéa :
f) La demande modificative est formée par un créancier résidant ou ayant élu domicile dans l’un des départements désignés ou par un débiteur à l’égard d’un créancier résidant ou ayant élu domicile dans l’un de ces départements ;
V. – Après l’alinéa 8
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
L’organisme compétent peut, en cas de carence d’un parent de produire les renseignements et documents requis, moduler forfaitairement le montant de la contribution à l’entretien et à l’éducation.
VI. – Alinéa 9
Rédiger ainsi cet alinéa :
La contestation du titre est formée devant le juge aux affaires.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je propose, par cet amendement, de rétablir le périmètre de l’expérimentation tel qu’il avait été initialement envisagé dans le projet de loi, avec comme objectif la déjudiciarisation de la modification de la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant. Il ne me semble pas, madame Assassi, que cette disposition porte atteinte à la démocratie.
Limiter cette expérimentation aux seules situations où les parents sont d’accord sur le montant modifié de la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, comme le propose la commission des lois, apparaît inutile par rapport à la situation actuelle.
En effet, depuis le 1er avril 2018, le directeur de l’organisme débiteur des prestations familiales peut déjà donner force exécutoire à l’accord par lequel les parents qui se séparent fixent le montant de cette contribution, sous certaines conditions.
L’expérimentation, pour être utile, doit donc viser d’autres hypothèses que celle de l’accord entre les parents sur le montant de la pension alimentaire.
Afin de permettre une appréciation objective de la situation des parents, l’organisme chargé de la délivrance de titres exécutoires s’appuiera, comme je l’ai indiqué, sur le barème qu’utilisent déjà les juridictions et les avocats.
En cas de carence d’un parent qui ne produirait pas les renseignements nécessaires pour apprécier la demande, l’organisme saisi pourrait appliquer un forfait pour le montant de la pension. Ce dispositif est donc incitatif pour les parents ; il permettra de délivrer dans des délais brefs un titre exécutoire établi en fonction de documents qui seront échangés contradictoirement, sur le fondement d’un barème connu et objectif.
À ceux qui s’inquiètent du respect des droits des parties et de l’intérêt de l’enfant, je rappelle, d’une part, que l’échange des pièces est obligatoire et, d’autre part, que la possibilité de former un recours devant un juge aux affaires familiales demeure. La seule différence, madame la sénatrice, est que vous souhaitez un recours a priori, alors que je le propose a posteriori, en cas de contestation du titre.
Rappelons en outre qu’il est ici demandé à la CAF de se prononcer sur une question d’ordre exclusivement financier, après une fixation initiale par le juge ou par accord entre les parents, en dehors de toute question relative à l’autorité parentale.
J’entends également que certains craignent une sorte de conflit d’intérêts pour les organismes désignés. Ils soutiennent en particulier que les CAF seraient juge et partie, puisqu’elles distribuent des prestations familiales en cas de carence ou d’insuffisance de la pension alimentaire. Elles pourraient donc être tentées d’en augmenter le montant pour payer moins de prestations.
En premier lieu, comme toute personne morale chargée d’une mission de service public, la CAF, dans son fonctionnement, répond aux exigences de neutralité et d’impartialité – il est important de le souligner. Il lui appartient, le cas échéant, d’adapter son organisation interne en conséquence.
En deuxième lieu, le montant de la pension résultera de l’application d’un barème préétabli. La CAF sera tenue par ce barème et ne pourra pas majorer ou minorer la pension à sa guise.
Enfin, en troisième lieu, la CAF n’aurait aucun intérêt à majorer sans justification le montant des pensions alimentaires. Cela entraînerait presque automatiquement la défaillance du débiteur et la CAF serait alors obligée de verser la prestation compensatoire correspondante.
En outre, dans ces situations, la CAF doit lancer une procédure de recouvrement qui conduit à un travail supplémentaire, coûteux et inutile pour elle.
Cette expérimentation que je propose apparaît donc mesurée et encadrée. Elle devrait permettre, par une meilleure prévisibilité du montant de la pension, une relative pacification des relations entre les parents séparés.
Mme Éliane Assassi. Vous ne connaissez pas la situation des CAF !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, corapporteur. Cet amendement est contraire à la position de la commission, qui a souhaité restreindre le champ de cette expérimentation aux seules hypothèses dans lesquelles les parties sont d’accord sur le nouveau montant de la pension.
Contrairement à ce qui est indiqué dans l’objet de l’amendement, l’expérimentation envisagée par la commission va plus loin que les dispositions actuelles de l’article L. 582-2 du code de la sécurité sociale. En effet, les CAF ne peuvent pour l’instant intervenir qu’en matière de fixation ou de révision de pensions concernant des parents qui n’étaient pas mariés. Le nouveau dispositif permettrait d’intervenir cette fois pour réviser les pensions de tous les parents, qu’ils aient été mariés ou non.
La commission a voulu en revanche écarter l’application de l’expérimentation en cas de désaccord des parties, car la fixation de la contribution reposerait exclusivement sur l’application mathématique d’un barème, y compris lorsque l’un des parents n’a pas fourni les renseignements et documents demandés, sans possibilité de prise en compte de la situation particulière du foyer et de l’intérêt supérieur de l’enfant, comme le fait habituellement le juge.
La commission a également choisi de limiter les personnes compétentes pour homologuer ces accords. Alors que l’article 6, dans sa rédaction initiale, donnait compétence aux caisses d’allocations familiales et à des officiers publics et ministériels, sans préciser lesquels, la commission a préféré confier cette compétence aux seules caisses d’allocations familiales, qui, comme le fait valoir le Gouvernement, interviennent déjà en la matière depuis le 1er avril 2018 et disposent par ailleurs d’un accès facilité aux informations nécessaires pour évaluer les ressources des parents.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur le rétablissement du périmètre initial de l’expérimentation.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Nous ne suivrons pas le Gouvernement sur cet amendement, étant d’accord avec les propositions des corapporteurs.
Madame la ministre, vous vous êtes inspirée du dispositif adopté en décembre 2016 et appliqué depuis le mois d’avril dernier en cas d’accord entre les parties. Si votre objectif est effectivement de trouver un organisme public qui, en dehors de la justice, puisse modifier les pensions alimentaires en l’absence d’accord entre les parents, pourquoi ne proposez-vous pas aux services fiscaux de le faire ?
Ils sont mieux numérisés que la justice, peut-être même que les CAF, ils ont accès aux revenus des parents et peuvent mener des investigations. Pourquoi confier cette mission aux caisses d’allocations familiales qui, comme l’a souligné Mme Assassi, ne connaissent pas les personnes qui ont de très hauts revenus et ne perçoivent pas de prestations familiales ni d’aide personnalisée au logement – leur cas mériterait d’ailleurs d’être soumis au fisc qui pourrait s’inquiéter de savoir où sont passés leurs revenus ?
Restons-en à la proposition raisonnable de la commission. Vous pourriez d’ailleurs la soutenir devant l’Assemblée nationale, madame la ministre. (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Vous avez insisté sur la notion d’expérimentation, madame la ministre, et vous avez développé de façon pédagogique des sujets dont il faut reconnaître qu’ils sont très complexes. Vous avez également souligné l’impartialité des CAF et des autres organismes qui peuvent intervenir.
Les explications du rapporteur de la commission des lois nous éclairent sur l’aspect humain, qu’il convient aussi de prendre en compte. Nous voulons tous défendre l’intérêt des enfants. Du côté des parents, malheureusement, les séparations engendrent de nombreux drames, et les enfants sont souvent pénalisés.
Nous devons essayer de trouver des solutions. Outre le code de la sécurité sociale, on peut aussi faire référence au code civil, dont certains articles prévoient des obligations à l’égard des enfants – les élus les rappellent lors des cérémonies de mariage.
J’irai pleinement dans le sens de la commission des lois sur ce sujet extrêmement sensible.
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Pourquoi ne confie-t-on pas cette mission aux services fiscaux, monsieur Bigot ?
Les CAF ont accès aux informations sur les revenus par les services fiscaux, et il me semble qu’elles sont un peu mieux placées que les services fiscaux pour apprécier la situation des familles.
Mme Éliane Assassi. Mais non !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Enfin, en toute hypothèse, dès lors que l’un des deux parents contesterait la proposition faite par la CAF, le recours au juge serait immédiat.
Pour toutes ces raisons, je maintiens ma demande d’expérimentation.
Mme Éliane Assassi. Pourquoi faire à l’envers ce qu’on peut faire à l’endroit ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 6.
(L’article 6 est adopté.)
Article 7
L’article 1397 du code civil est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) Au début, les mots : « Après deux années d’application du régime matrimonial, » sont supprimés » ;
b) Les mots : « de le modifier » sont remplacés par les mots : « de modifier leur régime matrimonial » ;
2° Le deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « En cas d’enfant majeur sous mesure de protection juridique, l’information est délivrée à son représentant, qui agit sans autorisation préalable du conseil de famille ou du juge des tutelles. » ;
3° (Supprimé)
Mme la présidente. L’amendement n° 212, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Rétablir le 3° dans la rédaction suivante :
3° Au cinquième alinéa, les mots : « , l’acte notarié est obligatoirement soumis à l’homologation du tribunal du domicile des époux » sont remplacés par les mots : « sous le régime de l’administration légale, le notaire peut saisir le juge des tutelles dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 387-3 du code civil ».
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet amendement vise à simplifier le changement de régime matrimonial en présence d’enfants mineurs, en supprimant l’intervention systématique du juge.
Il s’agit là d’une simplification très importante, qui s’inscrit dans les objectifs de ce projet de loi.
L’homologation judiciaire en présence d’enfants mineurs serait désormais exclusivement réservée aux situations à risques. Cette proposition s’inscrit dans la continuité de la réforme de l’administration légale, intervenue en 2015, qui a établi une présomption de bonne gestion des biens du mineur par ses représentants légaux.
Les parents sont en effet les premiers garants de l’intérêt de leurs enfants et, bien souvent, la demande de changement de régime matrimonial intervient précisément pour protéger la famille, par exemple lorsque l’un des parents devient commerçant ou lorsqu’il est frappé par une maladie grave.
L’intervention du juge est souvent mal acceptée, de même que les délais et les frais qui en résultent. Il arrive parfois que ce changement de régime matrimonial intervienne trop tardivement, comme j’ai pu le constater à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité dont j’ai eu à connaître au Conseil constitutionnel.
Pour les hypothèses résiduelles où il existerait un risque que l’un des parents ou les deux agissent en contradiction avec les intérêts de l’enfant mineur, un mécanisme de contrôle demeure prévu. Dans ce cas, si les intérêts des enfants ne paraissent pas respectés, le notaire, officier public et ministériel, tenu à un devoir renforcé d’information et de conseil, devra faire part de ses doutes aux époux.
Il pourra ensuite, si la situation le justifie, saisir le juge des tutelles des mineurs, sur le fondement de l’article 387-3 du code civil. Dans ces situations, le contrôle judiciaire est prévu pour évaluer le changement envisagé.
L’intervention judiciaire sera ainsi plus lisible et mieux comprise de la part de nos concitoyens, qui attendent cette simplification.
Je souhaite donc que vous puissiez adopter cet amendement, mesdames, messieurs les sénateurs.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, corapporteur. J’ai peur de vous décevoir, madame la garde des sceaux…
Cet amendement est contraire à la position de la commission, qui a souhaité maintenir l’homologation par le juge des modifications du régime matrimonial en présence d’enfants mineurs.
Lors de l’examen du projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, en 2015, le Sénat s’était déjà opposé à la suppression de cette homologation en présence d’enfants mineurs, estimant que l’intervention du juge permettait de vérifier que la modification est bien conforme à l’intérêt de la famille prise dans sa globalité, et pas seulement à celui des époux.
La commission estime également inopportun de confier au notaire qui ne sera pas parvenu à convaincre les époux de renoncer à la modification envisagée au nom de l’intérêt de leurs enfants le soin de saisir le juge, car cela le placerait dans une position délicate vis-à-vis de ses clients.
En conséquence, l’avis est défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. François Pillet, pour explication de vote.
M. François Pillet. Mon explication de vote s’apparente plutôt à une question.
Si je comprends bien, madame la ministre, cette disposition aurait surtout un intérêt dans le cas d’un changement de régime de la communauté légale vers la séparation de biens. On peut en effet en comprendre l’intérêt dans certaines circonstances.
Toutefois, dans l’hypothèse où le changement consiste à faire évoluer une séparation de biens ou un régime de communauté légale en communauté universelle, cela devient beaucoup plus risqué pour les mineurs, surtout en présence d’enfants d’un autre lit. Dans ce cas, malgré l’action en retranchement, il y a pour les enfants mineurs du couple qui désire changer de régime matrimonial un risque et l’on doit laisser au juge le soin de vérifier l’intérêt de la famille à ce changement de régime matrimonial.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Madame la ministre, vous ne pouvez pas simplement arguer du rendez-vous que les époux auront avec un notaire. Certes, c’est un officier ministériel, mais il faudrait qu’il demande à ses clients, qui le payent, de renoncer à un changement de régime matrimonial dans l’intérêt de leurs enfants. Ces derniers s’adresseront sans doute à un autre notaire, qui acceptera de procéder au changement.
Le juge, par définition, doit être le protecteur de la famille et des enfants. Je rejoins les propos de notre collègue François Pillet : en l’occurrence, on ne peut pas supprimer son intervention.
Certes, des parents dont le changement de régime matrimonial aura été homologué viendront se plaindre d’avoir perdu du temps. Mais faire perdre du temps pour assurer la protection des enfants ne me paraît pas dramatique, d’autant qu’il s’agit d’une procédure gracieuse, sans audience, et qui peut être relativement rapide si la requête est bien exposée.
Une fois de plus, vous faites la démonstration que vous cherchez par tous les moyens à retirer du travail aux juges, ce qui permettra en fin de compte d’en avoir moins…
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je ne peux absolument pas vous laisser dire cela, monsieur le sénateur !
J’ai été confrontée à des situations où il s’agissait d’une question de vie ou de mort. Quand des parents ont demandé un changement de régime matrimonial parce que l’un des deux époux était sur le point de mourir, et que le changement n’a pu avoir lieu car la décision est intervenue après le décès de la personne, je puis vous assurer que ce sont les enfants qui en font les frais !
Je respecte toutes les expressions, mais il ne faut pas non plus énoncer de contrevérités. Si je propose cette mesure, c’est parce que je sais qu’elle correspond à des réalités.
Je vous rappelle qu’il appartient au notaire, officier public et ministériel, de défendre l’intérêt des enfants mineurs et de saisir le juge en cas de difficulté.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 7.
(L’article 7 est adopté.)
Article 8
Le code civil est ainsi modifié :
1° L’article 116 est ainsi modifié :
a) Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :
« En cas d’opposition d’intérêts entre le représentant et le présumé absent, le juge des tutelles autorise le partage, même partiel, en présence du remplaçant désigné conformément à l’article 115. » ;
b) Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Dans tous les cas, l’état liquidatif est soumis à l’approbation du juge des tutelles. » ;
2° (Supprimé)
3° L’article 507 est ainsi modifié :
a) La première phrase du premier alinéa est ainsi rédigée : « En cas d’opposition d’intérêts avec la personne chargée de la mesure de protection, le partage à l’égard d’une personne protégée peut être fait à l’amiable sur autorisation du conseil de famille ou, à défaut, du juge. » ;
b) Au début du deuxième alinéa, sont ajoutés les mots : « Dans tous les cas, » ;
4° La seconde phrase du premier alinéa de l’article 507-1 est ainsi rédigée : « Toutefois, il peut l’accepter purement et simplement si l’actif dépasse manifestement le passif, après recueil d’une attestation du notaire chargé du règlement de la succession. » ;
5° Au second alinéa de l’article 836, la référence : « et XI » est remplacée par les références : « , XI et XII ».
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Le présent article vise à supprimer le contrôle a priori du juge des tutelles pour certains actes concernant les majeurs protégés et à externaliser ce contrôle au profit des professionnels du chiffre et du droit.
Encore une fois, nous assistons à la déjudiciarisation d’un domaine du droit parmi les plus importants pour la justice, celui du droit des majeurs protégés et du contrôle des mesures de protection judiciaire.
Alors que les magistrats estiment que ce type d’actes ne représente pas une surcharge effective pour les juridictions, l’exécutif souhaite réaliser des économies en confiant le contrôle des comptes bancaires à des professionnels du chiffre et du droit.
Cette mesure tend à éloigner le majeur protégé du contrôle du juge des tutelles, seul à même de protéger de manière impartiale et indépendante les majeurs sous protection judiciaire, alors que les abus tutélaires sont régulièrement dénoncés.
Enfin, alors que la vérification des comptes par le directeur de greffe est aujourd’hui gratuite pour le majeur protégé, elle deviendrait payante en cas d’adoption du projet de loi et son coût serait mis à la charge de la personne protégée.
Outre que, pour les professionnels du chiffre et du droit, l’ouverture de ce nouveau marché représente une manne de plus de 60 millions d’euros, cette disposition illustre la volonté du Gouvernement de faire peser le coût de la carence de l’État sur les justiciables les plus fragiles, ce qui est inadmissible. Il est clair que ce dispositif est proposé dans l’unique objectif de faire des économies.
Une nouvelle fois, avec les dispositions de cet article, c’est l’accès à la justice des plus vulnérables qui est sciemment sacrifié.
Mme la présidente. L’amendement n° 213, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 1
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° Le 1° de l’article 63 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« - le cas échéant, la justification de l’information de la personne chargée de la mesure de protection prévue à l’article 460 ; »
II. – Après l’alinéa 7
Insérer trente-sept alinéas ainsi rédigés :
…° L’article 174 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots « À défaut d’aucun » sont remplacés par les mots : « À défaut d’ » et le mot : « aucune » est supprimé ;
b) Le 2° est ainsi modifié :
- les mots : « l’état de démence » sont remplacés par les mots : « l’altération des facultés personnelles » ;
- les mots : « la tutelle des majeurs, et d’y faire statuer dans le délai qui sera fixé par le jugement » sont remplacés par les mots : « ou faire provoquer l’ouverture d’une mesure de protection juridique » ;
…° L’article 175 est ainsi rédigé :
« Art. 175. – Le tuteur ou le curateur peut former opposition, dans les conditions prévues à l’article 173, au mariage de la personne qu’il assiste ou représente. » ;
…° L’article 249 est ainsi rédigé :
« Art. 249. – Dans l’instance en divorce, le majeur en tutelle est représenté par son tuteur et le majeur en curatelle exerce l’action lui-même, avec l’assistance de son curateur. Toutefois, la personne protégée peut accepter seule le principe de la rupture du mariage sans considération des faits à l’origine de celle-ci. » ;
…° L’article 249-1 est abrogé ;
…° L’article 249-3 est ainsi rédigé :
« Art. 249-3. – Si une demande de mesure de protection juridique est déposée ou en cours, la demande en divorce ne peut être examinée qu’après l’intervention du jugement se prononçant sur la mise en place d’une mesure de protection. Toutefois, le juge peut prendre les mesures provisoires prévues aux articles 254 et 255. » ;
…° À l’article 249-4, les mots : « ou pour acceptation du principe de la rupture du mariage » sont supprimés ;
…° L’article 431 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le procureur de la République est saisi par un service social ou médico-social, la demande doit en outre comporter, à peine d’irrecevabilité, une évaluation de la situation sociale et pécuniaire de la personne. Le contenu de l’évaluation et les modalités de recueil des données sont définis par voie réglementaire. » ;
…° L’article 459 est ainsi modifié :
a) La seconde phrase du deuxième alinéa est ainsi modifiée :
- après le mot : « après », sont insérés les mots : « la mise en œuvre d’un mandat de protection future, le prononcé d’une habilitation familiale ou » ;
- les mots : « le tuteur » sont remplacés par les mots : « la personne chargée de cette mesure » ;
- sont ajoutés les mots et une phrase ainsi rédigée : « , y compris pour les actes ayant pour effet de porter gravement atteinte à son intégrité corporelle. Sauf urgence, en cas de désaccord entre le majeur protégé et la personne chargée de sa protection, le juge autorise l’un ou l’autre à prendre la décision, à leur demande ou d’office. » ;
b) Le troisième alinéa est ainsi modifié :
- les mots : « à l’intégrité corporelle de la personne protégée ou » sont supprimés ;
- le mot : « sa » est remplacé par le mot : « la » ;
- sont ajoutés les mots : « de la personne protégée » ;
…° L’article 460 est ainsi rédigé :
« Art. 460. – La personne chargée de la mesure de protection est préalablement informée du projet de mariage du majeur qu’il assiste ou représente. » ;
…° L’article 462 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est supprimé ;
b) La première phrase du deuxième alinéa est ainsi modifiée :
- les mots : « L’intéressé est assisté » sont remplacés par les mots : « La personne en tutelle est assistée » ;
- sont ajoutés les mots : « par laquelle elle conclut un pacte civil de solidarité » ;
…° L’article 500 est ainsi modifié :
a) Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :
« Sous sa propre responsabilité, le tuteur peut inclure dans les frais de gestion la rémunération des administrateurs particuliers dont il demande le concours. » ;
b) Le troisième alinéa est ainsi modifié :
- la première phrase est supprimée ;
- au début de la deuxième phrase, sont insérés les mots : « Si le tuteur conclut un contrat avec un tiers pour la gestion des valeurs mobilières et instruments financiers de la personne protégée, » ;
III. – Compléter cet article par deux paragraphes ainsi rédigés :
… – Le code électoral est ainsi modifié :
1° L’article L. 5 est abrogé ;
2° Le premier alinéa de l’article L. 64 est complété par les mots : « , autre que l’une des personnes mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l’article L. 72-1, s’agissant des majeurs en tutelle » ;
3° Après l’article L. 72, il est inséré un article L. 72-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 72-1. – Pour l’exercice de son droit de vote, le majeur en tutelle ne peut donner procuration à l’une des personnes suivantes :
« 1° Le mandataire judiciaire à sa protection ;
« 2° Les personnes physiques propriétaires, gestionnaires, administrateurs ou employés de l’établissement ou du service soumis à autorisation ou à déclaration en application du code de l’action sociale ou d’un établissement de santé mentionné à l’article L. 6111-1 du code de la santé publique ou d’un service soumis à agrément ou à déclaration mentionné au 2° de l’article L. 7231-1 du code du travail qui le prend en charge, ainsi que les bénévoles ou les volontaires qui agissent en son sein ou y exercent une responsabilité ;
« 3° Les salariés mentionnés à l’article L. 7221-1 du code du travail accomplissant des services à la personne définis au 2° de l’article L. 7231-1 du même code. » ;
4° À l’article L. 111, après les mots : « des articles », sont insérés les mots : « L. 64 et ».
… – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est habilité à prendre par ordonnance, dans un délai de douze mois à compter de la publication de la présente loi, toute mesure relevant du domaine de la loi visant à modifier, dans un objectif d’harmonisation et de simplification, les dispositions fixant les conditions dans lesquelles est prise une décision portant sur la personne d’un majeur faisant l’objet d’une mesure de protection juridique et, selon les cas, intervenant en matière de santé ou concernant sa prise en charge ou son accompagnement social ou médico-social.
Un projet de loi de ratification est déposé au Parlement, au plus tard le premier jour du sixième mois suivant la publication de l’ordonnance.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous me permettrez d’être un tout petit peu longue pour vous présenter cet amendement, qui apporte des évolutions tout à fait substantielles pour les majeurs protégés.
Plus de dix ans après l’entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, il importe de renforcer la dignité des majeurs protégés dans l’exercice de leurs droits fondamentaux. Il est essentiel de restaurer l’expression directe de leur volonté, chaque fois qu’elle est possible, et de supprimer les formalités qui apparaissent comme des obstacles illégitimes.
À cette fin, je vous propose donc d’améliorer l’introduction de la procédure de protection judiciaire en imposant aux services qui saisissent le procureur de la République d’une demande de mise sous protection de motiver cette demande au regard d’une évaluation sociale et pécuniaire de l’intéressé.
En effet, la saisine de l’autorité judiciaire aux fins de mise sous protection intervient le plus souvent dans un contexte de crise, qu’il s’agisse d’une perte d’autonomie, de l’isolement ou du refus des aides proposées, de décisions de gestion patrimoniale inconsidérées ou qui paraissent incohérentes, de suspicion de maltraitance ou de maltraitance avérée, mais cette décision doit rester subsidiaire par rapport aux situations déjà en place. Le parquet ne peut assumer son rôle de filtre des demandes qu’au vu d’un état des lieux complet de la situation du majeur.
Cet amendement a pour objet, une fois la mesure prononcée, de supprimer l’autorisation préalable du juge – c’est une nouveauté extrêmement importante –, pour le mariage, la signature d’un PACS ou la décision de divorcer.
Pour autant, la protection de la personne protégée reste assurée, puisque la personne en charge d’une mesure de protection devra être informée préalablement au dépôt du dossier en mairie, et elle bénéficiera d’un droit d’opposition au mariage plus large qu’aujourd’hui. En l’absence de la preuve de l’information du protecteur, la publicité du mariage ne pourra intervenir, de sorte que le mariage ne pourra pas être célébré.
En ce qui concerne le divorce, les personnes protégées ne peuvent actuellement recourir au divorce pour acceptation du principe de la rupture du mariage sans considération des faits à l’origine de celui-ci, alors qu’il s’agit d’un divorce prononcé par un juge dans des conditions apaisées. Il est nécessaire d’ouvrir cette voie au majeur protégé qui souhaite divorcer sans l’obliger à passer par une phase contentieuse. L’acceptation du divorce relèvera alors de sa seule décision, le reste de la procédure donnant lieu à représentation ou assistance.
Dans la même ligne, cet amendement vise à clarifier le rôle du juge des tutelles lorsque des décisions médicales doivent être prises en faveur de la personne protégée. Aujourd’hui, selon les médecins et les tuteurs, une autorisation du juge peut être sollicitée pour une extraction dentaire, même lorsque le majeur protégé et son tuteur sont d’accord pour suivre l’avis médical, ce qui retarde évidemment l’accès aux soins des plus vulnérables. Une habilitation à légiférer par ordonnance est sollicitée pour poursuivre cette réflexion et mettre en cohérence les dispositions du code de la santé publique et du code de l’action sociale et des familles avec celles du code civil.
Le contrôle du juge des tutelles sera également allégé pour permettre au tuteur de prendre, sous sa propre responsabilité et sans formalisme excessif, les décisions concernant l’administration et la gestion des biens du majeur ou du mineur sous tutelle, ce qui correspond à la proposition n° 51 du rapport que m’a remis Mme l’avocate générale Anne Caron-Déglise, laquelle préconise de simplifier le traitement des requêtes en cours de mesure et de supprimer nombre d’entre elles, dès lors que ces opérations font l’objet d’un contrôle a posteriori.
Par ailleurs, l’article L. 5 du code électoral, qui permet au juge de supprimer le droit de vote des majeurs lorsqu’il prononce ou renouvelle une tutelle, est abrogé, ce qui représente une avancée très forte des droits des majeurs protégés. Le Président de la République avait annoncé, lors de son discours devant le Congrès à Versailles, le 9 juillet 2018, son souhait de voir les personnes sous tutelle retrouver le droit de vote. Je vous en propose la traduction législative dans cet amendement.
Il convient évidemment, à cette fin, de garantir le respect du principe de sincérité du scrutin en encadrant les conditions des procurations pouvant être établies par des majeurs protégés et en interdisant ces procurations non seulement aux mandataires judiciaires à la protection des majeurs, mais également aux personnes accueillant ou prenant en charge les majeurs sous tutelle dans les établissements sociaux, médico-sociaux ou sanitaires. Pour rendre le plus effectif possible ce dispositif protecteur, ces personnes ne pourront pas non plus intervenir en tant que personnes assistantes au sens de l’article L. 64 du code électoral. Avec cette mesure, je vous propose réellement une très grande avancée pour les majeurs protégés dans l’exercice et dans la prise en compte de leur droit à la dignité, et ce sans amoindrir la protection qui leur est garantie.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, corapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la ministre, je vous remercie des observations assez précises du Gouvernement sur cet amendement, qui est assez complet et qui touche beaucoup de sujets concernant les majeurs protégés. Vous proposez en partie la suppression du contrôle préalable du juge sur plusieurs décisions personnelles qui concernent les majeurs protégés.
Parmi ces allégements, plusieurs semblent particulièrement contestables à la commission des lois ; je veux les citer.
Le premier, c’est l’autorisation accordée aux majeurs sous tutelle ou sous curatelle de se marier ou de conclure un pacte civil de solidarité sans aucune autorisation du juge. Eu égard aux risques d’abus de faiblesse touchant des personnes vulnérables, il nous semble que l’intervention du juge reste indispensable.
M. Michel Savin. Bien sûr !
M. François-Noël Buffet, corapporteur. Le deuxième point contestable, c’est l’autorisation du droit de vote des personnes sous tutelle sans condition, alors qu’aujourd’hui le juge des tutelles décide au cas par cas. Là encore, une telle mesure ne nous semble pas opportune, car elle poserait de réelles difficultés, s’agissant notamment de personnes qui ne peuvent exprimer une volonté ou qui peuvent être influençables. Nous pensons qu’il faut faire confiance aux magistrats, qui apprécient chaque situation individuellement. Le droit en vigueur est d’ailleurs conforme à ce que dit la Cour européenne des droits de l’homme, car il autorise les majeurs sous tutelle à voter dès lors que leur santé le leur permet.
Par ailleurs, cela reviendrait à permettre aux majeurs sous tutelle d’être jurés d’assises, par exemple, puisqu’ils seraient inscrits sur les listes électorales, ce qui n’est sans doute pas tout à fait, j’imagine, l’objectif visé par le Gouvernement. En tout état de cause, ce sujet reste délicat et ne saurait être réglé à travers un simple amendement, sans que nous puissions aller plus loin.
Le troisième point sur lequel nous sommes en désaccord, c’est l’allégement du contrôle du juge en cas d’acte médical grave sur la personne protégée. Dès lors que les situations d’urgence vitale sont dérogatoires, il nous semble qu’une décision ayant pour effet de porter gravement atteinte à l’intégrité corporelle de la personne protégée requiert opportunément, là encore, le contrôle du magistrat.
Autre sujet, l’ouverture du divorce accepté aux majeurs protégés nous semble moins contestable, disons les choses telles qu’elles sont, dès lors qu’ils vont seulement accepter le principe de la rupture du mariage sans considération des faits à l’origine de celle-ci, tout en étant assistés ou représentés dans le reste de la procédure. Cela dit, la commission pense qu’elle manque d’éléments objectifs pour se prononcer véritablement sur cette mesure.
Par ailleurs, le Gouvernement profite de cet amendement « en bloc », si vous me permettez cette expression qui n’est peut-être pas très élégante, mais qui veut dire ce qu’elle veut dire, pour tenter de rétablir les dispositions de l’article 8 qui ont été supprimées par Yves Détraigne et moi-même, concernant la suppression de l’autorisation du juge pour que le tuteur inclue certains frais de gestion dans le budget de la tutelle – recours à un avocat ou à un comptable, par exemple – ou conclue un contrat de valeurs mobilières ou d’instruments financiers au nom de la personne protégée. Si le Gouvernement a supprimé la mention du conseil de famille en tenant compte, par ailleurs, de nos remarques, ce dont nous vous remercions, la suppression de tout contrôle de ces actes de gestion ne nous convainc pas.
C’est pour l’ensemble de ces raisons, madame la ministre, que la commission a donné un avis défavorable sur les propositions que vous nous faites avec cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.
M. Philippe Mouiller. Je veux surtout intervenir sur le droit de vote des personnes handicapées, sujet que je défends depuis longtemps au Sénat. Madame la ministre, je regrette la méthode que vous proposez aujourd’hui via un amendement qui touche un champ très large, avec différentes dispositions. Aussi, le fait que nous soyons en désaccord sur un des points entraîne finalement un rejet global de l’ensemble des dispositions. Pourtant, je pense que l’engagement du Président de la République concernant le droit de vote des personnes handicapées aurait mérité un travail plus approfondi, avec un amendement spécifique, voire un volet plus particulier prenant en compte toutes les remarques faites par notre corapporteur.
Aujourd’hui, j’ai le sentiment d’une occasion manquée devant cet amendement un peu « fourre-tout » sur un enjeu fondamental, qui correspond à une demande forte de l’ensemble des associations. En conclusion, je salue l’initiative, mais je regrette la méthode, rejoignant en cela les remarques de M. le corapporteur. Avec cette façon de faire, vous trompez l’espoir de nombreuses personnes handicapées.
Mme la présidente. La parole est à M. François Pillet, pour explication de vote.
M. François Pillet. Madame la ministre, je m’associe à ce qui vient d’être dit, à la fois par M. le corapporteur et par notre collègue, qui connaît parfaitement ce sujet.
Le Sénat ne peut pas être opposé à des avancées au profit des personnes incapables. En effet, je crois me souvenir que c’est le Sénat qui a ouvert pour la première fois la possibilité pour les incapables majeurs de voter dans les conditions qui sont actuellement prévues par le droit. C’est la Haute Assemblée qui était à l’origine, déjà, de cette avancée fondamentale.
Pour autant, en l’espèce, par le biais d’un amendement, on va bouleverser complètement la protection des incapables majeurs. Cela n’est pas possible, car une telle réforme demande une réflexion beaucoup plus importante, le sujet étant d’importance. Par ailleurs, vous avez demandé un rapport sur ce point. Il nous faut donc beaucoup plus travailler l’ensemble des propositions qui peuvent être apportées. Pour ma part, je ne suis pas hostile à certaines d’entre elles. Vous avez d’ailleurs noté que la commission n’était pas forcément opposée à l’avancée sur le divorce par demande acceptée.
Enfin, il y a un problème de méthode. Il faut réfléchir plus, parce que votre amendement, qui tend à bouleverser cette protection, ne couvre pas tout. Par exemple, il n’aborde pas la validité des actes par lesquels un incapable majeur fait un testament ou une donation. Toute cette partie-là n’est pas traitée. Madame la ministre, votre réforme demande une réflexion beaucoup plus globale, mais, je le répète, à mon sens, historiquement, le Sénat n’y est pas opposé.
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, ces propositions sont regroupées dans un unique amendement, parce qu’elles s’attachent à modifier un régime qui concerne plusieurs actes du majeur sous tutelle qui ont tous trait à sa dignité. Elles sont le fruit, comme je le disais tout à l’heure, d’un travail qui a été conduit sous l’égide de la ministre de la santé, de la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de moi-même, par Mme Caron-Déglise. Cette dernière a conduit, avec un groupe de travail, une réflexion extrêmement importante, qui a abouti à ces propositions que nous reprenons.
Puisque vous évoquez la question du mariage ou du PACS, je veux dire que le principe de précaution, qui est poussé à l’extrême dans ces deux cas, va à l’encontre du principe de l’autonomie de la volonté de toutes les personnes qui peuvent s’exprimer. En matière de PACS, de mariage ou de divorce, le tuteur et le curateur continueront à intervenir pour protéger le majeur de tout abus sur son patrimoine. Il s’agit pour nous de tirer les conséquences de la jurisprudence de la Cour de cassation et de la réflexion de tous les acteurs qui ont participé au groupe de travail dont je me faisais l’écho à l’instant.
S’agissant du droit de vote, je n’ai pas écrit cette proposition sur un coin de table… (M. François-Noël Buffet, corapporteur, proteste, amusé.) Vous ne l’avez pas dit ainsi, monsieur le sénateur. (Sourires.) C’est réellement le résultat d’un travail conduit avec le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice, qui a fait l’objet de très longues réflexions et de consultations, notamment du Conseil d’État. Nous avons travaillé à un dispositif équilibré, avec un accès limité au mécanisme des procurations. Pour toutes ces raisons, il me semblait important de pouvoir vous présenter ces dispositions, et, puisque vous êtes précurseurs en ces domaines, de pouvoir espérer un vote positif de votre part.
Mme la présidente. L’amendement n° 215, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. - Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution et aux fins d’améliorer le traitement des procédures concernées et la gestion des fonds en la matière, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnance, dans un délai de douze mois à compter de la date de publication de la présente loi, les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour :
1° Transférer à la Caisse des dépôts et consignations la charge de :
a) Recevoir, gérer et répartir dans les meilleurs délais entre les créanciers saisissants les sommes versées par le tiers saisi au titre des saisies des rémunérations du travail effectuées en application des articles L. 3252-1 et suivants du code du travail ;
b) Recevoir des parties au litige les sommes dont le tribunal de grande instance ou la cour d’appel a ordonné la consignation dans le cadre d’une expertise et procéder sur autorisation du juge au versement de sommes dues à l’expert, ainsi qu’à la restitution des sommes qui auraient été consignées en excédent ;
2° Déterminer, le cas échéant, les conditions dans lesquelles ces prestations sont rémunérées.
II. - Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de quatre mois suivant la publication des ordonnances prises en application du I.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je propose, par cet amendement, de rétablir l’article 9, qui permettrait de confier à la Caisse des dépôts et consignations, la CDC, des missions qui s’inscrivent totalement dans la ligne de celles qui lui sont déjà confiées.
Banquier du service public de la justice, la Caisse des dépôts et consignations dispose en effet de toutes les compétences utiles et mobilisables pour recevoir les fonds issus des saisies des rémunérations, pour les gérer et les répartir entre les créanciers. Il s’agit d’opérations de banque classiques, la seule particularité consistant, lors de l’opération de répartition, à déterminer la part qui revient à chaque créancier.
Ce calcul procède de règles simples qui sont aisément automatisables. La CDC maîtrise en outre parfaitement les attributions qui lui sont transférées en matière d’expertise. Elle les pratique déjà pour les expertises ordonnées par les conseils de prud’hommes et par les juridictions du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle.
M. André Reichardt. Tout à fait !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet article ne fait donc que mettre en œuvre, pour les expertises ordonnées par les tribunaux de grande instance et par les cours d’appel, le monopole dont la CDC bénéficie déjà en application d’une ordonnance de 1816. L’accomplissement de cette tâche ne nécessitant aucun accueil des justiciables, l’accès au service public de la justice ne sera pas entravé. Les justiciables bénéficieront toujours, en outre, de l’accueil physique proposé dans les juridictions, qui conserveront l’intégralité de leur dossier et pourront utilement les renseigner.
Le transfert à la Caisse des dépôts de ces tâches, qui sont réalisées manuellement dans les greffes, sera source d’importants gains de temps pour les greffiers, lesquels pourront ainsi consacrer plus de temps à leurs autres attributions au bénéfice des justiciables.
Des échanges sont en cours entre la Caisse des dépôts et le ministère de la justice pour affiner le projet. C’est un travail qui mérite d’être mené et qui rendra nos juridictions plus efficaces.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, corapporteur. Cet amendement tend à rétablir l’habilitation à prendre des mesures législatives pour transférer à la Caisse des dépôts la gestion de certaines saisies sur rémunération, ainsi que des sommes consignées pour expertise.
La commission a souhaité supprimer cet article 9. Le transfert est uniquement justifié pour des raisons de charge de travail, les greffes en charge de ces missions ne pouvant plus les assumer de façon satisfaisante. C’est notamment le cas pour les procédures impliquant une régie d’avances et de recettes.
Si nous comprenons les dysfonctionnements qui peuvent exister, la solution proposée ne nous paraît, à ce stade, pas être la bonne. En effet, l’étude d’impact de ce projet n’est manifestement pas très avancée – est-elle seulement lancée ? Nous n’en sommes pas sûrs ! –, alors qu’une telle opération nécessite un nouveau système informatique interopérable entre la justice, la CDC, voire le Trésor public. En outre, la légitimité de la CDC à répartir les saisies sur rémunération ne nous paraît pas certaine. Nous avons donc émis un avis quelque peu défavorable, dirai-je.
Mme la présidente. En conséquence, l’article 9 demeure supprimé.
Article additionnel après l’article 9
Mme la présidente. L’amendement n° 214, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 9
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code des procédures civiles d’exécution est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa de l’article L. 311-5 est ainsi rédigé :
« Le créancier ne peut procéder à la saisie de plusieurs immeubles de son débiteur que dans le cas où la saisie d’un seul ou de certains d’entre eux n’est pas suffisante pour le désintéresser et désintéresser les créanciers inscrits. » ;
2° L’article L. 322-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« En cas d’accord entre le débiteur, le créancier poursuivant, les créanciers inscrits sur l’immeuble saisi à la date de la publication du commandement de payer valant saisie, les créanciers inscrits sur l’immeuble avant la publication du titre de vente et qui sont intervenus dans la procédure ainsi que le créancier visé au 1° bis de l’article 2374 du code civil, ils peuvent également être vendus de gré à gré après l’orientation en vente forcée et jusqu’à l’ouverture des enchères. » ;
3° L’article L. 322-4 est ainsi modifié :
a) Les mots : « et des frais de la vente » sont supprimés ;
b) Après le mot : « paiement », sont insérés les mots : « des frais de la vente et » ;
4° L’article L. 433-2 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« À l’expiration du délai imparti, il est procédé à la mise en vente aux enchères publiques des biens susceptibles d’être vendus. Les biens qui ne sont pas susceptibles d’être vendus sont réputés abandonnés. »
b) Le deuxième alinéa est supprimé.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je reviens un instant sur l’amendement précédent, bien que le vote ait eu lieu, pour répondre à une inquiétude de M. le corapporteur. Le travail avec la Caisse des dépôts et consignations a déjà bien avancé, et nous allons être en mesure de proposer une procédure dématérialisée.
Le présent amendement a un double objet. Il s’agit, d’une part, d’améliorer la procédure de saisie immobilière, en favorisant la vente au meilleur prix, et, d’autre part, de simplifier la procédure d’expulsion s’agissant du sort des meubles de la personne expulsée.
La procédure de saisie immobilière a été profondément réformée en 2006. Il est aujourd’hui temps d’ajuster certaines de ses dispositions pour améliorer son fonctionnement. Une large consultation a été menée à ce sujet avec le barreau, des magistrats, des greffiers et des professeurs de droit. L’amendement que je vous présente en est le fruit. Il vise à organiser la saisie simultanée de plusieurs immeubles du débiteur par un même créancier et à faciliter l’établissement du titre de vente par le notaire en cas de vente amiable. Surtout, la vente de gré à gré est désormais autorisée après le jugement d’orientation, et ce jusqu’à l’ouverture des enchères. Actuellement, lorsque le débiteur n’a pas réussi à vendre son bien à l’amiable dans le délai fixé par le juge, la vente sur adjudication de l’immeuble est ordonnée. Or sa vente aux enchères occasionne des frais qui sont à la charge du débiteur, et qui aggravent sa situation financière. Les frais de publicité peuvent ainsi parfois dépasser la somme de 10 000 euros.
En outre, le prix de vente à la barre est parfois décevant, en raison du faible nombre d’enchérisseurs. Pourtant, il arrive que le débiteur trouve un acquéreur entre le jugement ordonnant son adjudication et l’ouverture des enchères. L’autoriser à vendre son bien de gré à gré, avec l’accord de ses créanciers, permettra ainsi de vendre le bien à un meilleur prix au bénéfice de l’ensemble des parties.
En matière d’expulsion, le juge statue systématiquement sur le sort des biens de la personne expulsée après une audience. En l’absence de contestation de la personne expulsée, le juge ne peut qu’ordonner la vente aux enchères publiques des biens qui ont une valeur marchande, et déclarer abandonnés les autres biens sur la base de l’inventaire réalisé par l’huissier de justice dans le procès-verbal d’expulsion. L’intervention du juge de l’exécution n’apporte, dans ce cas, pas de plus-value, mais elle engendre des frais. L’audience ne sera donc maintenue qu’en cas de contestation.
Nous proposons donc en réalité une amélioration sensible de cette procédure au bénéfice des justiciables, en premier lieu de ceux qui, déjà en situation difficile, sont confrontés à une saisie de leurs biens immobiliers.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, corapporteur. La commission est favorable à cet amendement, qui nous semble de bon sens. Rien ne s’oppose à son adoption sur le principe.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 9.
Article 10
I. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution et aux fins d’alléger les tâches des juridictions, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnance, dans un délai de douze mois à compter de la date de promulgation de la présente loi, les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour :
1° Simplifier et moderniser la délivrance des apostilles et des légalisations sur les actes publics établis par une autorité française et destinés à être produits à l’étranger ;
2° À cette fin, déléguer totalement ou partiellement l’accomplissement de ces formalités à des officiers publics ou ministériels ou à toute personne publique ou tout organisme de droit privé chargé d’une mission de service public dont les compétences, la mission et le statut justifient son intervention ;
3° Aménager et modifier toutes dispositions de nature législative permettant d’assurer la mise en œuvre et de tirer les conséquences des modifications apportées en application des 1° et 2°.
Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de quatre mois à compter de la publication de l’ordonnance.
II. – Sauf engagement international contraire, tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France doit être légalisé pour y produire effet.
La légalisation est la formalité par laquelle est attestée la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l’acte a agi et, le cas échéant, l’identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu.
Un décret en Conseil d’État précise les actes publics concernés par le présent II et fixe les modalités de la légalisation.
III. – (Supprimé) – (Adopté.)
Article 10 bis (nouveau)
Après le mot : « habitat », la fin de la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation est supprimée. – (Adopté.)
Article 11
Le code de commerce est ainsi modifié :
1° L’article L. 444-2 est ainsi modifié :
a) Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« En application des deux premiers alinéas du présent article, l’arrêté conjoint mentionné au même article L. 444-3 fixe les tarifs sur la base d’un objectif de taux de résultat moyen, dont les modalités de détermination sont définies par un décret en Conseil d’État, et dont le montant est estimé globalement pour chaque profession pour l’ensemble des prestations tarifées en application de l’article L. 444-1. » ;
b) Le dernier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Toutefois, pour certaines prestations et au-delà d’un montant d’émolument fixé par l’arrêté mentionné au même article L. 444-3, le professionnel et son client peuvent convenir du taux des remises. » ;
2° L’article L. 444-7 est ainsi modifié :
a) Le 1° est ainsi rédigé :
« 1° Les modalités selon lesquelles les coûts pertinents et la rémunération raisonnable, mentionnés au premier alinéa de l’article L. 444-2, sont évalués globalement pour l’ensemble des prestations tarifées en application de l’article L. 444-1 ; »
b) Au 3°, le mot : « troisième » est remplacé par le mot : « quatrième » ;
c) Il est ajouté un 5° ainsi rédigé :
« 5° Les conditions dans lesquelles, en application du dernier alinéa de l’article L. 444-2, le professionnel et son client peuvent convenir du taux des remises. » ;
3° La vingt-cinquième ligne du tableau constituant le second alinéa du 4° du I de l’article L. 950-1 est remplacée par quatre lignes ainsi rédigées :
«
Article L. 444-1 |
la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 |
|
Article L. 444-2 |
la loi n° ….. du …..de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice |
|
Articles L. 444-3 à L. 444-6 |
la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 |
|
Article L. 444-7 |
la loi n° ….. du ….. de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice |
». |
Mme la présidente. L’amendement n° 315, présenté par M. Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 13, tableau, troisième ligne
Remplacer cette ligne par quatre lignes ainsi rédigées :
Article L. 444-3 |
la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 |
Article L. 444-4 |
l’ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016 relative au statut de commissaire de justice |
Article L. 444-5 |
la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 |
Article L. 444-6 |
l’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles |
La parole est à M. le corraporteur.
M. Yves Détraigne, corapporteur. Après réexamen de la situation, il nous semble que cet amendement concernant Wallis-et-Futuna n’est pas utile, donc nous ne le retirons.
Mme la présidente. L’amendement n° 315 est retiré.
Je mets aux voix l’article 11.
(L’article 11 est adopté.)
SOUS-TITRE II
ASSURER L’EFFICACITÉ DE L’INSTANCE
Chapitre Ier
Simplifier pour mieux juger
Article 12
(Supprimé)
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les amendements nos 216 et 248 sont identiques.
L’amendement n° 216 est présenté par le Gouvernement.
L’amendement n° 248 est présenté par MM. Mohamed Soilihi, Richard, de Belenet, Yung et les membres du groupe La République En Marche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – Le code civil est ainsi modifié :
1° L’article 233 est ainsi rédigé :
« Art. 233. – Le divorce peut être demandé conjointement par les époux lorsqu’ils acceptent le principe de la rupture du mariage sans considération des faits à l’origine de celle-ci.
« Il peut être demandé par l’un des époux lorsque chacun d’eux, assisté d’un avocat, a accepté le principe de la rupture du mariage par acte sous signature privée contresigné par avocats.
« Si la demande en divorce est introduite sans indication de son fondement, les époux peuvent accepter le principe de la rupture du mariage en cours de procédure.
« L’acceptation n’est pas susceptible de rétractation, même par la voie de l’appel. » ;
2° L’article 238 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « lors de l’assignation en divorce » sont remplacés par les mots : « lors de la demande en divorce ou, le cas échéant, lors du prononcé du divorce » ;
b) Le second alinéa est ainsi rédigé :
« Toutefois, sans préjudice des dispositions de l’article 246, dès lors qu’une demande sur ce fondement et une autre demande en divorce sont concurremment présentées, le divorce est prononcé pour altération définitive du lien conjugal sans que le délai de deux ans ne soit exigé » ;
3° Le second alinéa de l’article 246 est supprimé ;
4° L’article 247-2 est ainsi rédigé :
« Art. 247-2. – Si le demandeur forme une demande en divorce pour altération définitive du lien conjugal et que le défendeur demande reconventionnellement le divorce pour faute, le demandeur peut invoquer les fautes de son conjoint pour modifier le fondement de la demande » ;
5° La section 3 du chapitre II du titre VI du livre Ier est ainsi modifiée :
a) Les paragraphes 1 et 2 sont remplacés par un paragraphe ainsi rédigé :
« Paragraphe 1
« De l’introduction de la demande en divorce
« Art. 251. – L’époux qui introduit l’instance en divorce n’indique pas les motifs de sa demande sauf si celle-ci est fondée sur l’acceptation du principe de la rupture du mariage ou l’altération définitive du lien conjugal. Hors ces deux cas, le fondement de la demande doit être exposé dans les premières conclusions au fond.
« Art. 252. – La demande introductive d’instance comporte le rappel des dispositions relatives à :
« 1° La médiation en matière familiale et à la procédure participative ;
« 2° À l’homologation des accords partiels ou complets des parties sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale et les conséquences du divorce.
« Elle comporte également, à peine d’irrecevabilité, une proposition de règlement des intérêts pécuniaires et patrimoniaux des époux.
« Art. 253. – Lorsqu’il rejette définitivement la demande en divorce, le juge peut statuer sur la contribution aux charges du mariage, la résidence de la famille et les modalités de l’exercice de l’autorité parentale. » ;
b) Le paragraphe 3 devient le paragraphe 2, le paragraphe 4 est abrogé et le paragraphe 5 devient le paragraphe 3 ;
c) À l’article 254, les mots : « Lors de l’audience prévue à l’article 252 » sont remplacés par les mots : « Si au moins une des parties le demande » ;
d) L’article 257 est abrogé ;
6° À l’avant-dernier alinéa et à la dernière phrase du dernier alinéa de l’article 262-1, les mots : « l’ordonnance de non conciliation » sont remplacés par les mots : « la demande en divorce » ;
7° Au troisième alinéa de l’article 311-20, les mots : « de dépôt d’une requête » sont remplacés par les mots : « d’introduction d’une demande » ;
8° À la seconde phrase de l’article 313, les mots : « , en cas de demande en divorce ou en séparation de corps, » sont supprimés et les mots : « la date soit de l’homologation de la convention réglant l’ensemble des conséquences du divorce ou des mesures provisoires prises en application de l’article 250-2, soit de l’ordonnance de non-conciliation » sont remplacés par les mots : « l’introduction de la demande en divorce ou en séparation de corps ou après le dépôt au rang des minutes d’un notaire de la convention réglant l’ensemble des conséquences du divorce » ;
9° À la première phrase de l’avant-dernier alinéa de l’article 375-3 et à la deuxième phrase de l’article 515-12, la première occurrence du mot : « requête » est remplacée par le mot : « demande ».
II. – L’article 441-1 du code de la construction et de l’habitation est ainsi modifié :
1° À la première phrase du premier alinéa, les mots : « par une ordonnance de non-conciliation ou à défaut, » et les mots « par une décision du juge prise en application de l’article 257 du code civil ou » sont supprimés ;
2° Au g, les mots : « par une décision du juge prise en application de l’article 257 du code civil ou » sont supprimés.
III. – À la seconde phrase du second alinéa de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique, les mots : « le dépôt d’une requête » sont remplacés par les mots : « l’introduction d’une demande ».
La parole est à Mme la garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 216.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet amendement a pour objet de rétablir l’article 12, sur le divorce.
C’est une mesure qui est très importante pour nos concitoyens, puisqu’elle rendra plus cohérente et plus rapide la procédure de divorce judiciaire, laquelle concerne aujourd’hui environ 55 000 couples chaque année.
La requête en divorce est supprimée pour unifier le régime procédural. En effet, il ne nous semble pas utile de distinguer deux phases : la phase de conciliation sur les mesures provisoires et celle qui suit au fond.
La réduction de la durée de la procédure qui en découlera nécessairement est un souhait constant des justiciables, qui déplorent régulièrement la durée excessive des procédures judiciaires en divorce. Cette durée est aujourd’hui estimée à peu près à trente mois ; elle devrait être divisée par deux grâce à la procédure que je vous propose.
Pour les greffes, il en résultera une simplification du travail de gestion des dossiers et de la saisie informatique. Ce temps gagné sur un travail purement administratif sera du temps consacré à l’accueil, à l’écoute des personnes et à la préparation des dossiers.
En outre, cette réforme s’inscrit dans le cadre des évolutions réelles de la société. Le rôle du juge n’est plus aujourd’hui de tenter une conciliation sur le principe même du divorce, en se penchant sur les raisons du démariage ou de la séparation des couples. Le juge doit, en revanche, se consacrer aux conséquences juridiques des situations qui sont vécues par ces couples et des décisions qu’ils souhaitent prendre.
Dans ce contexte, je tiens à l’affirmer avec force, les mesures provisoires et l’accès au juge sont préservés. Toutes les mesures qui peuvent être aujourd’hui prononcées lors de l’ordonnance de non-conciliation pourront l’être dans le nouveau cadre procédural, après la saisine du juge aux affaires familiales. Cela aura lieu lors d’une audience sur les mesures provisoires, qui sera tenue à la demande d’au moins l’une des deux parties. Je le dis clairement, la présence des parties à l’audience sera possible et pourra aussi être ordonnée par le juge.
Dans ce nouveau cadre procédural, le rôle assigné au juge pour concilier les parties sur les décisions provisoires utiles et nécessaires permettra de s’assurer du respect de l’intérêt des enfants et de veiller à l’équilibre entre les intérêts des époux. Tout cela, bien entendu, est maintenu.
Par ailleurs, il faut continuer à inciter les parties à recourir à des divorces moins conflictuels, dans l’esprit de la réforme du divorce de 2004. Nous proposons donc que la demande en divorce n’en mentionne pas la cause, sauf lorsqu’il s’agit d’un divorce accepté ou lié à une rupture ancienne. Le fondement du divorce, c’est-à-dire sa cause, ne sera indiqué, au plus tôt, qu’au moment des premières écritures au fond.
Vous le constatez, cette réforme répond aux impératifs de simplification procédurale que je souhaite réellement porter, tout en préservant les avancées d’apaisement qui découlent de la loi de 2004. Cette proposition de réforme consacre le rôle du juge du divorce dans ses missions tant d’écoute des personnes que d’encadrement juridique des séparations. Elle permettra de gagner du temps, tout en respectant les parties concernées.
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour présenter l’amendement n° 248.
M. Thani Mohamed Soilihi. Notre groupe a également voulu rétablir la disposition que vient de défendre Mme la ministre, et qui tend à l’allégement de la procédure de divorce contentieux par la suppression du préalable obligatoire de la conciliation.
Cet amendement participe de la volonté de simplification et d’unification de l’instance civile.
Cette disposition est particulièrement opportune dans un contexte qui voit émerger le nouveau divorce par consentement mutuel, lequel se déroule désormais, hors quelques hypothèses dans lesquelles il existe une demande d’audition d’enfant, en dehors du cadre judiciaire.
Il convient en effet de moderniser le cadre procédural des divorces contentieux afin d’améliorer la lisibilité de la procédure et de réduire les délais de traitement.
Il ne fait guère de doute que la suppression de la tentative de conciliation accélérera la procédure et contribuera à désengorger les tribunaux.
Cette suppression sera compensée par la possibilité d’obtenir du juge le prononcé de mesures provisoires dans le cadre d’une audience qui se tiendra, comme cela vient d’être précisé, si au moins l’une des parties le demande.
La tentative de conciliation, qui retarde l’instance pour les époux, n’a plus beaucoup de sens eu égard au nombre très limité de conciliations réussies. Elle affecte fortement l’activité des greffes civils des juridictions qui ont à gérer un stock important d’ordonnances de non-conciliation en attente de la délivrance de l’assignation.
Mme la présidente. L’amendement n° 278 rectifié, présenté par Mme Costes, MM. Arnell et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin, Menonville, Requier, Roux et Vall, Mmes Laborde et Jouve, MM. Guillaume et Guérini, Mme N. Delattre et MM. Gabouty et Dantec, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le deuxième alinéa de l’article 229-1 du code civil est complété par deux phrases ainsi rédigées : « Lorsque le notaire, informé par l’avocat d’un des époux, prend connaissance de violences intra-familiales passées ou courantes, il saisit le juge des affaires familiales en urgence et suspend le dépôt de la convention. Les parties ne sont pas informées de la saisine de ce juge. »
La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. En France, les violences conjugales constituent l’une des réalités de la vie familiale de plus en plus documentée et combattue.
La mission interministérielle pour la protection des femmes contre la violence et la lutte contre la traite des êtres humains souligne régulièrement l’importance du phénomène. Pour l’année 2016, elle a ainsi relevé que 123 femmes avaient été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint et que quatre cinquièmes des victimes de violences ne déposaient pas de plainte, ce qui porterait leur nombre à près de 500 000 personnes, hommes et femmes.
Les instruments juridiques existants doivent être améliorés. On peut facilement imaginer que les victimes de violences conjugales soient plus particulièrement exposées pendant les séparations ou que ces violences se déclenchent au moment de la demande d’un divorce.
Ainsi, les victimes de violences conjugales peuvent être tentées d’accepter un divorce par consentement mutuel devant notaire par volonté de se prémunir contre ces violences, sans qu’un juge puisse prononcer des mesures provisoires qui les protégeraient.
Il est également probable que l’accord obtenu par la convention leur soit moins favorable qu’une décision de divorce pour faute.
Dans cette perspective, nous proposons de réfléchir à un mécanisme qui pourrait permettre d’alerter un juge de l’existence de telles violences au cours d’un divorce par consentement mutuel, sans risquer d’exposer les victimes à d’éventuelles représailles.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, corapporteur. Sur ces trois amendements, deux sont singuliers, notamment les deux premiers, celui du Gouvernement et celui de notre collègue Mohamed Soilihi.
Finalement, à un problème de temps de procédure, c’est-à-dire de durée de convocation à une audience de conciliation, on apporte une solution simple, qui consiste à supprimer la conciliation ! Et pour mieux justifier cette solution, on dit que le juge n’a rien à voir dans cette affaire, car il n’a, en tout état de cause, pas à s’occuper des raisons du divorce, sa seule tâche se limitant à traiter les conséquences de celui-ci. Bref, « circulez, il n’y a rien à voir » !
Telle n’est pas la conception de la commission des lois. Dans le cas des divorces contentieux, l’audience de conciliation est utile. En effet, c’est souvent le premier moment où ceux qui sont en conflit peuvent se voir et, éventuellement, entamer une discussion. Je ne dis pas que la conciliation aboutit à coup sûr. (M. François Patriat s’exclame.)
Il faut savoir si, à un moment ou à un autre, ceux qui sont en conflit peuvent rencontrer au moins une fois leur juge pour que celui-ci commence à appréhender la situation, entende éventuellement les enfants, pour en mesurer les conséquences. Pour la commission des lois, ce moment-là est utile dans le conflit qui oppose des adultes. Selon nous, le rôle du juge est utile, quelle que soit l’issue du contentieux.
Je comprends que certains voudraient se passer de la conciliation, c’est une position que je respecte. Il est toutefois des cas dans lesquels l’un des époux est toujours sous la pression de l’autre. Je vous le dis très librement et très clairement, mon cher collègue, la présence du magistrat permet d’exercer ce contrôle et d’assurer cette protection, surtout lorsqu’il s’agit de préserver les intérêts des plus vulnérables, notamment les enfants.
Telle est la raison pour laquelle la commission des lois, qui souhaite maintenir le texte qu’elle a voté la semaine dernière, a émis un avis défavorable sur les amendements identiques nos 216 et 248. Sinon, que l’on se donne les moyens de traiter rapidement les convocations en conciliation !
Nous sommes également défavorables à l’amendement n° 278 rectifié puisqu’il prévoit que le notaire, informé par l’avocat de l’un des époux de violences au sein d’un couple qui divorce par consentement mutuel, saisirait le juge aux affaires familiales en urgence. Ce n’est évidemment pas le rôle du notaire ! L’avocat ou un avocat nouveau, s’il n’y avait qu’un seul avocat dans la procédure, est en capacité de saisir le juge rapidement. C’est son travail, cela relève de son devoir de conseil et de sa responsabilité.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 278 rectifié ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Si l’amendement que vous proposez, madame la sénatrice, part d’une intention tout à fait louable, il me semble méconnaître le dispositif du divorce par consentement mutuel sans intervention judiciaire.
L’un des apports majeurs de cette réforme, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2017, est d’avoir prévu que chacun des époux doit avoir son propre avocat pour bénéficier d’un conseil personnalisé et indépendant. L’obligation ainsi créée équilibre vraiment ce nouveau divorce.
Face à des violences conjugales comme celles que vous évoquez, il appartiendra à l’avocat, dans le cadre de son devoir de conseil, de dissuader son client ou sa cliente de recourir au divorce par consentement mutuel.
Cet auxiliaire de justice pourra aussi l’accompagner pour une saisine urgente du juge aux affaires familiales selon la procédure dédiée de l’ordonnance de protection, qui est extrêmement utile, ce qui sera en outre beaucoup plus efficace et rapide qu’une transmission de saisine par le notaire.
De plus, le notaire, officier public et ministériel, vous le savez, est tenu par l’article 40 du code de procédure pénale d’aviser le procureur de la République de tout crime ou délit dont il a connaissance. Dans cette hypothèse, c’est donc le parquet et non le juge aux affaires familiales qui doit être saisi par le notaire.
Compte tenu de ces éléments, je vous propose de retirer votre amendement. Dans le cas contraire, j’émettrai un avis défavorable.
Je voudrais dire deux choses très claires en réponse aux observations de M. le corapporteur à propos de l’évolution que je vous propose de la procédure concernant le divorce.
Le juge conserve son rôle de conciliateur, mais il va l’exercer lors de l’audience sur les mesures provisoires. Je le répète, cette audience, qui sera fixée immédiatement après la saisine, est maintenue, et les parties pourront s’y exprimer. C’est bien le délai entre l’ordonnance de non-conciliation et l’assignation en divorce qui disparaît. Il me semble que ces modifications n’ôtent rien au rôle du juge, qui ne devient pas un observateur totalement extérieur. Il peut intervenir lors de l’audience sur les mesures provisoires, qui est, selon moi, le moment où il est le plus utile.
Je rappelle que le délai entre l’ordonnance de non-conciliation et l’assignation en divorce, en augmentation constante depuis 2010, est de dix mois en 2017. Notre objectif n’est cependant pas de l’ordre de la gestion, nous ne cherchons pas à réduire les délais pour aller plus vite, ce que nous recherchons avant tout, c’est à permettre un apaisement plus rapide des conflits pour les couples.
Mme la présidente. La parole est à M. François Pillet, pour explication de vote.
M. François Pillet. Sur ce point, madame la ministre, je crois quand même qu’il y a une ambiguïté. En effet, depuis que nous avons entamé l’examen de ce texte, on nous a beaucoup parlé de conciliation, de médiation, comme de méthodes destinées à décrisper les conflits entre les parties. Curieusement, au moment où nous abordons le droit de la famille et le traitement d’un conflit matrimonial, vous nous proposez de supprimer la tentative de conciliation ! Je trouve qu’il y a là un traitement assez peu homogène…
De plus, comment les choses se passent-elles dans les faits ? Eh bien, lors de l’audience de tentative de conciliation, le magistrat reçoit les parties séparément, d’abord, et en l’absence de leur conseil. Puis, il les reçoit ensemble, quelquefois en l’absence de leur conseil. À ce moment-là, lors de cette tentative de conciliation dont je conviens qu’elle n’aboutit pas dans la plupart des cas, on peut lui faire des révélations, par exemple sur des faits de violences ou des faits concernant les enfants – je parle du troisième amendement, que je ne m’explique pas.
Supprimer la conciliation, alors que nous sommes dans un domaine où l’on doit à tout prix la rechercher, ne serait-ce que dans l’intérêt des enfants, est complètement contradictoire avec ce qu’on nous a dit depuis le début du débat sur la médiation et sur la conciliation !
J’ajoute d’ailleurs que, s’il y a un délai entre l’ordonnance de non-conciliation, l’assignation et l’instance au fond, cela ne veut pas dire qu’il faut changer le droit parce qu’il serait mauvais, cela signifie seulement qu’il y a un problème d’organisation judiciaire.
C’est la raison pour laquelle, à titre personnel, et sans doute aussi pour des raisons qui tiennent à mon expérience, je considérerais comme une grave régression la suppression de l’audience de conciliation précisément dans un contentieux familial.
M. André Reichardt. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Madame la ministre, en vous entendant à l’instant, j’ai compris que vous ne cherchiez pas seulement à soulager les juges aux affaires familiales. Je vous en donne acte.
Cela étant posé, je veux vous dire qu’il faut complètement revoir votre dossier, parce que la question de la conciliation est fondamentale dans la procédure de divorce.
Vous avez accepté, après avoir auditionné les avocats et magistrats, que le divorce ne soit plus « causé » à l’origine, ce qui provoque un conflit. Au contraire, le fait de ne pas indiquer de motif de divorce, de se contenter d’annoncer son intention de divorcer, ce qui déclenche la convocation devant le juge de l’autre conjoint permet d’apaiser les choses.
La simple indication des mesures provisoires demandées peut être source de conflit. Dès lors que le juge est saisi, l’époux qui ne veut pas divorcer – tel est le cas, sinon le divorce se ferait par consentement mutuel – peut éventuellement consulter un avocat. C’est à ce moment-là que débute un dialogue par avocats interposés.
En outre, vous prévoyez de renvoyer à la procédure ordinaire, puisque vous supprimez l’article 252 du code civil, c’est-à-dire la tentative de conciliation dont l’objectif était de permettre au juge d’essayer de réconcilier les époux pour éviter un divorce. Dans la plupart des cas, la tentative n’aboutit pas, mais c’est une procédure préalable qui permet de fixer les mesures provisoires, c’est-à-dire d’organiser la séparation provisoire du couple dans une situation conflictuelle. S’il n’y a pas de situation conflictuelle, les gens s’organisent sans problème entre eux. Mais, et j’y insiste, dans une situation conflictuelle, il faut bien que le juge puisse intervenir et entendre les parties séparément. Si les professionnels que nous sommes, François Pillet et moi, insistons tant sur ce point, c’est parce que nous connaissons l’importance de ce temps de l’écoute du juge.
Or le schéma procédural indiqué dans l’étude d’impact va faire perdre du temps : on commence par l’assignation, qui donne quinze jours à l’autre époux pour constituer avocat ; puis vient la première audience au cours de laquelle, s’il y a des demandes de mesures provisoires, on renvoie devant le juge aux affaires familiales, qui fixe, comme un juge de la mise en état, les mesures provisoires. Cela prendra plus de temps qu’avec une audience ab initio !
Donc, le vrai sujet, c’est en effet l’engorgement des audiences des juges aux affaires familiales qui, pour certains d’entre eux – tous ne sont pas forcément aptes à ce genre d’activité –, éprouvent peu d’emballement à écouter les gens, alors que c’est fondamental et que cela fait partie de leur métier. J’ai heureusement connu des magistrats qui avaient cette capacité et allaient jusqu’à entendre les enfants – ce qui est aussi prévu par la loi –, et ils le faisaient en prenant du temps.
Croyez-moi, madame la ministre, je peux comprendre ce que vous dites, mais à ce moment-là, il faut tout revoir ! Il faut autoriser les parties à indiquer dans l’assignation qu’elles demandent des mesures provisoires. Il faut aussi que la première audience soit non une audience de mise en état ordinaire, mais devienne tout de suite une audience devant le juge, avec comparution des parties pour fixer les mesures provisoires. Il faut vraiment revoir complètement le processus ! Telles sont les raisons pour lesquelles nous soutiendrons la suppression proposée en commission par nos corapporteurs.
Mme la présidente. Il faut conclure !
M. Jacques Bigot. Même si l’on peut penser que cette phase préalable n’est pas nécessaire, vos propositions vont alourdir les choses plus que vous ne le pensez.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Je voudrais rejoindre nos collègues MM. Pillet et Bigot – j’allais dire nos confrères. Il faut savoir ce qui se passe dans une audience de conciliation – qualification sans doute impropre –, qui est le premier contact entre des époux qui ont engagé, bon gré mal gré, en accord ou pas, une procédure de divorce. Elle permet pour la première fois – la seule, en général – une rencontre avec le juge dans un format très particulier, en cabinet, c’est-à-dire sans le cérémonial de la salle d’audience. Il s’y déroule des rencontres successives et des échanges bilatéraux en l’absence de leurs conseils. Ce que vous avez présenté, madame la garde des sceaux, comme une possibilité doit devenir obligatoire.
Quand un couple divorce dans de mauvaises conditions, il est rare que les deux aient envie de se présenter spontanément. En général, l’un le demande et l’autre n’a pas d’autre choix que de s’exécuter. Ce moment-là est compliqué et douloureux. C’est alors un métier très particulier que d’être juge aux affaires familiales.
Si on supprime ce temps, qui est un temps d’organisation de la vie de la famille ou du couple pendant la procédure de divorce, on privera les familles et les couples de cette possibilité d’organiser au mieux pour chacun le temps difficile de la procédure de divorce. Comme notre collègue Pillet l’a rappelé, c’est un temps qui pose peut-être un problème en termes d’organisation des juridictions, mais c’est un temps qui est nécessaire pour donner un sens à la procédure de divorce. Nous pouvons, si vous le souhaitez, changer le nom de ce que l’on appelle « conciliation » pour le rendre plus adéquat, mais il est très important de conserver ce moment qui permet d’organiser les conséquences de l’introduction de la demande de divorce.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 216 et 248.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Madame Carrère, l’amendement n° 278 rectifié est-il maintenu ?
Mme Maryse Carrère. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 278 rectifié est retiré.
L’article 12 demeure donc supprimé.
Articles additionnels après l’article 12
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 5 rectifié, présenté par MM. Reichardt, Panunzi, H. Leroy, Joyandet, Chaize et D. Laurent, Mme Gruny, M. Rapin, Mme Goy-Chavent, MM. Morisset, Milon et Dallier, Mmes Micouleau et Bruguière, MM. Kennel, del Picchia et Lefèvre, Mmes de Cidrac et Delmont-Koropoulis, M. Mizzon, Mmes A.M. Bertrand et Deroche, MM. B. Fournier, Dufaut, Mayet et Bockel, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Brisson, Huré et Laménie, Mmes Bories et Renaud-Garabedian, MM. Daubresse et Mandelli, Mme Dindar, MM. Henno, Charon, Bizet et Kern, Mmes Lavarde et Lamure, M. Mouiller, Mmes Loisier, Duranton, Vermeillet et M. Mercier, M. Sido, Mmes Lherbier et Malet, M. Karoutchi, Mmes Deseyne et Imbert et MM. Savin, Duplomb et Gremillet, est ainsi libellé :
Après l’article 12
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le code civil est ainsi modifié :
1° Le dernier alinéa de l’article 229-1 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Le principe du divorce est alors acquis de façon irrévocable. » ;
2° Après l’article 229-1, il est inséré un article 229-1-… ainsi rédigé :
« Art. 229-1-… – Par exception à l’article 2224 du code civil, l’action en nullité à l’encontre de la convention de divorce déposée au rang des minutes d’un notaire n’est pas susceptible de remettre en cause le caractère irrévocable du divorce, sauf à démontrer que le consentement au principe du divorce n’a pas été valablement donné. En cas d’annulation de la convention de divorce, les parties ont la faculté de saisir le juge aux affaires familiales pour qu’il se prononce sur les conséquences du divorce. » ;
3° L’article 229-3 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« …° En annexe, l’extrait avec indication de la filiation de chacun des époux, qui ne doit pas dater de plus de trois mois. » ;
4° L’article 1374 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« En contresignant un acte sous seing privé, l’avocat atteste avoir éclairé pleinement la ou les parties sur les conséquences juridiques de cet acte. »
II. – Le 4° bis de l’article L. 111-3 du code des procédures civiles d’exécution est ainsi rédigé :
« 4° bis. – L’original ou la copie certifiée conforme par le notaire de la convention sous signature privée contresignée par avocats, assortie de sa preuve de dépôt au rang des minutes d’un notaire selon les modalités prévues à l’article 229-1 du code civil ; ».
La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Le nouveau divorce par consentement mutuel conventionnel a suscité – et suscite encore – des craintes ou, du moins, des interrogations chez les juristes et praticiens du droit en raison de sa nature hybride et des conséquences concrètes susceptibles d’en découler.
En effet, le contrat n’étant pas homologué par jugement, cette convention de divorce conserve son caractère contractuel, ce qui l’expose à l’ensemble du contentieux relatif au droit des contrats.
À mon sens, il serait nécessaire – utile, en tout état de cause –, mais surtout urgent de sécuriser ce nouveau type de divorce afin d’éviter le développement d’un contentieux nouveau qui serait, à l’évidence, contraire au but de la réforme, lequel était de simplifier le divorce.
Nous proposons, par cet amendement, plusieurs mesures de sécurisation. J’insisterai, faute de temps, sur les points 1° et 2° du paragraphe I, qui ont pour effet de consacrer le caractère divisible de la convention de divorce en conférant formellement un caractère irrévocable au principe du divorce une fois la convention enregistrée, nonobstant, bien entendu, toute action en nullité susceptible de la remettre en cause pour ce qui est des conséquences attachées au divorce.
Mme la présidente. L’amendement n° 6 rectifié, présenté par MM. Reichardt, Panunzi, H. Leroy, Joyandet, Chaize et D. Laurent, Mme Gruny, M. Rapin, Mme Goy-Chavent, MM. Morisset, Milon et Dallier, Mmes Micouleau et Bruguière, MM. Kennel, del Picchia et Lefèvre, Mmes de Cidrac et Delmont-Koropoulis, M. Mizzon, Mmes A.M. Bertrand et Deroche, MM. B. Fournier, Dufaut, Mayet et Bockel, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Brisson, Huré et Laménie, Mmes Bories et Renaud-Garabedian, MM. Daubresse et Mandelli, Mme Dindar, MM. Henno, Charon, Bizet et Kern, Mmes Lavarde et Lamure, M. Mouiller, Mmes Loisier, Duranton, Vermeillet et M. Mercier, M. Sido, Mmes Lherbier et Malet, M. Karoutchi, Mmes Deseyne et Imbert et MM. Savin, Duplomb et Gremillet, est ainsi libellé :
Après l’article 12
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 229-1 du code civil il est inséré un article 229-1-… ainsi rédigé :
« Art. 229-1-… – Par exception à l’article 2224 du code civil, l’action en nullité à l’encontre de la convention de divorce déposée au rang des minutes d’un notaire se prescrit par un an à compter de la date du dépôt. Elle n’est pas susceptible de remettre en cause le caractère irrévocable du divorce, sauf à démontrer que le consentement au principe du divorce n’a pas été valablement donné. En cas d’annulation de la convention de divorce, les parties ont la faculté de saisir le juge aux affaires familiales pour qu’il se prononce sur les conséquences du divorce. »
La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Le divorce par consentement mutuel conventionnel contresigné par avocat est tombé dans le droit des contrats. En l’absence d’une intervention du juge, il est désormais susceptible d’être remis en cause, notamment par le biais d’une action en nullité de droit commun pendant cinq ans à compter du dépôt de la convention au rang des minutes d’un notaire.
Mes chers collègues, cinq ans pour des gens qui ont le sentiment d’être divorcés parce qu’ils ont décidé de le faire, vous conviendrez que c’est long ! Pendant ce délai, les époux divorcés par consentement mutuel conventionnel – divorce, je le répète, non homologué par un juge – peuvent se remarier. Pendant cinq ans, ils peuvent refaire des enfants.
Afin de ne pas troubler ce que j’appelle « l’aura pacifique escomptée », il me paraît nécessaire de sécuriser ce divorce en réduisant le délai de prescription de l’action en nullité à un an au lieu de cinq ans.
Vous l’aurez compris, cet amendement fait logiquement suite à l’amendement précédent sur l’irrévocabilité du divorce nonobstant l’action en nullité, dont j’ai dit qu’elle se prescrirait par une année au lieu de cinq.
Mme la présidente. L’amendement n° 8 rectifié, présenté par MM. Reichardt, Panunzi, H. Leroy, Joyandet, Chaize et D. Laurent, Mme Gruny, M. Rapin, Mme Goy-Chavent, MM. Morisset, Milon et Dallier, Mmes Micouleau et Bruguière, MM. Kennel, del Picchia et Lefèvre, Mmes de Cidrac et Delmont-Koropoulis, M. Mizzon, Mmes A.M. Bertrand et Deroche, MM. B. Fournier, Dufaut, Mayet et Bockel, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Brisson, Huré et Laménie, Mmes Bories et Renaud-Garabedian, MM. Daubresse et Mandelli, Mme Dindar, MM. Henno, Charon, Bizet et Kern, Mmes Lavarde et Lamure, M. Mouiller, Mmes Loisier, Duranton, Vermeillet et M. Mercier, M. Sido, Mmes Lherbier et Malet, M. Karoutchi, Mmes Deseyne et Imbert et MM. Savin et Gremillet, est ainsi libellé :
Après l’article 12
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le code civil est ainsi modifié :
1° Après le paragraphe 2 de la section 1 du chapitre Ier du titre IX du livre Ier, il est inséré un paragraphe 2 bis ainsi rédigé :
« Paragraphe 2 bis : De la convention parentale par acte sous seing privé contresigné par avocat
« Article 373-2-5-1.- En cas d’accord entre les parents sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale et sur la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, ceux-ci, assistés chacun par un avocat, peuvent constater leur accord dans une convention prenant la forme d’un acte sous signature privée contresigné par leurs avocats et établi dans les conditions prévues à l’article 1374.
« Cette convention est déposée au rang des minutes d’un notaire, qui contrôle le respect des exigences formelles prévues aux 1° à 4° de l’article 373-2-5-3. Il s’assure également que le projet de convention n’a pas été signé avant l’expiration du délai de réflexion prévu à l’article 373-2-5-4.
« Ce dépôt donne ses effets à la convention en lui conférant date certaine et force exécutoire.
« Article 373-2-5-2.- Les parents ne peuvent conclure de convention parentale par acte sous signature privée contresigné par avocats lorsque le mineur, informé par ses parents de son droit à être entendu par le juge dans les conditions prévues à l’article 388-1, demande son audition par le juge.
« Article 373-2-5-3.- La convention comporte expressément, à peine de nullité :
« 1° Les nom, prénoms, résidence de chacun des parents, ainsi que les noms prénoms, date et lieu de naissance de chacun de leurs enfants communs ;
« 2° Le nom, l’adresse professionnelle et la structure d’exercice professionnel des avocats chargés d’assister les parents ainsi que le barreau auquel ils sont inscrits ;
« 3° La mention de l’accord des parents sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale et la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant dans les termes énoncés par la convention ;
« 4° La mention que le mineur a été informé par ses parents de son droit à être entendu par le juge dans les conditions prévues à l’article 388-1 et qu’il ne souhaite pas faire usage de cette faculté.
« Article 373-2-5-4.- L’avocat adresse au parent qu’il assiste, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, un projet de convention, qui ne peut être signé, à peine de nullité, avant l’expiration d’un délai de réflexion d’une durée de quinze jours à compter de la réception.
« La convention a force exécutoire au jour où elle acquiert date certaine. » ;
2° Au deuxième alinéa de l’article 373-2-2, les mots : « convention homologuée visée à l’article 373-2-7 » sont remplacés par les mots : « convention prenant la forme d’un acte sous signature privée contresigné par avocats visée à l’article 373-2-5-1 » ;
3° À l’article 373-2-3, les mots : « convention homologuée » sont remplacés par les mots : « convention prenant la forme d’un acte sous signature privée contresigné par avocats » ;
4° L’article 373-2-7 est abrogé ;
5° À l’article 373-2-8, le mot : « également » est supprimé ;
6° À l’article 373-2-13, les mots : « de divorce par consentement mutuel » sont supprimés.
II. – Le 4° bis de l’article L. 111-3 du code des procédures civiles d’exécution est ainsi rédigé :
« 4° bis. – L’original ou la copie certifiée conforme par le notaire de la convention sous signature privée contresignée par avocats, assortie de sa preuve de dépôt au rang des minutes d’un notaire selon les modalités prévues à l’article 229-1 ou 373-2-5-1 du code civil ; ».
La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Nous allons plus loin dans l’argumentation que j’essaie de vous faire partager.
Afin d’encourager les parents séparés ou divorcés à organiser les conséquences de leur séparation à l’égard de leurs enfants de manière négociée et discutée – et ce, toujours pour simplifier en amont de toute intervention judiciaire –, cet amendement vise à étendre le schéma procédural du divorce par consentement mutuel contresigné par avocat et déposé au rang des minutes d’un notaire aux conventions régissant les modalités d’exercice de l’autorité parentale par des parents séparés.
Dès lors, les points 1° à 6° du paragraphe I tendent à confier aux avocats un rôle de conciliateur et à permettre aux parties de tenter de trouver un accord amiable quant aux conséquences de leur séparation à l’égard de leurs enfants avant d’envisager, le cas échéant, l’intervention du juge à défaut du consensus. J’insiste : le juge interviendrait toujours à défaut de consensus.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, corapporteur. J’émets, au nom de la commission, un avis défavorable sur l’amendement n° 5 rectifié, qui vise à modifier les règles applicables à la procédure de divorce par consentement mutuel sans juge, procédure créée par les dispositions de la loi de 2016, dite loi de modernisation de la justice du XXIe siècle.
Sur l’opportunité des modifications proposées, nous tenons à souligner que, si des critiques ont pu s’élever concernant le principe de la déjudiciarisation de ce mode de divorce au regard de la protection de la partie la plus faible et des enfants, nous n’avons, pour l’instant, été saisis d’aucune difficulté liée à l’application du droit commun des contrats à ces conventions de divorce. Il serait utile, avant d’envisager de les modifier, de tirer un premier bilan de la mise en œuvre de cette nouvelle procédure pour pointer d’éventuels dysfonctionnements.
Sur le fond, ce nouveau divorce repose sur un acte sous signature privée contresigné par avocats et déposé au rang des minutes d’un notaire.
Si le dépôt confère date certaine et force exécutoire à la convention, le notaire ne fait que constater le divorce. Il ne le prononce pas, comme le faisait le juge. C’est bien l’accord des époux, inscrit dans la convention, qui réalise le divorce. Dès lors, faut-il vraiment, comme le proposent les auteurs de l’amendement, rendre « irrévocable », car telle est la qualification retenue, le principe du divorce qui repose sur ce simple accord ?
Enfin, concernant l’annexion des extraits d’actes de naissance à la convention de divorce pour contrôler si l’un des époux a fait l’objet d’une mesure de protection, elle fait déjà partie des vérifications auxquelles sont tenus les avocats, puisque les majeurs sous mesure de protection ne peuvent pas recourir au divorce par consentement mutuel sans juge.
Les avocats, dès lors qu’ils agissent au nom et pour le compte de leurs clients, peuvent, au même titre que les notaires, avoir accès aux copies intégrales d’actes d’état civil de ces derniers. Cette demande peut même être dématérialisée.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission est défavorable à l’amendement n° 5 rectifié.
J’en viens à l’amendement n° 6 rectifié, qui concerne le délai de prescription d’un an des actions en nullité dirigées contre les conventions de divorce par consentement mutuel que nous venons d’évoquer.
En application du droit commun, ce délai est aujourd’hui de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu, ou aurait dû connaître, les faits lui permettant d’agir.
Les auteurs de l’amendement proposent donc un changement considérable de nos règles de prescription. Or nous ne sommes pas en mesure de nous assurer que ce changement préserverait l’équilibre entre les différents intérêts à protéger.
Ne risque-t-on pas – la commission s’est d’ailleurs posé la question – d’avoir un divorce judiciaire très protecteur des intérêts des parties – notamment des parties les plus faibles – grâce au contrôle du juge et, inversement, d’avoir un divorce par consentement mutuel très peu protecteur, puisque sans contrôle du magistrat et attaquable seulement dans un délai d’un an ? La commission est donc défavorable à cette proposition.
Enfin, l’amendement n° 8 rectifié vise à étendre le schéma procédural du divorce par consentement mutuel déjudiciarisé, c’est-à-dire le recours à cet acte sous seing privé contresigné par avocats déposé au rang des minutes d’un notaire, aux décisions relatives à l’exercice de l’autorité parentale par des parents séparés.
Cette extension est très importante, puisque l’ensemble de ces mesures seraient alors, elles aussi, soustraites au contrôle du magistrat. Le Sénat s’était opposé à la déjudiciarisation du divorce. Aujourd’hui, en la matière, en présence d’enfants mineurs, il n’est pas favorable à une telle proposition.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je ne vais pas reprendre les éléments qui viennent d’être exposés par M. le rapporteur et que je partage globalement.
Je voudrais simplement dire ici que les évolutions que vous proposez relatives au divorce par consentement mutuel sans juge forment un sujet à elles seules. Ce sujet mériterait sans aucun doute, à partir du travail et des très intéressantes propositions que vous avez formulées, qu’un premier bilan soit tiré de l’application d’une loi somme toute assez récente. Vous pourriez ainsi ensuite enrichir le travail que vous avez commencé à conduire.
J’émets un avis défavorable sur ces trois amendements, à moins que vous n’acceptiez, monsieur le sénateur, de les retirer.
Mme la présidente. Monsieur Reichardt, les amendements nos 5 rectifié, 6 rectifié et 8 rectifié sont-ils maintenus ?
M. André Reichardt. Pour avoir déjà eu des discussions en amont sur ce sujet avec les services, notamment ceux de la Chancellerie, j’ai bien compris que ces propositions, qui forment un tout, mériteraient à tout le moins un retour sur l’exécution de la loi pour voir si elle suscite ou non des difficultés.
À titre personnel, j’aurais volontiers décidé de retirer ces amendements, mais, compte tenu de l’importance du nombre des collègues cosignataires qui ne sont pas présents et qui m’ont déjà demandé de les maintenir, je vais respecter ce souhait. Vous l’avez compris, je forme le vœu que, si cette réflexion devait prospérer, on puisse en discuter à l’Assemblée nationale. Le Gouvernement pourrait alors faire valoir, le cas échéant, le retour d’expérience dont vous-même et le corapporteur avez fait état.
Mme la présidente. L’amendement n° 7 rectifié, présenté par MM. Reichardt, Panunzi, H. Leroy, Joyandet, Chaize et D. Laurent, Mme Gruny, M. Rapin, Mme Goy-Chavent, MM. Morisset, Milon et Dallier, Mmes Micouleau et Bruguière, MM. Kennel, del Picchia et Lefèvre, Mmes de Cidrac et Delmont-Koropoulis, M. Mizzon, Mmes A.M. Bertrand et Deroche, MM. B. Fournier, Dufaut, Mayet et Bockel, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Brisson, Huré et Laménie, Mmes Bories et Renaud-Garabedian, MM. Daubresse et Mandelli, Mme Dindar, MM. Henno, Charon, Bizet et Kern, Mmes Lavarde et Lamure, M. Mouiller, Mmes Loisier, Duranton, Vermeillet et M. Mercier, M. Sido, Mmes Lherbier, Malet, Deseyne et Imbert et MM. Savin et Gremillet, est ainsi libellé :
Après l’article 12
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code civil est ainsi modifié :
1° À l’article 296, le mot : « judiciaire » est supprimé ;
2° À l’article 298, la référence : « l’article 228 » est remplacée par les références : « aux articles 229-1 à 229-4 » ;
3° À l’article 300, après le mot : « Toutefois, », sont insérés les mots : « la convention de séparation de corps par acte sous signature privée contresigné par avocats, » ;
4° À l’article 301, les mots : « Lorsque la séparation de corps est prononcée », sont remplacés par les mots : « En cas de séparation de corps » ;
5° Au premier alinéa de l’article 303, après les mots : « le devoir de secours ; » sont insérés les mots : « la convention qui la constate, » ;
6° Le deuxième alinéa de l’article 307 est ainsi rédigé :
« En cas de séparation de corps par consentement mutuel, la conversion en divorce ne peut intervenir que par consentement mutuel. »
La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Si je vais, cette fois, insister sur cet amendement, c’est parce que, depuis l’introduction du divorce par consentement mutuel conventionnel, il est désormais plus facile de procéder à un divorce qu’à une simple séparation de corps.
Cet amendement vise donc, dans un souci de cohérence et d’harmonisation, à déjudiciariser la procédure de séparation de corps, à l’instar de ce qui s’est fait pour le divorce.
Les points 1° à 6° de cet amendement visent ainsi à étendre à la séparation de corps par consentement mutuel le schéma procédural du divorce par consentement mutuel, contresigné par avocats et déposé au rang des minutes d’un notaire.
Qui peut le plus peut le moins ! À l’heure actuelle, il y a encore des séparations de corps. Pourquoi ces dernières seraient-elles plus compliquées que le divorce par consentement mutuel conventionnel ? Cela paraît difficile à expliquer ! J’attends les arguments des uns et des autres, qui auront du mal, je l’avoue, à me convaincre.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, corapporteur. Notre collègue devrait être convaincu par l’avis de la commission, qui a émis un avis de sagesse positive. Toutefois, il faudra, au cours de la navette, obtenir des précisions sur les conséquences de l’adoption de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet amendement est quelque peu différent du bloc précédent. Il répond à un oubli, puisque les dispositions proposées auraient dû figurer d’emblée dans la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, qui a déjudiciarisé le divorce par consentement mutuel. La séparation de corps est aujourd’hui utilisée de manière très résiduelle, puisque seulement 800 à 1 000 séparations sont prononcées chaque année.
Dans ces conditions, le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. La séparation de corps est effectivement une procédure résiduelle. On disait jadis qu’elle était le divorce des catholiques, qui ne pouvaient pas divorcer. En dehors de la question religieuse, elle peut éventuellement s’appliquer dans le cadre d’une fin de vie. Faut-il permettre que la convention soit établie sur le modèle d’une convention de divorce ? Je n’en sais rien !
Quoi qu’il en soit, l’adoption de cet amendement me paraît dangereuse. Il convient en effet de se méfier énormément du dernier alinéa, aux termes duquel « en cas de séparation de corps par consentement mutuel, la conversion en divorce ne peut intervenir que par consentement mutuel ». On enferme ainsi les époux. Supposez qu’il y ait ensuite une procédure de divorce contentieuse, si l’un des époux, après un temps de séparation de corps, considère qu’il veut refaire sa vie.
Une telle situation me paraît donc extrêmement dangereuse. Pour ce motif, je ne soutiendrai pas cet amendement, tout en estimant qu’il doit être soumis à la réflexion et à la sagesse, s’il y en a une, de l’Assemblée nationale…
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 12.
Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 9 rectifié est présenté par MM. Reichardt, Panunzi, H. Leroy, Joyandet, Chaize et D. Laurent, Mme Gruny, M. Rapin, Mme Goy-Chavent, MM. Morisset, Milon et Dallier, Mmes Micouleau et Bruguière, MM. Kennel, del Picchia et Lefèvre, Mmes de Cidrac et Delmont-Koropoulis, M. Mizzon, Mmes A.M. Bertrand et Deroche, MM. B. Fournier, Dufaut, Mayet et Bockel, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Brisson, Huré et Laménie, Mmes Bories et Renaud-Garabedian, MM. Daubresse et Mandelli, Mme Dindar, MM. Henno, Charon, Bizet et Kern, Mmes Lavarde et Lamure, M. Mouiller, Mmes Loisier, Duranton, Vermeillet et M. Mercier, M. Sido, Mmes Lherbier et Malet, M. Karoutchi, Mmes Deseyne et Imbert et MM. Savin, Duplomb et Gremillet.
L’amendement n° 51 rectifié ter est présenté par Mme M. Jourda, MM. Allizard, Babary, Bascher et Bazin, Mme Berthet, MM. Bonhomme, Bonne et Bouchet, Mme Boulay-Espéronnier, MM. J.M. Boyer, Calvet et Cambon, Mme Canayer, M. Cardoux, Mme Chain-Larché, M. Chatillon, Mme Chauvin, MM. Chevrollier et Danesi, Mme L. Darcos, M. Dériot, Mmes Deromedi, Di Folco et Dumas, M. Émorine, Mme Estrosi Sassone, MM. Frassa et Genest, Mme F. Gerbaud, M. Gilles, Mme Giudicelli, MM. Grand, Grosperrin, Guené, Houpert, Hugonet et Husson, Mmes Lanfranchi Dorgal et Lassarade, MM. de Legge et Magras, Mme Morhet-Richaud, MM. de Nicolaÿ, Nougein, Paul, Pellevat, Pemezec, Perrin, Piednoir, Pierre, Pillet et Poniatowski, Mme Primas, M. Priou, Mme Raimond-Pavero, MM. Raison, Retailleau, Revet, Savary, Schmitz, Segouin et Sol, Mmes Thomas et Troendlé et MM. Vogel, Vaspart, Laufoaulu, Le Gleut et Paccaud.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 12
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le deuxième alinéa de l’article 1175 du code civil est complété par les mots : « , sauf les conventions sous signature privée contresignées par avocats et déposées au rang des minutes d’un notaire selon les modalités prévues aux articles 229-1 à 229-4, 298 ou 375-2-5-1 ; ».
La parole est à M. André Reichardt, pour présenter l’amendement n° 9 rectifié.
M. André Reichardt. Dans sa rédaction actuelle, l’article 1175 du code civil interdit de signer électroniquement les actes sous signature privée relatifs au droit de la famille et aux successions.
Cet amendement vise à ouvrir une exception à ce principe s’agissant des conventions sous signature privée contresignées par avocats et déposées au rang des minutes d’un notaire, selon les modalités prévues aux articles 229-1 à 229-4, 298 ou 375-2-5-1 du code civil.
Mme la présidente. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour présenter l’amendement n° 51 rectifié ter.
Mme Muriel Jourda. Cet amendement est identique au précédent.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, corapporteur. La commission est favorable à ces deux amendements identiques.
Néanmoins, il convient de les rectifier légèrement, en supprimant la référence à l’article 375-2-5-1 du code civil, afin de tenir compte du rejet de l’amendement n° 8 rectifié.
Mme la présidente. Monsieur Reichardt, acceptez-vous de modifier l’amendement n° 9 rectifié dans le sens proposé par M. le corapporteur ?
M. André Reichardt. Je rectifie l’amendement en ce sens, madame la présidente.
Mme la présidente. Madame Jourda, acceptez-vous de modifier l’amendement n° 51 rectifié ter dans le sens proposé par M. le corapporteur ?
Mme Muriel Jourda. Je rectifie également mon amendement.
Mme la présidente. Je suis donc saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 9 rectifié bis est présenté par MM. Reichardt, Panunzi, H. Leroy, Joyandet, Chaize et D. Laurent, Mme Gruny, M. Rapin, Mme Goy-Chavent, MM. Morisset, Milon et Dallier, Mmes Micouleau et Bruguière, MM. Kennel, del Picchia et Lefèvre, Mmes de Cidrac et Delmont-Koropoulis, M. Mizzon, Mmes A.M. Bertrand et Deroche, MM. B. Fournier, Dufaut, Mayet et Bockel, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Brisson, Huré et Laménie, Mmes Bories et Renaud-Garabedian, MM. Daubresse et Mandelli, Mme Dindar, MM. Henno, Charon, Bizet et Kern, Mmes Lavarde et Lamure, M. Mouiller, Mmes Loisier, Duranton, Vermeillet et M. Mercier, M. Sido, Mmes Lherbier et Malet, M. Karoutchi, Mmes Deseyne et Imbert et MM. Savin, Duplomb et Gremillet.
L’amendement n° 51 rectifié quater est présenté par Mme M. Jourda, MM. Allizard, Babary, Bascher et Bazin, Mme Berthet, MM. Bonhomme, Bonne et Bouchet, Mme Boulay-Espéronnier, MM. J.M. Boyer, Calvet et Cambon, Mme Canayer, M. Cardoux, Mme Chain-Larché, M. Chatillon, Mme Chauvin, MM. Chevrollier et Danesi, Mme L. Darcos, M. Dériot, Mmes Deromedi, Di Folco et Dumas, M. Émorine, Mme Estrosi Sassone, MM. Frassa et Genest, Mme F. Gerbaud, M. Gilles, Mme Giudicelli, MM. Grand, Grosperrin, Guené, Houpert, Hugonet et Husson, Mmes Lanfranchi Dorgal et Lassarade, MM. de Legge et Magras, Mme Morhet-Richaud, MM. de Nicolaÿ, Nougein, Paul, Pellevat, Pemezec, Perrin, Piednoir, Pierre, Pillet et Poniatowski, Mme Primas, M. Priou, Mme Raimond-Pavero, MM. Raison, Retailleau, Revet, Savary, Schmitz, Segouin et Sol, Mmes Thomas et Troendlé et MM. Vogel, Vaspart, Laufoaulu, Le Gleut et Paccaud.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 12
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le deuxième alinéa de l’article 1175 du code civil est complété par les mots : «, sauf les conventions sous signature privée contresignées par avocats et déposées au rang des minutes d’un notaire selon les modalités prévues aux articles 229-1 à 229-4 ou à l’article 298 ; ».
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je crains de semer une certaine perturbation en demandant le retrait de ces amendements.
Bien évidemment, votre proposition peut sembler extrêmement tentante à l’ère du numérique, surtout pour moi qui vous propose de numériser très largement notre système judiciaire. Toutefois, gardons à l’esprit qu’il s’agit là de divorces, qui sont des actes d’importance majeure et éminemment personnels.
Ces amendements concernent les divorces par consentement mutuel et non pas les divorces judiciaires. La convention qui les acte doit être signée par les époux et leurs avocats ensemble. Ce rendez-vous commun, où chacun est présent, me semble fondamental pour s’assurer du consentement de tous, au même moment, à l’intégralité des dispositions de la convention.
Le recours à la signature électronique permettrait, me semble-t-il, que le divorce intervienne sans que les parties se rencontrent, alors qu’il s’agit d’un consentement mutuel que nous cherchons à acter. En outre, la présence des époux permet aux avocats de s’assurer de l’identité des signataires, ce qui est indispensable s’agissant d’un acte qui touche à l’état des personnes.
Pour toutes ces raisons, le recours à l’acte électronique en matière familiale me paraît peu souhaitable. Je reste attachée à ce que, en cette matière qui touche à l’intime des familles, le progrès numérique ne conduise pas à une forme de déshumanisation des séparations.
Je nourris ainsi quelques hésitations sur ces amendements. Je souhaiterais donc que vous en proposiez le retrait.
Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.
M. André Reichardt. Une nouvelle fois, je suis assez sensible aux arguments que vous développez, madame la ministre.
Toutefois, eu égard aux très nombreux signataires de l’amendement n° 9 rectifié ter, que je n’ai pas pu consulter, je ne le retire pas, ce dont je vous prie de m’excuser. Je suis au demeurant persuadé que vous saurez entendre les sages avis de nos collègues députés.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 9 rectifié bis et 51 rectifié quater.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 12.
Article 13
La section 1 du chapitre II du titre Ier du livre II du code de l’organisation judiciaire est complétée par des articles L. 212-5-1 et L. 212-5-2 ainsi rédigés :
« Art. L. 212-5-1. – Devant le tribunal de grande instance, la procédure peut, à l’initiative des parties lorsqu’elles en sont expressément d’accord, se dérouler sans audience. En ce cas, elle est exclusivement écrite.
« Toutefois, le tribunal peut décider de tenir une audience s’il estime qu’il n’est pas possible de rendre une décision au regard des preuves écrites ou si l’une des parties en fait la demande.
« Art. L. 212-5-2. – Les demandes formées devant le tribunal de grande instance en paiement d’une somme n’excédant pas un montant défini par décret en Conseil d’État peuvent, à l’initiative des parties lorsqu’elles en sont expressément d’accord, être traitées dans le cadre d’une procédure dématérialisée. Dans ce cas, la procédure se déroule sans audience.
« Toutefois, le tribunal peut décider de tenir une audience s’il estime qu’il n’est pas possible de rendre une décision au regard des preuves écrites ou si l’une des parties en fait la demande. »
Mme la présidente. L’amendement n° 20 rectifié, présenté par Mmes Assassi, Benbassa et Apourceau-Poly, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et M. Savoldelli, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. L’article 13 du projet de loi prévoit que, devant le tribunal de grande instance, la procédure peut, avec l’accord exprès des parties, se dérouler sans audience, et donc exclusivement par voie écrite.
Corrélée au sort réservé au tribunal d’instance par le projet de loi organique, cette disposition vise l’ensemble des procédures, quel que soit le montant impacté.
Cela porte gravement atteinte au principe de l’oralité des débats, qui pourraient, pour des raisons « pratiques », progressivement disparaître.
L’argument principal souvent invoqué pour justifier ce passage à une procédure exclusivement écrite est la contrainte que représenterait la compétence territoriale – contrainte pour les parties.
Or cet argument se heurte à deux impasses.
Tout d’abord, la mise en place du service d’accueil unique du justiciable, le SAUJ, et l’extension de son périmètre d’intervention à l’ensemble du territoire national devraient permettre de déposer la requête dans n’importe quel tribunal, à charge pour l’institution de la transmettre à la juridiction territorialement compétente. Il serait donc opportun d’attendre la mise en place de ce dispositif et d’en mesurer ses effets.
Ensuite, l’importance de l’audience est négligée : pour reformuler les demandes des parties, tenter de les concilier et aboutir à une solution judiciairement acceptée, le cadre de la procédure orale est parfaitement adapté et son maintien paraît plus que souhaitable.
Par ailleurs, ce même article prévoit que les demandes formées devant le tribunal de grande instance en paiement d’une somme n’excédant pas un montant défini en Conseil d’État peuvent, avec l’accord des parties, être traitées dans le cadre d’une procédure dématérialisée. Dans ce cas, la procédure se déroule sans audience.
Aux termes du texte, le tribunal pourra toutefois décider de tenir une audience si les preuves écrites ne sont pas suffisantes ou à la demande des parties. Mais s’il estime qu’une audience n’est pas nécessaire, le tribunal pourra rejeter la demande d’audience d’une des parties par décision spécialement motivée.
Ces dispositions sont contestables, qu’il s’agisse de l’instauration d’une saisine et d’une procédure intégralement dématérialisées pour les parties ou de la disparition progressive de l’audience et de l’oralité de la procédure.
Ces nouvelles mesures portent gravement atteinte au droit au procès équitable des justiciables et à notre modèle juridictionnel.
Telles sont les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, nous vous demandons d’adopter cet amendement de suppression de l’article 13.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, corapporteur. Cet amendement vise à supprimer l’article 13, qui institue une procédure sans audience devant le tribunal de grande instance, ainsi qu’une procédure identique dématérialisée pour les litiges de faible montant.
Nous avons apporté des garanties en commission, notamment la possibilité pour les parties de revenir à la procédure ordinaire si elles estiment finalement que le dossier soulève des difficultés.
Dans ces conditions, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. La création de procédures sans audience répond à nos yeux à la nécessité d’adapter l’offre de justice à la demande des justiciables, lesquels, je le rappelle, devront y consentir expressément. Cela sera possible dans deux hypothèses distinctes.
De manière générale, devant le tribunal de grande instance, les parties pourront renoncer à l’audience. Je rappelle que tel est déjà le cas lorsque, dans le cadre de la procédure contentieuse ordinaire, les avocats remettent leur dossier au tribunal. C’est également possible lorsque, devant le tribunal d’instance, le juge autorise les parties qui ont comparu à une audience précédente à ne pas se présenter de nouveau.
Le projet de loi tend donc à généraliser une telle possibilité, si les parties le souhaitent.
Par ailleurs, les parties qui ont recours à la procédure dématérialisée de traitement des petits litiges accepteront ab initio de se placer dans une procédure sans audience. Pour ces dernières, il faut le reconnaître, le dispositif est un peu plus contraignant, puisqu’elles acceptent ab initio.
Dans les deux cas, le texte qui vous est soumis permet au tribunal de tenir une audience s’il estime qu’il n’est pas possible de rendre une décision au regard des preuves fournies, par exemple pour procéder à l’audition des parties ou à une vérification d’écriture, ou bien si une partie en fait la demande. Dans ce dernier cas, le juge a le pouvoir de refuser la tenue d’une audience qui lui paraîtrait inutile, mais cette décision, spécialement motivée, sera susceptible de recours. Les principes fondamentaux du procès sont donc respectés. Le juge reste garant du contradictoire et de l’équité de la procédure.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 279 rectifié, présenté par Mme Costes, MM. Arnell et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin, Gabouty, Guérini et Guillaume, Mmes Jouve et Laborde et MM. Menonville, Requier, Roux, Vall et Dantec, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Toutefois, le tribunal peut décider de tenir une audience s’il estime qu’il n’est pas possible de prendre une décision au regard des preuves écrites produites. Si l’une des parties en fait explicitement la demande, il tient une audience.
La parole est à Mme Josiane Costes.
Mme Josiane Costes. Le présent amendement vise à permettre à l’une des parties ayant donné son accord pour l’instruction d’une requête par une procédure écrite d’obtenir effectivement la tenue d’une audience, si la nécessité apparaît en cours de procédure.
La rédaction actuelle prévoit que le juge « peut décider de tenir une audience […] si l’une des parties en fait la demande ». Le juge a donc la possibilité de refuser.
Pour éviter une telle hypothèse, il est proposé une nouvelle rédaction, moins ambiguë, prévoyant que « si l’une des parties en fait explicitement la demande, il tient une audience. »
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, corapporteur. Il me semble que cet amendement est d’ores et déjà satisfait par la rédaction actuelle.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 281 rectifié, présenté par Mme Costes, MM. Arnell et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Collin, Gabouty, Guérini et Guillaume, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier, Roux, Vall et Dantec, est ainsi libellé :
Alinéa 4, première phrase
Remplacer les mots :
d’une somme n’excédant pas un montant défini par le Conseil d’État
par les mots :
d’une créance dont l’existence ou l’ordre de grandeur n’est pas contestée par l’une des parties
La parole est à Mme Josiane Costes.
Mme Josiane Costes. L’article 13 prévoit de réserver la possibilité de recourir à une procédure sans audience aux demandes en paiement d’une certaine somme. Nous considérons que l’audience possède non pas uniquement une utilité procédurale, mais également une utilité sociale, puisque le justiciable y obtient la résolution d’un litige par un juge représentant la République.
Pour de nombreux justiciables, le sentiment d’avoir été entendus contribue au sentiment de justice, y compris lorsque la décision finale leur est défavorable. L’audience peut permettre aux magistrats de préparer le requérant à leur décision. C’est pourquoi nous considérons qu’il serait malvenu de raisonner à partir d’un seuil objectif pour déterminer le champ de la procédure écrite en la matière. Il serait préférable de fixer ce seuil en fonction du degré de conflictualité du litige.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, corapporteur. Cet amendement vise à substituer la mention du seuil défini par décret en Conseil d’État, par celle d’une « créance dont l’existence ou l’ordre de grandeur n’est pas contestée par l’une des parties ». Un tel critère nous paraît trop flou, le seuil fixé par décret nous semblant préférable.
La commission demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, elle se verra contrainte d’émettre un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 282 rectifié, présenté par Mme Costes, MM. Arnell et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin, Gabouty, Guérini et Guillaume, Mmes Jouve et Laborde et MM. Menonville, Requier, Roux, Vall et Dantec, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Toutefois, le tribunal peut décider de tenir une audience s’il estime qu’il n’est pas possible de prendre une décision au regard des preuves écrites produites. Si l’une des parties en fait explicitement la demande, il tient une audience. »
La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Cet amendement de précision vise le même objectif que l’amendement n° 279 rectifié, que nous avons examiné précédemment.
Mme la présidente. L’amendement n° 217, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :
Le tribunal peut, par décision spécialement motivée, rejeter cette demande s’il estime que, compte tenu des circonstances de l’espèce, une audience n’est pas nécessaire pour garantir le déroulement équitable de la procédure. Le refus de tenir une audience ne peut être contesté indépendamment du jugement sur le fond.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Par cet amendement, il s’agit de rétablir la possibilité pour le tribunal, dans le cadre de la procédure de traitement dématérialisée des petits litiges, de refuser de tenir une audience.
La commission des lois a complété l’article 13 du projet de loi, en précisant que, devant le tribunal de grande instance, le juge devait conserver la possibilité de tenir une audience alors que les parties étaient expressément d’accord pour que la procédure se déroule sans audience.
Il convient en effet de préserver ce pouvoir du juge, gardien du procès équitable. Toutefois, dans la procédure de traitement dématérialisée des petits litiges, le Gouvernement souhaite rétablir la possibilité pour le tribunal de refuser de tenir une audience, lorsque cette demande émane de l’une des parties et que le juge estime que celle-ci n’est pas nécessaire pour garantir le déroulement équitable de la procédure.
Je vous le rappelle, le Président de la République annonçait, dans son programme pour la justice, « la création d’une procédure simple, exclusivement numérique et rapide pour le règlement des litiges de la vie quotidienne ». Il prévoyait qu’elle s’appliquerait à tous les litiges civils inférieurs à 4 000 euros, qu’il s’agisse des conflits de voisinage, de la consommation, d’injonctions de payer ou de faire, et qu’une décision judiciaire serait rendue dans les deux mois, à défaut de conciliation.
Cette proposition du Président de la République figure également dans le rapport issu des chantiers de la justice consacré à la procédure civile, que m’ont rendu Mme Agostini et M. le professeur Molfessis, pour l’amélioration et la simplification de la procédure civile.
L’objectif poursuivi est également de transposer en droit interne une procédure issue d’un règlement européen instituant une procédure de règlement des petits litiges transfrontaliers. Il s’agit d’un règlement de 2007, modifié le 16 décembre 2015.
Les justiciables pourront ainsi obtenir une décision dans un délai raccourci, grâce à des échanges s’effectuant de manière complètement dématérialisée via le portail de la justice. Je tiens ici à vous rassurer, il ne s’agit pas de tenir les parties à distance du juge : la procédure dématérialisée pourra constituer un véritable progrès pour un certain nombre de parties qui se verront déchargées de l’obligation de comparaître. Par exemple, un étudiant ayant effectué ses études à Paris alors qu’il habite à Rennes et qui ne pourrait pas récupérer sa caution se verrait ainsi dispensé de l’obligation de venir à une audience à Paris.
Bien évidemment, cette procédure n’évite pas la nécessité d’un aménagement, au cas où, en cours de procès, une partie souhaiterait faire valoir sa cause devant le juge, notamment au vu des pièces produites par son adversaire.
Toutefois, on peut imaginer des hypothèses où l’audience sera manifestement inutile ou bien s’analysera en une demande dilatoire, à l’issue de la procédure dématérialisée.
Enfin, le refus du juge de tenir une audience pourra, avec la décision rendue au fond, faire l’objet d’un recours. Je crois qu’il faut faire confiance au juge. Gageons qu’il ne refusera pas une audience. S’il le fait, c’est que celle-ci lui apparaîtra manifestement inutile.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, corapporteur. L’amendement n° 282 rectifié est d’ores et déjà satisfait par l’alinéa 5 de l’article. La commission en demande donc le retrait ; à défaut, elle se verra contrainte d’émettre un avis défavorable.
S’agissant de l’amendement n° 217 du Gouvernement, qui tend à rétablir la faculté du tribunal de refuser de tenir une audience, nous comprenons la position du Gouvernement, mais nous souhaitons maintenir la garantie aux termes de laquelle le juge ou l’une des parties pourra décider de revenir à la procédure ordinaire. La commission est donc défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 282 rectifié ?
Mme la présidente. L’amendement n° 282 rectifié est-il maintenu, madame Carrère ?
Mme Maryse Carrère. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 282 rectifié est retiré.
La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote sur l’amendement n° 217.
M. Jacques Bigot. J’étais globalement favorable à la rectification apportée par MM. les corapporteurs, mais je suis sensible, madame la ministre, à ce que vous dites sur les petits litiges, notamment les conflits de voisinage, et à l’obligation, pour l’une des parties, de se déplacer. En l’état, je voterai donc l’amendement n° 217.
Mais sans doute y a-t-il une autre réflexion à mener. Pourquoi ne pas permettre au juge de laisser l’une des parties comparaître, tout en en dispensant l’autre partie, notamment devant le tribunal de grande instance statuant dans les matières qui relevaient jadis du tribunal d’instance ? Une telle possibilité relève d’une simple disposition réglementaire. Cela permettrait à l’étudiant dont vous avez donné l’exemple, madame la ministre, de ne pas se déplacer, tandis que le propriétaire pourrait comparaître, pour expliquer, documents à l’appui, les travaux qu’il a dû entreprendre.
Je soumets cette idée à votre réflexion, madame la ministre. Quoi qu’il en soit, je voterai cet amendement, qui peut effectivement avoir du sens s’agissant des très petits litiges.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous avons examiné 75 amendements au cours de la journée ; il en reste 240.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
8
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 10 octobre 2018, à quatorze heures trente et le soir :
Désignation des trente-sept membres de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (procédure accélérée) (n° 9, 2018‑2019) et des trente-sept membres de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi portant suppression de surtranspositions de directives européennes en droit français (procédure accélérée) (n° 10, 2018‑2019).
Sous réserve de sa transmission, désignation des trente-sept membres de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises.
Suite du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (procédure accélérée) (n° 463, 2017-2018) et projet de loi organique relatif au renforcement de l’organisation des juridictions (procédure accélérée) (n° 462, 2017-2018) ;
Rapport n° 11 (2018-2019) de MM. François-Noël Buffet et Yves Détraigne, fait au nom de la commission des lois ;
Textes de la commission (nos 12 et 13, 2018-2019).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante-cinq.)
nomination d’un membre d’un office parlementaire
Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Laure Darcos est membre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, en remplacement de Mme Fabienne Keller.
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD