Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour la réplique.
M. Stéphane Piednoir. Monsieur le ministre, je ne suis pas tout à fait convaincu, d’autant que vous n’avez pas véritablement répondu à ma question principale, qui portait sur la fusion des filières ECE et ECS.
Je maintiens mon propos : il faut absolument préserver la diversité des publics en classes préparatoires, mais aussi dans les écoles de management, car il est important d’avoir des profils différents, qu’il s’agisse d’élèves plutôt forts en mathématiques ou plutôt forts en sciences humaines. C’est ce qui fait la richesse de nos diplômés et c’est un point sur lequel les professeurs, y compris ceux de l’enseignement supérieur, expriment fortement leur inquiétude.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Cartron.
Mme Françoise Cartron. La réforme du bac ! On en parle, on en parle, on en parle, et cela depuis des années… Enfin, aujourd’hui, le chantier est lancé ! Comme cela a été rappelé précédemment, cette réforme était réclamée et attendue par nombre de nos concitoyens, avec un objectif que vous avez affirmé, monsieur le ministre : que le lycée devienne réellement un tremplin pour la réussite de tous les élèves.
En effet, notre réalité est la suivante : seuls quatre enfants d’ouvriers non qualifiés sur dix aujourd’hui sont bacheliers. Ces écarts sont plus importants encore pour les filières dites « d’excellence » : quelque 41 % des enfants de cadres supérieurs obtiennent un bac S, contre seulement 5 % des enfants d’ouvriers non qualifiés.
J’insisterai sur la nécessaire lisibilité de la nouvelle « architecture » pour l’ensemble des élèves et leurs familles, en particulier en ce qui concerne le choix des spécialités. La vigilance s’impose en effet sur les « stratégies scolaires » mises en place par les familles dans le choix des nouveaux parcours individualisés.
J’ai pu le constater ces dernières années, les dispositifs de carte scolaire, les acteurs en charge de leur mise en œuvre, leur appropriation ou non par les parents peuvent renforcer – ou non – les inégalités sociales face à l’école. J’avais d’ailleurs dressé ce constat dans un rapport de 2012, qui est malheureusement resté sans suite.
Alors que les lycées devraient laisser le libre choix de la combinaison des spécialités à l’élève, alors que le recteur sera le garant de la bonne répartition et de l’équilibre des spécialités sur le territoire, alors qu’un premier trimestre doit être dédié à l’accompagnement dans la construction du projet, il est très clair que des politiques de régulation et d’accompagnement sont primordiales.
Ma question est la suivante : quel budget et quels outils de régulation le Gouvernement entend-il développer afin d’éviter que certains enfants ne soient défavorisés ou victimes d’un déficit d’information ? (MM. Alain Richard et François Patriat applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale. Madame la sénatrice, votre question est dense et très importante. Or je n’ai que deux minutes pour répondre à chaque intervenant, ce qui explique que je ne parvienne jamais à épuiser la totalité des sujets qui sont évoqués par les différents orateurs, car tous mériteraient une demi-heure pour être traités !
En ce qui concerne la question précédente, les professeurs de classes préparatoires travaillent actuellement aux transformations intéressantes permises par la réforme du baccalauréat. Demain et après-demain, la Conférence des grandes écoles se réunira pour aborder ce point en particulier.
Je suis très optimiste sur ces questions, puisque nous faisons bouger les lignes, ce qui obligera à des modernisations de toute façon nécessaires. Tout cela renvoie aussi à une simplification des horizons : ce qui crée de l’injustice sociale, c’est la difficulté à décoder l’enseignement supérieur. Nous visons donc un objectif de simplification, qui va de pair avec un objectif en matière d’orientation.
Nous commencerons dès cette année en consacrant en classe de seconde cinquante-quatre heures à l’information sur les métiers et surtout sur l’enseignement supérieur, ainsi que sur les parcours de spécialités, de façon à lutter contre les inégalités et à éclairer l’ensemble des élèves.
Nous souhaitons également impliquer les professeurs. Nous voulons que les acteurs de l’éducation nationale travaillent non pas en silos, mais en équipes. Chacun aura pu constater le succès, l’année dernière, du deuxième professeur principal en classe de terminale, qui joue un rôle d’éclaireur auprès des élèves. Il s’agit de mieux préparer intellectuellement et mentalement l’élève à ce qui l’attend dans l’enseignement supérieur. C’est typiquement ce type d’expérience que nous allons développer en seconde cette année, puis en première et en terminale, de manière à éclairer le chemin.
La réforme permettra, de ce point de vue, des évolutions très intéressantes. Elle supprimera l’actuelle hiérarchie des filières. Ainsi, l’élève choisira une spécialité parce qu’elle lui fait envie. Il pourra ensuite emprunter des passerelles, notamment à la fin de la classe de première, s’il estime que la spécialité pour laquelle il a opté ne correspond finalement pas à son souhait.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sonia de la Provôté.
Mme Sonia de la Provôté. Monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, la réforme du baccalauréat ne peut être dissociée de la refonte du lycée et – nous y tenons – d’une réforme de l’orientation pour accompagner le jeune au moins depuis le collège jusqu’au lycée, voire après. L’objectif est, pour chacun, la réussite dans la voie choisie et dans la future vie professionnelle.
Si l’on considère la question de l’orientation, celle-ci répond à un véritable défi, à un idéal à atteindre : celui du choix éclairé du jeune sur son avenir. Se pose la question des moyens et des outils pour effectuer ce choix. Un jeune acteur de ses choix est capable de mesurer la meilleure option entre ses goûts, ses envies et ses compétences, indépendamment de sa situation sociale, géographique ou familiale. La mise en place de disciplines de spécialités facultatives, en plus d’un tronc commun, renforce la construction de ce choix.
Prévoir plus de souplesse et de liberté dans les combinaisons d’enseignement, c’est servir ce projet. Se pose donc tout naturellement la question de l’information sur les filières, les métiers, les parcours et les carrières.
Pour qu’un jeune arrivant au lycée à quinze ou à seize ans puisse décider de façon éclairée de ses études, il doit avoir accès à cette information, en lien avec la réalité du monde du travail. Il doit aussi être au clair avec les compétences utiles ou indispensables pour réussir son parcours, donc avec les matières qui sont nécessaires. Or un jeune ne sait pas toujours ce qu’il veut faire en seconde, ou même en première, du reste.
Dans l’élaboration d’un véritable parcours, l’appétence envers les disciplines ne saurait être le seul guide du choix du jeune. Plus il y a une marge de liberté, plus cela profite aux mieux informés. Les déterminismes sociaux pèsent encore lourd sur la réussite des élèves en France.
Monsieur le ministre, nous aimerions connaître la méthode, le calendrier, les moyens et les services que vous allez mettre en place afin de garantir au mieux un choix éclairé pour nos lycéens. Réformer le baccalauréat n’a de sens, vous en conviendrez, que si cette organisation existe vite et sans demi-mesure ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale. Madame la sénatrice, vous me demandez de faire vite et bien. Le sénateur Ouzoulias me demande, lui, de me hâter lentement… Je crois que le Gouvernement est sur une ligne d’équilibre entre des impératifs de rapidité et des impératifs de sérénité ! C’est un élément majeur.
Je rappelle que la réforme du bac a été annoncée pour 2021 par le Premier ministre en juin 2017. Quatre années pour agir, ce n’est pas de la précipitation, même si le compte à rebours est assez soutenu sur le plan du rythme comme du contenu. Il était difficile de faire plus dense, mais il était aussi impossible de faire plus lentement ou plus rapidement.
Nous tenons donc la ligne d’équilibre en ce qui concerne la temporalité. Bien entendu, vous avez entièrement raison : l’ensemble de cette logique réclame une évolution de notre système d’orientation, évolution dont nous avions de toutes les façons besoin. Cette évolution est amorcée, mais elle ne sera pleinement mûre qu’au fil de la réforme.
Quels sont les éléments de cette évolution de l’orientation ? Elle passe, là aussi, par une vision fondée davantage sur un continuum. Si l’on souhaite plus d’équité sociale, il faut mettre l’accent dès la classe de sixième sur les enjeux d’orientation et continuer ainsi jusqu’en terminale, voire au-delà. Cela signifie que ce continuum ne se développe pas uniquement dans le temps, mais aussi dans l’espace.
L’ensemble des acteurs doit être mobilisé, et pas uniquement les spécialistes de l’orientation. Cela apparaît clairement avec le deuxième professeur principal en classe de terminale et cela figure aussi dans les textes, qui ne changeront pas sur ce point. Ils prévoient déjà que les professeurs doivent se mobiliser pour jouer ce rôle. Ceux-ci le jouent d’ailleurs auprès des élèves, non parce qu’ils seraient omniscients en matière d’orientation, mais parce qu’ils connaissent leurs élèves et peuvent les aider dans leurs choix.
L’élément fondamental de transformation, c’est aussi l’alliance de l’éducation nationale avec les régions, que j’ai présentée ici même. Elle donnera ses premiers résultats cette année en classe de seconde, avec la mise en place des cinquante-quatre heures, qui seront l’occasion pour les régions de s’investir. C’est également l’arrivée des nouveaux outils numériques, souvent partagés avec les régions. Quelques régions, comme l’Île-de-France ou la Nouvelle-Aquitaine, ont par exemple développé des outils très intéressants et utiles.
Un site internet dédié contribuera également à l’information des élèves. Bref, c’est tout un spectre de mesures que nous allons déployer jusqu’en 2021.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sonia de la Provôté, pour la réplique.
Mme Sonia de la Provôté. Monsieur le ministre, deux ou trois générations de bacheliers ne seront pas pleinement accompagnées. Peut-être faudrait-il prévoir un accompagnement renforcé, afin de leur donner un maximum de chances. Elles doivent, comme les autres, pouvoir maîtriser leurs choix et bénéficier d’un éclairage complet sur leur avenir et leur orientation.
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.
Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le ministre, mes chers collègues, « lieu de mémoire de l’identité française », selon Pierre Nora, le baccalauréat a fait l’objet de nombreux débats. Si nous ne sommes pas opposés à une réforme de cet examen, nous ne pouvons qu’exprimer notre vive inquiétude face à l’imprécision de nombreux aspects de ce chantier, dont la mise en œuvre est lancée.
Il existe d’abord des inquiétudes relatives à l’organisation. Les chefs d’établissement n’ont aucune visibilité sur les modalités pratiques pour le moment : difficultés dans l’organisation des emplois du temps des élèves, des enseignants, des personnels administratifs, difficultés par rapport aux locaux et aux transports scolaires ; accumulation d’épreuves en première et en terminale avec le contrôle continu et les épreuves blanches. Faudra-t-il prévoir plus de journées banalisées ? Les correcteurs seront « extérieurs », mais extérieurs à quoi ? Extérieurs à la classe, à l’établissement ?
Vous annoncez la fin des filières et le déploiement de spécialités – douze au total. Certes, une carte académique élaborée par les rectorats permettra de les répartir entre les différents établissements. Sept de ces spécialités doivent être proposées partout. La liberté de choix des couplages donnée à l’élève sera très réduite dans certains secteurs ruraux et dans certaines villes, comme l’a souligné tout à l’heure la présidente de la commission de la culture.
Le réseau mis en place dans un périmètre donné entraînera des difficultés de transport, d’aménagement d’emplois du temps et de responsabilités ! Ce lycée modulaire, proche du modèle britannique, risque fort d’entraîner une spécialisation des établissements. Dès lors réapparaîtront des filières officieuses.
L’élève « entrepreneur » de son parcours choisira dès demain des spécialités : devront-elles nécessairement être en lien avec son futur parcours universitaire, le baccalauréat devenant, selon vos vœux, le premier grade universitaire ? Ces choix précoces et pas très éclairés risquent fort de se faire au détriment des élèves venant des familles les plus défavorisées !
Avec 2 600 postes en moins – administratifs et de professeurs –, comment entendez-vous mettre en œuvre efficacement ce vaste chantier ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale. Madame la sénatrice, toute évolution suscite son lot de questions. Tout est néanmoins dans la façon de les présenter !
D’une certaine façon, votre intervention, qui égrène les différentes questions qui se posent, est un hommage à la densité de cette réforme. Plusieurs angles de lecture sont ensuite possibles. Soit on se laisse aller à l’optimisme collectif parce que le Gouvernement est en mesure d’apporter des réponses, ce que je puis vous démontrer. Soit on cherche à entretenir l’inquiétude, ce qui serait évidemment totalement contre-productif du point de vue de l’intérêt général.
J’invite donc tout le monde, y compris la représentation nationale, à faire preuve d’un esprit constructif, pour un objectif d’intérêt général.
Mme Céline Brulin. C’est le cas !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Certaines questions me rappellent celles qui sont posées actuellement par certains syndicats. Ne faisons pas semblant de croire que le Gouvernement ne peut apporter aucune réponse, car nous en avons, même s’il me sera difficile de toutes les exposer en deux minutes !
Vous affirmez que les chefs d’établissement sont dans le brouillard. Or, ces dernières semaines, j’ai organisé presque chaque jour des réunions de proviseurs dans toutes les régions de France avec Mme Luigi, inspectrice générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche. Nous répondons aux problèmes très concrets qui se posent – je pense notamment à la question du calendrier de cette année.
Comme vous l’avez souligné – je constate que vous êtes bien informée –, au terme du calendrier prévu, chaque établissement sera fixé au mois de janvier sur l’implantation des spécialités, ce qui déterminera également un calendrier de dialogue avec l’élève. Nous le mettons en place dès maintenant pour expliquer les spécialités et pour informer de l’offre dans chaque établissement, afin que les élèves puissent choisir au fil de l’année, d’abord quatre, puis trois spécialités.
Nous pouvons donc être assez sereins, même si beaucoup de choses changent, ce qui est heureux d’ailleurs, puisque tout le monde le souhaitait. Il serait curieux de s’en inquiéter aujourd’hui, d’autant que la réforme a été préparée et que nous disposons de toutes les réponses.
Vous avez fait écho aux propos de la présidente de la commission de la culture, mais j’ai répondu à ses questions à la tribune. Nous avons un objectif d’équité territoriale. Non seulement la réforme n’accentuera pas les inégalités, mais, au contraire, elle en compensera certaines par des mécanismes d’implantation. En tout état de cause, tout ce qui se sera mis en œuvre sera nécessairement un « plus » par rapport à ce qui se fait aujourd’hui.
Autrement dit, il y aura des disciplines et des spécialités nouvelles. Nous ne les implanterons pas partout, mais là où elles seront créées elles auront, par rapport à la situation actuelle, une valeur ajoutée.
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Lafon.
M. Laurent Lafon. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, le succès du nouveau bac dépend en partie de la façon dont les établissements vont se l’approprier. Ma question portera donc sur la marge de manœuvre et sur la liberté d’action qui sera la leur, notamment sur trois sujets concrets : le recrutement, le temps de travail et l’organisation.
En ce qui concerne le recrutement, la création de deux nouveaux enseignements – droit et enseignements en informatique – pose insidieusement la question de la diversification du corps enseignant.
En l’absence de CAPES et d’agrégation spécialisés, ne peut-on envisager que les lycées recrutent librement des professeurs associés en fonction de leurs compétences professionnelles dans ces deux secteurs ? La société civile n’a pas moins de ressources que le corps enseignant dans ces deux matières ; au contraire, elle en a peut-être même davantage ! Ne devons-nous pas faire preuve de souplesse pour aider à mettre en place ces deux enseignements ?
En matière de temps de travail, les obligations de service des enseignants sont aujourd’hui fixées de manière hebdomadaire. Cette réglementation nationale empêche les chefs d’établissement d’expérimenter des solutions pédagogiques innovantes sur la périodicité des enseignements ou sur la semestrialisation de l’année scolaire. Le temps n’est-il pas venu d’avancer sur l’annualisation des obligations de service, comme l’ont proposé de nombreux sénateurs – je pense à Gérard Longuet, mais aussi à Max Brisson et à Françoise Laborde.
Pour finir, en matière d’organisation, les établissements ont également besoin de souplesse pour s’adapter aux besoins des élèves et aux spécificités des territoires. Vous avez repris la proposition de réseau du rapport de Pierre Mathiot. D’autres propositions – je pense en particulier à la liberté pédagogique dans le dernier trimestre de l’année de terminale – n’ont pas été retenues, me semble-t-il.
Sur toutes ces questions, permettez-moi de citer Raymond Barre, qui disait si justement qu’« il faut faciliter l’action des autres plutôt que de décider à leur place » ! J’ignore si vous apprécierez la référence à cet ancien Premier ministre, mais j’espère que vous goûterez la justesse de sa réflexion. (Sourires.)
Je terminerai par une interrogation : la réforme du bac n’est-elle pas une bonne occasion de faciliter l’action des établissements en leur accordant plus d’autonomie, plutôt que de décider à leur place ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale. Monsieur Lafon, je ne réprouve pas les références à Raymond Barre, car l’intelligence collective bénéficie toujours de citations variées. Par ailleurs, les origines universitaires de cet homme politique sont faites pour me plaire ! (Sourires.)
Effectivement, cette citation trouve ici toute sa pertinence, car il convient de renforcer l’autonomie des établissements. À mes yeux, elle doit être accrue par la réforme, plus fortement d’ailleurs que celle des collèges. Il s’agit de deux autonomies différentes, auxquelles il faut penser, en contrepoint de l’autonomie de l’élève que nous voulons renforcer.
Nous nous inscrivons de plus en plus dans une logique dans laquelle la première partie de la vie de l’élève, qui va de la maternelle jusqu’à la fin du collège, est destinée à l’acquisition d’un socle commun de connaissances, de compétences et de culture. La seconde partie de la vie de l’élève commence en classe de seconde, à une époque où il devient un préadulte, se responsabilise et fait des choix. Certes, il peut commettre des erreurs, mais il bénéficie d’un maximum d’opportunités en termes de passerelles et il est accompagné. Telle est clairement notre philosophie.
L’autonomie des lycées doit se trouver renforcée. Le processus dont nous parlons depuis tout à l’heure invite à la créativité. C’est ce que j’explique aux proviseurs dans toute la France – j’en ai rencontré hier à Nancy, j’en verrai demain à Angers. Le message est le suivant : d’ici au mois de janvier prochain, ils auront la possibilité de formuler leur projet éducatif, de discuter avec le rectorat et de mettre ainsi sur pied le projet original qu’ils ont envie de développer, avec leur équipe. Cela créera une nouvelle atmosphère dans les lycées ; c’est en tout cas ce que nous souhaitons. L’objectif est de mettre le lycéen dans une situation de choix beaucoup plus vaste.
Ces choix nouveaux posent, comme vous l’avez souligné, des questions en termes de ressources humaines. Ce problème est plus important dans les disciplines complètement nouvelles. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne les sciences informatiques, qui sont l’une des grandes innovations de la réforme. Nous mettons en œuvre un vaste plan de formation pour répondre aux besoins.
Ces choix nouveaux posent également des questions en termes d’articulation avec les autres disciplines, comme les mathématiques. Là aussi, tout est planifié, et la réforme se mettra graduellement en place, au fil du temps. Autrement dit, la spécialité « sciences informatiques » s’implantera de plus en plus au cours des prochaines années.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Grosperrin.
M. Jacques Grosperrin. Monsieur le ministre, voilà déjà deux cent dix ans que Napoléon a créé le baccalauréat. Instauré en 1808, celui-ci comportait aussi des épreuves orales, de grec et de latin.
Vers 1880, le taux de réussite s’élevait à 1 %. Depuis lors, cet examen a connu beaucoup de réformes. Des ministres nombreux, trop nombreux, s’y sont attelés – j’espère que cela ne vous fera pas démissionner à votre tour, nous avons besoin de vous ! (Sourires.)
Si le collège est considéré comme un « petit lycée », le lycée, considéré comme le temps du baccalauréat, peine lui aussi à trouver sa place. Or vous savez que je suis un partisan et un défenseur de l’école du cycle commun.
Nous avons bien compris que la philosophie de cette réforme était de sortir de la prédominance des mathématiques et de la filière S, qui ne règle pas tout, l’idée étant d’envisager un parcours de bac -3 à bac +3. Je m’en réjouis, car nous ne pouvons plus accepter le nombre important d’échecs en licence 1, 2 ou 3. Surtout, nous ne pouvons plus accepter une orientation qui se fait par défaut.
Même si vous avez tout à l’heure largement abordé ce point, je souhaite attirer votre attention sur la situation des proviseurs, car ils sont inquiets. Il me paraît important de les rassurer. À ce jour, ils disposent de peu d’informations et ils rencontrent des difficultés. Ils s’interrogent notamment sur la mutualisation. Certes, celle-ci ne posera pas de problèmes en ville, mais sa mise en œuvre sera plus difficile en milieu rural. Quid également des programmes et de l’examen national ?
Il faut également nous rassurer sur la carte et le menu. Quand c’est le menu qui sera proposé, je crains que cela ne recrée des filières. En revanche, lorsque l’accès sera à la carte, je redoute que le choix ne porte que sur le dessert, certes le plat le plus savoureux… (Sourires.)
Je souhaite également vous interpeller sur les attendus qui doivent absolument être mis en place par les universités. Cela pourra décider les élèves, ou à tout le moins les aider.
Le temps de l’éducation n’est pas le temps politique. La date de 2021 s’explique aussi par l’échéance électorale de 2022. Il est également fondamental d’aller vite pour Parcoursup. Il faut des moments de cadrage, mais il faut aussi se méfier du contexte social, qui peut être dangereux. Des élections syndicales sont attendues en décembre prochain.
Par ailleurs, vous subissez malgré vous les choix et l’intransigeance de Bercy. Il est difficile de parler de cette réforme à un moment où des suppressions de postes sont annoncées. J’imagine que cela vous affecte. Bref, il peut y avoir une instrumentalisation. Ma question est donc simple : comment pouvez-vous rassurer l’ensemble de la communauté éducative, qu’il s’agisse des professeurs ou, bien sûr, des lycéens ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale. Monsieur Grosperrin, je puis non seulement rassurer la communauté éducative, mais même l’enthousiasmer ! J’ai l’habitude de dire, dans les assemblées de proviseurs auxquelles je faisais référence, que cette réforme n’est pas de l’huile de foie de morue, mais de la vitamine C ! (Sourires.)
Autrement dit, cette réforme, contrairement aux autres, ne sera pas difficile à faire passer. Il ne s’agit pas ici d’une mesure pénible à mettre en œuvre, pour en récolter ultérieurement les fruits. Non, cette réforme est enthousiasmante ! Je le rappelle, elle a été réalisée à la lumière des nombreux travaux menés par les uns et les autres. Elle a par ailleurs fait l’objet d’une consultation très large, puisque 40 000 lycéens y ont participé. C’est pourquoi elle est bien accueillie et très majoritairement considérée comme positive.
Nous devons nous engager dans cette réforme avec l’enthousiasme qui sied. Cela ne signifie pas qu’elle ne pose pas une multitude de questions, et je suis là pour y répondre. Néanmoins, je le redis, nous sommes très sereins, d’autant que nous avons des réponses. L’entrée dans la nouveauté ne doit donc pas être angoissante.
Comment enthousiasmer les trois catégories auxquelles vous avez fait référence ? Il faut d’abord et avant tout enthousiasmer les lycéens. Nous leur offrons un lycée bien plus ouvert, avec davantage de choix et préparant bien mieux à l’enseignement supérieur. C’est le point fondamental, et c’est le but. Les lycéens l’ont compris. À telle enseigne que ceux d’entre eux qui aujourd’hui ne sont pas très contents, ce sont les élèves de première et de terminale, qui aimeraient bien bénéficier de la réforme qui vient derrière eux ! Cet état de fait doit nous inciter à ne pas trop traîner dans la mise en place de la réforme.
Il faut aussi enthousiasmer les professeurs. En général, étant passionnés par leur discipline, ils envisagent cette réforme comme une occasion de moderniser les programmes, au travers de leur refonte, et d’approfondir l’enseignement dispensé.
Enfin, il faut enthousiasmer les proviseurs. Ces derniers, je le répète, sont actuellement très informés. Nous leur envoyons tous les quinze jours une note d’information. Un pilotage de la réforme est réalisé par le ministère. Bref, toute l’équipe de l’éducation nationale se trouve mobilisée autour de la réforme qui sera mise en place, à un train rapide, mais également serein.
Mme la présidente. La parole est à Mme Claudine Lepage.