Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.
Mme Viviane Artigalas. Madame la secrétaire d’État, vous n’avez pas complètement répondu à ma question, et même pas du tout. Je vous posais, plus globalement, la question de la commande publique. Vous aviez déjà un peu répondu tout à l’heure, mais je pense vraiment – vous l’avez dit – que vous devez faire ce travail avec les régions, dont j’ai l’impression qu’elles se sentent un petit peu sous tutelle.
Je rejoins également ce qu’ont dit mes collègues concernant l’actionnariat : je pense que l’État actionnaire, même minoritaire, dans des entreprises fleurons de notre industrie, permet surtout d’ancrer nos entreprises dans les territoires et de maintenir sur le long terme les emplois et les sites de production. Vous avez un réel travail à faire à ce sujet !
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Létard. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Valérie Létard. Je suis particulièrement attentive à l’évolution du secteur industriel dans notre pays. Dans ma région, les Hauts-de-France, l’industrie emploie aujourd’hui plus de 300 000 personnes. Le secteur industriel y est en mutation permanente.
Nous pouvons nous réjouir de bonnes nouvelles, comme les investissements engagés par Toyota ou encore les commandes passées au site Alstom de Petite-Forêt pour le Grand Paris Express. Encore faut-il qu’Alstom poursuive la modernisation de cette usine en engageant les investissements attendus et rassure ainsi sur la pérennité, à terme, de ce site d’excellence, ainsi que sur sa volonté de recourir à des sous-traitants nationaux.
D’autres secteurs rencontrent des difficultés – je pense en particulier à l’aciérie Ascoval, qui appartenait au groupe Vallourec.
Le 29 juin 2015, le ministre Emmanuel Macron, en visite sur le site de l’aciérie Ascoval, déclarait : « Il s’agit d’une aciérie qui est au plus haut niveau de qualité et de qualification. » Le 22 janvier dernier, le Président Macron, en visite chez Toyota, a eu des paroles rassurantes en direction de la maire de Saint-Saulve, Cécile Gallez, sur l’avenir d’Ascoval, alors en procédure de redressement judiciaire. Aujourd’hui, comme vous le savez, un repreneur, Altifort, a déposé une offre sérieuse pour reprendre Ascoval.
Robuste d’un point de vue industriel, commercial et économique, selon le cabinet Secafi, le projet d’Altifort consiste à installer un nouvel outil : un train à fil. Altifort reprendrait les 281 salariés actuels au démarrage du nouvel outil ; l’emploi passerait à terme à 414 salariés. Mais Altifort a besoin du support de Vallourec pendant une période de dix-huit mois, le temps de construire et de démarrer le train à fil. Il s’agit d’obtenir de Vallourec l’engagement de maintenir un volume d’activité aux conditions actuelles, et pas davantage.
Le 25 septembre dernier, le ministre Bruno Le Maire a réuni la direction et les représentants des salariés d’Ascoval. En conclusion de cette réunion, le ministre a indiqué que l’ensemble des acteurs devait travailler de manière exclusive à ce scénario de reprise auquel il croyait. Enfin, il a indiqué que l’État se chargeait de la négociation avec Vallourec, dont il est le principal actionnaire.
Alors que l’offre d’Altifort doit être remise le 19 octobre prochain, pouvez-vous nous faire un point sur les négociations que le Gouvernement s’est engagé à mener avec Vallourec ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Madame la sénatrice Létard, sachez que le marché du Grand Paris Express remporté par Alstom ne nous inspire aucune inquiétude. Si vous avez connaissance de certains éléments que nous ignorons, je serai ravie d’en discuter avec vous.
Comme vous le savez, l’État et la région ont accompagné le processus de reprise d’Ascométal, qui a laissé de côté Ascoval. Il a donc fallu mettre en place un dispositif spécifique avec l’appui de l’État, de Vallourec et du repreneur d’Ascométal. Notre rôle, dans le cadre des procédures judiciaires, consiste à accompagner les repreneurs pour essayer de construire un projet viable et de présenter une perspective crédible à l’entreprise et aux salariés.
Nous souhaitons vraiment mesurer les points forts et les faiblesses des projets de reprise soumis au tribunal. Nous savons que le secteur de la sidérurgie est particulièrement complexe avec des retournements de conjoncture et un environnement international qui peut être instable, voire créer des difficultés temporaires assez aiguës.
Après la réunion présidée par Bruno Le Maire, la semaine dernière, le tribunal de grande instance de Strasbourg a accordé un délai supplémentaire de quatre semaines afin de permettre aux divers repreneurs potentiels de finaliser leur projet pour Ascoval.
Il existe aujourd’hui deux projets, et nous sommes en contact avec les deux repreneurs. Aucun d’eux ne semble disposer, à ce stade, des financements importants indispensables ; le sursis accordé par le tribunal leur permet d’essayer de les rassembler. Nous recevrons de nouveau toutes les parties prenantes la semaine prochaine.
Depuis le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier, on ne peut pas faire n’importe quoi en termes d’aide des pouvoirs publics au secteur de l’aciérie. Encore une fois, nous déployons toute l’énergie possible pour trouver une solution viable dans le dossier Ascoval. C’est compliqué, les salariés en sont conscients. Nous y travaillons de façon extrêmement sérieuse et assidue.
Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Perrin.
M. Cédric Perrin. Depuis plusieurs mois, la Haute Assemblée se penche sur l’organisation de notre filière industrielle ferroviaire – je tiens d’ailleurs à remercier Martial Bourquin et Alain Chatillon, respectivement rapporteur et président de la mission d’information sur Alstom et la stratégie industrielle du pays, du travail réalisé.
J’évoquerai deux sujets majeurs, tous deux ayant trait à la pérennité de cette filière d’excellence et au soutien aux compétences mobilisées dans l’Hexagone.
Le premier concerne le besoin de disposer d’une véritable visibilité industrielle dans la planification des besoins et la programmation des projets ferroviaires. Il en va de même pour d’autres projets d’investissement dans notre pays.
Réduire les effets cycliques, qui fragilisent les donneurs d’ordre et les fournisseurs de cette industrie, est évidemment une priorité. En France, comme ailleurs, la puissance publique – les agglomérations, les régions, l’État – est au cœur de l’écosystème et arbitre les modalités de la commande publique.
La filière industrielle ferroviaire doit pouvoir compter sur une visibilité à quatre ou cinq ans afin de mieux anticiper les besoins et d’organiser son outil industriel.
Madame la secrétaire d’État, quelles initiatives de programmation pourraient être mises en place pour soutenir des activités importantes pour nos territoires ?
Ma deuxième question prolonge cet enjeu de sécurisation de nos savoir-faire industriels et de nos compétences ferroviaires et porte sur l’émergence d’une politique plus offensive en matière d’insertion de clauses de responsabilité sociale des entreprises, dites clauses RSE, dans les futurs appels d’offres et de valorisation des réponses des soumissionnaires.
Dans un contexte fortement concurrentiel, le prix devient de plus en plus l’unique facteur d’attribution des marchés. Nous connaissons tous certains enjeux du commerce international et la réalité des coûts horaires variables suivant les lieux de production. Pour les offres françaises, il serait donc opportun de réfléchir à la valorisation de critères techniques et de clauses RSE soutenant l’ancrage d’activités en France.
L’exigence de compétitivité des projets est assurément indispensable et normalement génératrice d’une saine émulation. Il ne faudrait pas que cet objectif s’oriente systématiquement vers un choix du « moins-disant » en termes de prix. L’industrie française n’y résisterait pas.
Nos emplois, nos compétences, la vitalité de nos territoires sont en jeu. La France et, plus largement, l’Europe doivent pouvoir s’engager dans ces démarches responsables. Comment le Gouvernement entend-il soutenir avec d’autres parties prenantes cette nouvelle approche ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Merci de votre question, monsieur le sénateur Perrin.
Nous avons bien conscience de l’importance de la commande publique pour les acteurs industriels de la filière ferroviaire, qui représente 75 % de l’activité des grands donneurs d’ordre. Nous prenons cet élément en compte et cherchons à donner une visibilité à quatre ou cinq ans.
Par ailleurs, comme je l’ai souligné, nous voulons mettre en place, au sein du comité de filière, des outils de prévisibilité encore plus partagés et transparents au travers d’un dialogue entre industriels – pas seulement les grands donneurs d’ordre, mais aussi l’ensemble de la filière et des sous-traitants – et pouvoirs publics.
Le code des marchés publics permet d’inclure des clauses sociales et environnementales dans ces marchés. Nous nous sommes d’ailleurs fixé pour objectif d’accroître le nombre de ces clauses dans nos marchés publics.
Le ministère de l’économie et des finances apporte son soutien aux acheteurs et aux entreprises pour bien comprendre ces clauses. Nous travaillons à l’élaboration de guides, de modes d’emploi, pour la bonne utilisation de ces dernières.
Il existe également des groupes de travail à l’échelon européen, qui visent à s’assurer de la bonne homogénéité et de la bonne compréhension de ces règles. Nous avons donc bien conscience de l’importance de ce sujet.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Comme de nombreux territoires ruraux, mon département n’est pas particulièrement connu pour son industrie. La Haute-Vienne abrite néanmoins diverses unités de production industrielle, souvent de petite taille, mais aux savoir-faire extrêmement pointus. Elles collaborent avec de grandes marques du haut de gamme français, s’inscrivant ainsi totalement dans la démarche de qualité du made in France, même si je préfère, pour respecter notre belle langue, parler du « fabriqué en France ».
M. Jean-François Husson. Très bien !
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Au-delà de la traditionnelle et réputée production de porcelaine, comment ne pas citer le secteur de l’habillement de luxe ou haut de gamme avec, par exemple, le chausseur Weston et France Confection, à Limoges – cette dernière entreprise fournissant notamment les costumes de haute qualité de la marque Smuggler et de bien d’autres encore.
Je pourrais aussi citer les peausseries à Saint-Junien, où Hermès, désireux d’optimiser les savoir-faire locaux, a implanté une unité de production et où existent, depuis longtemps, des fabriques de gants de haute qualité – je pense, entre autres marques, à Morand et Agnelle.
Les élégantes chaussettes Archiduchesse et Bonne Maison, diffusées bien au-delà de nos frontières, sont réalisées par la cinquantaine d’employés de l’entreprise Broussaud, aux Cars, petite commune de 630 habitants.
Dans un tout autre domaine, une entreprise limougeaude, Peret Industrie, a rénové les grilles du Sénat – vous conviendrez qu’elles sont très belles – et celles de l’Opéra de Paris et travaille actuellement sur les garde-corps de la Samaritaine.
Je suis loin d’être exhaustive et bien d’autres collègues pourraient également dresser la liste d’un certain nombre de pépites dans leur département. On le sait, la fabrication française est de plus en plus mise en avant par les marques de luxe, mais aussi de plus grande diffusion, afin de séduire des consommateurs chaque jour plus soucieux d’acheter des produits de qualité et durables. Il convient de soutenir cette dynamique économique que l’on observe depuis quelques années et qui s’amplifie.
Pour autant, l’installation de ce type d’unités de production et leur maintien en France s’avèrent complexes et incertains. Elles sont souvent fragilisées non seulement par une fiscalité inadéquate, mais aussi, et surtout, par des difficultés de recrutement de main-d’œuvre.
Le maintien d’une politique industrielle territorialisée passe par une meilleure coordination de l’action des pouvoirs publics à l’échelon local. Il passe aussi et surtout par la revalorisation des métiers et des formations industriels, trop peu prisés par la jeunesse. Créer, par exemple, des « classes d’excellence » dans le domaine de l’apprentissage et faire des métiers de l’industrie un axe majeur du plan d’investissement dans les compétences pourrait contribuer à cette nécessaire revalorisation.
Alors que le Grand Palais va accueillir, le mois prochain, la manifestation L’Usine Extraordinaire, symbole d’un renouveau du monde industriel, quelle pourrait être, madame la secrétaire d’État,…
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. … la stratégie globale du Gouvernement pour favoriser le maintien de telles entreprises dans nos territoires ruraux ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Madame la sénatrice, vous avez évoqué beaucoup de thématiques qui sont au cœur de ce qui fait la force de notre industrie et de ce que nous voulons préserver, amplifier et mieux faire connaître, notamment aux jeunes, dans le cadre de leur orientation professionnelle.
Le Gouvernement et, je l’espère, un grand nombre de parlementaires seront mobilisés par l’exposition L’Usine Extraordinaire. Il s’agit d’un événement qui permettra aux jeunes de découvrir l’évolution des technologies et de changer l’image quelque peu poussiéreuse qu’ils peuvent avoir des métiers de l’industrie.
Avec Muriel Pénicaud, nous sommes mobilisées pour que la réforme de l’apprentissage bénéficie pleinement à l’industrie. Les filières industrielles du CNI, le Conseil national de l’industrie, se sont engagées à augmenter fortement – de 40 % – le nombre d’apprentis dans les années à venir.
Les savoir-faire spécifiques, en particulier dans le domaine de la mode et du haut de gamme, comme vous l’avez souligné, sont bien en ligne de mire avec les objectifs du comité stratégique de filière des industries de la mode et du luxe, avec un focus sur les créateurs et les façonniers afin de les aider à rayonner à l’international.
Il s’agit également de travailler sur les processus industriels, non seulement pour préserver la tradition, notamment à travers la création du label « Entreprise du patrimoine vivant », mais aussi pour aller vers l’industrie du futur et tirer tous les bénéfices des nouvelles technologies.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson.
M. Jean-François Husson. Il n’est plus possible de parler de notre industrie sans mentionner ses problèmes de compétitivité.
Je suis élu d’un département – la Meurthe-et-Moselle – qui sait ce que le mot « désindustrialisation » signifie et combien néfastes peuvent en être les conséquences sur le territoire ; je pense notamment aux crises de la sidérurgie, des mines et du textile.
Notre industrie a perdu des parts de marché, d’abord dans le bas et moyen de gamme, puis dans le haut de gamme, comme le montre l’exemple du secteur automobile.
Sur la scène internationale, la transformation s’est opérée à une vitesse vertigineuse. Elle a conduit à une profonde modification des rapports de force mondiaux : les États-Unis mettent en place une politique fiscale agressive ; la Chine est devenue l’un des leaders dans les domaines majeurs que sont le spatial, l’aéronautique, le ferroviaire, les données et l’intelligence artificielle. Il s’agit de l’un des défis géopolitiques les plus importants jamais posé à l’Europe depuis sa création.
La part des exportations françaises dans le commerce mondial ne cesse de diminuer : la France, deuxième puissance économique de la zone euro, perd encore et toujours des parts de marché à l’exportation. L’importance de l’industrie dans l’économie française ne cesse de décliner.
L’industrie française souffre notamment de deux handicaps : le poids de la fiscalité et le manque d’investissements en recherche et développement.
Comme vous l’avez souligné, l’innovation est l’une des clés de l’industrie du futur. Notre modèle industriel doit s’adapter aux mutations technologiques, à la robotique et aux enjeux environnementaux.
Madame la secrétaire d’État, comment le Gouvernement compte-t-il déployer sa stratégie de reconquête industrielle et commerciale et avec quels moyens financiers, tout en favorisant la qualification et la formation des hommes ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur Husson, il s’agit en effet de mettre un coup d’arrêt à la désindustrialisation et de déployer une stratégie de reconquête. Je reprends vos mots, qui me semblent parfaitement adaptés.
En matière de compétitivité, comme je l’ai souligné, nous avons commencé le travail en profondeur, l’année dernière, avec la réforme fiscale, les ordonnances Travail, l’investissement dans les compétences au profit de l’industrie de demain, la mobilisation collective de l’industrie et des filières sur les nouveaux marchés et la transformation numérique de l’industrie à travers la présentation du plan Industrie du futur par Édouard Philippe voilà une dizaine de jours.
Ce plan comprend des mesures fortes telles que le suramortissement – pour permettre d’investir à moindre coût dans des domaines comme la robotique, l’automatisation, l’impression 3D ou la modernisation des processus de fabrication – ou la création de centres d’accélération de l’industrie du futur. Nous lançons une mission afin de configurer ces centres au mieux : il s’agit de créer des outils locaux suffisamment proches du tissu industriel pour montrer à l’ensemble des acteurs concernés les dernières technologies et leur permettre de les tester et de les mettre en place, qu’il s’agisse de grands groupes, de leurs fournisseurs, de chercheurs, de start-up ou d’étudiants des instituts de recherche.
La dimension européenne est indispensable pour identifier les chaînes de valeur qui deviendront stratégiques et focaliser les énergies de la France et de l’ensemble de ses partenaires pour les ancrer en Europe et créer ainsi une véritable autonomie technologique.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.
M. Jean-François Husson. Un document de travail de votre ministère daté du mois d’avril de cette année indique que « le niveau de prélèvements obligatoires de production est une spécificité française qui désavantage nos entreprises ». Je citerai un seul chiffre à ce propos : en 2016, 72 milliards d’euros de prélèvements ! Cela représente 3,2 % de la richesse nationale, soit le double de la zone euro.
Les investissements dans les nouvelles technologies représentaient 0,55 % de la richesse nationale en 2016, 1,2 % dans la zone euro et 1,4 % aux États-Unis.
Le secteur industriel a, je vous le rappelle, madame la secrétaire d’État, mais vous le savez, un effet démultiplicateur exceptionnel en termes d’emplois et de créations de valeurs. Il y a donc urgence et intérêt à agir !
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fournier.
M. Bernard Fournier. Depuis le début des années 1990, notre industrie connaît une chute sans fin. Les chiffres du déclin industriel de notre pays sont connus, indiscutables et, surtout, alarmants : l’industrie française a perdu près de 1,5 million d’emplois en vingt-cinq ans. Alors que, en 1989, elle représentait encore 20 % de l’activité en France, elle est tombée à 12 %.
Des centaines d’entreprises industrielles ont disparu, et nous avons tous été consternés par le rachat de nombreux fleurons français tels que Pechiney, Alstom, Alcatel… Bien évidemment, nous ne sommes pas le seul pays dans ce cas-là et de nombreux facteurs entrent en jeu, comme le développement de la mondialisation et de la concurrence internationale, sans oublier l’effondrement de notre compétitivité.
Ce qui est le plus inquiétant, c’est l’affaiblissement durable de notre tissu productif et notre incapacité à trouver notre place sur le marché européen et mondial. Pris en étau entre l’industrie allemande, qui fabrique des produits à haute valeur ajoutée, et les produits de gamme inférieure offerts à bas coûts par les pays d’Europe du Sud et par la Chine, nous n’arrivons pas à trouver notre place et à relever la tête.
Nous avons cru aux chimères de ceux qui nous promettaient une économie désindustrialisée. Nous pensions que nous garderions, outre les emplois administratifs, les emplois dans le domaine de la recherche et de l’ingénierie. Nous imaginions que la production et la fabrication seraient externalisées dans les pays en voie de développement, comme la Chine, l’Inde… Quelle erreur monumentale ! Quel manque de clairvoyance ! Aujourd’hui, ce sont eux qui sont en mesure de nous racheter, et pas le contraire !
Alors, comment faire pour protéger, dès à présent, nos grands groupes industriels de certains prédateurs et, surtout, pour changer notre vision des choses afin de comprendre qu’il n’y a pas de grand pays sans grandes industries ?
Ma question sera simple, madame la secrétaire d’État : quand la France va-t-elle enfin mettre en place une politique industrielle digne de ce nom et, surtout, avec une vision à long terme ?
M. Philippe Mouiller. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur Fournier, je vous remercie de cette très belle dernière question de notre débat, qui est évidemment d’une grande d’ampleur.
Je vous rejoins : il n’y a pas d’économie puissante dans un pays qui n’a plus d’usines. Cette conviction imprègne profondément le Gouvernement. Nous la partageons avec le Premier ministre, avec Bruno Le Maire, avec les ministres de la cohésion des territoires, avec Gérald Darmanin. Nous pensons très fortement que nous devons répondre aux maux français – la perte de compétitivité, le déficit commercial, le chômage de masse – en menant une action déterminée dans le domaine de l’industrie.
Vous l’avez vu, nous déployons beaucoup de mesures macroéconomiques, transversales, fiscales. Nous nous employons à redonner confiance aux industriels pour qu’ils investissent, aux investisseurs internationaux pour qu’ils recréent des sites en France. Cela me semble aller de pair.
Nous avons des ambitions très fortes, à savoir inverser la situation, et une vision de long terme. Le fonds pour l’innovation et l’industrie, dont nous avons parlé longuement, s’inscrit dans cette optique. Nous en sommes persuadés, c’est en développant les technologies que nous ancrerons vraiment notre industrie dans l’avenir. C’est ainsi que nous allons monter en gamme et que nous sortirons de l’entre-deux actuel dans lequel nous nous sommes laissés enfermer.
Il s’agit de tirer profit de notre excellence en matière de R&D pour faire en sorte que les fruits de la recherche aillent davantage vers l’industrie, la création de valeurs et d’activités pour, au bout du compte, faire rayonner la France industrielle.
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion de ce débat, je vais donner la parole à M. le président, puis à M. le rapporteur de la mission d’information, pour un temps global de cinq minutes.
Mme Sophie Primas. Ce n’est pas beaucoup !
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la mission d’information.
M. Alain Chatillon, président de la mission d’information sur Alstom et la stratégie industrielle du pays. Madame la secrétaire d’État, au Sénat, vous l’avez vu, toutes sensibilités confondues, nous travaillons dans un état d’esprit positif et ouvert.
Nous espérons que nos propositions seront entendues lors de l’examen du projet de loi PACTE, même si nous sommes assez favorables à un certain nombre de celles que vous avez formulées.
La première concerne le crédit d’impôt recherche.
Vous avez parlé des groupes étrangers installés en France. Ce serait parfait si vous parveniez à instaurer une durée minimale de cinq ans après le versement du crédit d’impôt recherche, ce qui permettrait d’imposer le remboursement aux entreprises qui s’en vont avant ce terme. Nous aurions ainsi évité de perdre cette année un petit peu plus de 1 000 salariés dans une entreprise.
La deuxième proposition est, elle aussi, en rapport avec la fiscalité.
Je l’ai répété à plusieurs reprises à certains ministres, notamment à Bruno Le Maire, si l’Allemagne compte autant d’entreprises de taille intermédiaire, c’est parce que celles-ci bénéficient d’un régime tout à fait particulier, totalement défiscalisé, celui des fondations.
Il y a quelques mois, j’ai fait une proposition à laquelle le ministre Bruno Le Maire avait donné son accord : créer un PEA défiscalisé, à condition qu’il soit affecté à 100 % aux petites entreprises. Cette mesure, je ne l’ai pas retrouvée dans le projet de loi PACTE, et je ne peux que le regretter, car elle ne coûterait rien à l’État. Supposons que l’on prenne 1 % de l’assurance vie, cela permettrait d’affecter directement 17 milliards d’euros à ces petites entreprises, ce qui serait, bien évidemment, un élément déterminant pour leur développement.
La troisième proposition, qui a été abordée par l’un de mes collègues, a trait au poids de la fiscalité. Aujourd’hui, France Industrie vous dira qu’il s’élève à 3,6 %, ce qui signifie que le différentiel de fiscalité par rapport à nos collègues de l’Union européenne s’établit à 80 milliards d’euros. Il faut donc, là aussi, réagir.
Nous attendons votre soutien sur ces trois propositions, notamment. Sachez que nous serons à vos côtés lorsque vous viendrez ici – vous ou le ministre Bruno Le Maire – présenter le projet de loi PACTE.
Pour finir, je voudrais remercier toutes celles et tous ceux qui se sont mobilisés à nos côtés pour préparer ce dossier. Voilà six mois que nous y travaillons. Je remercie bien sûr M. le rapporteur, avec qui nous travaillons depuis quelques années pour le développement et la sécurité de nos entreprises. Merci également à Mme la secrétaire d’État ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur de la mission d’information.
M. Martial Bourquin, rapporteur de la mission d’information sur Alstom et la stratégie industrielle du pays. Je voudrais faire quelques recommandations à la suite de l’intervention de mon collègue Alain Chatillon. Je commencerai en évoquant General Electric.
Nous sommes en octobre, qui est le dernier mois au cours duquel l’accord est encore en vigueur. À la fin de ce mois, General Electric n’aura plus d’obligation vis-à-vis de l’État français si nous ne prenons pas la décision de faire payer à ce groupe les 34 millions d’euros qu’il lui doit. Si nous souhaitons qu’il le fasse, nous demandons qu’il le fasse non pas sur un mode punitif, mais sous la forme d’un réinvestissement, dans la vallée de l’énergie, à Grenoble, pour une diversification des produits concernant la transition énergétique.
Ce point est très important. Une entreprise de Belfort s’était mise en grève pour réclamer la création de six emplois. Et ils ont été créés ! Vous vous rendez compte que, sur les 1 000 emplois qui devaient être créés par General Electric, on n’en est même pas à 400 !
Concernant Alstom, il me semble bien que l’Union européenne regarde avec beaucoup d’attention la fusion Siemens-Alstom. Et si les choses se passent comme elles se sont passées avec Plastic Omnium et Faurecia, il se pourrait que des sites ne soient pas dans l’accord ! Si tel était le cas, madame la secrétaire d’État, nous devrons revoir l’accord pour éviter que, parmi les douze sites d’Alstom, certains ne soient vendus à l’encan, n’importe comment, y compris à des groupes chinois, japonais ou canadiens, et ne viennent faire concurrence au nouveau conglomérat Siemens-Alstom.
Vous nous avez dit que la loi PACTE allait provoquer notre désengagement capitalistique de plusieurs grandes entreprises. Pensez-vous un seul instant que M. Trump est en train de se désengager des entreprises américaines ? Au contraire, sa politique, c’est l’Amérique d’abord ! Pensez-vous que la Chine, avec son parti-État et les centaines de milliards de dollars mis au service de l’agressivité industrielle et commerciale du pays, se désengage des entreprises nationales ? C’est bien le contraire qui se passe !
Et nous, si nous laissions faire le marché et nous désengagions capitalistiquement de nos entreprises, nous ferions la plus grande des erreurs ! Faisons en sorte, justement, d’équilibrer nos rapports entre l’Europe, la Chine et l’Amérique et, surtout, faisons en sorte que la France, dans ce concert européen, joue un rôle de premier plan !
Madame la secrétaire d’État, nous avons des dossiers très importants en cours. Une politique industrielle, ça ne se limite pas à des intentions et à des déclarations, ça se traduit par des actes. Si jamais on pouvait revenir sur cet accord Alstom-Siemens en le rééquilibrant, la France y gagnerait ! Et elle devrait trouver un juste retour de toute l’activité qu’elle mène pour obtenir des marchés. Alstom, qui est l’entreprise la plus en vue aux niveaux européen et mondial, mérite autre chose qu’une absorption pure et simple par Siemens ! (Applaudissements.)